CHEMINS CROISÉS
Astrid Yener-Uldry
331173733 srodek v 1.3.pdf 5
14.09.2018 03:35:34
331173733 srodek v 1.3.pdf 6
14.09.2018 03:35:56
Coup de plume, coup de cœur &HWWH KLVWRLUH HVW XQH SXUH ¿FWLRQ ,O IDOODLW ELHQ OD IDLUH YLYUH TXHOTXH SDUW HW F¶HVW SDU KDVDUG TXH M¶DL FKRLVL OH UDYLVVDQW YLOODJH GH &KDQGROLQ /HV &KDQGROLQDUGV G¶DXWUHIRLV HW FHX[ G¶DXMRXUG¶KXL VRQW GHV JHQV FKDOHXUHX[ HW JpQpUHX[ ULHQ j YRLU DYHF OHV TXHOTXHV PDXYDLVHV ODQJXHV TXH YRXV UHQFRQWUHUH] HQWUH OHV SDJHV GH FH OLYUH 0HUFL GH QH SDV O¶RXEOLHU 0HUFL j PHV OHFWULFHV GHV SUHPLqUHV KHXUHV LQFRQWRXUQDEOHV 0DULH -R HW PDPDQ TXL RQW OX OH WH[WH j O¶pWDW EUXW LO \ D SOXV GH DQV j PHV OHFWULFHV G¶DXMRXUG¶KXL *HQHYLqYH 0DQXHOD 0DUWLQH j 0DULDQQH PD V°XU TXL P¶D VXLYLH GH VRQ FRXS GH FUD\RQ HW j +XJXHWWH GH &KDQGROLQ OHFWULFH GH KDVDUG TXL P¶D RXYHUW OHV SRUWHV GH © VRQ &KDQGROLQ ª HW GRQQp OH FRXUDJH G¶HVVD\HU«
331173733 srodek v 1.3.pdf 7
14.09.2018 03:35:56
© Éditions Soleil Blanc – 2018 ISBN 978-2-940605-36-1 Livre no 136 – juin 2018 www.soleil-blanc.ch – info@soleil-blanc.ch Route du Cotar 3, CH-1969 Suen / St-Martin Mise en page et couverture : Charlie Design, Vétroz Illustration couverture : Marianne Gerber
331173733 srodek v 1.3.pdf 8
14.09.2018 03:35:56
CHEMINS CROISÉS LONG CHEMIN DES ADIEUX, LORSQUE PLUS RIEN N’A DE SENS…
13
CHEMIN DE VIE, LORSQUE MALGRÉ LE CHAGRIN, IL FAUT CONTINUER…
19
CHEMIN DE SOLITUDE, QUAND IL NE RESTE QUE LES SOUVENIRS ET QU’IL FAUT TOUT RECONSTRUIRE…
27
CHEMIN DE TRAVERSE QUI NOUS ÉGARE, NOUS TRAHIT, SANS QU’ON SACHE TROP POURQUOI…
43
CHEMIN DE DÉFI, À CONTRE-COURANT DU BON SENS, QUI NOUS EMPORTE VERS L’INCONNU…
55
CHEMIN DE DOUTES, D’INCERTITUDES, LORSQUE LE PASSÉ REMONTE EN SURFACE…
77
CHEMIN VERS L’INCONNU, FAIT DE RENCONTRES…
89
RETROUVER SON SOUFFLE, CHEMIN D’AVENIR, D’ESPÉRANCE…
107
CHEMIN AU JOUR LE JOUR, LE TEMPS DE REPRENDRE QUELQUES FORCES…
121
PETITES LEÇONS AU QUOTIDIEN, CHEMIN D’APPRENTISSAGE…
133
CHEMIN SUR LEQUEL LE CIEL ET LA TERRE S’ENLACENT, IMPUNÉMENT…
155
CHEMIN DE SOUVENIRS, D’HISTOIRES ANCIENNES QU’ON A FAIT SEMBLANT D’OUBLIER…
163
-9-
331173733 srodek v 1.3.pdf 9
14.09.2018 03:35:56
CHEMIN SUR LEQUEL SE BRISE L’INDIFFÉRENCE…
177
CHEMIN DE CHANGEMENTS, DE TRANSHUMANCE, DE RENOUVEAU…
197
CHEMIN DES CONFIDENCES…
211
CHEMIN D’AMOUR ET D’INNOCENCE…
231
CHEMIN DE CAMARADERIE, D’ENTRAIDE ET D’AMITIÉ…
247
CHEMIN TROUBLE DU PRÉSENT, DU PASSÉ ET DE L’AVENIR…
253
CHEMIN DE QUESTIONNEMENT, D’INTERROGATION, D’INCERTITUDE…
261
CHEMIN D’ESPÉRANCE…
275
CHEMIN DU TEMPS QUI PASSE, SEREIN, CONFIANT, LORSQUE LES PEINES S’ADOUCISSENT…
283
CHEMIN DE PROJETS, DE SOLIDARITÉ…
287
CHEMIN DE JOIE ET DE CONFIANCE…
307
CHEMIN VERS L’AVENIR…
311
CHEMIN DE RÉVÉLATION, QUAND TOUT REPREND SA PLACE…
317
CHEMIN DE LA MAISON…
329
331173733 srodek v 1.3.pdf 10
14.09.2018 03:35:56
Chemin de traverse qui nous Êgare, nous trahit, sans qu’on sache trop pourquoi... 8 juin 1962 Seize heures. Papa ne rentrera pas avant deux ou trois heures. Ce matin, j’ai rangÊ les vêtements de maman dans une vieille malle. Papa n’aura plus besoin de chercher ses affaires parmi les siennes. C’est là une sage dÊcision à laquelle j’aurais dÝ songer il y a longtemps. Peut-être va-t-il ressentir davantage son absence, mais cela rentrera dans l’ordre d’ici quelques jours. /D YLH PH SDUDvW SOXV IDFLOH PDLQWHQDQW -H GRUV MH PDQJH et je me repose avec plus de sagesse. Cela se remarque dÊjà à l’Êclat de mes joues. Papa m’en a fait le compliment. -H SUR¿WH GH FHV TXHOTXHV KHXUHV GH VROLWXGH SRXU WULHU HW ranger les affaires de maman. C’est à moi dÊsormais de le faire. D’ailleurs, je l’aidais souvent lorsqu’il s’agissait de rÊdiger d’importantes lettres. À l’Êcole, j’Êcrivais de gigantesques rÊdactions et le pauvre Monsieur Charles passait des nuits à les corriger. Ma main tremblait lorsque j’ai ramenÊ la petite clÊ du fond de sa cachette. Personne n’y avait touchÊ depuis des mois. Elle Êtait couverte de poussière. Je l’ai essuyÊe avec le revers de mon tablier. La serrure a cÊdÊ au premier
- 43 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 43
14.09.2018 03:35:56
mouvement et la porte s’est ouverte en grinçant. J’avais peur de mon audace et, pourtant, j’ai soulevÊ la première pile de feuilles blanches. Toute petite dÊjà , j’Êtais fascinÊe par ce meuble. Maman y rangeait tant de merveilles. Les cadeaux de NoÍl y trouvaient leur place. Les bonbons roses que je recevais lorsque j’avais ÊtÊ très sage s’y cachaient Êgalement. Je n’ai dÊcouvert que très tard la cachette de la clÊ. MalgrÊ ma curiositÊ, je n’ai jamais trahi OD FRQ¿DQFH TXH PDPDQ DYDLW HQ PRL 3DUIRLV MH JOLVVDLV ma main dans le pot, caressais quelques secondes le morceau de mÊtal et m’enfuyais ensuite dans ma chambre pour rêver à mon secret. Vers dix-huit heures quarante-cinq, papa est rentrÊ à la maison. J’ai interrompu mon travail de recherche qui n’avait en fait guère d’intÊrêt. Curieusement, je n’en ai VRXIÀp PRW 8Q SHX FRPPH VL MœDYDLV SpQpWUp SDU HIIUDFWLRQ dans le monde de maman. Je ne veux plus que mon père souffre. Son Êquilibre est si fragile. J’ignorais à quel point maman aimait l’ordre. J’ai retrouvÊ classÊs avec soin une Ênorme quantitÊ de factures, des relevÊs d’impôts, le carnet dans lequel elle notait nos achats, nos dÊpenses et bien d’autres documents dont j’ignore jusqu’à l’utilitÊ. Un jour, j’avouerai ma curiositÊ à papa. Je ne le ferai que lorsque nous pourrons sans trop de peine et de crainte rassembler nos souvenirs et donner une
- 44 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 44
14.09.2018 03:35:56
histoire, un sens à chacun de ces papiers. Pour l’instant, je prÊfère le silence.
11 juin 1962 Papa m’a promis de m’emmener à l’Êglise dimanche prochain. Nous sommes ensuite invitÊs chez Madame Maillard. Elle nous prÊparera un gâteau aux amandes que nous dÊgusterons après le repas, avec le cafÊ. L’espace de quelques heures, nous retrouverons l’une de nos plus vieilles habitudes. Je tremble de joie à cette idÊe. J’imagine la rue, devant l’Êglise, rayonnante sous le soleil de la mi-journÊe, dans un bourdonnement de cloches qui DQQRQFHQW OD ¿Q GH OœRI¿FH 'HV EDQFV RQW pWp LQVWDOOpV par endroits, sous les arbres, voici quelques annÊes. Les vieillards de la commune s’y prÊcipitent les premiers, la pipe j OD ERXFKH SRXU SUR¿WHU GHV PHLOOHXUHV SODFHV DX VROHLO La lutte fait rage dans leurs rangs. DÊjà les voilà qui se calment et tiennent concile. Quelques femmes endimanchÊes, taches de couleurs vives, forment un cercle autour d’un landau. Un petit être effrayÊ, tirÊ du sommeil par deux bras volontaires, soulevÊ dans les airs, exhibÊ aux quatre vents comme un sac de lessive, hurle de terreur. On repose l’enfant dans le landau et dÊjà l’attention se porte sur un autre bambin aux joues roses et rebondies. Plus loin se rassemblent les hommes. Depuis des siècles, chaque dimanche les mêmes histoires les tourmentent, les
- 45 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 45
14.09.2018 03:35:56
passionnent. Seuls les noms des protagonistes changent :  Le père de la Touraude tourne ostensiblement le dos au vieux Marc à Fanny depuis plus de vingt-cinq ans ; le Julien, ce coureur de jupons, est encore une fois pris à partie par le père Monnier pour avoir serrÊ de trop près la 5RVHWWH VD ¿OOH FDGHWWH TXDQW j OœePLOH GHV *UDQJHV Gœ(Q +DXW LO WHQWH GHSXLV SOXV GH VL[ DQV GH SODFHU VRQ DvQpH XQH JUDQGH ¿OOH XQ SHX EqJXH HW WLPLGH TXL DSSURFKH GH ses trente ans.  Sur leurs bancs, les vieux ricanent, bien à l’abri du respect qu’inspire leur âge. Les annÊes ont adouci pour eux les rancunes, les amertumes d’autrefois. (Q¿Q GH FRQQLYHQFH LOV VœDPXVHQW GH FHV TXHUHOOHV TXœLOV ont autrefois enfantÊes et si leurs enfants les prennent à tÊmoin, ils ont tout oubliÊ ou sont un peu  gâteux , la faute aux annÊes. Qu’on les laisse tranquilles, ils ont mÊritÊ un peu de repos. Et à quoi bon remuer le passÊ ! Une fenêtre entrouverte laisse Êchapper un fumet dÊlicat. C’est le jour du rôti, du jambon et chacun se demande ce que l’autre mangera et si sa table sera aussi copieusement garnie que la sienne. La pinte communale a ouvert ses portes, les nappes à carreaux rouges et blancs respirent la IUDvFKHXU HW LQFLWH DX UHSRV /D FORFKH DQQRQFH OœKHXUH GH l’apÊritif. On y parlera politique ou commerce. Un dimanche comme tant d’autres ! J’en rêve depuis des mois. Appartenir à une communautÊ, sourire, Êchanger, papoter autrement qu’avec des chats, des lapins, des chèvres. J’en ai vraiment besoin.
- 46 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 46
14.09.2018 03:35:56
vainement d’économiser au maximum mes provisions, mais mes efforts ne servirent à rien. Je dus un matin retourner au village. Je fus le premier client de l’épicerie et retrouvai en hâte mes pâturages. Lorsque plus tard je m’assis devant la table de la cuisine, j’éprouvai une immense déception. J’avais tout fait pour éviter l’enfant. Pourtant, j’étouffais de l’envie de contempler sa chevelure, d’entendre sa voix, ne serait-ce qu’un seul et ultime instant. Un mois s’écoula. L’automne arriva. Je récoltai quelques fruits que je me proposai de porter à Monsieur le Curé. Quoi qu’aient pu prétendre ces vieilles harpies du village, je suis toujours resté bon chrétien. Est-ce ma faute si plus personne ne vient célébrer le culte au hameau ? J’échangeais donc le pardon de mes péchés contre des gourmandises en tout genre, que le brave curé partageait avec ses ouailles les plus défavorisées. Je fabriquais déjà ce délicieux fromage de chèvre. Les gourmets de la vallée tout entière s’arrachaient la production artisanale et minaudaient pour obtenir le secret de cette fabrication. Quoique sensible aux louanges, j’ai toujours jalousement conservé cette recette familiale. Mais je n’ai jamais été avare et j’ai bien volontiers partagé, quand j’en avais l’occasion. En reprenant la route du village, au bas du sentier, à l’orée de la forêt, j’entendis les cris des vauriens en chasse. Comme à leur habitude, ils poursuivaient leur proie
- 221 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 221
14.09.2018 03:35:56
favorite. Ils l’avaient cernÊe dans un coin de bosquets. Ils n’Êtaient pas bien mÊchants, mais leurs langues de vipère Êtaient habiles, acÊrÊes et meurtrissaient avec assurance les âmes les plus sensibles. Les cris d’Anna brisèrent mes dernières hÊsitations. Cette fois-ci, les claques que je distribuai claquèrent avec plus de violence que je ne l’aurais souhaitÊ. Les jeunes loups s’enfuirent en vocifÊrant. Anna, prise au piège des ronces, me tendit ses poignets. Je la soulevai de terre pour l’arracher aux ronces dans lesquelles elle s’Êtait rÊfugiÊe et pour la première fois de ma vie, j’Êtreignis entre mes bras un corps souple et chaud qui n’avait rien à voir avec celui d’une brebis ou d’un chaton. Ce premier contact dÊvasta mon cerveau et j’Êprouvai un violent vertige à la savoir si fragile et si innocente entre PHV EUDV -H PH ¿V OœHIIHW GœrWUH XQ YLHX[ GpJR€WDQW HQ proie à d’innommables pulsions. Je pensai fortement à Dieu, à son jugement sÊvère et Êternel, je pensai au curÊ qui m’entendrait plus tard en confession, à ma mère, à mon père et je la repoussai avec une certaine brusquerie. Anna me jeta un regard incrÊdule et soudain inquiet. Pour me faire pardonner, je lui souris. J’Êcartais les ronces encore accrochÊes à la peau dÊlicate de ses jambes avec toute la dÊlicatesse dont j’Êtais capable. L’ours solitaire avait depuis longtemps dÊposÊ les armes.
- 222 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 222
14.09.2018 03:35:57
Sa main se glissa dans la mienne et malgrÊ ma rÊsistance, HOOH PœHQWUDvQD FKH] VHV SDUHQWV /H FRXSOH PœDFFXHLOOLW chaleureusement, à ma grande surprise. Ils voyaient en moi l’ange gardien qui par deux occasions dÊjà avait protÊgÊ leur enfant. Ils n’ont pas jamais changÊ d’attitude à mon Êgard. C’Êtait des gens simples qui ne voyaient pas le mal et avaient besoin d’alliÊs dans un monde dont ils ne comprenaient pas toujours les enjeux. Anna, si douce, si timide, cachait une nature riche, vivante, turbulente même. Avide de dÊcouvrir et d’expÊrimenter toutes les richesses que lui rÊserverait l’existence, elle n’avait qu’un dÊsir, intÊgrer la jeunesse du village. Jusqu’ici elle n’avait connu que la fuite et les privations. Ses parents, trop âgÊs, Êtaient rÊduits à l’impuissance et laissaient l’adolescente diriger sa vie à sa façon. Aussi m’Êtaient-ils reconnaissants de mes attentions envers OD SHWLWH ,OV PH IDLVDLHQW XQH FRQ¿DQFH DYHXJOH FRPPH personne ne l’avait jamais fait à ce jour. Je ne voulais en aucune façon les dÊcevoir. Je revis rÊgulièrement Anna au cours des mois, des annÊes qui suivirent. Je ne pouvais partager avec elle aucune des joies, aucun des plaisirs si propres à la jeunesse. Je la regardais s’Êpanouir sans plus aucune mauvaise pensÊe. Elle n’Êtait pas pour moi. J’en Êtais bien conscient. Je voulais juste être là , encore un peu, pour la protÊger, combler ce vide autour d’elle. J’Êtais prêt à souffrir, le MRXU R OœKLURQGHOOH DX SULQWHPSV SUHQGUDLW VRQ HQYRO YHUV d’autres horizons.
- 223 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 223
14.09.2018 03:35:57
(OOH ¿W GH UDSLGHV SURJUqV HQ IUDQoDLV HW DSSULW j VH GpIHQGUH avec ses poings. Ses adversaires d’autrefois respectèrent SHX j SHX XQH SUXGHQWH GLVWDQFH -¶pWDLV ¿HU GH PRQ pOqYH Lorsque nous étions ensemble, je lui enseignais tout ce que je savais de la montagne, de la nature. Je fus surpris par l’ampleur de mes propres connaissances. Élève attentive, Anna écoutait de longues heures, puis soudain s’élançait dans les fourrés, à la recherche de mûres, GH ÀHXUV SRXU VHV SDUHQWV (OOH SRVVpGDLW XQ VHQV DUWLVWLTXH très développé et confectionnait en un tour de main de ravissants bouquets. Imprévisible dans tout ce qu’elle faisait, elle me faisait courir comme une chèvre folle et se moquait gentiment de ma timidité, de ma gaucherie de vieux garçon. Les mois s’écoulèrent bien trop vite. Chaque saison nous apportait d’autres émerveillements, d’autres joies. Au plus froid de ces hivers-là, je bravais comme personne n’avait dû le faire jusque-là la neige et les dangers de la montagne en revenant au village pour lui apprendre à skier ou pour confectionner des bonshommes de neige. Le soir, je retournais au hameau et souvent je risquais l’accident. J’avais des ailes à cette époque, les ailes de l’amour même si ce n’est pas le nom que je donnais à mes sentiments. Malgré ses nombreuses prières, je ne l’ai jamais invitée au hameau. J’étais conscient de mes propres limites. La montagne exerçait sur elle une fascination qui bien souvent m’émut jusqu’aux larmes.
- 224 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 224
14.09.2018 03:35:57
Durant cette pÊriode, je fus l’homme le plus heureux de la planète. Un sourire, un mot, un geste me grisaient et me rendaient au centuple mon adoration un peu puÊrile. &HOD PH VXI¿VDLW -œpWDLV DPRXUHX[ 3DUIRLV VHV OqYUHV HIÀHXUDLHQW PD MRXH &H EDLVHU LQQRFHQW OpJHU FRPPH la plume et frais comme l’eau de source transformait ma journÊe en tourments intolÊrables et mes nuits en cauchemars inavouables dans lesquels je me dÊbattais sans jamais trouver le repos. J’Êtais devenu l’esclave d’un amour absolu et irrÊalisable. Je rÊsistais, de tout mon être, de tout mon corps. Anna n’Êtait pas pour moi. Je le savais. /œDGROHVFHQWH JUDQGLW HPEHOOLW FRPPH XQH ÀHXU DX FRQWDFW de la rosÊe. De petit bouton triste, elle devint rose parfumÊe HW PDJQL¿TXH /RQJWHPSV MH IXV OH VHXO j PœDSHUFHYRLU GH ce changement. Notre amitiÊ Êtait sincère et je croyais être à l’abri de toute dÊception. C’est alors que sont survenus les vÊritables problèmes. Au village, les mauvaises langues qui s’Êtaient jusqu’ici gentiment moquÊes de moi crièrent au scandale lorsqu’Anna atteignit ses dix-huit ans. Elle Êtait devenue un papillon d’une rare beautÊ, dont les ailes, une fois dÊployÊes, rÊvÊlaient un charme très particulier. Les garçons, comme des oiseaux gourmands, la taquinaient sans cesse, tandis que les pères, hypocritement, se rÊjouissaient de ces jeux d’adolescents. Chaque sourire accordÊ les comblait de joie et m’arrachait un morceau de mon cœur. Ces menaces constantes PœDVVRPEULUHQW HW OD MDORXVLH PH ¿W FRPPHWWUH TXHOTXHV impairs impardonnables. Anna qui avait trop longtemps
- 225 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 225
14.09.2018 03:35:57
Chemin de rÊvÊlation, quand tout reprend sa place‌ Tandis que Jean songeait à l’avenir, Marion souffrait du passÊ. Plus d’un an dÊjà ! L’adolescente en perdait l’appÊtit. HÊlène vint passer une semaine de vacances à la ferme avec )DELHQQH /D ¿OOHWWH j RQ]H DQV FRPPHQoDLW j SUHQGUH TXHOTXHV IRUPHV SOXV IpPLQLQHV 6RQ FDUDFWqUH VœDI¿UPDLW HW LO QœpWDLW SDV UDUH GH YRLU VœDIIURQWHU OD PqUH HW OD ¿OOH HQ GH VLQJXOLHUV FRPEDWV &HV FRQÀLWV pWDLHQW VXUWRXW SpQLEOHV pour HÊlène douce et sensible de nature. Marion servait d’intermÊdiaire lors de ces joutes verbales. Fabienne avait dÊcouvert en elle la grande sœur qu’elle n’avait jamais eue. Pour Marion, la tendresse de sa cadette la troublait. C’Êtait à la fois inquiÊtant et enivrant d’être ainsi le modèle de quelqu’un d’autre. Elle ne savait plus très bien comment se comporter, la tourmente qui avait bouleversÊ sa vie n’Êtait pas toujours un exemple à citer. Comment expliquer j XQH ¿OOHWWH TXL DGPLUH YRWUH FRXUDJH SRXU DYRLU IXL le cercle familial, qu’on s’est peut-être tout simplement trompÊ et qu’on regrette amèrement cet instant de folie ! /D MHXQH ¿OOH DYDLW pJDOHPHQW GH ORQJXHV FRQYHUVDWLRQV avec HÊlène qui se sentait un peu perdue. Antoinette resplendissait, enceinte de plusieurs semaines. Georges, plus amoureux que jamais, Êtait aux petits soins à son Êgard. Le regard d’HÊlène brillait de convoitise lorsqu’elle s’attardait trop longtemps sur le ventre de son amie.
- 317 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 317
14.09.2018 03:35:57
Lorsque Marcel revint à la ferme le dimanche suivant, la bataille Êtait gagnÊe. Fabienne avait besoin de l’autoritÊ d’un père, HÊlène d’un mari attentif et amoureux et peut-être d’une nouvelle grossesse, ce qui ne serait pas pour dÊplaire à Marcel. Ils ¿[qUHQW OD GDWH GX PDULDJH HW UHWRXUQqUHQW j 6WUDVERXUJ heureux et soulagÊs. Tant de bonheur, tant de joie troublèrent plus encore Marion TXL VH VHQWDLW Gp¿QLWLYHPHQW GH WURS GDQV FH SHWLW XQLYHUV C’est Antoinette qui inconsciemment mit le feu aux poudres. Pascal rendit une nouvelle visite à sa petite SURWpJpH $X UHWRXU 0DULRQ pWDLW VL HQÀDPPpH TXœHOOH QH SXW FRQWHQLU VHV FRQ¿GHQFHV HW ¿W SDUW GH FHV FHUWLWXGHV DX sujet de son père. Antoinette l’Êcouta patiemment et retourna le problème dans sa tête durant toute la nuit. Le lendemain, elle SUpWHQGLW XQH FRXUVH XUJHQWH SRXU GLVSDUDvWUH WRXWH OD journÊe. Lorsqu’elle revint, ses traits Êtaient tirÊs et ses yeux ravagÊs par les larmes. Elle ne parla à personne et monta aussitôt se coucher. Deux jours plus tard, BÊatrice arriva à la ferme. Après le dÊjeuner, elle proposa à Marion une promenade dans la campagne avoisinante. Tout en marchant, elle prit le bras GH OD MHXQH ¿OOH TXœHOOH VHUD WUqV IRUW FRQWUH OH VLHQ &H JHVWH LQWULJXD 0DULRQ 7RXW GDQV OœDWWLWXGH GH VRQ DvQpH trahissait une Êmotion intense. L’adolescente comprit que l’heure Êtait à la vÊritÊ.
- 318 -
331173733 srodek v 1.3.pdf 318
14.09.2018 03:35:57