JE SAIS J’Y AI VÉCU Souvenirs de la Résidence Kennedy
JE SAIS, J’Y AI VÉCU
Ce livre a été réalisé à partir de témoignages de résidents, de membres du personnel et d’administrateurs, anciens et actuels de la Résidence Habitat Jeunes Kennedy. Témoignages recueillis d’octobre 2017 à janvier 2018 par Guillaume et Thomas, de l’association La Vue Est Superbe et des éditions FLBLB, avec l’aide de Christian, Euryale et Samuel, de la Résidence Habitat Jeunes. Les photos anciennes et les documents d’archives ont été aimablement prêtés par les résidents et les salariés.
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Photographies de Mauju pages 11, 12, 15-21, 26, 29, 31, 32, 44-45, 47-49, 53, 56-57, 59-68, 71, 81-86, 88-89, 95, 96, 100, 102-105, 108, 112, 115-117, 2e et 3e de couverture Documents d’archive pages 6, 9, 25, 33, 35-43, 50-51, 55, 58, 69, 72-75, 77, 79, 82-85, 91, 93, 99, 106-107, 109-110, 114, 118 Photographies de 1re et 4e de couverture par les éditions FLBLB
JE SAIS J’Y AI VÉCU Souvenirs de la Résidence Kennedy Photographies de Mauju
Résidence Habitat Jeunes Kennedy Éditions FLBLB
Pages ZUP-Couronneries du journal Centre-Presse, 1978
Julien, photographe, et Christian, accompagnateur social
1969-2019, Kennedy, une tour au cœur des Couronneries Françoise Raimbault, Présidente de l’Association de Gestion des Foyers Sociaux
Depuis 1969 la Résidence Habitat Jeunes Kennedy accueille des jeunes de 16 à 30 ans de toutes origines sociales et géographiques pour leur procurer un logement, favoriser leur intégration au territoire, au quartier, à la ville et les soutenir dans leurs projets individuels et collectifs. Kennedy contemple du haut de ses treize étages le centre-ville et sa périphérie. Bâtiment phare par sa centralité et sa visibilité, la tour a été construite au cœur même du quartier des Couronneries. Nous y voyons le symbole de l’espoir que plaçait dans sa jeunesse la France des années soixante-dix. Que sont devenus ces espoirs, qui sont les jeunes d’aujourd’hui, que vivent-ils ? Si la tour est visible, emblématique du quartier, qui sait ce qu’il s’y passe vraiment ? La tour a vécu au rythme des transformations de la société française : exode rural, crises économiques, mouvements migratoires… Au terme de 47 années d’existence, Kennedy a accueilli plus de 40 000 jeunes. Lieu de brassage des différences, de rencontres, d’amitiés qui résistent aux années, la tour Kennedy reste pleine d’espoir quant à son avenir et à l’avenir des jeunes qu’elle accueille. Dans le cadre des grands travaux urbains engagés par la ville de Poitiers et ses partenaires, elle sera bientôt reconstruite, une page va certainement être tournée, que restera-t-il de la mémoire du lieu ? À travers la réalisation de cet ouvrage nous avons souhaité créer un pont entre les résidents d’aujourd’hui et d’hier pour mieux attendre ceux de demain.
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UNE NATURE SOCIABLE
Gaston Résident de 2016 à 2017
J’ai été résident de novembre 2016 à juillet 2017, presque un an. Je travaillais au Mac Donald’s de Châtellerault, et pour une évolution dans le restaurant, dans la franchise Mac Donald’s de la Vienne donc Châtellerault et Poitiers, on m’a proposé le poste de manager au Mac Donald’s de Chasseneuil. J’ai accepté et il fallait que je puisse trouver un logement rapidement pour commencer dans mes nouvelles fonctions, et on m’a orienté vers Kennedy. C’est pas super pratique pour aller à Chasseneuil, mais je n’avais pas d’autre solution. Y a pas d’accueil rapide à Chasseneuil. Je prenais le bus tous les matins, et on travaille aussi de nuit, là c’était des collègues de travail qui me ramenaient. Je m’étais dit deux-trois mois seulement, mais le temps passait et je me suis plu dans la résidence. Au début, j’avais l’appréhension de me retrouver tout seul, parce que moi j’ai jamais été dans ces conditions-là. Déjà à Châtellerault je vivais chez une connaissance donc je n’étais pas tout seul. Y a différents cas dans la résidence, y a des jeunes qui sont en difficulté, y a des jeunes qui n’arrivent pas à être sociables, qui se renferment chez eux, y a des jeunes qui sont plus ouverts, donc il fallait s’adapter. Mais comme je suis de nature sociable, je me suis bien adapté, aux résidents, à l’équipe de gestion. Le fait qu’il n’y ait pas de facture d’électricité, eau d’ameublement… Tout ça est compris dans la location, ça fait que j’ai pu mettre de l’argent de côté. Et comme y avait l’échéance des 30 ans qui arrivait… Parce que le but c’est d’être logé le temps de te retourner, de trouver quelque chose, ce n’est pas de rester 5, 6 ou 8 ans, c’est une transition. Après 30 ans c’est plus possible. Enfin, au-delà de 30 ans, on peut encore, mais c’est plus limité.
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Gaston
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Simonia, agent administratif
MON PREMIER JOUR Lise
Conseillère logement
Je me rappellerai toujours de ce premier jour de travail à Kennedy… Après avoir été angoissée toute la journée, nouvelle ville, nouveau lieu de travail, nouveaux collègues, un métier méconnu… Et pour bien terminer cette journée, assez stressante pour une jeune fille peu confiante, je suis restée coincée dans les toilettes, si exigües, si loin qu’on ne m’a pas entendue les premières minutes… Une bouffée de chaleur monte, il faut souffler et taper un bon coup pour qu’on m’entende. Après quelques minutes, une collègue est venue, a appelé le technicien pour qu’il me libère. Manque de chance : impossible d’enlever le penne, obliger de scier. Des étincelles, une odeur atroce… Libre !
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LIEU D’ANCRAGE Daniel Résident dans les années 1980 Je venais de Thouars pour un travail au CHU, le foyer Kennedy a été mon premier lieu d’ancrage à Poitiers.
Oumar Résident depuis 2017 J’ai connu l’Espace Kennedy depuis le Sénégal. J’avais une préinscription à l’université de Poitiers et je ne connaissais personne sur place. Une connaissance m’a parlé du foyer et m’a aidé à faire mes démarches. C’est comme ça que j’ai pu avoir une attestation de réservation de logement. Grâce à cette attestation, j’avais un toit sous lequel dormir une fois arrivé. Mais cela m’a surtout aidé à obtenir le visa nécessaire pour venir étudier en France. Je suis arrivé à la résidence le 26 août. Depuis mon arrivée, j’ai fait la connaissance de pas mal de personnes. Ce qui me plaît surtout dans ces relations, c’est qu’il n’y a pas que des étudiants. Ça m’a permis de m’ouvrir, de découvrir le vécu et l’histoire d’autres personnes aux parcours complètement différents du mien et je trouve ça enrichissant.
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UN NOUVEAU POINT DE DÉPART Dylan Résident en 2017 ll fallait que je trouve une solution d’hébergement assez rapidement et sans trop de contraintes en terme de paperasse. J’ai contacté le FJT qui m’a dit : « Pas de soucis, on t’accueille dès lundi. » Mon contrat débutait le même jour. Un besoin de quitter la Bretagne et de tenter de me reconstruire sur Poitiers s’était manifesté. Un déménagement à gérer d’urgence, une séparation, quitter un taf dans lequel j’étais depuis cinq ans, mon entourage, ma famille, mes amis… J’ai souhaité tout quitter. Arrivé sur Poitiers, avec plein d’espoir, nouveau travail, nouvelle vie, nouvelle identité. Au final, je me retrouve rapidement dans une grosse solitude. Ne souhaitant pas me laisser abattre, je m’inscris à la salle de sport de l’Orange Bleue à Buxerolles et je me renseigne sur les activités et les évènements du coin. Kennedy, c’est pour moi un retour aux bases, un nouveau point de départ, à partir de rien, de zéro.
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PAS DE PRESSION Annick Résidente de 2005 à 2007 Je suis arrivée en France en 2004, je viens de Côte d’Ivoire. À cause de conflits familiaux, j’ai dû trouver un logement, la mission locale m’a guidée vers Kennedy. Ma nièce, Natacha, était déjà résidente ici, je venais la voir de temps en temps. J’ai d’abord emménagé dans un studio, puis un T1 pour finir au deuxième étage dans un T2. J’avais le désir d’être autonome, de trouver un logement à moi. Ça s’est fait progressivement, sans pression du foyer. Au contraire, Christian était toujours là si besoin. J’ai trouvé un boulot la deuxième année, puis ils m’ont accompagnée pour acheter les meubles, puis pour le déménagement. Aujourd’hui je suis conseillère en insertion professionnelle. L’accompagnement dont j’ai bénéficié avec Kennedy et la Mission locale m’a beaucoup apporté pour la suite ! En Afrique, on faisait tout pour nous, j’ai appris à être autonome ici.
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Annick
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LES REVENDICATIONS Bachir Résident depuis 2014 Je suis né en 1997 en Guinée, et je suis en France depuis quatre ans sur Poitiers. Je suis étudiant au lycée du Dolmen. Accueilli depuis 2014 par l’Aide sociale à l’enfance et placé au foyer Kennedy. Je participe activement à la vie socioculturelle du FJT et je le représente dans diverses compétitions sportives. Kennedy est un espace de vie agréable pour la plupart des jeunes de mon association qui y résident. Malgré leurs revendications, facteur majeur justifiant le boycott qu’ils exercent au sein du foyer : le problème de WiFi dans les chambres, l’abonnement aux chaînes de sports Canal, SFR, etc. Ils manifestent parfois leur mécontentement à travers des gestes d’incivilité contre les installations du foyer. Par ailleurs, la répartition des chambres et la direction sont exemplaires même si l’accueil n’est pas apprécié à 100 %. La pauvreté de la bibliothèque et le manque de personnel pour le bricolage ou la réparation du matériel dans les chambres se font toujours ressentir. En tant que président de l’association des jeunes guinéens à Poitiers je reçois des plaintes ou des critiques à longueur de temps sur le FJT. Les animations ne tournent qu’autour des matchs de foot à la télé et au Carré Bleu, mais rien ne se passe entre résidents malgré la diversité culturelle et régionale.
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Sebastiao, rĂŠsident en 2017
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CONSEIL D’ADMINISTRATION ET REPRÉSENTANTS Gaston, ancien résident, membre du CA Christian, accompagnateur social
Tu es administrateur maintenant, après avoir été résident. GASTON
Oui après mon départ du foyer, j’ai participé à la dernière réunion du conseil d’administration de 2016-2017. Et donc tes aptitudes de manager dans ton travail, ça te sert dans le conseil d’administration ? GASTON
Bien sûr, après c’est autre chose, hein, je suis entouré de personnes qui ont une expérience terrible, assez forte. On sent qu’autour de la table il y a du potentiel et j’en apprends énormément. Du potentiel c’est-à-dire que, quand vous voyez quelqu’un qui a fait plusieurs années à la Chambre de Commerce, une autre personne a été avocate, une autre est dans le milieu juridique… voilà, c’est un potentiel. Ça me plaît d’avoir cet échange-là et ça me fait progresser. Actuellement je suis vice-président, mais je n’interviens pas directement, j’écoute, j’apprends, j’observe, j’essaie de participer à plusieurs choses. Est-ce que tu as affaire avec l’équipe salariée ou bien est-ce que vous déléguez au directeur cette fonction-là ? GASTON
C’est le directeur qui s’en occupe, et il fait un rapport au conseil d’administration. Par exemple récemment il y avait un problème de comportement d’un salarié, il nous en a fait part et de ce qu’il pensait faire. Il nous consulte, après on valide.
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J’imagine qu’au CA vous parlez déjà de la restructuration… GASTON
C’est vraiment un gros chantier, c’est bénéfique pour tout le monde : la ville, les résidents, le personnel. C’est en projet depuis plusieurs années. Ça a vraiment pris forme depuis que le maire s’est investi dans la chose. Le rôle que j’ai là-dedans n’est pas fixé clairement. Le rôle que je ressens c’est d’apporter mon expérience en tant que jeune, en tant qu’ex-résident, dire ce que j’en pense. Je représente pas les jeunes, mais je pense que ma présence au sein du CA peut… Tu es une personne référente pour les résidents ? GASTON
Je peux relayer un message, je peux apporter d’autres informations. Actuellement je suis le seul ex-résident au CA. CHRISTIAN
En fait, les résidents sont représentés au CA, il y a deux représentants statutaires des résidents : deux résidents, deux suppléants. Tu es le seul ex-résident membre actif, car tu fais partie du collège des membres actifs, mais il y a aussi le collège des résidents. Avant il y avait le collège des membres de droit : mairie de Poitiers, etc. Qui n’existe plus ? CHRISTIAN
Non parce qu’ils se sont désengagés des conseils d’administration pour l’ensemble des associations. Nous on a remplacé ça par un statut de membre invité, c’est-à-dire qu’ils peuvent être présents, mais avec ce statut-là. Les représentants des résidents sont élus ? CHRISTIAN
Tous les ans au mois d’octobre par l’ensemble des résidents. On organise une élection, avec un appel à candidatures. Les résidents se présentent et ils sont élus ou pas par les autres. Les résidents font campagne ? CHRISTIAN
On a eu des campagnes électorales, avec des promesses parfois démagogiques, voire malhonnêtes : internet dans toutes les chambres, réduction du loyer… Et aussi avec des gens qui croyaient qu’ils allaient réellement changer des choses dans la structure, d’ailleurs il y en a qui ont changé des choses : l’accès à internet, par exemple, trois ans de lutte des représentants pour avoir internet dans les années 2000.
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Comment ça se passe les campagnes ? CHRISTIAN
C’est à bulletins secrets, chacun reçoit la liste des candidats. Sur une liste de 8 personnes, il doit rayer les noms des personnes pour qui il ne veut pas voter. Il peut même laisser un seul nom, ou voter pour l’ensemble de la liste. Il y a plus d’abstentions maintenant qu’à une époque, mais on a eu des 40 % de votants. Ça vaut bien une bonne élection européenne. Cette année on passe à des modes d’élection alternatifs, les électeurs vont être amenés à désigner les candidats pour lesquels ils voteront après. Un peu comme des primaires. Une fois qu’on aura l’ensemble des candidats désignés, il y aura un vote pour désigner qui gagnera les élections. Ça évitera aux résidents de dire « moi je me sens pas trop de me présenter parce que j’aime pas me mettre en avant, etc. » Là ce ne sera pas la peine de se mettre en avant c’est les autres qui le feront. C’est une expérimentation, mais ça existe dans d’autres résidences. Autrefois on avait des campagnes d’affichage « Votez pour moi, pour un avenir meilleur, des baisses de loyer… » Je me souviens plus, mais j’ai gardé les affiches. Les élections se font à bulletins secrets, avec possibilité de procuration, il m’est même arrivé de recompter un à un tous les bulletins devant un candidat qui avait été éconduit, et qui disait « c’est pas possible, quelqu’un m’en veut ! » C’est une sacrée responsabilité, les représentants représentent combien … 100 résidents ? CHRISTIAN
150, ça a pu aller jusqu’à 180.
Les gens prennent leur rôle au sérieux, le représentant actuel, Éric, a fait un discours cette année pour le pot d’accueil, un discours que je dirais politique, en disant les résidents s’occupent des résidents, nous on a fait notre travail, etc. Et ils avaient fait du travail : baisse de la cotisation pour les visiteurs, aménagements horaires pour les visites…
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Philippe Guyomard, ancien directeur
Christine, agent d’accueil Roland, résident de 1975 à 1977 Philippe, ancien directeur
LES DIRECTEURS CHRISTINE
À une époque y avait moins de contacts entre les jeunes et la direction. Et puis après y a eu monsieur Guyomard, alors lui c’était complètement différent, il allait vers les jeunes, leur serrer la main. Moi, j’avais jamais vu ça avant. ROLAND
Le directeur on le connaissait pas nous, je connaissais France, parce que son mari est réunionnais. Ma femme qui vient aussi de là-bas voulait connaître des Réunionnais, on a créé une association, et on s’est revus comme ça, « ah ben qu’est-ce que tu fais là ? », pis on a parlé de Kennedy, le monde est petit. Pis maintenant on se connaît bien. PHILIPPE
France, c’était la secrétaire-comptable, à l’époque où la comptabilité était toute manuelle. Elle a fait toute sa carrière ici. Elle a dû partir en 91 ou 92.
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L’AUTONOMIE Émilie Résidente en 2017 Avant d’arriver à Kennedy, j’ai habité à Niort, j’étais à la rue. Ensuite on m’a hébergée à Poitiers. J’ai pensé au foyer Kennedy. Je trouve Kennedy un peu fade. Il manque un peu de rire et de musique, sauf du rap. Un souvenir que j’ai de Kennedy ? J’en ai pas parce que je préfère passer mon temps à l’extérieur. Mais quand je suis ici je rentre m’occuper de mes plantes et de mon poisson dans ma chambre. Et je passe du temps avec les amis que j’ai ici.
Angélique Résidente depuis 2015 Je suis arrivée le 31 août 2015. J’ai commencé un contrat d’apprentissage de septembre 2015 à septembre 2017. Ça s’est fait dans la précipitation et je ne voulais pas faire de mauvais choix. On m’a parlé de Kennedy et je suis venue. J’étais déjà dans un foyer de travailleurs dans les Deux-Sèvres, à Sauzé-Vaussais, mais là-bas, cela ne s’apparentait pas à une tour, c’était plutôt des bâtiments répartis dans plusieurs villes. Il y avait trois logements. Avant le FJT, j’étais en famille d’accueil et comme ça s’est bien passé dans le FJT, j’ai voulu continuer. L’autonomie c’est important avant de trouver un appartement. Ici, on est bien entouré, mais j’aimerais tout de même trouver un appartement sur Poitiers. Je reste là tout le temps, la semaine et le week-end. Auparavant, j’avais une chambre, mais maintenant je loge dans un T2. Je m’entends bien avec le personnel, ils sont bien.
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Émilie
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JE M’DÉBROUILLE Julien Résident depuis 2012 Je suis résident depuis 5 ans. Je me suis fait viré de chez ma mère, j’ai toujours habité à Poitiers. Le 1er février 2012, j’ai fait la démarche pour venir au foyer Kennedy, je suis rentré le vendredi. J’étais à la garantie jeune (Mission locale). Le personnel est cool. En cinq ans, ça a pas beaucoup changé. Sauf les cuisines, les midis. Au début, j’avais une petite chambre puis un studio. Tout à moi, hein ! Le micro-onde, les plaques électriques, le frigo… du coup j’utilise peu les espaces communs. Quand je sors de mon studio, c’est pour faire des trucs en dehors du foyer. J’avais fait un tournoi de foot en juin 2016. On avait fait ça au stade à Aliénor. Il y avait quatre équipes. J’aime bien dessiner aussi, je me débrouille. Un jour je m’emmerdais et j’ai dessiné un Titeuf à la mission locale, eh ben, ils l’ont accroché ! J’aimerais bien trouver un logement, j’ai fait la demande à Ekidom.
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Julien
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Kennedy c’est intimidant, c’est austère, il faut se l’approprier, s’acclimater. Mais en définitive une fois dedans, il y a la chaleur et les rencontres. 32
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LES RENCONTRES Yvon, résident 1989-1990 Samuel, actuel directeur Roland, résident 1975-1977
YVON
Quand j’ai vu l’annonce j’ai envoyé un SMS aux gens que j’ai connus ici. On est encore en contact, y en a un qui est devenu mécano, d’autres j’ai été à leur mariage. On est resté en contact depuis 1990. Moi j’étais là de début 1989 à 1990. On est cinq ou six à être restés en contact. Y en a qui sont restés dans la région, je leur ai envoyé le message en premier, et d’autres qui sont plus loin. SAMUEL
Y a un groupe de Lyonnais, ils étaient là fin 74, fin des années 70, ils sont toute une bande ils ont dit « ah on vient on va faire une rencontre, on est 4-5, est-ce qu’on peut loger ici ? » ROLAND
Ah oui ça créait des liens, c’était convivial.
YVON
Peut-être plus les gens d’avant que ceux de maintenant. ROLAND
Pis nous ça se faisait le contact parce qu’y avait la télévision qu’était collective. En 75 y avait que deux chaînes en noir et blanc, alors, là, y avaient des fauteuils, pis t’attendais des fois dix minutes un quart d’heure le temps d’aller au boulot, tu rencontrais Pierre et Paul, ça permettait d’avoir des contacts « où c’est que tu vas, où c’est que tu travailles ? », c’était un petit coin social. SAMUEL
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Ça, toujours.
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LA KENNEDY’S FAMILY 1972-1975 Nous étions conducteurs, travailleurs d’usine, fonctionnaires, ouvriers spécialisés ou autre, agents d’agence douanière ou secrétaires d’établissement financier, nous étions blancs, noirs ou maghrébins, peu importe, nous étions tous de simples résidents et copains. Seule la bannière Kennedy nous identifiait dans notre nouvelle vie. On se trouvait ici en présence d’un formidable outil d’intégration dans la vie professionnelle et dans la société. L’entrée dans la vie active se faisait sans encombre grâce au foyer Kennedy. Une fois le travail trouvé et le contrat signé on était accueilli au foyer pour une période transitoire. Période qui se voulait être celle de l’adaptation à la vie professionnelle, de l’émancipation familiale et financière. Celle qui permettait aussi de mener une vie de liberté choisie au travers des activités proposées par le foyer ou alors proposées par les différents groupes de copains et copines. Les anciens jeunes que nous sommes devenus aujourd’hui dans ce groupe ont résidé en moyenne 18 mois au foyer Kennedy. Certains un peu moins, d’autres un peu plus, les anecdotes sont nombreuses. Pas toujours facile de rentrer incognito pour ne pas être inscrit
sur le cahier de surveillance du gardien Monsieur Carbonel. Nous n’étions pas très fortunés, mais la vie n’était pas aussi chère qu’aujourd’hui et nous pouvions nous offrir assez régulièrement terrasses de café, restaurants ou sorties cinéma. Notre QG sur la place de Poitiers se situait en centre-ville au Bar de l’Hôtel de Ville (le BHV), où le patron nous tolérait de longues heures en soirée. On entrait pour prendre simplement un café puis finalement on trinquait à l’apéro, on dînait et….on faisait la fermeture autour du digestif. L’avenue de la gare et ses nombreux bars figuraient également parmi les passages obligés de nos soirées festives, nos deux favoris restaient le Printania et le Régina. Les jours de grande sortie nous voyaient pour le dîner chez Pépette à Saint-Benoît, là aussi à côté de la gare. Sa pièce en sous-sol était toute désignée pour les soirées chansons pendant lesquelles les rois des paillardes s’en donnaient à cœur joie. On croisait lors de ces soirées d’autres groupes de copains et copines de Kennedy ou d’ailleurs. Les groupes se formaient souvent à partir des appartenances professionnelles. Il faut dire qu’à l’époque l’activité économique ne manquait pas à Poitiers : Michelin, La Pile Leclanché, Davum, Camus Ascenceurs, Aef Ingeneering, Cartonnerie Ménigault, Ciba Geigy, Schwarzkopf et bien sûr le CHU côté fonctionnaires hospitaliers, représentaient le fleuron économique Poitevin. Ah, les trente glorieuses, quel bonheur pour la jeunesse. La difficulté, ce n’était pas de trouver un d’emploi, c’était de choisir l’entreprise pour laquelle on allait travailler. Nous mesurons en passant les difficultés que rencontrent aujourd’hui les jeunes, parmi lesquels figurent nos propres enfants. L’annonce de la démolition a jeté un grand froid dans la Kennedy’s Family et notre groupe se souvient avec une grande nostalgie de cette belle époque des années 70.
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Régine J’avais 21 ans, j’habitais Martaizé dans la campagne loudunaise, une petite bourgade de 400 habitants. J’ai trouvé, sans beaucoup chercher d’ailleurs, un travail de secrétaire le 1er avril 1974 (et ce n’était pas un poisson) à Poitiers, donc presque la capitale. Je n’avais jamais quitté mes parents. Incapable d’envisager de vivre seule, j’ai pris contact avec un garçon de mon âge que je connaissais, James. Pas pour vivre avec lui, mais pour avoir un guide dans ma quête de logement.
Il logeait dans un foyer de jeunes travailleurs. Accompagnée de ma mère, je suis allée visiter ce foyer et, aussitôt les démarches administratives faites, j’ai pu emménager au 3e de cet espèce d’HLM. J’ai pu ainsi prendre mon indépendance familiale et financière, et passer quelque temps dans une ambiance festive, joyeuse, entourée d’une jeunesse prête à croquer la vie à pleines dents. Au bout de quelques jours avec James, je connaissais toute sa bande de gais lurons, et ne me suis jamais sentie isolée. Ce foyer était un écrin de convivialité, il y avait toujours une personne pour discuter, une autre pour jouer, il y avait de la musique, des blagues et des rires. Tous les étages regorgeaient de
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bonne humeur, de gentillesse et de joie de vivre. La période était belle, tous les résidents avaient du travail, leur indépendance, et bien sûr des projets plein la tête. Au restaurant, pas de ségrégation, pas de communautarisme, on s’asseyait là où la place était libre et, peu importait la couleur de peau, le costume ou le bleu de travail, le partage et le respect étaient de mise. Après le déjeuner, les garçons s’adonnaient principalement au ping-pong ou prenaient le café au bar. Les filles, elles, remontaient sagement faire leur chambre. Le soir, elles se réunissaient dans une piaule et les discussions allaient bon train. Faut-il rappeler ici que si le foyer était mixte, deux secteurs bien distincts marquaient le côté filles et le côté garçons. Les garçons justement nous attendaient très souvent au bar. Et nous partions pour une belle virée qui nous menait au BHV à Poitiers centre ou chez Pépette à Saint-Benoît. Très souvent nous rentrions tard dans la nuit. Monsieur Carbonel, le sévère, mais gentil veilleur de nuit, nous faisait les gros yeux et nous intimait d’être plus discrets. Le vendredi soir, je repartais chez mes parents très heureuse de les retrouver et eux très confiants de ce nouveau système semi-collectif de logement. Le lundi matin je revenais, ravie de revoir la bande de copains et de retrouver mon second foyer. Une anecdote de nana, car il en faut bien une : quand le foyer a commencé les petits-déjeuners avec confiture et compote de pomme, les signes extérieurs de bienêtre, au bout de quelques semaines n’ont pas manqué de se signaler ! Impossible de poursuivre ma complicité avec mon jean taille 36. Avec ma copine Cathy, direction les cours de Gymligne, rue des quatre Cyprès, et ses fameuses séances de sauna pour perdre ces kilos impoliment installés. Finalement, je manquais d’air, mais ne perdais pas un gramme !
James En 68 mes parents m’avaient mis en pension à Poitiers, à l’école du Porteau, pour des études de comptabilité option transport. Sorti de cette école le 27 Juin 1972 diplôme en poche, je suis recruté en moins de 24h par l’agence Maritime Rambaud, 14 avenue Robert Schumann, et je me retrouve en situation de travailleur le 3 juillet. Mes parents m’ayant accompagné pour mon entretien d’embauche, les démarches de logement nous conduisent dans la foulée au Foyer des jeunes travailleurs, au cœur de la ZUP des Couronneries. Là, première anecdote, je rencontre le directeur du foyer, qui n’est autre que M. Guy Gravelau, l’éducateur qui me suivait à l’école du Porteau. Le hasard faisait bien les choses et l’intégration en était facilitée. Aimant beaucoup le contact, je me suis fait rapidement des ami·e·s. La première personne qui m’a accueilli, au départ de mon père, sur le parking ce fameux dimanche à 17h, était Moïse, le black du foyer. Adorable, grand cœur, très calme, Momo m’a dit : « Tu vas t’intégrer dans le monde du travail, ce soir si tu le veux, je fais un pot-au-feu et on va manger ensemble sur le palier de l’étage. » Il y avait tout sur ces paliers : kitchenette, table, évier auxquels s’ajoutait une douche collective. L’endroit était finalement très convivial et chaleureux. Nos chambres faisaient à peine 30 m2 . À gauche en entrant un lavabo avec une glace, un placard de rangement avec étagère et portemanteau, et derrière, le coin-lit avec une petite étagère sur le côté, une table, deux chaises, et une grande baie vitrée nous invitait vers l’extérieur ou la rue était calme et docile. Le loyer de 350 FF conjugué aux 250 FF d’allocation logement ne nous mettait pas en dette et même si nous devions acquitter le prix de quelques vingt-deux repas mensuels obligatoires, notre salaire de début de carrière aux alentours de 1 200 FF nous
assurait une vie d’indépendance financière. Quand on entrait dans le foyer, il y avait de grandes pièces sur le côté pour jouer au pingpong et une cabine téléphonique. Une fois par semaine, des coiffeuses venaient s’entrainer sur nos têtes. Mon copain Jean-Yves et moi servions de modèles. À gauche se trouvait un muret avec un aquarium et un frigo bas contenant des glaces. M. Carbonel, le gardien, se réservait seul le droit de nous servir… En face, un peu plus loin dans le bâtiment, un grand bar où tout le monde se retrouvait pour le déjeuner. Pepito venait tous les midis exercer ses talents de guitariste, je le revois avec ces boots, chemise à carreaux, veste de velours, lunettes double foyer, et… il envoyait le refrain. Le matin, pour le petit-déjeuner, on se retrouvait à partir de 6h dans la salle de restaurant avec nos plateaux, le sourire aux lèvres, heureux de vivre indépendants. Le rez-de-chaussée terminait par un grand escalier qui conduisait vers les chambres des quelque cent résidents. Le soir on se retrouvait tous à l’étage dans le petit salon, et on décidait de notre soirée, et c’est là qu’est née notre fameuse bande, la Kennedy’s Family.
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Entretemps une jeune fille de mon village, Régine, portant merveilleusement bien la mini-jupe plissée s’est jointe à nous, elle reste la fille à la 4L rouge. Jean, nouveau venu, se greffe à notre bande, une amitié indestructible naîtra à ce moment et bien sûr elle dure toujours.
Chantal J’ai intégré le Foyer Kennedy le 16 août 1973 après avoir quitté le lycée du Dolmen avec mes examens en poche. Après trois semaines de colo à La Grière en tant que monitrice, mon père, ayant épluché les petites annonces, m’avait trouvé un job au Centre E. Leclerc. Après l’entretien d’embauche, il fallut trouver un logement et c’est là que je me suis retrouvée au foyer où résidait déjà mon cousin Robert. Ma mémoire n’étant pas si bonne que certaines personnes, je n’ai pas beaucoup de souvenirs, je me rappelle toutefois de la soirée organisée par le foyer à l’occasion de la fin d’année 1973. Nous avions fait une énorme fête jusqu’au bout de la nuit. Vous vous souvenez de Laverdure, qui était plus âgé que nous, et qui était sans doute un peu dérangé ? Il draguait toutes les filles du foyer. Un phénomène celui-là !
Jean Les soirées nocturnes restent au cœur des souvenirs. Le Régina, Le Printania, Le Continental devant la gare, Chez Pépette à Saint-Benoît, Le BHV, Le Sully, Le Quinquisse, boîte de nuit sur la Promenade des Cours, et nos fameuses parties de bowling à Rallye. On s’aimait et on voulait s’amuser, notre solidarité était enviée. Un code de respect s’était établi entre nous, et sans nous en rendre compte, nous avons prouvé que le foyer était le fil rouge de notre jeunesse. Je souhaite à n’importe quel jeune d’aujourd’hui de pouvoir connaître ce genre de relation, cette qualité d’amitié, cette douceur de vivre. Pour l’histoire, de cette bande de gais lurons sont nés les mariages de Chantal et Maurice, Danielle et Robert, Danièle et Jean-Yves.
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Je suis arrivé à Poitiers en juillet 1974 avec 200 FF en poche, un BEPA de jardinier et un sac à dos j’ai été accueilli à l’auberge de jeunesse de Bellejouanne pendant deux mois. Ensuite ma sœur m’a conseillé de faire une demande d’hébergement au Foyer de jeunes travailleurs de la ZUP des Couronneries, c’est là qu’a débuté l’aventure Kennedy. Je suis entré avec mon sac à dos, on m’a indiqué ma chambre au 7e étage, belle vue sur les Couronneries, et moi je trouvais cette vue et cette avenue magnifiques. N’oublions pas que je venais d’un petit village du nord de la Vienne, Ranton (150 habitants). Pour moi, Poitiers, c’était New York ! 1974, c’était la révolution des œillets. Donc je fais mon lit, je range mon sac à dos et je prends ma clé pour fermer ma chambre, j’avais l’impression d’avoir une suite, il y avait
une douche dans la chambre… Euh, peut-être pas finalement, je sais plus. Début du choc pétrolier. J’arrive au rez-de-chaussée, monsieur Carbonel me demande si ça va, je lui réponds : « tu veux rire l’ancêtre, c’est trop d’la balle ! » Euh, non bien sûr, je lui dis : « merci monsieur, tout va bien. » John Baez chante Gracias A La Vida. Début de Microsoft. Entrée en scène de James, l’ami d’enfance de Régine, qui connaît Richard, qui connaît bien Danielle qui connaît bien Robert, Danièle qui connaît bien Jean-Yves, etc. Véronique Sanson chante Le Maudit. Il est 19h, James passe devant moi, je suis seul, il me demande : tu as dîné ? Un peu surpris de cette invective, je réponds : euh… non ! Alors, il me répond viens avec moi, et là tout commence… j’avais évidemment déjà dîné. Pas trop de souvenir de la cantine, mis à part le type au bar, sympa, et la star, un peu parasite, le fameux Pépito et sa guitare. Richard Nixon démissionne. Nous sommes environ deux mois après mon arrivée et je commence à rater mon bus pour aller bosser, la faute à la bande à James et ses virées nocturnes. Pour autant tout va
bien, j’ai un bon contrat de travail. Eh oui, nous avions cela à l’époque. Fin de la guerre du Viêtnam, avril 1975, et Neil Young chante Harvest. J’ai quitté le foyer en juillet 1976.
Cathy Je suis arrivée au Foyer des jeunes travailleurs en 1975, année où un candidat à la présidentielle, Giscard d’Estaing, avait fait une promesse électorale : la majorité à 18 ans ! Deux mois après ma majorité, donc, j’ai pu entrer au foyer, avec la complicité de M. Raveleau qui m’avait aidée à monter mon dossier d’inscription avant mes 18 ans, afin d’obtenir l’APL et les tickets de restauration. Je travaillais depuis septembre 1973 dans une boutique des Couronneries, j’avais donc mon contrat de travail, le Graal pour être autorisée à habiter au foyer. En rupture familiale totale, je devais me débrouiller seule et j’y ai trouvé aide et chaleur humaine, j’irais même jusqu’à dire que j’y ai trouvé une grande famille. Je me sentais protégée, aussi bien par M. Raveleau que par le gentil monsieur qui nous servait les petits-déjeuners
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(M. Chenet je crois) : il me gardait toujours de la compote (je ne voulais pas manger de confiture), car je descendais bien après le razde-marée du matin, ma boutique n’ouvrant qu’à 9h30.
matin. C’était de grands moments de calme qui m’ont aidée à me reconstruire. J’étais fière de ma chambre, la 503, mon petit chez moi que je bichonnais avec mille attentions, et jamais je n’ai ressenti la solitude, même si bien sûr, j’attendais avec impatience le retour de tous mes amis. Un jour, les uns après les autres, ils sont tous partis, ils avaient rencontré l’âme sœur et se sont tous installés en couple. Et là ce fut un moment très difficile à passer, jusqu’à ce que ce soit mon tour.
Maurice
Le café du midi était sacré pour tout le monde et le lieu était une vraie fourmilière en pleine activité. On se serait cru dans un film en accéléré. C’est là que j’ai fait la connaissance de Régine, Richard, James, Jean, Robert, Moïse, Danielle, Jean-Yves… Et rapidement, comme mes horaires étaient un peu décalés par rapport à eux, j’avais ma petite place qui m’attendait à la tablée des copains. C’était génial. On refaisait le monde et on faisait des plans sur la comète pour la sortie du soir. Et je me laissais porter par cette vague de bonne humeur. On sortait tous les soirs, on allait danser. Et je me demande encore aujourd’hui comment on faisait pour tenir ce rythme. Ah oui, nous avions 20 ans, ou presque ! Les week-ends, tout le monde rentrait chez les parents, moi je travaillais toute la journée du samedi et parfois le dimanche
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J’ai quitté le Lycée Louis Armand de la Bugellerie fin juin 1973 à 18 ans, avec un diplôme de dessinateur industriel. Pas question de poursuivre les études, mes parents souhaitaient que je trouve du travail, au plus vite. J’aurais aimé travailler dans la bande dessinée, mais avec quel argent en poche ? Comme l’a évoqué James, à cette époque les places ne manquaient pas dans les entreprises locales. Le hasard fait parfois bien les choses. Je me souviens encore de ce samedi matin d’été 1973 où mon père m’avait conduit au Lycée pour consulter un tableau de recrutement affiché sur la porte d’entrée. La DDE recherchait de toute urgence trois dessinateurs. Aussitôt lu, aussitôt fait, après un petit concours, je fus admis le 1er juillet 1973 à la DDE. Résidant chez mes parents à 35 km de Poitiers, il fallait me trouver de toute urgence un gîte. Les infos vont bon train dans les services de l’État et je fus orienté vers le Foyer des jeunes travailleurs de la ZUP pour une inscription le 1er juillet 1973. N’ayant ni permis de conduire ni voiture, mon père me fit livrer les jours suivants ma chère mobylette grise pour mes trajets aller-retour du foyer à la DDE, et les sorties du soir en compagnie de mon cousin Abel, dit Bébel.
Une semaine environ après mon embauche, je me suis retrouvé un mois en arrêt de travail à cause d’un accident de la circulation en mobylette entre Bébel et moi. Résultat : une fracture à l’épaule droite et le risque de perdre mon boulot, mais il n’en fut rien. Très vite, nous nous sommes intégrés au groupe des joyeux lurons. Je me souviens que nous attendions avec impatience la fin de nos journées de travail pour les virées nocturnes. Je me souviens des sorties avec la 403 de notre ami Bernard dit Tintin, et de certains matins difficiles ou je me précipitais au bar du foyer pour un petit-déjeuner ultra rapide, servi par monsieur Chenet. C’était vraiment super cette période au foyer Kennedy. Nous avions pour la plupart un job, un toit pour dormir et des potes pour faire la fête. L’époque des cheveux longs, des jeans à pattes d’éléphant et des chemises à carreaux.
C’était une période où j’ai vraiment apprécié la gentillesse de tous, parce que quand y avait le landau à monter et à descendre dans l’escalier, les jeunes ils étaient tous là. Moi toute seule je pouvais pas. Et puis j’étais la seule à avoir un bébé, c’était le premier bébé de Kennedy. Quand j’avais besoin de quelque chose, je pouvais compter sur Régine, sur Cathy, sur tous les copains. Même si on s’est perdus de vue, c’est une amitié sincère.
Babette Je suis arrivée au Foyer des jeunes travailleurs parce que je travaillais à Chasseneuil-du-Poitou, et à cette époque-là y avait rien d’autre. Monsieur Carbonel venait me réveiller à 3h du matin, je descendais jusqu’à la Porte de Paris à pied pour aller travailler à Chasseneuil en stop. Et c’était pas toujours évident, le stop à 3h et demie du matin. Ce serait aujourd’hui c’est sûr que je le ferais pas. On embauchait à 5h, c’était les deux-huit, j’ai toujours fait les deux-huit. Ce qui me gênait le plus c’était de réveiller ma fille, Magali, pour la mettre chez la nounou. Ça, ça m’embêtait. Ma fille est quasiment née ici. Enfin c’est les pompiers qui sont venus me chercher, à 3h du matin. Par la suite, le directeur a eu la gentillesse de me louer un appartement plus grand.
Je suis resté un an ici avec ma fille, puis je suis allée habiter rue de Picardie juste derrière. Je voulais pas me rapprocher de mon travail à Chasseneuil parce que j’avais la nounou ici, et puis j’avais des liens d’amitié avec des gens qui vivaient à Kennedy. J’avais plus de copains pour m’aider que ma famille. Ça a été une période difficile, parce que j’étais toute seule avec un enfant, et puis même financièrement, mais j’ai un très très bon souvenir du foyer.
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La Kennedy’s Family
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C’ÉTAIT UN PEU « VISSÉ » Yvon, résident de 1989 à 1990
Roland, résident de 1975 à 1977
Philippe ancien directeur
Samuel, actuel directeur
Florence, résidente de 1974 à 1976
YVON
Moi je venais de La Rochelle et j’étais venu pour le travail ici. Il me fallait un logement rapidement, en attendant de trouver quelque chose de plus définitif. Il y avait beaucoup de gens du Porteau1, je crois. Ils étaient apprentis du centre de formation des chauffeurs routiers. Ils passaient leur permis là-bas. ROLAND
Moi en 75 c’était plutôt les gens de la campagne qui montaient à la ville. J’avais des frangins qui habitaient Grand’Rue, mais ici c’était un quartier moderne. Y avait des toilettes à tous les étages, nous on était contents c’était le grand luxe. À la campagne y avait même pas de douche, alors… Non et puis y avait pas de chamailleries, bon y en avait p’tête des fois qui se cherchaient… Mais Carbonel était là des fois, pis shlac ! Alors qu’aujourd’hui on sort les tessons de bouteilles. Autrefois, on se chamaillait on disait tu fais chier pis terminé, un coup de poing dans la figure pis terminé. Non parce que j’entends des fois qu’il y a des trucs violents. PHILIPPE
Je crois qu’il y avait plus de jeunes qui étaient effectivement au travail, les gens partaient le matin rentraient le soir, et on se retrouvait. Maintenant quand on rentre le soir, on reste chez soi. SAMUEL
On est sur une population qui bouge moins aussi. Qui reste ici, plus au chômage. PHILIPPE
Y a peut-être plus de difficultés à se projeter aussi. C’est souvent aussi des gens qui ont un avenir très court dans leur emploi, et y a toujours cette préoccupation, qu’il y avait pas avant. Avant on traversait la rue, y avait une étiquette « j’embauche », t’embauchais tout de suite. Maintenant les jeunes galèrent plus. Ça crée plus de tension. ROLAND
Oui parce que nous on commençait le travail, on n’était pas titulaires, moi je travaillais à l’hôpital, mais on savait qu’après on pourrait y rester, bon, qu’on aurait p’tête un contrat, deux contrats, mais qu’on pourrait y rester. Tu commences à l’hôpital, tu commences à un endroit pis si t’es travailleur tu t’en vas ailleurs. Alors que maintenant même celui qui est travailleur, des fois… pis on avait été habitué avec très peu, donc le peu qu’on avait c’était bien. Maintenant on a presque tout, on a trop. — 1. Actuellement le Lycée professionnel Isaac de l’Étoile
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On cherche à en avoir toujours plus comme disait François de Closets. C’est des gadgets, machin, on veut le super téléphone, la super voiture… Pfff, autrefois on partageait tout pis on n’avait rien, pis c’était bien. YVON
Moi en 1990, comme j’étais de La Rochelle je partais le vendredi soir, j’étais là qu’en semaine. Sauf à de rares occasions… on s’était fait gauler par le directeur, un soir, on s’était retrouvé à deux dans la baignoire là-haut ! Haha ! On n’avait pas allumé la lumière exprès pour pas attirer l’attention. PHILIPPE
À l’époque le directeur habitait au 12e, ou au rez-de-chaussée, je ne sais plus. Habitaient sur place le directeur, l’agent d’entretien, le sousdirecteur et le veilleur de nuit. YVON
De mon temps, c’était un peu « vissé » quand même hein. Je me souviens d’une fois où un garçon et une fille sont descendus main dans la main, le directeur les apostrophe, leur dit « c’est pas un bordel ici ! », là je m’en suis un peu mêlé. Je suis intervenu j’ai dit « là c’est pas un outrage public à la pudeur, donc je ne vois pas ce qu’il y a à leur reprocher, je peux sortir mon code pénal si vous voulez. » Ça l’a calmé. ROLAND
Parce que nous Carbonel était assez … Mais bon il était souple en même temps. PHILIPPE
Ferme mais souple.
FLORENCE
C’est vrai qu’il était pas apprécié de tout le monde monsieur Carbonel. Moi je l’appréciais bien. C’était un réfugié espagnol. Il faisait un peu le gendarme, il mettait de l’ordre dans la maison.
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Jacques, résident de 1978 à 1979
Yvon, résident de 1989 à 1990
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Florence Résidente de 1974 à 1976
Les premières nuits j’avais une voisine, et les têtes de lit étaient de chaque côté du mur, qui était comme une feuille de papier cigarette. Et elle écoutait Vanina toute la nuit. Et moi je suis quelqu’un qui a besoin de beaucoup de sommeil, et deux fois je suis arrivée en retard au travail à cause de Vanina.
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Jacques Résident du 28 février 1978 au 31 octobre 1979
Le foyer avec l’auberge de jeunesse avait organisé un week-end de ski au Mont D’or. C’était première fois que j’ai fait du ski et depuis je ne peux plus m’en passer. Je me souviens c’était en 1978, le 7 mars, le jour de la mort de Claude François.
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LE RÉGLEMENT
Julie, résidente de 2013 à 2014 Christine, agent d’accueil Euryale, animatrice
JULIE
J’étais étudiante, je suis resté neuf mois, presque une année scolaire. Mais on m’a mise à la porte, hahaha ! On était un groupe de quinze, on occupait tout un étage. Olala, on faisait plein de fêtes à l’époque ! C’était un peu le bordel, alors ils ont fini par casser le groupe. Y a un veilleur qui nous avait grillées un matin, on rentrait à 4h du matin sur le côté, là, avec une corde, et… les filles le faisaient pour rentrer de boîte de nuit ! Parce qu’avant, mais ça doit être pareil aujourd’hui, les mineurs devaient être rentrés à 22h, c’est ça ? CHRISTINE
Pour les mineurs, en fait nous on n’a pas vraiment à les surveiller. Simplement si ils rentrent en dehors des heures prévues, on le note sur un cahier et si leur éducateur nous appelle on est capable de dire, oui ils étaient là ou non ils étaient pas là, c’est tout. JULIE
En fait à Kennedy, il y a plus de bêtises de faites que de choses normales. On filoutait pour monter à plusieurs, y en avait qui étaient pas de Kennedy, mais il était plus de 23h donc fallait les passer : on appelait le veilleur en haut pour lui dire il faut monter y a une panne de courant et du coup les autres rentraient comme ça ! CHRISITNE
Ça, ça se fait toujours t’inquiètes pas…
Donc en fait quand t’es pas de Kennedy, tu rentres pas 24h sur 24 ? CHRISTINE
Normalement il n’y a plus de visites de 21h30 à 9h le matin, par contre les gens qui sont rentrés avant 21h30 peuvent rester jusqu’à 23h. Normalement entre 23h et 9h, y a plus personne d’extérieur au foyer. Concrètement, si quelqu’un de l’extérieur entre à 21h et ne ressort pas, qu’est-ce que vous faites ? Vous ne faites pas toutes les chambres… CHRISTINE
Ha beh non ! Nous, c’est un règlement de fonctionnement. On a un cahier de bord, si on voit des choses qui ne devraient pas se faire, on les note. Après c’est aux personnes qui sont chargées de l’accompagnement qui vont dire quelque chose et puis y a aussi la facturation des nuits parce qu’on peut considérer que ce sont des nuitées qui devraient être payées… EURYALE
Parce que oui, l’association se finance majoritairement avec les loyers. Ça vaut le coup de le souligner. C’est pas un choix, c’est comme ça, y a une histoire assez longue. Mais du coup ça devient une chance.
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Julie
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LES ATELIERS SLAM JULIE
Ah si j’ai fait autre chose. Les ateliers slam. On avait même participé sur la scène là, à la fête de quartier. EURYALE
Ah ouais, c’était super ça ! Du slam en plein air, entre les tours, en plein après-midi. C’est une scène ouverte, tu arrives dix minutes à l’avance, tu déposes ton nom dans un chapeau et les passages sont tirés au sort. Donc là y avait des gens de la résidence, des gens du quartier, des gens qui ont l’habitude de faire du slam ailleurs dans Poitiers. Ça emportait les mots dans les tours. On a doublé le nombre de participants depuis ton époque !
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Flavien, rĂŠsident en 2017
Ici, c’est le côté calme, la face est du bâtiment, celle du soleil levant. C’est là que je pose mon sac et ma carcasse, un petit studio meublé, équipé du minimum qui me conviendra temporairement ou plus si affinités comme on dit. Ici, c’est le côté calme, car, malgré les bruits habituels de la cité, on entend dans la nuit et la matinée le chant des merles noirs… Détente… Les vis-à-vis mis à part. C’est par une de ces matinées, vers cinq heures, que les pies s’y mettent ! Merde ! Et ce n’est pas vraiment aussi agréable, alors je regarde par la fenêtre et je les vois, toutes les quatre, se pinailler avec le chat gris en vadrouille sur une branche de sapin et la fouine de l’autre côté (une histoire d’œufs surement). Elles sont tellement détèr que la fouine se casse la gueule du sapin pour finir le cul par terre et elle se barre en dandinant son gros derrière de fouine vénère en poussant un glapissement strident et amer. Le chat, lui, il est pas si bête et redescend illico par le tronc pour se cacher dans les fourrés. Les pies se concertent, la menace est écartée et je me demande si je suis le seul à savoir que le nid dans l’arbre d’à côté est plein d’œufs. Léopold, résident depuis 2015
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DEUX PC DANS UN BOUIBOUI
Raphaël, animateur multimédia en 1998-1999 Christian, accompagnateur social
RAPHAËL
J’étais employé par la mairie et mis à dispo dans différentes structures de Poitiers : centres sociaux, maisons de quartiers et le foyer Kennedy. Je proposais des aides aux résidents avec les outils informatiques, notamment sur la rédaction de CV. CHRISTIAN
On avait lancé des projets multimédia et même acheté un appareil photo numérique à cette époque-là, plus deux PC dans un bouiboui. RAPHAËL
On avait les deux ordinateurs dans un bureau pas plus grand que la table ! CHRISTIAN
C’est la salle du serveur aujourd’hui, c’est tout petit. Tu veux la revoir ?
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Raphaël
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Aboubakar, rĂŠsident en 2017
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Mohamed Agent d’accueil
Kennedy, c’est un lieu de travail agréable, de rencontres intéressantes. J’ai fait la connaissance de gens de tous les horizons et issus des quatre coins de la planète. Dès que je pense à un pays, je vois le visage d’un jeune homme ou d’une jeune femme que j’ai rencontrée au foyer Kennedy.
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CHANCEUX Nafioun Résident depuis 2017 Je suis étudiant de 3e année en géographie à l’université de Poitiers. Je suis comorien et je suis venu en France grâce au programme de Campus France. Pour venir en France, il me fallait une chambre. Ma sœur, qui est venue avant moi, s’est occupée de me trouver un hébergement. Étant donné que pour les chambres universitaires, c’était déjà trop tard, elle a opté pour Kennedy sans pour autant avoir une idée de ce qu’était la résidence. C’était une amie à elle qui lui en avait parlé. Plus je passe du temps à la résidence, plus je commence à m’y plaire. J’y ai tout de suite pris goût. Pas besoin de se déplacer pour regarder des matchs, pour ta procédure de l’APL, pour la laverie. Le fait de trouver à proximité un centre commercial, la police et des snacks facilite la vie de tous les jours. Mais ce qui me frappe le plus c’est la mixité. Mixité entre étudiants et jeunes travailleurs, mixité entre différents pays. Sincèrement, je compte y rester et je m’estime chanceux d’être tombé par hasard sur la résidence Kennedy.
Diane Résidente en 2005 De mes quelques mois passés ici (entre deux stages à l’étranger pendant mes études), je garde le souvenir de rencontres qui se sont transformées en belles amitiés qui durent encore, malgré les nombreux kilomètres qui nous séparent, car le foyer m’a permis de tisser des liens avec des personnes de tous horizons et de nationalités différentes.
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RĂŠsidents en 2017
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EN FORMATION Marie Ancienne stagiaire et remplaçante Je suis arrivée en 2004 comme stagiaire au cours de mon bac professionnel Accueil Assistance Conseil. Dans le cadre de cette formation, j’ai dû effectuer à un projet qui était la création de la bibliothèque du foyer Kennedy. J’ai obtenu mon bac grâce à M. Guyomard, l’ancien directeur du foyer, qui m’a bien aidée et entrainée. À la suite de cette formation, il m’a employée durant les vacances d’été. De 2010 à 2012, j’ai été au chômage et le foyer avait besoin de quelqu’un six mois pour un remplacement de congé maternité. J’ai adoré travailler à l’accueil, pour la diversité des jeunes que l’on recevait. Le travail à l’accueil consiste à informer, à renseigner et à aider les résidents. À leur arrivée, on leur indique le numéro de leur chambre, l’étage et le fonctionnement du foyer avec les horaires du petit-déjeuner. À l’époque, les jeunes devaient laisser leur clé à l’accueil lorsqu’ils sortaient. Le matin, on réceptionne le courrier qu’on dispatche dans les casiers de chaque résident et lorsqu’ils viennent récupérer leur clé, on le leur donne. Il y a eu des périodes difficiles avec des gens qui venaient de l’extérieur pour voir des résidents et qui ne respectaient rien. J’ai dû empêcher quelqu’un de monter dans les étages et là, il a voulu me taper. J’ai été menacée, mais c’est pas pour ça que je n’ai pas aimé travailler ici. Si je pouvais, je reviendrais.
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Annick, résidente de 2005 à 2007
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LES ÉPOQUES Christine Agent d’accueil Alors moi je situe les époques en fonction des jeunes qui s’y trouvent. Je me souviens très bien des jeunes qui étaient là quand j’ai commencé. C’était le moment de la découverte de Kennedy, de ce travail et aussi de Poitiers parce que j’arrivais en ville. Par exemple, je me souviens d’une époque où on avait beaucoup de Chinois et c’est un moment où j’étais enceinte de ma fille. Et ils m’ont fait bouffer des trucs de fou, quoi ! Ils venaient me voir et « ça c’est bon pour le placenta, ça c’est bon pour le bébé, ça c’est bon pour la peau du ventre, ça c’est bon pour toi, ça c’est bon… » Je revenais le week-end, mon mari il me disait « mais ils te font manger n’importe quoi ! » Je savais pas ce que je mangeais : des fleurs de lotus, des œufs de machin. Ah ouais, mais c’était extra, ils faisaient beaucoup de cuisine en plus. Donc pour moi c’est ça, c’est plutôt par groupes de jeunes, c’est comme ça que je situe les périodes. On a eu la période chiante, où on se barricadait parce que des jeunes du quartier venaient squatter. C’était vraiment difficile et ça a laissé des traces, en tout cas dans mon esprit. J’ai jamais eu directement de gros problème, mais c’était très difficile à gérer, émotionnellement aussi. Quand tu venais le dimanche douze heures toute seule dans la tour, je peux te dire que quand venait le soir et que tu voyais ton collègue arriver t’étais content. Tu disais bon ça va, j’ai passé douze heures y a pas eu de nana qui s’est fait violer, y a pas eu de meurtre… Ça devient flippant, hein ! Mon mari, il me téléphonait 4 à 5 fois dans la journée pour savoir si tout allait bien. Monsieur Guyomard quand je faisais les lundis soirs, je lui disais moi je reste pas toute seule et il restait avec moi. C’était vers 2010, et puis ça s’est terminé. Y a eu plusieurs choses, y a eu des gars qui se sont fait arrêter, y en a eu qui sont partis, on a fermé le hall avec une porte trois-points, avant la porte était ouverte tout le temps dans la journée. Maintenant elle est fermée, on a mis les caméras. Voilà, ça plus ça plus ça. Y en a qui reviennent, mais plus sur le même mode du coup. Ils ont vieilli, ils disent bonjour
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Christine entourée de deux résidentes
madame. Moi j’ai jamais eu de soucis avec eux, mais voilà quand t’as huit mecs qui sont là, que t’es toute seule tu descends pour leur demander de sortir et qu’ils sortiront une heure après, bon bah voilà, c’est stressant, c’est flippant. Et malgré tout, quand ils étaient au rez-de-chaussée, c’est eux qui faisaient la loi, les résidents ils s’installaient plus. Mais moi, je me souviens mieux de l’époque avec les Chinois et tout. Ils m’ont éclatée. Je suis toujours en contact avec une. Y en a une qui est décédée et y en a une qui a eu un bébé avec un gars d’ici. Ah, y en a eu des bébés ici ! – Non, mais ici, il s’en passe des choses. – Houla ! On sait pas tout.
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Grace, rĂŠsidente en 2017
— Aujourd’hui, je passe à Kennedy, je ne reconnais pas le Kennedy que je connaissais ! — J’ai l’impression que tout le monde dit ça… — Ben oui, parce que tout le monde s’approprie une période.
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LE 13 JUILLET
Une visiteuse Samuel, actuel directeur Philippe, ancien directeur
VISITEUSE
Moi je suis guide-conférencière, j’avais proposé une visite des Couronneries, j’avais sonné la veille de ma visite à l’accueil, pour demander si je pourrais pas faire monter mon groupe tout en haut, parce que c’est la plus belle vue des Couronneries, et on m’a répondu oui, et j’ai fait monter mon groupe qui a été épaté par la vue. Y compris des habitants du quartier. SAMUEL
J’espère qu’il faisait beau parce que quand ça souffle là-haut, ça souffle, hein. PHILIPPE
Ce qu’il faut c’est monter la veille du 14 juillet. Tous les villages autour de Poitiers font leur feu d’artifice alors on peut tout voir : Saint-Benoît, Ligugé, Vouneuil, Chasseneuil, Montamisé, c’est sympa à faire. On avait eu une administratrice qui avait eu l’idée de faire prendre le petit-déjeuner sur la terrasse. Tous les jours. SAMUEL PHILIPPE
Mais il aurait fallu des rambardes.
On a eu un jeune un moment qui faisait de l’escalade sur les façades. Le matin y en a un qui descend qui dit : « y a un type qui est passé devant ma fenêtre », il habitait au sixième ! C’est haut !
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L’équipe de la Résidence Kennedy en 2017
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« ELLE » Pendant cinq semaines, des centaines de personnes sont venues participer à la construction d’une géante au sein de la Résidence Kennedy. Un spectacle déambulatoire réalisé par les habitants du quartier a eu lieu le 5 décembre 2015.
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Li se
Octobre 2007, Concert du Grand orchestre Taarab de Zanzibar
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L’AUBERGE ESPAGNOLE Stéphanie Résidente de 1995 à 2002 Je suis arrivée dans cet immense bâtiment en septembre 1995 sans me douter que j’allais y passer sept ans de ma vie. Ancienne Parisienne, j’étais émue de laisser derrière moi mes amies de Lycée, et pourtant excitée par cette nouvelle aventure qui commençait. J’allais intégrer la faculté de Droit, vivre loin de mes parents et connaître enfin une certaine autonomie. À l’époque, les chambres des filles et des garçons étaient séparées. Les unes étaient logées à gauche du bâtiment et les autres à droite, si ma mémoire est bonne. La clé de ma nouvelle chambre me fut remise par France. C’était au 7e étage : chambre 702. J’ai tout de suite été sous le charme de cette chambre. Peut-être que le lambris et l’armoire me faisaient penser à la Savoie… Toilettes et douches se trouvaient sur le palier. Le petit-déjeuner se prenait au réfectoire, les repas du midi et du soir au resto U. Le rituel du dimanche après-midi consistait tout d’abord à attendre que la machine à laver et le sèche-linge soient disponibles. L’accueil nous prévenait que notre tour était venu via le téléphone situé dans le couloir. Ensuite, direction la buanderie pour le repassage. Le fer, tout comme l’aspirateur, étaient prêtés par le foyer. Puis c’était les longues files d’attente aux cabines téléphoniques. Les éventuels messages étaient réceptionnés par l’accueil et nous étaient remis chaque fois que nous y passions. La vie en collectivité se passait plutôt bien.
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Moi en 2000
Des photos de ma chambr
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Quelques années plus tard des travaux furent entrepris. Chaque chambre fut équipée d’une cabine de douche et de toilettes, certaines furent aménagées en studio, avec un vrai coin-cuisine. J’ai eu la chance d’obtenir un studio : plus besoin de ressortir le soir pour manger au resto U. J’ai pu côtoyer des jeunes venus d’horizons géographiques ou sociaux différents : bulgares, mexicains, argentins, espagnols, réunionnais, mahorais, chinois, antillais, anglais, étudiants bien sûr, mais aussi des apprentis, des lycéens, des jeunes travailleurs, des stagiaires et tant d’autres… Le foyer était une sorte d’Auberge espagnole à l’instar du film de Cédric Klapisch. De tous ces bons moments, il me reste beaucoup de visages, mais hélas, avec les années, certains prénoms m’échappent… Pas très bonne en anglais ni en langues étrangères, il m’arrivait de mimer ce que je voulais expliquer, les autres essayaient de m’apprendre certaines de leurs expressions et tout cela terminait généralement en fou rire général. De ces rencontres, j’ai gardé certains liens, je pense à ma petite Christelle qui vit toujours à Poitiers et à Mathilde qui vit aujourd’hui à Brest. Des amitiés de 20 ans. Je me souviens encore de toutes les activités organisées : le ciné-club, les soirées gaufres, les soirées anniversaires, les parties de billards, et toutes les aides apportées, notamment pour l’utilisation d’internet. J’ai également un souvenir ému du personnel du Foyer Kennedy : je pense notamment à Claudine, Josiane, Christine, Marie-France, Joël, Christian et tant que j’oublie… Des personnes toujours souriantes, à l’écoute et bienveillantes, avec des paroles réconfortantes quand le besoin s’en faisait sentir. Je me souviens que chaque fois que je passais un partiel, il y avait toujours quelqu’un pour me dire un petit mot gentil et encourageant. C’est aussi à Kennedy que j’ai fait la plus belle rencontre de toutes, celle de mon conjoint Jérôme. Il était intérimaire, envoyé par une agence de Lyon pour travailler dans un bureau d’étude à Poitiers. À la fin de mon cursus, ne trouvant pas de travail sur Poitiers, nous avons décidé de nous installer en Rhône-Alpes, sa région d’origine. Aujourd’hui, nous avons deux petits garçons, Thomas et Eliott, âgés respectivement de deux et quatre ans.
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Christelle et Bénédicte en juin 2002
Fabienne en février 2002
Christelle et Mathilde en 2001
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C’ÉTAIT MA MAISON Christelle Résidente de 1999 à 2016 Je suis arrivée en 1999, j’habitais chez ma mère à Chalandray bien qu’avant j’habitais à Ayron. Je suis venue à Poitiers, j’étais encore à l’école. Quand je suis rentrée au foyer Kennedy, j’avais 21 ans et j’y suis venue quand j’ai commencé à travailler. Plus tard, j’ai trouvé un appartement. Maintenant j’habite route de Nouaillé. J’ai bien aimé habiter ici, j’ai rencontré plein d’amis avec lesquels je discutais beaucoup. À l’époque, le directeur s’appelait M. Guyomard, mais ça a changé par la suite. J’ai rien de spécial à raconter. Avant il y avait un cinéma dans la pièce où on est et on regardait des films. Pas des charlots, des films bien. Dans la salle 3, on fêtait les anniversaires. Je connaissais Josianne, qui travaillait à l’accueil, mais maintenant elle est à la retraite. Il y avait également Joël et les femmes de ménage, mais les nouveaux je les connais pas. J’aimais bien être ici, c’était ma maison. C’est plus ma maison, mais je viens de temps en temps, le week-end pour rendre visite à Christine. Pour les fêtes, il y avait de l’ambiance. On faisait un pot en salle 3 et on restait jusqu’à minuit. Christian, il était déjà là en 1999. Je suis la plus vieille d’ici.
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Christelle
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Dans ma chambre au 11e étage, en 2004
Une soirée avant Noël, on s’est bien amusé
Dans une chambre, avec une amie 82
Une soirĂŠe dans la salle oĂš on travaille
Halloween dans la salle du bar
Un voyage dans le Marais poitevin 83
Ma
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Octobre 2007, Concert du Grand orchestre Taarab de Zanzibar
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Joël, agent d’accueil de 1989 à 2017
SEMAINE ET WEEK-END Christine Agent d’accueil Ici le boulot c’est pas le même la semaine et le week-end. On ne voit pas les mêmes choses et on n’a pas les mêmes contacts. Quand tu travailles la semaine ici, y a des gens tu les vois pas. Ils partent le matin à 7h30 rentrent le soir après 18h. Si tu travailles à l’accueil en journée, tu les vois pas ces gens-là. Pour peu que ce soit des gens qui n’habitent pas très loin, ils rentrent chez eux le week-end. Par contre le week-end tu vois d’autres gens : ceux qui travaillent la semaine et que tu connais pas et puis t’as tous les étudiants… Des fois le week-end, y en a qui font la queue pour pouvoir discuter. C’est pas les mêmes contacts. Les résidents, ils ont aussi leur chouchou donc s’ils savent que tu travailles le week-end, ils vont venir te voir. Et puis c’est tout con, mais depuis que je travaille ici, je note toujours les anniversaires des jeunes qui vivent là. Et je leur souhaite quand je les croise. Et y en a ils sont super heureux, ils ont personne, pas de courrier, tu sais que personne ne leur a souhaité leur anniversaire. Peut-être un ou deux messages des copains, mais pas la famille.
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Nicolas, rĂŠsident en 2017
Tanguy, rĂŠsident en 2017
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CHAMBRES 515, 919 ET 1120 Gaël Résident de 2010 à 2017 Je suis arrivé au FJT Kennedy à la suite de problèmes familiaux. J’ai pu m’installer dans mon logement, mon premier logement, la chambre 515. J’ai passé quelques mois dans ce logement et j’ai profité de cette chambre pour me poser, prendre un nouveau départ et trouver un travail. Ensuite j’ai eu l’appartement 919 et j’y ai passé quelques années. J’ai mis de l’argent de côté. J’ai eu plusieurs emplois et j’ai encore changé de logement pour m’installer dans le studio 1120. J’ai passé plusieurs années dans ce studio. J’ai rencontré ma fiancée puis je me suis séparé. J’ai eu ma titularisation et maintenant j’ai ma propre maison, mon passage au FJT y est pour beaucoup.
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REFAIRE LE MONDE Frédéric Résident de 1998 à 1999 Je suis né à Lyon de parents réunionnais et j’ai passé la majorité de mon enfance à la Réunion. Grâce à divers organismes d’aides, j’ai pu bénéficier à l’âge de 23 ans, d’un financement pour aller étudier à Poitiers et passer mon BEP en sanitaire et social. C’était la première fois que je quittais mon île en tant qu’adulte.
J’y ai rencontré des personnes qui ont changé ma vision du monde. J’y ai rencontré mon premier grand amour, et aussi quelqu’un qui allait devenir plus qu’un frère pour moi.
Malgré un accueil sympathique du personnel du foyer, ma première semaine a été très dure. Petit créole perdu dans une ville lointaine, entouré d’inconnus et logé au dernier étage du foyer. Au bout de cette fameuse semaine, j’ai eu droit à une vraie chambre : la 906. J’ai toujours refusé les studios, trouvant les cuisines collectives plus conviviales.
J’ai des milliers d’anecdotes à raconter.
J’ai commencé à me faire des connaissances, puis des amis, pour finir par intégrer une petite bande des plus hétéroclites, mais très soudée : garçons et filles de Poitiers et ses environs, mais aussi d’autres nationalités. Chacun avec son histoire, son passé, sa culture et sa personnalité. J’ai pu m’investir aussi dans la vie du foyer en participant à diverses activités et soirées et en m’occupant du ciné-club. J’ai vécu ma petite vie à étudier, à faire la fête ou simplement à refaire le monde allongé sur les banquettes prés du billard jusqu’ à pas d’heure.
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Le temps a passé, j’ai connu d’autres villes, d’autres personnes. J’ai fini par rentrer à la Réunion des années plus tard. Je suis devenu moniteur éducateur. La standing ovation à ma première séance de ciné-club, alors que je voulais quitter la salle, de peur que le public n’apprécie pas le film que j’avais choisi (La Nuit du défi, une excellente série B). La finale de la coupe du monde avec les salles TV bondées. L’explosion de joie de tout le foyer à la victoire de 1998 ! (Merci Zizou) Le premier bouquet de fleurs que j’ai offert de ma vie. Les petits-déjeuners à l’arrache en retour de boîte le dimanche matin à 5h. Les potins et les divers commérages. Les odeurs suspectes quand les Japonais faisaient la cuisine. Les soirées jeux vidéos, avec cours le lendemain bien sûr. La gentillesse et la compréhension de Monsieur Couderc et du personnel du foyer, devant nos idées farfelues, nos blagues et surtout nos bêtises.
Cédric et Frédéric
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UN PETIT GROUPE SOUDÉ Jérôme Résident de 2010 à 2017 Originaire de la région, je suis arrivé à Kennedy fin 2010, pour une formation. Ce qui devait n’être qu’un séjour de courte durée s’est prolongé suite à des évènements indépendants de ma volonté et je suis finalement resté plus de six ans à la résidence. Pendant tout ce temps, j’ai eu le temps de bien connaître le lieu et de le voir évoluer. L’animation est devenue de plus en plus centrale au fur et à mesure des années. J’ai personnellement peu participé aux différents ateliers proposés, mais à chaque fois que ce fut le cas j’ai fait des rencontres enrichissantes. Nous avons constitué un petit groupe d’amis avec d’autres résidents, informel, mais très soudé. Nous nous voyions tous les jours, nous soutenions en cas d’imprévu, faisions régulièrement des repas et des soirées. Les personnes de ce groupe sont pour la plupart restées de très bons amis. Mais le temps passe, et petit à petit chacun d’entre nous a fini par quitter la résidence. Certains se sont même mis en colocation ensemble. J’ai finalement été le dernier du groupe à quitter Kennedy l’été dernier, en 2017. Je côtoie encore aujourd’hui les personnes que j’ai rencontrées au foyer, parmi lesquelles je compte mes amis les plus proches.
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Jérôme
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Geneviève, Monique, Françoise, Patricia et Dominique
LES COPINES ET LES COPAINS Je me suis fait des amis par l’intermédiaire de Marc, il était très avenant et passait du temps à l’accueil. Cette amitié existe encore 40 ans plus tard ! Avec Monique, Geneviève, Patricia, Françoise et Dominique (Bibiche), Gérard et Jacques, nous continuons à nous retrouver avec autant de plaisir.
Françoise Résidente de 1974 à 1977 Comme beaucoup, je suis arrivée au foyer avec mon premier travail, en janvier 1974. Après 3 ans, j’ai déménagé dans un appartement dans le quartier puis après mon mariage en 1983, nous avons acheté une maison à Chasseneuil-du-Poitou.
Patricia Résidente de 1978 à 1980 Pour moi aussi, le foyer a été mon premier logement avec mon premier travail à Poitiers. Puis j’ai emménagé dans un appartement derrière le foyer. En 1983, je me suis mariée avec un garçon extérieur au foyer. Nous avons acheté notre première maison en 1993 à Buxerolles.
Geneviève Résidente de 1977 à 1978 J’arrivais de Melle pour un poste à la Mairie de Poitiers détachée au Centre d’animation Aliénor d’Aquitaine, à 500 mètres du Foyer Kennedy. C’est là que j’ai pris possession de la chambre 903, de février 1977 à juin 1978 ! Je me suis mariée en juillet avec une personne extérieure au foyer.
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Monique Résidente de 1977 à 1980 Lorsque je suis rentrée dans la vie active sur Poitiers en octobre 1977, j’étais hébergée au foyer Kennedy pour éviter l’isolement et pour faire des rencontres. Nous étions bien accueillis et encadrés par des animateurs. Nous faisions des soirées entre copains et copines dans les chambres ainsi qu’à l’extérieur (pique-nique, ballades, piscine, bord de mer…) Nous regardions la TV en salle commune. Nous prenions nos repas au self. C’était très sympathique. J’y suis restée jusqu’en 1980 et j’y ai rencontré mon mari.
Dominique Résidente de 1977 à 1979 Je suis arrivée au foyer en décembre 1977, je n’avais pas dix-huit ans à l’époque. Mes parents quittaient Poitiers, et je commençais un travail en temps qu’apprentie à Buxerolles. La première nuit a été très mauvaise. Le lendemain matin, j’ai descendu les escaliers pour prendre le petit-déjeuner, mais je suis vite repartie, impressionnée par tout ce monde ! J’ai rencontré mon mari, Gérard qui lui n’était plus au foyer depuis quelques mois, mais qui venait toujours pour des animations et revoir ses amis. Nous avons huit ans d’écart, donc évidemment j’étais quand même impressionnée ! Patou m’a accompagnée pour choisir ma robe de mariée et fut mon témoin. Pour moi, ce ne sont que des bons souvenirs : mon indépendance, ma rencontre de Gérard, mes amis. Des souvenirs de soirées animées, en chansons, notre jeunesse ! Il y a des amis que nous avons perdus de vue et que j’aimerais revoir : Bernard, Marie dite Bianca, Pierre dit Pierrot et Dominique dite Nounours, Marc, Martial, Loïc, Simon, Louis et Hassem
1. Patou, Gérard, Dominique, Dominique, Pierre 2. Marc, Pierre, Patricia et petit Louis 3. Monique et Jacques 4. Marc 5. Marc, Maria, Simon et Martial
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6. Simon (chemise foncée), Françoise 7. Dominique, Martial, Loic 8. Pierre, Dominique (Bibiche), Assen et Maria 9. Chambre de Dominique (Bibiche) 10. Fin 1982, Jacques, Monique, Dominique
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Daniel, résident en 1980 et Gérard, résident de 1975 à 1977
FOOTBALL ET ÉLECTIONS Moïse et Richard, Kennedy’s Family, 1972-1975 MOÏSE
Moi j’ai été délégué des résidents, ici au foyer. J’assistais aux conseils d’administration, et quand y avait des doléances, c’est moi qui les présentais. Par exemple quand y avait une augmentation des tarifs et tout ça, c’est moi qui me bagarrais. Le directeur m’avait pris en grippe pour ça. Mais comme je jouais au Stade Poitevin à l’époque et que j’avais quand même une certaine notoriété, ça arrivait à passer, mais bon c’était chaud. Vous aviez été élu ? RICHARD
Ah ben sans mal, t’étais la personnalité du foyer, tu jouais en 2e division nationale, c’était quelque chose à l’époque. MOÏSE
Je jouais au foot, donc au foyer, j’étais un peu fédérateur. Donc quand on a parlé de vote, les gens ils ont présenté la personne qu’ils connaissaient le plus. Pour moi c’était pas difficile. Donc le foot c’était votre travail, de jeune travailleur ? MOÏSE
Non, à l’époque ça se passait pas comme ça. Y avait ce qu’on appelait les stagiaires pros. J’étais aux Chamois Niortais, je jouais en national en 3e division, et je voulais faire des études. Alors étant donné qu’il y avait pas de fac à Niort, j’ai demandé à venir à Poitiers. Un dirigeant des Chamois a financé toute une année de loyer au foyer, là j’étais installé. Mais vu que ça faisait loin Poitiers-Niort, j’ai finalement adopté le Stade Poitevin. Il y a eu un transfert. Gérard, résident de 1975 à 1977 GÉRARD
J’ai participé une année au conseil d’administration en tant que représentant des résidents. Nous avions des réunions mensuelles avec des administrateurs de la CAF, de la CNAF et d’EDF. À l’époque le directeur du foyer était Guy Raveleau. Joseph Joubert et Jean Chassac étaient animateurs. La première équipe de foot du foyer date de cette époque. Avec Joseph nous avons monté un championnat de football régional avec les foyers de La Rochelle, d’Angoulême, de Niort et de Cerizay. Les matchs se déroulaient en semaine le mercredi soir. Chaque équipe qui accueillait devait organiser une soirée avec animation dansante et offrir le repas. Imaginez une centaine de résidents se déplaçant en bus… très grosse ambiance pendant et après chaque match !
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Gérard et Dominique
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LE JOURNAL DES RÉSIDENTS Alors là je lis dans la rubrique astrologie : « Ne jouez pas avec le feu, car elle ne sera pas toujours là pour l’éteindre. » C’était quelqu’un qui se prétendait vraiment astrologue ou … ? Non. Elle cassait les autres résidents dont elle connaissait le signe astrologique. On avait eu un entretien un peu soutenu pour lui demander d’arrêter, mais elle nous disait que c’était pour rigoler… « Amour : vous ne connaîtrez jamais le grand amour », c’est du règlement de compte là ! Oui, un astrologue ne dit jamais « jamais », il dit « jusqu’à la semaine prochaine ». « Santé : c’est fichu ! », hahaha ! Le scorpion elle l’aimait pas ! « L’amabilité est une qualité qui se transforme chez certains en défaut. » T’as connu, toi, notre astrologue ? Non ? Je ne donnerai pas de nom, hein, on sait jamais si elle est devenue ministre de l’Intérieur…
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LES FILLES DU SAMU Florence Résidente de 1974 à 1976
Je suis rentrée le 15 juillet 1974 et je suis partie en 76, je venais de Dangé-Saint-Romain. J’ai d’abord habité dans les étages les plus bas, mais ensuite j’ai dû monter au 8e. On m’avait demandé de changer parce les filles qui conduisaient les SAMU avaient besoin de partir rapidement quand elles étaient appelées, alors il fallait leur laisser les chambres du bas. J’ai beaucoup de souvenirs d’odeurs, parce qu’il y avait des Antillais qui cuisinaient dans les petites cuisines des étages, y avait les musulmans qui faisaient la cuisine la nuit pendant le ramadan, et y avait des Africains qui cuisinaient des langoustines à la Dakatine, c’était bon ! Il y avait beaucoup d’Antillais qui travaillaient chez Michelin, et beaucoup d’entre eux se sont mariés avec des filles de l’hôpital. J’étais à l’école d’infirmières en psy, donc je travaillais. Alors la vie dans le foyer, je ne l’ai pas trop connue. Je revenais au foyer pour dormir, et le week-end je travaillais aussi. J’avais des repos en semaine, mais en même temps fallait aller aux cours donc… On était beaucoup de jeunes de l’hôpital à vivre ici.
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Ci-dessus : les cuisines du FJT dans les années 70 À gauche : Pascal, animateur cuisine en 2017
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L’accueil en 1977
LA BOÎTE À CLÉ Bernard Résident de 1971-1972 Bonjour, j’ai habité au foyer Kennedy en 1971-1972, il me semble que le directeur de cette époque s’appelait M. Raveleau. Il me reste peu de souvenirs de cette période, sauf une petite anecdote que je vous transmets. Tous les étages du Foyer des jeunes travailleurs (c’était son nom) étaient divisés en deux parties, une pour les filles et l’autre pour les garçons, une porte fermée à clé séparait ces deux parties, cette clé étant dans une boîte accrochée au mur avec une vitre à briser. Pour rencontrer les filles sans être vus nous passions par les escaliers de secours externes. Ce stratagème vite découvert amena des petits malins à en trouver un autre. La vitre à casser de la boîte à clé fut rendue démontable ce qui permit le va-et-vient comme vous pouvez l’imaginer.
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Roland, rĂŠsident de 1975 Ă 1977
DU SUCRE DANS MON RÉSERVOIR
Philippe, ancien directeur Roland, résident de 1975 à 1977 Samuel, actuel directeur Florence, résidente de 1974 à 1976
PHILIPPE ROLAND
Donc vous avez connu monsieur Duclos ? Ah ben oui je fais du vélo avec lui !
PHILIPPE SAMUEL
Ah il fait encore du vélo ? C’était un des veilleurs, non ?
PHILIPPE
Il faisait l’entretien, lui. Il est parti en 1991. Il faisait l’électricité, la plomberie. C’était un fan de musique, il collectionnait les disques vinyles. Chez lui, dans sa cave, il a un bar avec une collection de vinyles. Il réparait les vélos un moment. On l’appelait Dudu. FLORENCE
Y avait un club de vélo, y avait aussi des aquariums.
ROLAND
C’est lui qui s’en occupait aussi. Il avait deux trois grands aquariums avec des poissons, alors certains se mettaient à faire des aquariums, c’était leur activité. FLORENCE
Il y avait même un club d’aquarium qui venait ici.
ROLAND
Oui ça leur servait de siège social et puis ça faisait une animation. Moi, je m’étais inscrit dans un club de vélo. J’avais acheté mon propre vélo, mais après je savais pas où le mettre parce qu’on pouvait pas le monter dans les chambres, donc Duclos m’avait autorisé à le mettre dans une salle en bas. FLORENCE
En tous les cas, y avait pas de garage à solex, parce que moi une fois, pour aller en cours avec mon solex, j’ai dû pédaler, pédaler, et pareil au retour… Il y avait un marchand de vélo où il y a le marché, là, et il m’avait dit qu’on m’avait mis du sucre dans mon réservoir.
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Florence, rĂŠsidente de 1974 Ă 1976
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FAREWELL Przemysław Résident et administrateur de 2003 à 2009 Le Foyer Kennedy va fermer. Lieu de reconstruction pour certains, lieu de construction pour d’autres, ma tour de Babel ne sera plus. Finis ses ascenseurs exigus souvent en panne et ses kitchenettes remplies d’odeurs d’épices des quatre coins du monde et pourtant achetées au marché du dimanche ! Adieu toutes ces réprimandes pour les bruits de couloir, les pas pressés dans ses escaliers, les murmures bariolés de langues lointaines et les sons de guitare mal accordée ! Goodbye les amours lâches, les vraies passions et les battements chuchotés ! Farewell les ivresses du petit matin, les réveils tardifs et les promesses sans lendemain ! It’s done des retards de loyer et des conseils pratiques ! Tout cela n’aura plus jamais de résidence. Un jour viendra encore où je repenserai à toi, pierre qui bâtit mon édifice. Sans toi, ma vie aurait été plus morne et celle de bien d’autres aussi. Il ne restera que photos mal cadrées, souvenirs brumeux, amitiés fortes séparées par la distance, amours heureux et parfois féconds… Plus d’un, sans doute, dira encore : « je sais, j’y ai vécu ».
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La Résidence Habitat Jeunes Kennedy remercie : tous les résidents tous les membres du personnel l’ensemble des administrateurs et bénévoles de l’association qui ont participé à l’histoire du lieu depuis sa création Pour leur participation au projet : Julien Michaud, photographe Les éditions FLBLB et l’association La Vue est superbe Et pour leur soutien financier : l’Immobilière Atlantique Aménagement et Grand Poitiers
© Résidence Habitat Jeunes Kennedy, Éditions FLBLB et Julien Michaud Les textes et les images ne doivent pas être reproduits sans autorisation des auteurs et du photographe. ISBN : 978-2-35761-168-9 Dépôt légal : troisième trimestre 2018 Suivi éditorial : Thomas Dupuis Maquette et mise en page : Guillaume Heurtault Avec l’aide de Maëliss Font et Louis Rodrigues Achevé d’imprimer en juin 2018 par Pixartprinting Julien Michaud / www.maujufotoz.com
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Résidence Habitat Jeunes Kennedy Éditions FLBLB
ISBN : 978-2-35761-168-9