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D’après VOYAGES EN ÉGYPTE ET EN NUBIE, SUIVIS D’UN VOYAGE SUR LA CÔTE DE LA MER ROUGE ET À L’OASIS DE JUPITER AMNON de Giovanni Belzoni 1821 pour l’édition originale en français, Librairie française et étrangère, Paris, traduit de l’anglais par G. B. Depping
Je dédie ce livre à mon oncle Jean-Luc G. J.
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on père était barbier, dans une petite pièce de la maison aménagée en salon de coiffure. Je n’ai jamais pris au sérieux l’éventualité de lui succéder. Je préférais rêver devant la grande roue des moulins à eau, qui tournait avec régularité sur les rivières et canaux de Padoue.
Tout jeune avec mes frères, nous fabriquions des petits moulins sur les gués. Peu à peu notre technique s’améliora, nous combinions entre elles des roues de tailles variées dont les plus grosses avoisinaient les deux mètres, des godets fixés aux pales projetaient l’eau dans les airs et avec un peu de chance on obtenait des arcs-en-ciel sous le soleil rasant du soir.
Les badauds retenaient leur souffle quand nous retirions la cale qui bloquait le mécanisme. On faisait tourner un chapeau pour récolter de la monnaie, certains nous laissaient du pain et du jambon avant de repartir en riant de notre ingéniosité. Un jour, un client de mon père lâcha le mot « hydraulique » pour qualifier nos réalisations et je me mis à rêver de devenir ingénieur pour échapper au salon de coiffure. À seize ans, je m’installai à Rome, et personne n’aurait pu me faire sortir de l’université sinon Napoléon, qui prit la ville en 1796. Je n’ai rien contre les Français mais je déteste les militaires. Voulant échapper au recrutement de force, je m’exilai en Angleterre.
Un ingénieur en hydraulique fils d’un barbier de Padoue est peu de chose en ce bas monde et je finis par échouer au théâtre de Sadler’s Wells, où le directeur voulut bien me laisser fabriquer des fontaines et des jets d’eau sur la scène, à condition que j’y torde aussi des barres de fer en public. Il faut dire que je mesure 2,01 m pour 130 kg, je ne dis pas qu’il n'y a que du muscle, mais enfin je me défends. Je gagnais ma vie comme saltimbanque et on me surnomma « le Samson de Patagonie ».
Dans ce théâtre, je rencontrai Sarah Banne, femme girafe de son état, de 8 ans et 8 cm ma cadette, que j’épousai en 1803.
Je ne sais si c’était la routine de la vie quotidienne ou l’approche de la quarantaine, mais 10 ans de numéros au Sadler’s Wells émoussèrent mon ardeur à faire éclater les chaînes avec mes pectoraux. Aussi quand le directeur du théâtre nous proposa une tournée en Espagne et au Portugal, nous acceptâmes derechef. À Lisbonne, je fis la connaissance providentielle d’un émissaire du pacha d’Égypte, qui m’apprit que Son Altesse recherchait des ingénieurs en hydraulique pour moderniser l’arrosage des champs.
Nous avions des économies pour six mois et le soir même, avec Sarah, nous décidâmes de tenter notre chance. James Curtin, notre jeune domestique, voulut se joindre à nous. Je le soupçonnais d’avoir commis quelque horrible crime qui l’empêchait de rentrer à Londres tant il mit d’ardeur dans sa demande.
De Lisbonne, nous nous embarquâmes pour l'île de Malte et le 19 mai 1815 un passeport nous fut délivré pour rejoindre l'Égypte.
VOYAGES
EN ÉGYPTE ET EN NUBIE DE GIAMBATTISTA
BELZONI PREMIER VOYAGE
scénario
GRÉGORY JARRY dessin
LUCIE CASTEL scéna rio du jour na l de
Sa r a h Be l zon i
NICOLE AUGEREAU
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onsieur Turner, un compatriote anglais avec qui nous avons loué un bateau pour descendre le Nil depuis Alexandrie, a obtenu du pacha une escorte pour l’accompagner voir une des Sept Merveilles du monde : les pyramides. Nous nous joignons à sa petite expédition et nous faisons la connaissance de divers Européens, tous issus de la haute bourgeoisie.
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Le brouillard se dissipe. Au sud, de petites pyramides marquent l’étendue de l’ancienne cité de Memphis, tandis qu’à l’ouest, le désert s’étend à perte de vue. Le Nil serpente à travers les plaines fertiles qu’il arrose jusqu’à la mer. À l’est, Le Caire élève ses nombreux minarets au pied du mont Mokattam.
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est ma première rencontre avec un soldat du pacha. Sa canne, semblable à une houlette, est munie d’un tranchant qui me laisse une entaille profonde. J’apprends par la suite que les militaires sont très en colère parce qu’on les oblige à servir comme en Europe : ils doivent marcher au pas, s’entraîner toute la journée et le premier qui renâcle, il va direct au trou. Croisant sur son chemin un Occidental dans son beau costume, l’occasion était trop belle de se venger lâchement… En attendant, je suis coincé dans notre baraque de Boulaq, en convalescence pour un mois. Le spectacle de la rue vaut bien celui des pyramides et je peux épier tout mon saoul ce peuple arabe qui monte et démonte des tentes, se déplace en famille, passe son temps assis par terre à fumer, chanter, réciter des prières debout, à genoux, couché, le tout dans un bordel sonore indescriptible qui ne faiblit pas la nuit tombée.
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ar la suite je revois le pacha et tente de le convaincre une dernière fois, mais en Égypte un projet qui commence par un accident est de mauvais augure… Le pacha me dit qu’il va réfléchir, et met sèchement fin à l’entrevue. Je comprends qu’il n’y a plus rien à espérer, et il n’est même pas question de m’indemniser pour le travail accompli. J’apprendrai plus tard que les porteurs d’eau du Nil ont fait pression pour que ma machine ne voie jamais le jour, pensant qu’elle menaçait directement leur travail de forçat, alors qu’elle aurait pu les soulager et améliorer les rendements.
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Pour sa relecture historique, merci à Philippe Mainterot, égyptologue, maître de conférences en histoire de l'art et archéologie à l'université de Poitiers Illustration d’intérieur de couverture : « Mode in which the young Memnon's head was removed », dans Forty-four plates illustrative of the researches and operations of G. B. Belzoni in Egypt and Nubia, Giovanni Belzoni, John Murray, 1820 Les gravures utilisées dans ce livre sont issues de : • Description de l’Égypte, Imprimerie impériale, 1809 • Ramsès le Grand ou l’Égypte il y a 3300 ans, Ferdinand de Lanoye, Librairie Hachette, 1872 • Magasin pittoresque, recueil de 1873 • Un hiver en Égypte, Eugène Poitou, Alfred Mame et fils éditeurs, 1875 • Le Journal illustré, recueil de 1870
DES MÊMES AUTEURS CHEZ LE MÊME ÉDITEUR : Grégory Jarry Ça va pas durer longtemps mais ça va faire très mal Savoir pour qui voter est important Debout le roman-photo ! Avec Otto T. Petite histoire de la Révolution française Petite histoire des colonies françaises Village toxique La Conquête de Mars Bart O’Poil en tournage Petite histoire du grand Texas Lucius Crassius Nicole Augereau Quand viennent les bêtes sauvages Tap-Tap Haïti Grégory Jarry et Nicole Augereau Zitoune On fait la course/On fait du toboggan Lucie Castel Afghanistan, Collectif Un corps, avec Philippe Vanderheyden (éd. L’employé du Moi) Krump la police (éd. Radio as Paper)
CC BY-NC-SA Éditions FLBLB, Grégory Jarry, Lucie Castel, Nicole Augereau, 2017 ISBN : 978-2-35761-135-1 • Dépôt légal : troisième trimestre 2017 Mise en page : Guillaume Heurtault et Thomas Dupuis Corrections : Nicole Augereau Achevé d’imprimer en septembre 2017 par Polygraph à Presˇov (Slovaquie). Éditions FLBLB 11 rue Marcel Paul, Poitiers · 05 49 00 40 96 · flblb.com
www.flblb.com Licence Creative Commons BY-NC-ND Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification
Voyages en Égypte et en Nubie de Giambattista Belzoni, premier voyage de Grégory Jarry, Lucie Castel et Nicole Augereau est paru le 16 novembre 2017 aux éditions FLBLB. Retrouvez en accès libre, l’intégralité du livre en six épisodes dans le Club de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/edition/voyages-en-egypte-et-en-nubie-de-giam-bat-tista-belzoni Vous pouvez télécharger, partager, reproduire, imprimer ce PDF. Rien ne vous empêche d’aller aussi acheter le livre en librairie pour l’offrir à votre sœur, à votre père ou à vos petits neveux !