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Portrait de Fernando Miró et sa collection qui bouscule les codes de la masculinité.
Texte Elisabeth Clauss
Photos Justin Paquay
FERNANDO MIRÓ LA MASCULINITÉ EXTRAPOLÉE
C’est une proposition de mode pour demain, à adopter littéralement si on est prêt, à interpréter selon son propre langage vestimentaire si on avance progressivement dans un décloisonnement des codes. Le propos de Fernando Miró, jeune créateur tout juste diplômé de La Cambre Mode[s], n’est pas de féminiser le vestiaire masculin, mais de repousser ses limites, pour incarner chacun.
Nous le retrouvons dans un lieu symbolique, gardien des racines de la capitale, de ses fondations urbanistiques et de son art appliqué. Figure prometteuse de la nouvelle génération de designers de mode, Fernando Miró rencontre l’Histoire à la Maison du Roi, Musée de la Ville de Bruxelles. Face à l’architecture d’hier, il rêve l’expression de demain, se plaçant entre la lumière et le bois, le verre et les vieilles pierres, confrontation de l’avant-garde et de la tradition.
De nouveaux horizons
Sa ville d’origine, au Brésil, porte le nom prémonitoire de Belo Horizonte. Fernando revendique une vocation «tardive» pour la mode, vers l’âge de 16 ans. Pendant toute son enfance et son adolescence, il s’est consacré au théâtre. Il a commencé à réfléchir à un autre plan de carrière lorsqu’il a réalisé qu’au Brésil, il serait difficile d’en vivre. Non pas qu’ailleurs ce soit particulièrement évident. Entouré d’une mère enseignante et d’un père ingénieur, il est le cadet d’une fratrie de trois garçons. «Lorsque j’ai arrêté le théâtre, j’ai choisi de m’exprimer par le vêtement.» À 17 ans, dans le cadre d’un échange culturel de jeunes organisé avec la France, il est parachuté pour plusieurs mois au cœur de la campagne du Pays de la Loire. Pour le jeune homme qui vient d’une grande ville où il jouissait d’une grande liberté, la transition avec un petit village de 700 habitant·e·s est un peu compliquée. Après quelques mois, il rejoint Paris pour passer des concours d’écoles de mode. Il est reçu au Studio Berçot et à la Chambre syndicale de la couture parisienne. Mais Paris est trop chère, Fernando rentre au Brésil, se prépare sans grande conviction à intégrer une université de journalisme. Heureusement pour la mode, le destin est cousu d’un patchwork de hasards qui n’en sont pas, et son père découvre sur internet une vidéo de présentation de l’école de mode de La Cambre à Bruxelles. Il apprend que la formation
est francophone – lui qui depuis le Brésil pensait la Belgique entièrement néerlandophone – et que l’école est publique, donc beaucoup moins coûteuse que les établissements parisiens. «Je ne connaissais pas grand-chose à la mode, mais je cherchais déjà à exprimer ma différence. Au Brésil, l’offre vestimentaire pour les hommes est encore très bloquée dans des codes hétéronormatifs. Je voulais pallier un manque de moyens d’expression.»
L’extravagance pour avancer
Le jeune homme, déjà habitué à voyager (au sens philosophique aussi), réussit le concours d’entrée à La Cambre, à sa grande surprise, dans la mesure où les autres candidat·e·s lui semblaient mieux préparés. «Je pense que j’ai été notamment sélectionné pour ma motivation : j’avais fait le déplacement du Brésil en Belgique juste pour un entretien.» Peut-être aussi pour ce qu’il analyse comme une sorte d’innocence créative. Aujourd’hui diplômé, à 26 ans, il se destine logiquement à la création de collections masculines. «En arrivant en Belgique, je n’avais pas encore d’idée claire de ce que je voulais faire, et c’est lors de la troisième année, qui est centrée sur la création d’une collection homme, que j’ai réellement trouvé mon langage. Tony Delcampe, directeur de l’atelier stylisme, m’a beaucoup conseillé et poussé, il m’a aidé à me trouver créativement.» Fernando évoque ses deux premières années d’études, qui lui ont semblé difficiles : «Je n’étais pas complètement conscient de la qualité de mon travail, je doutais, mais j’ai finalement eu de très bons résultats. J’ai ensuite effectué un stage chez LVMH, auprès de Virgil Abloh qui venait d’arriver, dans l’équipe de Vuitton homme. Dans la foulée, j’ai été invité par la Fashion Week de Sao Paulo à créer trois collections et à les faire défiler. La résonance que cela a offert à mon travail a été considérable au Brésil.» Le nom de sa marque est déjà déposé, MIPINTA, en référence à ses noms contractés (au Brésil, traditionnellement, on adjoint les patronymes de plusieurs générations, «Fernando Miró» est déjà une version simplifiée). Depuis deux ans, parallèlement à ses études, le jeune créateur se consacre déjà à sa marque. «J’ai du mal à travailler pour d’autres gens (rires).» Le lancement officiel est prévu pour le second semestre 2022.
La complémentarité des codes du masculin
Il parle un français parfait, exprime ses émotions comme ses ambitions en mots et en volumes avec la fluidité de ceux qui se lancent sans filets. «Je m’attache à offrir des alternatives au statut masculin et à ses uniformes classiques, mais sans m’inspirer du féminin. Extrapoler le vestiaire des hommes qui est encore assez limité n’implique pas forcément de puiser dans celui des femmes.» Sa mode, emblématique d’une nouvelle génération qui défragmente les codes arrêtés, découle d’une forme de réalité augmentée, avec des coupes développées, des paillettes matifiées. « Je cherche à exploser les codes du vestiaire masculin, pour créer quelque chose d’extravagant sans tomber dans une interprétation de la féminité. L’objectif est de parvenir à décaler une garde-robe purement masculine.» Une réflexion qu’il applique aussi aux matières choisies : «Je n’aime pas tomber dans le cliché des matériaux associés au féminin, comme le satin et les soieries. Mes paillettes sont mates, pour se distancier d’un côté femme ou drag queen.» Conscient des enjeux de l’époque, il s’intéresse logiquement à l’écologie, à l’upcycling, aux •••
dérives de la surproduction, à la dimension polluante de l’industrie de la mode. « Je ne peux pas porter un propos d’émancipation de l’homme, qui est vraiment au centre de ma réflexion, et entrer dans les archétypes d’une industrie polluante. De A à Z, la libération doit être cohérente: sociale, écologique, économique. Il ne s’agit pas que d’une acception vestimentaire, il faut cultiver un respect global, sans que ce niveau d’écoconscience de circonstance ne devienne un argument marketing.»
Libéré, rhabillé
Le designer constate que la garde-robe masculine est basiquement la même depuis un siècle: « Les codes de la masculinité ont à peine évolué, l’industrie change à peine les couleurs ou les motifs, mais il reste interdit à l’homme de s’amuser par ses vêtements. Ils restent toujours relativement dessinés près du corps, on ne joue pas avec les volumes, on évite l’aspect ludique. Pourtant, des alternatives aux codes vestimentaires peuvent influencer la sociologie. C’est pourquoi il importe que l’homme soit libre de porter ce qu’il souhaite, ce que la femme peut faire dans une certaine mesure : robe, jupe ou pantalon, l’homme est cantonné au dernier. Mon propos s’adresse à tous, je m’attache à une typologie masculine globale, sans distinction d’orientation sexuelle.» Dans certaines de ses propositions, Fernando a composé des traînes, longueurs de tissus originalement réservées aux puissants pour marquer la distance avec quiconque voudrait suivre. «J’aime l’idée d’un excès de matière dans des pièces très masculines, comme le short de boxe ou le bermuda. J’en ai conçu sous forme de spirales, comme une transition entre le féminin et le masculin, entre le sobre, le banal et l’extravagant. J’ai aussi créé une silhouette qui rappelle la robe de mariée réinterprétée via des lignes sportives, pour exprimer un choc de deux extrêmes.» Dans le calme des salles chargées de culture, vidées de public ce soir d’été, on assiste à l’émergence d’une forme de futur pour la création masculine enrichie par le cosmopolitisme de la mode belge, qui naît, ici, des mains d’un Brésilien.
Merci aux musées de la Ville de Bruxelles, et à Vinciane Godfrind.