L'Évolution des espèces - 1. Les preuves

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Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-436-5 9,80 euros TTC en France

L’Évolution des espèces

Nature

Espace des sciences

L’Évolution des espèces - 1. Les preuves

Dans la même collection Les Araignées Du Big Bang à nos jours Le Ciel au fil des saisons L’Évolution des espèces - 2. Les mécanismes Les Gorilles La Lune, vérités et légendes La Mesure du temps Les Météorites Le Phénomène des marées Les Planètes extrasolaires Le Système solaire La Vie dans l’univers Vie et mort des étoiles

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Non seulement il y a des libellules géantes dans le charbon mais les serpents ont en réalité des pattes et c’est de l’eau de mer diluée qui coule dans nos veines. À première vue, tous ces faits véridiques sont ahurissants mais on les comprend très facilement à condition de poser cette question : les espèces vivantes évoluent-elles ? En suivant pas à pas les étapes de la démarche scientifique, les auteurs y répondent avec une constante simplicité.

1. Les preuves

Maxime Hervé et Denis Poinsot

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La science partagée En quelques années, les nouveaux moyens d’observation et les grandes avancées scientifiques ont bouleversé nos connaissances de l’Univers. Plus que jamais, le public a besoin d’établir un dialogue avec les chercheurs pour satisfaire sa soif d’information. L’objectif de l’Espace des sciences est de mettre les sciences à la portée de tous, afin que la culture scientifique devienne une composante essentielle de la culture, de l’éducation et du savoir lui-même. Installé dans les Champs Libres, dans le cadre de Rennes Métropole, aux côtés de la bibliothèque et du musée de Bretagne, l’Espace des sciences organise son activité autour de quatre axes : - réalisation de nombreuses expositions temporaires et permanentes, activités de médiation scientifique en lien avec les sujets exposés ; - animation scientifique d’un planétarium numérique afin de populariser l’astronomie ; - édition d’une revue mensuelle de la recherche Sciences Ouest et développement d’un site multimédia www.espace-sciences.org ; - organisation des mardis de l’Espace des sciences, de conférences publiques sur des thèmes d’actualité. D’autres ouvrages paraîtront dans cette collection pour vous permettre de mieux comprendre le monde. Bonne lecture et bienvenue à l’Espace des sciences ! Jacques Lucas

Michel Cabaret

Président de l’Espace des sciences

Directeur de l’Espace des sciences

Les auteurs : Maxime Hervé est doctorant en écologie des interactions plantes / insectes à l’INRA de Rennes. Denis Poinsot est maître de conférences en biologie animale à l’université de Rennes 1. Image de couverture © Denis Poinsot © Éditions Apogée, 2013 ISBN 978-2-84398-436-5


Maxime Hervé Denis Poinsot

L’Évolution des espèces 1. Les preuves

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Les espèces ont-elles évolué ? Un monde à la dérive En survolant le détroit de Gibraltar en avion, la plus puissante longue-vue ne vous permettrait pas de déceler le moindre mouvement de l’Afrique par rapport à l’Europe. Or, la Méditerranée est pourtant en train de se fermer, mais bien trop lentement pour que vous le perceviez à l’œil nu. De même, si vous observez attentivement les sommets des Alpes, ils vous paraîtront immobiles alors qu’ils sont en train de se soulever (mais très lentement : environ 1 mm par an). L’impression de permanence du monde minéral qui nous entoure est une illusion due au fait que, tels des éphémères, nous l’observons habituellement pendant une durée bien trop brève et avec des moyens bien trop grossiers pour y percevoir un changement. Or, nous disposons aujourd’hui de la technologie permettant de mesurer à quel point même les continents bougent et les montagnes grandissent. Les géomètres modernes sont capables de déterminer la position de n’importe quel point du globe avec une précision inférieure au millimètre. Leurs mesures ont permis de confirmer l’intuition audacieuse d’un climatologue allemand (Alfred Wegener) qui dès 1910 avait conclu que les continents n’avaient pas toujours été à la même place qu’aujourd’hui, ce qui supposait qu’ils se déplacent lentement les uns par rapport aux autres. Ce déplacement est aujourd’hui mesurable, il est de l’ordre du centimètre par an. On le doit aux mouvements des couches rocheuses profondes de la Terre, maintenues plastiques par les très hautes températures qui y règnent (ce dont on s’aperçoit lorsqu’un volcan fait remonter de la lave venue des profondeurs). Sous ces poussées colossales, la fine surface de l’écorce terrestre — formée de roches refroidies et donc rigides

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— est fracturée en plaques qui glissent lentement les unes par rapport aux autres et se percutent, ou au contraire s’éloignent les unes des autres. L’océan Atlantique s’élargit ainsi à mesure que l’Afrique s’éloigne de l’Amérique du Sud. De même, la Méditerranée se ferme lentement car la plaque qui porte l’Afrique est en train de se glisser sous celle qui porte l’Europe. Sous cette poussée, l’Espagne et l’Italie sont d’ailleurs en train de « percuter » la France — ce qui a formé des plissements spectaculaires (les Pyrénées et les Alpes) et engendre des chocs (les tremblements de terre assez fréquents dans ces régions).

Fig. 2. Même les continents bougent. À gauche : au Jurassique, il y a 170 Ma (Ma : million d’années), l’Afrique et l’Antarctique étaient alors rattachés à l’Amérique du Sud (flèches). À droite : à l’Éocène, il y a 50 Ma, les deux Amériques étaient séparées et la Méditerranée était largement ouverte sur l’océan Indien (flèches).

La vie, seule force au monde épargnée par le changement ? Sur notre planète où même les continents et les montagnes bougent lentement mais inexorablement, la vie semble la seule force capable de résister au changement. En effet, les générations d’êtres vivants se reproduisent perpétuellement, chacune étant semblable à la précédente. Ainsi, partout autour de nous, les lapins engendrent des lapins en tout point semblables à leurs parents lapins, de même qu’il sort exclusivement des mésanges des œufs de mésanges et que si l’on sème des graines de coquelicot, il poussera des coquelicots et rien d’autre. Deux hypothèses peuvent expliquer ces observations. Selon la première, qui repose sur le bon sens, les êtres vivants se ressemblent de génération en

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d’ouverture nulle part ! C’est un peu bête d’avoir des ailes et de les enfermer dans un coffre-fort dont on soude la porte, non ? Pourquoi des ailes puisque ces carabes ne peuvent pas s’en servir ? C’est l’évolution qui a fait le coup. En se spécialisant dans la chasse au ras du sol parmi les feuilles mortes, les carabes ont évolué, à partir d’ancêtres volants, en développant de longues pattes agiles et ils attrapent maintenant leurs proies à la course. Comme en plus, leurs glandes puantes éloignent les prédateurs, plus besoin de s’envoler à la moindre alerte. Il devient donc inutile d’entretenir de gros muscles de vol, coûteux en énergie. Bref, la soudure des élytres qui enferme à jamais les ailes des grands carabes ne fait que parachever ce processus évolutif et assure de surcroît l’étanchéité de la boîte dure qui protège leur dos. Le plus souvent, les ailes qu’on y trouve enfermées sont réduites à presque rien, signe qu’elles disparaîtront totalement un jour.

Fig. 17. Des ailes pour rien. Ce grand carabe des sous-bois Carabus intricatus aurait bien du mal à voler : ses ailes sont réduites à des moignons (photo : © Bernard Le Garff).

Des dents chez les édentés La très grande majorité des mammifères ont des dents, mais pas tous. Parmi les espèces sans dents on peut citer les fourmiliers (qui attrapent fourmis et termites avec leur langue gluante et les avalent sans les mâcher) et les baleines

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à fanons (qui filtrent leurs proies minuscules au moyen de leurs fanons, qui sont de longues lamelles de corne). La Nature, dans sa sagesse, aurait donc conçu ces espèces sans dents parce que des dents leur seraient inutiles ? Soit. Mais alors… pourquoi ces animaux ont-ils des dents lorsqu’ils sont encore dans le ventre de leur mère ? Car oui, suivez le développement embryonnaire d’un fourmilier ou d’une baleine bleue et vous verrez apparaître le début d’un développement dentaire, avec formation d’ivoire dans des alvéoles creusées dans la mandibule de l’embryon, comme chez tous les autres mammifères. C’est seulement dans la suite du développement embryonnaire que ces dents se résorbent. Faire et défaire c’est toujours travailler, mais cela représente une double dépense d’énergie inutile (d’une part pour former la dent, d’autre part pour la détruire). On est encore une fois en train d’observer l’effet de gènes ancestraux, car les premiers mammifères avaient tous des dents. L’absence de dents chez les fourmiliers et les baleines à fanon est donc un phénomène secondaire survenu au cours de l’évolution, par adaptation à leur régime alimentaire constitué de petites proies qu’ils peuvent avaler sans mâcher. Cette perte des dents est obtenue en résorbant les dents embryonnaires avant qu’elles ne se développent complètement. Parfois le phénomène est plus tardif : les petits du célèbre ornithorynque (un mammifère qui n’a pas de dents mais de simples plaques cornées) naissent avec des petites dents pointues… qu’ils perdent toutes avant d’avoir eu l’occasion de les utiliser. Quel dommage, des dents toutes neuves…

Fig. 18. Sitôt denté, sitôt édenté. L’ornithorynque possède de petites dents pointues à sa naissance, mais n’a jamais l’occasion de s’en servir (photos : © Keith Lester & Alan Boyde).

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Tous cousins : l’arbre de la vie Un arbre oui, mais pas généalogique On ne connaît pas l’arbre généalogique des espèces Si l’évolution des espèces a bien lieu, alors les espèces actuelles dérivent d’espèces ancêtres aujourd’hui disparues. Il y aurait donc une sorte de généalogie entre espèces du passé et espèces actuelles ? Oui, mais personne ne la connaît. Pourtant, vous avez probablement remarqué que l’on représente les espèces actuelles sur un arbre, parfois appelé « l’arbre de la vie ». C’est vrai, mais cet arbre ne représente pas ce que vous croyez. Ce n’est pas un arbre généalogique mais un arbre phylogénétique. Cela signifie qu’il indique quelles espèces actuelles sont proches les unes des autres (elles sont sur des branches proches) et quelles sont les espèces actuelles éloignées les unes des autres (elles sont sur des branches éloignées). Vous remarquerez que l’on n’indique jamais que telle espèce descend de telle autre puisque, par définition, aucune espèce actuelle ne descend d’une espèce actuelle : chaque espèce moderne descend d’une espèce ancêtre, qui elle-même descend d’une espèce encore plus ancestrale… Ainsi, la phrase bien connue « l’homme descend du singe » est absurde si l’on entend par là que l’homme aurait pour ancêtre le chimpanzé, le gorille ou toute autre espèce de singe actuelle. Les espèces de singes actuelles sont contemporaines de l’espèce humaine, elles ne peuvent pas être nos ancêtres. La phrase « l’homme descend du singe » est en fait un raccourci journalistique qui n’a rien à voir avec ce que nous connaissons de notre lignée. Nous verrons plus loin que l’homme moderne a simplement des ancêtres en commun avec les singes actuels (ce qui n’est pas du tout la même chose qu’avoir

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les singes actuels comme ancêtres !) et que le « cousin » le plus proche de l’homme dans la faune moderne est effectivement le chimpanzé — le gorille étant un « cousin » plus éloigné et l’orang-outan un « cousin » encore plus éloigné.

Fig. 24. Proximité génétique entre les grands singes. Nos plus proches cousins dans la faune actuelle sont les chimpanzés. De gauche à droite : chimpanzé, homme, gorille, orang-outan, gibbon.

Proximité, éloignement : tout est génétique Mais qu’appelle-t-on « proche » et « éloigné » au juste lorsqu’on parle d’espèces ? Comment mesurer une distance entre deux espèces ? Cette distance n’a rien à voir avec la distance géographique : il s’agit d’une distance génétique. Chez les espèces modernes, on peut la mesurer avec une grande précision en utilisant l’ADN. En comparant l’ADN de deux espèces, on compare leurs gènes, que l’on peut « lire » aujourd’hui lettre à lettre (on obtient alors les fameuses et interminables suites de ACGTGATATGCGTTTC…). Plus les séquences d’ADN de ces gènes se ressemblent, plus il y a proximité génétique. Ainsi, on sait que le chimpanzé est le plus proche « cousin » de l’homme moderne parce que l’ADN de l’homme est plus proche de celui du chimpanzé que de celui de n’importe quelle autre espèce vivante. Cette proximité est très élevée (en moyenne 99 % d’identité entre les séquences d’ADN humain et celles de chimpanzé), ce qui ne signifie pas du tout que l’homme descend du

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quelques informations. Il a été retrouvé en 2001 au Tchad (en Afrique centrale), et a été nommé Toumaï. Cet individu très ancien, qui date de 6 à 7 Ma, possède à la fois des caractères qui le rapprochent de l’homme (notamment une face peu projetée vers l’avant), des caractères qui le rapprochent des chimpanzés (notamment un faible volume cérébral : 380 cm3) et des caractères qui le rapprochent du gorille (notamment des insertions musculaires à l’arrière du crâne qui ressemblent plus à celles du gorille actuel qu’à celles des chimpanzés actuels). L’une des données manquantes essentielles est que l’on ne sait pas s’il était bipède ou non. Toumaï pourrait donc être antérieur à la divergence qui a donné le gorille d’une part et le groupe chimpanzés-homme d’autre part. Mais il pourrait aussi être un ancêtre commun seulement aux chimpanzés et à l’homme, voire uniquement l’un des précurseurs de la lignée humaine…

Dans la lignée humaine… il n’y a pas que des hommes ! FIG. 38. Squelette de Lucy.

En 1974 a été découvert en Éthiopie le squelette d’un individu datant de 3,2 Ma et appartenant clairement à la lignée humaine. La colonne vertébrale à quatre courbures, le bassin court et large ainsi que d’autres caractéristiques du squelette ne laissaient en effet aucun doute sur le fait que l’individu était bipède. Cependant sa démarche, incertaine, était bien moins « au point » que celle de l’homme actuel et il grimpait encore largement aux arbres. De plus, son volume crânien était de 400 cm3, semblable à celui des autres grands singes actuels. Ce squelette, la célèbre Lucy, a été classé parmi un groupe d’espèces appelées australopithèques. Il montre qu’il y a environ 4 Ma, un processus

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d’hominisation avait déjà commencé en Afrique de l’Est. À l’époque de sa découverte, on pensait que Lucy et les autres australopithèques (une dizaine d’espèces au total) étaient les ancêtres directs de l’homme, apparus après la divergence d’avec la lignée qui a donné les chimpanzés. Seulement en 2000 a été découvert au Kenya un autre squelette, nommé Orrorin et datant de 6,2 Ma. Lui aussi fait clairement partie de la lignée humaine, cependant sa bipédie était bien plus proche de celle des hommes actuels que de celle de Lucy (alors qu’Orrorin est plus vieux de 3 Ma). Il nous apprend donc que les australopithèques ne sont pas nos ancêtres directs. Ils appartiennent à la lignée humaine mais en sont seulement un rameau qui s’est éteint. Orrorin quant à lui peut être interprété soit comme le dernier intermédiaire entre australopithèques et hommes, soit comme appartenant au seul rameau qui a conduit à l’homme actuel. Ainsi la lignée humaine n’est pas un enchaînement linéaire d’espèces conduisant inévitablement à l’homme moderne. Cela n’a rien d’étonnant, car l’évolution est buissonnante et part dans toutes les directions possibles — en témoigne l’incroyable diversité du vivant. Plusieurs rameaux se sont ainsi formés à l’intérieur de la lignée humaine — trois plus précisément, dont deux sont éteints : les australopithèques et les paranthropes. Les australopithèques ont vécu d’il y a 4 Ma à il y a 2,5 Ma, en Afrique de l’Est et du Sud. Ils vivaient dans la savane, qui a succédé aux forêts denses dans ces régions et à cette époque, mais restaient cependant surtout arboricoles. Les paranthropes ont côtoyé les australopithèques, puisqu’ils ont vécu dans la même région et en partie à la même période (d’il y a 2,7 Ma à il y a 1 Ma). Différenciés probablement à partir de la même espèce d’australopithèques que celle à laquelle appartenait Lucy, ils étaient plus grands et surtout bien plus robustes. Leur volume crânien était également supérieur (420 à 600 cm3, contre 380 à 500 pour les australopithèques) et ils avaient une bipédie plus affirmée.

Homo habilis, le premier homme Le premier homme indiscutable (et donc la première espèce nommée Homo) est Homo habilis, découvert en 1959 en Tanzanie [cf. Fig. 39, p. 60]. Il a vécu

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Sommaire Introduction 5 Les espèces ont-elles évolué ?

6

Un monde à la dérive

6

La vie, seule force au monde épargnée par le changement ?

7

Un plongeon dans le temps

11

Au fait, comment connaît-on l’âge de tous ces fossiles ?

20

Les baleines : histoire d’un retour à la mer

21

Des preuves ici et maintenant

25

Tous cousins : l’arbre de la vie

36

Un arbre oui, mais pas généalogique

36

Analogie et homologie : les sœurs ennemies de l’évolution

40

Classification moderne et grande suprise de l’ADN

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Les origines de l’homme moderne

49

La place de l’homme dans le règne animal

49

Retracer l’évolution de la lignée humaine : un défi ardu

52

De Toumaï à l’homme moderne

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Conclusion 62

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Remerciements

Merci à Bernard Le Garff, Keith Lester & Alan Boyde, Hans Thewissen, Milan Kořinek et Anne Boudier de nous avoir gracieusement permis de reproduire leurs illustrations originales. Merci également à Sonia Dourlot pour son aide dans la réalisation de la maquette de la couverture et pour sa relecture. Merci enfin à Anne Boudier et Annie Beaumard pour leur relecture.

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