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MODE Les formes libres d’Ester Manas

À gauche

Défilé automne-hiver 2022-2023.

Ci-dessus, à g. et à d.

Sac et boucle d’oreille automnehiver 2022-2023.

Balthazar Delepierre et Ester Manas.

C’est une jeune marque qui pose un regard ludique et décomplexé sur les corps, un propos nouveau autour de l’inclusivité dont l’industrie de la mode avait bien besoin. Derrière Ester Manas, une direction artistique à deux têtes, celle d’Ester Manas et de Balthazar Delepierre qui se sont rencontrés à l’école de La Cambre, à Bruxelles où ils vivent toujours. Ce couple à la ville avait cette idée qui paraissait un peu folle de créer des vêtements en taille unique à partir de chutes de tissus ou de matières responsables. Leur projet de f n d’études est devenu une collection remarquée pour son esthétique aussi joyeuse que glamour et récompensée par plusieurs prix, dont celui de Hyères en 2018. C’est ainsi que la marque est née. Avec d’astucieux systèmes de boutonnières, de cordons, de bretelles, de plis cachés, leurs vêtements réussissent à s’adapter à toutes les morphologies, de la taille 36 à 46. Leurs deux premiers déf lés lors de la fashion week parisienne ont montré la faisabilité de cet ambitieux projet de «One Size Fits All» («Une taille pour tous», ndlr). Sur un casting de f lles éclectiques à forte personnalité, leur mode a véhiculé l’image ultra-désirable de femmes fières et puissantes. Pour Ester Manas, l’inclusivité n’est pas une case à cocher mais l’essence même de la marque.

Vous avez présenté pour la deuxième fois votre collection lors de la fashion week parisienne, le défi lé physique vous semble-t-il primordial ?

BALTHAZAR DELEPIERRE : C’est un exercice très concret mais aussi un énorme pari. Le premier, que l’on avait organisé en septembre 2021, nous a apporté une véritable légitimité. Le show, c’est l’épreuve du feu, être porté par l’énergie des f lles, voir nos vêtements généreux, sensuels, graphiques, froufrouteux, en mouvement… ESTER MANAS : Cela nous a confortés dans l’importance de l’évènement physique. Notre marque cherche à présenter une diversité de corps, il nous semble normal que la presse, les acheteurs comme le public aient besoin de voir les vêtements pour comprendre que notre idée de départ fonctionne. Ce parti pris de taille unique qui peut habiller toutes les morphologies a besoin de pédagogie.

Comment avez-vous concrètement travaillé ce concept fondateur de “One Size Fits All” ?

E.M. : En 2018, la mode n’abordait pas les questions d’inclusivité. À titre personnel, j’étais en colère contre cette industrie grossophobe, tant au niveau de l’image que du peu de grandes tailles proposées dans les boutiques. C’est ainsi qu’avec Balthazar, nous avons mis au point un système de taille unique dont les mécanismes et les matières s’inspirent de ceux de l’industrie de la lingerie. Savage Fenty, Chantelle… C’est un secteur qui intègre l’inclusivité depuis plus longtemps que celui de la mode. Nous avons travaillé les crochets qui s’adaptent au corps, les matières comme les jerseys et les tulles qui épousent les formes, les bretelles qui se règlent… Ainsi, nous avons créé notre propre boîte à outils. Évidemment, c’est un positionnement qui a ses limites, on ne peut pas par exemple proposer des jeans ou des vestes taille croisée.

Qu’a changé le succès de votre premier défi lé dans votre façon de travailler ?

B.D. : Quand on a débuté la marque, on acceptait en parallèle d’autres missions pour des questions financières. Heureusement, car six mois après notre lancement, la pandémie a gelé pas mal de choses… Mais depuis l’année dernière, nous •••

••• avons choisi de nous dédier à 100% à Ester Manas. Les volumes grossissent, la logistique est devenue dingue. Il va falloir que l’on se restructure rapidement pour absorber tout cela. Pour le moment, on produit toujours tout à Bruxelles dans un atelier de réinsertion, mais on va devoir trouver des structures supplémentaires.

Vous défi lez à Paris mais vous souhaitez garder votre ancrage quotidien à Bruxelles, que vous apporte ce mode de vie ?

B.P. : Nous venons à Paris plusieurs fois dans la semaine, nous sommes devenus des mécènes du Thalys! C’est un rythme de vie façon yin et yang. Il est à la fois essentiel d’être à Paris pour le business et l’adrénaline mais quand nous rentrons à Bruxelles, nous retrouvons notre laboratoire, notre ressource d’idées. Il n’y a pas vraiment d’esthétique belge mais une certaine naïveté et une audace expérimentale. C’est ce qui explique sûrement le nombre de créateurs qui gardent un pied en Belgique : notre styliste consultant Benoit Bethume, Matthieu Blazy de Bottega Veneta, qui possède un appartement à Anvers, et je me souviens de cette image de Raf Simons, à l’époque où il travaillait chez Dior, qui prenait la route le weekend pour rentrer faire un break. E.M. : Cela nous apporte une certaine liberté, une fraîcheur. À Bruxelles, le rapport au vêtement et au corps est plus léger, bienveillant, avec de l’autodérision et un peu de je-m’en-foutisme. En tant que Française qui est née dans le Sud puis a vécu à Paris, j’ai senti là-bas une absence de jugement.

Vous avez remporté le Prix Hyères des Galeries Lafayette en 2018 avant d’être fi nalistes pour le LVMH Prize en 2020, ces concours se révèlent-ils indispensables quand on débute ?

E.M. : Sans Hyères, nous n’aurions jamais lancé la marque. À La Cambre, mes professeurs avaient bien accueilli mon projet de f n d’études. À l’époque, j’étais en stage chez Acne Studios mais avec Balthazar, on a eu envie d’aller plus loin. Notre dossier de candidature nous a fait remporter le Prix des Galeries Lafayette à Hyères, ce qui incluait la production d’une collection commerciale. On a réalisé qu’il fallait vite créer une structure pour produire une collection. Plus que le potentiel commercial, c’est l’enthousiasme des gens à Hyères qui nous a convaincus de nous lancer.

On parle beaucoup du nouveau sexy années 90 que les femmes se réapproprient aujourd’hui, quelle en est votre perception ?

E.M. : Cette décennie restera un f l rouge car c’est la référence du sexy de notre génération, c’est le glamour de nos premiers émois. On s’est construit avec les années 90. Longtemps, les femmes ne pouvaient pas se projeter sur leurs icônes. Aujourd’hui c’est dif érent. On peut aimer l’audace stylistique de Dua Lipa sur scène mais aussi celle de Barbie Ferreira dans la série Euphoria. Je vois que les f lles qui déf lent pour nous donnent envie à nos amies plus réservées de passer des caps dans leur façon de s’habiller. B.D. : Sur notre moodboard, il y a plein de façons d’être sexy: une f lle avec un chapeau de cow-boy, une danseuse de f amenco, un T-shirt coupé façon crop top… Quand on fait les essayages avec nos mannequins, on est souvent surpris par leur audace qui bouscule aussi nos conventions sociales. À nos débuts, on ne nous faisait parler que de l’inclusivité, très peu du propos créatif, de notre style et de cette femme sensuelle et f ère qu’on faisait déf ler. Notre quotidien, c’est avant tout de dessiner des pièces qui claquent!

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