Le Kiosque du Thabor, les métiers d'art au service du patrimoine

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Rémi Crézé et Elena Dantec

Sa silhouette légère et raffinée est bien connue des promeneurs qui arpen-

- Les métiers d’art au service du patrimoine -

Le

du

Thabor

Textes de Rémi Crézé et Elena Dantec Photographies de Jean-Claude Trébouvil Préface de Daniel Delaveau

tent les allées du parc du Thabor… Discret, le kiosque à musique a néanmoins traversé les décennies et

Le Kiosque du Thabor

aujourd’hui encore, on s’y retrouve avec plaisir pour des concerts. Mais pour que cette histoire continue, une importante restauration s’imposait : ce livre vous invite sur le chantier ! Du parquet au splendide épi de faîtage qui le couronne, ce sont huit corps de métier (maçon, fondeur, serrurier, menuisier, couvreur, peintre, émailleur) qui ont œuvré. Ces hommes et ces femmes animés par la passion, sont soucieux de transmettre leur savoir-faire et de participer ainsi à la

Éditions Apogée ISBN 978-2-84398-406-8 25 € TTC

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pérennité d’un patrimoine commun.

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« Ce qui m’a paru le plus étonnant, avant tout, c’est la manière miraculeuse dont bien des honnêtes gens voient les choses, au moyen de lunettes qui ne vont guère à mon nez. » Le Roman de Venise, Sand et Musset, José-Luis Diaz.

« La véritable tradition dans les grandes choses n’est point de refaire ce que les autres ont fait, mais de retrouver l’esprit qui a fait ces grandes choses et qui en ferait de tout autres en d’autres temps. » Paul Valéry, Tel Quel.

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PRÉFACE Au sein de ce site patrimonial qu’est le jardin du Thabor à Rennes, le kiosque est un petit joyau, « un petit monument » comme le disait le maire Le Bastard qui le considérait « comme ce qu’il y a de mieux dans le genre ». Victime des outrages du temps, il a retrouvé, en 2011, son éclat d’antan grâce au magnifique travail de rénovation réalisé par des entreprises de Rennes et de Bretagne. Ce livre retrace cette superbe aventure en mettant justement en valeur le formidable travail de ces artisans, leur savoir-faire et l’amour de leur métier. J’aime à utiliser, à leur égard, ce noble terme de « compagnons » auxquels notre grand écrivain breton Louis Guilloux a su si bien rendre hommage. Serruriers, maçons, peintres, menuisiers, doreurs, émailleurs, couvreurs, fondeurs… autant de métiers d’art qui se sont investis dans ce travail de rénovation pour redonner une âme à ce lieu. Aujourd’hui plus que jamais, la transmission de ces savoir-faire est une nécessité pour l’avenir. Elle est aussi une illustration de l’excellence rennaise et bretonne. Je veux remercier l’ensemble des entreprises qui ont participé à cette restauration d’un élément important de notre patrimoine ainsi que les services de la Ville et de l’État qui les ont accompagnés. Merci tout particulièrement à M. Rémi Crézé, Mme Elena Dantec, M. André Crenn et au photographe Jean-Claude Trébouvil pour la qualité de ce livre qui est à l’image de cette œuvre d’art qu’est le kiosque du Thabor. Daniel Delaveau, Maire de Rennes, Président de Rennes Métropole

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INTRODUCTION

Le jardin du Thabor et son kiosque à musique

Le parc, qui s’étend sur plus de dix hectares, appartenait, à l’origine, aux moines de l’abbaye Saint-Melaine, à l’évêque et à l’hospice des Catherinettes. Les bénédictins choisirent son nom en référence au mont Thabor, en Israël. Il passe dans le domaine public à la Révolution et la Ville entreprend de l’agrandir par l’acquisition de plusieurs parcelles privées. C’est au paysagiste Denis Bühler que la municipalité fit appel à la fin des années 1860, séduite par le jardin qu’il avait réalisé pour l’imprimeur Oberthür, rue de Paris. Ce grand aménageur, notamment connu pour avoir réalisé le parc de la Tête d’or à Lyon,

Les serres, dont la partie médiane fut reconstruite après les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. kiosque-thabor_Vfinale.indd 7

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Le mobilier urbain s’intègre parfaitement aux différentes atmosphères du jardin.

imagina alors le Thabor, que l’architecte de la ville, Jean-Baptiste Martenot, ponctua d’éléments de mobilier urbain, tels que les serres, la volière,… et le kiosque à musique en 1875. Le Thabor est l’un des lieux emblématiques de la ville, au même titre que le marché des Lices ou le Parlement de Bretagne. Les Rennais y sont particulièrement attachés. La diversité des espèces florales et la qualité de l’aménagement du jardin en font tout à la fois un lieu de détente, de contemplation et de rêverie au fil des saisons. Le visiteur profite d’un environnement où s’épanouissent mille trois cents arbres et plus de trois mille espèces de fleurs. Selon que l’on visite le jardin à la française, à l’anglaise, le jardin botanique circulaire ou encore la roseraie, que l’on chemine le long du carré Du Guesclin ou que l’on s’aventure près des grottes, les ambiances sont différentes. Louis-Michel Nourry, dans son ouvrage Les Jardins publics en province, remarque que « tout le talent du paysagiste Bühler […] a consisté à relier les trois jardins de style différent par l’aménagement de transitions souples ». Les atmosphères diverses du parc se

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Le fondeur

Du métier de fondeur, nous avons la vision d’une production exclusivement orientée vers l’industrie, ce qui n’est pas le cas de la fonderie dirigée par Luc Renouard. Le feu y gronde dans une fosse permettant de tenir l’outil à hauteur d’homme ; l’artisan y est présent, accompagné de ses quatre collaborateurs. L’automatisme, avec des pièces réalisées en série et la parcellisation des tâches, n’y a pas sa place.

Le travail en atelier.

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En haut : Travail sur un nouveau contreventement. Ci-dessus : Le métal en fusion coule dans les moules. Ci-contre : Un moule où la pièce refroidit lentement.

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C’est dans la région nantaise qu’est installé ce fondeur intervenant sur le remplacement des pièces les plus détériorées du kiosque. Luc Renouard peut se prévaloir d’une expérience de plus de trente-cinq ans. Après une formation de mouleur, noyauteur, fondeur, il passe sept ans à la Nantaise de fonderie qui est intervenue sur le bateau Le France, par exemple. Responsable en fonderie et mécanique durant neuf années, il rachète l’entreprise Laillé, spécialisée dans la fonte, en 1994. Il diversifie son activité avec le traitement de l’aluminium et du bronze, en direction des particuliers aussi bien que des Monuments historiques. Son équipe se compose de trois mouleurs et d’un ébarbeur. Les premiers créent des moules à partir d’un modèle existant, fait de bois ou de fonte, de silicone aussi (ce qui en permet une réutilisation), quand l’ébarbeur s’occupe des finitions, décroche le système de coulées et meule les bavures. Son entreprise est l’une des plus petites fonderies de France. Il n’y en a que trois à faire de la fonte artisanale. À ce niveau, le travail est difficile car chaque pièce est un prototype. Les réalisations de l’entreprise représentent un inventaire aussi prestigieux qu’étonnant : de la grille royale du château de Versailles en passant par une commande du musée des Invalides, la porte monumentale de l’Assemblée nationale, la statue de François Mitterrand et de son chien pour le conseil général de Vendée. Ce savoir-faire est aussi demandé à l’étranger, par des artistes américains, par la Chine et le Japon, entre autres. Ce métier ancestral qui consiste à réaliser une pièce en coulant le métal, à l’état liquide, dans un moule, est d’une étonnante modernité. Le Nantais a œuvré pour le CERN et son accélérateur de particules. D’une autre nature, on peut citer la création de six prototypes de poubelles pour la Ville de Paris. Compte tenu des prix, des délais et surtout de la quantité demandée (dix mille à réaliser en trois ans), qui dépassent ses capacités de production, l’entreprise passera la main à l’industrie. Aston Martin fait également partie du carnet de commandes ; pour une pièce, la firme connaissait un problème au moment du démoulage et la fonderie Renouard a réussi à le surmonter en réalisant un alliage particulier dont elle garde le secret. Nul doute qu’elle sera partie prenante de la réalisation de la prochaine voiture du célèbre James Bond… Pour le kiosque du Thabor, la fonte provient du Canada (la Russie et l’Afrique sont les deux seuls autres lieux de production). Elle se présente au fondeur sous forme de lingots.

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Ci-contre : DÊtail du poinçon des contreventements. Ci-dessous : Montage des colonnes en fonte pour les contreventements.

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Le menuisier

Depuis plus de vingt ans, églises, manoirs, châteaux et bâtiments classés sont le terrain d’action de l’entreprise de dix salariés que dirige Marcel Cadorel. La liste de ses réalisations est variée, des châteaux des des

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et

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au

xixe siècles

à divers immeubles rennais

, en passant par la préfecture d’Ille-et-Vilaine, les Forges de Paimpont.

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L’équipe se consacre à hauteur de 50 % au centre historique de Rennes. Le patrimoine occupe trois-quarts de son temps, le reste étant dévolu aux chantiers « neufs », tels que la création ou la rénovation de magasins. Pour Marcel Cadorel, travailler à l’ancienne c’est se montrer capable de se projeter à l’époque de la fabrication de l’ouvrage, d’ancrer son action dans le respect du choix des matériaux, en ne remplaçant pas tout quand c’est possible. Le recul lui permet de porter un jugement objectif sur les réalisations de ses prédécesseurs intervenus sur le kiosque. Dans la conception du solivage, composé de pièces sur lesquelles est établie l’aire du parquet, le positionnement du bois, trop en contact avec la pierre, a fait stagner l’eau. La charpente a elle aussi souffert : le bois posé trop près des cheneaux absorbait la pluie car la liaison entre bois et zinc n’était pas idéale. Si le menuisier constate la mauvaise analyse faite à l’époque quant au vieillissement des boiseries, sa modestie lui fait dire que les futurs restaurateurs aussi pourront lire les erreurs des artisans actuels. Dans le travail d’un matériau vivant, on ne peut tout maîtriser. Il constate que les boiseries avaient été déposées avant-guerre. Certaines pièces de la charpente, invisibles, du solivage, nécessitaient un changement complet. La charpente a été reposée, traitée contre les

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La nouvelle charpente prend forme. Elle sera ensuite recouverte d’ardoises.

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champignons qui naissent à la faveur de l’humidité, dans l’obscurité, lorsque la ventilation n’est pas optimale. Les solutions utilisées pour protéger les fibres ne sont plus celles d’il y a un demi siècle ; la législation interdit maintenant le recours aux produits nocifs. Les boiseries ont été restaurées en atelier puis reposées avec les moulures. Le plancher à lames est en chêne, d’essence européenne. Il faut prendre en compte l’humidité qui fait beaucoup varier ses dimensions. Le parquet, posé en extérieur, a du mal à sécher par temps de pluie. Il est possible de connaître la provenance du bois car les billes ont des numéros, que l’on retrouve dans les bons de livraison. Selon le lieu où il a été planté, le chêne se montrera serré ou pas, suivant l’humidité qu’il a eu à connaître. En outre, deux pousses existent ; l’une, de printemps, remarquable par sa vitesse fait un bois tendre quand celle d’été en donne un bien plus sec. À l’aide d’un testeur spécifique, fait de longues pointes à piquer dans le bois, Marcel Cadorel est capable de dire que l’humidité de ce plancher atteint 18 %, qu’il est saturé et qu’en conséquence, il bougera peu. Lors de la restauration du kiosque, les bâches de protection utilisées par les peintres ne recouvraient jamais l’ensemble, étaient déplacées au gré de l’avancement des travaux. Ce respect du travail de l’autre montre bien que tous les métiers sont solidaires. Métier et matériaux influencent les hommes. Les comportements varient selon la rudesse du travail, mais aucun ne peut agir sans les autres. Cette attention va un peu à l’encontre de l’individualisme de la société. Les lames du parquet sont assemblées, huilées à l’ancienne (en ayant recours à l’huile de lin), poncées et huilées une fois encore. L’huile permet un véritable respect du bois, de son vieillissement. Le vernis serait rayé tout de suite et ne laisserait pas le bois respirer correctement. Confronté à l’humidité, il conduirait à une déformation des pièces deux fois plus grande et la poussée sur la maçonnerie serait alors trop importante. Deux hommes, sur place, et deux autres, en atelier, ont mené le chantier à bien suivant le dessin du parquet réalisé par les Bâtiments de France. La forme octogonale de l’édifice a dicté le choix du dessin et l’installation du parquet en huit éléments favorise une meilleure répartition de la poussée sur l’ensemble. Des grilles de ventilation ont été posées pour le vide sanitaire, mais aussi pour ventiler le parquet. Précédemment, celui-ci était posé à l’anglaise, associant des lames de différentes longueurs, dont les joints n’étaient pas alignés.

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À gauche : Cette partie soutiendra l’épi. Ci-contre : La dépose du toit. Ci-dessous : La dépose des boiseries laisse apparaître la charpente. En bas : Les lambris reprennent leur place.

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Le couvreur

Le travail du couvreur (et de tous les métiers d’art) relève de l’esthétique et du pratique ; les réalisations doivent être étanches aux intempéries autant qu’elles doivent plaire à l’œil. L’entreprise Hériau a été créée en 1946 et en 1950, l’arrivée de Jean Baudu permet de développer l’activité dans la restauration du patrimoine ancien (château de Vitré, de Fougères, cathédrale de Rennes). Roger et Yvan Hériau, fils du fondateur, ont largement contribué à l’évolution de l’entreprise jusqu’à leur départ à la retraite en 2009. La gérance est aujourd’hui assurée par Pierrick Cherel, présent dans l’entreprise depuis 1985. L’effectif est de trente et un salariés pour une moyenne d’âge de trente-huit ans. Ludovic, qui rejoint l’équipe en 2001, le fait par réelle conviction. Passion sans aucun doute transmise par son frère, qui a travaillé comme couvreur avant lui. Yann, quant à lui, est une recrue récente. Après un master d’espagnol, il est en formation depuis 2009. Il a toujours voulu faire ce métier. Tous deux disent le plaisir du travail en plein air. Très vite, ils en viennent à évoquer les matériaux différents tels que le cuivre, le zinc, le plomb, l’ardoise, la tuile, l’essente, le plaisir du travail soigné qui fait la réputation de l’entreprise. David Baudouin complète l’équipe présente au Thabor. Il a commencé un apprentissage à seize ans et a souhaité évoluer : CAP, BEP, BP s’enchaînent avant qu’il ne décide de se consacrer principalement à la restauration du patrimoine qui offre un cadre de travail plus agréable et apporte une passion aux jeunes. Il a acquis la maîtrise du maniement de l’ardoise, du plomb et du cuivre au fil de son évolution au sein de

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l’entreprise. Aimant son métier, il éprouve une certaine fierté à la fin du chantier, au moment de la réception des travaux. L’intervention sur un ouvrage tel que le kiosque du Thabor reste rare et exceptionnelle. Avec l’aide des archives, les recherches sur l’état d’origine ont abouti en s’appuyant sur des clichés anciens. La forme de la crête ornée sur arêtier et celle des épis corniers situés sur chaque angle du débord de toit (petite couverture en avancée), ont été retrouvées sur des cartes postales. De nouvelles frises formant égout, presque similaires à celles des lampadaires, ont été posées alors qu’elles avaient disparu lors de la restauration précédente. Le système d’évacuation d’eau a été complètement revu. L’eau coulait des chéneaux (gouttières horizontales), dans les colonnes en direction d’une fosse pour les eaux pluviales. Les gargouilles en forme de « gueules de brochet » vont maintenant servir à déverser les eaux de pluie directement vers l’extérieur du kiosque. Le façonnage et la pose des ardoises en zinc est un travail spécifique. Le zinc se présente sous la forme de feuilles d’un mètre sur deux que l’on découpe à la machine pour obtenir des éléments carrés de trente-trois centimètres de côté. Des plis, de type agrafure, sont

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DĂŠtail du kiosque restaurĂŠ.

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TABLE DES MATIÈRES

Préface • 5 Introduction Le jardin du Thabor et son kiosque à musique • 7 Le temps de l’architecture métallique • 15 La conservation du patrimoine • 19 Du constat d’un kiosque malade aux remèdes apportés Le diagnostic ou une nécessité d’intervenir • 29 Le maçon • 37 Le fondeur • 45 Le serrurier • 53 Le menuisier • 61 Le couvreur • 69 Le peintre • 77 L’émailleur • 55 Le doreur 91 Conclusion L’importance des métiers d’art et de la transmission des savoir-faire • 99 L’intérêt des sens • 105 Remerciements et crédits photographiques • 109 Bibliographie indicative • 110

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