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Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-359-7 14,50 euros
Éditions Apogée
U EAULIE B c u L T Jean ue HUE q i n i m Do ACQ Denis J MACQUAIRE is Franço
Couverture réalisée par Gabriel Boudier sur une idée de Jean-François Miniac
© Éditions Apogée, 2009 ISBN 978-2-84398-359-7
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Témoignages de licenciés de la Barre-Thomas recueillis par Jean-Luc Beaulieu Dominique Huet Denis Jacq François Macquaire
BT ! Barre-toi !
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Préface Ce midi-là, exceptionnellement, je suis chez moi et regarde les informations télévisées régionales. Une personne licenciée de « la Barre-Thomas » raconte les conditions de son départ. Je suis outré. Me vient immédiatement en mémoire « l’ambiance Citroën » des années soixante-soixante dix. Je décide de rencontrer la personne interviewée : ce que je fais dans les jours qui suivent. Ce que j’apprends me blesse d’autant plus que « la BarreThomas » (nous continuons de l’appeler ainsi malgré le changement de propriétaires) fait partie de nos préoccupations et attentions, tout comme l’usine Citroën de La Janais, au titre de la défense de l’emploi, de la vie économique rennaise et bretonne. Dans cet esprit nous échangeons régulièrement avec les dirigeants, de manière aussi constructive que possible. À titre d’exemple, en 2006, je me suis rendu chez Jean-Martin Folz, PDG de Citroën, pour plaider l’urgence d’une nouvelle commande auprès de Gomma. Il me répondra favorablement et je continue de lui savoir gré pour la qualité de nos relations passées. Voilà donc ce nouveau plan social 2007-2008 pour « la BarreThomas », avec ses licenciements. Il y a plusieurs manières de « lire » un plan social : Pourquoi ? Quel est le devenir de l’entreprise ? Combien de personnes concernées ? Quels profils ? Quelles reconversions possibles ? Où demeurent-elles ? Quelle est leur situation personnelle, familiale ? Comment les aider ?
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Et puis il y a le ressenti de la personne licenciée, de son entourage, la manière dont elle vit cette rupture. La lecture des pages qui suivent nous bouleverse : elles relatent un vécu que nous n’avons pas le droit d’ignorer, quel que soit notre statut (PDG, préfet, élu, ouvrier…), indépendamment de nos sensibilités politique, syndicale, ou philosophique. Des mots reviennent régulièrement : brutalité, gâchis, peur, injustice, injure, insulte, douleur, révolte, veulerie, violence, inquiétude, angoisse… L’annonce du licenciement est systématiquement pourfendue : « la procédure de l’annonce de licenciement a été lamentable, violente et brutale », « j’étais dans la charrette. Tiens, pourquoi on dit charrette, cela fait penser aux rois et aux reines que l’on a amené à l’échafaud en charrette justement », « le cabinet de reclassement ? Il me fait penser au service commercial, les filles attendaient les clients ». La camaraderie, la générosité, la solidarité cèdent bien souvent le pas à l’égoïsme, à la peur, à la servilité… Nous sommes à mille lieues des « Compagnons » de Louis Guilloux ! Je suis heureux qu’hier, en tant que maire de Rennes et de président de Rennes Métropole, nous ayons, avec mes amis, apporté notre soutien aux organisations qui ont défendu la cause de ces licenciés. Mais nous ne devons pas en rester à la compassion individuelle (même si nous devons témoigner d’une proximité) ni nous réfugier dans une critique systématique (même si nous devons dire, avec responsabilité, notre opinion). Dans toute entreprise, les travailleurs doivent être informés, savoir qui décide et pourquoi.
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Dans « les travailleurs », j’inclus la direction qui n’a pas à endosser des responsabilités qui ne sont pas les siennes. Trop souvent un capitalisme sans visage, lointain, changeant au gré des cours des Bourses, gouverne bon nombre d’entreprises avec le souci unique du rendement financier immédiat. L’entreprise a certes des intérêts financiers, mais ils doivent se conjuguer avec d’autres : économiques, sociaux, territoriaux, présents et futurs. Elle vit d’un juste partage et doit savoir qu’elle ne peut prospérer dans le désert. Elle demeure tributaire de tout ce qui l’entoure et elle a des devoirs vis-à-vis de son environnement. Toute direction d’entreprise doit en avoir conscience et le rappeler aux actionnaires. Il fut un temps où cela se faisait plus systématiquement qu’aujourd’hui. Le droit même en porte la trace. Des évolutions sont nécessaires, des temps de reconversion, de formation sont à prévoir : le monde du travail et la société ont besoin d’une véritable sécurité professionnelle. Elle doit mobiliser tous les partenaires, à tous les niveaux. Personne ne peut prétendre que seul le marché peut produire un équilibre durable et juste et s’en remettre à son hasard. Une société solidaire ne peut accepter la privatisation des bénéfices et la socialisation des pertes. Il me reste surtout et d’abord à féliciter tous les acteurs de cet ouvrage courageux qui informe, fait partager, réfléchir et sollicite notre citoyenneté. Edmond Hervé Maire de Rennes (1977-2008) Sénateur
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INTRODUCTION L’usine de la Barre-Thomas fait partie intégrante du paysage rennais depuis 1953 et a traversé comme beaucoup d’entreprises, différentes épreuves au fil du temps. Mais, les années 2007 et 2008 (lors du second Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)) resteront des années particulièrement marquantes dans la vie du personnel présent et des salariés rennais en général, par les méthodes utilisées pour l’annonce des licenciements. Le recueil de témoignages que vous allez lire raconte l’annonce individuelle d’un licenciement subi par une partie du personnel impliquée lors du plan social 2007-2008. Dans ce livre, nous avons pris le parti d’utiliser le terme plan social plutôt que celui de PSE. Par rapport à ce que les salariés ont vécu et continuent de vivre, la notion de sauvegarde de l’emploi est une hypocrisie voire une insulte. Ces témoignages recueillis par et auprès des licenciés n’ont pas été faciles à réaliser. De la ténacité, de la patience ont été nécessaires pour aboutir à cet ouvrage modeste. Dans un contexte mondialisé, notre objectif est de faire percevoir une réalité cruelle de la vie en entreprise. Certaines sociétés se moquent complètement de l’humain. Plusieurs acteurs involontaires de ce drame ont refusé que leur témoignage paraisse : c’est leur choix, nous le respectons. D’autres ont accepté à condition que l’énonciation des noms soit évitée. D’autres scènes de licenciements auraient pu apporter un autre éclairage. C’est le cas d’une mère licenciée pendant son 3e congé de maternité. Cette dernière a refusé de parler afin de ne pas se pénaliser dans un futur emploi. Enfin pour d’autres, le besoin a été d’oublier en tournant définitivement la page. Pour la plupart des témoignages, des noms d’emprunt ont été utilisés.
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Si juridiquement l’entreprise a été condamnée pour son attitude innommable * ; nous sommes au regret de constater que globalement, elle a gagné par un endoctrinement managérial, fruit de dizaines d’années d’exercice. Ses méthodes de management militaires, patriarcales, d’un autre âge ont marqué le comportement du personnel. Cela se traduit par de vieilles pratiques caractérisées par ce type de propos : « Pas de vagues ou vous en subirez les conséquences », « Tu ne t’occupes pas de ce qui se passe à l’extérieur de l’entreprise et tu seras tranquille ». Heureusement, certaines personnes vous livrent leur ressenti en assumant le récit de ce qu’elles ont vécu personnellement avec humiliation mais avec un courage qui les honore. Nous les en remercions.
Le 12 février 2009, le tribunal de grande instance de Rennes déclare nul le plan social, décision confirmée le 24 septembre 2009 par la Cour d’appel de Rennes.
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TÉMOIGNAGES
1- Vais-je être concerné ?
»
Patrice
35 ans, 8 ans d’ancienneté Technicien méthodes
Mon parcours scolaire m’a fait passer par un cycle CAP, BEP mécanique agricole, Bac et un BTS où j’ai suivi un stage à la BarreThomas qui a débouché sur mon embauche. Je ne me posais pas la question de mon avenir : l’entreprise fonctionnait bien, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter. « Ils se sont encore foutus de notre gueule… » La réunion au parc des expositions du 13 janvier 2006 était un beau show, ils se sont encore foutus de notre gueule. La direction voulait rassurer le personnel mais elle nous menait en bateau. Elle a renouvelé la démarche en réunissant les cadres et techniciens au Stade rennais. Ma hiérarchie était trop distante. Nous avions trop de comptes à lui rendre. Certains cherchaient plus à se couvrir qu’à aider, qu’à donner les moyens d’atteindre des objectifs. Le contact humain était limité. La communication se faisait plus par messagerie électronique
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alors que les bureaux des responsables étaient proches. Heureusement que la relation avec les collègues était très soudée. La direction rappelait aux cadres de terminer rapidement les entretiens individuels afin de définir assez vite la liste des futurs licenciés. J’ai lu les appréciations in extremis laissant deviner la sanction. J’ai récupéré une note « C » à cause de documents qui n’étaient pas toujours rendus en temps et en heure, note fatidique pour être à la porte. Pour les motifs de licenciement, la comparaison était facile puisque nous étions deux à avoir un poste identique, avec le même âge, la même situation de famille. La servilité de mon collègue a fait la différence. Preuve encore que la nature de mon travail ne me satisfaisait pas puisque l’administratif avait plus d’importance que la partie technique c’est-à-dire proposer aux clients des pièces bonnes, fiables et dans les délais. J’avais de moins en moins de travail. J’avais développé des pièces qui étaient parties en fabrication vers la Pologne. Je ne me sentais plus particulièrement à l’aise. Le manque de mobilisation du personnel au moment du dépôt de bilan, du redressement judiciaire, du 1er plan social m’avait cassé le moral alors que nous avions les moyens de faire pression. La veille du licenciement, les chefs et les cadres qui devaient licencier du personnel se réunissaient pour avoir une explication du déroulement, de la méthode, de ce qu’il fallait dire et ne pas dire. Je n’avais pas osé demander à mon chef s’il était présent. »
Alice
32 ans, 7 ans d’ancienneté Assistante de direction
« Estime-toi heureuse d’avoir du boulot » Dès janvier au parc des expositions, nous avons assisté au speech à l’américaine de la direction. Il y a donc eu la réorganisation et nous
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avons su que notre service éclaterait, tout était restructuré. J’en avais parlé au délégué du personnel qui n’y croyait « pas tout de suite ». Je lui avais dit que ça allait tomber en mars. Une semaine avant l’annonce du plan social, je suis tombée malade pour une hépatite. Il faut savoir que depuis janvier 2006, j’étais sur deux postes, assistante de direction à 80 % et assistante commerciale à 20 %. Je remplaçais une collègue en congé maternité au poste commercial. Il était prévu qu’au retour de cette collègue, je réintègre mon poste. En janvier, à l’annonce de l’éclatement des services, je ne suis plus assistante de direction : je sentais la tendance. J’ai demandé à intégrer le plan social, le service du personnel n’était pas d’accord. Début mai, je suis donc revenue voir mon chef, il me donnait beaucoup de travail. Le chef de service, je l’ai vu 2 minutes 30, il avait le regard fuyant, il m’a annoncé que ça allait bien se passer. Pas une seule fois, il n’a prononcé le mot licenciement, seulement la procédure. J’avais beaucoup de boulot et je m’y sentais bien, il y avait une bonne entente, un bon état d’esprit même avec les autres services. Pour la retraite, je ne me projetais pas là dessus. En janvier, février, j’avais essayé de négocier une augmentation de salaire la réponse : « Estime-toi heureuse d’avoir du boulot ! », je lui avais répondu « Tu en auras pour ton argent ». »
Denis
53 ans, plus de 34 ans d’ancienneté Technicien outillage
« Il y avait déjà des rumeurs persistantes dans l’atelier » Depuis peu, je cernais une réalité et j’attendais que cela se produise. Il y avait déjà des rumeurs persistantes dans l’atelier qui laissaient penser à un plan social proche. Ce que la direction faisait me paraissait dans l’air du temps, mais pour mon avenir et celui de mes collègues ce n’était pas normal.
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Le travail que je faisais me plaisait, j’avais une certaine autonomie. Ma hiérarchie ne me convenait pas du tout, je n’ai jamais eu confiance dans les gars de l’atelier qui passaient agent de maîtrise et qui restaient dans le même secteur. L’expérience m’a apporté ce type d’observation. Des gens récupérés dans l’atelier pour mettre dans la maîtrise, ils font leur plan de carrière. Quand ils vont dans la maîtrise, ils coupent carrément les ponts avec les collègues. Ce ne sont plus les copains, ça a beau être tes potes, ils ont choisi le côté de la direction. Pour le dernier chef que j’ai eu, je n’avais pas de relations de confiance. J’aurais préféré quelqu’un d’autre, il était trop gêné par rapport à moi. J’avais travaillé avec lui, je savais ce qu’il valait dans le travail. À la mise au point des outillages, nous avons été intégrés en fabrication pendant deux mois pour des problèmes d’organisation, soi-disant. En réalité, notre service devenait coûteux par la diminution des nouvelles fabrications. Je ne me sentais pas exclu du plan social. Il y avait quelque temps lorsqu’on me demandait « Quand est ce que tu vas changer ta voiture ? », je répondais « Quand j’aurais ma prime de licenciement », mes copains de table en souriaient. J’étais persuadé d’être licenciable mais pas tout de suite, j’ai toujours dit que je ne finirai pas ma carrière dans la société. « Il y a des rumeurs sur la vente de la BT » Alors que nous étions encore dans le groupe Peugeot-Citroën, c’est l’arrivée en 1997 du nouveau directeur qui avait déclenché chez moi de grosses interrogations. Ce fut renforcé lors d’un de ses discours, lorsqu’un collègue lui avait lancé l’affirmation « Il y a des rumeurs sur la vente de la Barre-Thomas ! ». Fâché, il avait répondu « Je suis suffisamment bien placé pour vous dire que ce ne sont que des rumeurs et je ne veux plus en entendre parler ». Et quelques mois après, il était le premier à nous annoncer la vente de la BarreThomas. Après, quelle crédibilité apporter à un tel responsable et qui plus est le directeur général ?
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2- Le jour J : le couperet tombe
»
Alice
« L’entretien s’est terminé par “bonne chance” » Le 15 mai, je passais un entretien pour un nouveau boulot. Je recevais des SMS de collègues qui m’annonçaient qu’un tel et un tel étaient virés, ça n’arrêtait pas. Je suis arrivée le 16 au matin et je me suis installée. Dans mes mails, il y en avait un du gestionnaire du personnel qui me donnait rendez-vous à 10 h 00 à son bureau. J’ai su que les licenciés du 15 mai n’avaient plus de mail ni de téléphone pour prévenir et saluer les copains. J’ai discuté avec mon responsable une demie heure et ensuite j’ai envoyé un mail que j’avais préparé à l’avance. J’ai voulu donner quelques coups de fil mais là, plus de réseau. Après je suis allée déjeuner avec mes collègues. Mon gestionnaire du personnel m’a fait signer des papiers pendant une demi-heure. Je lui ai posé des questions au niveau salarial, prime de fin d’année, de rentrée scolaire, il n’a pas su répondre à tout et a appelé le service paie pour avoir les renseignements. J’ai senti qu’il n’était pas à l’aise, je lui ai dit que je n’étais pas d’accord avec la façon dont cela s’était déroulé. Sur la cellule de reclassement, il m’a dit d’aller dans notre ancien portakabin, je lui ai posé des questions sur les délais de carence par les Assedic, étonnamment il ne savait quoi répondre ! L’entretien s’est terminé par « bonne chance ». Le directeur des ressources humaines est arrivé dans le bureau et il m’a
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demandé « Alors c’est réglé ? Il faut que je vous dise une chose, je sais que pour vous cela ne posera pas de problème mais je le dis à tous ceux que je croise, faut pas en profiter pour vous lever à pas d’heure, faut vous lever comme si vous alliez au travail, il faut continuer, car pour trouver du travail il faut se lever de bonne heure ! ». Je l’ai regardé et j’ai dit « Écoutez monsieur, j’ai deux gamines qui vont à l’école alors vous croyez vraiment que je vais rester en pyjama et en tongs chez moi ? Je ne vous ai pas attendu pour me lever à 7 heures du matin ni pour me retrousser les manches ! » Il n’a rien dit. Il m’a proposé ses recommandations pour un futur emploi. Je l’ai remercié et lui ai dit que j’avais d’autres propositions que j’utiliserai plus facilement. Au mois de février, il y avait des chefs de service qui savaient que des noms allaient tomber. Il y avait des gens avec qui je mangeais le jeudi qui en étaient malades, qui ne dormaient plus parce qu’ils savaient qu’ils allaient devoir annoncer des licenciements. Je leur en ai parlé, je leur ai posé la question pourquoi ils ne refusaient pas en bloc. Ce n’est pas leur boulot, c’est celui du directeur du personnel. Mon chef de service était désolé que cela se passe comme ça. Il m’a même proposé de s’arranger pour que je puisse rester à un poste d’assistante commerciale. Mais je ne rentrais pas dans le cadre de la nouvelle direction. Avec douze de mes collègues, nous sommes partis déjeuner. Ensuite, j’ai fait le tour des popotes en prenant tout mon temps. Des collègues m’ont témoigné de la sympathie, certains ont pleuré. Globalement, les gens étaient touchés et j’ai rencontré beaucoup de gens inquiets. Les conditions de licenciement ont choqué les gens, j’avais l’impression que certains avaient reçu un bloc de béton sur la tête. Le fait que des gens de plus de 50 ans soient licenciés si rapidement (certains étaient là depuis de nombreuses années et avaient des compétences dans leur métier) les a vraiment choqués. J’avais l’impression qu’ils étaient ailleurs, comme groggy.
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Je suis allée à la cellule de reclassement en début d’après-midi et ça a duré cinq minutes. La personne qui m’a reçue m’a informée d’une réunion tel jour et qu’on me dirait tout. Quelques personnes sont passées me voir, je ne les ai pas forcément vues. D’autres ont répondu à mon mail mais je n’ai pas pu les lire du fait de la coupure : beaucoup m’ont témoigné de la sympathie. Une fois les adieux terminés, j’ai été soulagée, « maintenant je suis fixée », la deuxième chose que je me suis dite « Ça va continuer sans moi ! ». J’ai quand même eu un pincement au cœur car je ne verrais plus les copains, parce qu’il y avait le boulot bien sûr, mais aussi des tranches de rigolade. Je suis rentrée, j’ai récupéré mes enfants à l’école. J’ai regardé ma petite et lui ai dit « maintenant maman est en vacances », pour elle c’était bien. Elles l’ont vécu positivement car avant elles étaient témoins de mon stress. Dès que j’ai signé, j’ai appelé mon mari pour lui dire que c’était terminé. J’avais prévenu mes parents dès janvier qu’il y avait quelque chose, je les ai appelés après ma sortie de chez le gestionnaire du personnel. On m’a même proposé de rester trois mois de plus on m’a dit « la société a besoin de vous ». Je préférais être licenciée maintenant plutôt que de continuer trois mois dans cette ambiance. De toute façon, nous sommes amenés à nous revoir, ne serait-ce que pour les papiers. « Le lendemain j’ai fait le ménage à fond une forme de thérapie (fallait que ça vole) » Le lendemain j’ai fait le ménage à fond, une forme de thérapie (fallait que ça vole !). Quant à la cellule de reclassement, au début ça allait. Ensuite il y avait un certain laisser-aller. Il était difficile de les joindre, la secrétaire filtrait. Si le sujet était intéressant ou si la personne avait un potentiel intéressant, on prenait au téléphone. Pour moi, il y avait deux poids deux mesures suivant les profils et ce cabinet n’était pas habitué à gérer ce genre de personnel.
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3- Digérer le licenciement
»
Stéphane
« Ils veulent couler la boîte » Dans la voiture, le retour sur Fougères s’est fait normalement en échangeant avec les gars : « C’est dégueulasse, la prochaine fois, t’inquiète ce sera nous, ils veulent couler la boîte ». À 14 h 00, j’arrive chez moi, je ne mange pas, je prends ma douche et fais ma sieste comme d’habitude. Puis je suis allé chercher ma nièce au collège, elle a 12 ans, je ne l’ai pas embêté avec mon licenciement. Je l’ai ramenée chez ses parents. Je leur ai dit « Je suis licencié ». Nous avons parlé de tout ça puis ils m’ont dit de rester à manger. J’ai bien apprécié. Le lendemain, j’ai prévenu les amis « Hier, j’ai gagné à la loterie ». Ils ont compris car ils étaient au courant que cela allait mal à la BT. Puis après, j’ai appelé mes parents. »
Didier
« Je prends mon temps, j’ai pris un congé à vie » Pendant le petit-déjeuner avec ma femme, je ressassais « Comment, je fais ? Comment je fais ? ». J’avais pensé partir à 8 h et revenir comme si de rien n’était. Mais qu’allais-je faire de toute la journée ?
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Finalement, j’allais être plus utile à la clinique. Je n’étais pas rassuré par la réaction de ma femme qui avait eu un accouchement difficile. Arrivé à 8 heures : Elle – Tu ne te dépêches pas ? Tu ne pars pas au travail ? Moi – Non, non, je prends mon temps, j’ai pris un congé à vie ! J’avais depuis quelques mois expliqué la tournure prise par l’entreprise. Le déroulement du 16 mai avait donné lieu à un échange. Nous nous étions un peu disputés. Moi – Tu verras, ce sera moi. Elle – Arrête d’être défaitiste. Tu m’embêtes pendant que nous mangeons. Tu n’es pas encore sur la liste. Moi – Si je t’en parle ce n’est pas pour t’embêter. Regarde mes points. J’ai calculé. En somme, elle avait vite compris. Retour en arrière Avec le recul, ce qui m’avait étonné c’était l’intérêt que portait mon responsable de service au sujet de ma femme : « Alors, ça en est où ? ». Je croyais qu’il parlait d’une de mes tâches professionnelles. La veille de mon licenciement, il est revenu pour une troisième fois s’enquérir de la situation de ma femme. Ils ont choisi ce moment pensant que j’allais avoir l’esprit occupé. Ils ont peut-être pensé que l’annonce du licenciement avant l’accouchement aurait pu créer des soucis cliniques à la future maman. La paternité J’ai passé plusieurs nuits à la clinique en alternance avec ma mère qui était arrivée de Paris. J’ai eu une semaine bien occupée à entourer ma femme et ma mère. Pour ne pas sacrifier à la joie de la naissance,
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j’ai fait l’annonce à ma mère, quelques jours après son départ, au téléphone. Moi – Je suis en congé paternité. Elle – Je ne comprends pas, tu ne retournes pas travailler ? J’ai fini par lâcher le morceau : « Je suis licencié ». Pour l’annonce à mon père en août, dans un premier temps, j’ai usé du même subterfuge : « Je suis en vacances prolongées ». Finalement, je n’ai appelé le cabinet de reclassement que quinze jours après. Je leur ai dit que le milieu industriel, c’était fini pour moi. Je ne voulais plus être victime d’un nouveau plan social. »
Daniel
J’ai appelé ma femme ou plutôt c’est elle qui m’a appelé, je ne sais plus trop. Après, j’ai été chercher ma fille. J’ai fait comme d’habitude mais ce n’était pas comme d’habitude. Ça faisait trois mois que je ressassais cette situation. Le mardi, j’étais licencié et le jeudi on baptisait le petit. Ce fut le contexte pour annoncer à ma famille mon licenciement. « Je n’ai pas dit à ma fille de 4 ans que je n’avais plus de travail » Le lendemain matin, je me suis réveillé à 6 heures 30 — j’ai une horloge dans la tête. Je n’ai pas dit à ma fille de 4 ans que je n’avais plus de travail mais elle le voyait bien. Avant elle disait « Ah, tu vas au boulot ». C’est pas facile aussi pour les enfants. J’aurais préféré être viré d’un coup comme ça, la procédure a été tellement longue. J’ai dit que je ne voulais pas retourner dans l’automobile ; mon expérience était trop terrible, se bouffer la santé, le stress permanent.
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Je l’ai dit assez rapidement à mes voisins, c’est une situation qui devient une banalité ! Le dernier sentiment est d’avoir été traité comme un chien. »
Chantal
« Je suis arrivée chez moi et je me suis mise à pleurer » J’avais l’impression d’avoir été foutue dehors, j’aurai préféré avoir des petits gâteaux, être reçue dans une salle tout ça… De toute manière, les critères je n’y comprenais rien ! Je savais que j’étais payée les six premiers mois. Je suis partie sans même savoir ce que je faisais. Je suis arrivée chez moi et je me suis mise à pleurer. Les deux enfants étaient là. En sortant de l’usine vers 11 h 00, je leur avais téléphoné pour annoncer mon licenciement. J’ai encore pleuré, ils m’ont dit « C’est une usine de fous ! ». Une fois seule, j’ai cogité de plus en plus. J’ai téléphoné à des collègues en soirée. J’ai appelé mon copain qui était content que je sois licenciée « De toute façon, t’étais toujours sur les nerfs ». Les gens de l’usine le disent bien : les gens qui travaillent chez Citroën sont plus speed, sont plus usés. Ca m’est arrivé maintes fois d’avoir des larmes. « Dans l’usine, il ne faut pas oublier que nous ne sommes qu’un pion » Pour l’instant, je vais appeler les Assedic, il paraît qu’on peut travailler tant d’heures par mois. Je suis usée par le travail. Comme me l’a dit l’employée de la cellule de reclassement, ce sera difficile de trouver un travail dans un bureau, mais alors pourquoi me trouver un boulot dans un abattoir ? Pour m’achever ? Je lui ai dit « Vous vous foutez de ma gueule ! ». Je pensais finir à la Barre-Thomas, mais
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c’était dur sur la fin. Les collègues qui y sont encore en ont marre, ils sont stressés. Un collègue de 53 ans m’a dit « J’aurai préféré être licencié ». Mais pour ma part, il aurait fallu que je travaille six ans de plus pour obtenir ma retraite. Je n’ai jamais eu de mise à pied ni d’avertissement. Une fois, pour des autocollants mal collés sur des emballages, ils ont tout fait pour me licencier. Presque tous les syndicats sont à mettre dans le même sac. Avec la CFTC et la CGT si nous gagnons aux prud’hommes ce sera différent. Dans l’usine, il ne faut pas oublier que nous ne sommes qu’un pion, la gestion du personnel ne se base qu’à la tête du client. »
Jean-Yves
Le midi, je suis arrivé chez moi, j’étais seul. J’ai mis mon vélo dans le garage, je suis monté dans la salle à manger. Dix minutes après, ma femme est arrivée. Sans lui laisser le temps de réagir, je lui clamais de but en blanc « Ben voilà, je suis licencié, c’est fini ! ». Elle ne s’y attendait pas vraiment, elle a été surprise. Elle m’a dit « Si c’est comme ça, on va faire avec ! ». Elle connaissait déjà très bien la situation du plan social, comme nous n’avions pas d’enfants à charge, j’étais une cible. La journée, je me suis allongé sur le canapé, j’étais vidé. En fin de compte, je me considérais comme rien, rejeté par la société. Je suis resté jusqu’au soir sans rien faire, j’ai eu du mal à avaler la pilule. Ma femme avait peur que je fasse une connerie. Elle s’est fait du souci. Nous avons fini par prendre un café et nous sommes allés faire des courses, histoire de prendre l’air. « Ne t’inquiète pas, ce n’est pas une maladie » En fin de journée, j’ai appelé ma mère. Je lui en avais parlé mais sans plus, ça m’a coûté d’annoncer ce genre de choses. Je devais
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l’appeler pour lui annoncer la couleur. Elle ne pensait pas que j’aurais été licencié « C’est pas possible, ils vont te garder, ils n’oseront pas, ils ne vont pas te faire ça ! ». Je lui ai dit « Ne t’inquiète pas, ce n’est pas une maladie ! Maintenant, j’ai du temps de libre, j’irai plus souvent te voir ». Le soir même, les enfants étaient prévenus. Mon grand-père a appelé, ma femme a répondu et lui a dit directement la nouvelle. Le deuxième, je l’ai appelé. Le lendemain matin, j’ai eu du mal à me lever. Je suis sorti faire un petit tour. J’ai appelé un ancien collègue, il était en déplacement à ce moment-là. Nous avons discuté de boulot. Le lundi d’après, tu restes là, c’est comme si t’étais malade, en RTT, tu te sens totalement décalé, c’est là que le bourdon revient. »
Francis
Vers 14 h 00, je suis arrivé à mon domicile. Mon épouse était dans le jardin, je lui ai dit « Ça y est, je suis viré ». Elle n’était pas plus surprise que cela, je lui ai dit que c’était le bon choix car vis-à-vis de mes collègues, je n’avais plus d’enfants à charge et il aurait été injuste que des familles soient touchées par le chômage à cause de moi. Je me rappelle également qu’habituellement, je prenais un cassecroûte à 10 h 00 or, ce jour-là, je l’avais oublié. Depuis 7 h 00, je n’avais pas mangé, j’avais faim. Mon épouse est partie au travail. Je suis resté dans le jardin et je me suis occupé en bricolant. Des images me revenaient de cette matinée spéciale. Le fait de vivre mon licenciement avec le sourire, j’en rigolais encore. Certains visages étaient plus tristes, en particulier ceux qui restaient (prisonniers) à la BT et n’étaient pas licenciés. Certains ne comprenaient pas mon attitude alors que j’avais 35 ans de présence dans la boîte. La différence est que je n’ai jamais eu la culture d’entreprise. Des collègues étaient plus affolés que moi sur l’avenir et la peur de perte d’emploi. Le lendemain et les jours suivants, je me considérais en congé sauf qu’à chaque heure, je me disais « Tiens en ce moment, si j’étais à la BT, je ferais cela ou ceci ».
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Grandes dates de la Barre-Thomas 1815
Le nom de Barre-Thomas existe déjà au cadastre, c’est une grosse ferme sur la route de Lorient complètement en dehors de la ville.
1938
Installation de l’armée anglaise sur le site. Ils vont construire les actuels bâtiments de la direction.
1941
Arrivée de la Kriegsmarine (Marine de guerre allemande). C’est un stock de pièces détachées pour les sous-marins de Lorient. À cette date sont construits les blockhaus du quai ouest et celui derrière le restaurant. Peu après sera construite sur ce dernier blockhaus une maison où la Gestapo fera installer le mur des suppliciés qui existe toujours.
1946
Les aviateurs canadiens investissent le site.
1951
Citroën achète les terrains pour y construire sa première usine hors de la région parisienne. L’idée est d’absorber une partie de l’exode rural breton.
1953
Ouverture de l’usine de la Barre-Thomas qui commence à fabriquer des pièces en caoutchouc et des roulements à billes.
1960
Des lignes de presses sont installées au hall sud avant d’être implantées à Chartres-de-Bretagne. La Barre-Thomas est une base avancée pour la construction de La Janais. Plus tard, les deux usines seront regroupées dans le même site.
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1974
Rachat de Citroën par le groupe PSA (Peugeot société anonyme).
1980
Le premier cercle de qualité Citroën a vu le jour à la BarreThomas.
1981
Fin des roulements à billes, l’usine passe de 2 400 à 1 400 salariés. Le personnel travaillant dans ce secteur est principalement réintégré à La Janais.
1983
Brevet de cale à colonne qui sera repris dans le monde entier comme cale hydro-élastique pour supprimer les vibrations du moteur.
1998
Création du pôle élastomère Barre-Thomas qui prépare au désengagement prochain par PSA.
2000
Vente de la Barre-Thomas à l’Italien CF Gomma, un petit caoutchoutier du nord de la péninsule qui double son effectif.
2001
Construction d’un nouveau lieu de stockage le « hall ouest ». Ce bâtiment fut à l’origine d’une crise qui faillit mettre fin à l’usine. La perte financière fut d’environ 20 millions d’euros.
2002
Premiers transferts de machines et outillages vers l’Italie et surtout la Pologne, la Roumanie et le Maghreb.
2003
Mario Cancarini laisse sa place à son fils Piétro-Frédérico. Ce dernier n’est pas à la hauteur, son action va ruiner l’entreprise. Pour autant, l’activité atteint un niveau historique avec 3 000 personnes dont 1 000 intérimaires.
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2004
Achat de la « Pologne » 37 millions d’euros à CF Gomma. Cette action qui a comme seul but de donner de l’argent aux Italiens, va ruiner la Barre-Thomas.
2005
Dépôt de bilan dû à la mauvaise gestion des Italiens
2006
Vente à Silver Point (fond de retournement Anglo-américain) de la Barre-Thomas et premier plan social (PSE) qui va licencier essentiellement des préretraités et des volontaires. Il n’y a plus que 1 650 salariés.
2007
Deuxième plan social qui est subi comme un désaveu humain. Le personnel ciblé par la direction : les « vieux », les « brebis galeuses », les « canards boiteux » et les syndicalistes. À l’issue de ce plan il ne reste plus que 1 300 salariés.
2009
Troisième plan social qui annonce la perte de 250 emplois sous le signe d’un volontariat déguisé. Le 12 février 2009, le tribunal de grande instance de Rennes déclare nul le plan social adopté le 10 mai 2007 par la Société des polymères Barre-Thomas. Le 24 septembre 2009, la Cour d’appel de Rennes confirme le jugement en ce qu’il a annulé le plan social adopté le 10 mai 2007.
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