Geert Van Oyen
le livre et le rouleau
Lire l’Êvangile de Marc
un roman
Geert VAN OYEN
Lire l’évangile de Marc comme un roman Traduit du néerlandais par Michel Perquy
Pour l’édition originale en néerlandais intitulée : De Marcus code © 2005, NV Uitgeverij Altiora Averbode Pour la traduction française, © 2011 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Le livre et le rouleau 38 ISBN : 978-2-87299-211-9 D 2011/4255/11
Diffusion cerf
PréfAcE
cher lecteur, Le livre que vous avez entre les mains répond à un désir de l’auteur : faire connaître l’état actuel de l’exégèse sur l’évangile de Marc en dehors de l’univers académique des spécialistes des sciences bibliques. Il se compose de deux grandes parties. La première explique pourquoi il est important aujourd’hui de lire la Bible d’une façon différente de celle qui a eu cours pendant de longs siècles, plus précisément depuis l’exégèse critique du xviie siècle. Pour faire bref : il s’agit moins d’être informé par la Bible que de se laisser transformer par elle. c’est seulement quand la Bible touche le lecteur dans sa vie personnelle que le texte prend tout son sens. En vue de réaliser cette rencontre entre le texte et le lecteur, la méthode narratologique peut être un excellent guide. Dans la seconde partie, le lecteur est invité à entamer le dialogue avec le texte de l’évangile selon Marc. Par le biais de divers aspects narratifs du récit, on découvre comment l’auteur de Marc maîtrise l’art d’attribuer une part active au lecteur lorsqu’il s’agit de donner du sens au texte. c’est précisément la découverte que nous proposent les récentes recherches exégétiques : il appartient au lecteur de s’investir activement pour élaborer la signification du texte. Le terme « lecteur » semble d’ailleurs peut-être un peu trop général. Il pourrait susciter la question de savoir si le livre présent vous est bien destiné. Vous seriez peut-être en droit de penser que vous avez déjà lu tant de livres sur Marc qu’il ne vous reste rien de neuf à découvrir. Ou inversement, que vous n’avez jamais rien lu sur Marc
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Préface
et qu’il ne peut vous être utile de commencer maintenant. Or, il n’existe pas d’autre moyen de savoir ce qu’il en est que de prendre le risque et de se mettre à lire. La seule condition à remplir se résume en fait à une certaine candeur. En tant que lecteur averti de l’évangile de Marc, je me suis efforcé de mon côté de me situer dans une position vulnérable par rapport au lecteur sans malice. Nous vivons une époque où l’église et la société traversent des crises très graves qui ébranlent ce qui reste de confiance et de certitude parmi nos contemporains. Dès lors, il est d’autant plus important de retourner aux textes sources de notre tradition en abandonnant tout le ballast du passé afin de retrouver ainsi la fraîcheur et l’énergie des origines. La finalité de ce livre est donc qu’une fois la lecture terminée, les lecteurs entament entre eux un dialogue sur cet évangile de Marc. Vu la conception de ce livre, je n’ai pas souhaité le charger de notes de bas de page à caractère scientifique. Pour la même raison, j’ai choisi de ne pas mener ici le débat avec des collègues de la même discipline : les congrès spécifiques et les revues spécialisées y pourvoient largement. cependant, le lecteur tant soit peu curieux trouvera à la fin de chacun des chapitres une modeste bibliographie de quelques livres à conseiller dont les auteurs sont la plupart du temps mentionnés au cours du chapitre qui précède. Il va de soi qu’il y a beaucoup plus de choses à dire ou à écrire sur Marc que ne contient ce petit livre. Je songe par exemple au thème de l’angoisse ou encore des soi-disant « petits personnages ». Mais j’ai tenté d’évoquer ici des choses essentielles en me basant sur la richesse des contacts que j’ai pu avoir à l’occasion des nombreuses conférences et allocutions tenues pour des groupes très divers. Les auditeurs ont plus d’une fois insisté pour que je transpose la parole dite en parole écrite. Notons enfin que la traduction des citations de l’évangile est reprise à la Bible de Jérusalem (1998). La version originale en néerlandais de ce livre a obtenu en 2005 le prix bisannuel du meilleur livre religieux en flandre. La version française comporte plusieurs modifications, particulièrement aux chapitres 8 et 9. Je tiens à exprimer ma gratitude envers Michel Perquy pour la manière dont il s’est investi dans la réalisation de cette traduction. Il se montre toujours aussi engagé qu’en 1978, lorsqu’il m’a appris au collège à lire les auteurs français. Je dis
Préface
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encore merci aux éditions Lessius pour avoir estimé ce petit livre digne de figurer au catalogue de la précieuse collection Le Livre et le rouleau. Je dédie volontiers ce livre à mes collègues de la faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain à Louvain-laNeuve qui m’ont si chaleureusement accueilli depuis que je les ai rejoints en septembre 2009. geert van oyen.
Première partie LIrE LA BIBLE AUJOUrD’hUI
1.¥MArc : UN « rOMAN » éNIGMAtIqUE
Lire un livre de la Bible comme un roman. ce livre parle d’un autre livre, l’évangile de Marc. Alors que le volume des publications scientifiques sur cet évangile est déjà incalculable, des exégètes continuent à produire tous les mois des dizaines de livres et d’articles. Dès lors, quand on songe à écrire un énième livre sur Marc, il convient de démontrer d’abord en quoi il sera innovateur. quant à moi, j’ai entamé mes recherches sur le plus ancien des évangiles en 1985 et ma plus grande découverte de ces vingtcinq dernières années n’a rien de sensationnel et ne fera donc jamais la une des journaux. Je n’ai pas découvert de bout de vieux parchemin jetant une toute nouvelle lumière sur Jésus et démasquant les évangiles comme des faux. Je n’ai pas découvert de vision spectaculaire sur Jésus, susceptible d’engendrer une révolution parmi les croyants ni de saper leur foi. Le livre ne contient pas de secret déchiffrable par quelques rares initiés et inaccessible à tous les autres. Il m’est encore apparu que, malgré le fait que presque chaque mot de ce texte peut susciter de longues discussions parmi les savants de la Bible, point n’est besoin d’être un spécialiste pour comprendre de quoi il s’agit dans ce livre. Bref, rien de sensationnel. Mais alors, que m’ont apporté ces longues années de recherche ? certes, l’évangile de Marc n’est pas une fiction. Mais, en essayant de résumer, je crois avoir appris que plus on lit l’évangile de Marc comme un roman, plus le potentiel de significations surgissant du
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Lire la Bible aujourd’hui
texte ainsi que le nombre de gens susceptibles d’être touchés par le texte deviennent importants. Lire l’évangile comme un roman ? Mais est-ce seulement autorisé ? N’est-ce pas manquer de respect envers un livre qui fait partie des Saintes écritures ? Les livres de la Bible ne sont pas des romans, voyons ! « Ils sont la Parole de Dieu », disent les croyants. « ce sont des documents historiques intéressants », disent les historiens des religions. revenons plus tard sur ces assertions. Je souhaite me limiter ici à une première approche de la thèse selon laquelle il peut surgir une pluralité de significations d’un texte. cette éventualité ne plaît pas à tout le monde. Il est tellement plus confortable de penser qu’un texte ne peut donner lieu qu’à une seule signification. c’est d’ailleurs ce qui se pense le plus souvent, parce qu’on est convaincu des nombreux avantages que cela présente. Ainsi, certains se cramponnent à partir de leur tradition ecclésiale à une lecture servile qui leur donne la sensation de se trouver en terrain connu : tout ce qui se trouve dans le texte est véritablement arrivé et il n’est pas bon ni même permis d’en douter ; et même si tout ne relève pas de la vérité historique, le contenu renferme avec certitude des bases solides permettant d’ériger une dogmatique indiscutable de la foi. En s’imaginant la vérité d’un évangile de cette façon, on se crée sans doute un univers de certitudes, mais on risque de ne plus pouvoir entrer en dialogue avec des lecteurs plus critiques et pourtant tout aussi croyants. D’autres ne jurent que par une méthode exégétique bien précise. Ils espèrent, par exemple, découvrir les intentions de Marc en reconstituant une certaine situation historique qui pourrait avoir conduit l’évangéliste à écrire son livre. Mais il n’est pas aisé de retrouver la façon de penser de Marc. Déjà, les scientifiques diffèrent d’avis sur ce qu’ont pu être les circonstances historiques et cela, pour une raison toute simple : nous ne savons pas qui est l’auteur de l’évangile de Marc ! Nous ne savons pas où il a écrit son livre et nous ne savons même pas précisément quand il l’a fait. Une telle approche suscite par ailleurs d’autres problèmes. comment expliquer que le texte de Marc ait eu une telle influence si on restreint son interprétation à ce décor historique ? Et quelle est la signification du texte pour un lecteur d’aujourd’hui si l’objectif de l’interprétation se limite à la reconstitution historique ? Enfin, quelle
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2.¥UN PROGRAMME ANTIVIRUS POUR LA BIBLE
Un livre mangé des mites. Les virus. N’en parlez pas aux utilisateurs d’ordinateurs. Ils perturbent les programmes de communication ou d’information et créent la pagaille dans les données enregistrées. Il suffit d’une annonce d’attaque par un virus ou un ver informatique pour faire souffler un vent de panique sur la planète entière. Sans programmes antivirus, l’univers (numérique) ne fonctionne pas. Une petite heure de panne du système informatique dans une grande institution financière risque d’engendrer des dommages à chiffrer en millions d’euros. La Bible à son tour semble atteinte par les virus. Non qu’elle s’attende à l’attaque de l’un ou l’autre pirate informatique, loin de là. La situation actuelle de la Bible résulte plutôt d’un processus de longue date : les données dans la Bible ne sont plus ou presque plus compréhensibles et si quelqu’un croit les comprendre, il n’arrive souvent plus à les communiquer aux gens de notre époque. Bref, le message du livre ne passe plus. Pour cause de bon ou de mauvais usage durant de longs siècles, des passages de la Bible ont perdu pour le moins leur force originale ou sont même devenus carrément suspects aux yeux de nombreuses gens. Il en résulte une confusion et un désintérêt qui creusent à leur tour encore l’écart avec les lecteurs. Ajoutons que l’Église, l’institution où le Livre occupe depuis toujours la place centrale, se trouve, elle aussi, en état de crise et il est clair que la situation de la Bible n’est pas très rose. Avec un peu de réalisme, il
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3.¥AVANT DE LIRE : ÉLIMINER LES MALENTENDUS
Introduction. Ce chapitre est destiné aux lecteurs qui ne choisissent pas spontanément un livre sur la Bible à la bibliothèque. En tant qu’auteur, ceci me pose évidemment un problème, car toute la question est de savoir s’il existe une chance qu’ils prennent jamais ce petit livre-ci en main et, si oui, s’ils ne l’ont pas depuis longtemps refermé et mis de côté et n’arrivent donc jamais à ce chapitre. Dans ce cas, je me console en me disant que les quelques idées qui suivent peuvent aussi intéresser un public déjà conquis et que parmi celui-ci, il y en aura bien l’un ou l’autre qui en parlera autour de lui… Dans le chapitre précédent, on avait insisté sur les difficultés qui proviennent de la nature de la Bible même. Voyons maintenant les obstacles qui risquent de surgir du côté des lecteurs. Que les livres de la Bible ne figurent plus parmi les best-sellers ne provient pas uniquement du gouffre qui sépare l’époque des origines du Livre de notre monde contemporain. Dans l’Occident sécularisé, l’attitude critique dominante envers la Bible varie indéniablement entre l’indifférence, l’ignorance et l’aversion. Si je me limite à l’Occident, c’est que, tout au long d’un séjour de deux ans au Congo, j’ai pu faire l’expérience que c’est surtout en Occident que la Bible est un livre ignoré ou critiqué. Une fois les frontières d’une Europe de l’Ouest hypermatérialiste franchies — avec un petit mot d’excuse pour cette caractérisation et cette généralisation un peu grossières —
Avant de lire : éliminer les malentendus
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on rencontre des cultures qui fréquentent d’une façon ou d’une autre les textes chrétiens de l’origine ou d’autres traditions religieuses. Là-bas, la Bible n’est pas l’objet de critique ou d’ignorance, mais on la connaît sans la critiquer. Cette constatation n’implique pas le moindre reproche envers l’une ou l’autre position. L’approche sans critique de la Bible dans des parties du monde non occidental suscite elle aussi des problèmes, mais ce n’est pas le sujet qui nous occupe ici. Le fait est que l’histoire s’est développée différemment en Occident ; le cours des événements aurait peut-être pu être ralenti, mais il ne pouvait être stoppé. C’est pourquoi cette thèse est irréversible : si on trouve important que les gens d’aujourd’hui lisent la Bible, il faut tenir compte du fait que nous ne vivons plus dans un univers orienté par et vers la Bible. Il faut donc respecter la culture et la mentalité qui dominent ici et maintenant. Le terme « respecter » peut sembler un peu bizarre dans ce contexte, mais je suis convaincu que si on ne tient pas compte de ce qui se vit dans le groupe cible, toute parole sur la Bible risque d’être contreproductive. Si on ne s’ouvre pas à ce qui se vit dans notre société actuelle, toute tentative d’entamer une conversation sensée sur la Bible dans un cercle tant soit peu élargi est vouée à l’échec. Le premier pas dans le sens d’une bonne communication peut être de formuler correctement quelques malentendus très largement répandus concernant la Bible. On admet depuis un certain temps déjà qu’il ne faut plus chercher les causes principales de l’ambiance négative autour de la Bible dans la responsabilité individuelle de chaque homme moderne. Elle résulte bien plutôt d’une histoire vieille de quelques siècles qui a conduit à une série de malentendus et de contresens sur la Bible. Ce sont ces contresens — d’ailleurs souvent transformés en préjugés (irréfléchis ou non), il est vrai — qui rendent impossible de prendre encore précisément ce livre-là en mains. Dans la pratique, la Bible a disparu de la vie actuelle à un tel point qu’on ne connaît tout simplement plus le livre en question. Il demeure pour beaucoup un livre hermétique. Ce chapitre veut essayer de dresser l’inventaire des idées qui empêchent les gens, consciemment ou non, de faire ne fût-ce qu’une tentative pour ouvrir la Bible ou pour entamer une lecture sur la Bible. C’est l’unique prétention de
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Seconde partie L’ÉvangiLe seLon Marc
4.¥coMMent raconte L’ÉvangÉListe ?
Introduction. « alors, vous avez lu le dernier Houellebecq ? De quoi s’agit-il ? c’est quoi, l’histoire ? » on admet en général qu’en lisant, la plupart des gens cherchent à connaître le contenu : qu’est-ce qui arrive, de quoi s’agit-il ? en fait, il pourrait en aller de même pour l’évangile. toutefois, ce n’est pas un cadeau d’être appelé à raconter ce qu’il y a dans l’évangile, de faire une synthèse du contenu. on a en effet le sentiment que tout se situe au même niveau d’importance et qu’il faudrait reprendre l’un après l’autre chacun des épisodes. Une synthèse ne pourrait, par exemple, s’autoriser à omettre le baptême de Jésus ou le fait qu’il remettait les péchés ou qu’il a nourri cinq mille personnes ou encore qu’il a prédit la destruction du temple ou… comme l’histoire évangélique se compose d’une série d’anecdotes, elle donne l’impression de ne pas avoir de ligne narrative bien droite. et les choses se corsent davantage quand on se met à poser des questions théologiques et, par exemple, à se demander pourquoi Jésus est le Fils de Dieu. Peut-être seraient-ils même nombreux à répondre que chez Marc, ce n’est pas si évident que cela que Jésus soit le Fils de Dieu. on aurait pu s’attendre à un peu plus de clarté et à un langage sans détours de la part de l’évangéliste. il n’est vraiment pas étonnant que Marc ait été considéré pendant de longs siècles comme un piètre écrivain.
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L’évangile selon saint Marc
est-ce bien le cas ? notre premier évangéliste n’a-t-il pas réussi à faire partager à son public une histoire passionnante ? ou ce jugement négatif est-il essentiellement le fait d’exégètes qui ont toujours négligé de considérer le texte de Marc comme une narration ? Les chercheurs ont souvent fractionné la narration en de nombreux petits passages de sorte qu’il devenait difficile de faire une expérience de lecture de la totalité du livre. De plus, ils se focalisaient sur le contexte historique de chaque épisode. en faisant un jeu de mots en anglais, on pourrait dire : too much history, not enough story. et pourtant, enquêter sur la façon dont l’auteur communique avec ses lecteurs suppose qu’on considère l’évangile dans son ensemble comme une narration. Une atomisation ou un fractionnement en petits passages détourne l’attention du processus de lecture vers des questions de détails dans les parties séparées. Heureusement, les idées de certaines théories littéraires dans le secteur profane ont gagné du terrain dans l’étude de la Bible. et il faut dire qu’au cours des trois dernières décennies, l’initiative est venue en général de l’évangile selon Marc. Du point de vue méthodologique, on évoque un glissement d’une méthode de lecture diachronique vers une méthode synchronique. La première met en évidence les « strates » dont se compose le texte afin de se rapprocher le plus possible du noyau historique. c’est comme si on déblayait le texte par couches successives (dia-). Dans la seconde, on considère l’élaboration narrative d’un texte en interprétant les événements en tant que parties du texte tel qu’il se présente (syn-). Un élément essentiel de ces nouvelles méthodes est qu’elles n’autorisent à dire quelque chose du texte qu’après une lecture exhaustive. c’est pourquoi nous consacrerons les chapitres suivants à la ligne narrative concernant Jésus (chapitres 5 et 6) et les disciples (chapitre 7). Mais il est un autre aspect de cette lecture narrative que je souhaite traiter avant d’entamer le « quoi » du texte. il s’agit de la langue et du style du texte. en analyse littéraire, c’est l’élément de l’étude qu’on appelle rhétorique ou le « comment » de l’écriture du texte. il n’est alors plus tellement question de l’intrigue (qu’est-il arrivé, quand et avec qui ?), mais de la manière dont l’évangéliste a façonné les événements racontés. Le commentaire sur la manière dont l’auteur communique implicitement ou explicitement avec ses lecteurs en se servant de certains
5.¥JÉSUS AVEC POINT D’INTERROGATION
Ce chapitre doit nous faire avancer vers le contenu de l’évangile de Marc. Dès lors, plongeons d’emblée vers l’essentiel. Et ce pour une raison toute simple : l’objectif est d’obtenir une image parfaitement nette de l’impression générale du thème principal que Marc propose à ses lecteurs. Ensuite, il conviendra de situer toutes les autres idées ou questions dans ce cadre-là. En opérant différemment, on risque de buter sur de petits obstacles dans le texte qui empêchent de pénétrer jusqu’à l’essentiel. Il me semble que la question centrale est : comment l’image que l’évangéliste se fait de l’identité de Jésus arrive-t-elle auprès du lecteur ? Qui est Jésus ? Cette question nous plonge réellement au cœur de l’évangile. La manière exacte d’évaluer cette image est de lire attentivement l’évangile du début à la fin. La plupart du temps, nous entrons en contact avec l’évangile par la lecture ou l’étude, ou encore à travers la liturgie, mais presque toujours par des passages relativement brefs. Ce qui ne permet jamais de voir apparaître le grand courant narratif. Ce n’est qu’en s’imprégnant du grand ensemble qu’on parvient à soupçonner quelque chose de la dynamique et de la tension que l’évangéliste a voulu communiquer. Lire dans la réalité. Notre propos est d’analyser ici le processus d’expérience du lecteur par rapport au personnage de Jésus. Par l’analyse de cette expérience
Jésus avec point d’interrogation
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de lecture même, on découvre la façon d’opérer de l’évangéliste qui vise à communiquer son image de Jésus au lecteur. L’idée qui soustend le procédé de l’analyse narrative est que seul le texte rend possible la rencontre avec l’image de Jésus proposée par Marc. Les théories littéraires ont produit, entre autres, un modèle permettant de représenter la communication entre un auteur et ses lecteurs. On suppose pour commencer qu’il y a un auteur réel (l’évangéliste) et des lecteurs réels de chair et de sang (le groupe cible original). Mais ni l’un ni l’autre ne sont encore là et ils demeurent d’ailleurs d’illustres inconnus. Ce qu’on pourrait regretter, car on aurait pu leur poser pas mal de questions afin de nous éclairer sur les premières interprétations de l’évangile. Pour cause d’absence de l’auteur réel et des premiers lecteurs, la théorie littéraire a créé deux notions toutes neuves : un auteur implicite et un groupe de lecteurs implicites. Le lecteur implicite correspond à l’idéal d’un lecteur qui se situe le plus possible sur la même longueur d’ondes que le message du texte. L’auteur implicite correspond à l’image de l’auteur qui se dégage du texte. Tous les deux sont des réalités imaginées. En fait, cette création ne dit rien de plus que ça : il est possible de reconstituer à partir du texte un auteur et des lecteurs qui sont le reflet l’un de l’autre et qui envoient (l’auteur) ou reçoivent (lecteurs) un maximum de signaux correspondants. Une telle image reconstituée est cependant un idéal inaccessible, car les signaux d’un texte sont sinon indéfiniment, du moins extrêmement multiples. Mais au moins, ces concepts d’auteur et de lecteurs implicites supposent qu’on garde l’esprit largement ouvert dans l’interprétation du texte. L’interprétation n’est jamais « achevée », finie. Le texte demeure une invitation permanente à l’interprétation. Chaque nouvelle lecture est susceptible de révéler des choses dont on ne s’était pas rendu compte jusque-là. Mon opinion personnelle est que le rôle du lecteur implicite est très déterminé par le lecteur réel de l’instant, c’est-à-dire moi ou tout autre lecteur de l’évangile. Chaque lecteur individuel en prise avec le texte crée un auteur et un lecteur implicites à partir de ses propres possibilités et difficultés. Pour moi, le lecteur implicite n’existe pas au singulier. Il se compose des nombreuses constructions élaborées par autant de lecteurs réels. C’est pourquoi le rôle des lecteurs réels est toujours le plus important pour l’explication du texte.
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6.¥LE FARDEAU DES TITRES HONORIFIQUES
Introduction. Toutes ces questions sur Jésus apprennent au lecteur qu’il n’est pas évident du tout d’arriver à cerner l’identité du personnage. De plus, l’usage pour le moins flou des titres honorifiques accordés à Jésus constitue un autre aspect du contenu défini par la façon de raconter de Marc. Là encore, c’est un élément narratif surprenant pour des lecteurs de notre époque. Ils sont en effet nombreux à associer Jésus avec « Fils de Dieu ». Il s’agit d’une association évidente, souvent fondée sur la tradition, sans la moindre remise en question. Dès lors, les croyants sont ceux qui marquent pleinement leur accord avec la thèse : « Je crois en un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu » tandis que les incroyants sont ceux qui rejettent cette thèse : pour eux, Jésus a été un être d’une bonté exceptionnelle, mais il y en a eu d’autres comme lui. Les deux groupes se trouvent ainsi en opposition. Or, le narrateur de l’évangile de Marc aborde la question d’une tout autre façon. Il ne décrit pas en noir et blanc deux catégories dont l’une traiterait Jésus avec les titres qu’il faut et l’autre pas. L’opposition ne se situe pas au niveau de ceux qui croient et de ceux qui ne croient pas. Surtout pas lorsque le seul enjeu n’est qu’une question de profession de foi correcte. Il semble bien que dans le texte de Marc, le narrateur dépasse cette polémique. Cette interprétation s’accorde d’ailleurs tout à fait avec ce que j’ai pu écrire dans l’introduction, c’est-à-dire que cet évangile est destiné à tout le
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L’évangile selon saint Marc
monde. Il n’est pas nécessaire d’avoir établi préalablement si on est croyant ou non pour trouver un sens dans ce texte. Ce serait une fausse alternative par rapport à l’évangile de Marc. La foi ne dépend pas tout d’abord d’une profession de foi correcte. Elle doit trouver sa place dans le processus de croissance dans la vie de tout être humain, avec comme principal élément la confrontation avec Jésus. L’évangéliste est convaincu qu’une rencontre avec Jésus a des conséquences pour la manière d’aborder la vie. Sans vouloir écarter complètement le contexte original, une christologie narrative semble dès lors l’approche la plus indiquée pour réfléchir à l’identité de Jésus. Celle-ci part en effet de la dynamique de la narration et non de l’analyse historique et philologique des titres. Lorsqu’il sera question de titres ici, ce sera à partir de leur fonction dans la narration. Où les trouve-t-on ? Combien de fois ? Qui s’en sert et qui pas ? Engendrent-ils un conflit ? Ou sont-ils au contraire approuvés ? Jésus et ses titres honorifiques. Dans les recherches sur l’évangile de Marc, un des grands sujets de débat est de savoir quel est le titre qui exprime le mieux l’opinion de l’évangéliste sur Jésus. Ces dénominations de Jésus sont appelées « titres christologiques » parce qu’elles désignent la seigneurie ou la divinité de Jésus. Ces titres contiennent en fait la croyance des premiers chrétiens et, à ce titre, ils sont importants. Ils révèlent quand et dans quels groupes on s’est mis à parler de Jésus de telle ou telle façon. En ce qui concerne Marc, il s’agit concrètement de « Fils de Dieu », « Messie » ou « Christ », « Fils de l’homme », « fils de David » et « Seigneur ». Il ne semble pas vraiment difficile de vérifier lequel de ces titres correspond le mieux à la propre vision de Marc. On peut en effet très raisonnablement supposer que le titre mentionné dans l’en-tête de son œuvre — c’est ainsi qu’on peut considérer le premier verset — exprime son opinion personnelle. 1,1 : Commencement de l’évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu.
D’après le narrateur, Jésus est Fils de Dieu et Christ. Il me faut observer par souci d’honnêteté qu’on continue à discuter pour
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7.¥LES DISCIPLES ET JÉSUS
Après Jésus, les personnages les plus importants dans l’évangile sont les disciples. Ce sont les partisans directs de Jésus. Aux yeux de Marc, la signification profonde de Jésus n’apparaît qu’en envisageant ses rapports avec les disciples. À travers leur attitude et leurs réactions, le lecteur ne se forme pas seulement une image des disciples, mais aussi de Jésus. Ils font fonction de miroir dans lequel on peut lire les effets des faits et gestes de Jésus. Il est donc important de faire une analyse approfondie de ce qu’ils font ou ne font pas. Comprendre le rôle des disciples est d’une importance capitale pour analyser l’expérience de lecture. Cela provient entre autres du fait que les disciples forment un groupe qui sera présent du début à la fin. C’est un phénomène bien connu qu’un lecteur — tout comme un spectateur au cinéma — s’identifie volontiers à l’un ou l’autre personnage de l’histoire qui se déroule sous ses yeux. Cette identification leur fait choisir normalement des personnages envers lesquels ils éprouvent de la sympathie. Il semble que dans Marc, la plupart des lecteurs s’identifient aux disciples. Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que ces disciples sont, après Jésus, les premiers personnages à apparaître dans l’histoire et que, grâce à leur attitude initialement approbatrice à l’égard de Jésus, ils laissent une impression positive. Mais cette identification initiale entre les disciples et les lecteurs ne se déroulera pas selon un processus rectiligne dans les développements ultérieurs de la narration. Finalement, suivre la ligne narrative des disciples conduit le lecteur à une confrontation avec lui-même.
Les disciples et Jésus
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Le premier choix. Dans la foulée de la synthèse de son message (1,14-15), Jésus appelle d’abord quatre disciples : Pierre et André, Jacques et Jean. Ce sont les premiers qui se trouvent près de lui et qui se voient invités à le suivre. Le lecteur reconnaîtra dans cette narration la main de l’écrivain Marc (répétition et doublets) : 1,16-20 : Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, qui jetaient l’épervier dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. Et Jésus leur dit : « Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes. » Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent. Et s’avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, eux aussi dans leur barque en train d’arranger les filets ; et aussitôt il les appela. Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec les employés, ils partirent à sa suite.
La mission de ces premiers disciples n’est pas une mince affaire : abandonner biens et personnes pour devenir « pêcheurs d’hommes ». Il n’est d’ailleurs aucunement précisé en quoi consiste cette dernière activité. Le seul cadre de référence serait le sommaire du programme de Jésus dans les versets qui précèdent. Il y évoque la proximité du Royaume de Dieu et des conséquences qu’elle peut entraîner pour le comportement des êtres humains (conversion, foi en l’évangile). Les quatre deviennent donc des collaborateurs dans ce programme. Ce passage, sans la moindre rupture, de l’annonce du Royaume par Jésus à l’appel des premiers disciples est de nature à susciter des idées et quelques attentes auprès du lecteur. Tout d’abord, l’action de Jésus n’est pas un fait isolé. Il n’est pas venu tout seul pour réaliser une prestation individuelle et disparaître ensuite. Il suppose que sa tâche est si immense qu’il aura bien besoin de collaborateurs. Ensuite, il semble que l’avènement du Royaume de Dieu ne soit pas uniquement une affaire de Dieu, mais qu’il implique aussi les êtres humains. Il est confié à des êtres humains qui partageront les responsabilités et qui seront tenus de le réaliser avec Dieu. Dieu et les êtres humains ne se trouvent ni séparés ni opposés. Et enfin, un succès éventuel des disciples dépendra de la mesure de leur engagement aux côtés de Jésus. L’ap-
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8.¥LA FORCE DES SANS-POUVOIR
Introduction. Dans la section des trois annonces de la Passion, l’évangéliste décrit comment Jésus se rend plein d’assurance à Jérusalem (8,2710,52). Sachant ce qui l’attend, il poursuit néanmoins volontairement sa route. Cette attitude de Jésus ne fait pas l’unanimité parmi les exégètes. On peut en effet s’interroger sur ce que fait Jésus. Cherchait-il consciemment à souffrir ? Savait-il qu’il allait ressusciter et ce savoir suffisait-il pour évacuer la peur ? Et, s’il avait la prescience de tout cela, pourquoi n’a-t-il rien entrepris pour fuir ce terrible sort ? La question est d’autant plus passionnante que la première annonce de la Passion dit explicitement que « le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir » (8,31). Des experts bibliques ont traditionnellement interprété ce verbe « devoir » (en grec : dei) comme une nécessité divine. Jésus poursuit ce chemin parce que c’est la volonté de Dieu. Dès lors, il n’est pas étonnant que cette interprétation ait conduit nombre de gens à se faire l’image d’un Dieu chrétien cruel qui veut la mort de son propre fils. Il n’est pas possible dans ce contexte-ci d’approfondir la problématique universelle de la souffrance, mais soulignons quand même qu’il est encore par trop fréquent d’entendre le malentendu selon lequel le christianisme possède la solution au problème du mal ou de la souffrance. L’hypothèse que Dieu voudrait le mal n’est pas une option à retenir. La façon dont les lecteurs interprètent la souffrance
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L’évangile selon saint Marc
dans la narration de Marc dépend probablement en grande partie de l’opinion sur la souffrance qu’ils s’étaient déjà formée préalablement, une opinion généralement basée sur des expériences propres. De son côté, l’évangéliste ne donne guère d’explications transparentes sur la souffrance de Jésus. Ce qui signifie qu’il est laissé aux lecteurs une grande liberté pour remplir la signification de cette souffrance. Pour ce chapitre, je suis parti de l’idée qu’on lit trop souvent les évangiles dans le désir de trouver une réponse au « problème de la souffrance ». C’est une approche bien trop générale pour la narration de Marc et c’est pourquoi je poursuis la ligne narrative de la communication entre le texte et le lecteur. Jésus, Dieu et la souffrance. Pour bien saisir la relation entre Jésus et Dieu par rapport à la souffrance, il ne faut pas isoler les chapitres sur la Passion de Jésus du reste de l’évangile. Que Dieu soit concerné par la souffrance de Jésus ne devrait pas surprendre le lecteur qui a lu la totalité du texte. L’évangéliste présente en effet dès le début Jésus et Dieu comme deux partenaires concernés par une cause commune. Les actes et les paroles de Jésus sont imprégnés de Dieu. Sa perspective sur le monde, sur les personnes et sur lui-même s’enracine dans l’annonce de l’avènement du Royaume de Dieu. Par deux fois, même, Dieu appellera Jésus son Fils. Si Jésus réfute cependant en public le titre « Fils de Dieu », c’est uniquement pour éviter le risque d’être mal compris. Et lorsque approchent les jours où Jésus devra souffrir, ni l’évangéliste ni Jésus n’y voient une raison de rayer Dieu de l’histoire de la vie de ce dernier. Bien au contraire. La relation entre Jésus et Dieu ne fait que s’intensifier. J’avance ici trois éléments relatifs à la relation entre Jésus et Dieu. Tout d’abord, la souffrance n’est pas vécue comme contraire à la volonté de Dieu. Ce qui est nettement différent par rapport à l’affirmation que Dieu souhaite la souffrance. Du point de vue narratif, il est important que le lecteur se rende compte que c’est bien Jésus qui prononce les mots « le Fils de l’homme doit souffrir » et non Dieu ou les adversaires ni les disciples. Dans la perspective
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9.¼Épilogue : oÚ est JÉsus ? La rÊponse de Dieu. 16,1-8 : Quand le sabbat fut passÊ, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et salomÊ achetèrent des aromates pour aller oindre le corps. et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil s’Êtant levÊ. elles se disaient entre elles :  Qui nous roulera la pierre hors de la porte du tombeau ?  et ayant levÊ les yeux, elles virent que la pierre avait ÊtÊ roulÊe de côtÊ : or elle Êtait fort grande. Étant entrÊes dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de stupeur. Mais il leur dit :  Ne vous effrayez pas. C’est JÊsus le NazarÊnien que vous cherchez, le CrucifiÊ : il est ressuscitÊ, il n’est pas ici. Voici le lieu oÚ on l’avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à pierre qu’il vous prÊcède en galilÊe : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.  elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles Êtaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur‌
Dans les dernières paroles de JÊsus sur la croix, Dieu semble i ntrouvable. seul Dieu en personne pourrait encore rÊpondre. Mais Dieu rÊpond-il à ce cri ? il est surprenant de constater que le narrateur accorde si peu d’attention à la suite de l’histoire alors que dans la tradition chrÊtienne, la rÊsurrection s’est prÊcisÊment imposÊe comme le cœur ou le point nÊvralgique même de la foi. la fin du livre chez Marc ne se compose que d’un bref appendice de huit versets oÚ il est question d’un tombeau vide. pas un mot sur les
Épilogue : oÚ est JÊsus ?
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a pparitions du Christ ressuscitÊ. et pourtant, ce rÊcit marque de son empreinte tout ce qui prÊcède puisqu’il exprime la rÊponse de Dieu à la mort de JÊsus.  il est ressuscitÊ, il n’est pas ici , dit un jeune homme tout de blanc vêtu. C’est la confirmation que JÊsus avait bel et bien raison quand il annonçait cette rÊsurrection plus haut dans l’Êvangile. À chose faite point de remède, dit la sagesse populaire. Mais cette fois, elle se fait manifestement contredire. si la mort de JÊsus avait semblÊ annoncer la fin dÊfinitive, cette mort même semble porter en elle le germe d’un nouveau commencement. Qu’est-ce qui se passe prÊcisÊment dans ce cas ? La fin du rÊcit et le lecteur. À la fin de l’Êvangile, une fois de plus, le rôle actif du lecteur dans la construction du sens est mis en exergue. en effet, on pourrait faire une lecture de l’Êvangile de Marc à partir de la finale en 16,1-8. l ’entreprise ne peut surprendre car, pour comprendre Marc, il faut comprendre la finale de Marc et plus particulièrement sa perspective sur la rÊsurrection. le rÊcit se termine par une fin ouverte : l’auteur ne raconte pas si les disciples rencontrent JÊsus en galilÊe. Mais il y a au moins trois indications dans le texte qui pointent la responsabilitÊ du lecteur rÊel pour qu’il continue à  Êcrire  l’Êvangile. le premier point est l’unitÊ des versets 7 et 8. Dans l’esprit du lecteur, ces deux versets crÊent une opposition incontestable. le verset 7 contient un message optimiste et plein d’espoir, tandis que le verset 8 reprÊsente son contraire, fait de peur, de fuite et de silence. Ce qui a conduit les biblistes à deux interprÊtations diffÊrentes. selon les uns, il faut coÝte que coÝte que le rÊcit se conclue positivement et ils s ’efforcent de sauvegarder la bonne nouvelle de l’Êvangile. ils mettent au centre le verset 7 et ils minimalisent et relativisent la peur et le silence des femmes. Mais rien ne fait prÊsumer que le silence des femmes soit provisoire ou limitÊ à celles qui ne sont pas disciples. selon d’autres, il faut prendre la conclusion nÊgative à la lettre. ils donnent tout le poids au verset 8. en effet, ni l’expÊrience visuelle (le tombeau vide) ni l’expÊrience auditive (le message du jeune homme) n’ont pu convaincre les trois femmes au tombeau de la bonne nouvelle
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table des matières
Préface ……………………………………………………………
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Première partie lire la bible aujourd’hui 1.¥Marc : un « roman » énigmatique …………………………… Lire un livre de la Bible comme un roman ……………………… Quoi de neuf ? ………………………………………………… Un message codé dans Marc ? ………………………………… Un secret de polichinelle ……………………………………… À quoi peut-on s’attendre ? ……………………………………
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2.¥Un programme antivirus pour la Bible ……………………… Un livre mangé des mites ……………………………………… Des signes positifs, mais… ……………………………………… Où lit-on la Bible ? Le milieu académique ……………………… Où lit-on la Bible ? L’Église …………………………………… Entre Église et université ……………………………………… Pourquoi l’évangile de Marc ? …………………………………
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Un nouveau programme : lire dans une perspective de lecteur d’aujourd’hui …………………………………………………… L’intention de l’évangéliste et l’interprétation du lecteur ………… Pour qui et de qui est l’évangile ? ………………………………
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3.¥Avant de lire : éliminer les malentendus ……………………… Introduction ………………………………………………… La Bible n’est pas « vraie » ……………………………………… Pour lire la Bible, il faut être croyant au sein de l’Église ……………
40 40 42 46
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Table des matières La vraie vérité est cachée ……………………………………… Conclusion …………………………………………………… Structure de l’Évangile selon Marc ………………………………
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Seconde partie l’évangile selon marc 4.¥Comment raconte l’évangéliste ? ……………………………… Introduction ………………………………………………… a. Le « comment » d’une narration ……………………………… Le narrateur anonyme ……………………………………… Le narrateur « omniscient » et crédible ……………………… L’omniscience bis : l’espace… ……………………………… … et le temps ……………………………………………… b. Promesse et accomplissement ………………………………… c. Doublets dans l’évangile …………………………………… D’autres doublets ………………………………………… L’importance des doublets ………………………………… d. Sommaires ………………………………………………… e. Autres aspects stylistiques …………………………………… f. Considérations sur la rhétorique de l’évangéliste ………………
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5.¥Jésus avec point d’interrogation ……………………………… 86 Lire dans la réalité …………………………………………… 86 L’exégète comme guide, le texte et le lecteur …………………… 88 Une première expérience de lecture : sous le flux des questions …… 89 Première question : un démon ………………………………… 90 Deuxième question : les scribes ………………………………… 93 Davantage de questions et de critiques de la part des adversaires … 95 Ne pas généraliser …………………………………………… 98 Le battement d’aile d’un papillon… …………………………… 100 Mais qu’est-ce donc qu’un évangile ? …………………………… 101 Encore une fois : lire dans la réalité ……………………………… 103 6.¥Le fardeau des titres honorifiques …………………………… Introduction ………………………………………………… Jésus et ses titres honorifiques ………………………………… Fils de Dieu …………………………………………………… Fils de Dieu et dynamique de la lecture ………………………… Fils de Dieu : le contexte hellénistique …………………………… Fils de Dieu : la toile de fond juive ……………………………… Pourquoi Jésus est-il si particulier ? …………………………… Le Christ ………………………………………………………
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Table des matières
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Les autres titres ……………………………………………… Le secret ………………………………………………………
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7.¥Les disciples et Jésus …………………………………………… Le premier choix ……………………………………………… Présence ……………………………………………………… Le cercle élargi des disciples de Jésus …………………………… Incompréhension par rapport aux paroles de Jésus ……………… Une question de perspective …………………………………… Incompréhension par rapport aux actes de Jésus ………………… Le triangle Jésus – disciples – lecteurs …………………………… Un moment charnière : la question de Jésus …………………… Les critères de Jésus concernant le Royaume de Dieu …………… À suivre… ……………………………………………………
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8.¥La force des sans-pouvoir …………………………………… Introduction ………………………………………………… Jésus, Dieu et la souffrance …………………………………… Jésus meurt seul ……………………………………………… La vie et la mort de Jésus sont bien accordées …………………… Jésus : l’image révolutionnaire de Dieu du narrateur ……………… L’herméneutique du Golgotha et les lecteurs …………………… Le message paradoxal de Marc pour le lecteur …………………… Qu’est-ce donc que « sauver sa vie » ? ……………………………
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9.¥Épilogue : où est Jésus ? ……………………………………… La réponse de Dieu …………………………………………… La fin du récit et le lecteur ……………………………………… Les femmes et le lecteur ……………………………………… Jésus, le crucifié ressuscité ……………………………………… Jésus, le présent absent ………………………………………… Encore une fois : le lecteur réel ………………………………… Croire et ne pas croire …………………………………………
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Table des matières ………………………………………………… 173
L’évangile de Marc n’est pas un
roman. Mais dans la rencontre entre le texte et son lecteur, cet évangile se laisse bien lire comme un roman. Après avoir exploré quelques pistes pour une interprétation de la Bible qui fasse sens aujourd’hui, l’ouvrage présente une analyse concrète du plus ancien évangile, en prêtant attention à la réception du texte par le lecteur. La rhétorique du narrateur — le comment de la narration — lève déjà le voile sur le contenu — le quoi du récit. Ainsi le style, la caractérisation des personnages, les questions, les répétitions, l’usage des titres christologiques aident le lecteur à prendre position par rapport à l’identité de Jésus et suscitent ensemble son engagement personnel. L’évangéliste se montre conscient de ce qui fait vivre Jésus, du message révolutionnaire de « qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur » ou de « qui perd sa vie la sauve ». Son évangile vise une réponse pratique du lecteur dans la vie de tous les jours plutôt qu’une confession de foi verbale. Ce livre a obtenu en Flandre le prix bisannuel du meilleur livre religieux (2005). Après neuf ans passés à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, Geert Van Oyen enseigne le Nouveau Testament, depuis 2008, à la Faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain. Il a publié plusieurs livres et articles sur l’évangile de Marc (The Interpretation of the Feeding Miracles in the Gospel of Mark en 1999, Marcus mee maken en 2006), sur la question du Jésus historique et sur quelques textes apocryphes.
Diffusion : cerf