Conseil communal des jeunes de Poitiers EHPAD Marguerite Le Tillier
Éditions FLBLB
Des fraises écrasées sur une tartine de pain Conseil communal des jeunes de Poitiers EHPAD Marguerite Le Tillier
Éditions FLBLB
Des souvenirs de jardins Ils et elles ont entre treize et quatorze ans, élus au Conseil communal des jeunes de la ville de Poitiers. Au printemps 2017, les membres de la commission solidarité souhaitent développer une action en direction des personnes âgées. Un projet s’amorce avec les résidents de l’EHPAD Marguerite le Tillier. Une envie de jardin partagé, prétexte aux échanges les mains dans la terre. Ils et elles ont, pour la plupart, dépassé les quatre-vingt ans. À l’évocation des jardins, les souvenirs refont surface. Les émotions, les goûts, les odeurs, les couleurs… souvenirs d’une vie qui a commencé au début du siècle dernier, bien avant celles des jeunes élus. Dans le courant de l’année, nous organisons des rencontres entre ces deux générations. Les plus jeunes écoutent et s’interrogent. Nous leur laissons le soin de raconter, à leur tour, cette mémoire qui s’en va.
Lorsque j’étais enfant, j’habitais à la Chaume de la Cueille à Poitiers.
Jean
Nous étions en bord de campagne, il faut imaginer un paysage de ferme.
Nous avions un grand jardin où nous plantions tous les légumes.
Dont des potimarrons ?
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Nous plantions des citrouilles, oui. Les courges on les réservait pour les cochons.
Le potager se trouvait à l’extérieur de Poitiers…
… et à cette époque, tout ce qui entrait en ville était taxé : le vin, les pommes de terre et tous les autres légumes.
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Ça c’est mon père. Il était conseiller municipal après la guerre.
C’est lui qui a proposé la construction de la première passerelle reliant Les Rocs au centre-ville.
Vraiment ?
Oui, je m’en souviens bien.
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Nous habitions loin du centre-ville.
Mon père tenait à faciliter la vie des gens.
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C’est pour ça qu’il a voulu cette passerelle. J’étais petit et c’est lui qui l’a inaugurée.
Dites, il a grandi Jean !
Oui, et c’est un bon garçon. Je l’enverrai au collège comme ses frères et sœurs..
Vous voyez là-bas, c’est où nous habitons. Venez nous voir quand vous voulez.
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Merci d’être venu, cette œuvre architecturale va accélérer nos vies…
Le matin vous n’aurez plus besoin de faire le tour de la ville pour accéder au centre, vous ferez vos courses rapidement.
Mon père était très arrangeant.
C’est le début de la modernisation de Poitiers…
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Il avait fait un discours d’une demi-heure.
La passerelle était inaugurée en grande pompe.
Nous avons pris une photo finale. C’est moi là, au premier plan.
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Pour en revenir au jardin, mon père a cultivé le sien jusqu’à la fin de sa vie !
Je me rappelle qu’il avait acheté une charrue à âne. Mais tous les sous ayant été mis dans la charrue, il n’en avait plus assez pour l’âne. C’est donc moi qui l’ai remplacé.
J’ai fait l’âne pour mon père !
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Par exemple, mon petit plaisir, c’était d’écraser les fraises fraîchement cueillies sur des tartines de pain.
Le jardin, c’était quand même une corvée. Mais j’en garde de bons souvenirs.
Il me revient une anecdote particulièrement délicieuse ! Dans notre jardin nous avions des pêchers qui donnaient beaucoup de fruits…
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… se trouvait un orphelinat où étaient des enfants malheureux.
…et sur la route de Salvert…
Les après-midi, ils sortaient prendre l’air.
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À la saison, ma mère ramenait des pêches de notre jardin.
Elle les déposait sous les marronniers le long de la route.
De manière à ce que les enfants puissent les ramasser en passant.
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Bonjour les enfants, venez voir par ici !
Il y a des pêches bien mûres sous les arbres !
Regardez ! Il y en a plein ici, elles vont se perdre…
Oh, super !
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C’est quand même bizarre, y’a plus un seul fruit dans l’arbre…
C’est vraiment bon !
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Qu’est-ce qu’on se sent mieux !
Au revoir madame et merci !
Au revoir les enfants !
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Comme tous les matins, je prends mon café. La télé est allumée, mais je ne suis pas intéressé par ce que raconte ce monsieur à la chevelure parfaite. Mon regard est attiré vers cet oiseau posé sur la façade du bâtiment voisin ?
Il met une telle énergie à fabriquer son nid qui, de toute façon, sera détruit par la prochaine pluie. Huit heures tapantes, il est temps pour moi de partir au boulot. En marchant, j’observe le ciel depuis la rue. On ne lève jamais la tête, pourtant c’est magnifique.
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J’arrive au bureau, en ce moment je travaille sur la publicité d’une grande marque automobile. J’ai une idée, et pourquoi ne pas faire une mise en scène en roman-photo ? Tout le monde aime lire des romans-photos !
Dix heures du soir, j’ai fini, le patron va être content. Je prends mon manteau et je m’en vais. Je passe devant cette rue effrayante où les habitants ont le regard sombre. À quoi pensentils ? Je suis enfin chez moi, au chaud. Demain le réveil sonne à sept heures.
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Moi, je suis « pieds-noirs ». Je suis née en Algérie au début des années 1920 à Bône, Annaba en arabe…
Marguerite
Annaba ? Jean nous en a parlé, il a été mobilisé là-bas pendant la guerre d’Algérie. Vous vous êtes peut-être croisés il y a soixante ans !
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Oui, on en a parlé ensemble. C’est curieux hein ?
D’ailleurs, dans la famille on est curieux. Par exemple, je suis accro à la tablette que ma fille m’a offerte.
Est-ce que vous pouvez nous parler des jardins en Algérie ? Ça ne doit pas être les mêmes qu’à Poitiers ? C’est vrai.
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C’est un climat méditerranéen, il n’y a pas de gelée, pas de neige. Sauf aux points culminants des montagnes qui bordent la ville, c’était éblouissant !
Ça alors.
On avait une grande maison et un ancien verger avec neuf orangers et mandariniers, plus deux citronniers.
Et autour de chaque mandarinier, des violettes qui embaumaient.
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Il y avait des citrons toute l’année, c’était des citrons pas traités.
Les oranges, elles, murissaient en novembre.
Une fois, les oranges ont mal tourné et je ne les ai pas digérées. Je n’ai même pas pu aller en devoir d’anglais…
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Mmmh ! Voilà des violettes qui sentent vraiment bon.
Elles seront parfaites dans un pot pourri.
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Alors, qu’est-ce qu’il me manque ? Oh, regarde un lapin !
Ah oui ! Des hortensias, elles sont si belles !
Comme souvent, après un moment dans le jardin, Marguerite avait retrouvé le sourire.
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À l’ombre au nord du jardin, il y a les hortensias. Ma mère qui avait la main moins verte que moi, elle les jetait et ça prenait tout seul.
Et les arums blancs… de toute beauté. Ils commencent à fleurir le 28 février. C’est mon anniversaire.
Les clôtures sont bordées de bougainvilliers. Il y en a en Sicile, là où vit ma fille. Tout ce qui me rappelle mon enfance m’enchante !
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Et les cyclamens des bois. Je suis restée complètement déjantée avec les cyclamens. À sept ans, je faisais des kilomètres à pied avec mon papa et ma sœur au bord de la mer. À une certaine hauteur au-dessus de la mer, on se piquait pour cueillir des cyclamens et puis on replantait les bulbes dans le jardin.
Et bien je l’ai arraché…
… avec une lime à ongles.
Plus tard, pendant une balade dans les jardins d’Oxford, j’ai dit à ma sœur : « Oh un cyclamen ! »
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Oxford
e r u a M e t n i Sa ouraine de T Annaba
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Sicile
Il est huit heures et je pars pour le Lycée car j’ai un cours d’anglais. Mon père est malade, je suis inquiète pour lui. Mon cours est fini. C’était interressant mais je n’ai pas vraiment la tête à ça. Mon père, sa maladie… J’ai vingt minutes de marche pour rentrer chez moi. C’est long et fastidieux car il fait très chaud aujourd’hui.
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J’entends ma mère crier et pleurer dans la maison. Je m’attends au pire en espérant que ce ne soit pas mon père. J’ai peur ! Je n’ose pas avancer… Je n’entends plus les gémissements de douleur de mon père.Je rentre et découvre ce dernier mort sur son lit.Sur le moment, je n’éprouve rien. Mais soixante-dix ans plus tard, je n’ai toujours pas fait mon deuil.
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Alice Moi, je viens de Saint-Saviol, c’est un coin rural. Mes parents étaient éleveurs et cultivateurs.
Ils élevaient des chèvres. Un jour, ma grand-mère m’a dit : « essaye donc de tirer du lait à la chèvre ! »
J’avais que quatre ans !
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Mes parents faisaient du fromage et ma mère allait dans les bois ramasser des feuilles de châtaignier pour les emballer.
Nous revendions un peu du surplus de lait au laitier pour faire quelques sous.
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Vous voyez comment on fait du fromage ? Du lait, de la présure et du sel.
Car parfois les fromages se retrouvaient habités par des asticots non souhaités.
Après il fallait les préserver des mouches.
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Je me rappelle d’une fois où mes parents attendaient la mise bas d’une truie…
… et là, mauvaise surprise : il n’y avait qu’un seul petit. C’était un gros manque à gagner pour la ferme.
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Chez nous, le jardin était un jardin nourricier, et c’était un plaisir d’y travailler. Mon père plantait les légumes et moi j’arrosais. Nous avions un puits dans le jardin avec une pompe.
Nous n’achetions jamais de fruits ou de légumes, nous plantions tout ! Nous ramassions aussi les fraises des bois en plus de celles du jardin. Quel parfum !
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Mais moi, je voulais pas y aller à l’école !
À huit ans, je voulais devenir maîtresse d’école. Ma mère m’a dit : « Pour cela il faut aller à l’école ! »
J’y suis quand même allée jusqu’à mes douze ans. J’aimais bien le calcul.
Lors du certificat d’études, je donnais discrètement les réponses aux autres élèves…
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Une petite anecdote en passant. Pendant la guerre, j’avais un peu plus de treize ans, un jour de grande chaleur…
… une troupe de soldats allemands passe devant la ferme et nous demande à boire.
Mais nous on avait caché la pompe, et là ma mère nous a dit…
« Montrez-leur la pompe ! Les pauvres gars sont de simples soldats ! »
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Je me suis mariée à la fin de la guerre, mon mari revenait des prisons allemandes. Sa famille avait une grande maison et un grand jardin suffisant pour vivre. Il n’y avait pas de fleurs… Les fleurs ? Une perte de temps. Sauf du muguet, il y en avait partout.
À la mort de mon mari, il m’est devenu indispensable de travailler.
J’ai alors travaillé à la Pile Leclanché à Poitiers.
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Ça existe encore la Pile Leclanché ?
On va regarder sur internet…
C’est fou, parce que Jean il a aussi travaillé à la Pile Leclanché.
C’est tout ce que je trouve sur cette usine.
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Oui, lui c’était à Paris.
J’y faisais de la manutention, je rangeais les piles R20 sur des palettes, je brassais deux tonnes de piles par jour !
J’y ai travaillé avant et après l’Algérie. Aux accus, c’était pas plaisant non plus comme travail.
Si les jeunes n’étaient pas venus, on n’aurait jamais su qu’on avait travaillé tous les deux à Leclanché…
Le monde est petit hein !
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Les recueils de témoignages, leurs adaptations, les photographies, les dessins et les mises en scènes ont été réalisés par : Lili, Chiara, Lilou, Clémence, Elliott, Lucas, Etan et Julien, jeunes élus de la commission solidarité du 15e Conseil communal des jeunes de Poitiers Un grand merci aux résident·e·s de l’EHPAD d’avoir partagé leurs histoires : Jean, Marguerite, Alice, Simone, Ghislaine, Camille, Claudine, Gaby, Robert, Antonia, Denise et Mauricette Les entretiens et les ateliers qui ont suivis ce sont déroulés entre octobre 2017 et juin 2018. Ils ont été encadrés par : Philippe Bouet et Karine Trouvat, animateurs du Conseil communal des jeunes Florence Groux, animatrice à l’EHPAD Marguerite Le Tillier Guillaume Heurtault, de l’association La Vue est Superbe Thomas Dupuis, des éditions FLBLB —
Mise en page : Guillaume Heurtault et Louis Rodrigues Police de caractère : Neue Haas Unica Pro (Monotype) & Papier Sans (Smeltery) Achevé d’imprimé en octobre 2018 par Pixartprinting Dépôt légal : quatrième trimestre 2018 ISBN : 978-2-35761-174-0
ÉDITIONS FLBLB La Vue est Superbe 11 rue Marcel Paul 86000 POITIERS
VILLE DE POITIERS 15 place du Maréchal Leclerc CS 10569 86021 POITIERS Cedex
Tél. 05 49 00 40 96
Centre communal d’action sociale de Poitiers EHPAD Marguerite Le Tillier Tél. 05 49 00 73 83
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Conseil communal de jeunes Tél. 05 49 41 92 54 www.poitiers.fr
ISBN : 978-2-35761-174-0