Nicolas Bauquet Xavier d’Arodes de Peyriague Paul Gilbert (dirs)
«Nous avons vu sa gloire»
donner raison
Pour une phénoménologie du Credo
Sous la direction de
Nicolas BAUQUET Xavier d’ArodES dE PEyriAgUE Paul giLBErT
ÂŤ Nous avons vu sa gloire Âť Pour une phĂŠnomĂŠnologie du Credo
ouvrage publiÊ avec le soutien du Centre culturel – institut français de l’ambassade de France près le Saint-Siège et de l’UniversitÊ grÊgorienne de rome.
Š 2012 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be donner raison, 36 iSBN : 978-2-87299-219-5 d 2012/4255/5 diusion cerf
Introduction QU’y A-T-iL dE CoMMUN ENTrE LA PHiLoSoPHiE ET LA THÉoLogiE ?
La pensÊe chrÊtienne s’est longuement interrogÊe sur le rapport d’Athènes et de JÊrusalem, de la raison et de la foi. L’encyclique du bienheureux Jean-Paul ii, Fides et ratio, en est un tÊmoignage rÊcent Êclatant. Est-ce un rapport de soumission, l’une Êtant au service de l’autre ? ou bien possèdent-elles deux domaines parfaitement distincts et indiffÊrents l’un à l’autre ? Mais ne les met-on pas souvent en conflit l’une contre l’autre comme si l’une pouvait prÊtendre occuper le même espace que l’autre ? Ne pourrait-on cependant pas penser plutôt que les disciplines oÚ se dÊploient les exigences de la raison et de la foi, c’est-à -dire la philosophie et la thÊologie, puissent s’appuyer mutuellement l’une sur l’autre ? Et si cette dernière hypothèse est exacte, oÚ et comment les articuler ? Lorsque a ÊtÊ dÊterminÊ le cycle de confÊrences  Philosophie et thÊologie  que nous avions à organiser à l’UniversitÊ pontificale grÊgorienne à la demande aussi bien du Centre culturel Saint-Louis-de-France devenu rÊcemment l’institut-Français, avec le plein soutien de son Excellence Monsieur l’Ambassadeur Stanislas de Laboulaye, que de l’UniversitÊ pontificale grÊgorienne et de son recteur magnifique, le r.P. François-Xavier dumortier s.j., nous Êtions persuadÊs de l’urgence d’une rÊflexion philosophique et thÊologique qui permette un dialogue entre ces deux domaines. Nous avons fait aussi le pari, car il s’agit d’un vrai pari sur l’intelligence, de faire dialoguer la philosophie et la thÊologie contemporaines autour des questions les plus fondamentales de la foi chrÊtienne : celles qui portent sur la nature de dieu et de sa rÊvÊlation, en prenant comme fil conducteur les ÊnoncÊs essentiels du Symbole de Constantinople, composÊ en 381.
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Introduction
or la phÊnomÊnologie, dont la mÊthode Êvidemment philosophique ne manque pas de transparaÎtre aussi dans les recherches des thÊologiens, aborde les questions les plus radicales qui se posent à la rÊflexion contemporaine1. Elle semble cependant bousculer les catÊgories traditionnelles de la pensÊe, surtout lorsqu’elle touche des thèmes qui appartiennent à la thÊologie, une discipline par nature plus attentive à sa tradition que la philosophie, qui est volontiers critique de ses sources. Lorsque les thÊologiens s’inspirent de l’approche phÊnomÊnologique, ils se voient dans la nÊcessitÊ de se confronter à des interrogations dont ils perçoivent naturellement la profondeur et la radicalitÊ, mais en se trouvant dans la nÊcessitÊ d’une part de rÊinventer les modalitÊs de leurs propres ÊnoncÊs, et d’autre part de rester fidèles au dÊpôt de la foi — un grand dÊfi pour les thÊologiens plus que pour les philosophes, même si les uns et les autres ont à assumer en première personne une exigence spirituelle et intel lectuelle de  fidÊlitÊ crÊatrice . Comment d’ailleurs pourraient-ils faire autrement, sans s’exiler de la culture et devenir inaudibles ? En outre, loin d’être exclue du questionnement philosophique contemporain dans ses tournures phÊnomÊnologiques, la thÊologie se trouve comme attendue par la philosophie. Certains ont toutefois dÊnoncÊ ce qu’ils ont appelÊ le  tournant thÊologique de la phÊno-mÊnologie française2 , un tournant dont l’illÊgitimitÊ devrait être dÊplorÊe et proclamÊe par tous ceux qui ne veulent pas que la rÊvÊlation donne à penser en philosophie. La phÊnomÊnologie devrait être fidèle aux limites que la philosophie se donne depuis les  Lumières  ; strictement philosophique, elle ne peut pas s’Êcarter des paradigmes de la ModernitÊ. Mais ce  tournant , en fait Êvident même si on le nuance sans fin, peut être interprÊtÊ d’une autre façon que comme une trahison de la rigueur philosophique. Sa fÊconditÊ effective dans les publications rÊcentes dÊmontre que la rÊflexion phÊnomÊnologique Êveille une attente, mais qu’il n’appartient pas aux philosophes phÊnomÊnologues de l’exaucer d’eux-mêmes, car ce serait là effectivement trop demander à leur discipline respectueuse de ses exigences rationnelles. La thÊologie est cependant attendue par le phÊnomÊnologue, pour autant qu’elle Êpouse elle aussi les modalitÊs de la phÊnomÊnologie, 1.¼on verra à ce propos le livre rÊcent, et excellent, de Cl. romano, Au cœur de la raison, la phÊnomÊnologie, Paris, gallimard (coll. Folio. Essais), 2010. 2.¼Voir de d. Janicaud, Le Tournant thÊologique de la phÊnomÊnologie française, Combas, L’Éclat (coll. TirÊ à part), 1991.
Qu’y a-t-il de commun entre la philosophie et la thÊologie ?
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c’est-à -dire qu’elle regarde et fasse voir ce qui est, qu’elle articule un discours qui soit porteur de sens en Êcho aux dispositions et à la libertÊ de l’esprit. C’est d’ailleurs là l’intÊrêt que revêt la phÊnomÊnologie pour le thÊologien : elle l’invite à accueillir dans son discours des perspectives qui ne pourraient jamais lui apparaÎtre autrement, et qui font aussi que sa rÊflexion ne soit pas rÊfÊrÊe seulement au genre de langage qui a ÊtÊ le sien à partir de cultures qui ne sont plus les nôtres. Le regard phÊnomÊnologique, ÊduquÊ au respect de ce qui est, n’est-il pas d’ailleurs essentiel au croyant à l’Êcoute du Verbe dans l’Écriture et la Tradition ? L’urgence de faire dialoguer en phÊnomÊnologie la philosophie et la thÊologie contemporaines s’est donc imposÊe à nous3. Nous avons pensÊ qu’un tel dialogue est de plus en plus nÊcessaire, et nous avons fait le pari qu’il est possible. La phÊnomÊnologie contemporaine, husserlienne d’origine, ayant pris en France une tournure qui pÊnètre de plus en plus d ’autres pays, nous avons mobilisÊ parmi les plus grands philosophes et thÊologiens français contemporains ceux qui assument les perspectives phÊnomÊnologiques dans leurs travaux. Monsieur le professeur Jean-Luc Marion, dont on connaÎt l’importance de l’œuvre phÊnomÊno logique, a donnÊ la leçon inaugurale du cycle de confÊrences ÊditÊ ici. Sa position est celle d’un philosophe qui entend ne pas se substituer aux thÊologiens et à leurs responsabilitÊs. Mais les travaux du professeur Marion sont en fait, on s’en rendra compte dans le prÊsent volume, de rÊfÊrence Êvidente pour les thÊologiens, qui s’attachent à leurs disciplines respectives en intÊgrant un point de vue phÊnomÊnologique. Pas à pas, confÊrence après confÊrence, nous espÊrons ainsi ouvrir un dÊbat qui sera fÊcond et utile pour les Êtudiants, pour les professeurs, et pour tous ceux qui, ni Êtudiants ni professeurs, se prÊoccupent de culture et de recherche droite, un dÊbat fÊcond et utile, sans doute même nÊcessaire, pour l’Église. il ne s’agira pas d’effacer les diffÊrences de mÊthodes d’approche des confÊrenciers que nous entendrons. Nous n’entendons pas non plus Êmousser les aspÊritÊs qui se manifesteront inÊvitablement au long de leur parcours, ni tenter contre vents et marÊe d’arriver à un accord sur tout, ni terminer notre recherche en ayant dÊfini les camps de ceux qui 3.¼Le dÊbat est ouvert depuis longtemps, mais il a reçu une forte visibilitÊ lors de la publication d’un ouvrage collectif, PhÊnomÊnologie et thÊologie, Paris, CritÊrion (coll. idÊes), 1992 (textes de Jean-François Courtine, Jean-Louis ChrÊtien, Michel Henry, Jean-Luc Marion et Paul ricœur).
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Introduction
sont pour ou de ceux qui sont contre les idÊes et les thèses qui seront rÊsentÊes et dÊbattues. La polÊmique, stÊrilisante, ne nous intÊresse pas. p L’occasion est plutôt de dÊvelopper un savoir et de l’articuler, d’encourager une rÊflexion, de stimuler une pensÊe pour le service de l’Église. De Trinitate, De Deo uno, De Spiritu Sancto, De Verbo incarnato, De Ecclesia, De Novissimis : à chaque fois un philosophe et un thÊologien de premier plan dans le monde universitaire dÊbattront d’une même question, chacun dans une perspective phÊnomÊnologique. Notre parcours est dÊterminÊ par la sÊquence des articles du Symbole de NicÊe-Constantinople. on pourra sans doute s’Êtonner de l’inversion que nous faisons subir aux deux premiers articles. La raison de cette inversion a ÊtÊ occasionnelle : la disponibilitÊ des agendas des intervenants. Nous maintenons cependant ici cette inversion, qui nous apparaÎt fort sensÊe dans la perspective de notre recherche. L’idÊe de l’ un  est en effet aussi bien première que difficile d’accès. Elle n’apparaÎt d’ailleurs que tardivement dans l’histoire de la pensÊe et des religions, y compris bibliques, comme par une sorte de mise au jour d’une nÊcessitÊ qui s’impose au savoir critique de soi, à toute rÊalitÊ, à l’horizon du sens. Nous n’entendons pas soutenir par là que l ’expÊrience psychologi quement première soit celle d’une multiplicitÊ dÊsarticulÊe. Le regard phÊnomÊnologique sur le langage met en effet en Êvidence que la multiplicitÊ de ses ÊlÊments s’appellent mutuel lement ; l’attention à l’acte de parole permet ainsi à Jean-Baptiste Lecuit d’approcher le thème thÊologique de l’ inhabitation trinitaire . À cette confÊrence enracinÊe dans la philosophie, correspond le travail d’Étienne VetÜ qui dÊploie, à partir des Êvangiles, la manifestation de la TrinitÊ dans la figure du Christ, ce qui, selon l’auteur, exige d’outrepasser les limites du regard phÊnomÊnologique qui ne peut pas dÊborder l’immanence. Jean-Louis Vieillard-Baron montre ensuite comment l’unitÊ di vine a ÊtÊ ÊlaborÊe dans la spÊculation hÊgÊlienne et schellingienne. ghislain Lafont rÊpond à cette perspective en mettant en avant l’attitude du croyant qui, se donnant à dieu et à ses frères, ne dÊmultiplie pas ses interlocuteurs malgrÊ la multiplicitÊ de ses manières de prier et d’agir, mais se donne de multiples manières  à dieu  seul, à dieu qui seul se donne totalement. L’unitÊ de dieu porte donc à son accomplissement le mouvement spirituel engagÊ dans une multiplicitÊ reconnue sensÊe. Le cœur de cette unitÊ est  esprit . d’oÚ les deux Êtudes suivantes. L’esprit, nous dit JÊrôme de gramont en commentant Husserl, opère en nous un dÊplacement, nous porte
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dans un ailleurs qui ne nous est pas Êtranger ; il inscrit la transcendance dans l’immanence, et nous constitue ainsi en une singularitÊ qui a tout de la vie, faisant signe vers l’Esprit de dieu sans toutefois pouvoir le nommer personnellement à partir de son point de dÊpart philosophique, l ’espÊrant seulement, l’attendant. Bernard Forthomme approfondit ce point, en soulignant combien notre culture contemporaine est pÊnÊtrÊe par un esprit de dÊfiance, ce que manifeste la multiplicitÊ des contrôles sociaux ; l’amitiÊ et la confiance sont par contre des dons de l’Esprit, du souffle de vie qui donne la libertÊ dans l’audace, l’inventivitÊ, la crÊativitÊ. La phÊnomÊnologie contemporaine est attentive au thème du corps : la christologie pourrait en tirer de grands avantages. Emmanuel Falque s’y emploie dans une confÊrence dont l’horizon est certes l ’eucharistie, mais dont les catÊgories essentielles permettent de repenser à neuf l ’articulation du corps et de la chair ; la phÊnomÊnologie rÊcente exalte la chair. Mais le corps ( Ceci est mon corps ) n’est-il pas plus enracinÊ dans une rÊalitÊ complète, en Êvitant le risque de s’en tenir à ce qui est seulement  spirituel  ? Emmanuel durand insiste quant à lui sur le caractère paradigmatique de JÊsus,  homme universel . Son unicitÊ signifie que lui seul est capable d’être, et a ÊtÊ, et est pour toujours tout l’humain, plus humain que tout humain. N’est-on pas là , en fait à la source de la saintetÊ de l’Église ? Nous passons ainsi de la christologie à l’ecclÊsiologie. Pour Agata Zielinski, l’Église est communion des saints dans le Saint ; être en Église est donc être en communion ; la phÊnomÊnologie contemporaine a beaucoup à dire sur ce thème, depuis qu’elle a considÊrÊ l’intersubjectivitÊ pour Êchapper au solipsisme de la conscience individuelle et constituante et qu’elle engage une rÊflexion sur la sollicitude. AndrÊ BirmelÊ montre alors que les ecclÊsiologies catholique et luthÊrienne, malgrÊ leurs dÊsaccords, sont unies sous de nombreux points, prÊcisÊment ceux de la communion dans l’amour, à condition toutefois que les thèses s’enracinent dans la Parole de JÊsus et que soient reconnues les fautes des croyants qui dÊfigurent rÊellement l’Église ; ce qui invite, selon le thÊologien protestant, à desserrer les liens tissÊs habituellement dans le catholicisme (malgrÊ Vatican ii) entre le Christ et l’Église hiÊrarchique. Ces thèses, oÚ l’on entend l’immense dÊsir d’une Église sainte, invitent à mÊditer de nouveau sur le sens de l’histoire, de la croissance en charitÊ. L’eschatologie, indique Philippe Capelle, a pu prendre avec les penseurs modernes la forme d’une idÊe d’Êvolution ou de progrès achevÊ ; la
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Introduction
hÊnomÊnologie peut purifier cette idÊe, souvent naïve, en mettant p l ’accent sur une attitude de  souciance  pour l’excessif, et donc pour le transcendant, pour l’inattendu, un excessif qui cependant se rÊvèle tout de bontÊ, d’amour, d’alliance. Nous revenons alors à la christologie, au Christ en qui le Père a parlÊ une fois pour toutes. Pour giovanni Cesare Pagazzi, le regard du Christ sur les personnes, sur le monde, sur tout le crÊÊ, est un regard qui restaure tout, qui recrÊe ce que le pÊchÊ a dÊtruit, un regard qui sauve ; personne ne peut regarder comme JÊsus regarde, et voir en tout l’approche amoureuse du Père. Le regard du Christ est unique, le regard de l’accomplissement actuel, d’une eschatologie  hodie ,  sèmeron .  Aujourd’hui, s’accomplissent à vos oreilles ces paroles de l’Écriture  (Lc 4,21). En guise de conclusion, Paul gilbert propose une rÊflexion sur deux catÊgories fondamentales en phÊnomÊnologie, l’intention et l ’intuition ; ces deux catÊgories se nouent dans les diffÊrents parcours proposÊs dans cet ouvrage. Nous voudrions remercier maintenant Monsieur l’Ambassadeur Stanislas de Laboulaye, qui vient de quitter son poste de rome, pour son soutien aussi dynamique qu’intÊressÊ profondÊment aux questions soulevÊes, ainsi que Jean-Pierre Sonnet s.j., professeur d’exÊgèse biblique à la grÊgorienne, qui a composÊ avec nous le programme des confÊrences. Notre merci enfin à tous ceux qui ont acceptÊ de participer à titres divers à ces confÊrences et d’en animer les dÊbats. Puisse notre contribution participer au renouveau du dialogue entre la foi et la raison dont le pape BenoÎt XVi ne cesse de rappeler l’urgence pour le bien et la vie de nos sociÊtÊs contemporaines. nicolas bauquet, directeur de l’institut-Français – Centre Saint-Louis, rome, xavier d’arodes de peyriague, ancien conseiller ecclÊsiastique auprès de l’Ambassade de France près le Saint-Siège, paul gilbert s.j., professeur de philosophie à l’UniversitÊ grÊgorienne, rome.
CoNFÉrENCE iNAUgUrALE
i QU’ATTENd LA PHÉNoMÉNoLogiE dE LA THÉoLogiE ? Jean-Luc Marion
Bien entendu, rien. S’il faut en croire ici Heidegger — que l’on doit en effet prendre ici particulièrement au sÊrieux, puisque, disait-il encore en 1951,  je viens de la thÊologie et je lui garde encore un vieil amour1  —, on devrait tenir pour constant que  le concept d’une phÊnomÊnologie catholique est même plus contradictoire que le concept de mathÊmatique protestante2 . Sur un mode plus trivial, des polÊmiques rÊcentes ont d’ailleurs popularisÊ cette mise en garde, en soulignant que, par dÊfinition de sa mÊthode et ses prÊsupposÊs, la phÊnomÊnologie rÊcuse par avance et dès son origine husserlienne le moindre  tournant thÊologique3 . Pour autant, la pensÊe se trouve en pensant comme le mouvement se prouve en marchant, et nombre de travaux phÊnomÊnologiques ont, depuis plus de vingt ans, Êtabli dans les faits que la phÊnomÊnologie, pour une large part, non seulement pouvait s’appliquer à des questions thÊologiques, mais y trouvait un intÊrêt essentiel à son propre dÊploiement. il n’est, pour s’en convaincre, que de considÊrer les derniers travaux publiÊs de Levinas, 1.¼M. Heidegger,  SÊminaire de Zurich, 6 novembre 1951 , dans Seminare, gA (= gesamtausgabe, Francfort-sur-le-Main, Klostermann) 15, p. 437. 2.¼M. Heidegger, Les Problèmes fondamentaux de la phÊnomÊnologie, gA 24, p. 28. 3.¼Par exemple d. Janicaud, Le Tournant thÊologique de la phÊnomÊnologie française, Combas, L’Éclat (coll. TirÊ à part), 1991 et La phÊnomÊnologie ÊclatÊe, Paris, L’Éclat (coll. TirÊ à part), 1998. Voir aussi, plus prÊcis sur nos positions et plus argumentÊ, J. Benoist, L’IdÊe de la phÊnomÊnologie, Paris, Beauchesne (coll. Le grenier à sel), 2001.
ont s e n s ge a p s e n au certai s e l b i on p s i d s pa e. g a t e l feuil
XIV INTENTION ET INTUITION EN PHILOSOPHIE ET EN THÉOLOGIE Paul Gilbert
En guise de considérations conclusives du cycle de conférences publié ici, je voudrais m’arrêter à quelques questions de méthode. On s’étonnera sans doute d’un tel choix. En matière phénoménologique, toutefois, la méthode est ce qui fait la vérité du parcours, jusqu’à sa fin. Nous sommes à la fin. Parlons donc de méthode. La méthode est phénoménologique. Mais celle-ci n’est-elle pas propre à la philosophie ? Comment pourrions-nous supposer qu’elle puisse l’être aussi en théologie ? Le sous-titre de cet ouvrage ne devrait-il pas être corrigé de fond en comble ? Une théologie phénoménologique a-t-elle un sens ? Le philosophe chrétien n’aura toutefois aucune peine à prendre le théologien chrétien au mot. La foi biblique, et celle de l’Évangile de façon insigne, n’est-elle pas une foi en Dieu qui se révèle dans l’histoire, qui se fait phénomène ? Dieu qui advient en phénomène, n’est-ce pas l’axiome fondamental de la foi chrétienne ? Le théologien consentira peut-être à cette réponse, mais il ajoutera que le phénomène que considère le philosophe n’est pas le phénomène qu’il considère, lui. En réponse à quoi le phénoménologue philosophe demandera comment distinguer ces deux espèces de phénomènes, et quel est le genre commun où ils pourront recevoir des traits qui les spécifieront en manifestant les limites de leurs domaines respectifs. Seraient-ce des traits qui distinguent le phénomène vu par le philosophe et ce qui n’est plus du tout un phénomène de cette espèce pour le théologien ? Cette réponse serait absurde pour la foi biblique et ouvrirait l’espace à des croyances irrationnelles. Si par ailleurs la phénoménologie consiste
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Question de méthode
à apprendre à regarder ce qui advient en se rendant visible, si elle se concentre sur le mouvement d’advenue généreuse de ce qui est, n’est-elle pas vraiment chez elle quand elle est au cœur de la théologie, et même bien mieux qu’en philosophie ? La philosophie et la théologie suivent traditionnellement des chemins différents ; la première partirait de l’immanence et la seconde de la transcendance. Chacune de ces disciplines comporte certainement aussi de multiples « espèces » possibles qu’on ne peut pas confondre, mais en les configurant dans des « genres » communs, philosophique et théologique précisément. Nous pouvons soutenir, dans une première définition quelque peu sommaire (que nous aurons d’ailleurs à réviser), que la « philosophie comme science » se caractérise principalement par une attention à l’intention spirituelle, à l’esprit qui tend vers ce qui le déborde, le phénomène advenant, et la « théologie comme science » par une manière d’intuition intellectuelle ou de saisie immédiate de la réalité ou du phénomène advenu. Une analyse de chacune de ces disciplines invitera bien sûr à nuancer cette affirmation trop tranchée. Une discipline moderne — la phénoménologie husserlienne — vient en fait bousculer cette distinction, parce qu’elle est attentive à l’intention spirituelle en même temps qu’à l’intuition intellectuelle. Mais elle reconnaît qu’il y a là un lieu de débat, pour ne pas dire de conflit ; des philosophes parmi les plus importants en France s’interrogent en effet sur l’articulation en phénoménologie de ces deux pôles1. Le débat classique entre la philosophie et la théologie ne peut-il donc pas se déplacer alors à l’intérieur de la phénoménologie ? Le débat intérieur à la phénoménologie ne peut-il pas donner de nouvelles orientations au débat classique ? Mon intervention commencera en examinant les problèmes posés par l’intuition intellectuelle qui paraît essentielle à la théologie, qui y est cependant aussi problématique qu’en philosophie. Elle s’attachera ensuite à l’intention spirituelle à laquelle se dédie la phénoménologie 1.¥On verra d’E. Levinas, « Intentionnalité et métaphysique », dans Id., En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin (coll. Bibliothèque d’histoire de la philosophie), 20013, pp. 189-199 ; de M. Henry, « Phénoménologie non intentionnelle. Une tâche pour la phénoménologie à venir », dans D. Janicaud (éd.), L’Intentionnalité en question. Entre phénoménologie et recherches cognitives, Paris, Vrin (coll. Problèmes et controverses), 1995, pp. 383-397.
ont s e n s ge a p s e n au certai s e l b i on p s i d s pa e. g a t e l feuil
TABLE DES MATIÈRES
Introduction. Qu’y a-t-il de commun entre la philosophie et la théologie ? ………………………………………………………………
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conférence inaugurale I. Qu’attend la phénoménologie de la théologie ?, par J.-L. Marion …… A. Réduction …………………………………………………… B. Avancée ……………………………………………………… C. Débordement ………………………………………………… D. Révélation …………………………………………………… E. Lumière ………………………………………………………
13 14 17 20 24 29
de deo trino II. L’inhabitation trinitaire. Approche théologique à la lumière de la philosophie contemporaine de l’acte de parole, par J.-B. Lecuit …… A. L’analogon de la donation durable du locuteur en son allocutaire 1. L’auto-donation du locuteur en sa parole ………………… 2. L’intériorisation du locuteur en l’allocutaire ……………… 3. La durabilité de l’auto-donation dialogale ………………… 4. Le concept de donation du locuteur en l’allocutaire ………… B. La structure dialogale de l’inhabitation ………………………… 1. L’habitation trinitaire, acte de parole ……………………… 2. Les caractéristiques de l’inhabitation inhérentes à sa structure dialogale ………………………………………………… Conclusion ………………………………………………………
35 38 38 40 43 44 45 45 48 49
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Table des matières
III. « Qui m’a vu a vu le Père ». Phénoménologie et Trinité, par É. Vetö … A. La manifestation de la Trinité dans la figure du Christ ………… 1. Un mode unique de phénoménalisation …………………… 2. Les « yeux » de la phénoménologie ne suffisent pas ………… B. « Ne jamais se détacher des choses » (Nie von den Sachen Weg) … 1. Ecce homo – ecce Deus …………………………………… 2. Vers un renouvellement de la notion de personne divine …… Conclusion. Théologie trinitaire et phénoménologie ………………
51 52 52 56 60 61 62 66
de deo uno IV. Le Dieu un et sa transcendance, par J.-L. Vieillard-Baron ……… A. Les deux modalités du Dieu un ………………………………… B. Les diverses modalités du Dieu multiple ……………………… 1. La modalité polythéiste …………………………………… 2. La modalité hégélienne …………………………………… a. Polythéisme et monothéisme …………………………
71 72 74 74 74 75
b. Unité et unicité dans la compréhension hégélienne de Dieu ………………………………………………… 3. La modalité schellingienne ………………………………… a. L’unicité de Dieu ……………………………………… b. Le parcours mythologique …………………………… Récapitulons ……………………………………………………
77 81 81 81 83
V. Un seul Dieu. Dieu seul un, par Gh. Lafont ……………………… A. Deux chemins vers Dieu ……………………………………… B. Voies d’une approche phénoménologique de Dieu ……………… Conclusion ………………………………………………………
86 86 90 96
de spiritu sancto VI. L’esprit de la transcendance, par J. de Gramont ………………… A. Transcendance dans l’immanence …………………………… B. De Descartes à Husserl ………………………………………… C. Esprit nôtre et plus que nôtre …………………………………
101 102 105 110
VII. L’esprit d’audace, par B. Forthomme …………………………… A. L’esprit de défiance …………………………………………… B. Racine théologique de l’esprit de défiance ……………………… C. Crise théologique de l’esprit de contrôle ……………………… D. L’amitié comme figure de la confiance spirituelle ……………… E. L’esprit de confiance (Audemus dicere) ………………………… F. Audace par rapport à la vérité …………………………………
115 115 118 121 123 128 131
Table des matières
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de verbo incarnato VIII. Incarnation et incorporation. Pour une philosophie de l’eucharistie, par E. Falque ………………………………………………… A. L’embardée de la chair ………………………………………… B. Le résidu du corps …………………………………………… C. Ceci est mon corps …………………………………………… D. Le corps en acte ……………………………………………… E. Assimilation et incorporation …………………………………
137 138 141 145 148 151
IX. Jésus, homme universel. Du phénomène à son fondement, par E. Durand ………………………………………………………… A. L’aporie de l’universalité et les excès de la discontinuité ………… B. L’hypothèse d’une proportion de la singularité et de l’universalité …
157 159 161
1. L’amplitude de l’humain, possibilité d’une convenance universelle …………………………………………………… 2. Moyen Âge et Modernité : l’homme rapporté à l’essence ou à la subjectivité ……………………………………………… 3. La condition de l’homme, dans sa variété et ses connivences …… 4. L’implicite christique ……………………………………… C. L’interpellation graduée du Christ Jésus. Enfance et crucifixion … 1. L’enfance : condition commune et épiphanie indirecte ……… 2. L’interpellation universelle du Crucifié …………………… 3. L’ultime fondement divin de l’universalité singulière de l’homme Jésus ………………………………………………………
162 163 166 168 170 170 172 177
de ecclesia X. L’Église : être en relation. La communion des saints : avec et pour autrui, par A. Zielinski …………………………………………… A. Pas sans l’autre ……………………………………………… 1. Constitution transcendantale d’autrui ……………………… 2. Interdépendance ………………………………………… 3. Une visée commune ……………………………………… B. Être affecté par autrui ………………………………………… 1. Malgré soi ………………………………………………… 2. Empathie ………………………………………………… 3. De la compassion à la louange …………………………… C. La sollicitude ………………………………………………… 1. Être pour autrui …………………………………………… 2. Le Bon Samaritain, phénoménologie de la sollicitude ……… 3. Deux éléments de conclusion ………………………………
181 184 184 186 188 191 191 193 195 198 199 200 201
302
Table des matières
XI. L’ecclésiologie, par A. Birmelé …………………………………… A. La définition de l’Église ……………………………………… B. L’analogie Christ – Église ……………………………………… C. La visibilité de l’Église et son mystère ………………………… Conclusion. L’Église une et ses visages multiples …………………
203 204 209 214 219
de novissimis XII. Histoire et accomplissement, par Ph. Capelle-Dumont ………… A. Phénoménologie et théologie : la double irréductibilité ………… B. Phénoménologie et histoire …………………………………… C. L’histoire entre immanence et transcendance ………………… 1. Histoire et providence …………………………………… 2. La compénétration du surnaturel et de l’histoire …………… 3. Ordre temporel et transcendance théologique ……………… Conclusion ………………………………………………………
225 226 229 232 237 238 240 243
XIII. Phénoménologie de Jésus, par G. C. Pagazzi
245 246 249 251 257 259 261
…………………
A. Phénoménologie de Jésus (génitif objectif) …………………… B. Phénoménologie de Jésus (génitif subjectif) …………………… 1. Imagination de Jésus ……………………………………… 2. Intention et attention de Jésus …………………………… 3. L’invisible et le contact …………………………………… 4. Les expériences élémentaires de la vie ………………………
Conclusion question de méthode XIV. Intention et intuition en philosophie et en théologie, par P. Gilbert … A. L’intuition en question ……………………………………… B. L’intention en question ……………………………………… C. À nouvelle culture, nouveau paradigme ………………………
267 269 275 281
Les auteurs ……………………………………………………………
291
Index des noms des auteurs cités ……………………………………
295
Table des matières ……………………………………………………
299
O
Les auteurs : André Birmelé, Philippe Capelle-Dumont, Emmanuel Durand, Emmanuel Falque, Bernard Forthomme, Paul Gilbert, Jérôme de Gramont, Ghislain Lafont, Jean-Baptiste Lecuit, Jean-Luc Marion, Giovanni Cesare Pagazzi, Étienne Vetö, Jean-Louis Vieillard-Baron et Agata Zielinski.
ISBN: 978-2-87299-219-5
9 782872 992195
Diffusion : cerf
Illustration de couverture : Mark Rothko – Weisman (1953) © Sabam 2012.
uvert par Jean-Luc Marion, un cycle de dialogues a réuni à Rome en 2010-2011 des philosophes et des théologiens dans une démarche inédite. Il s’agissait de parcourir le Credo en le mettant sur un nouveau métier — celui de la phénoménologie. Au tournant du XXIe siècle, des théologiens ont en effet adopté avec rigueur et bonheur la méthode phénoménologique, qui est d’origine philosophique. De leur côté, des philosophes ont été poussés par la même méthode en direction de thèmes théologiques. Il était important que les uns et les autres se parlent, sans confusion des genres, dans un cadre intellectuel qui est un laboratoire pour la pensée catholique. « Nous avons vu sa gloire » : le verset de l’évangile de Jean fournit à cette confrontation son lieu symbolique ; il reconduit le philosophe et le théologien à ce qui, de Dieu et de l’homme, ne s’appréhende que phénoménologiquement. Une initiative conjointe de l’Institut français Centre SaintLouis (ambassade de France auprès du Saint-Siège) et de l’Université Grégorienne ; Nicolas Bauquet, directeur de l’Institut français, et Paul Gilbert, professeur à la Grégorienne, en ont assuré la direction.