pour le Seigneur un chant nouveau, car il a fait des choses étonnantes » (Ps 98,1). Dans la Bible, étonnement et poésie vont de pair et le chant nouveau surgit d’un art très ancien. Le présent livre initie à cet art.
Précis et pédagogique, cet ouvrage, initialement publié en espagnol et adapté en français par le professeur Maurice Gilbert, est devenu au fil des ans un «classique» ; il est aujourd’hui l’une des meilleures introductions à la poétique biblique.
Luis ALONSO SCHÖKEL s.j. (1920-1998) enseigna à l’Institut biblique pontifical de Rome. Il fut l’un des pionniers de la conversion de l’exégèse à l’art littéraire de la Bible. Parmi ses ouvrages en français : La Parole inspirée. L’Écriture sainte à la lumière du langage et de la littérature (Cerf, 1971), Le Cantique des cantiques (Moustier, 1995).
ISBN : 978-2-87299-235-5
9 782872 992355
Diffusion : cerf www.editionslessius.be
Illustration © Joëlle Dautricourt – Grand Océan (encre de Chine et estampage).
En s’appuyant sur des versets, des strophes et des chants tirés du répertoire poétique de l’Ancien Testament, Luis Alonso Schökel présente les genres, le matériel sonore et le rythme de la versification hébraïque, ainsi que son ressort le plus puissant : le parallélisme. Il s’attarde ensuite sur les images mises en jeu et sur les figures de style ; il caractérise enfin le déploiement d’ensemble de quelques grands textes poétiques.
Luis ALONSO SCHÖKEL
Manuel de
poétique hébraïque
le livre et le rouleau
« Chantez
Manuel de poétique hébraïque • L. Alonso Schökel
le livre et le rouleau 41
cv_Alonso Sch 03_Projet B 22/04/13 14:29 Page1
Luis ALONSO SCHÖKEL, s.j.
Manuel de poétique hébraïque Traduit du castillan par Maurice Gilbert, s.j.
Pour l’édition originale en castillan intitulée : Manual de poetica hebrea © 1987 Ediciones Cristiandad, Madrid info@edicionescristiandad.es www.edicionescristiandad.es Pour la traduction française, © 2013 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Le livre et le rouleau, 41 Une collection dirigée par Didier Luciani et Jean-Pierre Sonnet ISBN : 978-2-87299-235-5 D 2013/4255/5 Diffusion cerf
AvANt-PrOPOS
Luis Alonso Schökel, s.j., naquit en 1920 à Madrid de père espagnol et de mère allemande. Il mourut à Salamanque en 1998. De 1957 à 1995, il enseigna la théologie de l’Ancien testament et l’herméneutique à l’Institut biblique pontifical de rome. Docteur en sciences bibliques, il publia sa dissertation en 1963 chez Juan Flors à Barcelone, sous le titre de Estudios de poética hebrea1. Jeune jésuite, il s’était passionné de stylistique et, pour y former les élèves des collèges et lycées, il avait publié plusieurs manuels, souvent réédités. Je l’ai connu dans ses années les plus fécondes. Sa bibliographie est exceptionnelle : 91 livres, 296 articles et 110 comptes rendus d’ouvrages importants. On lui doit principalement la traduction espagnole, avec notes abondantes, de tous les livres de l’Ancien testament ; parus entre 1966 et 1976, ses 18 volumes constituent la collection intitulée Los Libros Sagrados, édités chez Cristiandad à Madrid. En 1975, il rassembla ses traductions dans la Nueva Biblia Española, chez le même éditeur. On lui doit ensuite des commentaires « théologiques et littéraires » des Prophètes en 1980, du livre de Job en 1983, du livre des Proverbes en 1984 et, enfin, des Psaumes en 1992-1993. Il fut également le maître d’œuvre du Diccionario Bíblico HebreoEspañol, qui fut achevé en 1994 ; ce dictionnaire s’attache en particulier au développement sémantique des mots. Quant à ses principaux articles, ils ont été rassemblés en trois volumes intitulés Hermeneutica de la Palabra, édités successivement en 1986, 1987 et 1991.
1.¥J’en ai rendu compte dans la NRT, 86, 1964, pp. 420-421.
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Maurice Gilbert
C’est dans le deuxième de ces recueils que parut tout d’abord son Manual de poética hebrea ; il fut réédité à part en 1988 chez Cristiandad à Madrid et le présent volume en offre la traduction française. Les nombreuses citations de l’Ancien testament qu’on trouve dans ce Manual venaient de ses propres traductions parues dans Los Libros Sagrados et reprises dans sa Nueva Biblia Española ; dans la présente traduction française du Manual, j’ai tenté de rendre la version espagnole de l’auteur2. En français, on verra de lui la Parole inspirée. L’Écriture à la lumière du langage et de la littérature3. L’article « Poésie hébraïque », qu’il publia dans le Supplément au Dictionnaire de la Bible4, est, avec sa dissertation doctorale, une des deux formes préliminaires du Manual. Celui-ci est sans conteste l’œuvre de maturité d’un maître en la matière. maurice gilbert, s.j.
2.¥D’autres fois, l’auteur compare telle caractéristique de la poésie hébraïque à un phénomène analogue de la poésie espagnole. Le plus souvent, j’ai omis ces comparaisons ou les ai remplacées par quelques correspondants de la poésie de langue française. 3.¥traduit par J. de Blignières, dans la collection LeDiv, 64, Paris, Cerf, 1971. 4.¥tome 8, 1968, aux colonnes 47-90.
PrÉSENtAtION
trente-cinq ans ont passé entre ma dissertation doctorale Estudios de poética hebrea (Études de poétique hébraïque) et ce Manuel de poétique hébraïque. Le sujet est le même. Cette identité thématique a permis durant cette période d’accueillir au fil des ans divers travaux, commentaires, monographies, articles. C’est un laps de temps qui définit une activité. Cependant le genre est totalement différent entre une dissertation et un manuel. Je compte les trente-cinq ans à partir de novembre 1954 quand je mis la main à la rédaction d’une dissertation doctorale. Le genre « dissertation » exige une grande quantité de lecture, sans négliger les travaux clairement inutiles ; il exige un étalage d’érudition, un développement analytique, la discussion des opinions ; on espère ou l’on suppose que la dissertation apporte quelque chose de neuf et de personnel : une nouvelle solution à un problème déjà en discussion, une synthèse de la recherche pour une période donnée, une approche originale, un sujet qui n’a pas encore été traité, une méthode nouvelle. L’avantage de ma dissertation fut d’aborder un thème assez inédit dans l’exégèse d’alors — la poétique de la Bible hébraïque —, et n’était pas moins neuve la méthode choisie : une analyse stylistique selon les méthodes de Leo Spitzer et de Damaso Alonso. On tient pour acquis qu’une dissertation a les défauts du genre : insécurité du débutant, enthousiasmes ingénus, exagérations unilatérales. La mienne ajoutait un autre défaut, évident : le peu
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Présentation
d’attention accordé à la critique des sources et des unités littéraires. La publication s’est fait plutôt attendre : à la fin de 1962, bien que ma dissertation eût été soutenue en avril 1957. Le fait que le sujet était inusité et qu’elle était écrite en espagnol limitait l’acceptation du travail par un éditeur ; pourtant il conservait, à mes yeux, une valeur unique : la dissertation avait été tout un programme. Dans mon activité d’enseignant et d’écrivain, durant trois décennies, l’intérêt pour la poétique et la stylistique m’a soutenu ; je crois avoir pu affiner ma sensibilité et avoir réussi à offrir des contributions exégétiques nouvelles et, bien entendu, j’ai accumulé des connaissances en la matière. Dans mes articles de théologie biblique, dans mes commentaires exégétiques, dans mes livres de réflexion sur l’inspiration et l’herméneutique, cet intérêt est patent. Arrive ainsi, pour des raisons fortuites, le moment où les connaissances acquises se cristallisent dans un nouveau livre : cette fois, c’est un manuel. Cela veut-il dire que l’enrichissement des données et des expériences fera que le livre final en arrive à être plus volumineux et plus érudit que la dissertation initiale de 550 pages ? Ne le permettent ni le genre « manuel » ni les années. On apprend à économiser, à se débarrasser de l’accessoire, à se concentrer sur l’essentiel. Les bagages de nos voyages intercontinentaux se réduisent étrangement. Dans ce manuel se retrouve la substance de ma dissertation Estudios de poética hebrea, mais il s’y trouve quantité de choses nouvelles, spécialement sur les images, les figures et le dialogue. Malgré tout, ses dimensions justifient l’appellation de « manuel ». Les Allemands éditent des Hand-Atlas (Atlas manuel) de 50 x 30 centimètres, adaptés à des mains de cyclopes. Moi, je pense à un manuel pour des mains humaines, maniable et jusqu’à ce qu’on puisse en manipuler quelques pages. Mon intérêt prioritaire n’est pas la simple information sur des phénomènes ou des auteurs. Ce que je cherche, c’est d’initier le lecteur à l’analyse stylistique de la poésie. Pour obtenir des informations, pour apprendre à identifier et à classer, le lecteur peut recourir aujourd’hui à des ouvrages récents (Watson) ou plus anciens (König, Hempel) ou en réimpression (Bullinger). tout ce que mon manuel contient de définition ou de description et de classification est pensé comme un instrument pour l’analyse. C’est pour cela que beaucoup
Présentation
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de chapitres ou de sections de ce livre commencent ou s’achèvent par un exemple soumis à l’analyse. Je n’ai pas conçu ce manuel comme un ouvrage de consultation, mais plutôt comme un livre d’initiation. Ainsi défini, je crois qu’il occupe une place vacante jusqu’à maintenant. Mon souhait est qu’il en arrive à être tout un programme pour d’autres, comme il le fut pour moi en premier ! rome, Pentecôte 1987.
ABrÉvIAtIONS
AJSL
American Journal of Semitic Languages and Literatures, Chicago AnBib Analecta Biblica, rome, Institut biblique AnOr Analecta Orientalia, rome, Institut biblique BAC Biblioteca de Autores Cristianos, Madrid Bib Biblica, rome, Institut biblique BZ Biblische Zeitschrift, Paderborn BZAW Beihefte zur Zeitschrift für die Alttestamentliche Wissenschaft, Berlin DBS Dictionnaire de la Bible. Supplément, Paris EstE Estudios Eclesiasticos, Madrid EstBib Estudios Biblicos, Madrid EtB Études Bibliques, Paris FOtL Forms in the Old testament Literature HarvSemMon Harvard Seminar Monography HK Handkommentar zum At, Göttingen HUCA Hebrew Union College Annual, Cincinnati IDB the Interpreter’s Dictionary of the Bible, Nashville IluCl Ilustración del Clero, Madrid JBL Journal of Biblical Literature, Philadelphie JJS Journal of Jewish Studies, Oxford JPOS Journal of the Palestine Oriental Society, Jérusalem JTS Journal of Theological Studies, Oxford, Londres LeDiv Lectio Divina, Paris, Cerf NBiE Nueva Biblia Española, Madrid, Cristiandad Nrt Nouvelle Revue théologique, Bruxelles
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RazFe RB RÉJuiv RivBib RHPhilRel rMont RScRel TRu TS TübTQ VD vtS ZAW ZSem
Abréviations
Razón y Fe, Madrid Revue biblique, Paris Revue des études juives, Paris Rivista Biblica Revue d’histoire et de philosophie religieuse, Strasbourg recherches, Montréal Revue des sciences religieuses, Strasbourg Theologische Rundschau, tübingen Theologische Studies, Baltimore Tübinger Theologische Quartalschrift, tübingen Verbum Domini, rome, Institut biblique vetus testamentum, Supplements, Leyde Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Zeitschrift für Semitistik und verwandte Gebiete, Leipzig
trANSLIttÉrAtION DE L’HÉBrEU
Chapitre premier HIStOIrE
La découverte pleine et entière de la poésie hébraïque comme réalité artistique, pour le plaisir et pour l’étude historique, est relativement récente. Les Hébreux savaient apprécier leurs textes et leurs livres non seulement comme textes sacrés, mais aussi comme textes littéraires ou poétiques : la conservation des légendes, des récits épiques, des chants lyriques, l’imitation de poèmes et l’usage conscient des procédés littéraires montrent que, pour eux, ces textes avaient une valeur littéraire non moins que religieuse. En cela, ils n’étaient pas différents d’autres peuples. Ce qui leur a manqué, c’était la réflexion théorique et systématique, une activité qu’Aristote a introduite avec succès dans notre culture occidentale. Il est possible qu’aient existé en Israël des écoles de poésie qui conservaient et transmettaient des règles pratiques du métier, comme cela se faisait pour les autres fonctions artisanales. Ces règles pratiques auraient été en germe une poétique hébraïque formulée par les Hébreux eux-mêmes. Si une telle collection de règles, avec leurs noms, a existé, elle n’a laissé aucune trace reconnaissable. Quand s’intensifie la conscience du caractère sacré des textes, la conscience de leur valeur littéraire et poétique décline. Il arrive ainsi que, même si les Juifs continuent à composer des textes littéraires (que nous appelons « apocryphes ») et étudient avec passion et minutie leurs textes canoniques, c’est à peine s’ils tiennent compte de leur dimension littéraire. Même la tradition vivante du rythme
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Chapitre premier
poétique se perd et ne nous parviennent que des imitations empiriques. Au contact des Grecs, ils ne créent ni une rhétorique ni une poétique hébraïques. 1. La période patristique. Au début du christianisme, alors que le champ littéraire est occupé exclusivement par les auteurs gréco-latins, la Bible se lit simplement comme livre saint. Deux polémiques qui auraient pu introduire une mentalité nouvelle n’ont eu aucun effet consistant. Quand Julien interdit aux chrétiens (en 362 environ) d’enseigner les « classiques » gréco-latins, quelques auteurs chrétiens se consacrèrent à fabriquer des « classiques chrétiens » d’imitation : de la Bible, ils prirent des thèmes et des motifs pour composer de nouveaux textes littéraires. Ce qui était l’aveu implicite que la Bible comme telle n’était pas littérature. La controverse sur la rusticitas chrétienne provoqua deux réactions opposées. Ou l’on accepte l’accusation en la retournant apologétiquement avec l’argument de Paul : « Mes discours et mon message n’utilisaient pas des arguments habiles et persuasifs : la démonstration consistait en la force de l’Esprit, pour que votre foi reposât, non sur la sagesse humaine, mais sur la force de Dieu » (1 Co 2,4-5). C’est de cette façon qu’argumentent Origène, Chrysostome etc. Ou l’on nie l’accusation, en affirmant que la Bible aussi est littérature et ils le prouvaient en compilant des catalogues de tropes et de figures tirées de la Bible ; c’est de la sorte que rétorquait, entre autres, Augustin. Ces deux positions — épique biblique ou arguments bibliques transformés en poésie occidentale et rhétorique biblique ou catalogue de tropes et figures de la Bible — dominent tout le Moyen Âge. L’apologétique s’empara de la seconde position, la poussa audacieusement et en arriva à affirmer que les écrivains bibliques avaient été les modèles des Grecs. Pourtant personne ne tira les conséquences du principe pour prendre la Bible comme objet d’étude littéraire et modèle de composition poétique. La position rhétorique a été transmise par Cassiodore, Isidore, Bède etc., tandis que Prudence, Sedulius et Juvencus cultivèrent l’imitation épique ou lyrique.
Histoire
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2. Le Moyen Âge. Il faut mettre à part et en bonne place le juif espagnol Moshé Ibn Ezra (xie s.). Partant de la rhétorique arabe, débitrice à son tour de celle de la Grèce, et analysant directement le texte hébreu de la Bible, il composa une espèce de rhétorique hébraïque supérieure à tous les travaux précédents. Pourtant son œuvre et son exemple ne trouvèrent d’influence ni large ni durable. 3. La Renaissance. Dans leur polémique contre la scolastique, les humanistes arborèrent la Bible pour justifier leur activité poétique et pour exalter la valeur de la poésie par rapport à la spéculation (Albertino Mussato, †1329 ; Dante et Boccace). On reconnaît la valeur littéraire de la Bible, sans tirer les conséquences d’une telle affirmation. Une exception capitale : Luis de León (1527-1591), modèle de l’humanisme chrétien. Doué d’une sensibilité neuve et raffinée, il fut capable de goûter et d’apprécier la poésie biblique, non moins que la latine. Par ses explications sur la langue hébraïque, par son commentaire du Cantique des cantiques, par sa conception de la poésie, Luis de León est le digne prédécesseur de Lowth et de Herder. 4. Les Modernes. L’évêque anglican robert Lowth (1710-1787), poussé peut-être par les premières vagues du « préromantisme » (van tieghem), inaugura l’étude systématique de la poésie biblique. Bien qu’il écrivît en latin et utilisât des catégories traditionnelles, il signala et systématisa quelques procédés poétiques, comme le parallélisme, montra les similitudes et les différences par rapport aux classiques et analysa tel ou tel poème. Une sensibilité nouvelle s’approche d’un objet nouveau avec un instrument ancien. Le livre de Lowth, De sacra poesi Hebraeorum (1753), connut une grande diffusion et une profonde
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Chapitre premier
influence en Europe : entre 1758 et 1761, J.D. Michaelis en publia même une édition annotée. Quelques années plus tard, en 1782, J.G. Herder publia son livre Vom Geist der ebräichen Poesie. Le sujet est le même, l’orientation est bien différente. Herder, qui écrit en allemand, considère la poésie comme une « création » qui révèle l’« esprit d’un peuple » (Volksgeist). Il cherche la perception immédiate du poème, relie poésie et langage, s’enthousiasme pour ce qui est primitif ou primordial, devine ce qui est personnel et différent, se libère de la rhétorique formelle en vogue, anticipe même l’idée de saga et d’étiologie. Le xixe siècle produit quelques travaux de peu d’importance, comme l’exposé aride et rationnel de J.G. Wenrich ou l’œuvre présomptueuse et grandiloquente de Plantier. Au sujet de E.W. Bullinger, on verra l’Introduction du chapitre IX, consacré aux figures. À la fin du siècle, nous tombons sur deux œuvres notables. r.G. Moulton publie une étude systématique des formes poétiques, The Literary Study of the Bible (1896). E. König compose une étude systématique pleine d’érudition, Stylistik, Rhetorik, Poetik in Bezug auf die biblische Litteratur (1900) : c’est un effort gigantesque pour distinguer, diviser et subdiviser, cataloguer et accumuler tropes et figures. Énorme effort more botanico de ramasser et de cataloguer, sans aucune sensibilité artistique. H. Gunkel inaugure une nouvelle étape et fait école. Il considère la Bible comme un document dans l’histoire de la littérature et de la religion. Il unit à la rigueur philologique la sensibilité littéraire ; à l’abondance des intuitions, il joint l’habileté dans les formulations. Non seulement il réussit dans la classification et la description des genres littéraires, mais aussi commente avec perspicacité des textes précis. Il introduit le concept — nous dirions sociologique — du contexte ou du milieu de vie, de la situation sociale (Sitz im Leben). Parmi ses disciples, nous mentionnerons H. Gressmann, H. Schmidt, J. Begrich et J. Hempel. Ce dernier collabore à une collection, dirigée par O. Walzel, dans laquelle il publie Die althebräiche Literatur und ihr hellenistich-jüdisches Nachleben (1930). C’est un des meilleurs traités sur le sujet. Mon livre Estudios de poética hebrea, basé sur la dissertation doctorale que j’ai soutenue en 1957 à rome, à l’Institut biblique
Histoire
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pontifical, fut publié à la fin de 1962. Par conséquent, l’étude littéraire de l’Ancien testament n’intéressait pas encore le monde scientifique et, en outre, le livre était écrit en castillan, avec les défauts d’une dissertation doctorale et d’autres encore. Dans ce livre, on peut trouver une ample bibliographie, classée et commentée. La partie centrale, fondamentale, du livre fut publiée en traduction allemande en 1971, sous un titre pas très heureux Das Alte Testament als literarisches Kunstwerk. Après une introduction historique (I), le livre se compose de deux autres parties : description et analyse des procédés poétiques (ou stylèmes) (II) et enfin (III) l’analyse de quelques poèmes. Les résultats de la deuxième partie — les stylèmes —, je les ai amplement exploités dans mes commentaires, les mineurs (Los Libros Sagrados, 1965-1975) et les majeurs (Profetas, 1980, 21987 ; Job, 1983 ; Proverbios, 1984). La troisième partie m’a davantage servi d’entraînement et ses ultimes conséquences peuvent se vérifier dans Treinta Salmos. Poesia y oración (1981, 21986). En 1971, W. richter publia son ouvrage Exegese als Literaturwissenchaft. Entwurf einer alttestamentlichen Literaturtheorie und Methodologie. Ce voulait être un exposé de principes et de méthodes. Il ne fut pas très bien reçu1. récemment l’intérêt pour le sujet semble se réveiller à nouveau, comme en témoignent deux ouvrages très différents. Celui de Wilfred G.E. Watson, Classical Hebrew Poetry (1984), est avant tout une étude des procédés. très clair et très systématique, avec bibliographie, répartie en sections. Il apporte du matériel comparatif, spécialement de la littérature ougaritique. Il contient des index très utiles pour ce genre d’ouvrage. L’étude reflète l’état de la recherche : l’ouvrage est très développé, presque hypertrophié sur quelques procédés, faible et désincarné sur d’autres2. robert Alter consacre davantage son livre The Art of Biblical Poetry (1985) à l’étude des œuvres et des corpus particuliers. Il ne s’occupe pas de bibliographie et il évite l’appareil technique : il écrit 1.¥On peut voir ma discussion dans Bib, 53, 1971, pp. 544-556. 2.¥On peut voir ma recension dans Bib, 67, 1986, pp. 120-124.
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Chapitre premier
dans un style clair et agréable. Son influence peut se développer dans les cercles moins spécialisés. récemment encore, le critique littéraire bien connu Northrop Frye a publié un livre intitulé The Great Code : The Bible and Literature (Londres 1984). Il y déploie une fois de plus son goût pour les vues sur l’analogie et les proportions, pour la construction, et il prête une grande attention aux images et aux symboles. Les pages que je vais ajouter à cette brève histoire reprennent en partie du matériel déjà publié, mais difficilement accessible ; elles sont aussi en partie le résultat d’années de réflexion littéraire sur l’Ancien testament. Ma préoccupation est surtout stylistique : voir en quoi consiste en fait un procédé littéraire, voir sa fonction en général et dans un poème précis, le voir comme un signifiant relié à un signifié. voilà pourquoi j’évite les listes et offre l’analyse de textes significatifs.
BIBLIOGrAPHIE 1. La patristique. P. de Labriolle, Histoire de la littérature latine chrétienne, Paris, 31947 ; La Réaction païenne. Étude sur la polémique antichrétienne du ier au vie s., Paris, 1942. H.I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris 1948 ; Saint Augustin et la Fin de la culture antique, Paris, 1948. J. Bidez, La Vie de l’empereur Julien, Paris, 1930. G. Bardy, « L’Église et l’enseignement au ive s. », RScRel 12, 1932, pp. 1-28 ; 14, 1934, pp. 524-549 ; 15, 1935, pp. 1-27. E. Norden, Die Antike Kunstprosa, Leipzig, 1915, pp. 521ss. 2. Le Moyen Âge. E.r. Surtius, Europäiche Literatur und lateinisches Mittelalter, Berne, 1954. E. De Bruyne, Études d’esthétique médiévale, Bruges, 1946. E. Faral, Les Arts poétiques du xiie et du xiiie s., Paris, 1925.
Histoire
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Chapitre premier
D.B. Mcdonald, The Hebrew Genius, Princeton, 1933. A. Lods, Histoire de la littérature hébraïque et juive depuis les origines jusqu’à la ruine de l’État juif, Paris, 1950. M. Weiss, Hammikra’ Kidmûtô, Jérusalem, 1962. L. Alonso Schökel, Estudios de poética hebrea, Barcelone, 1963. S. Gevirtz, Patterns in the Early Poetry of Israel, Chicago, 1963. L. Krinetzki, Das Hohe Lied. Kommentar zu Gestalt und Kerygma eines alttestamentlichen Liebeslied, Düsseldorf, 1964. W. Bühlmann – K. Scherer, Stilfiguren der Bibel, Fribourg, 1973. M. Lurker, Wörterbuch biblischen Bilder und Symbole, Munich, 1973. L. ryken, The Literature of the Bible, Grand rapids, Eerdmans, 1974. D. robertson, The Old Testament and the Literary Critic, Philadelphie, 1977. D.J.A. Clines – D.M. Dunn – A.J. Hauser, Art and Meaning : Rhetoric in Biblical Literature, Sheffield, 1982. W.G.E. Watson, Classical Hebrew Poetry, Sheffield, 1984. N. Frye, The Great Code. The Bible and Literature, Londres, 1984 ; traduit en français par C. Malamoud : Le Grand Code. La Bible et la Littérature, Paris, Seuil, 1984. r. Alter, The Art of Biblical Poetry, New York, 1985 ; traduit en français par C. Leroy et J.-P. Sonnet : L’Art de la poésie biblique, Bruxelles, Lessius, 2003.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos, par Maurice Gilbert
………………………………
5
Présentation ………………………………………………………
7
Abréviations ………………………………………………………
11
Translittération de l’hébreu ………………………………………
13
Chapitre Ier. Histoire ……………………………………………… 1. La période patristique ……………………………………… 2. Le Moyen Âge ……………………………………………… 3. La Renaissance …………………………………………… 4. Les Modernes ……………………………………………… Bibliographie …………………………………………………
15 16 17 17 17 20
Chapitre II. Les genres poétiques ………………………………… 1. Selon les Hébreux ………………………………………… 2. Concept …………………………………………………… 3. Épique …………………………………………………… 4. Genres populaires et genres savants ………………………… Bibliographie ………………………………………………… 5. Catalogue de genres ………………………………………… 6. Poésie descriptive ………………………………………… 7. Poésie mythologique ……………………………………… 8. Conclusion ………………………………………………… 9. Introduction aux procédés poétiques ………………………
23 23 25 27 28 28 29 30 34 36 36
286
Table des matières
Chapitre III. Le matériel sonore ………………………………… 1. La répétition sonore ………………………………………… 2. Les formes ………………………………………………… L’allitération ……………………………………………… La rime …………………………………………………… Le chiasme sonore ………………………………………… Le son dominant ………………………………………… 3. La fonction descriptive ……………………………………… 4. Jeux de mots et paronomase ………………………………… 5. La configuration sonore …………………………………… 6. Comment traduire …………………………………………
39 40 42 43 43 45 46 47 50 53 55
Chapitre IV. Le rythme …………………………………………… 1. Le concept ………………………………………………… 2. Histoire de la recherche …………………………………… 3. Le rythme hébreu est fondé sur l’accent. Description ………… 4. Observations ……………………………………………… 5. La strophe ………………………………………………… 6. La régularité rythmique …………………………………… 7. L’analyse stylistique ………………………………………… 8. Autres théories …………………………………………… L’alternance des accents …………………………………… Le vers libre ……………………………………………… Le nombre de syllabes ……………………………………… 9. Traduire le vers hébreu ……………………………………
57 57 59 60 63 65 66 69 71 71 72 73 73
Chapitre V. Le parallélisme ……………………………………… 1. Description à l’aide d’exemples …………………………… 2. La nature du parallélisme …………………………………… 3. Une classification ………………………………………… 4. La stylistique du parallélisme ……………………………… 5. Traduire …………………………………………………… 6. Les couples ou paires de mots ……………………………… Bibliographie …………………………………………………
75 75 78 80 87 91 93 95
Chapitre VI. Synonymie, répétition, mérisme …………………… 97 I. La synonymie ………………………………………………… 97 1. Description ………………………………………………… 97 2. La raison de la synonymie ………………………………… 100 3. L’analyse stylistique ………………………………………… 107 4. Les bifurcations successives ………………………………… 108
Table des matières
287
5. Synonymie et concision …………………………………… II. La répétition ………………………………………………… III. Le mérisme …………………………………………………
111 112 121
Chapitre VII. Antithèse et expression polaire …………………… I. L’antithèse …………………………………………………… 1. La raison de l’antithèse ……………………………………… 2. Distinctions ………………………………………………… 3. L’antithèse dans les Proverbes ……………………………… 4. Le changement de situation ………………………………… II. L’expression polaire …………………………………………… 1. Description ………………………………………………… 2. Quelques exemples …………………………………………
125 125 125 127 128 130 133 133 134
Chapitre VIII. Les images ………………………………………… 1. Introduction ……………………………………………… 2. Quelques précautions ……………………………………… 3. Un début de classification ………………………………… 4. Suite de la classification. Techniques d’emploi ……………… 5. Les domaines et les sujets des images ……………………… 6. L’analyse des symboles ……………………………………… Bibliographie …………………………………………………
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Chapitre IX. Les figures …………………………………………… Introduction …………………………………………………… I. Citation, allusion, réminiscence ………………………………… II. Question, exclamation, apostrophe, sentence ………………… 1. Un exemple ………………………………………………… 2. La question ………………………………………………… 3. L’exclamation et l’épiphonème ……………………………… 4. L’apostrophe ……………………………………………… 5. La sentence ………………………………………………… III. L’ironie, le sarcasme, l’humour ……………………………… 1. Distinctions ………………………………………………… 2. L’ironie rhétorique ………………………………………… 3. Le sarcasme ………………………………………………… 4. L’oxymoron, le paradoxe et le double sens ………………… 5. L’humour et le genre burlesque …………………………… 6. L’ironie dramatique et l’ironie narrative …………………… 7. L’ironie dans les Proverbes …………………………………
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Table des matières
IV. l’ellipse et l’hyperbole ………………………………………… 1. L’ellipse et la concision …………………………………… 2. L’hyperbole et les litotes ……………………………………
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Chapitre X. Dialogue et monologue ……………………………… 1. Le dialogue comme genre littéraire ………………………… 2. Le dialogue comme procédé ………………………………… 3. Dialogue intérieur et monologue ……………………………
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Chapitre XI. Le développement et la composition ……………… I. Le développement ……………………………………………… 1. Un exemple ………………………………………………… 2. Les matériaux : thème, motifs et topoi ……………………… 3. Les formes ………………………………………………… 4. L’apport personnel ………………………………………… 5. Durant la phase d’analyse …………………………………… II. La composition ……………………………………………… 1. Une composition manifeste ou une structure de surface ……… 2. Des patrons ou des schémas ………………………………… 3. La composition personnelle ………………………………… Bibliographie …………………………………………………
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Index des citations bibliques ……………………………………… 273 Index onomastique
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Table des matières ………………………………………………… 285
Imprimé en Belgique Avril 2013 Imprimerie Bietlot.
pour le Seigneur un chant nouveau, car il a fait des choses étonnantes » (Ps 98,1). Dans la Bible, étonnement et poésie vont de pair et le chant nouveau surgit d’un art très ancien. Le présent livre initie à cet art.
Précis et pédagogique, cet ouvrage, initialement publié en espagnol et adapté en français par le professeur Maurice Gilbert, est devenu au fil des ans un «classique» ; il est aujourd’hui l’une des meilleures introductions à la poétique biblique.
Luis ALONSO SCHÖKEL s.j. (1920-1998) enseigna à l’Institut biblique pontifical de Rome. Il fut l’un des pionniers de la conversion de l’exégèse à l’art littéraire de la Bible. Parmi ses ouvrages en français : La Parole inspirée. L’Écriture sainte à la lumière du langage et de la littérature (Cerf, 1971), Le Cantique des cantiques (Moustier, 1995).
ISBN : 978-2-87299-235-5
9 782872 992355
Diffusion : cerf www.editionslessius.be
Illustration © Joëlle Dautricourt – Grand Océan (encre de Chine et estampage).
En s’appuyant sur des versets, des strophes et des chants tirés du répertoire poétique de l’Ancien Testament, Luis Alonso Schökel présente les genres, le matériel sonore et le rythme de la versification hébraïque, ainsi que son ressort le plus puissant : le parallélisme. Il s’attarde ensuite sur les images mises en jeu et sur les figures de style ; il caractérise enfin le déploiement d’ensemble de quelques grands textes poétiques.
Luis ALONSO SCHÖKEL
Manuel de
poétique hébraïque
le livre et le rouleau
« Chantez
Manuel de poétique hébraïque • L. Alonso Schökel
le livre et le rouleau 41
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