Funestes fantaisies

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Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-466-2 15 € TTC en France

Robert Piccamiglio Funestes fantaisies

Né au printemps 1949 de parents italiens et naturalisé français dix ans plus tard, Robert Piccamiglio a travaillé toute sa vie comme ouvrier. En parallèle il a construit une oeuvre littéraire qui aborde tous les genres. Il a déjà publié un roman aux Éditions Apogée : Toute la meute (2014).

Funestes fantaisies

Éditions Apogée

Ces seize nouvelles dessinent le portrait d’une galerie d’hommes et de femmes — personnages étranges, drôles, pathétiques, tragiques, lunaires, attendrissants ou fatalistes — pour lesquels la figure du père est omniprésente. Certains sont morts et bien d’avantage. D’autres toujours vivants et ricanants. Certains très fantaisistes. D’autres funestes absolument. Certains aspirent à être quelqu’un d’autre. D’autres se contentent de ce qu’ils sont. Certains attendent quelque chose qui ne vient pas. D’autres n’attendent rien. Certains se débattent. Espèrent ou n’espèrent rien. Certains poursuivent un rêve. D’autres ne rêvent plus. Certains s’accrochent à leurs souvenirs. Chassent les fantômes du passé ou les tempêtes du présent. D’autres n’ont plus de souvenirs. Chacun marchant dans la même direction sur les lignes de front de cette existence que nous avons pris en location et dont il nous faudra, le moment venu, rendre les clés. Mais quand ? Et à qui ?

Robert Piccamiglio



Fausto Je suis né aux premiers jours du printemps. J’aime le printemps et ses saveurs. Une saison céleste et chatoyante. Au printemps, l’année où Fausto Coppi a gagné le Tour de France en seigneur de la route. En archange du goudron. En Icare des massifs montagneux grimpés à la pédale. Passionnément. Tout ça nous remet à loin. Le père était un homme heureux quand Fausto Coppi, le prince de l’asphalte coiffait Français, Belges, Espagnols, Portugais, Néerlandais sur la ligne d’arrivée. Français surtout. Mille bravos Fausto à la une de La Gazzetta Dello Sport. Heureux à en chialer. Non, le père ne pleurait jamais. Il n’avait pas appris. Comme il n’avait pas appris à lire et écrire. Mais il savait compter. Fier aussi de la victoire de Fausto. Fier et heureux, le père n’avait pas tellement l’occasion de l’être. Je ne crois pas qu’il était taillé pour le bonheur. Taillé pour quoi ? Je n’en sais rien. Pour la solitude à coup sûr. Trop de lassitude. De

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renoncement. De fatigue à porter à bout de bras. Il ne s’en plaignait pas. C’était sa marque de fabrique comme d’autre l’ignorance, la connerie ou l’arrogance. Le père ne causait jamais. Ou rarement. Juste l’essentiel. Un mot jeté à la volée. Une phrase complète quand il était d’humeur. Rare qu’il fasse des tentatives. Il naviguait en permanence en solitaire entre deux temps morts. Fausto aussi naviguait en solitaire. Son credo. Sans doute que le père n’avait rien à dire de plus que l’on ne sache déjà. Pensant sans doute que tout avait déjà été dit. Il ne donnait jamais de conseils. Les frères et moi on a fait sans. Certains disent que les conseils des parents ne tiennent pas, à l’inverse de Fausto sur le bitume, la distance devant l’existence. Le père devait le savoir. Des conseils, pourquoi faire, à nous petits ritals nés dans une mansarde flanquée d’une cuisine borgne, rue des Pervenches, avec les chiottes à partager sur le palier. Ça vous donne dès l’enfance, allez savoir par quel mystère, le goût de l’aventure. Des grands espaces et du partage. Pourtant, aucun dans la fratrie n’a pris son envol. Pour aller où ? On est restés de modestes anonymes collés au goudron comme Fausto devant le peloton la tête dans le guidon. On s’est toujours arrangés à l’image du père pour faire le moins de bruit possible. Discrets. Rasant les bas-côtés de la route. Ce n’était pas le moment de se faire remarquer. Nous les bouffeurs de pâtes. On nous l’a souvent jeté en pleine face qu’on venait manger le pain des Français. Pourtant c’est rare que l’on mange du pain avec des pâtes. Les gens sont ignorants des secrets de la table et des cultures culinaires.

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Tenez, ça me rappelle que la mère pendant la guerre était bonne à tout faire dans une boulangerie du centreville. Parfait comme boulot pour s’essayer avec succès au marché noir. La mère ne s’est pas privée. Du cousu main. De belles manigances. Je l’entends encore nous dire : - Votre mère n’est pas plus bête qu’une autre. La famille n’avait donc jamais manqué de pain. De pâtes, je ne sais pas. Je n’étais pas encore venu enfourcher, innocent, le grand monde du dehors. Me cogner à ses culs de sac, ses éclaboussures et ses impasses. Avec l’argent gagné honnêtement au marché noir, la mère s’était payée une superbe bicyclette noire ornée d’un charmant porte-bagages. J’ai voyagé sur ce porte-bagages. Parti moi aussi à l’aventure avec maman. Pour l’essentiel en direction, le matin, de l’école privée. Important de ne pas rester ignorant. À l’école, je n’ai rien appris d’admirable. Juste appris, à l’inverse du père, à lire et écrire. Avec ça je pourrai aller loin dans l’existence. Tracer ma route. Comme Fausto. Paroles de la mère. Je ne suis pas allé très loin. Ni bien haut. Aucune importance, j’ai toujours su me contenter de peu. J’ai appris dès l’enfance. On y revient donc toujours aux deux roues. Aux vélos. Aux bicyclettes. Toutefois, soyons juste : à Fausto, bel homme, la mère ne s’y intéressait pas. Pourtant elle était sensible à la beauté. À la grâce. À l’élégance. C’est ce qui l’avait séduite chez le père. Un bal de campagne, un dimanche après-midi. La mère adore danser, un autre de ses péchés mignons avec les fleurs de géranium dans des bacs en plastique suspendus au balcon. Le père vient de franchir la porte d’entrée de la salle de bal. Il se tient

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droit, la tête levée. Il l’a toujours eu dans sa jeunesse, la tête levée. Vieux, il marchera tête basse. La mère s’adresse à sa copine du moment, lui dit : - Mado, t’as vu le beau gars qui vient d’entrer ? C’est toujours comme ça que commencent les grandes sarabandes de l’amour. Les envolées chevaleresques. Le Graal. La coupe aux lèvres. La musique des anges. Après les choses finissent par se gâter. S’épuiser. L’amour ne sourit plus. C’est écrit. Personne n’y échappe. On se retranche derrière l’indifférence. On s’accommode. Fausto, combien de femmes a-t-il aimées ? Restons pudiques. L’histoire ne le dira pas. Je m’égare. Zigzague en pure perte sur la route. L’habitude. Je reviens dans la course. Impossible d’échapper à la meute sanguinaire : ma hantise. Elle me serre de près. Comme le vélo, le père, Fausto, elle me poursuit. Obscure et tentaculaire. Toutes griffes dehors. Prête à me déchiqueter. Il faut que je me remette en selle. Presto. Ce n’est pas le moment de fanfaronner. Restons concentrés. La mémoire galope, du jus plein les mollets. Les muscles tirés à quatre épingles. Du bon air plein les poumons. Dans la cage thoracique le feu couve. Puissant. Le sang se précipite jusqu’au cœur. Il mène la danse. Tente de rester dans le rythme de la vie. Effrontément. Je me tiens debout sur les pédales du destin. Celui de Fausto. Celui du père. Le mien. Pour le père et moi, rien de reluisant à offrir. Que de misérables rêves à la petite semaine. Beaucoup de désillusions. Des regrets. Mais qui n’en a pas ? Ce n’est pas rare que je me dise qu’il y a tant de destins

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par lesquels nous aurions pu ne pas venir au monde. Nous frotter à la vie. À la mort. Aux mépris. Aux injures et aux menaces. Je ne voudrais pas me laisser distancer par le peloton. Ne pas subir l’échappée qui se prépare. Je ne pourrais pas la rattraper. À l’inverse de Fausto, je n’ai déjà plus les jambes. Plus le coffre nécessaire. Ni la force. Ni le courage. Je manque diablement de puissance. Il en faut pour accepter l’ordre des choses. Comment le père s’y prenaitil ? Je me cramponne à la route. Personne pour applaudir. M’encourager. Me tendre un bidon d’eau fraîche. J’ai les yeux rivés sur une ligne blanche imaginaire. Je roule seul, ça me convient. Les années. Les mois. Les saisons défilent au pas de course ; d’un seul élan, elles traversent des plaines. Franchissent des cols. Redescendent dans la vallée. Rapides. Toniques. Pareilles à un jet d’éclairs dans un ciel d’été. Je sais que seul ou accompagné du père, je ne gagnerai jamais aucune course. Je me souviens, on se faisait traiter de piafs dans la cour de l’école. Sous le préau par temps de pluie. C’est heureux que j’aime les oiseaux. Leur légèreté. Leur grâce qui toujours me frappe au cœur. La mémoire est un pédalier huilé, perfecto. Elle se cramponne diablement sur les pavés d’une route qui ne mène nulle part. Fidèle au rendez-vous. Jamais en retard. Même pas d’un soupir. Sur le pont. Enthousiaste. Parfois sur le pied de guerre. Parfois prête à signer l’armistice. À parapher l’acte de paix. La mémoire. Les souvenirs. Ils me tamponnent l’esprit. Se collent aux nombreuses alvéoles du cerveau. Vivaces. S’appuient sans ménagement aux parois glissantes de ma

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boîte crânienne. Je me suis souvent demandé : « Tous ces souvenirs, pourquoi faire ? Avec qui aujourd’hui les partager ? Ils finiront comme nous, Fausto, le père et moi, par se perdre à jamais dans l’oubli. Combien de temps cela prendra-t-il ? Qui peut le dire ? » Nous faire traiter de piafs, je n’ai jamais compris pourquoi. Quelle signification cela pouvait-il avoir ? C’est tendre, un oiseau. Aimable et paisible. Capable de franchir d’un seul coup d’aile l’écume du ciel, élégamment, comme Fausto le sommet du col, pendant que nousmêmes restons collés aux chaos des voies sans issues. Le père acceptait les insultes et les crachats. Moi, je les entends encore, les insultes. Je les sens encore derrière mon dos, les crachats. Fausto Coppi, au père, c’était son oxygène. Sa bouée de sauvetage. Son arrivée au port. Glorieuse. Son jeté d’ancre. Sa petite revanche personnelle. Mais sur quoi ? Jamais eu la curiosité de lui demander. Le père n’acceptait pas les questions. Si on avait osé, ça ne changeait rien, il n’aurait pas répondu. Il n’en posait pas lui-même. S’inquiéter par exemple de savoir si on travaillait bien à l’école des curés portant soutane jusqu’aux chevilles et grand crucifix de bois autour du cou, boulevard des Cordeliers. Un « Je vous salue Marie pleine de grâces » ou un « Notre Père qui êtes aux cieux » au choix, à chaque début de classe le matin. L’après-midi. J’en ai bouffées, des bondieuseries. À m’en filer la gerbe. J’ai appris que nous étions tous égaux devant Dieu et sa clique. Alors pourquoi nous les ritals n’avions pas le droit de mélanger, sur les portemanteaux dans les couloirs menant aux

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salles de classe, nos vêtements avec les petits Français de notre âge ? Dieu devait avoir ses préférences sur les nationalités. Il ne se rangeait pas de notre côté. Peutêtre avions-nous commis trop de fautes. Mais lesquelles ? Pourtant, tout avait été fait dans les règles de l’art. Dans le respect des traditions. La religion, on était tombés dedans à la naissance. Tête la première dans le bénitier. Baptisés. La petite communion. La confirmation. La confession. Tout le bazar. Le grand guignol. Les impostures. Impossible d’y échapper. C’était maintenant une certitude. Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que Dieu n’aurait jamais la bonne idée de se pencher sur nos tristes sorts. Nos minables espérances. Inutile de lui demander de venir à notre secours. Nous soulager de nos peines et nos chagrins d’enfants. De nous aider à supporter insultes et crachats. De les accepter. Il ne nous aurait pas entendus. J’ai fini par ne plus croire en Dieu, à sa toute puissance. Lui, le bougre, créateur de toutes choses ici-bas à ce qu’on disait. Vélos avec portebagages y compris. Croire en Dieu, en voilà une grande affaire, moi qui depuis toujours ai tant de mal à croire aux hommes. Je ne crois qu’aux dieux du tonnerre et de la mécanique qui pédalent en pure perte dans le vide et l’invisible. L’école des curés place des Cordeliers devait faire de nous des hommes cultivés. Des hommes qu’on respecterait. Ce n’était pas gagné. Civilisés, nous l’étions déjà grâce à la naturalisation. Un sésame. Il le fallait. Les parents, la mère surtout, souhaitaient plus que tout qu’on se paye quatre murs. Un appartement avec un

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balcon, que le soleil puisse entrer toute l’année, comme bon lui semble. Un balcon pour y accrocher ses bacs de géranium, la mère en raffolait. Je les ai en horreur ces fleurs. Autre avantage : plus obligé de partager avec les autres locataires les chiottes sur le palier comme rue des Pervenches. Outre une chiotte, une salle de bain. Fini de se laver le matin dans une grande bassine en aluminium. Quatre murs, ça coûte son pesant d’argent. Ce bel argent qui fait tourner le monde. Un seul organisme de crédit : le Crédit Foncier de France. Condition non négociable : être Français. Soit de souche. Soit par naturalisation. Pas le choix si on voulait que s’ouvrent miraculeusement les portes de la félicité. Se faire Français comme avait dit la mère. Je la revois tout émue. Elle y tenait fermement. Pas le père. Il devait avoir sa dignité. Je n’ai jamais su si après il l’avait perdue. Le fonctionnaire de la préfecture avait délicatement suggéré de modifier notre nom italien. Le franciser. C’était le terme employé. Suggestion refusée. Le père comme Fausto échappé du peloton a tenu bon. Une chance. Le père, des années plus tard, m’avouera n’avoir jamais dit aux grands-parents, à Santa Brigida, province de Bergame, que nous étions devenus Français grâce aux bons soins de la République. J’avais osé lui poser la question de savoir pourquoi avoir gardé le secret. Le père m’avait répondu : - Si mes parents avaient su qu’on était devenus Français, je n’aurais plus été autorisé à franchir les portes de la maison. Obligé de coucher dehors avec le chien. Modifier le nom, le franciser, certains l’ont fait. La mère le souhaitait. Pour une fois, le père avait gagné le

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combat. Un combat au corps à corps. Il fut rude. J’étais gosse, m’en souviens encore. Je n’ose pas imaginer ce que notre nom serait devenu. J’ai gardé précieusement pendant longtemps le document de la préfecture flanqué du sceau de la République. Depuis je l’ai perdu. Quelle importance ? Ce n’était qu’une pauvre feuille de papier jauni par le temps qui passe et j’ai déjà perdu tant de choses dans l’existence. Cette année-là, l’hiver avait été long et féroce. L’année où Fausto avait gagné le Tour de France après s’être mangé et avec quelle élégance, le Giro. Coup double. C’était lui, le maître de cérémonie. L’orfèvre de l’asphalte. Le prince du goudron. De la montagne et de la plaine. Pour lui, les trompettes de la renommée, et avec quel panache, disait le père qui suivait ses exploits en écoutant la radio. En se pâmant devant ses photographies étalées à la une des journaux italiens. Qu’importe qu’il ne sache pas lire. Les photos suffisaient à son bonheur. Oui, c’était le temps des éclaircies et du bonheur. Le malheur viendrait toujours assez vite. Onze années plus tard, exactement. La nuit de la Saint Sylvestre. Fausto vient pour la dernière fois, dans un hôpital de Milan, de franchir en solitaire la ligne d’arrivée en bout de piste. Personne pour l’accompagner. Il fait trop froid. Trop nuit. L’obscurité, quand on y pense, peut être si désespérément avide, tenace et menaçante. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Non. Il nous a fallu poursuivre notre route, à l’inverse de Fausto devenu non plus prince de l’asphalte mais prince des ténèbres pour l’éternité. Le père souhaitait une fois dans sa vie, avant d’arriver lui aussi tout au bout de piste et de prendre son

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envol, aller se recueillir sur la tombe de son campionissimo. Ce fut chose faite quand j’ai été en âge de conduire une automobile. Le père ne savait pas conduire une automobile. Il se déplaçait sur un vélo sans porte-bagages. Gosse, je n’ai jamais voyagé avec lui. On s’est retrouvé à Castellania par une belle journée de printemps. La luminosité était au point. Aucune barrière dans le ciel pour nous empêcher de regarder au-delà des cimes majestueuses. L’horizon prêt à bondir. Sympathique. Nous accompagner de ses grâces et ses sourires. Le père s’est signé devant la tombe de Fausto, pas moi. Puis il a prononcé, à l’économie, quelques mots en italien, des mots auxquels je n’ai rien compris. La langue du père m’a toujours été étrangère. Elle l’est restée. Puis le père à son tour s’est extrait en douceur, à la pédale, de la meute sanguinaire. De la route pavée de bonnes ou de mauvaises intentions. Du peloton qui s’étirait à perte de vue avant de se réduire à un seul homme. Le fantôme de Fausto peut-être. Redescendu des cols infranchissables. Quittant plaines, montagnes et vallées en longeant une rivière où l’eau continuera à toujours laver son lit. Les frères et moi l’avons porté sur nos épaules, lui et son cercueil, dans un coin reculé du cimetière choisi avec soin. Une concession à l’écart. Personne derrière son corps-mort pour faire la conversation. Une aubaine puisque le père ne parlait pas, ou si peu. Avant, on s’était invités à l’église pour une dernière bénédiction. Rapide. Gratuite. Bonne à prendre. Le père, des bénédictions de son vivant, n’en avait pas eu beaucoup.

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Il repose maintenant au cimetière des Tisserands. Entouré de sépultures qui portent pour la plupart des noms imprononçables. Des noms italiens qui chantent la plaine du Pô. La Lombardie. Santa Brigida. Bergame, Alta Cita où les gens se retrouvent sur les terrasses ombragées le soir pour parler. De tout. De rien. La Toscane, ses couleurs d’où jaillit la lumière. Venise, ses pigeons, ses canaux, ses gondoles. Le pont des Soupirs. Rome, ville éternelle. La dolce vita. Rome et ses faubourgs où erre sans but ni direction le voleur de bicyclette. Ces noms, ces villes résonnent dans ma tête. Dans ma mémoire, compagne à jamais fidèle au rendez-vous. Entouré de tous ces noms imprononçables, le père serait en bonne compagnie. Rassuré. Apaisé. Bientôt son propre nom et prénom de baptême, ainsi que sa date de naissance et celle de sa mort seraient gravés dans le marbre gris pour un demi-siècle. On avait le temps de voir venir. Ce jour-là, comme pour le jour de notre pèlerinage à Castellania sur la tombe de Fausto, le ciel était dégagé. Pas avare en luminosité. Un ciel pas désenchanté. Insondable, c’est vrai, mais si pur et si dépouillé. J’ai senti que les dieux du tonnerre et de la mécanique qui pédalent en pure perte dans le vide et l’invisible se penchaient sur nous avec indulgence. Je leur en fus reconnaissant.


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Robert Piccamiglio Funestes fantaisies

Né au printemps 1949 de parents italiens et naturalisé français dix ans plus tard, Robert Piccamiglio a travaillé toute sa vie comme ouvrier. En parallèle il a construit une oeuvre littéraire qui aborde tous les genres. Il a déjà publié un roman aux Éditions Apogée : Toute la meute (2014).

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Ces seize nouvelles dessinent le portrait d’une galerie d’hommes et de femmes — personnages étranges, drôles, pathétiques, tragiques, lunaires, attendrissants ou fatalistes — pour lesquels la figure du père est omniprésente. Certains sont morts et bien d’avantage. D’autres toujours vivants et ricanants. Certains très fantaisistes. D’autres funestes absolument. Certains aspirent à être quelqu’un d’autre. D’autres se contentent de ce qu’ils sont. Certains attendent quelque chose qui ne vient pas. D’autres n’attendent rien. Certains se débattent. Espèrent ou n’espèrent rien. Certains poursuivent un rêve. D’autres ne rêvent plus. Certains s’accrochent à leurs souvenirs. Chassent les fantômes du passé ou les tempêtes du présent. D’autres n’ont plus de souvenirs. Chacun marchant dans la même direction sur les lignes de front de cette existence que nous avons pris en location et dont il nous faudra, le moment venu, rendre les clés. Mais quand ? Et à qui ?

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