Emmanuel Falque (éd.)
La grâce de penser
donner raison
Hommage à Paul Gilbert
Emmanuel FALQUE (éd.)
La grâce de penser Hommage à Paul Gilbert
Š 2011 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Donner raison, 32 ISBN : 978-2-87299-212-6 D 2011/4255/9 Diffusion cerf
Ouverture
LA GRÂCE DE LA PENSÉE Emmanuel Falque
De Bruxelles à Rome, de Rome à Paris, de Paris à Mexico, voire Kinshasa ou Madagascar, Paul Gilbert s’affiche lui-même comme un « déraciné volontaire », un « errant de la philosophie », voire une « personne déplacée 1 ». Mais l’errance ici se fait métaphysique, et sert de principe à une pensée qui, jamais, ne se satisfait de stagner. Multipliant les lieux, comme aussi il accroît les questions, le philosophe ne se contente jamais de résoudre ses interrogations, mais plutôt les sonde et les approfondit, jusqu’à ne jamais s’en départir. De Dire l’ineffable, lecture du « Monologion » de saint Anselme (1984) à Violence et compassion (2009), Paul Gilbert fait preuve d’une Patience d’être (1996), que d’aucuns à juste titre lui envieront : « Notre temps a perdu la patience d’être, lit-on à l’ouverture de l’ouvrage. Pour Irénée, le péché originel est d’impatience. Le philosophe se doit de rappeler à ses contemporains ce qu’ils mettent de côté en se détruisant eux-mêmes […]. Notre temps, impatient, s’active à effacer les différences entre les hommes, et à éliminer ceux qui ne supportent pas cette uniformisation […]. Nous devons retrouver le sens de l’être, du temps, des différences 2. » Il y a donc comme une maturité, et même une maturation, dans l’ensemble de l’œuvre de Paul Gilbert. Venait en ce sens le temps des hommages, ou plutôt de l’hommage. L’amitié certes aurait pu suffire à s’y 1.¥Infra P. Gilbert, « S’engager dans la pensée », pp. 15-16. 2.¥PE, « Avant-propos », p. 9.
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consacrer — et ceux qui l’ont rencontré suffisent à en témoigner. Mais il y a plus et mieux, précisément dans l’œuvre de Paul Gilbert, que la simple communauté d’une pensée et que l’ecclesia d’un penseur qui a toujours su innover. Médiéviste d’abord, il sut devenir ensuite métaphysicien, voire phénoménologue. Fidèle et reconnaissable à son style, il fera parfois cavalier seul, empruntant sa pensée à son mode d’être le plus fort. On ne revendique pas l’humilité, on la vit. Tel est précisément, et probablement, ce qui caractérise la « grâce de la pensée », voire de l’« esprit », dans la réflexion et l’œuvre de Paul Gilbert : « C’est là, dans l’action de grâce, que naît le dynamisme de l’esprit, que s’articule l’excellence de son affection intelligente la plus profonde, la plus humaine, la plus aimable 3. » Il est donc une « grâce », de la pensée certes, mais aussi de la présence, de la reconnaissance et de l’hommage. À la question que l’auteur se pose : « Pourquoi moi 4 ? », ses collègues, amis et lecteurs ici rassemblés lui répondent, et lui expliquent : « Pourquoi pas lui ? » L’effacement ne parvient jamais aussi bien à la lumière que lorsque sa mise au jour n’est pas provoquée, mais comme par d’autres initiée. Tel fut le cas de cette journée du 7 mai 2010, organisée par la faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris, pour faire grâce et rendre grâces à ce qu’un professeur de métaphysique avait pu lui apporter, durant tant d’années. On le sait, pour tous ceux qui l’ont croisée, comme aussi étudiée, la métaphysique n’est pas un métier chez Paul Gilbert, mais un mode de la vie, ou mieux une manière de vivre. Ou plutôt, la métaphysique ne fait ici « profession », comme exercice et adhésion, qu’en cela que vingt fois elle est remise sur le métier, toujours recommencée et jamais achevée. Plus que partout ailleurs, ou pour quiconque, il y a un « style » Paul Gilbert, reconnaissable entre mille, dans l’écriture comme aussi dans le fond. Une écriture d’abord. La plume alerte suit des détours qui lui sont propres, au risque de déconcerter ceux qui ne s’y sont pas encore suffisamment pliés. Il y a du Stanislas Breton chez Paul Gilbert. Qu’il suffise de lire l’un et l’autre pour s’en convaincre, de Rome à Paris, certes,
3.¥Infra P. Gilbert, « S’engager dans la pensée », p. 21. 4.¥Ibid., p. 20.
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mais aussi de Paris à Rome en passant par d’autres contrées. Le désir en matière de métaphysique « rend libre pour les voyages », là où la fonction meta « dit seulement un déplacement, un éloignement, non pas un point d’arrivée 5 ». Le style suit ainsi les méandres de la pensée, et non pas l’inverse. On s’y fera donc, et on s’y entraînera — au risque, à l’inverse, de demeurer interdit aux autres contrées. La dénonciation d’une rationalité close n’y suffit pas, si elle ne se double d’une marche d’approche, et comme d’un mode de rationalité, capable de tracer des chemins auxquels la réflexion ne s’était pas encore habituée et qui lui reste encore à défricher. Une innovation sur le fond ensuite. Il revient à Paul Gilbert de ne s’être jamais laissé inféoder. Médiéviste d’abord, il sut devenir ensuite métaphysicien, phénoménologue, herméneute, philosophe de l’éthique comme aussi de la politique, quitte à revenir plus tard à ses premières amours. Anselme, d’abord, l’a toujours et dès le départ profondément marqué. Dans le maius, ou le « plus » de sa pensée, se lit le plus fort de son intuition. Et c’est à toujours y revenir et sans y voir de la théologie négative mais plutôt une limitation de l’homme, que le philosophe de Rome et de Paris s’est toujours attelé : « l’homme est un penser plus », souligne Sergio Bonanni dans le présent hommage à propos de saint Augustin, de saint Anselme, comme aussi de Paul Gilbert ; « un penser plus qui, en réfléchissant sur lui-même, découvre qu’il ne peut pas penser le plus, du moins pas immédiatement, pas directement, mais qu’il ne peut pas non plus échapper à cette pensée 6 ». La métaphysique du don, originalement entendue ici comme relecture de l’acte d’être à la suite d’Étienne Gilson mais aussi de Joseph Maréchal ou de Claude Bruaire, fait alors de Thomas d’Aquin une étape obligée. Non pas substantialiste, le philosophe trouvera chez l’Aquinate une sorte d’« ontodologie intégrale », là où « l’acte d’être, communiquant son don dans les étants, est recueilli par une réceptivité humaine capable à son tour d’être communication et don de soi, jusqu’au par-don 7 ». Héritier de la philosophie réflexive ensuite, le philosophe trouvera alors, de façon inattendue et dans ses jeunes années, dans la figure 5.¥Ibid., p. 16. 6.¥Infra S. Bonanni, « Anselme de Cantorbéry : penser plus », pp. 49-50. 7.¥Infra E. Gabellieri, « Être et don », p. 61.
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d’Aimé Forest, la source d’un « réalisme spirituel » qu’il ne cessera pas alors de revendiquer, ou à tout le moins d’exploiter et d’autrement considérer : « Ce qui domine », avoue l’étudiant dans son mémoire de licence à l’Université catholique de Louvain (1975), « c’est l’idée de la réalité concrète, la reconnaissance que dans la valeur du concret apparaît moins une donnée immédiate qu’une conquête, le fait que l’attachement aux valeurs peut être justifié par un mouvement qui pourtant le dépasse 8. » Il y faudra alors toute la pensée de Maurice Blondel, doublée du dynamisme inavoué de la co-implication de Nicolas de Cues, pour comprendre en quoi la philosophie réflexive de Maurice Blondel débouche elle aussi sur la « miséricorde », imitée en quelque sorte par Paul Gilbert consacrant le « pardon » comme unique rempart à la violence. Il est un « humanisme vrai » chez l’un, comme aussi chez l’autre, qui fait que jamais la pensée ne quitte si aisément l’humain, sinon pour le transcender et en quelque sorte toujours l’accomplir 9. Le passage par la phénoménologie, et en particulier « le monde des affects comme le plus fondamental et le plus métaphysique de tous 10 », donne alors tout son « poids au don », qui ne peut cette fois se contenter de la seule « abstraction de la réduction 11 ». La pensée, lorsqu’elle s’énonce comme phénoménologique, ne nie pas la dimension du métaphysique, et même du tragique, loin s’en faut. Mais à l’opposition de la violence du conatus et du consentement de l’être, prend maintenant le pas une « méditation de l’affectivité et du temps, aujourd’hui portée par la phénoménologie, et qui trouve son lieu culminant dans la patience de l’affect » : « seul voit vraiment ce qui est livré au grand jour, ou peut entendre les paroles dites », commente avec justesse Jérôme de Gramont, qui s’est laissé affecter, « et sait maintenant garder en son âme le juste sentiment qui y correspond 12 ».
8.¥Infra E. Tourpe, « L’expérience métaphysique et le réalisme spirituel », p. 29. 9.¥Infra I. Malaguti, « Noein et affection fidèle. Parcours de philosophie réflexive », pp. 95-96. 10.¥VC, p. 231, cité par E. Gabellieri, pp. 74-75. 11.¥P. Gilbert – S. Petrosino, Le Don, note 3, p. 9. 12.¥Infra J. de Gramont, « Patience de l’affect », respectivement pp. 111 et 104.
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Reste maintenant le « travail », de la pensée certes, mais aussi la juste diaconie d’une philosophie au regard de la théologie. L’œuvre de Paul Gilbert, à l’instar de celle d’Aristote, est « travail » — de la theoria certes, mais aussi de la praxis comme de la poïesis. Toute philosophie n’est toujours qu’un sunphilosophein ou un « philosopher ensemble » au sens à tout le moins où « la vérité ne pèse pas sur nous comme une nécessité inéluctable, dont nous serions les spectateurs plus ou moins attentifs ; mais [où] elle est construite, grâce à un travail entrepris ensemble, dans une responsabilité commune 13 ». La philosophie entre alors, et en ce sens seulement, dans une véritable « diaconie », de la théologie, ensemble au service de l’Église comme telle. Loin de se laisser réduire au simple rôle de « réservoir neutre » ou de termes étudiés et prêtés à la théologie, la foi chrétienne au contraire, et pour ellemême, « appelle le service de la philosophie », en guise d’étude de l’humain dans sa plus stricte épaisseur et appelé à se transcender lui-même. D’où aussi le rôle de guide, réciproque cette fois, de la théologie pour la philosophie. La phénoménologie elle-même touche ses limites dans sa fausse charité d’un « don sans retour », d’une part, et dans sa distance ou son « apophatisme exagéré », d’autre part. La première (le don sans retour) en cela que le Dieu s’affirme comme « tellement munificent qu’il en résulterait indifférent envers la liberté et la réponse de l’homme » ; et la seconde (reprise philosophique de la théologie négative) par là que « cette fausse mystique de l’extrinsécisme est en effet incapable de mettre l’homme dans les conditions d’adhérer avec tout ce qu’il est, y compris avec sa raison dans toutes ses dimensions, au Dieu révélé en Jésus-Christ, Dieu de la foi qui est au cœur de la tradition croyante 14 ». Il est des points saillants où le philosophe sait qu’il lui revient aussi de décider. S’efforcer de les traquer fait voir une rare originalité, voire un discernement dans la pensée, que d’aucuns sauront à juste titre lui attribuer. « Avec la manière » donc, et pas des moindres, la philosophie de Paul Gilbert apparaît donc et en quelque sorte « spirituelle », ou plutôt 13.¥Infra S. D’Agostino, « Le travail intellectuel. Agir et penser en relation », p. 131. 14.¥Infra R. Repole, « La philosophie comme service », respectivement pp. 146 et 150.
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« porteuse d’une spiritualité » s’attachant et s’arrimant étroitement à une métaphysique jamais oubliée, mais plutôt, et à l’inverse, toujours revendiquée : « Paul Gilbert est métaphysicien, d’une science qui reconquiert aujourd’hui peu à peu ses titres de grande noblesse, laissant essoufflés ceux qui, un temps, avaient cru naïvement pouvoir lui couper la tête 15. » Non pas nostalgie du retour, mais nouveauté à partir d’une tradition réinterrogée, le philosophe tient ainsi le grand écart de la philosophie médiévale à la pensée la plus contemporaine, dans un geste que d’autres aussi, et plus tard, tenteront d’assumer. Conclure, revient alors, pour le professeur de la Grégorienne luimême, à se rendre capable de jeter un « regard rétrospectif » sur son propre travail, dans un chemin qui en fait une presque confession, non moins qu’un guide pour traverser l’ensemble de son œuvre : « il me reste à remercier les amis qui ont participé à l’édition de cet ouvrage », livre le jésuite de Rome à la façon d’Anselme à ses frères dans le Monologion ; « et toi aussi, lecteur sans doute anonyme, manifestation pour moi discrète du bien qui se diffuse sans que je le sache, si du moins cet ouvrage te pousse à bien agir, avec droiture et fidélité au don qui nous est fait de penser 16 ». Tout est grâce certes, mais il faut aussi y « travailler », et à la pensée précisément lorsqu’on fait profession de philosopher. Le philosophe « sert » certes, mais jamais « ne se sert », au risque de détourner ce que d’abord il eut seulement reçu, et de s’octroyer cela uniquement qui lui fut premièrement donné. La « grâce de penser » fait donc de la pensée une « grâce », au double sens du don qu’elle a reçu et du style qu’elle s’est forgé. Puissions-nous nous mettre à l’école, et nous mettre à son école, dans l’humilité d’un Dire, décidément trop rare, pour ne pas être ici loyalement partagé : « L’esprit se sait uni à soi, mais il sait qu’il ne l’est pas par lui-même », achève la Simplicité du principe, « qu’il se reçoit dès lors de ce qui est par soi dès l’origine. L’esprit humain connaît ainsi que, réfléchissant, il est lui-même une grâce 17. »
15.¥Infra Ph. Capelle-Dumont, Épilogue, « Avec la manière. Philosophie et spiritualité », p. 173. 16.¥Infra P. Gilbert, « Rétrospective : être, pâtir, agir », p. 172. 17.¥SP, p. 269.
S’ENGAGER DANS LA PENSÉE 1 Paul Gilbert
Nul qui a bon sens ne choisit d’enseigner la métaphysique, mais qui en reçoit la charge peut se réjouir de la faveur qui lui est faite. Nul ne choisit d’enseigner la métaphysique, car il y a là trop d’incertitudes, de risques. Que peut-on enseigner, sinon une certaine discipline ? Mais toute discipline n’est-elle pas déterminée par une rigueur spécifique, formée conformément aux canons de l’intellectualité hypothéticodéductive, éclairée par des principes universellement assurés ? Or la métaphysique n’est pas une science de ce genre ; elle n’est pas une sorte de géométrie qu’on ferait avec des mots plutôt que des figures ; elle n’est d’aucune manière une interprétation de la réalité sensible entreprise à l’aide d’axiomes ou de clés de lecture mises à l’épreuve dans les laboratoires du monde entier. La métaphysique n’est-elle donc pas la plus molle des sciences molles, aux prétentions risibles quand on la confronte aux sciences dures et à leurs résultats évidents ? La métaphysique a-t-elle jamais pu montrer qu’elle concernait le réel en faisant voir comment elle peut améliorer la vie humaine, lui donner un « plus » de bonheur ? La métaphysique n’est certes pas déductive, bien que de nombreux manuels scolastiques ont voulu l’être afin de se donner un semblant de scientificité. Par ailleurs, il convient de critiquer les prétentions des 1.¥Discours tenu lors de la séance d’hommage organisée le 7 mai 2010 à l’Institut catholique de Paris à l’initiative du prof. Emmanuel Falque, doyen de la Faculté de philosophie, que je remercie vivement.
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argumentations par déduction. Les sciences déductives ne peuvent en fait jamais nous apprendre rien qui ne soit déjà impliqué dans leurs prémisses. Une bonne conclusion rationnelle ne déborde jamais le champ dans lequel elle advient et que bornent ses propositions de départ. Nous pouvons noter que les progrès des sciences ne viennent pas de leur changement de paradigmes, mais des réalités observées qui refusent d’entrer dans les champs trop étroits des paradigmes habituellement acceptés, comme si les réalités revendiquaient leur autonomie envers les discours scientifiques ainsi construits. Le réel échappe toujours par quelque côté aux sciences, qui courent en fait après lui. Les métaphysiciens peuvent alors relever la tête devant les scientifiques. Voyez, les sciences n’ont qu’un regard idéal sur le réel ; elles ne lui reconnaissent aucune consistance propre ; elles pourront en faire ce qu’elles veulent aussi longtemps que le réel ne protestera pas. Il serait temps par contre de reconnaître le réel pour ce qu’il est, en sa réalité propre, sans toutefois enlever à la science sa pertinence évidente, mais dont elle est incapable de rendre compte sinon en constatant que « ça marche ! ». La réflexion métaphysique du réel n’a pas perdu tous ses droits. La question est toutefois de savoir comment l’entreprendre. Si la science manipule le réel, dira-t-on que la métaphysique sera contemplative ? Mais la contemplation n’est pas une méthode invulnérable du point de vue de la raison, reconnue universellement pour connaître ce qui est vraiment. Ou, du moins, on ne peut pas la prendre comme point de départ. L’époque de Platon est bien loin derrière nous. Mais même pour Platon la contemplation n’est possible qu’au terme d’un chemin de purification de nos images et de nos raisons. La métaphysique, une science sans méthode, sans critique ni prudence, ingénue, serait une science suprêmement « molle » facile à démonter. Elle a cependant une méthode, qui est même plus nécessaire que celle des sciences « dures » et que justifie la particule meta par laquelle elle se définit.
S’engager dans la pensée
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1. Meta. La métaphysique vient après la physique, du moins est-ce ainsi qu’on l’a entendue depuis Platon et sa métaphore de la caverne exposée dans La République. La métaphysique ne va donc pas au fond des choses, elle préfère plutôt voir clair en tout, comme le suggérait Aristote au début de sa Métaphysique : « Par nature, tous les hommes désirent y voir clair. » En fait le Stagirite définit son entreprise à partir d’un désir (oregontai) plutôt que d’une vue, ou plus exactement à partir du désir d’une vue claire (eidenai). La métaphysique est l’affaire d’un désir spécifique. Or ce désir est toujours frustré. La montée du métaphysicien du fond de la caverne où il ne voit que des ombres, s’achève dans l’éblouissement de la lumière solaire — où il ne voit plus rien. Le trajet du métaphysicien, qui va meta ou au-delà de la physique, est un chemin d’aveuglement. Drôle de discipline que la sienne, pour rien heureuse, mais déroutante, désespérante. On se promettait de saisir enfin le principe de tout, la vérité absolue, l’axiome qui donne fermeté à tout savoir, et on n’aboutit qu’à perdre son chemin dans trop de lumière inutile, si ce n’est pas dans une clairière heideggérienne au fond d’une forêt dans laquelle on se serait perdu. La métaphysique, affaire de désir ? Mais ne veut-elle pas tenir le discours qui honore la raison d’une manière plus digne que tous les autres savoirs ? Ne soyons pas simplistes : les chemins de la raison sont multiples. Les métaphysiciens antiques, comme tout le monde, veulent établir des hiérarchies. Mais on doit reconnaître aujourd’hui que le mot « raison » a une signification de multiples façons. On n’y entend pas seulement plusieurs démonstrations capables d’expliquer ce qui est, ni non plus plusieurs manières d’utiliser la même et unique raison, mais plus simplement plusieurs logoi. La réalité et la raison ne sont pas universelles, mais pluriverselles. Les faits humains sont trop complexes pour être dilués dans quelque principe objectif ou subjectif univoque. Cette thèse de la pluralité des raisons convient d’ailleurs fort bien à notre mentalité postmoderne, relativiste à souhait. Elle élimine enfin l’essence traditionnelle de la raison, du lógos, qui est d’unir. Mais elle conforte aussi, paradoxalement car c’est là un retour acritique du même lógos, notre tendance spontanée à un dogmatisme ignare et
ont s e n s ge a p s e n au certai s e l b i on p s i d s pa e. g a t e l feuil
TABLE DES MATIÈRES
Emmanuel Falque : Ouverture. La grâce de la pensée ………………
5
Paul Gilbert : S’engager dans la pensée………………………………… 1.¥Meta ……………………………………………………………… 2.¥Transcendance ………………………………………………
11 13 16
Emmanuel Tourpe: L’expérience métaphysique et le réalisme spirituel …… 1.¥Qu’est-ce que le réalisme spirituel ? ………………………… 2.¥Une lecture d’Aimé Forest …………………………………… 3.¥Le réalisme spirituel ………………………………………… En écho (Paul Gilbert) ……………………………………………
23 24 28 32 35
Sergio Paolo Bonanni : Anselme de Cantorbéry : penser « plus » …… 1.¥Saint Augustin ………………………………………………… 2.¥Saint Anselme ………………………………………………… 3.¥Le treizième siècle …………………………………………… En écho (Paul Gilbert) ……………………………………………
39 39 44 52 57
Emmanuel Gabellieri : Être et don …………………………………… 1.¥L’être comme don …………………………………………… 2.¥L’alliance de l’être et de l’esprit ……………………………… 3.¥Violence et métaphysique …………………………………… 4.¥Conclusion …………………………………………………… En écho (Paul Gilbert) ……………………………………………
61 62 67 72 76 78
204
Table des matières
Ilaria Malaguti : « Noein » et affection fidèle. Parcours de philosophie réflexive …………………………………………………………… 1.¥Vers le noein comme penser avec assentiment participatif. La voie blondélienne……………………………………………… 2.¥L’intime tension comme destination de la pensée …………… 3.¥La fêlure de la conscience pensante, pensée intensive et dimension qualitative ……………………………………………… 4.¥L’unité dynamique de la pensée. La co-implication de Nicolas de Cues …………………………………………………… 5.¥Conclusion : l’esprit de vérité et la miséricorde ……………… En écho (Paul Gilbert) ……………………………………………
91 93 96
Jérôme de Gramont : Patience de l’affect …………………………… 1.¥La simplicité perdue ………………………………………… 2.¥Les trois fils d’Ariane ………………………………………… 3.¥Les trois mots fondamentaux ………………………………… En écho (Paul Gilbert) ……………………………………………
101 101 105 109 113
Simone D’Agostino : Le travail intellectuel. Agir et penser en relation… 1.¥Agir …………………………………………………………… 2.¥Penser ………………………………………………………… 3.¥S’engager ……………………………………………………… En écho (Paul Gilbert) ……………………………………………
117 119 124 130 133
Roberto Repole : La philosophie comme service …………………… 1.¥La foi chrétienne appelle le service de la philosophie ……… 2.¥Service critique ……………………………………………… 3.¥Service de l’inculturation …………………………………… 4.¥Résistance à la violence ……………………………………… En écho (Paul Gilbert) ……………………………………………
137 139 144 147 150 152
Paul Gilbert : Rétrospective : être, pâtir, agir………………………… 1.¥Un engendrement …………………………………………… 2.¥Passivité et don ……………………………………………… 3.¥Le mal …………………………………………………………
155 157 161 166
Philippe Capelle-Dumont : Épilogue. Avec la manière : philosophie et spiritualité ……………………………………………………… 1.¥Spiritualité …………………………………………………… 2.¥Mystique ……………………………………………………… 3.¥Métaphysique …………………………………………………
173 174 177 179
83 84 85 88
Table des matières Abréviations …………………………………………………………… Bibliographie de Paul Gilbert ………………………………………… Brève présentation des auteurs ……………………………………… Index des noms ……………………………………………………… Table des matières ……………………………………………………
205 181 182 196 199 203
L’œuvre du philosophe Paul Gilbert,
jésuite belge professeur de métaphysique depuis vingt-cinq ans à l’Université Grégorienne, est considérable et mérite d’être mieux connue. Après avoir étudié les écrits de saint Anselme (Dire l’ineffable, 1984), Paul Gilbert a questionné la métaphysique classique, sous l’influence de la philosophie réflexive (La Simplicité du principe, 1994). Il a ensuite souligné les chances offertes à la réflexion fondamentale par l’analogie, thème classique mais oublié (La Patience d’être, 1996, et Sapere e sperare, 2003). Plus récemment, il a abordé la question de la violence, ce mal-être si commun (Violence et compassion, 2009). En 1997 déjà, son travail a été récompensé du prix Cardinal Mercier de l’U.C.Louvain-laNeuve.
Emmanuel FALQUE, doyen de la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris et responsable de la publication des actes de ce colloque, est auteur de plusieurs ouvrages où il interroge la théologie médiévale sur laquelle il projette l’éclairage de la phénoménologie contemporaine.
Diffusion : cerf
Illustration de couverture © Marte Sonnet – Intuition.
Durant de nombreuses années, Paul Gilbert a été professeur invité à l’Institut catholique de Paris. À l’occasion de son éméritat dans cette institution, un colloque y a été organisé. Dans leurs communications, S. Bonanni, Ph. Capelle-Dumont, S. D’Agostino, E. Gabellieri, J. de Gramont, I. Malaguti, R. Repole et E. Tourpe reprennent et développent l’élaboration de la pensée de Paul Gilbert. Ce dernier fait écho à chacune d’elles et, dans un exposé final, retrace son propre itinéraire intellectuel.