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La mode fait sa « party revenge ». L'ennui c'est fini.
Texte Elisabeth Clauss
LA MODE À LA ÊTEF
MERYLL ROGGE LANVIN LUTZ HUELLE MERYLL ROGGE
JORRE JANSSENS, PRESSE
C’est une réaction à trop de molleton et de folles soirées reportées : le phénomène s’appelle « party revenge », revanche de la fête qui nous démange.
EXTRAVERTI » MERYLL ROGGE
Ce qui est assez nouveau : elle s’exprime à toute heure de la journée. On a des points de vue à faire connaitre, même à huit heures du matin à la boulangerie. Évidemment, ça passe aussi par le vêtement. Avant le clivage 2020, la plupart des gens possédaient deux garde-robes : une rationnelle pour le jour (travailler, faire les courses, classée sous la bannière «gérer le quotidien»), et une plus glamour, peut-être moins pratique, mais qui insufflait son lot d’éloquence dans le verni et les sequins, pour la nuit. Désormais, et c’était palpable lors des dernières fashion weeks à travers les collections présentées pour l’été prochain, le show, c’est tout le temps.
Le spectaculaire normé
Depuis la fondation de sa marque en 2000, Lutz Huelle a développé le langage personnel et inclassable d’une mode qui cultive une forme de «soir pour la journée». Sa prochaine collection s’appelle d’ailleurs La Nuit. «J’avais envie de dépasser cette période où l’on a vécu sans possibilité de s’habiller pour faire la fête, pour plaire, pour séduire. Même dans le flou relatif de ne pas savoir encore à quoi nous attendre, il fallait revenir à une notion de célébration. Sans abandonner le côté confortable des vêtements que nous avons tous exploré et amélioré pendant dix-huit mois. Comme la mode évolue en permanence même lorsqu’elle recycle ses propres codes, il n’y aura sans doute pas de retour en arrière, et l’étape suivante consiste pour moi à intégrer dans le vestiaire de soirée le côté léger et agréable des tenues d’intérieur. Créer des robes de cocktail dans ce contexte, ce serait absurde. J’ai donc voulu fusionner le spectaculaire dans le casual, et réciproquement. Ma réflexion a toujours porté sur la façon d’harmoniser les choses. Faire un jogging en jersey oui, mais pourquoi se priver de paillettes or, même pour s’endormir devant la télé ?»
Le glamour de tous les jours
Pour l’été prochain, le créateur a poussé le concept avec des manches bouffantes de taffetas sur des robes T-shirt, des manteaux coupés comme des peignoirs couture avec de l’organza. « Le travail d’ennoblissement n’ôte rien au confort, et de toute façon personne n’a plus envie de vêtements contraignants.» Sur une idée similaire de dédramatisation des pièces de représentations, mais interprétée sous un autre angle, à Paris en septembre dernier, Demna Gvasalia pour Balenciaga a scénographié son show printemps-été 2022 comme la mise en abyme ludique et luxueuse de la fascination pour les tapis rouges. Tous les invités au défilé – célébrités, acheteurs, mannequins portant les vêtements à présenter, journalistes dans les leurs, et même les membres du studio de création – arrivaient pêle-mêle devant un parterre de photographe et passaient sur le red carpet, face à un public de curieux qui tentait de déterminer qui était qui. On pouvait y lire le questionnement très actuel de savoir qui fait la mode, qui crée le buzz, où se situe le commun, quelle est la dynamique qui crée l’extraordinaire ? De quoi s’émerveiller et rester éveillé à y réfléchir toute la nuit…
Faut que ça brille
Meryll Rogge, créatrice belge diplômée de l’Académie d’Anvers, a lancé sa marque en mars 2020, deux semaines avant le confinement. Malgré le contexte particulier, elle affiche déjà et en quelques saisons une grosse vingtaine de points de vente partout dans le monde. Contemporaine pendant ses études de Glenn Martens, Demna Gvasalia et Stéphanie d’Heygere, elle a collaboré pendant cinq ans aux collections catwalk de Marc Jacobs à New York, avant d’être débauchée par la maison Dries Van Noten pour devenir responsable de la ligne femme. Sa patte est extravagante et colorée, ce qui séduit les acheteurs et acheteuses : «Dans les boutiques, les commerçant·e·s témoignent que désormais, les teintes vives et les broderies se vendent plus que le noir. » Le constat est d’ailleurs unanime, à tous les niveaux du retail : les motifs et les palettes de l’arc-en-ciel attirent une clientèle qui veut se distinguer. Chez Olivier Theyskens, le dress code de célébration passera par des patchworks de tissus précieux, pour une
LUTZ HUELLE OLIVIER THEYSKENS AUDE DE WOLF
LUTZ HUELLE
Cendrillon dédramatisée. Bandes d’étoffes délicates assemblées en silhouettes de sirènes de l’aube, la fête est ici épurée et romantisée, mais toujours palpitante. Pour Lanvin au printemps prochain, le directeur artistique Bruno Sialelli a imaginé une collection inspirée des années 20 pour un dialogue festif entre ces ères de lâcher-prise consommé. Robes en construction de tulle et drapés flous, la sophistication colle au plus près du corps, pour un porté léger. Avec des mailles métalliques, réfléchissantes et scintillantes, la maison, qui rouvre sa boutique historique rue du Faubourg-Saint-Honoré, célèbre sa nouvelle identité sur la piste de danse des tendances.
Glossy au quotidien sexy
Lutz Huelle observe aussi partout autour de lui de nombreuses expressions de cette dynamique, « avec des envies de création habillée, à laquelle on aurait insufflé l’apprentissage d’une certaine douceur. On ne peut, et on ne doit pas nier l’impact des deux dernières années. Le fait de mixer le brillant et le loungewear est très bien accueilli, notamment par les gens qui aiment le précieux et un côté plus formel, tout en n’étant pas prêts à renoncer au confort. Il n’y a rien à expliquer, désormais, tout est clair : il existe un nouveau chic qu’on peut porter tout le temps, et c’est le luxe de l’époque. Avec ma nouvelle collection, j’ai voulu apporter la joie, celle que je ressentais à vivre à nouveau plus normalement. J’ai continué à mixer, mélanger ce qui fonctionne, à pousser les looks, à harmoniser les coupes militaires avec des froufrous. J’ai créé des sweats à colliers brodés, j’ai remis les choses en ordre différemment, et c’est une autre forme de beauté ».
Chercher minuit à 14h
De son côté, la Gantoise Meryll Rogge a toujours voulu concevoir des pièces qui accrochent le regard : «Je recherche un détail, un volume, un tissu, des proportions qui sortent le vêtement du commun, qui attirent l’attention. Je crée des vêtements arty pour se sentir bien, même si on n’est pas ostensiblement extraverti. Je sais que je m’adresse à un public qui cultive un regard mode, ou du moins une sensibilité esthétique qui guide son envie de sortir du commun. Ce sont des collections femme, mais unisexes en réalité, puisque beaucoup d’hommes les portent. Cloisonner n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui.» D’où la création d’un manteau de Dracula fêtard, qui finirait la soirée en peignoir psychédélique. Les racines surréalistes belges sont indéniables. «On a pris les pièces du vestiaire classique, dont on a changé les proportions. Un twin set recoupé court qui fait un tabac chez les jeunes femmes, ou un manteau d’homme réinterprété, pour qui apprécie la référence à cette pièce statutaire, mais sexysée. Nous avons aussi déconstruit des chemises masculines dans l’idée de susciter une émotion de réconfort par une pièce qui inspire une familiarité, mais surprend parce qu’elle est décalée. Le tailleur en tweed, oversized, ludique, crée une connexion avec une mémoire personnelle ou historique, en tout cas il déroute, séduit et amuse. Après avoir traîné en pull et en sweat pendant un an et demi, l’envie de voir du monde est un sentiment quasi universellement partagé. Le pantalon de jogging, on laisse d’autres le faire, ce n’est de toute façon pas notre signature, même si la notion de confort reste présente dans notre geste créatif. On fait du spectaculaire pour tous les jours et surtout pas des basiques. Boring is out. On a envie de combiner des pièces dingues et du pratique pour aller travailler. En fait, c’est complexe la mode, et c’est très simple.» Si seulement.
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