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Sri Lanka, elles bravent les vagues et les préjugés p. 76 Petits plaisirs de saison

KRISTEN STEWART,

libre sinon rien

Époustouflante dans Spencer, le biopic sur Lady Di qui l’a propulsée cette année aux oscars, l’Américaine, dont la saga Twilight a fait l’idole de toute une génération, s’est construit, de blockbusters en films plus confidentiels, une carrière qui ne ressemble à aucune autre. Fan de rock, engagée en faveur de la cause LGBTQIA+ et mue par un vigoureux besoin d’indépendance, l’actrice continue de fonctionner aux coups de cœur, dans la vie comme à l’écran et loin des réseaux sociaux. Attendue dans le nouveau Cronenberg, elle réalise aussi en 2022 son premier long métrage. L’occasion de revenir sur le parcours de celle que l’on surnomme “The Good Bad Girl”.

Par Maroussia Dubreuil, avec James Mottram Photos Lauren Dukoff

« De toutes les actrices qui ont joué Diana au cours des dix dernières années, c’est elle qui s’en est le plus approchée », a déclaré Ken Wharfe, l’ancien garde du corps de la princesse de Galles, devant la prestation en mode mimétique absolu de Kristen Stewart dans Spencer, diffusé sur Amazon Prime Video depuis janvier. Réalisé par le Chilien Pablo Larraín, qui a l’art d’alléger le plomb du biopic intégral en se concentrant sur un morceau choisi, le lm se déroule sur trois jours pendant les fêtes de Noël 1991, à Sandringham House. On y découvre Diana au volant de sa décapotable, inquiète à l’idée de ne pas se repérer dans la campagne du Norfolk. Déjà, cette peur de conte de fées – qui a quelque chose à voir avec celle des héroïnes perdues en forêt – s’est engouffrée dans les grands yeux de Kristen Stewart, qui font planer sur le lm une mélancolie vertigineuse.

VINGT ANS APRÈS QUE JODIE FOSTER a décelé sa capacité peu commune à « montrer à l’écran comment elle a du mal à manifester ses émotions » sur le plateau de Panic Room, de David Fincher, l’actrice de 32 ans a reçu sa première nomination aux Oscars – le verdict n’est pas encore connu à l’heure où nous rédigeons cet article. Si le rôle de Diana Spencer semble porter chance – Emma Corrin a remporté un Golden Globe pour son interprétation dans la série Netflix The Crown, en 2021 –, il con rme aussi l’intérêt de l’actrice pour les beautés de résistance, ces loseuses magnifiques qui perdent contre le système. « Lady Di voulait disparaître, elle dépérissait. Sa peine est devenue tellement physique… Vivre à l’intérieur d’un corps féminin non reconnu, muselé, est une expérience violente et il n’est pas facile d’en parler. C’est une a aire compliquée, je devais m’y employer », reconnaît-elle, trois ans après avoir interprété Jean Seberg (1), l’icône américaine de la Nouvelle Vague, utilisée et broyée par le FBI pour avoir fréquenté un membre des Black Panthers. « Dans Spencer, Kristen a réussi à se transformer pour le rôle tout en gardant son naturel, décrit Claire Mathon,la che e opératrice du lm. Pour saisir l’intimité du personnage, je l’ai beaucoup regardée. Et petit à petit, j’ai senti qu’elle me regardait aussi, me laissant le temps de peaufiner l’image, pour que nous puissions aller toutes les deux au bout du travail. Kristen sait combien c’est important d’être bien regardée. »

L’ÉVENTUALITÉ DE LA RÉCOMPENSE SUPRÊME vient marquer vingt-trois ans d’une vie d’artiste mouvementée qui a failli s’arrêter à plusieurs reprises. « Cinq films, une expression » ou « Je ne souris pas toujours, mais quand je le fais, je ne le fais pas » : raillée sur internet pendant ses années Twilight, accusée d’avoir brisé le ménage d’un homme marié (Rupert Sanders, le réalisateur de Blanche Neige et le chasseur) et critiquée par des associations de lutte contre les troubles alimentaires pour avoir tenté de se faire vomir sur le plateau de Spencer (où l’on découvre quelques scènes de boulimie), elle est passée experte en situations inextricables dont elle sait se sortir par le haut à la faveur de sa grâce

rockabilly. « Enfant, je voulais être une rock star… Je suis allée en rock star à la Journée des Métiers à la maternelle, rappelle celle qui, dix ans plus tard, interprétera la rockeuse Joan Jett, dans The Runaways (2), en souvenir de la bandeson post-punk de son adolescence. J’étais une gosse tellement emo (pour “emocore”, sous-genre du punk, ndlr). J’allais à une soirée emo tous les “putains” de week-ends. » À côté des éclatantes, des brillantes, des glossy, des fun et des parfaites, la Californienne aux airs de Garbo jurant comme Al Pacino dans Scarface incarne une bouffée d’air face aux injonctions, visant le charme plutôt que la perfection, fidèle à son credo : « Je ne veux pas être une star de cinéma comme Angelina Jolie. » Surnommée quelques années plus tard « The Good Bad Girl » par le New York Times Magazine, cette ambassadrice, depuis 2015, de la maison Chanel n’aime pas vraiment Internet et n’est présente sur aucun réseau social. Sans façon, elle grignote les bonbons à la réglisse Good & Plenty en pleine nuit, se fait réveiller par son « petit chien hypoglycémique », se balade dans une fourgonnette noire qu’elle a baptisée « Beth », préfère être nue que danser et teste son endurance sur des terrains de golf, en jeanbaskets à Griffith Park ou en treillis dans le décor de Guantánamo, lors du tournage de The Guard (3), en 2014. ENFANT DE LA BALLE, fille d’un producteur-régisseur et d’une scripte-scénariste, elle a grandi à Woodland Hills, dans la banlieue de Los Angeles. Malgré son anxiété, qu’elle a longtemps jugée « incapacitante », c’est là, dans la vallée de San Fernando, qu’elle s’inscrit à l’atelier casting ouvert par le père d’un camarade de sa classe de CE2. Une quinzaine de lms plus tard, elle accède à la notoriété à 18 ans dans le rôle de Bella Swan, une lycéenne romantique néogothique amoureuse d’un vampire, dans la saga Twilight(4) , adaptée des romans de l’écrivaine mormone Stephenie Meyer. À la surprise des K-Stew (ses fans, dans le même esprit que les Beliebers, Swifties ou Directioners), elle voyage ensuite entre blockbusters et film d’auteurs, Amérique et vieux continent, premiers rôles et apparitions, robes à strass et vieux T-shirts, pratiquant avec habileté la science des opposés et cherchant à préserver son indépendance malgré la pression de la machine hollywoodienne. « Une fille normale, une bonne copine, pas déconnectée des réalités, avec qui on peut parler de tout, décrit la comédienne Sigrid Bouaziz, sa partenaire dans Personal Shopper, d’Olivier Assayas, en 2016. Du genre à m’inviter dans sa chambre et me faire monter dans sa voiture pour se rendre à des soirées, lors de la présentation du lm au Festival de Cannes, en 2016. Et sa garde rapprochée ? Des jeunes gens sympas, de sa génération. » Habituée du Palais des festivals, dont elle monte les marches pieds nus en 2018 pour protester contre l’obligation de porter des talons, elle n’est pas à l’abri de retâter du red carpet, en mai prochain avec Crimes of the Future, le nouveau lm de David Cronenberg (5) . Ce dernier lui a offert le rôle de la petite amie d’un « performer » (Viggo Mortensen) qui ablate et transforme ses organes, dans un monde où les humains ont appris à vivre sans enveloppe corporelle, débarrassés de la douleur physique. De Stewart, il dit qu’elle est une « Ferrari » – un compliment de la part du réalisateur canadien de Crash, fasciné par notre devenir machine, sans savoir que l’actrice a fait ses débuts dans une campagne pour Porsche. « Je ne suis pas une showman typique », a-t-elle souvent dit, incapable de présenter un soda ou quoi que ce soit d’autre. À LA LIMITE DE L’IMPRUDENCE, elle choisit ses rôles à l’instinct, parfois aveuglée par une scène prometteuse, en dépit de tout le reste. Au l de ses dernières interviews, elle estime avoir tourné cinq bons films, soit 10 % de son travail. Le reste du temps, sur les tournages qui flanchent, elle

À côté des éclatantes, se donne deux options : poser une bombe ou prodes brillantes, des glossy, gresser aux mots croisés. Parmi ses réussites, des fun et des parfaites, Kristen Stewart incarne une bou ée d’air face aux injonctions, visant le charme plutôt elle compte les jours tournés sous la direction du Français Olivier Assayas. « Habituée à fréquenter les plateaux américains où tout est marqué et millimétré, elle était surprise par la liberté qu’il nous laissait, c’était quelque que la perfection. chose qu’elle ne connaissait pas », se souvient Sigrid Bouaziz. La rencontre avec Assayas remonte à 2014 : Stewart refuse le rôle de la starlette dans Sils Maria et le convainc de lui donner celui de Valentine, l’assistante d’une comédienne de renommée internationale. Son choix, comme une riposte à sa condition d’idole des adolescentes, lui vaut d’être la première actrice américaine à recevoir un César. Suivront Personal Shopper et, l’an dernier, le tournage de la minisérie Irma Vep, dans lequel elle tient un petit rôle. 2022 se présente comme une année importante. Il y a la nomination à l’Oscar mais aussi la concrétisation d’un projet de longue date : d’ici quelques mois, Stewart réalisera son premier long métrage adapté du bestseller La mécanique des fluides (The

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