Survivre à l'hiver

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L’herbe a perdu tout aspect de vie. Les derniers filets d’eau se sont mués en majestueuses chandelles


la préparation de l’hiver | Les amours d'automne

Les amours d’automne Les ongulés de haute montagne ne sauraient se reproduire plusieurs fois par an car les cabris ont besoin de toute une bonne saison pour se parer face au prochain hiver. La nature en a tenu compte, mettant tout en œuvre afin que les naissances aient lieu au printemps de la montagne : deuxième quinzaine de mai pour le chamois, un mois plus tard pour le bouquetin installé sur les hautes cimes. Des animaux de cette taille ont besoin d’environ cinq mois de gestation. Ainsi le rut du chamois bat son plein entre fin novembre et début décembre, alors que le bouquetin célèbre de cette manière les fêtes de fin d’année. La nature a même inventé la gestation différée pour certaines espèces telles que le chevreuil ou l’hermine. Leur rut se mène déjà en plein été alors que le fœtus ne commence à se développer qu’au cours de l’hiver suivant afin que les petits naissent au printemps.

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Les boucs matures tentent de s’approprier un territoire habité par le harem le plus peuplé possible et interdit de fuite.

Adeptes de la tranquillité en bonne saison, les grands boucs se sont distancés de la harde et ses dérangements, de la concurrence alimentaire et de l’agacement des cabris.

Le grand bal du chamois Début novembre, la hiérarchie est grossièrement établie bien que régulièrement contestée. Le bouc dominant tient à l’œil tout ce qui bouge sur son territoire.


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Les boucs les plus puissants, fort discrets en bonne saison, oublient toute prudence et s’exhibent, l’air de dissuader tout congénère de même sexe de rester dans les parages.

Mais une fois l’an, avant l’hiver, le grand bouc est envahi par le besoin de puissance et par l’appel de la vie. Bien en chair après une bonne saison calme, vêtu de son habit d’hiver, il éprouve un besoin non contrôlable de prouver qu’il est le Roi des Noirs.

Quitte à en découdre à coups de cornes, parfois mortels, les flancs et les entrailles tenant lieu de cibles.

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Les femelles ont une vie bien moins agitée. Elles ne manifestent aucune frénésie, se nourrissent avidement en groupe et suivent docilement les déplacements de Monsieur.


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Le spectacle continu des poursuites viriles laisse la « pouponnière » impassible à tout ce remue-ménage.

Quant à Monsieur, il épuise toutes ses réserves de graisse par le double effet d’une alimentation oubliée et d’un marathon quotidien consenti sur près d’un mois.

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Les sapins subissent déjà la pression de la neige sur leurs branches bien fournies. Les mélèzes voient leurs dorures s’étioler sous les guirlandes blanches.


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Début novembre, période où le rut du chamois atteint son paroxysme. Les nuits sont froides, les crêtes recouvertes des premières neiges. Seules les pentes ensoleillées se défendent encore contre l’hiver et tentent d’échapper le plus longtemps possible au tapis blanc qui réduira tout au silence. Mais pour le moment, la vie sur la montagne est la plus intense. Le pauvre bouc, dans toute sa magnificence, en a plein les pattes : rassembler sa harde, empêcher la fuite de quelque chèvre impatiente, poursuivre les jeunes boucs qui rôdent incessamment à faible distance, à l’affût de la moindre inattention du patron, et … satisfaire ces dames. Le tout se corse à l’apparition d’un autre bouc de même taille et manifestement contestataire. Contrairement aux combats de bouquetins, ceux des chamois sont plus dangereux que violents. Chacun porte une paire de cornes acérées comme des couteaux et tente

de toucher l’autre au ventre. Si « l’opération » réussit, la pauvre victime fuira le champ de bataille en traînant ses entrailles sur le sol et connaîtra une agonie aussi longue que pénible. Le vainqueur, lui, oubliera aisément cet incident sur … la croupe des chèvres devenues siennes. Entre-temps, quelques jeunes mâles auront profité des occupations guerrières des patrons pour s’en payer une tranche. Certains exercices doivent être écourtés en raison du retour agressif du patriarche … Voilà le spectacle que tout un chacun peut s’offrir gratuitement sur l’alpe en novembre. Les champions qui s’affrontent ne le font pas pour la galerie et ne craignent aucun contrôle anti-dopage. Ils luttent pour la vie et mettent parfois celle-ci en péril pour quelques jours de suprématie et quelques instants de plaisir. Quelle leçon de noblesse pour qui a l’occasion d’y assister !


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Début décembre, le calme se rétablit gentiment. Le bouc dominant se couche en lieu tranquille afin de laisser récupérer sa musculature et méditer sur les conséquences de ses frasques : toute sa réserve de graisse est épuisée alors que l’hiver se fait de plus en plus pressant.

Si la neige s’abat en masse, il n’aura pas le temps de se refaire un semblant de santé et courra les plus grands risques de succomber en fin d’hiver.

La montagne ne saurait s’émouvoir des effusions de vie dont elle vient d’être le théâtre. Elle a sa manière à elle d’étouffer les excès et leurs conséquences sous un manteau dont seule l’apparence est immaculée.


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Le cabri ne devrait pas souffrir de cette période chahutée. Il est néanmoins perturbé par le changement de régime. Sa mère, si attentionnée depuis qu’il a posé ses quatre pattes sur ce sol rêche, lui manifeste soudain moins d’intérêt, quand elle ne se laisse pas aller jusqu’à l’oublier.

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Le rut du BOUQUETIN Seigneur des hautes cimes, tant par sa masse que par sa prestance, le bouquetin aborde les fêtes de fin d’année en se faisant humble et suppliant. Son garot s’abaisse vers le sol, ses cornes tentent de se dissimuler le long du cou, le museau se fait bécotant. Les combats de mâles sont impressionnants. Deux fois cents kilos de muscles dressés l’un contre l’autre, deux paires de cornes de huitante centimères qui s’entrechoquent des heures durant et dont le bruit se perçoit à plus d’un kilomètre à la ronde : la montagne ne saurait trouver symbole plus évocateur de sa puissance. Pourtant ces combats sont moins dangereux que ceux du chamois car les cornes massives sont plus efficaces en défense qu’en attaque. Si la corne du chamois est une baïonnette, celle du bouquetin est plutôt un bouclier.

Monsieur est en rut et prêt à payer le prix fixé par l’étagne, sa belle.


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Comme s’il avait conscience de l’utilité de sa réserve de graisse pour survivre à six mois d’hiver, le bouquetin ne s’épuise pas en courses-poursuites. La harde regroupe aussi bien les mâles matures que les femelles et leurs cabris, comme si chacun consentait au partage.

Un coup d’œil envieux sur plus jeune et plus fort que soi.

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