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GÉNÉRATION “(S)LOW SEX”
Omniprésent dans notre société, le sexe semble pourtant ne pas être une priorité chez les 15-24 ans, qui sont 43% à ne pas avoir eu de relations sexuelles au cours des douze derniers mois. Alors, réel désintérêt ou profond bouleversement des envies et des pratiques ? Décryptage et témoignages.
Par Laure Marchand Illustrations Melek Zertal
En moyenne, les 15-24 ans interrogés ont déclaré 1,3 partenaire l’année écoulée. Trois ans avant, ils en annonçaient 1,9. Ces résultats rejoignent une tendance observée sociologiquement dans plusieurs pays occidentaux depuis quelques années : les jeunes d’aujourd’hui font moins l’amour que celles et ceux de la génération précédente. Des études creusent diverses pistes pour l’expliquer : temps d’écran qui grignote la rencontre physique « in real life », stress, image dégradée de la sexualité véhiculée par le porno…
Sursollicitée, la libido de la génération Z n’en sort pas toujours indemne. Pour le documentaire No Sex (1) consacré à l’abstinence sexuelle, Didier Cros s’est plongé dans le rapport à la sexualité de ses contemporains. « Notre époque produit un paradoxe : nous vivons dans une société de services, dans une sorte de supermarché de la rencontre et du sexe. D’un côté nous avons gagné en liberté, de l’autre nous avons transformé le sexe en produit comme un autre. Et ce n’est pas parce que la société nous dit que tout est possible, tout est permis, que nous sommes plus à l’aise avec notre sexualité. Cet aspect a été oublié en cours de route. »
COMMENT RENCONTRE-T-ON L’AUTRE ?
Comment se rencontre-t-on soimême ? Comment trouver l’harmonie avec sa sexualité ? Nous sommes toujours seuls pour répondre à ces questions existentielles. « Dans la mesure où tout est désormais possible, je ne peux plus me mentir. Où suis-je là-dedans ? Qu’est-ce que je veux vraiment ? Il me semble que ces questionnements s’accompagnent aussi de beaucoup d’angoisses et j’ai senti une certaine fragilité chez les jeunes », ajoute le réalisateur. Entre injonction à la performance et ultralibéralisation des relations, les jeunes adultes tâtonnent.
Lina a 20 ans, de grands yeux bleus et de longs cheveux blonds bouclés. L’été dernier, pendant ses vacances en Italie, elle a rencontré un « magnifique » Brésilien. Amours éphémères. De retour à Paris, elle a bien entendu raconté son histoire à ses copines. Puis elles ont discuté d’autre chose. « Dans ma vie, mes ami·es et ma sœur arrivent en premier, j’y suis très attachée, j’ai grandi avec eux, raconte cette jolie étudiante. Le sexe est bien derrière, c’est le dernier truc auquel je pense. » Entre les sorties avec ses copain·ines, sa double licence à la fac et le baby-sitting, son emploi du temps déborde : « Je dois étudier, travailler pour gagner de l’argent, voir mes potes. Un mec me prendrait 50 % de mon temps, ce n’est pas possible. » Faire des rencontres via Tinder pour gagner du temps, justement ? « Certaines copines le font. Mais franchement, je trouve les mecs sur les applis ridicules. Ils posent torse nu pour montrer leurs abdos, j’en suis gênée pour eux. » Mireille, sa grande amie d’enfance, acquiesce : « La sexualité n’est pas du tout une priorité dans notre quotidien. » Le sentiment qu’elles placent au-dessus de tous les autres est l’amitié. L’été dernier aussi, la jeune femme a eu une belle relation avec un Italien sur une île grecque : « C’était bien, mais c’était les vacances, ça ne rentre pas en ligne de compte dans ma vie de tous les jours. »
COMMENT, À QUELLE FRÉQUENCE, AVEC QUI FAIT-ON L’AMOUR ? De grandes enquêtes démographiques sur la sexualité des Français·es sont en cours. Leur analyse, attendue à la fin de l’année, permettra de dresser un tableau précis des us et coutumes des jeunes adultes en matière de sexualité. Sur le terrain, Yaëlle Amsellem-Mainguy, sociologue à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), constate une plus grande diversité d’entrées dans la sexualité : « Il y a trente ou quarante ans, il n’y en avait qu’une, c’était celle de l’hétérosexualité. Y compris pour celles et ceux qui étaient attirés par les personnes de même sexe. » La libération de la parole des femmes sur le sujet, les représentations plus ouvertes dans les médias, la ré exion sur la construction du genre remodèlent l’imaginaire collectif et individuel. Ces bouleversements donnent la possibilité de s’interroger sur ses désirs profonds. Les expériences sexuelles qui ne collent pas aux discours dominants acquièrent une légitimité. « Aujourd’hui, le fait que l’on inclut une plus grande diversité de pratiques sexuelles dans la sexualité, qu’il s’agisse des caresses ou même d’une absence de contacts physiques, permet de se retrouver dans des formes de sexualités diverses alors qu’auparavant celles-ci pouvaient faire l’objet de stigmatisation et/ ou de marginalisation », ajoute l’autrice de Les Filles du coin – Vivre et grandir en milieu rural (2). En résumé, dans les représentations sociétales, la qualité de la sexualité ne serait plus indexée sur la quantité, moins en tout cas.
CHLOÉ A 18 ANS, UN SEX-TOY ET UNE AMOUREUSE. Elle raconte très spontanément les liens qui l’unissent à Louise. Cette dernière écrit « des lettres d’amour » à Chloé et lui offre des fleurs. L’autre jour, elle est arrivée avec une rose rouge. Chloé a mis la photo de Louise sur le fond d’écran de son ordinateur et passe souvent la réveiller chez elle le matin. Les deux se font des câlins tendres, des sorties entre elles, « un peu comme des rendez-vous amoureux ». « La dernière fois, elle m’a emmenée dans un petit club de jazz », confie Chloé. C’est beaucoup plus qu’une histoire d’amitié classique. « Je décrirais notre relation comme celle d’un couple mais sans le sexe. » Et sans la jalousie. Les deux jeunes lles ont une vie sexuelle satisfaisante en dehors de leur relation. « J’ai des rapports réguliers car je ne résiste pas à la tentation. Mais vu la technologie à disposition de nos jours, je me dis souvent que je pourrais n’avoir que Louise dans ma vie sans qu’il s’en passe plus physiquement entre nous et que cela me suffirait », précise en souriant la jeune lle. Cheveux très courts et traits du visage très ns, Chloé chérit « cette relation qui correspond à ses besoins » : « Lorsque quelqu’un vient vers moi, je dis tout de suite que le sexe n’est pas le principal pour moi. L’essentiel, c’est l’amour. Et je vois l’amour comme une énergie à donner aux autres, bien au-delà de l’amour dans un couple qui serait au-dessus de tout le reste. » En revendiquant de nouvelles combinaisons entre amour et sexualité, c’est bien aussi le modèle du couple traditionnel et son cortège d’injonctions que la nouvelle génération bouscule.
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