"Nous avons vu sa gloire". Pour une phénoménologie du Credo

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Nicolas Bauquet Xavier d’Arodes de Peyriague Paul Gilbert (dirs)

«Nous avons vu sa gloire»

donner raison

Pour une phénoménologie du Credo



Sous la direction de

Nicolas BAUQUET Xavier d’ArodES dE PEyriAgUE Paul giLBErT

ÂŤ Nous avons vu sa gloire Âť Pour une phĂŠnomĂŠnologie du Credo


ouvrage publiĂŠ avec le soutien du Centre culturel – institut français de l’ambassade de France près le Saint-Siège et de l’UniversitĂŠ grĂŠgorienne de rome.

Š 2012 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be donner raison, 36 iSBN : 978-2-87299-219-5 d 2012/4255/5 diusion cerf


Introduction QU’y A-T-iL dE CoMMUN ENTrE LA PHiLoSoPHiE ET LA THÉoLogiE ?

La pensĂŠe chrĂŠtienne s’est longuement interrogĂŠe sur le rapport d’Athènes et de JĂŠrusalem, de la raison et de la foi. L’encyclique du bienheureux Jean-Paul ii, Fides et ratio, en est un tĂŠmoignage rĂŠcent ĂŠclatant. Est-ce un rapport de soumission, l’une ĂŠtant au service de l’autre ? ou bien possèdent-elles deux domaines parfaitement distincts et indiffĂŠrents l’un Ă l’autre ? Mais ne les met-on pas souvent en conflit l’une contre l’autre comme si l’une pouvait prĂŠtendre occuper le mĂŞme espace que l’autre ? Ne pourrait-on cependant pas penser plutĂ´t que les disciplines oĂš se dĂŠploient les exigences de la raison et de la foi, c’est-Ă -dire la philosophie et la thĂŠologie, puissent s’appuyer mutuellement l’une sur l’autre ? Et si cette dernière hypothèse est exacte, oĂš et comment les articuler ? Lorsque a ĂŠtĂŠ dĂŠterminĂŠ le cycle de confĂŠrences ÂŤ Philosophie et thĂŠologie Âť que nous avions Ă organiser Ă l’UniversitĂŠ pontificale grĂŠgorienne Ă la demande aussi bien du Centre culturel Saint-Louis-de-France devenu rĂŠcemment l’institut-Français, avec le plein soutien de son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Stanislas de Laboulaye, que de l’UniversitĂŠ pontificale grĂŠgorienne et de son recteur magnifique, le r.P. François-Xavier dumortier s.j., nous ĂŠtions persuadĂŠs de l’urgence d’une rĂŠflexion philosophique et thĂŠologique qui permette un dialogue entre ces deux domaines. Nous avons fait aussi le pari, car il s’agit d’un vrai pari sur l’intelligence, de faire dialoguer la philosophie et la thĂŠologie contemporaines autour des questions les plus fondamentales de la foi chrĂŠtienne : celles qui portent sur la nature de dieu et de sa rĂŠvĂŠlation, en prenant comme fil conducteur les ĂŠnoncĂŠs essentiels du Symbole de Constantinople, composĂŠ en 381.


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Introduction

or la phĂŠnomĂŠnologie, dont la mĂŠthode ĂŠvidemment philosophique ne manque pas de transparaĂŽtre aussi dans les recherches des thĂŠologiens, aborde les questions les plus radicales qui se posent Ă la rĂŠflexion contemporaine1. Elle semble cependant bousculer les catĂŠgories traditionnelles de la pensĂŠe, surtout lorsqu’elle touche des thèmes qui appartiennent Ă la thĂŠologie, une discipline par nature plus attentive Ă sa tradition que la philosophie, qui est volontiers critique de ses sources. Lorsque les thĂŠologiens s’inspirent de l’approche phĂŠnomĂŠnologique, ils se voient dans la nĂŠcessitĂŠ de se confronter Ă des interrogations dont ils perçoivent naturellement la profondeur et la radicalitĂŠ, mais en se trouvant dans la nĂŠcessitĂŠ d’une part de rĂŠinventer les modalitĂŠs de leurs propres ĂŠnoncĂŠs, et d’autre part de rester fidèles au dĂŠpĂ´t de la foi — un grand dĂŠfi pour les thĂŠologiens plus que pour les philosophes, mĂŞme si les uns et les autres ont Ă assumer en première personne une exigence spirituelle et intel lectuelle de ÂŤ fidĂŠlitĂŠ crĂŠatrice Âť. Comment d’ailleurs pourraient-ils faire autrement, sans s’exiler de la culture et devenir inaudibles ? En outre, loin d’être exclue du questionnement philosophique contemporain dans ses tournures phĂŠnomĂŠnologiques, la thĂŠologie se trouve comme attendue par la philosophie. Certains ont toutefois dĂŠnoncĂŠ ce qu’ils ont appelĂŠ le ÂŤ tournant thĂŠologique de la phĂŠno-mĂŠnologie française2 Âť, un tournant dont l’illĂŠgitimitĂŠ devrait ĂŞtre dĂŠplorĂŠe et proclamĂŠe par tous ceux qui ne veulent pas que la rĂŠvĂŠlation donne Ă penser en philosophie. La phĂŠnomĂŠnologie devrait ĂŞtre fidèle aux limites que la philosophie se donne depuis les ÂŤ Lumières Âť ; strictement philosophique, elle ne peut pas s’Êcarter des paradigmes de la ModernitĂŠ. Mais ce ÂŤ tournant Âť, en fait ĂŠvident mĂŞme si on le nuance sans fin, peut ĂŞtre interprĂŠtĂŠ d’une autre façon que comme une trahison de la rigueur philosophique. Sa fĂŠconditĂŠ effective dans les publications rĂŠcentes dĂŠmontre que la rĂŠflexion phĂŠnomĂŠnologique ĂŠveille une attente, mais qu’il n’appartient pas aux philosophes phĂŠnomĂŠnologues de l’exaucer d’eux-mĂŞmes, car ce serait lĂ effectivement trop demander Ă leur discipline respectueuse de ses exigences rationnelles. La thĂŠologie est cependant attendue par le phĂŠnomĂŠnologue, pour autant qu’elle ĂŠpouse elle aussi les modalitĂŠs de la phĂŠnomĂŠnologie, 1.ÂĽon verra Ă ce propos le livre rĂŠcent, et excellent, de Cl. romano, Au cĹ“ur de la raison, la phĂŠnomĂŠnologie, Paris, gallimard (coll. Folio. Essais), 2010. 2.ÂĽVoir de d. Janicaud, Le Tournant thĂŠologique de la phĂŠnomĂŠnologie française, Combas, L’Éclat (coll. TirĂŠ Ă part), 1991.


Qu’y a-t-il de commun entre la philosophie et la thÊologie ?

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c’est-Ă -dire qu’elle regarde et fasse voir ce qui est, qu’elle articule un discours qui soit porteur de sens en ĂŠcho aux dispositions et Ă la libertĂŠ de l’esprit. C’est d’ailleurs lĂ l’intĂŠrĂŞt que revĂŞt la phĂŠnomĂŠnologie pour le thĂŠologien : elle l’invite Ă accueillir dans son discours des perspectives qui ne pourraient jamais lui apparaĂŽtre autrement, et qui font aussi que sa rĂŠflexion ne soit pas rĂŠfĂŠrĂŠe seulement au genre de langage qui a ĂŠtĂŠ le sien Ă partir de cultures qui ne sont plus les nĂ´tres. Le regard phĂŠnomĂŠnologique, ĂŠduquĂŠ au respect de ce qui est, n’est-il pas d’ailleurs essentiel au croyant Ă l’Êcoute du Verbe dans l’Écriture et la Tradition ? L’urgence de faire dialoguer en phĂŠnomĂŠnologie la philosophie et la thĂŠologie contemporaines s’est donc imposĂŠe Ă nous3. Nous avons pensĂŠ qu’un tel dialogue est de plus en plus nĂŠcessaire, et nous avons fait le pari qu’il est possible. La phĂŠnomĂŠnologie contemporaine, husserlienne d’origine, ayant pris en France une tournure qui pĂŠnètre de plus en plus d ’autres pays, nous avons mobilisĂŠ parmi les plus grands philosophes et thĂŠologiens français contemporains ceux qui assument les perspectives phĂŠnomĂŠnologiques dans leurs travaux. Monsieur le professeur Jean-Luc Marion, dont on connaĂŽt l’importance de l’œuvre phĂŠnomĂŠno logique, a donnĂŠ la leçon inaugurale du cycle de confĂŠrences ĂŠditĂŠ ici. Sa position est celle d’un philosophe qui entend ne pas se substituer aux thĂŠologiens et Ă leurs responsabilitĂŠs. Mais les travaux du professeur Marion sont en fait, on s’en rendra compte dans le prĂŠsent volume, de rĂŠfĂŠrence ĂŠvidente pour les thĂŠologiens, qui s’attachent Ă leurs disciplines respectives en intĂŠgrant un point de vue phĂŠnomĂŠnologique. Pas Ă pas, confĂŠrence après confĂŠrence, nous espĂŠrons ainsi ouvrir un dĂŠbat qui sera fĂŠcond et utile pour les ĂŠtudiants, pour les professeurs, et pour tous ceux qui, ni ĂŠtudiants ni professeurs, se prĂŠoccupent de culture et de recherche droite, un dĂŠbat fĂŠcond et utile, sans doute mĂŞme nĂŠcessaire, pour l’Église. il ne s’agira pas d’effacer les diffĂŠrences de mĂŠthodes d’approche des confĂŠrenciers que nous entendrons. Nous n’entendons pas non plus ĂŠmousser les aspĂŠritĂŠs qui se manifesteront inĂŠvitablement au long de leur parcours, ni tenter contre vents et marĂŠe d’arriver Ă un accord sur tout, ni terminer notre recherche en ayant dĂŠfini les camps de ceux qui 3.ÂĽLe dĂŠbat est ouvert depuis longtemps, mais il a reçu une forte visibilitĂŠ lors de la publication d’un ouvrage collectif, PhĂŠnomĂŠnologie et thĂŠologie, Paris, CritĂŠrion (coll. idĂŠes), 1992 (textes de Jean-François Courtine, Jean-Louis ChrĂŠtien, Michel Henry, Jean-Luc Marion et Paul ricĹ“ur).


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Introduction

sont pour ou de ceux qui sont contre les idĂŠes et les thèses qui seront rĂŠsentĂŠes et dĂŠbattues. La polĂŠmique, stĂŠrilisante, ne nous intĂŠresse pas. p L’occasion est plutĂ´t de dĂŠvelopper un savoir et de l’articuler, d’encourager une rĂŠflexion, de stimuler une pensĂŠe pour le service de l’Église. De Trinitate, De Deo uno, De Spiritu Sancto, De Verbo incarnato, De Ecclesia, De Novissimis : Ă chaque fois un philosophe et un thĂŠologien de premier plan dans le monde universitaire dĂŠbattront d’une mĂŞme question, chacun dans une perspective phĂŠnomĂŠnologique. Notre parcours est dĂŠterminĂŠ par la sĂŠquence des articles du Symbole de NicĂŠe-Constantinople. on pourra sans doute s’Êtonner de l’inversion que nous faisons subir aux deux premiers articles. La raison de cette inversion a ĂŠtĂŠ occasionnelle : la disponibilitĂŠ des agendas des intervenants. Nous maintenons cependant ici cette inversion, qui nous apparaĂŽt fort sensĂŠe dans la perspective de notre recherche. L’idĂŠe de l’ un Âť est en effet aussi bien première que difficile d’accès. Elle n’apparaĂŽt d’ailleurs que tardivement dans l’histoire de la pensĂŠe et des religions, y compris bibliques, comme par une sorte de mise au jour d’une nĂŠcessitĂŠ qui s’impose au savoir critique de soi, Ă toute rĂŠalitĂŠ, Ă l’horizon du sens. Nous n’entendons pas soutenir par lĂ que l ’expĂŠrience psychologi quement première soit celle d’une multiplicitĂŠ dĂŠsarticulĂŠe. Le regard phĂŠnomĂŠnologique sur le langage met en effet en ĂŠvidence que la multiplicitĂŠ de ses ĂŠlĂŠments s’appellent mutuel lement ; l’attention Ă l’acte de parole permet ainsi Ă Jean-Baptiste Lecuit d’approcher le thème thĂŠologique de l’ inhabitation trinitaire Âť. Ă€ cette confĂŠrence enracinĂŠe dans la philosophie, correspond le travail d’Étienne VetĂś qui dĂŠploie, Ă partir des ĂŠvangiles, la manifestation de la TrinitĂŠ dans la figure du Christ, ce qui, selon l’auteur, exige d’outrepasser les limites du regard phĂŠnomĂŠnologique qui ne peut pas dĂŠborder l’immanence. Jean-Louis Vieillard-Baron montre ensuite comment l’unitĂŠ di vine a ĂŠtĂŠ ĂŠlaborĂŠe dans la spĂŠculation hĂŠgĂŠlienne et schellingienne. ghislain Lafont rĂŠpond Ă cette perspective en mettant en avant l’attitude du croyant qui, se donnant Ă dieu et Ă ses frères, ne dĂŠmultiplie pas ses interlocuteurs malgrĂŠ la multiplicitĂŠ de ses manières de prier et d’agir, mais se donne de multiples manières ÂŤ Ă dieu Âť seul, Ă dieu qui seul se donne totalement. L’unitĂŠ de dieu porte donc Ă son accomplissement le mouvement spirituel engagĂŠ dans une multiplicitĂŠ reconnue sensĂŠe. Le cĹ“ur de cette unitĂŠ est ÂŤ esprit Âť. d’oĂš les deux ĂŠtudes suivantes. L’esprit, nous dit JĂŠrĂ´me de gramont en commentant Husserl, opère en nous un dĂŠplacement, nous porte


Qu’y a-t-il de commun entre la philosophie et la thÊologie ?

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dans un ailleurs qui ne nous est pas ĂŠtranger ; il inscrit la transcendance dans l’immanence, et nous constitue ainsi en une singularitĂŠ qui a tout de la vie, faisant signe vers l’Esprit de dieu sans toutefois pouvoir le nommer personnellement Ă partir de son point de dĂŠpart philosophique, l ’espĂŠrant seulement, l’attendant. Bernard Forthomme approfondit ce point, en soulignant combien notre culture contemporaine est pĂŠnĂŠtrĂŠe par un esprit de dĂŠfiance, ce que manifeste la multiplicitĂŠ des contrĂ´les sociaux ; l’amitiĂŠ et la confiance sont par contre des dons de l’Esprit, du souffle de vie qui donne la libertĂŠ dans l’audace, l’inventivitĂŠ, la crĂŠativitĂŠ. La phĂŠnomĂŠnologie contemporaine est attentive au thème du corps : la christologie pourrait en tirer de grands avantages. Emmanuel Falque s’y emploie dans une confĂŠrence dont l’horizon est certes l ’eucharistie, mais dont les catĂŠgories essentielles permettent de repenser Ă neuf l ’articulation du corps et de la chair ; la phĂŠnomĂŠnologie rĂŠcente exalte la chair. Mais le corps (ÂŤ Ceci est mon corps Âť) n’est-il pas plus enracinĂŠ dans une rĂŠalitĂŠ complète, en ĂŠvitant le risque de s’en tenir Ă ce qui est seulement ÂŤ spirituel Âť ? Emmanuel durand insiste quant Ă lui sur le caractère paradigmatique de JĂŠsus, ÂŤ homme universel Âť. Son unicitĂŠ signifie que lui seul est capable d’être, et a ĂŠtĂŠ, et est pour toujours tout l’humain, plus humain que tout humain. N’est-on pas lĂ , en fait Ă la source de la saintetĂŠ de l’Église ? Nous passons ainsi de la christologie Ă l’ecclĂŠsiologie. Pour Agata Zielinski, l’Église est communion des saints dans le Saint ; ĂŞtre en Église est donc ĂŞtre en communion ; la phĂŠnomĂŠnologie contemporaine a beaucoup Ă dire sur ce thème, depuis qu’elle a considĂŠrĂŠ l’intersubjectivitĂŠ pour ĂŠchapper au solipsisme de la conscience individuelle et constituante et qu’elle engage une rĂŠflexion sur la sollicitude. AndrĂŠ BirmelĂŠ montre alors que les ecclĂŠsiologies catholique et luthĂŠrienne, malgrĂŠ leurs dĂŠsaccords, sont unies sous de nombreux points, prĂŠcisĂŠment ceux de la communion dans l’amour, Ă condition toutefois que les thèses s’enracinent dans la Parole de JĂŠsus et que soient reconnues les fautes des croyants qui dĂŠfigurent rĂŠellement l’Église ; ce qui invite, selon le thĂŠologien protestant, Ă desserrer les liens tissĂŠs habituellement dans le catholicisme (malgrĂŠ Vatican ii) entre le Christ et l’Église hiĂŠrarchique. Ces thèses, oĂš l’on entend l’immense dĂŠsir d’une Église sainte, invitent Ă mĂŠditer de nouveau sur le sens de l’histoire, de la croissance en charitĂŠ. L’eschatologie, indique Philippe Capelle, a pu prendre avec les penseurs modernes la forme d’une idĂŠe d’Êvolution ou de progrès achevĂŠ ; la


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Introduction

hĂŠnomĂŠnologie peut purifier cette idĂŠe, souvent naĂŻve, en mettant p l ’accent sur une attitude de ÂŤ souciance Âť pour l’excessif, et donc pour le transcendant, pour l’inattendu, un excessif qui cependant se rĂŠvèle tout de bontĂŠ, d’amour, d’alliance. Nous revenons alors Ă la christologie, au Christ en qui le Père a parlĂŠ une fois pour toutes. Pour giovanni Cesare Pagazzi, le regard du Christ sur les personnes, sur le monde, sur tout le crĂŠĂŠ, est un regard qui restaure tout, qui recrĂŠe ce que le pĂŠchĂŠ a dĂŠtruit, un regard qui sauve ; personne ne peut regarder comme JĂŠsus regarde, et voir en tout l’approche amoureuse du Père. Le regard du Christ est unique, le regard de l’accomplissement actuel, d’une eschatologie ÂŤ hodie Âť, ÂŤ sèmeron Âť. ÂŤ Aujourd’hui, s’accomplissent Ă vos oreilles ces paroles de l’Écriture Âť (Lc 4,21). En guise de conclusion, Paul gilbert propose une rĂŠflexion sur deux catĂŠgories fondamentales en phĂŠnomĂŠnologie, l’intention et l ’intuition ; ces deux catĂŠgories se nouent dans les diffĂŠrents parcours proposĂŠs dans cet ouvrage. Nous voudrions remercier maintenant Monsieur l’Ambassadeur Stanislas de Laboulaye, qui vient de quitter son poste de rome, pour son soutien aussi dynamique qu’intĂŠressĂŠ profondĂŠment aux questions soulevĂŠes, ainsi que Jean-Pierre Sonnet s.j., professeur d’exĂŠgèse biblique Ă la grĂŠgorienne, qui a composĂŠ avec nous le programme des confĂŠrences. Notre merci enfin Ă tous ceux qui ont acceptĂŠ de participer Ă titres divers Ă ces confĂŠrences et d’en animer les dĂŠbats. Puisse notre contribution participer au renouveau du dialogue entre la foi et la raison dont le pape BenoĂŽt XVi ne cesse de rappeler l’urgence pour le bien et la vie de nos sociĂŠtĂŠs contemporaines. nicolas bauquet, directeur de l’institut-Français – Centre Saint-Louis, rome, xavier d’arodes de peyriague, ancien conseiller ecclĂŠsiastique auprès de l’Ambassade de France près le Saint-Siège, paul gilbert s.j., professeur de philosophie Ă l’UniversitĂŠ grĂŠgorienne, rome.


CoNFÉrENCE iNAUgUrALE



i QU’ATTENd LA PHÉNoMÉNoLogiE dE LA THÉoLogiE ? Jean-Luc Marion

Bien entendu, rien. S’il faut en croire ici Heidegger — que l’on doit en effet prendre ici particulièrement au sĂŠrieux, puisque, disait-il encore en 1951, ÂŤ je viens de la thĂŠologie et je lui garde encore un vieil amour1  â€”, on devrait tenir pour constant que ÂŤ le concept d’une phĂŠnomĂŠnologie catholique est mĂŞme plus contradictoire que le concept de mathĂŠmatique protestante2 Âť. Sur un mode plus trivial, des polĂŠmiques rĂŠcentes ont d’ailleurs popularisĂŠ cette mise en garde, en soulignant que, par dĂŠfinition de sa mĂŠthode et ses prĂŠsupposĂŠs, la phĂŠnomĂŠnologie rĂŠcuse par avance et dès son origine husserlienne le moindre ÂŤ tournant thĂŠologique3 Âť. Pour autant, la pensĂŠe se trouve en pensant comme le mouvement se prouve en marchant, et nombre de travaux phĂŠnomĂŠnologiques ont, depuis plus de vingt ans, ĂŠtabli dans les faits que la phĂŠnomĂŠnologie, pour une large part, non seulement pouvait s’appliquer Ă des questions thĂŠologiques, mais y trouvait un intĂŠrĂŞt essentiel Ă son propre dĂŠploiement. il n’est, pour s’en convaincre, que de considĂŠrer les derniers travaux publiĂŠs de Levinas, 1.ÂĽM. Heidegger, ÂŤ SĂŠminaire de Zurich, 6 novembre 1951 Âť, dans Seminare, gA (= gesamtausgabe, Francfort-sur-le-Main, Klostermann) 15, p. 437. 2.ÂĽM. Heidegger, Les Problèmes fondamentaux de la phĂŠnomĂŠnologie, gA 24, p. 28. 3.ÂĽPar exemple d. Janicaud, Le Tournant thĂŠologique de la phĂŠnomĂŠnologie française, Combas, L’Éclat (coll. TirĂŠ Ă part), 1991 et La phĂŠnomĂŠnologie ĂŠclatĂŠe, Paris, L’Éclat (coll. TirĂŠ Ă part), 1998. Voir aussi, plus prĂŠcis sur nos positions et plus argumentĂŠ, J. Benoist, L’IdĂŠe de la phĂŠnomĂŠnologie, Paris, Beauchesne (coll. Le grenier Ă sel), 2001.


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XIV INTENTION ET INTUITION EN PHILOSOPHIE ET EN THÉOLOGIE Paul Gilbert

En guise de considérations conclusives du cycle de conférences publié ici, je voudrais m’arrêter à quelques questions de méthode. On s’étonnera sans doute d’un tel choix. En matière phénoménologique, toutefois, la méthode est ce qui fait la vérité du parcours, jusqu’à sa fin. Nous sommes à la fin. Parlons donc de méthode. La méthode est phénoménologique. Mais celle-ci n’est-elle pas propre à la philosophie ? Comment pourrions-nous supposer qu’elle puisse l’être aussi en théologie ? Le sous-titre de cet ouvrage ne devrait-il pas être corrigé de fond en comble ? Une théologie phénoménologique a-t-elle un sens ? Le philosophe chrétien n’aura toutefois aucune peine à prendre le théologien chrétien au mot. La foi biblique, et celle de l’Évangile de façon insigne, n’est-elle pas une foi en Dieu qui se révèle dans l’histoire, qui se fait phénomène ? Dieu qui advient en phénomène, n’est-ce pas l’axiome fondamental de la foi chrétienne ? Le théologien consentira peut-être à cette réponse, mais il ajoutera que le phénomène que considère le philosophe n’est pas le phénomène qu’il considère, lui. En réponse à quoi le phénoménologue philosophe demandera comment distinguer ces deux espèces de phénomènes, et quel est le genre commun où ils pourront recevoir des traits qui les spécifieront en manifestant les limites de leurs domaines respectifs. Seraient-ce des traits qui distinguent le phénomène vu par le philosophe et ce qui n’est plus du tout un phénomène de cette espèce pour le théologien ? Cette réponse serait absurde pour la foi biblique et ouvrirait l’espace à des croyances irrationnelles. Si par ailleurs la phénoménologie consiste


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Question de méthode

à apprendre à regarder ce qui advient en se rendant visible, si elle se concentre sur le mouvement d’advenue généreuse de ce qui est, n’est-elle pas vraiment chez elle quand elle est au cœur de la théologie, et même bien mieux qu’en philosophie ? La philosophie et la théologie suivent traditionnellement des chemins différents ; la première partirait de l’immanence et la seconde de la transcendance. Chacune de ces disciplines comporte certainement aussi de multiples « espèces » possibles qu’on ne peut pas confondre, mais en les configurant dans des « genres » communs, philosophique et théologique précisément. Nous pouvons soutenir, dans une première définition quelque peu sommaire (que nous aurons d’ailleurs à réviser), que la « philosophie comme science » se caractérise principalement par une attention à l’intention spirituelle, à l’esprit qui tend vers ce qui le déborde, le phénomène advenant, et la « théologie comme science » par une manière d’intuition intellectuelle ou de saisie immédiate de la réalité ou du phénomène advenu. Une analyse de chacune de ces disciplines invitera bien sûr à nuancer cette affirmation trop tranchée. Une discipline moderne — la phénoménologie husserlienne — vient en fait bousculer cette distinction, parce qu’elle est attentive à l’intention spirituelle en même temps qu’à l’intuition intellectuelle. Mais elle reconnaît qu’il y a là un lieu de débat, pour ne pas dire de conflit ; des philosophes parmi les plus importants en France s’interrogent en effet sur l’articulation en phénoménologie de ces deux pôles1. Le débat classique entre la philosophie et la théologie ne peut-il donc pas se déplacer alors à l’intérieur de la phénoménologie ? Le débat intérieur à la phénoménologie ne peut-il pas donner de nouvelles orientations au débat classique ? Mon intervention commencera en examinant les problèmes posés par l’intuition intellectuelle qui paraît essentielle à la théologie, qui y est cependant aussi problématique qu’en philosophie. Elle s’attachera ensuite à l’intention spirituelle à laquelle se dédie la phénoménologie 1.¥On verra d’E. Levinas, « Intentionnalité et métaphysique », dans Id., En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin (coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie), 20013, pp. 189-199 ; de M. Henry, « Phénoménologie non intentionnelle. Une tâche pour la phénoménologie à venir », dans D. Janicaud (éd.), L’Intentionnalité en question. Entre phénoménologie et recherches cognitives, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 1995, pp. 383-397.


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TABLE DES MATIÈRES

Introduction. Qu’y a-t-il de commun entre la philosophie et la théologie ? ………………………………………………………………

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conférence inaugurale I. Qu’attend la phénoménologie de la théologie ?, par J.-L. Marion …… A. Réduction …………………………………………………… B. Avancée ……………………………………………………… C. Débordement ………………………………………………… D. Révélation …………………………………………………… E. Lumière ………………………………………………………

13 14 17 20 24 29

de deo trino II. L’inhabitation trinitaire. Approche théologique à la lumière de la philosophie contemporaine de l’acte de parole, par J.-B. Lecuit …… A. L’analogon de la donation durable du locuteur en son allocutaire 1. L’auto-donation du locuteur en sa parole ………………… 2. L’intériorisation du locuteur en l’allocutaire ……………… 3. La durabilité de l’auto-donation dialogale ………………… 4. Le concept de donation du locuteur en l’allocutaire ………… B. La structure dialogale de l’inhabitation ………………………… 1. L’habitation trinitaire, acte de parole ……………………… 2. Les caractéristiques de l’inhabitation inhérentes à sa structure dialogale ………………………………………………… Conclusion ………………………………………………………

35 38 38 40 43 44 45 45 48 49


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Table des matières

III. « Qui m’a vu a vu le Père ». Phénoménologie et Trinité, par É. Vetö … A. La manifestation de la Trinité dans la figure du Christ ………… 1. Un mode unique de phénoménalisation …………………… 2. Les « yeux » de la phénoménologie ne suffisent pas ………… B. « Ne jamais se détacher des choses » (Nie von den Sachen Weg) … 1. Ecce homo – ecce Deus …………………………………… 2. Vers un renouvellement de la notion de personne divine …… Conclusion. Théologie trinitaire et phénoménologie ………………

51 52 52 56 60 61 62 66

de deo uno IV. Le Dieu un et sa transcendance, par J.-L. Vieillard-Baron ……… A. Les deux modalités du Dieu un ………………………………… B. Les diverses modalités du Dieu multiple ……………………… 1. La modalité polythéiste …………………………………… 2. La modalité hégélienne …………………………………… a. Polythéisme et monothéisme …………………………

71 72 74 74 74 75

b. Unité et unicité dans la compréhension hégélienne de Dieu ………………………………………………… 3. La modalité schellingienne ………………………………… a. L’unicité de Dieu ……………………………………… b. Le parcours mythologique …………………………… Récapitulons ……………………………………………………

77 81 81 81 83

V. Un seul Dieu. Dieu seul un, par Gh. Lafont ……………………… A. Deux chemins vers Dieu ……………………………………… B. Voies d’une approche phénoménologique de Dieu ……………… Conclusion ………………………………………………………

86 86 90 96

de spiritu sancto VI. L’esprit de la transcendance, par J. de Gramont ………………… A. Transcendance dans l’immanence …………………………… B. De Descartes à Husserl ………………………………………… C. Esprit nôtre et plus que nôtre …………………………………

101 102 105 110

VII. L’esprit d’audace, par B. Forthomme …………………………… A. L’esprit de défiance …………………………………………… B. Racine théologique de l’esprit de défiance ……………………… C. Crise théologique de l’esprit de contrôle ……………………… D. L’amitié comme figure de la confiance spirituelle ……………… E. L’esprit de confiance (Audemus dicere) ………………………… F. Audace par rapport à la vérité …………………………………

115 115 118 121 123 128 131


Table des matières

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de verbo incarnato VIII. Incarnation et incorporation. Pour une philosophie de l’eucharistie, par E. Falque ………………………………………………… A. L’embardée de la chair ………………………………………… B. Le résidu du corps …………………………………………… C. Ceci est mon corps …………………………………………… D. Le corps en acte ……………………………………………… E. Assimilation et incorporation …………………………………

137 138 141 145 148 151

IX. Jésus, homme universel. Du phénomène à son fondement, par E. Durand ………………………………………………………… A. L’aporie de l’universalité et les excès de la discontinuité ………… B. L’hypothèse d’une proportion de la singularité et de l’universalité …

157 159 161

1. L’amplitude de l’humain, possibilité d’une convenance universelle …………………………………………………… 2. Moyen Âge et Modernité : l’homme rapporté à l’essence ou à la subjectivité ……………………………………………… 3. La condition de l’homme, dans sa variété et ses connivences …… 4. L’implicite christique ……………………………………… C. L’interpellation graduée du Christ Jésus. Enfance et crucifixion … 1. L’enfance : condition commune et épiphanie indirecte ……… 2. L’interpellation universelle du Crucifié …………………… 3. L’ultime fondement divin de l’universalité singulière de l’homme Jésus ………………………………………………………

162 163 166 168 170 170 172 177

de ecclesia X. L’Église : être en relation. La communion des saints : avec et pour autrui, par A. Zielinski …………………………………………… A. Pas sans l’autre ……………………………………………… 1. Constitution transcendantale d’autrui ……………………… 2. Interdépendance ………………………………………… 3. Une visée commune ……………………………………… B. Être affecté par autrui ………………………………………… 1. Malgré soi ………………………………………………… 2. Empathie ………………………………………………… 3. De la compassion à la louange …………………………… C. La sollicitude ………………………………………………… 1. Être pour autrui …………………………………………… 2. Le Bon Samaritain, phénoménologie de la sollicitude ……… 3. Deux éléments de conclusion ………………………………

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Table des matières

XI. L’ecclésiologie, par A. Birmelé …………………………………… A. La définition de l’Église ……………………………………… B. L’analogie Christ – Église ……………………………………… C. La visibilité de l’Église et son mystère ………………………… Conclusion. L’Église une et ses visages multiples …………………

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de novissimis XII. Histoire et accomplissement, par Ph. Capelle-Dumont ………… A. Phénoménologie et théologie : la double irréductibilité ………… B. Phénoménologie et histoire …………………………………… C. L’histoire entre immanence et transcendance ………………… 1. Histoire et providence …………………………………… 2. La compénétration du surnaturel et de l’histoire …………… 3. Ordre temporel et transcendance théologique ……………… Conclusion ………………………………………………………

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XIII. Phénoménologie de Jésus, par G. C. Pagazzi

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A. Phénoménologie de Jésus (génitif objectif) …………………… B. Phénoménologie de Jésus (génitif subjectif) …………………… 1. Imagination de Jésus ……………………………………… 2. Intention et attention de Jésus …………………………… 3. L’invisible et le contact …………………………………… 4. Les expériences élémentaires de la vie ………………………

Conclusion question de méthode XIV. Intention et intuition en philosophie et en théologie, par P. Gilbert … A. L’intuition en question ……………………………………… B. L’intention en question ……………………………………… C. À nouvelle culture, nouveau paradigme ………………………

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Les auteurs ……………………………………………………………

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Index des noms des auteurs cités ……………………………………

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Table des matières ……………………………………………………

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O

Les auteurs : André Birmelé, Philippe Capelle-Dumont, Emmanuel Durand, Emmanuel Falque, Bernard Forthomme, Paul Gilbert, Jérôme de Gramont, Ghislain Lafont, Jean-Baptiste Lecuit, Jean-Luc Marion, Giovanni Cesare Pagazzi, Étienne Vetö, Jean-Louis Vieillard-Baron et Agata Zielinski.

ISBN: 978-2-87299-219-5

9 782872 992195

Diffusion : cerf

Illustration de couverture : Mark Rothko – Weisman (1953) © Sabam 2012.

uvert par Jean-Luc Marion, un cycle de dialogues a réuni à Rome en 2010-2011 des philosophes et des théologiens dans une démarche inédite. Il s’agissait de parcourir le Credo en le mettant sur un nouveau métier — celui de la phénoménologie. Au tournant du XXIe siècle, des théologiens ont en effet adopté avec rigueur et bonheur la méthode phénoménologique, qui est d’origine philosophique. De leur côté, des philosophes ont été poussés par la même méthode en direction de thèmes théologiques. Il était important que les uns et les autres se parlent, sans confusion des genres, dans un cadre intellectuel qui est un laboratoire pour la pensée catholique. « Nous avons vu sa gloire » : le verset de l’évangile de Jean fournit à cette confrontation son lieu symbolique ; il reconduit le philosophe et le théologien à ce qui, de Dieu et de l’homme, ne s’appréhende que phénoménologiquement. Une initiative conjointe de l’Institut français Centre SaintLouis (ambassade de France auprès du Saint-Siège) et de l’Université Grégorienne ; Nicolas Bauquet, directeur de l’Institut français, et Paul Gilbert, professeur à la Grégorienne, en ont assuré la direction.


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