Pojar 16

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POJAR 16 пожар


Decembre 2021 Paris ISSN 2741-5058 les artistes conservent l’intégralité des droits de leurs œuvres revuepojar@gmail.com https://sites.google.com/view/revuepojar/accueil?authuser=0


Rédaction Jean Lacave Irina Kaplin Sophie Aron Sébastien de Monbrison


Nous allons deux par deux, vers la nuit vers la nuit, en arrière comme des cons, la bite entre les jambes, mais le crâne en morceaux proverbe cosaque

Идем по двое, к ночи, к ночи, назад как идиоты, член между ног, но череп на куски Казацкая пословица


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Métaphysique du poil

La barbe était à la mode dans ces années-là. La mode, ça s'en va et ça revient. La période la plus faste ça avait été, bien sûr, les années 70, post hippie. La barbe, c'était obligatoire. La bonne vieille barbe bien foisonnante. Plus tard, la barbe était devenue un accessoire de différenciation sociale, taillée entretenue, sexy. Les hommes portaient la barbe pour être des « vrais hommes ». Après tout, il en faut pour tous les goûts. Moi, je trouvais ça bien. Mon propriétaire, Guillaume, un trentenaire bordelais d’une vieille famille bourgeoise, célibataire, portait la barbe depuis plusieurs mois. En tant que poil de barbe, c'était la panacée. En confiant cela, j’ai bien conscience qu’une histoire de poil pourrait vous hérisser. Le poil n’a pas très bonne réputation. Il est souvent méprisé ou moqué. Certains poils plus que d’autres. Par exemple, je n’aurais pas aimé être poil d’aisselles. Ceux-là ont vraiment une sale réputation et je suis trop curieux. Pourtant, le poil a toujours été sur le dos de l’homme. Il lui a bien rendu service pendant des millénaires. Et voilà que notre époque moderne le battait froid.


Qu’est-ce qu’on a fait pour être déconsidéré ? Les hommes ont peur d’être confondu avec les singes. Il est vrai que nous avons perdu notre utilité. On ne sert plus guère à vous réchauffer. Pureté contre animalité, le poil sépare les hommes des autres mammifères. Bon, je me lamentais, mais au moins Guillaume nous aimait. Devant son miroir, il se préparait pour une sortie du samedi soir. Il avait ses habitudes dans les bars du centre de Bordeaux. En été, il aimait boire des Ricqlès, cette boisson à la menthe qu’on ne trouve que dans certains bars. J’adorais l’odeur de la menthe, ça nous faisait frissonner. Ce samedi soir de mars, chemise à carreaux et débardeur sur un jean sombre, il s’est retrouvé dans un bar, auprès d’une jolie femme, Virginie. Chevelure châtain, naturelle, brillante. Des yeux verts, des cils graciles et brillants derrière de grandes lunettes. Un style anglais, léger. Bien peigné sur le menton, j’étais très près d’elle et je voyais une très fine moustache adorable, blonde. J’étais moi-même un poil beaucoup plus roux que certains de mes compagnons. Guillaume et Virginie se sont assis dans de petits fauteuils en faux cuir, avec pour ambiance de la musique trop forte et des verres d’alcool. Elle était d’Arcachon, venue sur Bordeaux pour travailler dans une grande boutique de fournitures d’art. Elle avait un cheveu sur la langue, et c’était plutôt charmant. Peut-être avait-elle, à cause de cela, un déficit d’amour-propre, un manque de confiance en elle ? Je n’en savais rien. A la fin de la soirée, elle m’a caressé avec douceur, bon,


j'exagère un peu, car, tous les poils de barbe de Guillaume étaient concernés aussi. Moi, cette jeune femme à la chevelure noisette me plaisait beaucoup. Les fondements du désir sont faits de toutes petites choses, la chair de poule, la caresse. Nous sommes, nous, les poils, l’essence du frisson de plaisir. Elle semblait lui plaire, elle aimait les peluches de fêtes foraines et le cinéma anglais. Mais, Guillaume est rentré chez lui, seul, après quelques verres supplémentaires. Le lundi matin, de retour au travail, on avait l’impression qu’il l’avait oubliée. Une collègue est passée dans le bureau de Guillaume et lui a proposé de prendre un café. Elle était coiffée d’un vulgaire carré aux mèches décolorées. Elle s'appelait Bénédicte, elle était du genre à se maquiller dans les transports en commun. En marchant devant lui, il s’est intéressé à ses fesses sous sa jupe courte, moulante et grise. Ils ont pris un café avec leurs collègues. Bénédicte est revenue le voir le lendemain. Elle aurait bien aimé que Guillaume l’aide sur un dossier. Elle s’est plaint qu’il était compliqué et que Guillaume pouvait lui apporter un soutien précieux. Ce qu’il a fait. Puis ils ont décidé de manger ensemble. Il y avait une entente réciproque, un petit quelque chose dans l’air. Nous nous dressâmes pour le rendre méfiant, mais rien n'y fit. L’après-midi, ils ont continué à travailler ensemble. Notre conscience millénaire de la peur avait assuré la survie de l’espèce. L’horripilation est un réflexe de défense. Mais


Guillaume regardait fixement le décolleté avec la main sur la barbe. Il débloquait complètement, parti sur les montagnes russes de l’attirance sexuelle. Il était sur le point de perdre pied. J’ai pris les choses en main, si je peux dire et m'entortillais autour de son doigt. En tirant, il reçut une petite décharge qui le fit sursauter et tout de suite, il a repris du poil de la bête, a dégagé son regard des collines rondes et blanches et a fixé le paysage. Il a repris ses esprits, le fil de la conversation et il s’est concentré sur le dossier. Il ne pouvait quand même pas oublier le petit brin de femme que nous avions rencontré le samedi précédent. Mon choix était fait et c’était Virginie, la jeune femme avec ce léger défaut de prononciation et ses longs cils qui lui donnaient un air rêveur. Malheureusement, je n’avais pas pouvoir de décision. Le système pileux pouvait-il influencer son choix ? Après cette discussion, Guillaume a recroisé Bénédicte souvent dans les couloirs. Il y avait possibilité de rechute. Quand il la rencontrait, je faisais tout pour qu’il ne plonge pas son regard dans les décolletés qu’elle arborait. Je provoquais une démangeaison, je rebiquais. Tout pour éviter qu’il ne tombe dans le panneau. J’avais l’impression qu’il ne pensait plus à Virginie. Heureusement, c’est elle qui l’a appelé pour un dîner. Le lendemain, dans un autre bar du centre de Bordeaux, il l’a retrouvé. Cheveux attachés, cils maquillés, habillée d’une robe à fleurs, elle l’a hélé dans le bar d’un « Hé, sssalut ! Par ichi. » Leur discussion est devenu eplus intime au fur et à mesure de la


soirée. En attendant le dessert, elle lui a avoué qu’elle était obsessionnelle. Je l’aurais parié. Elle prenait chaque soir un soin particulier à assortir ses sousvêtements, bien sûr ensemble, mais également avec ses chaussettes, collants et si possible avec un ton de sa tenue. Cela lui prenait du temps chaque soir, c’était compulsif. Ils étaient noirs avec les robes noires, à fleurs pour les chemisiers à fleurs, verts pour les pulls verts. Ça la rassurait pour affronter le quotidien. Guillaume nous a frotté de haut en bas plusieurs fois et a regardé la couleur des vêtements, en imaginant j’en suis sûr celle des sous-vêtements. Elle a rougi, il a souri. Je me laissais caresser dans le sens du poil et me retrouvait comme mon propriétaire, sous le charme. La semaine suivante s’est passée plus tranquillement pour les yeux. Bénédicte était partie en vacances. Guillaume n’a pas passé sa main dans sa barbe, un bon signe. Je n’ai pas eu besoin de me hérisser pour qu’il garde les yeux vers le rendez-vous suivant avec Virginie. Quand il est arrivé dans le bar, elle était habillée d’un haut rose et d’un pantalon fluide noir. Je me suis posé immédiatement la question des couleurs des dentelles et je n’arrivais pas à me concentrer sur la conversation. J’aurais bien aimé lui sauter à la bouche pour rencontrer son cheveu de sa langue. Elle l’a invité chez elle, à Arcachon, pour le week-end. J’ai mis tout mon cœur pour que Guillaume accepte, c’était pile poil celle qu’il nous fallait. Ce soir-là, ils ont échangé un baiser langoureux. Dans la lumière douce de son appartement,


Guillaume l’a embrassé. Ensuite il a pris un soin particulier à déshabiller la demoiselle. Enlevant lentement le pull rose, il a découvert avec ravissement un soutien-gorge rose nacré. Il a fait tomber le pantalon noir et a constaté que la lingerie répondait aux critères attendus, espérés même. J’aimais cette découverte et j’ai frémi avec mes compagnons comme un alpiniste arrivant en haut du mont Blanc. Guillaume n’avait même pas envie d’enlever ces fanfreluches tellement ils étaient chargés de sensualité et d’imaginaire. Franchement on pouvait le comprendre. Elle a éteint la lumière. Le lendemain, ils sont partis pour Arcachon. Ils jouèrent au jeu de la séduction, ils allèrent goûter l’eau salée à la plage. Plus tard, dans le noir, j’ai rencontré quelques homologues de son entrejambe aussi bien taillés qu’un jardin japonais. J’ai lié conversation avec un compatriote de sexe féminin. J’ai fait de mon mieux pour profiter du moment pendant que monsieur s'occupait aux alentours. J’ai compris dans les jours qui ont suivi que nous reverrions souvent Virginie. J'avais l'impression d'avoir gagné la victoire après cette rencontre. Ma corde sensible était comblée avec cette jolie femme au charme suave, enfin de mon petit point de vue. Je retrouvais avec plaisir les doux cheveux longs et aimais lorsqu’elle passait sa main sur mes compères et moi. Le désir et la passion étaient leur guide et ils se laissèrent aller à former un couple. Ensuite, inexorablement, ils ont passé du temps ensemble, preuve que mademoiselle lui


avait tapé dans l’œil. Je me laissais aller à la contemplation, au bonheur Nietzschéen, oubliant la sagesse des instincts primaires, le froid et la peur. Mais quelques semaines après, un jour que Guillaume était dans la salle de bain de l’appartement de Virginie à Arcachon, il a remarqué près de l’évier, trois rasoirs soigneusement étiquetés « aisselles », « jambes », « maillot ». Tel Sisyphe, la lutte contre notre repousse est vaine, nous revenons toujours. Le poil et sa maîtrise sont devenus une norme de la société, le reflet de notre société. Cette découverte ne me disait rien qu’y vaille, quant à Guillaume, il a rigolé devant cette bizarrerie. Le désir et l’amour ont l’aveuglement pour parent commun, soyons en sûr. Virginie était une maniaque, une sourcilleuse et lui se laissait berner, encore une fois. En tout cas, elle avait finalement quelque chose qui me défrisait. J’aurais dû choisir Bénédicte je m’étais honteusement trompé. Seulement trois jours après cette découverte, Virginie a proposé à Guillaume, sous forme de plaisanterie, de couper, tondre, supprimer - je n'ose le dire tellement mon cœur se serre - sa barbe. Elle lui a dit qu'elle était sensible des joues et de certains autres endroits. Le glabre revenait au galop. Je protestais intérieurement. Mes camarades et moi, nous sommes hérissés pour l’avertir d’un danger imminent. C’était la discrimination des vertus de la virilité. Où était donc passé notre attribut de sagesse ? Notre valeur politique ou même notre charme ? Elle qui avait un cheveu sur la langue, elle osait lui demander de nous ôter du menton de Guillaume. J’étais sur la corde raide. On est peu de choses


tout de même. Guillaume a tenu bon pendant quelques temps. Mais un jour, il s’est rasé et ça a été fini.

Julien Vigneron


et maintenant Trois Oeuvres de Paola Leone





RHIZOMES GUILLAUME CAMPREDON « Un rhizome ne cesserait de connecter des chaînons sémiotiques, des organisations de pouvoir, des occurrences renvoyant aux arts, aux sciences, aux luttes sociales. Un chaînon sémiotique est comme un tubercule agglomérant des actes très divers, linguistiques, mais aussi perceptifs, mimiques, gestuels, cogitatifs : il n'y a pas de langue en soi, ni d'universalité du langage, mais un concours de dialectes, de patois, d'argots, de langues spéciales. (...) Il n'y a pas de langue-mère, mais prise de pouvoir par une langue dominante dans une multiplicité politique. La langue se stabilise autour d'une paroisse, d'un évêché, d'une capitale. Elle fait bulbe. Elle évolue par tiges et flux souterrains, le long des vallées fluviales, ou des lignes de chemin de fer, elle se déplace par tâches d'huiles . » DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Capitalisme et Schizophrénie, Mille Plateaux, Editions de Minuit, Paris, 1980, p. 14


Catalogue 1.a. Mandragores mâle et femelle. Manuscrit Dioscurides neapolitanus, Biblioteca Nazionale di Napoli, début du VIIe siècle. https://www.loc.gov/item/2021667873 1.b. Radis noir et Navet, 28x22.5x6cm & 29x19.5x5cm, sculptures sur pierre calcaire, taille directe, 2021 & 2020 2.a. Arzneipflanzenbuch,1520-1530, Augsburg ?, bildsuche.digitale-sammlungen.de 2.b. Mouseberry, croquis, 2021 2.c. Mouseberry, 32.5x18x5x5.5cm, sculpture sur pierre calcaire, taille directe, 2021 3.a,b. Cheval n°3 et Chèvre, 60x34x15cm & 38x22x15cm, sculptures sur pierre calcaire, taille directe, 2021 4.a. Paysage aux figues, 57x29x10cm, sculpture sur pierre calcaire, taille directe, 2021 4.b. Un paysage du XVe siècle en Hainaut, enluminure extraite des chroniques de Hainaut, Jacques de Guise, BNF. classes.bnf.fr 4.c. Paysage aux figues, détails


1.a.


1.b.


2.a.

2.b.


2.c.


3.a.


3.b.


4.a.


4.b.


PAYSAGE AUX FIGUES Pensé à partir de la peinture narrative médiévale et à ses perspectives marquées, le Paysage aux figues raconte un écosystème fantastique. Celui de trois figues autonomes dotées de membres, prêtes à marcher et aller se planter seules. Trois scènes, de la chute d'une figue encore accrochée à une branche à la germination, ponctuent ce récit inscrit dans la pierre et duquel l'Homme est absent. Seul vestige de sa présence passée, deux tours d'une centrale énergétique dans le coin supérieur droit du bas-relief. Si elle est une courte fable écologique, la sculpture rappelle que ce que l'Homme nomme nature n'a pas besoin de sa main pour prospérer.


Pojar numéro 16 – Éditions Minces, Novembre 2021, Paris.


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