En enfer, il n'y a personne. Parole anonyme et parole biblique

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Michel FARIN

En enfer, il n’y a personne Parole anonyme et parole biblique


Š 2011 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Au singulier, 21 ISBN : 978-2-87299-213-3 D 2011/4255/10 Diffusion cerf


Il y a environ vingt-cinq ans, je me rendais aux studios des ButtesChaumont pour y enregistrer une interview. J’entre discrètement sur un très grand plateau de télévision qui servait à la réalisation des émissions appelées, à l’époque, dramatiques. Dans un petit coin du studio, l’interview précédente était en cours d’enregistrement. Les cameramen, n’ayant rien d’autre à faire qu’à surveiller une image fixe, avaient manifestement la tête ailleurs. L’un d’eux avait même un journal à portée de la main. Un ou deux techniciens, ayant terminé leurs réglages, patientaient derrière un élément de décor. D’un côté d’une petite table, un invité faisait face à un journaliste. Cet invité était appelé à répondre le plus personnellement possible à une série de questions dont la liste avait manifestement été préparée. Attendant dans mon coin, je réalise tout à coup que l’homme dont la télévision sollicitait le témoignage pour une émission religieuse parlait absolument dans le vide. Personne ne l’écoutait. Le temps passant, je décide de monter dans la régie, le local technique surplombant le plateau, où le réalisateur et ses techniciens effectuent en direct l’enregistrement et le montage des images et du son. Là encore je suis stupéfait. Dans un silence relatif, chacun exécutait sa tâche technique, apparemment sans être touché en quoi que ce soit par ce que cherchait à dire l’invité de l’émission. Personne n’écoutait réellement, même pas l’ingénieur du son chargé de contrôler le profil des courbes de l’enregistrement sonore.


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En enfer, il n’y a personne

Ainsi, à travers la complexité de ce dispositif de communication mis en œuvre avec compétence, quelqu’un essayait de parler de lui sans que personne ne l’écoute. C’était l’horreur. Dans une telle situation, en effet, nous ne pouvons plus parler personnellement. Ce n’est possible que si nous parlons à quelqu’un qui écoute, lui aussi, personnellement. Or quand un interviewer ne pose que des questions préparées, sans rapport avec ce qui vient de lui être dit immédiatement, il manifeste qu’il n’écoute pas. Il laisse alors son interlocuteur seul, face à une caméra et à un micro. Et nous ne pouvons parler personnellement à une caméra et à un micro. Nous ne pouvons plus que livrer des informations, objets d’un discours. Il n’y a plus qu’un discours déshabité à enregistrer. C’est l’enfer, il n’y a personne. 21 mars 2009.


LE TRIANGLE DE LA COMMUNICATION

Au début des années 70, Pierre Schaeffer dirigeait le Service de la Recherche de l’O.R.T.F. et voulait maintenir, parallèlement à la production d’émissions, une réflexion sur les structures de la communication mise en œuvre dans les médias. Il insistait souvent sur la nécessité, pour les professionnels de la radio-télévision, de ne jamais oublier la présence obligée d’un médiateur entre l’émetteur et le récepteur de tout message audiovisuel afin que celui-ci demeure porté par une parole personnelle. Cette structure, qu’il appelait le triangle de la communication, est clairement incarnée dans ce qui est devenu spontanément le dispositif fondamental des émissions de radio-télévision : l’interview. Cette constatation peut paraître banale ; elle demande pourtant réflexion. La reconnaissance de l’interview comme dispositif fondamental de la communication audio-visuelle, à la radio d’abord puis à la télévision, implique en effet la perception instinctive d’un fait qui, lui, n’est pas banal : un micro, même doublé d’une caméra, n’écoute pas. Il enregistre, c’est tout. Je me souviens d’une rencontre avec quelques évêques venus s’initier au fonctionnement de ces nouveaux médias qui, du dehors, les fascinaient. L’un d’eux nous dit : « Vous ne vous rendez pas compte de la place que vous occupez ! Vous détenez, avec micros et caméras, les moyens modernes de la communication. » Nous avons simplement renvoyé nos invités à une expérience qu’ils connaissaient bien, comme nous tous : celui qui est appelé à parler


ont s e n s ge a p s e n au certai s e l b i on p s i d s pa e. g a t e l feuil


TABLE DES MATIÈRES

Le triangle de la communication …………………………………… L’écrasement du triangle de la communication ……………………… Le règne de la « com » ………………………………………………… Réalisateur, journaliste, présentateur ………………………………… « Sans engagement de votre part » …………………………………… Un grand marché universel ………………………………………… Une naissance menacée ……………………………………………… Vérité et mensonge dans les médias ………………………………… Une censure au nom de la vérité …………………………………… Il faut être trois ……………………………………………………… Le couple, l’ange et l’enfant …………………………………………… La présence personnelle de l’Origine dans l’histoire ………………… Les trois hommes au chêne de Mambré ……………………………… À l’Origine, la Parole ………………………………………………… Le Verbe s’est fait chair, c’est la Vérité ……………………………… Le témoignage de Jean-Baptiste ……………………………………… Le témoignage de Jésus ……………………………………………… Le témoignage de l’Esprit …………………………………………… Sans corps …………………………………………………………… La Loi ………………………………………………………………… Pour qu’en enfer il y ait quand même quelqu’un : le Verbe s’est fait chair ………………………………………………………………

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Table des matières ……………………………………………………

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our qu’il y ait réelle communication humaine, il faut que la parole échangée soit pour le moins personnelle, véridique et engagée. Une longue expérience dans les médias et notamment à la télévision a conduit l’auteur à déplorer et à dénoncer l’usure d’un langage médiatique qui en est trop souvent arrivé à « tourner à vide ». Pur verbiage, sans engagement ni référent, parfois totalitaire, ce langage s’est largement déshumanisé. Personne n’y parle plus en vérité à personne. C’est l’enfer du règne de la com. Le discours de la publicité est un bel exemple de cette perversion d’un langage qui vise moins à communiquer personnellement qu’à séduire anonymement dans un but mercantile.

Michel FARIN, jésuite et réalisateur, a travaillé durant trente-cinq ans pour l’émission « Le Jour du Seigneur ». Son grand projet fut de promouvoir la lecture de la Bible en usant de tous les moyens offerts par la télévision : de l’interview au documentaire, du témoignage à la fiction, jusqu’aux effets spéciaux que permet aujourd’hui le numérique.

Diffusion : cerf

Photo de couverture © Raymond Vidonne.

En contrepoint et textes à l’appui, l’auteur nous montre que la révélation biblique nous appelle à croire que la Parole créatrice s’est engagée dans l’Histoire. En Jésus, Dieu sauve le langage et lui donne d’échapper au risque de la virtualisation irresponsable et de la désincarnation infernale.


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