Né en 1957, Pascal IDE est prêtre du diocèse de Paris et membre de la communauté de l’Emmanuel. Docteur en médecine, en philosophie et en théologie, il est actuellement chef du service des Universités catholiques à la Congrégation romaine pour l’éducation catholique. Il a publié de nombreux articles et une vingtaine d’ouvrages dont Être et mystère. La philosophie de Hans Urs von Balthasar (Culture et vérité, 1995).
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Pascal Ide
UNE THÉOLOGIE DE L’AMOUR
9 782872 992249
Diffusion: cerf www.editionslessius.be
théologie
ISBN : 978-2-87299-224-9
L’amour, centre de la Trilogie de Hans Urs von Balthasar
donner raison
en plus étudiée aujourd’hui. Cet ouvrage entend se placer au centre de sa pensée et en éclairer la logique intime: le lecteur est invité à y reconnaître une théologie de l’amour. Pour vérifier cette hypothèse, l’auteur procède en trois temps. Le cœur de la théologie balthasarienne est l’amour: le mystère de l’amour consiste en ceci que, s’il demeure lui-même sans fond, il fonde tout le reste (La Théo-logique). Cet amour s’identifie au don de soi: si Dieu est défini comme amour, on voit qu’il est en soi don parfait de lui-même (La Dramatique divine). L’amour divin prend la forme du dessaisissement gratuit de soi jusqu’à l’extrême de la générosité: Dieu nous a tant aimés qu’il a donné pour nous son propre Fils (La Gloire et la Croix).
Une théologie de l’amour • Pascal Ide
L’œuvre du théologien suisse Hans Urs von Balthasar est de plus
Š 2012 Éditions Lessius 24 boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Donner raison, 37 ISBN : 978-2-87299-224-9 D 2012/4255/8 Diffusion cerf
INTRoDuCTIoN GéNéRALE Le christianisme n’est pas l’œuvre de la persuasion, mais quelque chose d’une vraie grandeur1. Cette voie [penser la relation Essence-Hypostase en termes d’événement éternel] ne supprime évidemment pas pour autant l’aporie spéculative inhérente à toute théologie trinitaire, mais elle l’ouvre aux exigences de l’économie trinitaire qui incitent à envisager l’événement éternel de la circumincession des processions dans l’unique essence de Dieu en termes d’amour « immémorial2 ». La science est faillible lorsqu’elle se précipite uniquement vers le but sans se soucier du commencement3.
1. Saint Ignace d’Antioche, Épître aux Romains, 3, 3. 2. A. Scola, Hans Urs von Balthasar. Un grand théologien de notre siècle (trad. anonyme), Paris, Mame, 1999, p. 112, n. 174. Balthasar parle de « relier l’évènement de la kénose du Fils de Dieu à ce qu’on peut, par analogie, désigner comme “événement” éternel des processions divines » (« Le Mystère pascal », dans Y. Lebeaux [éd.], Mysterium Salutis. Dogmatique de l’histoire du salut, vol. 12, Le Mystère pascal [trad. R. Givord], Paris, Le Cerf, 1972, pp. 9-275 ; réédition à l’identique, sauf une préface de Balthasar, et avec son seul texte sous le titre Pâques le Mystère, Paris, Le Cerf [coll. Traditions chrétiennes], 1981, reprise dans coll. Foi vivante, n° 357, 1996, Préface à la seconde éd., p. 10 ; cette préface ne se trouve pas dans les éditions allemandes : Mysterium paschale, dans J. Feiner et M. Löhrer [éd.], Mysterium Salutis. Grundriss heilgeschlichtlicher Dogmatik, III/2, Einsiedeln-Zurich-Cologne, Benzinger, 1967, pp. 133-326 ; réédition isolée sous le titre Theologie der drei Tage, Einsiedeln-Freibourg, Johannes, 1990). 3. F. W. J. Schelling, Sämtliche Werke, éd. K. F. A. Schelling, Stuttgart-Augsburg, Cotta, 1856-1861, t. XI, p. 325 ; Id., « Exposé de la philosophie rationnelle pure, Leçon 14 », dans J.-F. Marquet et J.-F. Courtine (éd.), Introduction à la philosophie de la mythologie (trad. G. D. R. Schellingiana [CNRS]), Paris, Gallimard, 1998, p. 307.
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« La théologie contemporaine n’a pas encore eu le courage de se mesurer à Balthasar », affirme Rino Fisichella dans l’article qu’il consacre à l’illustre théologien bâlois dans le Dictionnaire critique de théologie4. Cette formule peut paraître au minimum provocatrice, au maximum erronée, au vu du nombre impressionnant des travaux qui portent sur son œuvre5. Pourtant, elle pointe en direction d’une vérité qu’il ne faudrait pas négliger et qui explique, en partie, le sens de ce travail. Cette introduction en considérera successivement la perspective (A), le champ couvert (B) et enfin le plan (C).
A. PERSPECTIVE 1. État de la recherche. Il est hors de question de proposer une recension exhaustive des différentes études consacrées à Balthasar6. En revanche, il est possible d’en donner une grille de lecture au moins approximative, sachant que tel ou tel écrit est à cheval sur plusieurs catégories. Les travaux seront répartis en trois groupes7. 4. R. Fisichella, « Balthasar (Hans urs von) », dans DCT, pp. 129-133, ici p. 133a. 5. Cf. P. Ide, Une théo-logique du don. Le don dans la « Trilogie » de Hans Urs von Balthasar, Louvain, Peeters (coll. Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium), à paraître, Annexe : Tableau comparatif de thèses de théologie de 1982 à 2007. En fait, le livre ici édité constitue la première des trois parties d’une thèse soutenue à la Faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris, le 14 décembre 2009. Cette dissertation étant trop volumineuse pour faire l’objet d’une édition en un seul ouvrage, il a été possible de la découper en deux livres dont chacun possède suffisamment de cohérence et d’indépendance pour être lu pour lui-même. Les deuxième et troisième parties de la dissertation doctorale sont publiées sous le titre ci-dessus. Voilà pourquoi de multiples références lui sont faites. Je profite de cette note pour dire toute ma gratitude au P. René Lafontaine, sj, qui a accepté de prendre la première partie de la thèse aux éditions Lessius. Le directeur en était le père Vincent Holzer. Qu’il soit lui aussi vivement remercié de son suivi, suaviter et fortiter. 6. Cf. le site mis à jour une fois par an http://homepage.bluewin.ch/huvbslit/ 7. Aux thèmes ou aux personnes qui vont être listés correspond toujours une bibliographie secondaire : soit elle est présentée dès cette introduction (tel est le cas du premier groupe, et de quelques thèmes du troisième groupe car ils sont transversaux ou ne sont pas abordés dans cette dissertation), soit elle figure dans le corps du livre, à l’occasion de tel ou tel développement sur ce sujet. étant donné la longueur de ces notes bibliographiques, elles ont été regroupées dans la Bibliographie au terme du livre, pp. 292-340.
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un premier groupe d’écrits rassemble les introductions. Certaines présentations générales, sans prétention scientifique, combinent presque toujours la vie et l’œuvre8, tout en accordant une large part à la doctrine9. on peut y joindre les entrevues et les rencontres10. Certaines études, elles, plus détaillées, voire techniques, affrontent tel ou tel ouvrage : soit les grandes œuvres doctrinales comme la Trilogie11 ou Theologie der drei Tage12, soit des opuscules comme Dieu et l’Homme d’aujourd’hui13, des ouvrages programmatiques comme L’amour seul est digne de foi14 ou des livres de circonstance comme Cordula15.
Dans Une théo-logique du don, nous faisons appel à une répartition fondée sur un critère différent : la relation critique à l’œuvre (2e partie, introduction : B). 8. En français, le texte de référence est celui, traduit, d’E. Guerriero, Hans Urs von Balthasar (trad. F. Georges-Catroux), Paris, Desclée (coll. Mémoire chrétienne), 1993. Cf. aussi, par exemple, C. I. Avenatti de Palumbo et V. R. Azcuy, « Contornos de una figura. Introducción a Balthasar » dans Homenaje a Hans Urs von Balthasar, Buenos Aires, Centro Salesiano de Estudios « San Juan Bosco » (coll. Proyecto CSE Año X, n° 30), 1998, pp. 7-23 ; J. Doré, « La géographie d’une œuvre », dans Com, XIV/2, 1989, pp. 15-24 ; Id., « L’œuvre de Hans urs von Balthasar », dans J. Doré (éd.), Introduction à l’étude de la théologie. 2, Paris, Desclée, 1992, pp. 509-520 ; Id., « Hans urs von Balthasar », dans Études, juin 2002, pp. 789-800 ; J.-M. Faux, « un théologien : Hans urs von Balthasar », dans NRT, 94, 1972, pp. 1009-1030 ; P. Henrici, « Premier regard sur Hans urs von Balthasar », dans A. M. Haas (éd.), Mission et médiation. Hans Urs von Balthasar. Symposium à l’occasion du 90e anniversaire de sa naissance, Fribourg, 27-29 septembre 1995 (trad. J.-P. Fels, M. Lépine et Y. Mudry), Saint-Maurice (Suisse), éd. Saint-Augustin, 1998, pp. 11-55. Cette notice biographique en français est ajoutée au volume original allemand : H. u. von Balthasar-Stiftung (éd), Vermittlung als Auftrag. Vorträge am Symposion zum 90. Geburtstag von Hans Urs von Balthasar, 27.-29. September 1995 in Fribourg (Suisse), Freibourg-Einsiedeln, Johannes, 1995 ; J. J. o’Donnell, Hans Urs von Balthasar, London, Geoffrey Chapman, Cassell Publishing Ltd., 1992. 9. Bibliographie secondaire sur la présentation de la théologie de Balthasar, p. XXX. 10. Par exemple : M. Schulz, Hans Urs von Balthasar begegnen, Augsbourg, Sankt ulrich (coll. Zeugen des Glaubens), 2002 ; trad. it. : Incontro con Hans Urs von Balthasar (trad. M. L. Milazzo), Pregassona, Lugano, Eupress (coll. Grandi teologi, precursori del terzo millennio, n° 1), 2003. 11. Nous verrons en son temps la bibliographie spécialisée pour chacun des trois volets de la Trilogie. Pour une introduction à celle-ci en général, ou plutôt à ses présupposés métaphysiques, cf. A. Nichols, A key to Balthasar : Hans Urs von Balthasar on beauty, goodness, and Truth, Grand Rapids (Michigan), Baker Academic, 2011. 12. Bibliographie secondaire sur Théologie des trois jours, p. 340. 13. Bibliographie secondaire sur Dieu et l’homme d’aujourd’hui, p. 338. 14. Bibliographie secondaire sur L’amour seul est digne de foi, p. 338. 15. Bibliographie secondaire sur Cordula ou l’épreuve décisive, p. 338.
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un deuxième groupe est centré sur les sources auxquelles s’abreuve la pensée balthasarienne. Si, prises individuellement, celles-ci sont en nombre presque illimité, leur identité appartient à quelques groupes bien délimités, de sorte qu’on peut en définir le cadre global : l’écriture ; le Magistère16 ; les Pères de l’église17 (par exemple Irénée18, Denys19, origène20, Grégoire de Nysse21, Augustin22 et Maxime le Confesseur23) ; les Docteurs médiévaux (par exemple, Anselme24, Albert le Grand25, Thomas d’Aquin26, Bonaventure27, Duns Scot28) ; les théologiens contemporains, tant catholiques (par exemple, Karl Rahner29, Bernard Lonergan30, Johann Baptist Metz31, Jon Sobrino32 et d’autres33) que protestants (par exemple, Karl Barth34, Jürgen Moltmann35, 16. Bibliographie secondaire sur Balthasar et le Magistère, p. 331. 17. Cf. P. Renczes, « La patristica e la metafisica nel secolo XX », dans Gr, 90/1, 2009, pp. 76-85. 18. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Irénée, p. 299. 19. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et le Pseudo-Denys l’Aréopagite, p. 296. 20. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et origène, p. 302. 21. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Grégoire de Nysse, p. 297. 22. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Augustin, p. 292. 23. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Maxime le Confesseur, p. 300. 24. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Anselme de Cantorbéry, p. 292. 25. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Albert le Grand, p. 292. 26. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Thomas d’Aquin, pp. 310-311. 27. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Bonaventure, p. 296. 28. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et le bienheureux Duns Scot, pp. 296-297. 29. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Karl Rahner, pp. 303-306. 30. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Bernard Lonergan, p. 300. 31. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Johann Baptist Metz, p. 301. 32. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Jon Sobrino, p. 307. 33. Comme, par exemple, Paul Häberlin (J. Luczak-Wild, « Hans urs von Balthasars Auseinandersetzung mit Paul Häberlin », dans Com [D], 39/2, 2010, pp. 213-222), Bruce Marshall (B. K. Sain, « Truth, Trinity and creation. Placing Bruce Marshall’s “Trinity and truth” in conversation with Hans urs von Balthasar’s Theo-logic », dans Pro Ecclesia, 18/3, 2009, pp. 273-298), Raymund Schwager, ensemble avec René Girard (E. Thusgard, « Dramatisk teologi. en introduction af Raymund Schwager », dans Dansk teologisk tidss-
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Eberhard Jüngel36) ; les auteurs spirituels et mystiques (par exemple, Ignace de Loyola37, Jean de la Croix38, Thérèse de Lisieux39, élisabeth de la Trinité40, Edith Stein41 et d’autres carmélitains42, Gertrud von Le Fort43, une place à part étant réservée à Adrienne von Speyr) ; les philosophes, en général44 ou en particulier (par exemple, Nicolas de Cuse45, Pascal46, Kant47, Hegel48, Schelling49, Nietzsche50, Kierkegaard51, Husserl52, Heidegger53, Levinas54 et les philokrift, 72/1, 2009, pp. 18-33), Bernard Welte (cf. C. Lambert, « una aproximación al pensamiento de Hans urs von Balthasar desde la perspectiva de Bernard Welte », dans A. Meis (éd.), « Hans urs von Balthasar, La cuestión del ser. De Medellín a Aparecida. Congreso Internacional de Hans urs von Balthasar. La cuestión del ser, 23-26 de septiembre 2008 », Teologia y Vida, L (2009), n° 1-2, pp. 275-284) ou John Wesley (D. S. Long, « Performing the truth. Wesley in conversation with von Balthasar », dans Via media philosophy, 2009, pp. 186-197). 34. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Karl Barth, pp. 293-296. 35. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Jürgen Moltmann, p. 301. 36. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Eberhard Jüngel, p. 299. 37. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Ignace de Loyola, p. 299. 38. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et saint Jean de la Croix, p. 299. 39. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et sainte Thérèse de Lisieux, p. 309. 40. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et la bienheureuse élisabeth de la Trinité, p. 297. 41. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et sainte Edith Stein, p. 309. 42. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et le Carmel en général, p. 296. 43. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Gertrud von Le Fort, p. 300. 44. Bibliographie secondaire sur la philosophie de Balthasar en général, p. 334. 45. Bibliographie secondaire sur la relation entre Balthasar et Nicolas de Cuse, p. 301. 46. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Blaise Pascal, p. 302. 47. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Emmanuel Kant, p. 299. 48. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Georg W. F. Hegel, p. 298. 49. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Friedrich W. J. Schelling, p. 307. 50. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Friedrich Nietzsche, p. 301. 51. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Søren Kierkegaard, p. 300.
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sophes du dialogue55, Przywara56, l’école de Francfort57, Gadamer58) ; la littérature, en général59 ou certains auteurs (par exemple, Calderon60, Gœthe61, Hölderlin62, Artaud63, Bernanos64, Borges65) ; la musique, par exemple Mozart66. Certaines sources ne sont pas encore explorées — par exemple la liturgie. un troisième groupe d’études concerne les études systématiques de la pensée balthasarienne. Il est possible de le subdiviser en quatre sous-groupes, selon le principe d’ordre choisi. Le premier sous-groupe étudie une œuvre ou un ensemble organique d’œuvres de Balthasar. En leur immense majorité, les travaux se concentrent sur, voire se limitent à ce que l’on appelle la Trilogie (cf. pp. 22-24) ou, plus souvent, à l’une des trois parties : l’esthétique théologique, la théologie dramatique (surtout) ou la théo-logique. Ils suivent alors le plus souvent l’ordre d’exposé de Balthasar.
52. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Edmund Husserl, p. 298. 53. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Martin Heidegger, p. 298. 54. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Emmanuel Levinas, p. 300. 55. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et les philosophies du dialogue, p. 302. 56. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Erich Przywara, p. 309. 57. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et l’école de Francfort, p. 297. 58. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Hans Georg Gadamer, p. 297. 59. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et la littérature, p. 331. 60. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Pedro Calderon de la Barca, p. 296. 61. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Johann Wolfgang von Goethe, p. 297. 62. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar, d’un côté, Friedrich Hölderlin et Adalbert Hamann, de l’autre, p. 298. 63. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Antonin Artaud, p. 292. 64. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Georges Bernanos, p. 296. 65. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Luis Borges, p. 296. 66. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Wolfgang Amadeus Mozart, p. 301.
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Le deuxième sous-groupe étudie non plus une œuvre, mais un thème selon la répartition classique des traités67 : la théologie fondamentale — en général68, ou certains thèmes comme l’articulation entre le discours théologique et la sainteté ou l’expérience69 —, la théologie trinitaire — en général, en relation avec certains attributs divins70, en particulier : la théologie du Père, du Fils ou de l’Esprit —, la christologie, la sotériologie, l’ecclésiologie, la mariologie, la théologie sacramentaire — en général71 ou en particulier, le mariage72, la pénitence73 et l’Eucharistie74 —, l’anthropologie75 — en particulier la personne et la sexualité76 —, l’eschatologie, l’éthique77, la spiritualité — par exemple la prière78 —, l’œcuménisme79 et la théologie du judaïsme80, etc. Certaines études, toutefois, croisent les traités81, ce qui se rapproche beaucoup de la forma mentis balthasarienne. Le troisième sous-groupe s’intéresse à une thématique ou à une notion inédite développée par Balthasar : qu’elle soit traditionnelle quant au nom, mais revisitée de manière originale en son contenu — par exemple, l’analogie82, l’apophatisme83, la convenance84, la mission85 —, qu’elle soit connue quant au 67. on pourrait ajouter les courants comme la théologie de la libération. Bibliographie secondaire sur Balthasar et ce courant, pp. 310-311. 68. Bibliographie secondaire sur la théologie fondamentale en général chez Balthasar, pp. 337-338. 69. Bibliographie secondaire sur l’expérience chez Balthasar, p. 317. 70. Cf., plus loin, chap. 3 : B.4. 71. Bibliographie secondaire sur la théologie sacramentaire fondamentale de Balthasar, p. 334. 72. Bibliographie secondaire sur la théologie du sacrement de mariage chez Balthasar, p. 334. 73. Bibliographie secondaire sur la théologie du sacrement de la réconciliation et de la pénitence chez Balthasar, p. 334. 74. Bibliographie secondaire sur l’Eucharistie chez Balthasar, pp. 316-317. 75. Bibliographie secondaire sur l’anthropologie théologique de Balthasar, pp. 326-327. 76. Bibliographie secondaire sur la théologie de la sexualité chez Balthasar, pp. 320-321. 77. Bibliographie secondaire sur l’éthique théologique chez Balthasar, pp. 330-331. 78. Bibliographie secondaire sur la prière chez Balthasar, p. 320. 79. Bibliographie secondaire sur l’œcuménisme chez Balthasar, pp. 333-334. 80. Bibliographie secondaire sur la théologie du judaïsme chez Balthasar, p. 331. 81. Cf., par exemple, V. Holzer, « Théologie de la Croix et doctrine trinitaire. Contribution à une théologie négative christologique : une autre analogie », dans RThL, 38, 2007, pp. 153-186. 82. Cf. P. Ide, « L’analogie selon Balthasar. une relecture à partir de l’amour de don », Revue thomiste, à paraître. 83. Cf. P. Ide, « La théologie négative selon Balthasar. une relecture à partir de l’amour de don », Angelicum, à paraître. 84. Bibliographie secondaire sur la convenance chez Balthasar, p. 316.
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sens, mais importée en théologie — par exemple, la figure, le drame, l’universale concretum86, le silence, le mal87, la crainte88 — qu’elle soit neuve simpliciter, en son vocable comme en son contenu — par exemple, l’inversion trinitaire. Nous avons listé des thèmes et des concepts théologiques. Il ne faudrait pas oublier que Balthasar propose de nombreux développements philosophiques qui ont aussi, quoique moins souvent, attiré l’attention. Les études sur la philosophie balthasarienne portent sur des notions, non sur des champs disciplinaires (par exemple : l’éthique philosophique). Les frontières sont d’ailleurs poreuses : certains concepts qui viennent d’être répertoriés appartiennent aux deux champs, celui de la foi et celui de la raison (par exemple, l’analogie ou l’universel concret). Enfin, l’inventivité philosophique de Balthasar concerne le signifié plus que le signifiant. Aussi les études portent-elles sur les concepts classiques, notamment métaphysiques, qui bénéficient d’un déplacement sémantique original : les transcendantaux, la beauté, le mystère, le temps, etc. un ultime sous-groupe s’intéresse à la totalité de la théologie de Balthasar, cherchant à en déterminer la logique intime et à s’approcher de son cœur incandescent. Ici, les hypothèses sont aussi nombreuses que les auteurs : l’analogie89, la substitution90, le Samedi saint, etc. La distinction entre les quatre sous-groupes n’est pas seulement logique, mais ontologique, c’est-à-dire perfective. on peut en effet établir une gradation entre les différentes études à partir de deux critères : selon le degré de distanciation à l’égard de la lettre ; selon la proximité avec le centre. Ces critères sont dictés par un double constat. D’une part, Balthasar transgresse très intentionnellement l’ordre classique des traités à qui il reproche de manquer l’unité vivante et concrète de la théologie. D’autre part, la forme de pensée balthasarienne est circulaire : certes, il lui arrive de proposer un exposé systématique d’un sujet ; mais l’on est assuré que, si le thème est essentiel à sa théologie, il sera récurrent et se retrouvera, enrichi d’harmoniques différentes, dans d’autres parties du même texte ou d’autres volumes, ici de la Trilogie. Tel 85. un certain nombre de ces travaux font partie du quatrième sous-groupe pour des raisons qui seront explicitées plus loin. 86. Bibliographie secondaire sur l’universale concretum chez Balthasar, pp. 325-326. 87. Bibliographie secondaire sur le mal chez Balthasar, p. 318. 88. Cf. l’originale étude de Byron Smith sur le changement climatique à partir de l’ouvrage de Balthasar Le Chrétien et l’Angoisse : « Doom, Gloom and Empty Tombs : Climate Change and Fear », Studies in Christian Ethics Edinburgh, 24 (2011) 1, pp. 77-91. 89. Cette notion est largement étudiée et même considérée, par certains spécialistes, comme la clé de la pensée balthasarienne. Cf. P. Ide, « L’analogie selon Balthasar. une relecture à partir de l’amour de don », art. cité. 90. Cf. P. Ide, Une théo-logique du don, 1re partie, chap. 1 : D.5
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est par exemple le cas de la mariologie ou de l’Eucharistie, qui, nodales dans la théologie de notre auteur, traversent tout son opus magnum, sans que l’on puisse dire que tel exposé soit plus essentiel que tel autre. De ces constats se déduisent trois conséquences : pour être fidèle à la lettre et à l’esprit qui y a présidé, le premier sous-groupe d’études touche rarement le cœur de la pensée balthasarienne ; tout en prenant de la distance à l’égard du texte et même en le questionnant avec pertinence, le deuxième sous-groupe s’organise à partir d’un principe qui est étranger à la pensée de Balthasar, voire auquel il est allergique, et demeure donc, là aussi, extrinsèque à son propos91 ; seuls les deux derniers sous-groupes l’interrogent en croisant les deux critères contrastés de la distance herméneutique et de la fidélité à sa perspective. Toutefois, il existe une différence entre ces deux sous-groupes : le troisième vise un thème qui, pour être important, demeure un parmi d’autres, alors que le quatrième vise le centre. or, une forma mentis circulaire s’organise à partir d’un cœur qu’elle ne cesse de viser et dont elle ne cesse de jaillir. Il demeure que, pour certains auteurs, telle thématique apparaît déterminante — par exemple l’analogie ou la kénose — que d’autres situent différemment. La délimitation des troisième et quatrième sous-groupes présente donc une certaine variabilité. Quoi qu’il en soit du contenu qu’il nous appartiendra de déterminer et de justifier, en passant du premier sous-groupe au dernier, l’on s’approche toujours davantage du pivot central de la théologie balthasarienne. De plus, quoi qu’il en soit de cette distribution et de son axiologie, ce parcours bibliographique non exhaustif permet de prendre conscience que la théologie (et, plus généralement, la pensée) de Balthasar commence à être très sérieusement explorée. Ce « déblayage » prépare à la fois des synthèses affinées et des évaluations critiques nuancées, donc une réception critique au sens plein du terme — réception qui, à une vingtaine d’années du décès de Balthasar, pourrait caractériser la seconde génération de commentateurs.
2. Proposition. Ce livre s’inscrit dans le cadre du quatrième sous-groupe. Notre hypothèse est la suivante : la théologie de Balthasar est une théologie du don. Autrement 91. D’ailleurs, les distinctions par champ théologique sélectionnent, esquivent ou retardent une lecture transversale de la Trilogie. En effet, selon ses affinités intellectuelles, l’on privilégiera telle ou telle partie de la Trilogie. Souvent, le spécialiste de théologie fondamentale se penchera davantage sur La Gloire et la Croix, le dogmaticien sur La Dramatique divine et le « philosophe chrétien » sur la théo-logique.
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dit, l’intuition commandant le discours du Bâlois tient dans un des mots les plus brefs et les plus riches de notre langue : le don. Certes, nous l’avons dit, d’autres travaux ont soutenu des thèses proches de cette affirmation, faisant de l’amour92, de la kénose93, de l’obéissance94, l’âme ou le principe organisateur de toute la Trilogie, voire de toute l’œuvre théologique de Balthasar. Néanmoins, l’amour n’en notifie pas assez précisément le proprium : il anime d’autres synthèses théologiques, passées95 ou présentes96 ; surtout, il manque de précision. En effet, Balthasar traite de cette 92. L’ouvrage princeps est celui, justement fameux, de Manfred Lochbrunner, dont le sous-titre programmatique imite celui de l’opus magnum de Balthasar sur Barth et donc en révèle l’intention : Analogia Caritatis. Darstellung und Deutung der Theologie Hans Urs von Balthasars, Freibourg-Bâle-Vienne, Herder (coll. Fribourger theologische Studien, n° 120), 1981. « La Trilogie veut prouver avec ses trois parties […] que l’amour est le principe d’unité formelle et matérielle de la figure de la foi et de la figure de la révélation chrétienne et veut mettre en évidence la supériorité du mouvement christologique de l’abandon dans l’Amour (“kénose d’Amour”) sur tous les systèmes de pensée réels et possibles » (p. 277). Mario Saint-Pierre explique à propos de cet ouvrage : « Balthasar met au cœur de sa théologie l’Amour (l’analogia caritatis) comme principe d’unité herméneutique de la révélation chrétienne ». Ainsi, Lochbrunner, cité par le prêtre canadien, « démontre que la division en trois parties de l’œuvre de Balthasar est conséquente de ce principe herméneutique et tout à fait cohérente à la théorie des transcendantaux » (Beauté, bonté, vérité chez Hans Urs von Balthasar, Sainte-Foy [Québec], Les Presses de l’université Laval, 1998, p. 159). Sur ce sujet et sur la bibliographie qui sera donnée in situ, cf. chap. 1. 93. Cf. P. Ide, Une théo-logique du don, 1re partie, chap. 1. Pour ne donner qu’un exemple, Jürgen Werbick parle de la kénose comme le « centre de la théologie [Zentrum der Theologie] » de Balthasar (« Gottes Dreieinigkeit denken ? Hans urs von Balthasar. Rede von der göttlichen Selbstentäusserung als Mitte des Glaubens und Zentrum der Theologie », dans Theologische Quartalschrift, 176, 1996, pp. 225-240). 94. Cf. P. Ide, Une théo-logique du don, 1re partie, chap. 1 : D.4. Cette orientation est illustrée de manière particulière par Jacques Servais, dans sa thèse Théologie des « Exercices spirituels ». Hans Urs von Balthasar interprète Saint Ignace, Bruxelles, Culture et Vérité (coll. ouvertures, n° 15), 1996. 95. Saint Augustin est, au moins dans certaines de ses pages, un théologien de l’amour (cf. D. Dideberg, Saint Augustin et la Première Épître de saint Jean. Une théologie de l’Agapè, Paris, Beauchesne, 1975). 96. Bien des théologiens ont, par exemple, souhaité revaloriser la gratuité divine. Tel est le cas d’Antoine Delzant dans son ouvrage (La communication de Dieu. Par delà utile et inutile. Essai théologique sur l’ordre symbolique, CF, n° 92, 1978). Claude Geffré résume ainsi le projet du livre : « Dans son ouvrage La Communication de Dieu, il rompt délibérément avec les présupposés onto-théologiques de la théologie et de l’herméneutique traditionnelles auxquelles il reproche leur anthropocentrisme secret et, à partir de la catégorie d’alliance comme ordre symbolique, il ouvre les voies d’un discours neuf sur Dieu qui soit sous le signe de la gratuité et de l’utilitarisme » (« Silence et promesses de la
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forme spécifique d’amour qu’est le don. Même s’il établit une équivalence entre amour et don, nous montrerons en détail leur différence, largement inexplicitée par notre auteur (cf. chap. 3 : C). De leur côté, kénose et obéissance sont bien situées au centre du discours balthasarien, sans toutefois en constituer le centre. En effet, le don d’amour se présente sous d’autres formes qui sont nécessaires non seulement pour rendre compte de l’intégralité du mystère de l’amour donné, mais aussi pour équilibrer une présentation trop exclusivement centrée sur le dessaisissement de soi. une objection d’importance doit être affrontée : Balthasar n’a jamais formulé cette centralité de la donation ; il n’a jamais dit que le don est la perspective unifiante de sa pensée. Ce point est d’autant plus notable que, tout à l’inverse, il ne cesse de parler de l’amour et, singulièrement de l’amour en clé d’obéissance. Ne serait-il pas plus conforme à l’intention de Balthasar de faire de celle-ci le cœur de sa théologie plutôt que de supputer ce qu’il n’explicite jamais ? Il appartiendra à ce travail de montrer en détail le bien-fondé de son affirmation centrale. Retenons déjà à titre programmatique cette formule de la Theodramatik : le « don de soi [Selbsthingabe] que le Père fait au Fils dans l’Esprit […] fonde tout [alles begründet]97 ». De plus, il est déjà possible de répondre à la prémisse tacite de l’objection selon laquelle un auteur devrait exprimer clairement son intuition fontale. Tout d’abord, notons avec Heidegger l’unicité de toute pensée authentique, donc inédite : « Penser, c’est se limiter à une unique idée, qui un jour demeurera comme une étoile au ciel du monde98. » Nous reviendrons dans un instant sur ce constat. Ensuite, les grandes idées sont toujours riches de développements que leur inventeur ne peut complètement maîtriser. Species semper major. La théorie newmanienne du développement en offre une illustration. L’Essai sur le développement est — notamment — né d’une expérience personnelle, ainsi que l’observe Maurice Nédoncelle au terme d’une étude sur la défense de la suprématie papale dans l’Essay de 1844. Newman avait lu l’ouvrage violemment antipapiste de Thomas Newton à quinze ans ; or, selon l’aveu du converti, il en avait gardé l’empreinte jusqu’en 184399. « Dans sa propre vie, à la veille de se théologie française », dans Le Christianisme au risque de l’interprétation, CF, n° 120, 1983, p. 338). 97. DD III, p. 304 : TD IIII, p. 305. 98. M. Heidegger, « L’expérience de la pensée » (trad. A. Préau), dans Questions III et IV, Paris, Gallimard (coll. Tel), 1966 et 1976, pp. 17-39, ici p. 21. 99. Apologia pro vita sua (trad. L. Michelin-Delimoges), Paris, Bloud & Gay, 19393, p. 29.
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convertir — écrit le doyen de la Faculté de théologie de Strasbourg —, il pouvait voir qu’un germe semé très tôt avait grandi lentement et surmonté tous les obstacles. un autre germe était mort, celui de Thomas Newton, non sans avoir résisté pendant trente ans. Newman parvenait à un but qu’il n’avait pas prévu dans sa jeunesse. C’est que les grandes idées prennent du temps pour se faire comprendre et que “personne n’est maître des résultats auxquels le mènent ses principes100”. » Non seulement une idée véritablement neuve déborde les capacités de conceptualisation de son inventeur, mais elle outrepasse même la conscience qu’il en a. Balthasar lui-même l’observe : « Les points de départ sont toujours décisifs [immer entscheiden die Ansätze] ; les pré-décisions presque invisibles [fast unsichtbaren Vorentscheidungen] marquent l’histoire », ainsi que l’attestent certains philosophes : « l’Idée de Platon, le De ente et essentia de Thomas, le Cogito de Descartes, le “concept” de Hegel101 ». Bergson propose une explication magistrale et lumineuse de ce constat en partant de la manière dont un lecteur pénètre progressivement dans ce qui constitue l’essentiel d’une pensée philosophique. Cette connaissance requiert d’abord une fréquentation assidue. Puis, progressivement, l’étude attentive permet d’en atteindre le cœur. Enfin tout se ramasse en un point unique. Et ce point est quelque chose de simple, d’infiniment simple, de si extraordinairement simple que le philosophe n’a jamais réussi à le dire. Et c’est pourquoi il a parlé toute sa vie. Il ne pouvait formuler ce qu’il avait dans l’esprit sans se sentir obligé de corriger sa formule, puis de corriger sa correction : ainsi, de théorie en théorie, se rectifiant, alors qu’il croyait se compléter, il n’a fait qu’une chose, par une complication qui appelait la complication et par des développements juxtaposés à des développements, que rendre avec une approximation croissante la simplicité de son intuition originelle102. 100. M. Nédoncelle, « La suprématie papale dans l’Essai sur le développement de Newman », dans Mgr. E. Fischer et L. Bouyer (éd.), Parole de Dieu et sacerdoce, Paris (etc.), Desclée, 1962, pp. 139-152, ici pp. 151-152. Le P. Nédoncelle cite J. H. Newman, Essay on the Development of Christian doctrine, Londres, Toovey, 18783, p. 31. 101. À propos de mon œuvre. Traversée (trad. J. Doré et Ch. Flamant), Bruxelles, Lessius (coll. ouvertures, n° 22), 2002, p. 41 : Mein Werk. Durchblicke, Einsiedeln-Freibourg, Johannes, 1990 ; réédité avec « Geist und Feuer » (paru dans Herder Korrespondenz, 1976), sous le titre : Zu seinem Werk, Einsiedeln-Freibourg, Johannes, 2000, p. 45. 102. H. Bergson, La Pensée et le Mouvant, dans Œuvres, Paris, éd. du centenaire, P.u.F., 1959, p. 1347. L’idée développée par Bergson se trouve déjà chez Pascal : « La vérité est bien dans leurs opinions [celles du peuple], mais pas au point où ils se figurent : il est vrai qu’il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc. » (Pensées, n° 205, éd. F. Kaplan, Paris, Le Cerf, 1982). Elle n’est pas non plus éloignée de celle évoquée par Husserl dans un texte célèbre de Krisis, où l’insis-
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Le philosophe français affirme trois choses dont les deux dernières sonnent le glas du primat cartésien de l’idée claire et distincte : tout philosophe authentique est habité par une intuition et une seule (« point unique », « intuition originelle », « il n’a fait qu’une chose »), prégnant de tout ce qu’il dit ; il passe toute sa vie à la mettre en mots, à la stabiliser dans la forme diminuée du concept ; enfin, il ne la verra jamais totalement103. J’ajouterai une quatrième note, qui justifie ce travail, comme toute étude d’un auteur : ce que, faute de distance, le maître ne pourra jamais faire, il revient au disciple — ou au moins tance, pour être plus universelle, n’est pas déconnectée de la singularité de l’acte philosophique exercé par un penseur donné : « Soyons plus clairs. Ce à quoi je tends sous le titre “philosophie”, en tant que champ et but de mon travail, c’est quelque chose que, naturellement, je sais. Et pourtant je ne le sais pas. Quel est l’auto-penseur à qui un tel “savoir” a jamais suffi ? Quel est celui pour qui, dans sa vie de philosophe, la “philosophie” a jamais cessé d’être une énigme ? Certes le sens téléologique nommé “philosophie”, à la réalisation duquel il a consacré sa vie, chacun en possède certaines formulations, exprimées dans des définitions, mais seuls les penseurs de deuxième ordre, qu’en vérité il ne faut pas appeler philosophes, se reposent sur leurs définitions, avec leurs concepts verbaux, font du télos de l’acte de philosopher quelque chose de mort. Ce qui est historique reste pris dans ce “savoir” obscur comme dans les concepts verbaux des formules, c’est, dans son sens propre, l’héritage spirituel de celui qui philosophe, et il est évident aussi qu’il comprend les autres, en connexion avec lesquels, dans l’amitié et dans l’inimitié critiques, il philosophe. […] L’image qu’il se fait de l’histoire, en partie forgée par lui-même, en partie reçue, son “poème de l’histoire de la philosophie” n’est pas resté et ne reste pas fixe, il le sait ; et pourtant : chaque “poème” lui sert, et peut lui servir, à se comprendre lui-même et son projet, et celui-ci en rapport avec celui des autres et avec leur “poème”, et finalement à comprendre le projet commun à tous, qui constitue “la” philosophie en tant que télos unitaire » (E. Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, 1935-1936, § 73, appendice XXVIII, trad. G. Granel, Paris, Gallimard, 1976, p. 568). 103. Dans un langage non bergsonien, on dirait que cette intuition relève du registre du pré-réflexif, de la noèse plus que du noème. Jacques Maritain a tenté de rendre compte de cette nuit bienheureuse qui précède la lumineuse clarté du concept et où se forme toute intuition, dans un développement remarquable de L’Intuition créatrice dans l’art et la poésie (Paris, DDB, 1966, chap. 3). Dans un registre phénoménologique, Jean-Louis Chrétien souligne combien toute parole n’est vraie que d’être agonique ou polémique. Ce thème dramatique traverse toute son œuvre comme un fil rouge. En effet, seul mérite d’être dit, ce qui, au départ, échappe aux prises de la parole. Il n’y va pas d’un éloge de l’impensable, mais de la reconnaissance que tout ce qui est formulé commence par une démesure. or, cette tâche qui tout à la fois dépasse les forces présentes et nous requiert invite à un combat et révèle notre défaillance. Tout grand philosophe, tout grand écrivain vit ce paradoxe insupportable : d’une part, il se sent obligé de, poussé à exprimer ; d’autre part, cette tâche qui est au-dessus de ses capacités le voue à l’impossible (cf., par exemple, J.-L. Chrétien, « Comment lutter avec l’irrésistible », dans Corps à corps. À l’écoute de l’œuvre d’art, Paris, Minuit [coll. Philosophie], 1997, pp. 11-24).
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à celui qui l’étudie attentivement — de l’accomplir. Toute pensée présente une tache aveugle qu’il appartient aux successeurs de révéler. Leur travail propre est de nommer l’intuition, la clarifier et enfin la divulguer. on a reproché aux écoles leur manque d’originalité. Il y a là une double injustice : le mérite et la mission du disciple est de ne pas avoir cherché à faire du neuf, mais de s’être rendu fidèle, obéissant à la pensée d’autrui jusqu’à la mort (momentanée) de sa pensée propre ; autant il doit abdiquer tout inédit sur le fond, autant il doit en réorganiser la forme. Telle est la légitimation de l’étude d’un auteur et, a fortiori, du disciple ou de l’école ut sic : la répétition du contenu dans le renouvellement de l’ordre, c’est-à-dire dans un exposé reconduit le plus rigoureusement possible à ses principes enfin clairement nommés. Ce qui est vrai de la sagesse philosophique l’est, a fortiori, de la sagesse théologique. N’est-ce pas ce que Balthasar lui-même disait à propos de son projet de trilogie patristique sur origène, Grégoire de Nysse et Maxime le Confesseur : remonter à la « source vitale de leur esprit, […] cette intuition fondamentale et secrète, qui dirige toute l’expression de leur pensée et qui nous révèle une de ces grandes attitudes possibles que la théologie a adoptées dans une situation concrète et unique104 » ? De même, l’intention de ce travail est de se rapprocher de la « source vitale » de l’« esprit » du théologien suisse, de son « intuition fondamentale » autant que « secrète ». on pourrait, à ce sujet, faire valoir une raison inspirée, là encore, de Balthasar lui-même. La théologie, beaucoup plus qu’une profession, est une mission. De même que celui qui envoie est « plus grand » (Jn 14,28) que l’envoyé, de même le théologien est davantage connu qu’il ne connaît ; il porte en sa contemplation du Mystère « secret et publié » plus grand qu’il ne saurait le dire. un autre philosophe français l’exprimait dans une formule de facture toute balthasarienne : « Ce qu’un auteur pense, Dieu seul le sait sans incertitude105. » Enfin, pour revenir au don d’amour, cette nescience à l’égard de l’origine106, n’est jamais totale. Quintillien observait que la phrase ne commence qu’arrivée à son dénouement : « Quand donc la phrase prend corps ? Lorsqu’on en vient à son terme107. » Cette loi de l’écriture révèle une loi de la pensée, que Pascal formulait ainsi : « La dernière chose qu’on trouve en faisant un ouvrage, est de savoir celle qu’il faut mettre la première108. » N’est-il pas 104. PP, p. xiii. 105. é. Gilson, La Philosophie et la Théologie, Paris, Fayard, 1960, p. 156. 106. Cf. P. Gibert, L’Inconnue du commencement, Paris, Seuil (coll. La couleur des idées), 2007. 107. Institutions oratoires, IX, 4, 123. 108. B. Pascal, Pensées, n° 63, dans Œuvres complètes, éd. J. Chevalier, Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque de la Pléiade), 1954, p. 1101. éd. Brunschvicg, n° 19.
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éloquent que le dernier nom de la Theodramatik soit « Geschenk » et de la Theologik, « Liebe109 » ? Peut-être une raison plus générale préside à cette ignorance au moins partielle de la source. Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer, le « don » ne présente pas de statut conceptuel défini en théologie. un parcours des différents grands dictionnaires de langue française, montre que, entre « dogme » et « donatisme », on pourra trouver un article plus spécifique sur les « Dons du Saint-Esprit », mais aucun sur le « don » comme tel. Même le tout récent Dictionnaire critique de théologie, qui consacre une rubrique au terme « amour » et, plus original, une à celui de « communion », n’en dédie aucune au vocable « don ». Le Kleines Theologisches Wörterbuch de Rahner et Vorgrimler possède une entrée réjouissante « Don de Dieu », mais celle-ci traite en fait de la grâce. Il faut toutefois ajouter que, mettant en œuvre le Grundaxiom, les auteurs remontent de ce don « absolument libre » à « ce que cela signifie quand on dit que Dieu est Amour (1 Jn 4,8) : il est celui qui peut faire don de lui-même, dans son intimité absolue et dans sa gloire infinie, à l’être fini110 ». Il s’ébauche donc ici une véritable théologie du don de Dieu, au sens objectif autant que subjectif. Il demeure que, de par la limitation qu’impose le complément d’objet, ledit article ne traite pas du « don » en toute son extension. Ces constats étonnent quand on sait l’importance de ce terme dans l’écriture — notamment en saint Jean —, la patristique, la grande scolastique, les courants de théologie spirituelle — notamment le Carmel —, la liturgie, et surtout lorsqu’on mesure combien le christianisme a profondément renouvelé la compréhension de la donation. Et l’étonnement redouble quand on mesure le hiatus entre l’omniprésence de la thématique du don en sciences humaines — sociologie, psychologie, économie —, en philosophie — surtout en phénoménologie, mais aussi en métaphysique —, et la parcimonie des développements que lui consacre la théologie. Sans doute la temporalité propre aux concepts théologiques est-elle la longue durée ; il faut attendre bien des siècles pour que ce qui était nommé et vécu passe de l’implicite à l’explicite, de l’in actu exercito à l’in actu signato, et devienne un objet d’étude. Il n’est toutefois pas du ressort de ce livre de s’in109. Respectivement TD IV, p. 476 et T III, p. 410. Nous parlons bien du dernier « nom » et non pas du dernier mot, la construction allemande de la phrase rejetant le verbe à la fin. L’on ne saurait toutefois absolutiser un tel argument : Herrlichkeit s’achève sur le terme « Welt », l’avant-dernier substantif étant non pas la troisième, mais la deuxième vertu théologale, « Hoffnung » (H III.2.II, p. 511). 110. K. Rahner et H. Vorgrimler, « Don de Dieu », dans KTW, Fribourg, Herder, 19697 ; Id., Petit dictionnaire de théologie catholique (trad. P. Démann et M. Vidal), Paris, Seuil, 1969, pp. 135-136, ici p. 136.
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terroger sur les origines précises et sur la signification de ce point aveugle. Se limitant à la Trilogie élaborée par Balthasar — ainsi que nous allons maintenant l’établir —, il souhaite montrer la pertinence d’un mot dont il y a fort à parier qu’il pointe vers un concept riche de sens et de ressource.
B. oBJET Nous venons de le voir, l’intention de ce travail est de montrer que le don constitue la perspective ouvrant la théologie de Balthasar. or, l’objectum formale détermine l’objectum materiale. Après avoir défini le point de vue, il convient maintenant de délimiter le champ de l’étude. Ce corpus peut se déterminer en positif et en négatif.
1. Délimitation générale. Nous étudierons en priorité les quinze volumes de la totalité monumentale rassemblant Herrlichkeit, Theodramatik et Theologik, que Balthasar appelle « trilogie [Trilogie]111 » ou « triptyque [Triptychons]112 » Ce nom peut induire 111. Le terme de Trilogie est de Balthasar lui-même. Son apparition est tardive ; en fait, elle ne remonte pas avant le début de la rédaction de la troisième partie, lorsque Balthasar revient sur l’ensemble du chantier dans une longue « Note sur l’ensemble de l’œuvre » (TL I, p. 5 : T I, p. vii). on le retrouve, de rares fois, par exemple au seuil du tout dernier volume, dans la Préface d’Épilogue (É, p. 5 ou 33 : E, p. 7 ou 33). Il n’échappe à personne que le vocable de Trilogie n’est pas un véritable titre — tout à l’inverse de celui de chacune des trois parties. Il représente plutôt une sorte d’accolade commode. D’ailleurs, notre auteur ne l’exprime-t-il pas implicitement quand, après avoir parlé de Trilogie, il énumère entre parenthèses : « Esthétique, Théodramatique, Théologique » (ibid., p. 5 : p. 7) ? Que Balthasar se soit refusé à donner un titre commun à son grand-œuvre donne à réfléchir. Cela signifie-t-il qu’il n’existe pas de concepts englobant les transcendantaux (et l’être, qui n’est pas un concept, ne joue pas ce rôle) ? que les parties, tout en étant étroitement articulées et non pas juxtaposées, pour autant ne sont pas les espèces divisant un genre suprême ? que la méthode de Balthasar est celle du cheminement (hodos) plutôt que de la division ? qu’il existe une analogie entre cette répartition de la « matière » théologique et la Trinité des hypostases divines qu’aucun concept compréhensif de « personne » ne peut subsumer, sans que pour autant on puisse imaginer une appropriation de ces trois parties à chacune des hypostases ? Autant de thèmes qui s’égrènent tout au long de l’œuvre balthasarienne, ainsi que nous le verrons. 112. DD I, p. 13 : TD I, p. 15.
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en erreur : soulignant la diversité, il n’en manifeste pas assez l’unité de point de vue. or, « on ne peut adéquatement séparer ces parties [adäquat […] trennen]113 », au nom de l’unité concrète, périchorétique des transcendantaux et, plus encore, de la théologie. Plus encore, le propos de ce travail est de manifester la profonde unité de cette œuvre. En effet, le concept transversal de don permet de fédérer ce que des analyses utiles, mais parcellaires, par exemple sur les thèmes de la gloire ou du drame divin, risquent de morceler. Nous ajoutons le volume qui se présente comme une reprise, mais qui, loin de synthétiser la Trilogie, ouvre de nouvelles perspectives : Epilog. Tout en faisant à l’occasion appel aux autres ouvrages ou aux articles, notre travail se concentrera pour l’essentiel sur l’opus magnum auquel Balthasar a dédié ses efforts durant plus d’un quart de siècle (1961-1987), Wahrheit der Welt excepté. De l’avis de tous les observateurs, dans la Trilogie culmine la théologie de Balthasar : non pas d’abord parce qu’elle est achevée114, mais parce que nous y rencontrons, orchestrés, harmonisés, tous les thèmes essentiels de son œuvre. En ce sens, elle représente l’équivalent d’une Summa médiévale, d’un Tractatus moderne ou d’une Dogmatique contemporaine. Les autres œuvres doivent être rangées parmi les monographies, les exposés généraux de la foi (qui ne présentent pas la scientificité du discours théologique), enfin les introductions à l’une des trois parties de la Trilogie. or, l’intention de Balthasar est de présenter « quelque chose de plus unifié [etwas Einheitlicheres] que toute les “collections de babioles” [‘vereinigten Nippsachen’] rassemblées par des “équipes” et présentées sous les titres de “Dogmatique”, de “Dictionnaire théologique” ou d’“hommage” ». En effet, « malheureusement, cent départs ne donnent pas encore un saut et cent formes individuelles ne créent pas d’une manière valable une empreinte marquante115 ». Le choix de se concentrer sur la Trilogie se justifie pour une seconde raison, d’ordre méthodologique : il est plus aisé et plus convaincant de montrer que le don est la clé de lecture de la théologie balthasarienne, en manifestant qu’il est le principe de cohérence de tout le triptyque théologique. Nous exclurons de notre propos, tout d’abord, les éléments autobiographiques116. En cela nous serons fidèle à l’écriture de la Trilogie pour qui vaut 113. Ibid., p. 14 : p. 15. 114. Ailleurs, nous établissons que cet achèvement vaut peut-être plus pour la globalité que pour le détail (Introduction générale : B. 2. b ; cf. P. Ide, Une théo-logique du don, 2e partie, chap. 2 : F.2.a-b). 115. À propos de mon œuvre, p. 62 : Zu seinem Werk, p. 68. 116. En réalité, nous les convoquerons seulement une fois, notamment pour souligner l’importance de la figure de l’obéissance (cf. P. Ide, Une théo-logique du don, 1re partie, chap. 1 : E.1).
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le mot placé à l’orée de la Critique de la raison pure : « De nobis ipsis silemus [en ce qui nous concerne, nous nous tairons]117 ». Surtout, nous écarterons toute l’œuvre d’Adrienne von Speyr qui ne sera citée que lorsque la Trilogie la convoque. Il faut s’attarder sur ce dernier choix qui n’a pas pour lui l’évidence.
2. Balthasar, avec ou sans Adrienne ? Délimiter l’œuvre de Balthasar ne suffit pas. En effet, qui ignore le lien étroit, d’abord biographique, ensuite doctrinal, existant entre Hans urs von Balthasar et Adrienne von Speyr118 ? Lui-même, nous allons le dire, a demandé expressément de ne pas séparer son œuvre de celle de sa dirigée. un ouvrage portant sur Balthasar ne doit-il pas conjointement porter sur celle-ci ? a) Topique. Il est possible de distinguer trois grands types d’attitudes théologiques face aux relations des deux œuvres ou plutôt à la manière de faire appel — ou non — à l’expérience et aux écrits d’Adrienne pour comprendre la théologie de Balthasar119. 1°) L’inséparabilité. Certains auteurs affirment l’inséparabilité des deux pensées. un fait est éloquent : Balthasar a transcrit une très grande partie de ses entretiens avec Adrienne et ceux-ci constituent « environ un tiers » de ses écrits, constat impressionnant face à la somme imposante des œuvres du théologien120. Plus 117. Critique de la raison pure (trad. A. J.-L. Delamarre et F. Marty à partir de celle de J. Barni), dans Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié, Paris, Gallimard (coll. Bibliothèque de la Pléiade), 1980, 3 vol., t. 1. Des premiers écrits à la « Critique de la raison pure », p. 771. L’effacement du « je » devant l’œuvre est doublement amplifié par le fait que Kant convoque la parole d’un autre philosophe que lui, Bacon, dans une langue autre que la sienne, le latin. 118. Bibliographie secondaire sur les relations entre Balthasar et Adrienne von Speyr, pp. 307-309. 119. Cf. la topique clarifiante de J. Servais, « Per una valutazione nell’influsso di Adrienne von Speyr su Hans urs von Balthasar », dans Esperienza mistica e teologia. Ricerca epistemologica sulle proposte di Hans urs von Balthasar, Atti xiv Colloquio di Teologia di Lugano, 25-26 maggio 2000, RTLu, 6, 2001, pp. 67-89, ici pp. 68-74. 120. Les œuvres de Adrienne von Speyr qui, selon les propres paroles de Balthasar, furent presque toutes dictées, représentent « environ un tiers des livres qu’il a écrits de sa main ». La liste compte pas moins de 82 entrées (cf. Erster Blick auf Adrienne von Speyr, Einsiedeln, Johannes, 1968 ; Einsiedeln-Trèves, Johannes, 19894, pp. 89-97).
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encore, ce dernier a constamment affirmé l’unité ou plutôt la complémentarité des deux œuvres, voire la supériorité, en importance, de celle d’Adrienne. Il l’affirme dès 1955. « Son œuvre et la mienne — écrit-il dix ans plus tard — ne sont séparables, ni psychologiquement, ni philologiquement [Ihr Werk und das meine sind weder psychologisch noch philologisch zu trennen] ; ce sont les deux moitiés d’un tout qui, comme centre, a un unique fondement [zwei Hälften eines Ganzen, das als Mitte eine einzige Gründung hat121] ». Cela apparaît encore plus clairement dans le livre testament dédié à leur mission commune et publié par Balthasar à l’invitation de Paul VI. Voici comment il s’ouvre : « Cet ouvrage a, avant tout, pour but [Zweck] d’empêcher après ma mort toute tentative de séparer [trennen] mon œuvre de celle d’Adrienne von Speyr. Il démontre que cela n’est en aucune manière possible [in keiner Hinsicht möglich ist], ni en ce qui concerne la théologie [Theologie], ni pour la fondation de l’Institut122. » un aveu mérite d’être cité avec générosité : Dans mes livres postérieurs à la conversion d’Adrienne, j’ai utilisé sans hésiter [unbedenklich] des pensées qu’elle me transmettait. […] Elle m’a souvent donné des suggestions [sie gab mir oft Hinweise] pour des sermons, des conférences de toute sorte, mais elle-même, du fait de sa cécité croissante, lisait rarement, et de moins en moins mes livres. Dans l’ensemble, j’ai reçu davantage d’elle qu’elle de moi sur le plan théologique, mais on ne peut préciser dans quelles proportions [Im Ganzen habe ich theologisch mehr von ihr erhaltenals sie von mir, obwohl das genaue Verhältnis nicht aufgerechnet werden kann]. […] J’ai cherché à conformer à la sienne ma vision de la révélation chrétienne. […] aujourd’hui, après sa mort, l’œuvre d’Adrienne von Speyr me paraît beaucoup plus importante [weit wichtiger] que la mienne et la publication de ses écrits a pris le pas sur mes travaux personnels123.
121. À propos de mon œuvre, p. 69 : Zu seinem Werk, p. 76. Cf. M. Lochbrunner, « Das Ineinander von Schau und Theologie in der Lehre vom Karsamstag bei Hans urs von Balthasar », dans Esperienza mistica e teologia, pp. 171-193, ici p. 187. 122. L’Institut Saint-Jean. Genèse et principes (trad. P. Catry et J. Servais), Paris, Lethielleux (coll. Le Sycomore) – Namur, Culture et Vérité, 1986, p. 9 : Unser Auftrag. Bericht und Entwurf. Einführung in die von Adrienne von Speyr und Hans Urs von Balthasar gegründete Johannesgemeinschaft, Einsiedeln, Johannes, 1984 ; Einsiedeln, Johannes, 20042, p. 15. 123. Adrienne von Speyr et sa mission théologique (trad. H. Engelmann, R. Givord et M. Lépine), Paris, Apostolat des éditions – Montréal, éd. Paulines, 1976, 19853, pp. 8-9 : Erster Blick auf Adrienne von Speyr, p. 11.
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Enfin, dans l’Avant-propos d’un ouvrage explicitement théologique, Balthasar parle de « notre [unsere] théologie », le contexte invitant à attribuer l’adjectif possessif à lui et à Adrienne124. Dès lors, certains font de la dirigée de Balthasar son inspiratrice mystique et de son expérience la source de sa théologie. En effet, celle-ci se fonde sur l’expérience vécue par le Christ le Samedi saint. or, dans le descensus ad inferos réside le cœur original de ce qu’Adrienne éprouve dans ses passions125. C’est là, selon son confesseur, « le plus grand don théologique qu’Adrienne ait reçu de Dieu et laissé à l’église126 ». La théologie de Balthasar est donc la systématisation 124. DD IV, 7 : TD IV, p. 11. Souligné par moi. 125. En voici une description : « L’après-midi du Vendredi [saint] la souffrance s’acheva assez précisément à 3 heures comme je l’avais supposé. Je m’étais attendu à ce que se produise alors un grand soulagement [starke Erleichterung] ; le Samedi saint n’évoquait rien de précis pour moi. Mais cela se passa tout autrement. […] Maintenant [à 5 heures] commencent des visions de l’enfer [Visionen aus der Hölle]. […] Celui-ci est manifestement le mystère central du jour [zentrale Geheimnis des Tages]. […] Ce n’est pas qu’elle serait ellemême comme damnée en enfer. Elle s’y trouve vraiment, mais d’une certaine manière sans y participer. […] A-t-elle vu des hommes ou des âmes ? Non. Elle ne sait pas si quelqu’un se trouve dans cet état. Peut-être oui, peut-être non. Il est possible que tout cela n’est que la lie [Bodensatz] du monde, les péchés qui sont si lourds qu’ils coulèrent tout à fait jusqu’au fond de tout, tandis que les âmes qui les ont commis se trouvent peut-être complètement ailleurs. […] Voit-elle quelque chose ? oui, c’est comme un fleuve de boue effrayant, une masse de boue brun foncé qui s’écoule très lentement de la droite en avant vers la gauche à l’arrière. […] Les visions qu’elle décrit ne sont pas vraiment des visions [Visionen], mais plutôt des interprétations d’un état [Auslegungen eines Zustandes]. Avant tout une terrible solitude. Séparation d’avec tous les hommes. […] Le Samedi saint appartient [dit-elle] vraiment encore à la Passion ; il semble qu’on le sous-estime [unterschätzen] dans l’église catholique. La séparation totale [völlige Getrenntsein] du péché, des siens et de ceux des autres, lui semble devenir de plus en plus le mystère central de ce jour » (citée par M. Lochbrunner, « Das Ineinander von Schau und Theologie in der Lehre vom Karsamstag bei Hans urs von Balthasar », p. 180. Je remercie Christophe Kruijen pour cette citation). 126. « À l’intérieur de ce lieu théologique général, il reste encore à parler de ce qui m’apparaît comme le plus grand don théologique [grösste theologische Geschenk] qu’Adrienne ait reçu de Dieu et laissé à l’église. Chaque année, depuis 1941, elle a pu, pendant la semaine sainte, et souvent dès le temps du carême, participer aux souffrances du Seigneur pendant sa passion. Pour moi, qui pouvais assister à cet événement, se dévoilait un panorama de souffrances infiniment varié : la somme d’angoisses éprouvées par le Christ au mont des oliviers et au Calvaire, celle des hontes, des opprobres, des humiliations, des différentes formes d’abandon de Dieu et, bien sûr, une somme inépuisable de souffrances physiques. […] Chaque année, le Vendredi saint, la passion se terminait l’après-midi vers 3 heures par un état semblable à la mort, dans lequel jaillissait le coup de lance. Et bientôt après commençait (pour durer jusqu’aux premières heures du dimanche de Pâques) la “descente aux enfers” [“Abstieg sur Hölle”] dont Adrienne donnait, année
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objective de ce vécu subjectif127 : « étudiant l’œuvre d’Adrienne, on ne peut se soustraire à l’impression que Dieu se sert d’elle d’une manière totalement singulière pour intérioriser et approfondir la “théologie des trois jours128”. » Les arguments sont donc principalement au nombre de deux. Selon le premier, l’expérience d’Adrienne fonde le propos de Balthasar ; or, l’on ne saurait séparer une pensée de sa source sans la déformer ou du moins la rendre incompréhensible. Selon le second argument, les propos de Balthasar demandent qu’on ne sépare jamais son œuvre de celle d’Adrienne. L’honnêteté veut que cette requête soit honorée inconditionnellement. 2°) La séparation. Tout à l’inverse, nombre d’études portant sur notre auteur ne font pas appel à la Suissesse. De fait, elles ne la citent jamais, n’attestent pas son influence ou bien se contentent d’en parler allusivement. Ce qui est implicite est parfois explicité intentionnellement. C’est ainsi que le professeur de Frankfurt, Werner Löser, écrit : « Contre le conseil même de Balthasar, on fera bien de laisser ces livres [ceux d’Adrienne] et de s’occuper seulement de sa propre pensée129. » Cette séparation peut se faire au nom des critiques adressées à Adrienne : à sa théologie130,ou à ses expériences religieuses131. Elle opère aussi et d’abord pour des raisons positives. un premier groupe de motivations est tiré du discours même de Balthasar. L’argument principal se fonde sur la consistance du discours de ce dernier : après année, de larges descriptions » (H. u. von Balthasar, Adrienne von Speyr et sa mission théologique, pp. 52-53 : Erster Blick auf Adrienne von Speyr, pp. 56-57). 127. Cf. A. von Speyr, « L’expérience du Samedi saint », éd. H. u. von Balthasar (trad. R. Givord), dans « Descendu aux enfers ». Com (F), 6/1, 1981, pp. 63-71 : « Adrienne von Speyr : über das Geheimnis des Karsamstags », dans Com (D), 10, 1981, pp. 32-39. Cf. aussi, dans le même numéro, H. u. von Balthasar, « Plus loin que la mort » (trad. P. Leroux), pp. 2-4, repris dans o. Boulnois (éd.), Je crois en un seul Dieu, Paris, P.u.F., 2005, pp. 163-166. 128. B. Albrecht, Eine Theologie des Katholischen. Einführung in das Werk Adriennes von Speyr. 2. Darstellung, Einsiedeln, Johannes, 1973, p. 31. 129. W. Löser, « unangefochtene Kirchlichkeit — universaler Horizont. Weg und Werk Hans urs von Balthasars », dans Herder Korrespondenz, 42, 1998, pp. 472-479, ici p. 479. 130. on se souvient que, dans une entrevue, Karl Rahner accuse Adrienne d’être gnostique (cf. P. Imhoff et H. Biallowons (éd.), Karl Rahner im Gespräch I, Munich, Benzinger, 1982, pp. 245 s). 131. Werner Löser parle, sans plus d’explication, de ses « expériences religieuses extrêmes » (entrevue dans B. W. Hughes (éd.), « Karl Rahner and Hans urs von Balthasar. An Interview With Werner Löser », dans America, 181, 16 octobre 1999, n. 11, pp. 16-20, ici p. 20).
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son œuvre systématique « possède son unité interne, qui la rend intelligible en elle-même132 ». Il est aussi éloquent que Balthasar n’éprouve pas le besoin d’exposer « la théologie [Theologie] » d’Adrienne, ainsi qu’il l’affirme au seuil de l’ouvrage de la Trilogie133 qui, et de loin, la cite le plus abondamment. C’est donc qu’un tel exposé n’est pas utile à la compréhension de son œuvre. une autre raison est liée à un critère extérieur, mais antérieur à l’autorité d’Adrienne, à savoir la Révélation : « Bien que, selon le jugement de Balthasar, son œuvre même ne soit pas explicable sans Adrienne von Speyr, l’œuvre de cette dernière ne doit pas être considérée comme fondement de sa théologie ; le fondement véritable et propre est plutôt la chose même, la Révélation134. » un deuxième groupe d’arguments convoque la biographie. Selon Karl Josef Rudolf Wallner, Balthasar fut en possession de ses principales intuitions, y compris sur le Samedi saint, antérieurement à sa rencontre avec Adrienne. Le théologien de Bâle affirme que, dès avant 1940, sa théologie du descensus est achevée135. or, celle-ci constitue une pièce maîtresse de sa théologie, en tout cas, celle où l’influence d’Adrienne devrait être la plus manifeste136. Il est donc l’auteur de son œuvre, conclut le moine cistersien : « […] dans ses visions mystiques, Adrienne n’a rien contemplé de substantiellement différent de ce qu’elle pouvait assimiler consciemment ou inconsciemment dans la fréquentation quotidienne de son confesseur et directeur spirituel Balthasar137. » Dans le même ordre d’idées, certains commentateurs jugent exagérée l’importance que Balthasar lui-même attribue à l’impact d’Adrienne von Speyr138. un autre argument relève de l’épistémologie : « […] une interprétation qui place au premier plan l’“expérience” sensible ou les “états” éprouvés, trahit 132. Cf. G. Meiattini, Sentire cum Christo. La teologia dell’esperienza cristiana nell’opera di Hans Urs von Balthasar, Rome, Editrice Pontificia università Gregoriana (coll. Tesi Gregoriana ; Serie Teologia, n° 36), 1998. 133. Cf. DD IV, 7 : TD IV, p. 11. Cf. TL II, p. 405, n. 200 : TL II, p. 329, n. 126. 134. H. Heinz, Der Gott des Je-mehr. Der christologische Ansatz Hans Urs von Balthasars, Berne – Francfort-sur-le-Main, Peter Lang (coll. Disputationes Theologicae, n° 3), 1975, p. 62. 135. Cf. sa réponse au professeur Karl Besler, « Zur Frage : “Hoffnung für alle” », dans Theologisches, 16, 1986, p. 7363. 136. Balthasar cite la Suissesse de manière particulièrement abondante dans la totalité de Das Endspiel et dans de longs passages de Wahrheit der Welt ; or, ces textes traitent d’eschatologie. 137. K. J. R. Wallner, Gott als Eschaton. Trinitarische Dramatik als Voraussetzung göttlicher Universalität bei Hans Urs von Balthasar, Vienne, Heiligenkreuz (coll. Heiligenkreuzer Studienreihe, n° 7), 1992, p. 25. 138. Cf., par exemple, M. Hauke, « Auf den Spuren des origenes. Größe und Grenzen Hans urs von Balthasars », dans Theologisches, 35, 2005, pp. 554-562, ici p. 562.
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donc l’intention de cette œuvre qui veut être seulement une transmission d’une vérité et d’un contenu indépendant par soi de son porteur139. » Tout récemment, Jean-Yves Lacoste portait ce jugement sur la théologie du descensus développée par Balthasar à partir d’Adrienne : « Le manque total de fondements bibliques et traditionnels fait la faiblesse d’une théorie qui ne repose que sur l’interprétation d’une expérience140. » De plus, mais l’argument n’est qu’extrinsèque, trop faire jouer la continuité entre Hans urs von Balthasar et Adrienne von Speyr peut se retourner contre le premier. Thomas Rudolf Krenski intitule un chapitre d’un des livres qu’il consacre à Balthasar : « Adrienne von Speyr ou la dogmatique expérimentale141 ». L’une des principales critiques fondées sur ladite continuité n’excipet-elle pas de la crédulité supposée du théologien suisse142 ? Enfin, les « séparatistes » répondent aux deux arguments individualisés cidessus. Les deux prémisses du premier sont estimées discutables. La relation de fondation n’est pas si claire qu’il y paraît. D’une part, la majeure partie de la Trilogie ne fait ni mention ni même allusion à l’expérience d’Adrienne ; or, le développement comme l’argumentation présentent une cohérence qui ne requiert pas d’apports étrangers. D’autre part, les rares volumes qui la convoquent (principalement, la presque totalité de Theodramatik IV et une partie de Theologik II) le font sur mode argumentatif et non sur mode expérimental. D’ailleurs, les commentaires que Balthasar introduit entre les citations ne relèvent pas du genre narratif. Il serait possible de le montrer en détail. À ce sujet, Paolo Martinelli fournit une suggestive clé de lecture : Il nous semble possible d’affirmer que [ses] œuvres fournissent une compréhension du mystère divin à partir de l’unique accès possible qui est la Révélation du Christ ; l’unique accès à la vérité de Dieu est la personne de Jésus de Nazareth : chez Balthasar, c’est le centre permanent et inamovible de tout acte théologique. Adrienne, dans ses écrits, bien que partant toujours de ce même centre, nous montre le même mystère comme de l’intérieur ; ses œuvres les plus réussies nous semblent celles dans lesquelles chaque thème est rapporté dès le début à l’archétype trinitaire. En général, ce qui chez Balthasar se trouve à la fin a sa place au début, dans les diverses expositions contemplatives d’Adrienne. Ce qui tient l’unité stricte des deux ordonnancements est le concept d’« obéissance », qui est 139. J. Servais, « Per una valutazione nell’influsso di Adrienne von Speyr su Hans urs von Balthasar », p. 74. 140. J.-Y. Lacoste, « XIXe-XXe siècles », dans J.-Y. Lacoste (éd.), Histoire de la théologie, Paris, Seuil, 2009, pp. 365-469, ici p. 449. 141. T. R. Krenski, Hans Urs von Balthasar. Das Gottesdrama, Mayence, MatthiasGrünewald (coll. Theologische Profile), 1995, pp. 123-157. 142. Cf. par exemple J. Rothkranz, Die Kardinalfehler des Hans Urs von Balthasars, Durach, Pro Fide Catholica, 19892.
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dans son donné originel « obéissance de Jésus » jusqu’à la mort, jusqu’à l’obéissance de cadavre, dans les enfers143.
La situation terminale de la citation assigne sa fonction dans l’argumentation : illustrative et non démonstrative ni, encore moins, autoritaire. Par ailleurs, se pose la question de l’authenticité du charisme, des visions et de la mission d’Adrienne, ainsi que de l’orthodoxie de ses écrits. Face à l’expérience de la Suissesse et à son authenticité, les théologiens adoptent grosso modo trois sortes d’attitude : certains l’accueillent sans condition (ce qui ne signifie pas sans discussion)144 ; certains la remettent en question145 ; certains estiment que l’autorité ecclésiastique doit ou devra prendre position un jour et poser un jugement146. Seule la troisième attitude est adéquate. En effet, l’expérience ne peut être accueillie que mesurée par la règle de la foi et donc authentifiée par le Magistère. Certes, le théologien bâlois soumet tout à « l’appréciation [Begutachtung] de l’église » et à son « jugement [Urteil]147 ». Il demeure que, anticipant sur cette détermination, il la convoque massivement, dans les citations mais, plus encore, dans ses prises de position théologique, à
143. P. Martinelli, La morte di Cristo come rivelazione dell’amore trinitario nella teologia di Hans Urs von Balthasar, Milan, Jaca Book (coll. Già e non ancora, n° 301), 1996, pp. 64-65. Souligné par moi. 144. Tel est bien entendu le cas de Hans urs von Balthasar qui dit en être absolument convaincu : « En vingt-sept ans, et bien que j’aie pu observer, en tant que confesseur et directeur de conscience, sa vie intérieure d’aussi près qu’il fut possible, jamais le moindre doute [nie die geringsten Zweifel] ne m’a effleuré sur l’authenticité de sa mission [Richtigkeit ihres Auftrags] » (Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 9 : Erster Blick auf Adrienne von Speyr, p. 11). En effet, selon lui, le propos d’Adrienne, même s’il innove considérablement, ne contredit jamais la Tradition de l’église, voire lui est conforme (cf. ibid.). « Ses expressions étaient ainsi tournées que souvent elles ne concordaient [übereinstimmten] pas avec les vues établies de son confesseur, mais celui-ci, après réflexion [Nachdenken], les trouvait justes [richtig] » (H. u. von Balthasar, « Introduction », dans La Mission ecclésiale d’Adrienne von Speyr. Actes du colloque romain, 27-29 septembre 1985, H.-u. von Balthasar, G. Chantraine et A. Scola [éd.], Paris, Lethielleux – Namur, Culture et Vérité [coll. Le Sycomore], 1986, pp. 11-16, ici p. 14 ; « Einleitung », dans Adrienne von Speyr und ihre kirchliche Sendung, Einsiedeln, Johannes, 1986, pp. 1216, ici p. 14). « Il arrivait souvent qu’elle me corrige dans mes opinions [meinen Meinungen korrigierte] » (L’Institut Saint-Jean, p. 49 : Unser Auftrag, p. 62). 145. Cf., par exemple, M. Hauke, « Auf den Spuren des origenes », pp. 559-560 et p. 562. 146. Cf., par exemple, M. Lochbrunner, « Das Ineinander von Schau und Theologie in der Lehre vom Karsamstag bei Hans urs von Balthasar », pp. 191-192. 147. Adrienne von Speyr et sa mission théologique, p. 7 : Erster Blick auf Adrienne von Speyr, p. 9.
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commencer par l’une des plus originales et des plus discutables : la kénose intratrinitaire. Au second argument s’opposent plusieurs objections. Quoi qu’il en soit du rapprochement, une distinction demeure : aucun écrit ne porte leurs deux noms ; on s’étonnera que, si proches soient leurs œuvres, aucune n’ait été rédigée à deux mains. Il ne s’agit pas de nier que la lecture d’Adrienne incarne tel ou tel développement théologique. Mais quels concepts, quelles distinctions et quels arguments décisifs apporte-t-elle ? Si ces visions peuvent ajouter à la compréhension, elles n’ajoutent rien à la détermination notionnelle148. Enfin, au-delà de la diversité des approches, le discours théologique peut se définir comme intellectus fidei, fides qaerens intellectum, « sermo de Deo149 » ; or, ce que l’expérience mystique, si décisive soit-elle, contient de vérité, est justement mesuré par ce qui est déjà révélé. 3°) une position intermédiaire. Ne serait-il pas possible d’adopter une posture intermédiaire qui distinguerait les apports spécifiques d’Adrienne et de Balthasar sans les séparer et les unirait sans les confondre ? C’est ce que propose l’ancien recteur de l’université du Latran. Pour penser l’influence de la première sur le second, il fait appel à la catégorie théologique de prophétie : la Suissesse est à comprendre non seulement comme une mystique, mais comme une prophète. or, le théologien, selon l’ordre introduit par Paul, doit se mettre à l’école des prophètes. « C’est surtout à l’expérience prophétique d’Adrienne von Speyr à quoi renvoie la production théologique la plus authentique de Balthasar ». En effet, « actualise et explique l’écriture, mue par un mouvement particulier de l’Esprit » ; de son côté, « von Balthasar fait partie de l’ordre des docteurs, parce qu’il met de l’ordre et rend pénétrant le message chrétien150 ». Par conséquent, Adrienne von Speyr relève du champ de la prophétie.
148. Cf., sur ce point, l’heureuse mise au point de méthode de Jacques Maritain sur les différences de perspective entre Thomas d’Aquin et Jean de la Croix : Distinguer pour unir ou Les Degrés du savoir, Paris, Desclée, 1932, puis Paris, DDB (coll. L’ordinaire), 19638, chap. viii : « Saint Jean de la Croix praticien de la contemplation ». 149. « In hac scientia fit sermo de Deo : dicitur enim teología, quasi sermo de Deo » (ST, Ia, q. 1, a. 7). Cf. Benoît XVI, Homélie du 6 octobre 2006 à la Commission théologique internationale, dans AAS 98, 2006, pp. 690-693, surtout p. 691. 150. R. Fisichella, « Rileggendo Hans urs von Balthasar », dans Gr, 71/3, 1990, pp. 511-546, ici p. 544.
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b) Détermination. Cette posture intermédiaire ouvre ce qui me paraît être la direction d’une solution : une distinction des perspectives qui sauvegarde l’unité d’inspiration. En effet, les deux camps en présence n’occuperaient pas des positions aussi tranchées, voire ne s’affronteraient pas autant, s’ils n’exprimaient pas, tous deux, quelque chose de vrai. D’un côté, il est hors de doute que Balthasar et Adrienne partagent deux intuitions théologiques centrales151 : le Samedi saint, comme radicalisation de l’abandon du Vendredi saint, éprouvée par la seconde, théorisée par le second ; les relations immanentes entre les Personnes divines comme fondement de l’expérience vécue par le Christ lors de sa descente aux enfers. Il faut dire plus. La source de La Dramatique divine, en son originalité, réside dans l’expérience d’Adrienne. En effet, pour Balthasar, cette expérience mystique — très singulièrement celle du Karsamstag — est un don très singulier de Dieu pour l’église et sa mission théologique est d’en rendre raison. Tel est l’avis d’Elio Guerriero152. Telle est aussi l’opinion de Giovanni Marchesi : « […] toute la théologie de Balthasar, et en particulier sa christologie trinitaire trouve justement dans la “mystique objective” d’Adrienne von Speyr son point de départ et sa référence indépassable153. » De l’autre, il demeure qu’Adrienne n’est pas une théologienne au sens propre du terme : la théologie possède son mode de procédé spécifique qui est rationnel et que la dirigée de Balthasar n’emploie pas. La solution me paraît toutefois devoir être cherchée ailleurs que du côté de la prophétie, du côté de la relation plus générale existant entre théologie et sainteté. Dans un article justement célèbre, dont la première publication remonte à 1948, Balthasar s’était déjà affronté à cette question. Il constatait notamment une « scission » entre « la théologie à genoux » et « la théologie produite au bureau historique », constat fondé sur un diagnostic historique cinglant : « Que depuis la haute scolastique il n’y ait plus eu qu’un petit nombre de théologiens qui furent des saints, c’est peut-être dans l’histoire de 151. Cf. A. M. Sicari, « Hans urs von Balthasar : teologia e santità », dans Strumento internazionale per un lavoro teologico. Com (I), 100, 1988, pp. 105-119, p. 111. Aussi édité dans Hans Urs von Balthasar. Figura e opera, Piemme, Casale Monferrato, 1991, pp. 251268 ; trad. française : « Le travail d’une “théologie en totalité”. La théologie et la sainteté », dans Hans Urs von Balthasar. Com (F), 14, 1989, pp. 102-119. 152. Cf. E. Guerriero, Il dramma di Dio. Letteratura e teologia in Hans Urs von Balthasar, Milan, Jaca Book, 1996, chap. V : pp. 61-69. 153. G. Marchesi, La cristologia trinitaria di Hans Urs von Balthasar. Gesù Cristo pienezza della rivelazione e della salvezza, Brescia, Editrice Queriniana (coll. Biblioteca di teologia contemporanea, n° 94), 1997 (2e éd. augmentée, 2003), p. 52.
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la théologie catholique l’un des faits les moins remarqués et pourtant les plus dignes d’attention ». Inversement, jusqu’au xiiie siècle, « les grands saints […] étaient aussi, pour la plupart d’entre eux, de grands dogmaticiens154 ». Il n’est pas possible d’entrer ici dans le détail de cette question qui devrait davantage attirer l’attention de la théologie fondamentale155. Le problème posé est celui des connexions entre la sainteté et la théologie156. Nous nous trouvons face à deux positions extrêmes qui ne sont pas sans rappeler celles de la topique concernant les relations entre théologie de Balthasar et mystique d’Adrienne. Certains parlent d’une « théologie des saints157 ». Certains, au contraire, s’alarment que la théologie soit confondue avec la mystique ou la spiritualité158. Là 154. « Théologie et sainteté », première version traduite dans Dieu vivant, 12, 1948, pp. 15-31 ; texte définitif de VC (trad. o. Hahn et M. Vidal, rev. I. Crahay), dans P. Barbarin, Théologie et sainteté. Introduction à Hans Urs von Balthasar, Saint-Maur, Parole et Silence (coll. Les Cahiers de l’école cathédrale), 1999, pp. 93-123, ici pp. 93 et 122 : « Theologie und Heiligkeit », dans Wort und Wahrheit, 3, 1948, pp. 881-896 ; version modifiée et augmentée en VC, pp. 195-224, ici pp. 195 et 224. 155. Pour une première exploration, cf. P. Ide, « Théologiens ou mystiques ? » (textes rassemblés par P. de Laubier, « Les docteurs de l’église et la mystique (3) »), dans France catholique, n° 3205, 26 mars 2010, pp. 14-17. 156. Cf. G. Chantraine, « Théologie et sainteté », dans Hans Urs von Balthasar. Com (F), 14/2, 1989, pp. 54-81 ; M. Naro, « Studio della teologia e santità », dans Rassegna di teologia, 44, 2003, pp. 428-446 ; D. Sorrentino, « Per una teologia del vissuto », dans Asprenas, 48, 2001, pp. 219-223 ; J.-P. Torrell, « Théologie et sainteté », dans Revue thomiste, 71, 1971, pp. 205-221 ; P. Verdeyen, « La séparation entre théologie et spiritualité. origine, conséquences et dépassement du divorce », dans NRT, 127/1, janvier-mars 2005, pp. 62-75. 157. L’un des principaux défenseurs de cette expression est F.-M. Lethel, Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. La théologie des saints, Venasque, Carmel, 1989 ; Id., « L’évangile interprété dans l’Amour de Jésus. La théologie des saints », dans Aa. Vv., L’Évangile de Jésus, Venasque, Carmel, 1990, pp. 279-301 ; Id., « La pensée théologique contemporaine et le Carmel. une ligne de recherche : la théologie des saints », dans Teresianum, 45, 1994, pp. 55-80 ; Id., Théologie de l’Amour de Jésus. Écrits sur la théologie des saints, Venasque, Carmel, 1996 ; Id., « Verità e amore di Cristo nella teologia dei santi », dans Path, 1, 2002, pp. 281-314. Sur la théologie du Père Léthel, cf. D. Sorrentino, « Per una teologia del vissuto », dans Asprenas, 41, 1994, pp. 389-404. 158. À Jean-Yves Lacoste qui affirme que la théologie est l’effort d’une foi « en quête de charité et déjà mue par la charité », précisant que, pour les Pères, « elle s’identifie avec la plus haute contemplation et s’élabore dans l’expérience des saints aussi certainement et plus que dans celle des docteurs » (DCT, pp. 1126-1132), Marcel Neusch répond, non sans ironie : « En lisant cela, j’ai été pris de frayeur non seulement parce que j’ai conscience qu’il m’a manqué plus d’une fois la charité à votre égard, mais plus encore parce que ma modeste activité théologique m’a paru bien loin de cette haute vocation à la sainteté qu’on vient d’assigner au théologien » (« Leçon académique. La dernière classe ! », dans Transversalités, 79, juillet-septembre 2001, pp. 175-182, ici p. 176). Jean-Hervé Nicolas disait :
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encore, il s’agit d’intégrer et non d’exclure. Je m’aiderai d’une heureuse mise au point épistémologique de Charles Journet159, rejoignant — une fois n’est pas coutume — son collègue et compatriote Hans urs von Balthasar. La culture historique du second s’enrichit de la finesse systématique du premier. Résumons la proposition du théologien fribourgeois en quelques propositions 1. Théologie et mystique (ou spiritualité) sont unies, puisque toutes deux procèdent de la foi vive. En effet, sans la lumière de celle-ci, ni l’une ni l’autre ne pourrait atteindre Dieu qui se révèle. Plus encore, ces deux approches constituent deux sagesses, autrement dit deux regards permettant d’approcher leur « objet » par les sommets. 2. Pour autant, ces deux approches se distinguent. Elles constituent deux régimes différents de connaissance. La sagesse théologique procède par mots et concepts. En effet, dès qu’elle est enracinée dans le cœur de l’homme, la foi suscite l’intelligence : « Comment la vérité révélée, dès qu’on la suppose adressée à des hommes et descendue à la rencontre de leurs ignorances et de leurs égarements, ne provoquerait-elle pas elle-même, et ne couvrirait-elle pas de son influence souveraine les démarches de l’intelligence conceptuelle destinée à l’accueillir ? » La théologie emploie toutes les ressources de la raison pour rendre compte du Mystère, dans la lumière de la foi. Mais il existe une autre connaissance de Dieu : la sagesse mystique. Trois traits la caractérisent : elle procède par connaturalité, c’est-à-dire par expérience ; elle fait appel à l’amour ; elle n’est pas mesurée par les mots ni par les concepts. Pour autant, elle ne les nie pas, ainsi que le résume une formule dense et capitale : « Sur la route que la foi ouvre par les concepts, l’amour fait aller la foi plus loin que les concepts160. » 3. Enfin, ces deux sagesses ne sont pas juxtaposées mais hiérarchisées. En effet, la théologie vient de la foi vivante, mais la sagesse mystique naît de plus « Saint Paul dit que “la piété est utile à tout”. oserais-je gloser ce mot en ajoutant : “en théologie, elle ne suffit à rien” ». Et, citant le mot de Jésus : « […] ce n’est pas en me disant : Seigneur, Seigneur, qu’on entrera dans le Royaume des Cieux » (Mt 7,21), il ajoutait qu’en matière de théologie mariale, bien des errements sont dus à la fausse conviction « que la piété pouvait suppléer une réflexion sérieuse et exigeante » (« Marie-Joseph Nicolas : une vie au service de la théologie », dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 113, 2002, pp. 518, ici p. 10). 159. Je m’aiderai du bel article de Michel Cagin, « Théologie dogmatique et spiritualité chez Charles Journet », dans G. Boissard et M. Rossignotti (éd.), Charles Journet un témoin du xxe siècle. Actes de la semaine théologique de l’Université de Fribourg, Faculté de théologie, 8-12 avril 2002, Saint-Maur, Parole et Silence (coll. Sagesse et culture), 2003, pp. 341-356. 160. C. Journet, Connaissance et inconnaissance de Dieu, Paris, DDB (coll. Foi vivante, n° 119), 1969, pp. 63 et 101.
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haut, de la foi surélevée par les dons du Saint-Esprit ; or, leur action ne va jamais sans une expérience, comme un goût de Dieu. « La mystique, disait le spécialiste de mystique musulmane Louis Gardet, est l’expérience fruitive de l’absolu161. » 4. Passons de la théologie au théologien, de la spécification à l’exercice. La distinction des deux sagesses se retrouve dans sa vie. Charles Journet le manifeste à partir de l’exemple de saint Thomas : « Dans son cœur, comme dans celui des Pères et des mystiques, brûlait la flamme de la sagesse proprement inexprimable des dons, et c’est elle qui lui faisait verser des larmes chaque fois qu’il célébrait le saint sacrifice de la messe. Mais son travail se déroulera sur le plan et selon les lois d’une sagesse proprement exprimable, de soi conceptuelle et discursive, la sagesse théologique. » Il faut donc clairement affirmer que la mystique des saints ne s’identifie pas à la théologie : celle-ci a ses règles rationnelles et ses exigences critiques. 5. Mais ce qui est existentiellement uni est aussi vitalement hiérarchisé. « La théologie […] demande à être mise tout entière, pour l’accomplissement de sa tâche spéculative comme de sa tâche pratique, sous la lumière des dons du Saint-Esprit162. » Il y va d’une raison commune à toute connaissance que Jacques Maritain formule ainsi : « […] il n’y a pas de savoir sans intuition, sans une lumière fournie par quelque saisie intuitive du réel ou de l’objet. » Mais ce principe pose un problème considérable : en cette vie, nous ne pouvons avoir une intuition de Dieu et des mystères révélés, qui ne sont connus que par la foi. Nous ne les verrons que dans la Patrie. où trouver ces ressources de lumière ? Le philosophe français ami de Charles Journet en distingue deux : métaphysique et mystique. La théologie « regorge d’intuitivité par le savoir supérieur de la contemplation infuse (don de Sagesse), et par le savoir inférieur et purement rationnel de la métaphysique163 » — qui est, pour lui, celle de saint Thomas. Quoi qu’il en soit de la métaphysique, le théologien doit d’abord puiser à la source de la sagesse d’amour. Paraphrasant une phrase de Kant passée en aphorisme, Walter Kasper écrivait : « Les concepts théologiques sans expérience religieuse sont vides, les expériences religieuses sans concepts théologiques sont aveugles164. » 161. La Mystique, Paris, P.u.F. (coll. Que sais-je ?, n° 694), 1970, p. 5. 162. C. Journet, Introduction à la théologie, Paris, DDB, 1947, pp. 31 et 91. 163. « Savoir théologique et intuitivité », dans Cahiers Jacques Maritain, 20, juin 1990, pp. 19-62, ici pp. 26 et 29. 164. « Aspekte gegenwärtiger Pneumatologie. Einführung », dans W. Kasper (éd.), Gegenwart des Geistes. Aspekte der Pneumatologie, Fribourg-Bâle-Vienne, Herder, 1980, pp. 7-22, ici p. 9.
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C’est ici que la théologie des saints trouve sa place. En effet, à défaut de cette lumière des dons du Saint-Esprit, le théologien aura tout intérêt à se mettre à l’école des mystiques reconnus par l’église. Tel fut justement le cas d’un Charles Journet dont l’ecclésiologie est éclairée par la lumière reçue de sainte Catherine de Sienne et, plus tard, de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus165. C’est ici aussi, me semble-t-il, que trouve son lieu la juste articulation des œuvres de Balthasar et d’Adrienne. J’opterai donc pour l’hypothèse d’une distinction objective, épistémologique entre le discours théologique de Balthasar et l’œuvre mystique d’Adrienne, mais de leur union subjective, existentielle, ce que Joseph Ratzinger appelle une « connexion ». En effet,bien des théologies sont apparues à la faveur d’une expérience religieuse inédite. Plus encore, l’histoire de la théologie chrétienne montre que les renouveaux spirituels favorisent, quoique non nécessairement, les renouveaux théologiques. Le futur préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi l’explique dans un raccourci historique saisissant : Le discours de la connexion entre théologie et sainteté n’est pas un discours sentimental ou pieux, mais trouve son fondement dans la logique même des choses et a pour elle le témoignage de toute l’histoire. Athanase n’est pas pensable sans la nouvelle expérience du Christ fait par l’abbé Antoine, Augustin sans la passion de son chemin vers la radicalité chrétienne, Bonaventure et la théologie franciscain au xiiie siècle sans la nouvelle et immense réalisation du Christ dans la figure de saint François d’Assise, Thomas d’Aquin sans la passion de Dominique pour l’évangile et l’évangélisation ; et l’on pourrait continuer ainsi tout au long de l’histoire de la théologie166.
Pour autant, ces théologies ont toujours été étudiées pour elles-mêmes. L’immense majorité des études consacrées à la théologie de l’Aquinate ignore la spiritualité dominicaine. Même si l’on a pu dire que l’expérience de la « consolation sans cause » développée par saint Ignace dans les Exercices spirituels est à la racine de la connaissance existentielle et transcendantale dans
165. « Il y a chez sainte Thérèse de Lisieux, non certes une ecclésiologie, mais une connaissance vécue de ce qu’est l’église, dont le théologien ne peut qu’admirer la splendeur. » En effet, elle a su « que la réalité principale de l’église, l’élan intérieur qui la vivifie, disons son “âme créée”, c’est la charité » (C. Journet, « L’église telle que la pense et la vit sainte Thérèse de Lisieux », dans Carmel, 1957/1, pp. 16-27, repris dans Entretiens sur l’Église, Saint-Maur, Parole et Silence, 2001, p. 119). 166. J. Ratzinger, Natura e compito della teologia. Il teologo nella disputa contemporanea. Storia e dogma (trad. R. Mazzariol e C. Fedeli), Milan, Jaca Book (coll. Già e non ancora), 2005, p. 55.
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la théologie de Karl Rahner167, celle-ci est le plus souvent évaluée sans référence au critère ignatien, voire dans l’ignorance de cette source vécue, et pourtant sans dommage. Enfin, cette intime articulation de l’expérience spirituelle et de la théologie, la première fécondant la seconde qui, en retour, l’objective et l’universalise, ne fait pas que passer entre Adrienne et Balthasar. De l’aveu même de ce dernier, n’anime-t-elle pas aussi sa propre vie ? Dans une réponse devenue célèbre à la question d’une revue espagnole l’interrogeant sur les motivations de son accès au sacerdoce, Balthasar affirme que l’origine de tout, y compris la Communauté saint Jean, réside dans un appel entendu en 1927, durant une retraite de trente jours pour étudiants laïques, alors qu’il était encore étudiant en philologie allemande168. Cette expérience fondatrice justifie a fortiori une étude de la théologie balthasarienne conceptuellement distinguée, mais non vitalement détachée de celle de sa source speyrienne.
C. PLAN Les considérations qui précèdent dessinent, mais encore de loin,la divisio textus de ce travail.
1. Le principe d’organisation. L’intention de ce livre est de montrer que le don est une catégorie pertinente pour comprendre de l’intérieur la logique animant l’ensemble de la Trilogie. Plusieurs possibilités d’organisation s’offrent à nous. une première consiste à étudier les occurrences du terme « don » et du champ lexical apparenté — « offrande », « réception », « amour », « kénose », etc. — au sein de la Trilogie. une telle méthode permettrait de valider aisément l’importance structurante de la notion de don : quant au signifiant, elle prouve 167. Cf. B. Sesboüé, Karl Rahner, Paris, Le Cerf (coll. Initiation aux théologiens), 2001, chap. 2 : « L’inspiration spirituelle d’une œuvre ». 168. « Pourquoi je me suis fait prêtre ? », dans E. Guerriero, Hans Urs von Balthasar, pp. 333-335, ici pp. 334 et 335. Le texte original est en espagnol : « Por qué me hice sacerdote », dans J. Sans Vila et R. M. Sans Vila (éd.), Por qué me hice sacerdote, Salamanque, Sigueme, 1959, pp. 29-32, 19927, pp. 13-15, ici pp. 14-15. Ce point est développé dans P. Ide, Une théo-logique du don, 1re partie, chap. 1 : E.1.
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la fréquence de son usage et, quant au signifié, elle montre son caractère central. En revanche, elle présente un inconvénient rédhibitoire déjà signalé : si le philologue résout dans la lettre, le théologien résout dans le concept, lui-même fécondé par la res du Mystère, sans pour autant nier la longue médiation des mots, qui requerra, par moments, de s’attarder à un patient inventaire du vocabulaire et des tournures langagières propres au théologien bâlois. une autre approche parcourra les différentes parties de l’œuvre balthasarienne pour y discerner comment la dynamique du don y est à l’œuvre. Cette méthode n’est pas dénuée d’avantages : ratisser systématiquement toute la Trilogie, souligner une éventuelle évolution, comparer les trois volets, etc. Mais elle comporte un défaut majeur : autant les transcendantaux structurent l’architecture de manière évidente, autant le don n’apparaît jamais explicitement. Au mieux, une première récolte devra se doubler d’une reprise systématique, et donc lasser le lecteur, autant que nourrir l’illusion que du recueil des éléments peut spontanément surgir une organisation (order from noise) : la forme noétique ne s’éduit pas d’elle-même de son matériau. C’est surtout ignorer que, en théologie comme dans les sciences, l’on progresse beaucoup plus par hypothèses que par induction ; en tout cas, celle-là précède celle-ci et la dirige. une troisième approche possible partirait des catégories habituelles où se coule la logique du don : donateur, donataire, donation. Toutefois, une telle perspective non seulement demeurerait très générale et extrinsèque, mais serait défaillante. En effet, Balthasar ne pense pas à partir de cette classification, voire souhaite constamment la dépasser. une quatrième méthode serait d’inventorier les différentes disciplines de la théologie, celles qui ont été mises en place par la scolastique tardive et furent validées par l’institutionnalisation universitaire et la recherche spécialisée. L’intérêt, là encore, saute aux yeux : l’exploration méthodique des champs théologiques. Mais, à nouveau, le chemin emprunté se paye d’une difficulté beaucoup plus considérable : renouant avec la tradition patristique, Balthasar a constamment cherché à décloisonner et réarticuler vitalement des parties trop artificiellement distinguées, voire séparées. écartant ces quatre types d’organisation qui demeurent toutes étrangères à l’entreprise balthasarienne, nous avons opté pour une lectio difficilior, mais possiblement fructuosior : partir du cœur même de l’intuition de Balthasar et déployer ou déplier ce centre, autant que tracer les avenues qui y conduisent. Pour autant, nous ne faisons qu’appliquer un principe constamment mis en œuvre par notre théologien, pour exposer autant sa pensée que celle des autres : retourner au centre169, habiter ce noyau lumineux et montrer combien il est 169. Sur la métaphore du centre, décisive chez Balthasar, cf. pp. 106-107.
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l’idée (au sens newmanien) organisatrice de la totalité. on pourrait objecter que Balthasar n’hésite pas, occasionnellement, à faire appel à des classifications opérées par la théologie classique (par exemple, les quatre derniers volumes de la Theodramatik paraissent se répartir selon les différents traités : anthropologie, christologie, sotériologie, eschatologie) ou la philosophie (par exemple, les diverses « ontologies » régionales : nature, homme, etc.). Quoi qu’il en soit, l’organisation d’ensemble de notre propos tentera de naître au plus près, non d’une théologie étrangère, ni même de la lettre de Balthasar, encore trop extérieure à son esprit, mais de sa contemplation du Mystère.
2. La division du texte. Ce que la parole de Schelling en exergue de l’introduction disait de la philosophie est a fortiori vrai de l’incipit de la théologie. Quel sera notre point de départ ? Il semble que ce doive être l’amour. D’abord, de manière générale, celui-ci se présente comme une notion plus englobante que le don ; il permet donc d’y introduire, du double point de vue logique et pédagogique. En effet, si, de manière très innovante, l’écriture ose faire du don de soi l’acte par excellence de l’amour (cf. Jn 15,13), si elle attribue l’amour extrême au Christ (cf. Jn 13,1) et à son Père (cf. ép 2,4170) et si elle prédique l’amour de Dieu même (cf. 1 Jn 4,8.16), elle n’a pas tiré de ces trois prémisses l’affirmation explicite selon laquelle Dieu est don. Cette remarque n’est pas si étrangère à la théologie balthasarienne qu’il paraît, tant celle-ci se déchiffre en clé johannique. Ensuite, tout lecteur du théologien bâlois, même non averti, sait que la « note dominante » — pour parler comme Alois Haas171 — de la Trilogie est l’amour. Celle-ci se présente au fond comme une méditation de la parole fulgurante de la Prima Ioannis : « Ho Théos agapè estin ». Elle commence avec « l’amour seul est digne de foi » et s’achève — à l’instar des trois Manuscrits de sainte Thérèse de Lisieux —, dans Der Geist der Wahrheit, par « le mot de la fin » qu’est « amour [Liebe]172 » et, dans Epilog, second point d’orgue de la Trilogie, par 170. La Vulgate le soulignait avec insistance, qui traduisait-interprétait le « pollèn agapèn » par « propter nimiam caritatem ». Ce texte n’a pas exercé une mince influence sur la tradition spirituelle, en particulier sur la Bienheureuse élisabeth de la Trinité (Œuvres complètes, éd. C. de Meester, Paris, Le Cerf, 1991, en particulier le commentaire du cardinal A. Decourtray, pp. iv-ix). 171. A. M. Haas, « L’amore, forma di vita cristiana. La nota dominante di Hans urs von Balthasar », dans Creazione e dono. Com (I), n° 202, juillet-août 2005, pp. 75-89. 172. TL III, p. 437 : T III, p. 410. Précisément, la construction de la phrase allemande fait de Liebe le terme pénultième alors que le français peut lui réserve la place ultime.
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Introduction générale
une citation de l’hymne à la charité173. Entre ces deux extrêmes, Balthasar propose de multiples variations symphoniques de cet unique thème. En revanche, notre auteur n’exprime pas avec autant de clarté que dans le don bat le cœur de sa théologie. Il nous faudra en conséquence longuement montrer que l’amour se décline comme don (chap. 3). Enfin, souligner la centralité du thème de l’amour au sein du triptyque en manifeste d’emblée la cohérence et immunise contre leur éclatement en trois parties juxtaposées plus qu’intégrées. De fait, Balthasar est plus prompt à souligner les articulations de sa Trilogie qu’à en expliciter le pivot. Il n’ignore pas que l’unité fait partie de la liste des transcendantaux, voire qu’elle suit l’être et précède la triade vrai-bienbeau ; toutefois, c’est non sans une raison profonde qu’il n’a pas consacré une partie de son opus magnum à l’unum et qu’il repousse toujours celui-ci au terme174. or, et telle est l’affirmation qui préside à cet ouvrage, l’amour, et l’amour qui va s’expliciter comme don, joignent ensemble les parties de la Trilogie sans univociser ses différences175. Nous chercherons donc à établir que l’amour de don est au centre de la Trilogie — plus encore, qu’il en constitue la clé de lecture unifiante. Pour cela, nous procéderons selon un ordre de concrétion croissant176, qui n’est pas sans recoupement avec l’ordo determinandi, par lequel le sujet connaissant procède du plus général au plus particulier (cf. pp. 158-161). Le livre se déploiera en trois temps, le pas suivant précisant le pas antérieur. Il montrera successivement que le cœur de la théologie balthasarienne est : - … l’amour (chap. 1 et 2) ; - … le don (chap. 3) ; - … le don en sa radicalité (chap. 4). Ajoutons trois précisions. Le premier temps est dédoublé. Alors que le premier chapitre se fondera sur le texte explicite de Balthasar, le deuxième partira d’un certain nombre de principes méta-textuels, jamais explicités pour eux-mêmes, en tout cas dans toute leur généralité. or, ces principes confirment la centralité de l’amour177. 173. « L’amour “espère tout” [Die Liebe “hofft alles”] (1 Co 13,7) » (É, p. 90 : E, p. 98). 174. Cf. P. Ide, Une théo-logique du don, 2e partie, chap. 3 : C.2. 175. Autant le vocabulaire du « don » est riche (cf. pp. 172-176), autant celui de l’amour est pauvre : l’allemand, comme le français, dispose presque exclusivement d’un seul mot : Liebe. Aussi celui-ci se trouve-t-il systématiquement derrière la traduction française « amour ». 176. Sur le principe de concrétion, cf. pp. 75-98. 177. Ce faisant, sera proposée une première approche d’une loi de l’écriture balthasarienne : le dédoublement constant du registre épistémologique entre une approche conceptuelle et une approche représentationnelle. Le plus souvent, Balthasar ne les dis-
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Le noyau de cet ouvrage se trouve aussi être la thèse topologiquement centrale (la deuxième), à savoir l’identification du don comme âme de la théologie de Balthasar : les deux premiers chapitres le préparent, le quatrième le précise. Enfin, si le chapitre 4 — le don en son altérité radicale — s’inscrit en continuité avec les développements antérieurs (donc avec les deux premières étapes), il se présente aussi comme une instance critique : il interroge non pas tant la thèse de l’amour de don comme clé herméneutique que son unicité.
tingue pas explicitement. Dans un des rares contre-exemples, il expose le cœur de sa sotériologie dramatique à partir du concept clé de substitution (cf. TD III : III.C.2., a. « L’essence de la substitution »), puis de l’image biblique de la coupe (ibid., b. « La coupe enivrante »). Nous avons systématiquement mis en œuvre ce dédoublement dans l’exposé des trois visages de l’amour (cf. P. Ide, Une théo-logique du don, 1re partie).
TABLE DES MATIÈRES
Liste des abréviations ......................................................................................
5
introduction générale ..............................................................................
7
A. Perspective .................................................................................................... 1. État de la recherche ........................................................................................ 2. Proposition ......................................................................................................
8 8 15
B. Objet................................................................................................................ 1. Délimitation générale .................................................................................... 2. Balthasar, avec ou sans Adrienne ? .............................................................. a) Topique ........................................................................................................ 1°) L’inséparabilité...................................................................................... 2°) La séparation ........................................................................................ 3°) Une position intermédiaire ................................................................ b) Détermination ............................................................................................
22 22 24 24 24 24 31 32
C. Plan.................................................................................................................. 1. Le principe d’organisation ............................................................................ 2. La division du texte ........................................................................................
37 37 39
Chapitre 1. l’amour au centre de la « trilogie »..................................
43
A. Une théologie centrée sur le Dieu-amour ................................................ 1. La théologie trinitaire .................................................................................... 2. Du centre à la périphérie................................................................................
44 45 48
352
Table des matières
B. La Trilogie centrée sur le Dieu-amour ...................................................... 1. L’esthétique théologique à l’aune de l’amour ............................................ a) La figure de l’amour .................................................................................. b) De la figure à la gloire ................................................................................ 2. La dramatique théologique à l’aune de l’amour ........................................ a) De l’esthétique théologique à la dramatique divine ............................ b) La substitution, sommet de l’amour ...................................................... c) Le drame de l’amour au sein de la Trinité.............................................. d) La réponse d’amour .................................................................................. 3. La théo-logique à l’aune de l’amour ............................................................
49 50 50 51 53 53 54 56 57 58
C. Une philosophie de l’être comme amour ................................................ 1. Une métaphysique .......................................................................................... 2. Une méta-anthropologie................................................................................
60 61 63
D. Conséquences................................................................................................ 1. La concentration johannique ........................................................................ 2. Le primat de la perspective mystique ..........................................................
64 65 68
E. Conclusion ....................................................................................................
71
Chap. 2. l’amour comme « style » théologique....................................
73
A. Le principe de concrétude .......................................................................... 1. Énoncé .............................................................................................................. 2. Induction .......................................................................................................... a) Définition des notions .............................................................................. b) Organisation de l’exposé .......................................................................... c) Principe de démonstration ...................................................................... 3. Difficulté .......................................................................................................... 4. Au fondement : l’amour ................................................................................ a) Fondement biographique.......................................................................... b) Fondement en négatif................................................................................ c) Fondement en positif ................................................................................ d) Le concretissimum de la personne ..........................................................
75 75 79 79 81 86 87 89 89 90 93 96
B. Le principe de spatialité .............................................................................. 1. Énoncé .............................................................................................................. 2. Induction. Des images omniprésentes ........................................................ a) Se représenter spatialement l’esprit humain.......................................... b) Se représenter spatialement la grâce ...................................................... c) Se représenter spatialement le Dieu unitrine ........................................ d) Im Raum der Trilogie ................................................................................
98 98 99 99 100 102 104
Table des matières
353
3. Induction. Des images multiformes ............................................................ a) Les images circulaires ................................................................................ b) L’intérieur et l’extérieur ............................................................................ c) Le vertical et l’horizontal .......................................................................... 4. Difficultés.......................................................................................................... a) Le concept contre l’image ? ...................................................................... b) Défense de l’image .................................................................................... c) Une théologie en images ? ........................................................................ d) Défense de l’application à Dieu .............................................................. 5. Au fondement : l’amour ................................................................................ a) L’espace en général .................................................................................... b) Centre et amour.......................................................................................... c) Profondeur et amour ................................................................................ d) Verticalité et amour.................................................................................... e) Une symbolique conjugale ? ....................................................................
105 106 107 109 113 113 114 118 119 126 127 129 134 135 136
C. Le principe de bipolarité.............................................................................. 1. Énoncé .............................................................................................................. 2. Induction .......................................................................................................... a) La bipolarité en christologie .................................................................... b) La bipolarité en théologie trinitaire ........................................................ c) La bipolarité en anthropologie ................................................................ d) La bipolarité en métaphysique ................................................................ 3. Difficulté .......................................................................................................... 4. Au fondement : l’amour ................................................................................ a) L’amour, clé de la bipolarité ontologique .............................................. b) L’amour, clé de la bipolarité épistémologique ......................................
137 137 138 138 142 144 148 149 150 152 154
D. Une logique de l’amour .............................................................................. 1. Thomas d’Aquin et Balthasar ...................................................................... 2. Hegel et Balthasar............................................................................................ 3. Blondel et Balthasar ........................................................................................
156 158 161 163
E. Conclusion ....................................................................................................
166
Chap. 3. le don au centre de la « trilogie » ..........................................
169
A. Une théologie du don .................................................................................. 1. La chose ............................................................................................................ 2. Les mots ............................................................................................................ a) Les noms ...................................................................................................... b) Les verbes ....................................................................................................
170 170 172 172 175
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Table des matières
B. Le mystère révélé à la lumière du don ...................................................... 1. L’Incarnation à partir du don ...................................................................... 2. La Trinité à partir du don .............................................................................. a) La distinction des Personnes .................................................................... b) Les deux conceptions, occidentale et orientale, de la Trinité.............. c) La distinction des deux processions divines .......................................... 3. L’essence divine à partir du don .................................................................. a) Le fond de l’être divin comme don ........................................................ b) Un refus de l’essence divine au nom de la théologie trinitaire ? ........ c) L’essence divine comme don, une conclusion philosophique ? ........ 4. Les attributs divins à partir du don .............................................................. a) Un De Deo uno chez Balthasar ? .............................................................. b) Une relecture des attributs divins............................................................ c) La gloire de Dieu et le don ........................................................................ 5. L’existence chrétienne comme don ............................................................ 6. La Trilogie à partir du don ............................................................................
176 177 180 181 183 184 187 187 191 194 203 203 205 211 214 216
C. L’amour comme don de soi ........................................................................ 1. L’origine révélée .............................................................................................. a) Joseph Ratzinger ........................................................................................ b) Walter Kasper.............................................................................................. 2. L’origine philosophique en amont .............................................................. a) La bipolarité de la volonté ........................................................................ b) Le choix de Balthasar ................................................................................ 3. L’origine philosophique en aval.................................................................... a) Les deux interprétations du bien ............................................................ b) Le choix de Balthasar ................................................................................
219 220 220 223 225 225 235 237 237 239
D. Conclusion ....................................................................................................
242
Chap. 4. le don radical au centre de la « trilogie » ........................
245
A. Centralité de la nouveauté .......................................................................... 1. La nouveauté du Christ .................................................................................. a) Énoncé.......................................................................................................... b) L’absence d’antériorité diachronique .................................................... c) L’absence d’antériorité synchronique .................................................... d) L’ipséité christique .................................................................................... 2. La nouveauté de Dieu .................................................................................... a) L’existential de la surprise ........................................................................ b) La loi de l’a posteriori ................................................................................ 3. La nouveauté du disciple du Christ..............................................................
246 248 248 250 253 255 259 260 262 264
Table des matières
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B. Le don, puissance d’altérité ........................................................................ 1. La nouveauté du Christ à partir du don ...................................................... 2. La nouveauté de Dieu à partir du don ........................................................ 3. Le don source de nouveauté.......................................................................... a) La voie du même ........................................................................................ b) La voie de l’altérité .................................................................................... 4. Le don nouveau ..............................................................................................
265 266 268 271 272 275 280
C. Conclusion ....................................................................................................
282
bibliographie raisonnée ............................................................................
285
A. Bibliographie primaire ................................................................................ 1. Instruments bibliographiques ...................................................................... 2. La Trilogie ........................................................................................................
285 285 286
B. Bibliographie secondaire ............................................................................ 1. Instruments bibliographiques ...................................................................... a) Selon les types d’écrit ................................................................................ b) Selon les années de publication à partir de 2005 .................................. c) Bulletins bibliographiques ........................................................................ 2. Liste des notes bibliographiques .................................................................. a) Par auteurs et courants .............................................................................. b) Par notions .................................................................................................. c) Par « parties » de la théologie et de la philosophie ................................ d) Par œuvres de Balthasar............................................................................
290 290 290 290 291 291 292 311 326 338
C. Autres écrits ..................................................................................................
340
Index nominum .............................................................................................. Table des matières ..........................................................................................
341 351
Né en 1957, Pascal IDE est prêtre du diocèse de Paris et membre de la communauté de l’Emmanuel. Docteur en médecine, en philosophie et en théologie, il est actuellement chef du service des Universités catholiques à la Congrégation romaine pour l’éducation catholique. Il a publié de nombreux articles et une vingtaine d’ouvrages dont Être et mystère. La philosophie de Hans Urs von Balthasar (Culture et vérité, 1995).
donner raison 37
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Pascal Ide
UNE THÉOLOGIE DE L’AMOUR
9 782872 992249
Diffusion: cerf www.editionslessius.be
théologie
ISBN : 978-2-87299-224-9
L’amour, centre de la Trilogie de Hans Urs von Balthasar
donner raison
en plus étudiée aujourd’hui. Cet ouvrage entend se placer au centre de sa pensée et en éclairer la logique intime: le lecteur est invité à y reconnaître une théologie de l’amour. Pour vérifier cette hypothèse, l’auteur procède en trois temps. Le cœur de la théologie balthasarienne est l’amour: le mystère de l’amour consiste en ceci que, s’il demeure lui-même sans fond, il fonde tout le reste (La Théo-logique). Cet amour s’identifie au don de soi: si Dieu est défini comme amour, on voit qu’il est en soi don parfait de lui-même (La Dramatique divine). L’amour divin prend la forme du dessaisissement gratuit de soi jusqu’à l’extrême de la générosité: Dieu nous a tant aimés qu’il a donné pour nous son propre Fils (La Gloire et la Croix).
Une théologie de l’amour • Pascal Ide
L’œuvre du théologien suisse Hans Urs von Balthasar est de plus