POJAR 15 пожар
Novembre 2021 Paris ISSN 2741-5058 les artistes conservent l’intégralité des droits de leurs œuvres revuepojar@gmail.com https://sites.google.com/view/revuepojar/accueil?authuser=0
Rédaction Jean Lacave Irina Kaplin Sophie Aron Sébastien de Monbrison
avec Daumal, Reverdy, Anita Ekberg, TS Eliot, Soutine, Victoria Gryaznova , Alain Lasverne des photographies etc ...
NUIT ET JOUR
La pluie d'or sur la vague Et le trou noir des ailes Au mur le parapet glissant laisse filtrer le vide malgré les chaînes d'arbres Au ciel la porte s'ouvre et la clarté y passe comme une boule d'eau qui tombe se gonfle énorme au moment d'éclater C'est le jour Et sous les ruisseaux d'ombre le souffle de la nuit bat encore par moments Puis le cri du réveil sous les flèches les fenêtres qui s'ouvrent Et les têtes poussées dehors dans le soleil Dans l'enchevêtrement des rayons devant le trottoir de l'église Plus de mains vers le toit bordé d'éclairs Plus de regards lancés plus haut que les mansardes Rien que des signes bleus indiquant le chemin Par où vient le cortège serré des anges des mésanges Entre les haies de feu
Les têtes flottent au-dessus du courant d'air qui vibre Et par vagues viennent sauter le pont On entend des chansons mêlées de dialogues des cris et des échos Dans le tournant des murs des groupes arrêtés les yeux fixant le cours limpide des nuages Alors le pavé creux résonne les chevaux marchent d'un pas égal Et tout dans le quartier semble marcher d'un bloc Vers le même signal Même les arbres Même le parapet Et les groupes de marbre les passants réveillés les portes des maisons les rêves envolés Et l'air de la chanson Enfin la part du ciel qui devient noire et tombe C'est l'endroit que l'on voyait le mieux Sous le balcon
Et puis la nuit revient Un œil bleu la surveille Derrière le volet une lampe qui veille
Pierre Reverdy (1889-1960)
Chaim Soutine (1893-1943)
Хаим Соломонович Сутин
MORNING AT WINDOW
They are rattling breakfast plates in basement kitchens, And along the trampled edges of the street I am aware of the damp souls of housemaids Sprouting despondently at area gates. The brown waves of fog toss up to me Twisted faces from the bottom of the street, And tear from a passer-by with muddy skirts An aimless smile that hovers in the air And vanishes along the level of the roofs.
TS ELIOT (1888-1965)
MATIN A LA FENETRE
Ils font trembler les assiettes du petit-déjeuner dans les cuisines du sous-sol, Et le long des bords piétinés de la rue Je suis conscient des âmes humides des femmes de chambre qui germent avec découragement aux portes des quartiers. Les vagues brunes du brouillard jettent vers moi Des visages tordus du bas de la rue, Et arrachent à un passant aux jupes boueuses Un sourire sans but qui plane dans l'air Et s'évanouit au niveau des toits.
TS ELIOT
Anita Ekberg (1931-2015)
Anita Ekberg (1931-2015)
Anita Ekberg (1931-2015)
Anita Ekberg (1931-2015)
NENIE
Ne parlez plus des plaines avec cette tendresse ne parlez plus des neiges, ne parlez plus du cœur laissez s'échauffer les vins vénéneux entre les paumes de la vie, ne parlez plus des mers en remuant le cœur, ne parlez plus des fleuves, laissez sécher vos lèvres et laissez se glacer le sang des vieux désirs entre vos mâchoires de mort, ne parlez plus du ciel en palpitant des lèvres, ne parlez plus du vent, laissez la nuit grossir, laissez la nuit s'engraisser de vos souffles auprès des trous de vos narines, ne parlez plus du feu de votre voix d'esclave,
ne parlez plus de votre roi, l'ancien soleil, laissez-le se coucher et s'éteindre en boue noire, dans la vie courbe de vos crânes. Ne parlez plus du cœur! Votre langue est pourrie et votre souffle froid, vos regards vides regardent la nuit, des mondes morts accouplés emplissent vos yeux, ne parlez plus dans l'air des hommes. Essayez seulement de sourire, vous entendrez gémir tous vos os calcinés, le rire ondulera dans un ciel rapiécé. et la toile du monde aura des sanglots sourds. La musique des morts hoquette dans vos dents — essayez de sourire aux fleurs ! — vos pieds froids sont soudés à la terre sans yeux, vous regardez partout de vos mille prunelles mais nul ne voit vos yeux et vos yeux ne voient rien. Le rire éclatera dans vos têtes sonores
— essayez de sourire aux oiseaux ! — vos mains s'écailleront dans une odeur de plâtre, riez à la poubelle et riez au balai. L'espace même meurt avec les étincelles que vous jetiez au vent de vie, et le temps meurt en arrêtant vos vains sourires, en figeant vos sanglots, et vous gelez tout doucement dans les tourbières. Un soleil inconnu brille dans la poussière qui vole tout autour de vos cheveux séchés, les vents de la folie portent à vos oreilles une musique amère à vous briser les dents. Des fleuves remontant à leurs sources jaillissent de vos mains disloquées, de vos tempes trouées, et le sol qui vous porte a des lueurs de soufre, se creuse sous vos pieds et vous mord aux chevilles. Votre rire a créé des étoiles nouvelles que nous ne verrons pas,
et vous pouvez sourire à de nouveaux oiseaux à des fleurs impossibles, mais vous vivez derrière un mur de houille et nos yeux saignent, nos prunelles se fendent quand nous voulons vous voir quand nous voulons vous voir avec des regards vides, quand nous ne voulons plus sourire ni sangloter dans le ventre céleste, nos bras tournent grinçants dans les chambres de plomb. La nuit de vérité nous coupe la parole.
René Daumal (1908-1944)
*
Я стою у артерии к сердцу ближней, Я легче взгляда и слов, Но Я стою людям жизней, Я не язва а хуже -любовь. Я бываю порой не похожей, Во мне много тьмы и света, Я могу быть стервой или хорошей Под настроение мне это. Я на счастье людей обрекаю, Все невзгоды их нежно сотру На коленях стою, умоляю Иль бутылку к губам поднесу. Я заставляю их лазить на крышу, Я разум во многих убила, Ничего кроме страха не слышу Я толкала людей с обрыва. Я очень продажна, Я шлюха Я невинная, первая кровь, Я сухая слепая старуха Я всегда молодая любовь Я одеваю петли на шею, И стул из под ног убираю, Я судьбы и жизни вершить умею И вместе с жизней угасаю... Я как бриллианты и слава, Я кормящая мать и ребенок. Я живая мечта и расправа, Я пес и пушистый котенок. Я пью из бутылки глотками, Я на ладонях крутой поворот И Я нежными своими руками
Могу перекрыть кислород. Я вью петли но руки чисты, Я палач с повязкой у глаз, Я даю жизнь и ставлю кресты, Я мечты разбираю все в раз. Я животная страсть и запрет, Но Я не умру никогда, Ведь разбирается то чего нет, Значит может была и не Я...
Виктория Грязнова
Je me tiens dans l'artère du coeur voisin, Je suis plus légère qu'un regard et que les mots Mais je suis la vie des autres. Je ne suis pas un ulcère, mais le pire c'est l'amour. Parfois je ne me ressemble pas Je suis obscure et sombre à la fois Je peux être garce ou gentille Cela dépend de mon humeur. Je rends les gens heureux malgré l'adversité de leur entourage, Je suis à genoux, je t'en prie Ou je porterai la bouteille à mes lèvres. Je les fais grimper sur le toit J'ai tué l'esprit de beaucoup, Je n'entends que la peur Je poussais des gens de falaises. Je suis très corrompue, je suis une pute. Je suis un innocent, au premier degré, Je suis une vieille femme sèche et aveugle Je suis toujours un amour jeune J'ai mis des boucles autour de mon cou Et je retire la chaise de sous mes pieds, Je sais comment décider du destin et de la vie Et avec les vies, je m'efface... Je suis comme les diamants et la gloire Je suis une mère et un enfant qui allaitent. Je suis un rêve vivant et une représaille Je suis un chien et un chaton duveteux. Je bois à la bouteille à petites gorgées Je suis sur les paumes d'un virage serré
Et je suis doux avec mes mains Je peux couper l'oxygène. Je tords les boucles mais mes mains sont propres, Je suis un bourreau avec un bandeau sur les yeux Je donne la vie et mets des croix Je démonte tout d'un coup. Je suis la passion animale et l'interdit Mais je ne mourrai jamais Parce que tu connais ce que tu ignores, Alors peut-être que ce n'était pas moi...
Victoria Gryaznova
Тень танцует у моря. Ногти роют пыль. Дверь ещё открытой. Но кто-то снаружи плачет. На крыше дома крест. И в постели мертвец, крича. Все боятся. Живот покрыт дырками, откуда выходит кровь. Завтра я пойду в другом месте. Но мое тело будет лежать в траве.
Серж Светбитин
Une ombre danse au bord de la mer. Les ongles creusent la poussière. La porte est toujours ouverte. Mais quelqu'un dehors pleure. Il y a une croix sur le toit de la maison. Et dans le lit, il y a un homme mort, hurlant. Tout le monde a peur. L'estomac est couvert de trous, d’où le sang sort. Demain, j'irai ailleurs. Mais mon corps sera allongé dans l'herbe. Serge Svetbitin
Alain Lasverne
(ligne) droite
Mon maître de CM1, il me semble. Le vieil aquarium. Entre les murs maculés qui usaient nos jeunes journées. Mon maître avait abordé l'un des deux points les plus importants à mes yeux fragiles, curieux : la ligne comme théorie. Évidemment, le mot théorie n'avait pas sa place, mais il remâchait son stylo et ses yeux sautaient derrière nous vers une pièce où dormaient tous les miracles de l'abstraction expliqués aux lumignons en face de lui. J'avais donc autour de dix ans et mon camarade, à côté de moi sur le banc, celui qui taillait sa gomme en forme de flèche, peut-être un peu moins. On avait le temps de passer le chiffon dans nos têtes, laisser courir les mots du maître jusqu'à ce qu'ils se posent bien au fond de nous. Oui, on avait du temps dans nos rêves éveillés, absolument détachés d'objet précis. Infoutus de même imaginer la moderne jachère peuplées de choses compulsives et de stimulus pavloviens, sans parler de coeurs artificiels plantés sur vélos elliptiques. La ligne n'existe pas, et pourtant elle existe. Les rêves n'existent pas et pourtant ils existent. L'amour de vos mères n'existe pas, et rien n'est plus réel. On écoutait, les plumes rangées dans l'encrier, trop sages pour ne pas faire des gros pâtés noirs quand elle sortirait de leur sommeil liquide.
M. Pradine mettait la sienne, de plume, derrière l'oreille, qu'il avait petite comme ses yeux bleus billard. Alors, le stylo glissait, et glissait. Alain, tu m'écoutes ? Et glissait, et glissait, et tombait. On ne riait pas, non. On gloussait, tête penchée sur la table complice. Il ramassait l'objet. Vous avez bien ri. On verra tout-à-l'heure. En attendant, imaginez. Imaginez le gros nuage là-haut, le gros pansu, un peu bêta. On riait, mais on cherchait derrière les vitres sales. Il est gros, il est rond, il avance comme un bateau, il tranche dans les vagues. Bleues, oui, tu as raison Joël, c'est joliment dit. Joël, il était tout rouge. Et pourtant, si vous le touchez, vous ne sentirez rien, rien de rien. Juste une petite fraicheur, un peu d'humidité. Rien à attraper. La ligne parfaite, droite, donc, se trace avec un crayon bien affûté. Crayons...Levez ! Nous levons les crayons. La ligne que vous allez tracer n'existe pas. Parce que dans ce monde, ici, les objets géométriques - la ligne, le cercle, tous ces petites bêtes si fines et si utiles... Plus tard. Oui, plus tard, Moma, t'inquiète pas, nous sommes toujours en classe avec une bonne heure avant la récré. Oh, vous pouvez rire, lui au moins il s'ennuie à découvert. La ligne n'existe pas plus que le vent ou la pluie. Dans ce monde des objets géométriques rien n'existe. Je vous l'ai déjà dit. Oui, vous me regardez, mais regardez plutôt votre chat, votre chien. Le vent ou la pluie, ils n'en ont aucune idée. Quelque chose tombe, et ça mouille comme l'eau. Quelque chose vient et secoue sans dents, sans pattes et sans griffes. Ca pousse et on pousse contre, ou on se glisse sous une voiture. Les chats et les chiens n'imaginent pas des choses qui n'ont pas de corps, pas de vie, pas
d'être-en-soi. Je veux dire la ligne c'est comme du vide qui serait plein sans rien dedans...On l'aime bien, M. Pradine, parce qu'il s'en va des fois. Il est toujours là, mais plus. Il a été maître au Lycée, on dit. Et puis les chefs ne l'ont plus aimé. Il voulait faire l'école tout seul, on dit. On dit qu'il voulait plus de livres comme les autres maîtres et maîtresses, il voulait qu'on vienne lui dire quoi et comment. Ils l'ont fait partir, ils l'ont envoyé avec nous. Vous avez votre règle ? Règle...Levez ! On lève nos règles de bois. Parce que la ligne est droite comme le regard de papa quand quelque chose le contredit à l'intérieur. Ou qu'il cherche à dire quelque chose. Il a été bègue, mon papa. Il fait toujours attention à dire. Droit, c'est pas compliqué. Ca fait même un peu peur. Comme une cour où y aurait que des garçons. Une maison avec des parents toujours forts, toujours certains. Tracez. On trace. J'aime bien tracer. C'est propre, c'est net. Comme quelque chose de réussi.
Alain Lasverne a 67 ans et vit à Sète. Deux romans adultes publiés, "Je sauverai le monde" et "Web voyage",
Reportage Photographique dans Paris Sacha Jarachewski Фоторепортаж в Париже Саша Ярачевский
Pojar numéro 15 – Éditions Minces, Novembre 2021, Paris.