Cette biographie nous emmène vers la paroisse étendue où le P. Kluiters a œuvré pour rapprocher toutes les communautés, réconcilier les villageois entre eux, leur insuffler de l’espoir, créer des opportunités de travail et d’éducation et de meilleures conditions de santé.
Carole DAGHER est franco-libanaise et vit actuellement à Paris. Journaliste à L’Orient-Le Jour, le grand quotidien francophone libanais, elle a publié des essais socio-politiques sur le Liban et sur le Proche-Orient et des romans historiques couronnés par de nombreux prix.
ISBN : 978-2-87299-237-9
9 782872 992379
Diffusion: cerf www.editionslessius.be
Couverture: jeune chevrier (photo prise par N. Kluiters).
Son ministère, Nicolas l’avait envisagé comme un don de soi au Christ sans limite ni condition. «Je dois être l’engrais de la terre délaissée du nord de la Békaa», avait-il écrit. Double passion qui le mènera à sa propre passion. Nicolas a semé beaucoup d’amour dans cette « bonne terre » assoiffée de reconnaissance, de foi et de développement avant de l’arroser et de l’irriguer de son sang. Le grain tombé en terre a donné beaucoup de beaux fruits.
Carole Dagher
Passion pour une terre délaissée
Nicolas Kluiters, jésuite au Liban
au singulier
I
l voulait être peintre, il est devenu prêtre jésuite, choisissant de « peindre avec les hommes». De sa naissance aux Pays-Bas à son apostolat (1974-1985) dans le nord de la plaine de la Békaa, au Liban, où il sera victime de la guerre qui ravage le pays, Nicolas Kluiters a suivi un chemin de pasteur. Raconter sa vie, c’est relater l’histoire d’un homme qui va à la rencontre d’hommes et de femmes d’une autre culture que la sienne, se fait accepter et devient l’un d’eux.
Passion pour une terre délaissée • Carole Dagher
au singulier 24
cv_Kluiters 10_cv_Teilhard2 28/08/13 15:18 Page1
Carole DAGHER
Passion pour une terre délaissée Nicolas Kluiters jésuite au Liban Préface de Piet van Breemen
du même auteur Romans Le Couvent de la lune, Plon, 2002 ; 2e éd. : L’Orient-Le Jour, 2011. Le Seigneur de la soie, Plon, 2004. La Princesse des Batignolles, Éditions du Rocher, 2007. Le Testament secret de Moïse, Calmann-Lévy, 2011. Essais Ces hommes qui font la paix, L’Harmattan, Paris, 1995. Bring Down the Walls : Lebanon’s Postwar Challenge, Palgrave / MacMillan, New York, 2000. Faites tomber les murs : Le défi du Liban d’après-guerre, L’Harmattan, Paris, 2002. Réflexions libanaises, L’Harmattan, Paris, 2013.
© 2013 Éditions Lessius 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Au singulier, 24 Une collection dirigée par Michel Hermans et Robert Myle ISBN : 978-2-87299-237-9 D 2013/4255/9 Diffusion cerf
Dieu, Père saint, je t’offre ma vie pour le salut de mes frères musulmans et le salut des hommes du monde entier. Reçois mon offrande avec le sacrifice du corps et du sang de Jésus à la gloire de ton Nom. Prière en arabe découverte dans la chambre de Nicolas au presbytère de Barqa.
Préface
Le 9 juin 1973, Nicolas Kluiters était ordonné prêtre à Amsterdam. C’est précisément dans les années 70 que le lien étroit entre foi et justice fut compris comme un signe des temps. Sa première manifestation intervint lors du synode des évêques à Rome en 1971, puis en 1975, dans l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi du pape Paul VI. La même année, la Congrégation générale des pères jésuites fit du lien entre le service de la foi et la promotion de la justice le thème central de notre mission contemporaine. Le supérieur général de l’époque, le P. Pedro Arrupe, comprit tout de suite que cette nouvelle approche allait fortement confronter l’ordre des Jésuites avec le mystère de la Croix. Les décennies suivantes lui donnèrent raison. Plusieurs jésuites en firent l’expérience par l’exil, l’emprisonnement et le martyre. Des dizaines parmi eux confirmèrent cette orientation par le sacrifice de leur vie. Nicolas Kluiters fut l’un d’eux. En 1966, il partit pour le Liban pour s’y préparer au sacerdoce par les études et par la prière. À partir de septembre 1974, il devint curé d’une région pauvre dans le Nord de la plaine de la Békaa. C’est là qu’il réussit, d’une façon vraiment authentique, à rendre la foi des hommes plus profonde et plus vivante. En même temps, il entreprit, avec force et compétence, de réaliser la paix entre les divers groupements, tout en améliorant leur situation sociale. Carole Dagher décrit d’une façon claire et précise la vie de Nicolas, avec une grande sympathie — au sens fort du mot — pour sa
8
Préface
vie apostolique. Elle nous emmène vers la paroisse étendue et vers les hommes bien particuliers dont Nicolas était le pasteur. L’écrivain donne en même temps une vision plus large, plaçant les événements dans la grande perspective qui fut la leur. Elle décrit la vie de Nicolas aux Pays-Bas, son apostolat dans la plaine de la Békaa et les fruits de son travail après sa mort. Parce que, de fait, ce grain de blé tombé dans la terre a produit des fruits remarquablement riches. Je suis très reconnaissant envers Carole Dagher pour cette biographie vivante du P. Nicolas et j’espère de tout cœur que beaucoup de lecteurs se familiariseront ainsi avec la vie inspirante et authentique d’un homme de Dieu de nos jours. piet van breemen s.j.1
1. Le P. Piet van Breemen était le maître des novices jésuites lorsque Nicolas est entré dans l’ordre. Quelques années plus tard, il l’accompagna également au long de son « troisième an », l’année où le jésuite formé relit ses expériences passées pour s’orienter vers la mission qui vient. Durant toute la vie de Nicolas, le P. van Breemen demeura un conseiller et un ami.
Prologue
Ce livre est né de la volonté de la Compagnie de Jésus au Liban et de son provincial, le R. P. Victor Assouad s.j., de rendre hommage à l’un des leurs, dont la vie et la mort incarnent avec force et exemplarité l’engagement chrétien, jusqu’au bout, en pleine guerre libanaise. Les pages qui suivent ont été écrites grâce à la coopération étroite du P. Thom Sicking et à ses conseils, ainsi qu’à celle des PP. Paul Brouwers, Alex Bassili, et du frère Tony Aoun, qui ont tous partagé le travail et la vie de Nicolas Kluiters. Qu’ils reçoivent ici l’expression de mes remerciements les plus chaleureux pour leur confiance, leurs observations et leur générosité. Je remercie également le R. P. Peter-Hans Kolvenbach, « général » des jésuites de 1983 à 2008, pour le long entretien qu’il m’a accordé et pour ses remarques après la lecture du livre. Tout comme je remercie tous ceux et toutes celles qui, au sein de la Compagnie de Jésus au Liban et de la congrégation des Sœurs des Saints-Cœurs, ont contribué, par leur accueil et leur amitié, à faciliter ma tâche et à me faire mieux connaitre la figure remarquable du P. Nicolas Kluiters.
Introduction
La plaine de la Békaa à perte de vue, bordée de deux chaînes de montagnes, le Mont-Liban qui lui sert d’appui, et l’Anti-Liban qui marque la frontière avec la Syrie. Sol fertile où poussent les plus beaux fruits du Liban et le blé des lendemains prometteurs. Plaine chatoyante où coulent l’eau et le vin. Le sang aussi, à la saison des guerres. Le « grenier de Rome » de l’Antiquité est un pays convoité par ses voisins, depuis l’aube de son histoire. Verte Békaa, trouée par des poches d’aridité. Des vignes gorgées de soleil sur des coteaux rieurs en été, et des étendues transies par la morsure du froid et de la neige en hiver. Douceur et rigueur des saisons. Bonheur champêtre et souffrances infligées par l’histoire. Une terre de contrastes, comme le tempérament de ses habitants, rugueux et hospitaliers, ombrageux et souriants, se plaignant d’être les laissés-pour-compte de l’État depuis l’Indépendance, et néanmoins réfractaires à son autorité. Plus au nord, la région de Baalbeck-Hermel, aux confins du Liban. Elle n’est qu’à 150 kilomètres de Beyrouth en voiture mais la route est longue, souvent tortueuse, accidentée, traversant presque toute la géographie du Liban, flanc maritime, montagne et plaine. On a l’impression qu’elle ne finit jamais. Le seul nom de Baalbeck suffit à allumer des paillettes dans les yeux des touristes et à faire rutiler dans leur imaginaire ou leur mémoire les temples romains qui jalonnent la Békaa, longue de 120 kilomètres.
12
Introduction
Ce n’est pourtant pas cette vision touristique que le père jésuite Nicolas Kluiters retient lorsqu’il s’établit en septembre 1974 à Baalbeck-Hermel, sur ce haut plateau situé à 1 000 mètres d’altitude, écrasé de soleil en été, tapissé de neige et envahi de silence en hiver. Récemment arrivé au Liban de sa Hollande natale, il a quitté ses pairs installés à Taanayel, laissant derrière lui le havre de paix et de beauté que représente le vaste domaine fondé par les jésuites au xixe siècle, avec son couvent, sa riche exploitation agricole et son fameux vignoble de Ksara. S’il y reste cependant attaché par son statut et qu’il vient s’y ressourcer régulièrement, c’est au nord de la Békaa, région lointaine et délaissée, qu’il reporte son attention et son engagement. Le plateau de Baalbeck-Hermel, il va l’arpenter de long en large pendant une dizaine d’années, découvrant avec surprise sur les sombres versants de la Békaa au parfum d’orange et de raisin, la culture prospère et cachée du haschich, favorisée par la guerre et la paralysie de l’État. Il faut imaginer la silhouette robuste de ce missionnaire tenace, parcourant les distances infranchissables, physiques et psychologiques, qui séparent les clans et les tribus de la région, empruntant des routes cahoteuses, rendues périlleuses par la prolifération des miliciens armés avec le déclenchement de la guerre au Liban, infusant son énergie et sa détermination aux villages maronites et grecs-catholiques, îlots désemparés de présence chrétienne dans une contrée à majorité musulmane, à une période où le pays commence à se morceler en entités géographiques à caractère confessionnel. Dans les bourgs disséminés sur les contreforts du Mont-Liban ou étalés dans la plaine, de part et d’autre d’un axe représenté par la route Rayak-Qaa, il trouve une situation socio-pastorale qui l’interpelle : des villages sans curé, sans infrastructure digne de ce nom, que l’État a depuis longtemps oubliés et qui, sur le plan religieux, ressemblent à des troupeaux abandonnés par leurs pasteurs. C’est plus qu’il n’en faut pour affermir le P. Nicolas Kluiters dans l’urgence de sa mission. Il s’attache très vite à la région et à ses habitants et s’installe dans le village maronite de Barqa.
Introduction 13
« Un village de bergers, voilà ce qui m’a été le plus cher », écritil dans l’Annuaire de la Compagnie de Jésus. « Difficilement accessible, n’ayant que de l’eau de pluie rare et de la neige, l’hiver, pas d’électricité aux périodes de transhumance. Une seule pièce par famille nombreuse, c’est là que j’ai appris ce que signifient partage, pauvreté, simplicité. Jamais un visiteur ne quitte une maison sans avoir été invité à manger et à loger, qu’il fut chrétien ou non, ami ou inconnu. J’y ai rarement célébré la Messe sans la présence de musulmans. J’y suis devenu réellement berger des bergers. J’ai appris ce qu’est être berger, pasteur. J’ai vu des bergers abandonner leur troupeau pour rechercher durant dix jours une brebis perdue. Ils dorment avec les animaux, sont imprégnés de leur odeur. En les prenant dans ma voiture, je devais ouvrir les fenêtres, même en plein hiver. » Un décor pour curé de campagne à la Georges Bernanos. Le P. Nicolas tenait lui aussi son journal, un diaire ; il consignait de nombreuses notes sur des cahiers qui furent retrouvés dans sa chambre à Barqa. Il rédigeait également des articles édités dans les revues jésuites, aux Pays-Bas et au Liban. Peut-être compensait-il ainsi sa solitude en recourant à la plume. Ses chroniques sont un véritable témoignage chrétien, comme le fut sa vie. Fin observateur, il avait un humour sobre et percutant. En lisant son étude sur la situation socio-pastorale dans la Békaa, et les anecdotes réelles qui l’émaillent, l’on se croirait, par moments, projeté dans un film de Don Camillo. Ses écrits, publiés ou privés, révèlent un homme qui se met en perspective devant le regard de Dieu, qui cherche sa voie et veut comprendre à quelle mission le Seigneur le destine, lui qui était partagé entre une vocation de peintre et son appel religieux. Dès le début, le P. Kluiters perçoit combien le territoire qui lui est échu est fragile, vivant dans un état d’équilibre précaire, entre paradis et enfer. La guerre qui éclate en 1975 met en effet la coexistence à l’épreuve entre les différents groupements religieux, politiques et familiaux, dans une région devenue un véritable baromètre de la situation sécuritaire prévalant dans le reste du pays. L’un des premiers épisodes sanglants de la guerre libanaise aura lieu le 1er juillet 1975, tout au nord de la Békaa, pas loin de la fron-
14
Introduction
tière syrienne, lorsque le village chrétien de Qaa est attaqué et encourt cinq tués et sept blessés graves. Il faudra l’intervention personnelle du charismatique imam Moussa Sadr, chef spirituel de la communauté chiite au Liban, pour rétablir l’ordre. C’est dans ce contexte de guerre et en cette géographie humaine complexe et lourdement marquée du sceau de la méfiance, que le P. Kluiters va accomplir son destin et devenir ce qu’il est. Dans les villages dont il a charge d’âmes, il se bat contre vents et marées, contre le repli sur soi et l’enfermement, contre l’ignorance et les divisions, contre le désespoir et la tentation de l’exode. Il est entièrement tourné vers son but, celui de rétablir le dialogue et la confiance. Certains le décrivent comme un caractère fort, têtu, mais le terme « persévérance » le définit mieux. Tous ceux qui l’ont connu semblent avoir été marqués par sa personnalité, humble et volontaire à la fois, caractérisée par un esprit indépendant et une nature prompte à se mettre au service des autres. Très vite, il se révèle un homme d’action, un bâtisseur, un porteur d’espoir. Devant le succès de ses nombreuses initiatives à Barqa, il comprend mieux le sens de sa mission. « Le “miracle” de ma vocation dans la Békaa est que j’ai pu vivre une transformation », écrit-il en 1983. Mais devenir ce qu’il est, cela veut dire tout donner, jusqu’à la dernière goutte de son sang, en un abandon du moi au profit de l’universel, comme Jésus-Christ l’a fait. Dans un de ces fréquents retours sur lui-même, le P. Nicolas s’interroge sur le chemin de ronces qu’il doit suivre. Il s’avèrera être le chemin de la Passion. Il a alors 45 ans. Le 14 mars 1985, il est enlevé sur une route de la région que lui-même déconseillait à tout le monde. Il est retrouvé mort le 1er avril dans un ravin de 97 mètres de profondeur, le corps défiguré. Les villages chrétiens de Baalbeck-Hermel sont en état de choc, en particulier les habitants de Barqa dont il était devenu le curé. Le pape Jean-Paul II appelle dans son télégramme Nicolas Kluiters « un nouveau témoin dans le sang, dans la longue rangée de jésuites qui, durant les dernières années, avaient été tués pour leur dévouement pour la foi et la justice ».
Introduction 15
Le P. Kluiters était en effet la sixième victime jésuite tuée depuis le début de la guerre au Liban. Il s’inscrivait dans la droite lignée des pères missionnaires qui, depuis leur arrivée au Liban au xixe siècle, avaient pris des risques et choisi des régions difficiles d’accès et dénuées de tout. La plaine de la Békaa, les pères jésuites y ont apporté leurs talents ainsi que leur engagement pour l’éducation et la catéchèse, pour le développement social et sanitaire. Ils y ont laissé des martyrs, tous des bâtisseurs et des pionniers, que ce soit en 1860, lors des massacres des chrétiens par les Druzes et les soldats ottomans, ou encore au xxe siècle, pendant la guerre qui a ravagé le Liban (1975-1990). L’horrible mort du P. Nicolas Kluiters devait cependant marquer les esprits durablement. À bien des égards, c’était une vie prédestinée que la sienne, et elle s’est consumée au soleil du Liban — au feu du Liban, devraiton dire. Parler ou écrire à propos du P. Kluiters, c’est replonger dans les premières années d’une guerre infâme qui ne disait pas son nom, mais que les Libanais désignaient sous le vocable prude d’« événements de 1975 », se refusant à utiliser le mot « guerre », comme pour l’exorciser ou bien pour se persuader que les premiers accrochages armés étaient temporaires, ou encore pour éloigner les images cruelles que charrie forcément toute guerre « digne » de ce nom. Et cependant, rien de tout cela ne leur fut épargné : ni la cruauté de ce qui s’avéra être une vraie guerre civile (même instrumentalisée par des puissances étrangères), ni l’internationalisation d’un nom désormais réduit à désigner les conflits identitaires, ethniques ou religieux, qui font éclater un pays : la « libanisation ». Évoquer cette période interminable qui a laissé de noirs souvenirs dans les mémoires, c’est rouvrir des pages qui étreignent le cœur d’angoisse et de tristesse, des pages frappées du sceau de la mort rôdant au quotidien, spectre terrifiant planant au-dessus des vies humaines, révélant le pire… ou le meilleur au fond de chacun. Ainsi au cœur des ténèbres pouvait surgir la lumière, et bien des vies ont été irriguées par le rayonnement d’une rencontre qui a bouleversé leur cours. Le P. Kluiters fut l’une de ces « ren-
16
Introduction
contres » qui ont changé l’histoire d’un petit village de BaalbeckHermel et de ses alentours. Parler de lui, c’est non seulement énumérer ses hauts faits (ils sont nombreux) de missionnaire courageux, mais surtout suivre le cheminement d’une vie : comment elle a laissé son impact sur d’autres vies, comment elle s’est donnée et comment elle s’est dépassée dans la lutte du bien contre le mal, dans l’empoignade avec la souffrance, la haine et le rejet. Le Liban fut pour le P. Kluiters d’abord une terre de mission. Qu’a-t-il donc apprécié dans ce pays où il lui arrivait encore de se sentir étranger après tant d’années, où les mœurs tribales sont prégnantes et où « la violence et la passion du pouvoir jouent un si grand rôle », comme il l’écrivait lui-même ? La question semble incongrue à propos d’un homme qui s’est consacré à y faire tant de bien, jusqu’au sacrifice de sa propre vie. Nicolas Kluiters n’a certes pas aimé le Liban à la manière des Libanais, c’est-à-dire en chantant ses attraits et la richesse de son histoire. Lui qui avait une grande sensibilité artistique, à aucun moment dans ses lettres il ne décrit un paysage ou ne loue la beauté d’un site. Il n’a pas du tout regardé le pays et ses habitants avec les yeux d’un visiteur et ne l’a pas senti de façon purement épidermique. À ses interlocuteurs occidentaux, il a toujours parlé de l’hospitalité des rudes villageois qu’il a appris à connaître, et surtout des plus pauvres d’entre eux, qui vous accueillent avec effusion et ne vous laissent jamais repartir sans vous avoir offert à boire et à manger. La beauté qu’il est allé chercher se trouve dans le cœur des hommes. Il décrit la lente transformation qui s’opère en eux par la magie du don et de l’amour, et parle de miracle. Raconter le P. Kluiters, c’est relater l’histoire d’un homme qui va à la rencontre d’hommes et de femmes d’une autre culture que la sienne, se fait accepter, devient l’un d’eux. Bref, se fait adopter, comme le renard du Petit Prince. Et finit par convertir les cœurs les plus endurcis. « Jamais je n’aurais osé rêver de pouvoir signifier ainsi quelque chose pour les hommes », écrit-il avec une sincérité et une simplicité touchantes. « Pas de doute que le Seigneur a voulu me destiner à cela. Combien mystérieuses sont les voies du Seigneur ! »
Introduction 17
Une telle exclamation de joie et de reconnaissance est toutefois tempérée par ce que les uns appellent « le pessimisme » du P. Nicolas, et qui, en fait, était sa conscience aigue de la force du mal en ce monde, car « l’homme est si fragile ». Dès qu’il réussissait un projet, il se tournait vers le Christ « qui a prié pour Pierre afin de le préserver du mal » (Luc 22,32). Devant le mystère de la Croix, et en pensant au martyre de Nicolas Kluiters, l’on ne peut s’empêcher de se demander si l’engagement en faveur de l’Amour doit nécessairement conduire au sacrifice suprême. Si le Bien est toujours condamné à être crucifié par le Mal. Et si l’Amour doit vaincre nécessairement en passant par la souffrance et la mort. L’interrogation sur le mal a beaucoup habité la réflexion du P. Kluiters, ses dessins et ses écrits. Elle est au cœur de son dialogue avec le Christ, dont il nous livre ce magnifique extrait, presque un testament : « Un seul nous a sauvés du mal. Cloué sur une croix, son regard descend aussi vers moi et me demande : “Oses-tu croire que je suis venu apporter l’Amour en ce monde ?” Et puis il me demande encore : “Oses-tu me suivre pour le salut de l’humanité et de tout homme ?” Regardant timidement vers lui, que puis-je répondre d’autre que : “Je ferai de mon mieux”… ? »
Table des matières
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Première partie une double vocation Chapitre 1. Entre l’art et la foi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Chap. 2. « Un chemin vers Dieu » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 Chap. 3. En terre de mission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Chap. 4. Un « étranger » à Barqa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Chap. 5. Première rencontre avec la mort — Le testament de Ghas sibé Keyrouz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Chap. 6. Le « troisième an » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Deuxième partie « heureux les faiseurs de paix » Chapitre 7. Un « berger des bergers » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Chap. 8. Un énorme chantier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Chap. 9. « Tu peindras des hommes vivants » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Chap. 10. « Je ferai de mon mieux » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Chap. 11. Entre le diable et le Bon Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
220
Table des matières
Chap. 12. Mission accomplie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151 Troisième partie un martyr pour la békaa Chapitre 13. Le dilemme du chemin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Chap. 14. Le Vendredi saint de Nicolas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 Chap. 15. « J’ai tout accepté » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 Chap. 16. La « voie étroite » de la sainteté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 Chap. 17. Le miracle de Barqa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196 Chap. 18. « Si le grain ne meurt… » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208 Lexique jésuite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Cette biographie nous emmène vers la paroisse étendue où le P. Kluiters a œuvré pour rapprocher toutes les communautés, réconcilier les villageois entre eux, leur insuffler de l’espoir, créer des opportunités de travail et d’éducation et de meilleures conditions de santé.
Carole DAGHER est franco-libanaise et vit actuellement à Paris. Journaliste à L’Orient-Le Jour, le grand quotidien francophone libanais, elle a publié des essais socio-politiques sur le Liban et sur le Proche-Orient et des romans historiques couronnés par de nombreux prix.
ISBN : 978-2-87299-237-9
9 782872 992379
Diffusion: cerf www.editionslessius.be
Couverture: jeune chevrier (photo prise par N. Kluiters).
Son ministère, Nicolas l’avait envisagé comme un don de soi au Christ sans limite ni condition. «Je dois être l’engrais de la terre délaissée du nord de la Békaa», avait-il écrit. Double passion qui le mènera à sa propre passion. Nicolas a semé beaucoup d’amour dans cette « bonne terre » assoiffée de reconnaissance, de foi et de développement avant de l’arroser et de l’irriguer de son sang. Le grain tombé en terre a donné beaucoup de beaux fruits.
Carole Dagher
Passion pour une terre délaissée
Nicolas Kluiters, jésuite au Liban
au singulier
I
l voulait être peintre, il est devenu prêtre jésuite, choisissant de « peindre avec les hommes». De sa naissance aux Pays-Bas à son apostolat (1974-1985) dans le nord de la plaine de la Békaa, au Liban, où il sera victime de la guerre qui ravage le pays, Nicolas Kluiters a suivi un chemin de pasteur. Raconter sa vie, c’est relater l’histoire d’un homme qui va à la rencontre d’hommes et de femmes d’une autre culture que la sienne, se fait accepter et devient l’un d’eux.
Passion pour une terre délaissée • Carole Dagher
au singulier 24
cv_Kluiters 10_cv_Teilhard2 28/08/13 15:18 Page1