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Interview exclusive de Daniel Roseberry chez Schiaparelli. « Vive le surréalisme ! »

Texte Elisabeth Clauss

DANIEL ROSEBERRY LE RENOUVEAU DE SCHIAPARELLI

DANIEL ROSEBERRY, PRESSE

Le directeur artistique de Schiaparelli extrapole le corps, et sculpte une couture du futur. Texan, il a grandi à Dallas. Diplômé du Fashion Institute of Technology de New York, il a fait ses armes auprès de Thom Browne. Une silhouette complète de sa création et une broche colombe portée à l’épaule par Lady Gaga lors de l’investiture de Joe Biden ont contribué à lui donner des ailes. Généreux et réservé, Daniel Roseberry lie surréalisme et futurisme.

l a tout juste 35 ans, dont dix effectués dans le studio de Thom I

Browne, qui fonde sa signature sur la réinterprétation du tailoring et du costume.

Mais dans la maison de couture française, le jeune créateur explore le vêtement dans sa dimension organique, expose le corps redécouvert sous la veste. Avec des bustiers reproduisant la morphologie féminine exprimée dedans-dehors, des accessoires physiques-ludiques, des manteaux « seins-boliques » à la poitrine en 3D, des yeux et des oreilles ajoutés (est-on jamais assez attentifs aux évolutions du monde ?), des vêtements réinventés-retournés à serrures (et clefs de lectures) multiples, formes exagérées et lignes moulées, Daniel Roseberry pousse sa mode vers une forme d’art antique bien heureusement sortie des musées. Il souligne les aspérités de l’avant-garde avec un geste créateur à la fois impliqué et distancié. Il s’est installé à Paris au début de la crise sanitaire, et œuvre depuis à créer des collections spectaculaires et ancrées dans les fantasmes de l’époque, alors que les tapis rouges du monde entier patientent au pressing.

Ses créations sont aussi extravagantes que l’homme est posé, il extrapole en sculpture des abdos de compétition, pour femmes d’action. Il jongle avec les volumes, confie à son imaginaire les commandes d’une création peu encline à la discrétion. Bien sûr, le rose shocking emblématique de la maison s’empare de nos émotions, et le nouveau

« Paris-Textas » renouvelle la couture culottée, dorée, et joliment musclée.

Dans quelle direction souhaitez-vous développer la maison, en regard de son héritage ?

Je savais en arrivant que la transition ne serait pas évidente, parce que les «réveils de belles endormies» ne sont pas toujours aussi intéressants que le travail des maisons originales. Parfois, cela fonctionne, mais ça reste périlleux. J’ai attentivement étudié l’œuvre d’Elsa, et j’ai choisi de ne pas essayer de coller absolument au passé. L’idée n’était pas de reproduire l’héritage de manière littérale. D’ailleurs, si vous regardez mon premier défilé couture pour la maison, il était libre de tout hommage strictement lié, mais j’ai au contraire essayé de m’approprier la notion de surréalisme et son abstraction, appliquées à ma façon.

Mais aujourd’hui, c’est différent. Je me sens beaucoup plus à l’aise avec son histoire, en synchronisation avec son état d’esprit. Sa conception interrogeait le sens de la mode, ce à quoi les femmes voulaient ressembler. Il existe une forme de parallèle entre nos années 20, et les siennes, dans une époque de transition... Ressentez-vous une responsabilité, à accompagner ce mouvement ? Honnêtement, cela se fait de manière organique. Le travail que nous accomplissons vient d’un processus très intuitif, et d’une réflexion très personnelle pour moi. C’est le fruit des temps que nous vivons, et si on force les choses, si on veut absolument s’accorder à un agenda, le résultat est trop rationnel. L’exercice n’est pas facile, mais j’essaye de rester dans une zone instinctive, enfantine en un sens, en me laissant simplement toucher par ce qui m’entoure.

En mars 2021, Beyoncé sortait ses griffes Schiaparelli à la 63e cérémonie des Grammy Awards.

Quelle est votre histoire personnelle avec le surréalisme ? Ce mouvement n’a aucun rapport avec la culture dans laquelle j’ai été élevé. J’ai grandi dans une partie très conservatrice des États-Unis, et en tant qu’artiste, qu’être créatif, et qu’individu, ce contexte m’a poussé à questionner mon environnement, à me retirer dans un rêve éveillé, dans un monde fantastique. Je me sentais souvent comme un extraterrestre, ce qui m’a encouragé à explorer mon imaginaire. Je dessinais absolument tout le temps, wj’adorais ça. C’était purement personnel, ma façon de gérer ce quotidien avec lequel je sentais si peu de connexions. Mon père était prêtre, il a fondé une église à Dallas. Mon frère est devenu prêtre à son tour. L’Église, c’était notre affaire familiale. Ils m’ont toujours beaucoup soutenu comme artiste, mais qui

j’étais, en tant que personne gay, n’a jamais été vraiment reconnu. Je n’entrais pas dans le schéma. J’ai été livré à ma propre imagination, à extrapoler un monde très éloigné de celui dans lequel je vivais. Je pense que le surréalisme me convient bien, parce qu’il challenge la réalité, ce que j’ai toujours fait, depuis mon enfance. Aujourd’hui, vous insufflez votre propre spiritualité à « JE PENSE QUE LE votre travail…

SURRÉALISME ME CONVIENT En effet, et le lien le plus évident est l’intérêt du surréalisme

BIEN, PARCE QU’IL pour le corps humain. Quand j’ai quitté Dallas, ça a été pour rejoindre l’équipe de Thom Browne à New York. Son tra-

CHALLENGE LA RÉALITÉ, CE vail n’est pas centré sur le corps, mais sur le tailoring. Il est

QUE J’AI TOUJOURS FAIT, très rare qu’il expose ce corps. Ça a été une expérience libératrice pour moi que d’explorer l’anatomie et le physique

DEPUIS MON ENFANCE » dans un contexte de surréalisme. C’est un concept intemporel, qui pousse l’idée de la métamorphose. Je ne limite pas ce mouvement aux années 30, je ne suis pas obsédé par une nostalgie de cette époque, je le vois comme une réflexion toujours actuelle. Comment créez-vous l’équilibre entre innovation et maison historique ? L’innovation était une part importante de l’exploration d’Elsa, mais je pense qu’il faut être prudent avec cette notion. Je préfère les idées innovantes aux matières techniques ou aux nouveautés technologiques. En couture, on travaille sur l’artisanat. La création peut être innovante, mais les matières, classiques. C’est ce que vous vous découvrirez lors du prochain défilé. Ce sera très onirique.

Vous avez shooté vous-même la campagne de Schiaparelli. Quel est votre rapport à la photo ? Je n’ai jamais eu le moindre intérêt pour la photo. Je n’avais jamais pris un appareil en main avant ça. Mais quand nous avons commencé à organiser le look book pour les collections prêt-à-porter et couture, une petite voix m’a soufflé de m’occuper moi-même

DANIEL ROSEBERRY, PRESSE

de l’identité visuelle et du cadre. C’était ma première fois, et j’ai adoré. Je n’ai aucune formation de photographe, et j’espère que cette fraîcheur a apporté un plus aux images. Je savais à quel résultat je voulais aboutir, j’ai exploré. J’aime repousser mes propres limites, essayer des choses qui me font peur. Et là, j’étais terrifié !

Karl aussi prenait ses propres photos… Et je comprends pourquoi ! Maintenant, quand je crée une collection, je vois aussi les images qui vont en découler. C’est tout simplement plus facile de m’en occuper moimême, que d’expliquer à quelqu’un d’autre ce qu’il faut faire. Karl est de toute évidence la référence, et c’est à ce niveau que j’aimerais arriver.

Vous vivez à Paris depuis deux ans. Vous sentez-vous bien en Europe ? Je délibère encore avec moi-même (rires). J’avais dû venir à Paris cinquante fois pour le travail avant de m’y installer, mais jamais plus de deux semaines. Y vivre, c’est autre chose. Pour être honnête, ce n’est pas évident de m’y adapter. Je suis tellement habitué à la culture de New York que j’ai encore du mal à trouver une connexion avec Paris. Je suis sûr que ça viendra, et je dois déjà apprendre la langue. Quand j’étais chez Thom Browne, j’ai beaucoup voyagé, surtout en Italie. J’adore le fait d’être ici, mais mon entourage me manque, et comme je suis arrivé au début des confinements, ça a été très compliqué pour moi d’être éloigné de mes amis. Personne n’a pu venir me rendre visite, c’est vraiment un moment bizarre pour démarrer un job dans une nouvelle ville.

Quels sont, selon vous, les nouveaux défis de la mode en tant qu’industrie ? Du point de vue de la durabilité, je travaille aujourd’hui pour une maison dont l’empreinte écologique est très limitée. Nous faisons de la couture et du prêt-à-porter très preinte écologique est très limitée. Nous faisons de la couture et du prêt-à-porter très haut de gamme. Mais je comprends qu’il puisse être dérangeant d’appartenir à une haut de gamme. Mais je comprends qu’il puisse être dérangeant d’appartenir à une industrie qui cause tant de mal. Je voudrais faire partie de la solution. Évidemment, il industrie qui cause tant de mal. Je voudrais faire partie de la solution. Évidemment, il faudrait qu’on achète moins, et des pièces de meilleure qualité. Aux États-Unis, cultufaudrait qu’on achète moins, et des pièces de meilleure qualité. Aux États-Unis, culturellement, les gens qui ne travaillent pas dans la mode sont déconnectés de son impact. rellement, les gens qui ne travaillent pas dans la mode sont déconnectés de son impact. Il y a un sérieux problème d’éducation. La plupart des consommateurs n’ont pas la Il y a un sérieux problème d’éducation. La plupart des consommateurs n’ont pas la moindre idée de l’origine de leurs vêtements, ou même de ce qu’est une pièce durable. moindre idée de l’origine de leurs vêtements, ou même de ce qu’est une pièce durable. Ils ignorent ce qu’est une belle matière… Or la mode suivra toujours les demandes Ils ignorent ce qu’est une belle matière… Or la mode suivra toujours les demandes des acheteurs. Tant qu’on ne change pas globalement d’état des acheteurs. Tant qu’on ne change pas globalement d’état « IL Y A DES MANIÈRES d’esprit, je crains qu’il ne faille pas attendre de grands bouleversements dans l’industrie. Le secteur alimentaire d’esprit, je crains qu’il ne faille pas attendre de grands bouleversements dans l’industrie. Le secteur alimentaire DE S’HABILLER AVEC a réussi, d’une façon remarquable. C’est possible, mais ça a réussi, d’une façon remarquable. C’est possible, mais ça CONSCIENCE, TOUT EN prendra du temps, beaucoup d’éducation, et un changement culturel. Quand je rentre au Texas, je constate que personne prendra du temps, beaucoup d’éducation, et un changement culturel. Quand je rentre au Texas, je constate que personne S’OFFRANT DE BELLES ne réfléchit la mode de cette façon. Et c’est pareil dans le ne réfléchit la mode de cette façon. Et c’est pareil dans le PIÈCES, POUR S’EXPRIMER reste du pays. J’ai toujours voulu m’impliquer dans le système d’éducation à la mode. Plus tard dans ma carrière, reste du pays. J’ai toujours voulu m’impliquer dans le système d’éducation à la mode. Plus tard dans ma carrière, TOTALEMENT » quand je serai plus âgé, j’aimerais enseigner, apporter ma quand je serai plus âgé, j’aimerais enseigner, apporter ma réflexion à la façon dont on est formé à la mode, à New York réflexion à la façon dont on est formé à la mode, à New York notamment, où ça s’améliore beaucoup. La sensibilisation notamment, où ça s’améliore beaucoup. La sensibilisation à la durabilité doit évidemment en faire partie. Il y a des manières de s’habiller avec à la durabilité doit évidemment en faire partie. Il y a des manières de s’habiller avec conscience, tout en s’offrant de belles pièces, pour s’exprimer totalement. J’avais envisaconscience, tout en s’offrant de belles pièces, pour s’exprimer totalement. J’avais envisagé, avant de rejoindre Schiaparelli, de créer une ligne sur l’idée des uniformes, une colgé, avant de rejoindre Schiaparelli, de créer une ligne sur l’idée des uniformes, une collection de quinze à vingt pièces, haut de gamme, pour une clientèle ouverte au concept. lection de quinze à vingt pièces, haut de gamme, pour une clientèle ouverte au concept. Je pense que c’est une réflexion qui pourrait se révéler très intéressante, dans l’avenir. Je pense que c’est une réflexion qui pourrait se révéler très intéressante, dans l’avenir. Quel est votre lien à l’univers des créateurs belges ? Ce sont les meilleurs. Je ne pense pas que je serai là sans Raf Simons : ses dernières collections chez Jil Sander, sa première chez Dior Couture, sont incroyables. D’autre part, les liens entre Margiela et Schiaparelli sont intimes de nombreuses façons, ils se ressemblent beaucoup. Toute femme qui aime la mode rêve de voir son placard rempli de pièces de Dries Van Noten… La barre est très haute avec eux, et je partage profondément cette idée de challenger les choses, dans un sens noble, pas pour renier. Beaucoup de membres de mon studio viennent de chez Margiela. Ils ont apporté avec eux une partie de cet esprit, et j’admire beaucoup cette dimension. Il y a une mentalité en Belgique qui résonne avec moi, j’aimerais beaucoup venir explorer un jour.

collections chez Jil Sander, sa première chez Dior Couture, sont incroyables. D’autre part, les liens entre Margiela et Schiaparelli sont intimes de nombreuses façons, ils se ressemblent beaucoup. Toute femme qui aime la mode rêve de voir son placard rempli de pièces de Dries Van Noten… La barre est très haute avec eux, et je partage profondément cette idée de challenger les choses, dans un sens noble, pas pour renier. Beaucoup de membres de mon studio viennent de chez Margiela. Ils ont apporté avec eux une partie de cet esprit, et j’admire beaucoup cette dimension. Il y a une mentalité en Belgique qui résonne avec moi, j’aimerais beaucoup venir explorer un jour.

DANIEL ROSEBERRY

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