Félix Aymon, éditeur 1923, Sion
*
Réédition 2015 Editions à la Carte
3
Réédité dans le cadre du 200e anniversaire de l’entrée du Valais dans la Confédération helvétique
Choix et présentation Joseph Lamon
Editions à la Carte www.editions-carte.ch Imprimerie Calligraphy.ch N° 1636 – mai 2015 ISBN 978-2-88924-220-7
4
Albert Duruz - Solandieu Est-ce le fait d’avoir croisé Victor Hugo dans la cohue parisienne qui a donné au jeune Albert Duruz l’étincelle pour accomplir une aussi brillante carrière littéraire ? Né en 1860 à Estavayer-le-Lac, celui qui signera Solandieu accomplit ses classes primaires avant de passer par l’Ecole Normale de Hauterive. De 1879 à 1884, c’est à Paris qu’il cherche sa voie, gagnant parfois sa « croûte » en chantant dans les cabarets. De retour au pays, il travaille durant 25 ans aux CFF avant d’enseigner le français et l’histoire à l’Ecole industrielle supérieure (collège) de Sion. En 1888, il se fixe à Sion où il épouse, en 1891, la fille du conseiller Pierre Haenni. Depuis tout jeune, son imagination et un sens aigu de l’observation, alliés à l’amour de son pays et à sa foi chrétienne profonde, lui confèrent une plume et un talent indéniables de publiciste et d’écrivain. Il collabore avec plusieurs journaux, dont la Feuille d’Avis du Valais et la Gazette de Lausanne. Ses feuilletons portant sur des histoires locales tiennent en émoi, semaine après semaine, les fidèles lecteurs. Dans les années 30, on le retrouve rédacteur de la revue touristique « Le Valais ». Solandieu se plaît à chanter son canton d’adoption en publiant plusieurs ouvrages tels « Le Val d’Hérens » en 1900, 5
« Le Valais pittoresque » en 1910, « Les châteaux valaisans » en 1912, « Petite Chronique valaisanne » en 1915, « Par les Sentiers » en 1916, les fameuses « Légendes valaisannes » en 1919, « Les Valaisans du Vorarlberg », 1923. En 1921, Albert, roi des Belges, lui décerne les Palmes d’argent de l’Ordre de la Couronne, et en 1934, honneur suprême, le président de la république française le décore du titre de Chevalier de la Légion d’honneur. Comme le dit Pierre Verdon dans son Propos fribourgeois, « Les œuvres de Solandieu sont plus profondes qu’étincelantes, de quoi personne ne peut raisonnablement se plaindre. Elles renferment bon nombre de pages émouvantes et témoignent de l’érudition certaine d’un autodidacte qui fut et reste un travailleur acharné. » 1 J. Lamon
1
Sources : le fonds Duruz-Solandieu déposé aux archives cantonales valaisannes à Sion ainsi que les documents privés du petitfils de l’écrivain, M. Albert Duruz, habitant Fribourg 6
PREFACE Avant de livrer au public le modeste travail que nous avons entrepris sur un fait généralement ignoré de l'histoire du Valais, nous tenons à remercier tout particulièrement le Haut Conseil d'Etat du bienveillant concours qu'il nous a prêté afin de nous faciliter la tâche. Nous devons aussi un reconnaissant hommage au clergé du Walsertal, qui a bien voulu mettre à notre disposition les archives paroissiales, ainsi qu'aux Syndics des communes et à tous ceux qui nous ont assistés dans nos recherches parfois difficiles, avec une urbanité et un dévouement qui font le plus grand honneur à ces populations extrêmement sympathiques. Nous étions partis avec la crainte de nous heurter à des faits purement légendaires, et nous sommes revenus avec la certitude que l'émigration valaisanne au Vorarlberg constitue une page des plus intéressantes et des plus authentiques de l'Histoire du Valais. Ce seul résultat est pour nous la meilleure récompense de notre labeur. A. Duruz
7
8
INTRODUCTION Avant que la « Gazette universelle d'Augsburg » et les recherches de l'historien viennois Bergmann (1844) aient signalé l'existence d'anciens Valaisans dans quelques vallées du Vorarlberg, nul ne paraît s'être préoccupé de l'émigration qui, aux XIIIe et XVIe siècles amena de nombreuses familles du Haut-Valais dans le Prättigau, d'abord, puis, peu après, au Vorarlberg.2 Les historiens du Valais paraissent avoir ignoré ou négligé ce point d'histoire cependant si intéressant ; seul le R. P. Furrer, de l'ordre des capucins, dans les trois volumes qu'il publia sur l'histoire du Valais, (1850-1860), y consacre la courte notice suivante : « L'évêque Pierre d'Orons avait signé en 1282 une alliance offensive et défensive avec Frédéric, comte de Montfort et évêque de Coire, et lui avait envoyé des secours contre Rodolphe de Habsbourg. « Les troupes de secours envoyées dans les Grisons doivent s'être établies près de Bregenz. L'évêque, à ce qu'on raconte, y envoya à deux reprises des renforts. Les barons de Rarogne, ceux de Naters et de Viège, et Guillaume de Moerel firent de même. Les de la Tour avaient épousé la cause de Rodolphe de Habsbourg, et lui envoyè2
Toutefois, en 1574, un auteur allemand Josia Simler, fit paraître à Zurich une description du Valais où mention est faite de l'émigration des Valaisans au Prättigau. 9
rent pour la seconde fois des soldats. On sait que beaucoup d'entre eux y restèrent, mais on ignore quel en fut le nombre. Les anciennes chroniques le disent, ainsi que la tradition en Valais, dans le Tyrol et le Vorarlberg. Il est à présumer que les seigneurs de Rarogne envoyèrent au baron Jean Donat de Vatz et à sa prière, des chasseurs qui, en raison de la confiance bien méritée qu'ils inspiraient, (fiduciario jure) reçurent ce pays à titre de propriété, en 1289, dudit seigneur de Vatz et du comte Hugo de Werdenberg (qui avait aussi des droits dans cette contrée), sous la réserve de payer au seigneur foncier 24 poids d'argent (28 florins du Rhin). Les gens de Davos, localité la plus importante de la troisième ligue des Grisons, sont donc Valaisans ; c'est pourquoi ils ont seuls conservé l'usage de la langue allemande, dont se servent également les gens du Prättigau, leurs voisins, et ils parlent cette langue d'une façon plus dure, aussi les gens de Coire l'appellent-ils la « langue valaisanne », la leur étant plus douce.3 « L'émigration est donc incontestable et, à en juger par les noms de famille, Conches et Viège ont fourni leur contingent à cette expédition. On peut se demander quelle a été la cause de cette expatriation de gens qui, de tout temps, ont montré un si grand attachement à leur sol natal. Il n'est pas probable qu'ils aient été vendus, comme en 1346 les seigneurs de Châtillon vendirent à l'abbé d'Inter3
Le P. Furrer n'a fait que reproduire, ce que dit Sirnier à ce sujet. 10
laken quelques centaines de leurs sujets de Lœtschen pour en faire des colons de la montagne de Steig. Des guerres incessantes, des inondations et d'autres désastres peuvent les y avoir poussés, notre pays ayant été en tout temps fortement éprouvé par des catastrophes. »4 C'est là tout ce que nous apprend le R. P. Furrer sur l'émigration des Haut-Valaisans dans le Prättigau. Que l'émigration des Haut-Valaisans du Prättigau au Vorarlberg soit incontestable, la chose ne fait pas l'ombre d'un doute. Les recherches et publications de nombreux historiens du Vorarlberg, du Tyrol et des Grisons en font foi, de même que les archives de plusieurs paroisses, celles de Laterns et de Silbertal au Vorarlberg en particulier.5 D’ailleurs, si en Valais la tradition a pu se perdre à travers plus de vingt générations, elle est demeurée très vivace au sein des populations immigrées et dans tout le Vorarlberg. Les enfants l'apprennent à l'école, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, à Bregenz a Feldkirch et à Bludenz aussi bien que dans les vallées habitées par les Walser. Ce point d'histoire irréfutablement établi, il nous reste à étudier les causes de cette émigration, la situation faite 4
Furrer, Histoire du Valais, traduction de Roger de Bons. 1873, Sion, Galérini, éditeur. 5 Ces deux paroisses possèdent des parchemins du XIVe siècle, ayant trait à l'établissement des Valaisans au Vorarlberg.
11
aux colons valaisans par les comtes de Montfort, et le développement de ces colonies à travers six siècles d'existence, enfin les liens qui attachent encore ces anciens colons à la mère-patrie. C'est ce que nous nous sommes proposé de faire dans cette modeste étude, après avoir parcouru toutes les vallées habitées par les Walser, fouillé quelques archives paroissiales, exploré les nécropoles, interrogé les auteurs et questionné les habitants du pays. C'est à la lumière de toutes ces investigations que nous avons pu écrire ce qui va suivre. A. D
12
PREMIÈRE PARTIE Le Valais au XIIIe siècle Causes de l'émigration haut‐valaisanne Le XIIIe siècle fut un des plus mouvementés de l'histoire du Valais. En 1157, le comté du Valais relevait directement de l'empire allemand, et l'évêque de Sion se trouvait ainsi être le vassal de l'empereur Frédéric 1er. Ce dernier ayant confirmé à Bertold IV de Zaeringen l'avouerie de Sion avec l'investiture des régales, celui-ci céda à son beau-frère, Humbert III, comte de Savoie, tous les droits que l'empire lui avait accordés sur l'avouerie de Sion. Cette substitution donna lieu à de nombreux et sanglants conflits entre les comtes de Savoie et les évêques de Sion, qui eurent sans cesse à lutter contre les empiétements de leurs redoutables voisins. Les possessions des comtes de Savoie enchevêtrées dans le comté du Valais furent aussi la cause de troubles et de démêlés incessants. Mais le 7 mai 1189, par lettres patentes délivrées à Bâle, Henri VI, dit le Cruel, roi des Romains, fils et successeur de Barberousse, empereur de 1190 à 1197, déclara qu'à l'avenir le comté du Valais relèverait spécialement de l'empire, et que les évêques de Sion recevraient les droits régaliens directement de l'empereur. Il rappelle, dans cette 13
charte, qu' Humbert III, comte de Savoie, s'est montré indigne du mandat dont l'avait investi son parent, le duc de Zaeringen, qu'en conséquence, il est mis au ban de l'empire et privé de toutes ses possessions. Bertold V, de Zaeringen, fils du précédent, malgré le diplôme impérial, tenta de faire reconnaître son autorité sur l'ancienne avouerie de Sion. Les Valaisans refusèrent formellement d'admettre des prétentions si arbitraires, et la bataille d'Ulrichen (1211) chassa définitivement les Zaeringen du pays. L'évêque de Sion, délivré d'un de ses plus puissants ennemis, eut à lutter ensuite contre les prétentions démesurées de la noblesse, à la tête de laquelle se trouvaient les turbulents seigneurs de la Tour. On était en pleine féodalité ; le peuple gémissait sous le honteux régime du servage et des charges révoltantes qui en découlaient, au point qu'on pouvait lire dans les statuts établis entre l'évêque et les nobles, où se trouvaient fixés leurs droits respectifs, « qu'une personne notable n'est point punie pour avoir frappé une personne vile ou de condition inférieure qui l'injurie, toutefois, si la mort s'en suit ; l'évêque perçoit une amende qu'il partage avec le vidomne, le sénéchal, le major et le sautier » (1217). De nouvelles querelles surgirent entre les évêques de Sion et les comtes de Savoie au sujet de la construction des châteaux de la Soie et de Montorge ; il y eut prise d'armes jusqu'au traité de la Morge qui, le 18 mai 1233, réconcilia momentanément les adversaires. 14
Cette année 1233 fut marquée par un froid extraordinaire dont le Valais eut à souffrir les dures conséquences. Les vignobles et les arbres fruitiers furent presque entièrement gelés et la misère vint s'ajouter au fléau d'une guerre sans fin.6 Les seigneuries, érigées par le système féodal et les offices établis par les évêques et la maison de Savoie se trouvaient entre les mains de nobles indigènes et étrangers ; des familles de la Savoie, du Val d'Aoste, du pays de Vaud, de Fribourg et de Genève, possédaient des fiefs et des droits seigneuriaux sur le territoire valaisan. Les quelques terres franches que peu d'hommes libres avaient pu soustraire aux exigences du nouvel ordre social, se transformèrent insensiblement en terres féodales.7 Leurs propriétaires se virent obligés de rechercher ou d'accepter la protection d'un suzerain ; ce fut le morcellement des terres et le vasselage à outrance. Quelques nobles se rendaient coupables d'abus de pouvoir et pressuraient leurs justiciables qui, las d'un régime despotique et abject, cherchent à secouer un joug avilissant, où la taille à miséricorde ou à merci, fait de l'homme lige une véritable bête de somme. D'autres événements devaient encore ensanglanter la vallée du Rhône. La longue guerre engagée entre le sacer6
Ce sont peut-être ces évènements qui ont fait assigner par quelques historiens la date de 1233 comme celle de l'émigration des Haut-Valaisans. 7 Hilaire Gay, Histoire du Valais. 15