"Chemins croisés", d'Astrid Yener-Uldry

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CHEMINS CROISÉS

Astrid Yener-Uldry

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Coup de plume, coup de cÅ“ur &HWWH KLVWRLUH HVW XQH SXUH ¿FWLRQ ,O IDOODLW ELHQ OD IDLUH YLYUH TXHOTXH SDUW HW F¶HVW SDU KDVDUG TXH M¶DL FKRLVL OH UDYLVVDQW YLOODJH GH &KDQGROLQ /HV &KDQGROLQDUGV G¶DXWUHIRLV HW FHX[ G¶DXMRXUG¶KXL VRQW GHV JHQV FKDOHXUHX[ HW JpQpUHX[ ULHQ j YRLU DYHF OHV TXHOTXHV PDXYDLVHV ODQJXHV TXH YRXV UHQFRQWUHUH] HQWUH OHV SDJHV GH FH OLYUH 0HUFL GH QH SDV O¶RXEOLHU 0HUFL j PHV OHFWULFHV GHV SUHPLqUHV KHXUHV LQFRQWRXUQDEOHV 0DULH -R HW PDPDQ TXL RQW OX OH WH[WH j O¶pWDW EUXW LO \ D SOXV GH DQV j PHV OHFWULFHV G¶DXMRXUG¶KXL *HQHYLqYH 0DQXHOD 0DUWLQH j 0DULDQQH PD V°XU TXL P¶D VXLYLH GH VRQ FRXS GH FUD\RQ HW j +XJXHWWH GH &KDQGROLQ OHFWULFH GH KDVDUG TXL P¶D RXYHUW OHV SRUWHV GH © VRQ &KDQGROLQ ª HW GRQQp OH FRXUDJH G¶HVVD\HU«

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© Éditions Soleil Blanc – 2018 ISBN 978-2-940605-36-1 Livre no 136 – juin 2018 www.soleil-blanc.ch – info@soleil-blanc.ch Route du Cotar 3, CH-1969 Suen / St-Martin Mise en page et couverture : Charlie Design, Vétroz Illustration couverture : Marianne Gerber

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CHEMINS CROISÉS LONG CHEMIN DES ADIEUX, LORSQUE PLUS RIEN N’A DE SENS…

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CHEMIN DE VIE, LORSQUE MALGRÉ LE CHAGRIN, IL FAUT CONTINUER…

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CHEMIN DE SOLITUDE, QUAND IL NE RESTE QUE LES SOUVENIRS ET QU’IL FAUT TOUT RECONSTRUIRE…

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CHEMIN DE TRAVERSE QUI NOUS ÉGARE, NOUS TRAHIT, SANS QU’ON SACHE TROP POURQUOI…

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CHEMIN DE DÉFI, À CONTRE-COURANT DU BON SENS, QUI NOUS EMPORTE VERS L’INCONNU…

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CHEMIN DE DOUTES, D’INCERTITUDES, LORSQUE LE PASSÉ REMONTE EN SURFACE…

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CHEMIN VERS L’INCONNU, FAIT DE RENCONTRES…

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RETROUVER SON SOUFFLE, CHEMIN D’AVENIR, D’ESPÉRANCE…

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CHEMIN AU JOUR LE JOUR, LE TEMPS DE REPRENDRE QUELQUES FORCES…

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PETITES LEÇONS AU QUOTIDIEN, CHEMIN D’APPRENTISSAGE…

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CHEMIN SUR LEQUEL LE CIEL ET LA TERRE S’ENLACENT, IMPUNÉMENT…

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CHEMIN DE SOUVENIRS, D’HISTOIRES ANCIENNES QU’ON A FAIT SEMBLANT D’OUBLIER…

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CHEMIN SUR LEQUEL SE BRISE L’INDIFFÉRENCE…

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CHEMIN DE CHANGEMENTS, DE TRANSHUMANCE, DE RENOUVEAU…

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CHEMIN DES CONFIDENCES…

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CHEMIN D’AMOUR ET D’INNOCENCE…

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CHEMIN DE CAMARADERIE, D’ENTRAIDE ET D’AMITIÉ…

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CHEMIN TROUBLE DU PRÉSENT, DU PASSÉ ET DE L’AVENIR…

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CHEMIN DE QUESTIONNEMENT, D’INTERROGATION, D’INCERTITUDE…

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CHEMIN D’ESPÉRANCE…

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CHEMIN DU TEMPS QUI PASSE, SEREIN, CONFIANT, LORSQUE LES PEINES S’ADOUCISSENT…

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CHEMIN DE PROJETS, DE SOLIDARITÉ…

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CHEMIN DE JOIE ET DE CONFIANCE…

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CHEMIN VERS L’AVENIR…

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CHEMIN DE RÉVÉLATION, QUAND TOUT REPREND SA PLACE…

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CHEMIN DE LA MAISON…

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Chemin de traverse qui nous ĂŠgare, nous trahit, sans qu’on sache trop pourquoi... 8 juin 1962 Seize heures. Papa ne rentrera pas avant deux ou trois heures. Ce matin, j’ai rangĂŠ les vĂŞtements de maman dans une vieille malle. Papa n’aura plus besoin de chercher ses affaires parmi les siennes. C’est lĂ une sage dĂŠcision Ă laquelle j’aurais dĂť songer il y a longtemps. Peut-ĂŞtre va-t-il ressentir davantage son absence, mais cela rentrera dans l’ordre d’ici quelques jours. /D YLH PH SDUDvW SOXV IDFLOH PDLQWHQDQW -H GRUV MH PDQJH et je me repose avec plus de sagesse. Cela se remarque dĂŠjĂ Ă l’Êclat de mes joues. Papa m’en a fait le compliment. -H SURÂżWH GH FHV TXHOTXHV KHXUHV GH VROLWXGH SRXU WULHU HW ranger les affaires de maman. C’est Ă moi dĂŠsormais de le faire. D’ailleurs, je l’aidais souvent lorsqu’il s’agissait de rĂŠdiger d’importantes lettres. Ă€ l’Êcole, j’Êcrivais de gigantesques rĂŠdactions et le pauvre Monsieur Charles passait des nuits Ă les corriger. Ma main tremblait lorsque j’ai ramenĂŠ la petite clĂŠ du fond de sa cachette. Personne n’y avait touchĂŠ depuis des mois. Elle ĂŠtait couverte de poussière. Je l’ai essuyĂŠe avec le revers de mon tablier. La serrure a cĂŠdĂŠ au premier

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mouvement et la porte s’est ouverte en grinçant. J’avais peur de mon audace et, pourtant, j’ai soulevĂŠ la première pile de feuilles blanches. Toute petite dĂŠjĂ , j’Êtais fascinĂŠe par ce meuble. Maman y rangeait tant de merveilles. Les cadeaux de NoĂŤl y trouvaient leur place. Les bonbons roses que je recevais lorsque j’avais ĂŠtĂŠ très sage s’y cachaient ĂŠgalement. Je n’ai dĂŠcouvert que très tard la cachette de la clĂŠ. MalgrĂŠ ma curiositĂŠ, je n’ai jamais trahi OD FRQÂżDQFH TXH PDPDQ DYDLW HQ PRL 3DUIRLV MH JOLVVDLV ma main dans le pot, caressais quelques secondes le morceau de mĂŠtal et m’enfuyais ensuite dans ma chambre pour rĂŞver Ă mon secret. Vers dix-huit heures quarante-cinq, papa est rentrĂŠ Ă la maison. J’ai interrompu mon travail de recherche qui n’avait en fait guère d’intĂŠrĂŞt. Curieusement, je n’en ai VRXIĂ€p PRW 8Q SHX FRPPH VL MÂśDYDLV SpQpWUp SDU HIIUDFWLRQ dans le monde de maman. Je ne veux plus que mon père souffre. Son ĂŠquilibre est si fragile. J’ignorais Ă quel point maman aimait l’ordre. J’ai retrouvĂŠ classĂŠs avec soin une ĂŠnorme quantitĂŠ de factures, des relevĂŠs d’impĂ´ts, le carnet dans lequel elle notait nos achats, nos dĂŠpenses et bien d’autres documents dont j’ignore jusqu’à l’utilitĂŠ. Un jour, j’avouerai ma curiositĂŠ Ă papa. Je ne le ferai que lorsque nous pourrons sans trop de peine et de crainte rassembler nos souvenirs et donner une

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histoire, un sens Ă chacun de ces papiers. Pour l’instant, je prĂŠfère le silence.

11 juin 1962 Papa m’a promis de m’emmener Ă l’Êglise dimanche prochain. Nous sommes ensuite invitĂŠs chez Madame Maillard. Elle nous prĂŠparera un gâteau aux amandes que nous dĂŠgusterons après le repas, avec le cafĂŠ. L’espace de quelques heures, nous retrouverons l’une de nos plus vieilles habitudes. Je tremble de joie Ă cette idĂŠe. J’imagine la rue, devant l’Êglise, rayonnante sous le soleil de la mi-journĂŠe, dans un bourdonnement de cloches qui DQQRQFHQW OD ÂżQ GH OÂśRIÂżFH 'HV EDQFV RQW pWp LQVWDOOpV par endroits, sous les arbres, voici quelques annĂŠes. Les vieillards de la commune s’y prĂŠcipitent les premiers, la pipe j OD ERXFKH SRXU SURÂżWHU GHV PHLOOHXUHV SODFHV DX VROHLO La lutte fait rage dans leurs rangs. DĂŠjĂ les voilĂ qui se calment et tiennent concile. Quelques femmes endimanchĂŠes, taches de couleurs vives, forment un cercle autour d’un landau. Un petit ĂŞtre effrayĂŠ, tirĂŠ du sommeil par deux bras volontaires, soulevĂŠ dans les airs, exhibĂŠ aux quatre vents comme un sac de lessive, hurle de terreur. On repose l’enfant dans le landau et dĂŠjĂ l’attention se porte sur un autre bambin aux joues roses et rebondies. Plus loin se rassemblent les hommes. Depuis des siècles, chaque dimanche les mĂŞmes histoires les tourmentent, les

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passionnent. Seuls les noms des protagonistes changent : ÂŤ Le père de la Touraude tourne ostensiblement le dos au vieux Marc Ă Fanny depuis plus de vingt-cinq ans ; le Julien, ce coureur de jupons, est encore une fois pris Ă partie par le père Monnier pour avoir serrĂŠ de trop près la 5RVHWWH VD ÂżOOH FDGHWWH TXDQW j OÂśePLOH GHV *UDQJHV GÂś(Q +DXW LO WHQWH GHSXLV SOXV GH VL[ DQV GH SODFHU VRQ DvQpH XQH JUDQGH ÂżOOH XQ SHX EqJXH HW WLPLGH TXL DSSURFKH GH ses trente ans. Âť Sur leurs bancs, les vieux ricanent, bien Ă l’abri du respect qu’inspire leur âge. Les annĂŠes ont adouci pour eux les rancunes, les amertumes d’autrefois. (QÂżQ GH FRQQLYHQFH LOV VÂśDPXVHQW GH FHV TXHUHOOHV TXÂśLOV ont autrefois enfantĂŠes et si leurs enfants les prennent Ă tĂŠmoin, ils ont tout oubliĂŠ ou sont un peu ÂŤ gâteux Âť, la faute aux annĂŠes. Qu’on les laisse tranquilles, ils ont mĂŠritĂŠ un peu de repos. Et Ă quoi bon remuer le passĂŠ ! Une fenĂŞtre entrouverte laisse ĂŠchapper un fumet dĂŠlicat. C’est le jour du rĂ´ti, du jambon et chacun se demande ce que l’autre mangera et si sa table sera aussi copieusement garnie que la sienne. La pinte communale a ouvert ses portes, les nappes Ă carreaux rouges et blancs respirent la IUDvFKHXU HW LQFLWH DX UHSRV /D FORFKH DQQRQFH OÂśKHXUH GH l’apĂŠritif. On y parlera politique ou commerce. Un dimanche comme tant d’autres ! J’en rĂŞve depuis des mois. Appartenir Ă une communautĂŠ, sourire, ĂŠchanger, papoter autrement qu’avec des chats, des lapins, des chèvres. J’en ai vraiment besoin.

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vainement d’économiser au maximum mes provisions, mais mes efforts ne servirent à rien. Je dus un matin retourner au village. Je fus le premier client de l’épicerie et retrouvai en hâte mes pâturages. Lorsque plus tard je m’assis devant la table de la cuisine, j’éprouvai une immense déception. J’avais tout fait pour éviter l’enfant. Pourtant, j’étouffais de l’envie de contempler sa chevelure, d’entendre sa voix, ne serait-ce qu’un seul et ultime instant. Un mois s’écoula. L’automne arriva. Je récoltai quelques fruits que je me proposai de porter à Monsieur le Curé. Quoi qu’aient pu prétendre ces vieilles harpies du village, je suis toujours resté bon chrétien. Est-ce ma faute si plus personne ne vient célébrer le culte au hameau ? J’échangeais donc le pardon de mes péchés contre des gourmandises en tout genre, que le brave curé partageait avec ses ouailles les plus défavorisées. Je fabriquais déjà ce délicieux fromage de chèvre. Les gourmets de la vallée tout entière s’arrachaient la production artisanale et minaudaient pour obtenir le secret de cette fabrication. Quoique sensible aux louanges, j’ai toujours jalousement conservé cette recette familiale. Mais je n’ai jamais été avare et j’ai bien volontiers partagé, quand j’en avais l’occasion. En reprenant la route du village, au bas du sentier, à l’orée de la forêt, j’entendis les cris des vauriens en chasse. Comme à leur habitude, ils poursuivaient leur proie

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favorite. Ils l’avaient cernĂŠe dans un coin de bosquets. Ils n’Êtaient pas bien mĂŠchants, mais leurs langues de vipère ĂŠtaient habiles, acĂŠrĂŠes et meurtrissaient avec assurance les âmes les plus sensibles. Les cris d’Anna brisèrent mes dernières hĂŠsitations. Cette fois-ci, les claques que je distribuai claquèrent avec plus de violence que je ne l’aurais souhaitĂŠ. Les jeunes loups s’enfuirent en vocifĂŠrant. Anna, prise au piège des ronces, me tendit ses poignets. Je la soulevai de terre pour l’arracher aux ronces dans lesquelles elle s’Êtait rĂŠfugiĂŠe et pour la première fois de ma vie, j’Êtreignis entre mes bras un corps souple et chaud qui n’avait rien Ă voir avec celui d’une brebis ou d’un chaton. Ce premier contact dĂŠvasta mon cerveau et j’Êprouvai un violent vertige Ă la savoir si fragile et si innocente entre PHV EUDV -H PH ÂżV OÂśHIIHW GÂśrWUH XQ YLHX[ GpJR€WDQW HQ proie Ă d’innommables pulsions. Je pensai fortement Ă Dieu, Ă son jugement sĂŠvère et ĂŠternel, je pensai au curĂŠ qui m’entendrait plus tard en confession, Ă ma mère, Ă mon père et je la repoussai avec une certaine brusquerie. Anna me jeta un regard incrĂŠdule et soudain inquiet. Pour me faire pardonner, je lui souris. J’Êcartais les ronces encore accrochĂŠes Ă la peau dĂŠlicate de ses jambes avec toute la dĂŠlicatesse dont j’Êtais capable. L’ours solitaire avait depuis longtemps dĂŠposĂŠ les armes.

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Sa main se glissa dans la mienne et malgrĂŠ ma rĂŠsistance, HOOH PÂśHQWUDvQD FKH] VHV SDUHQWV /H FRXSOH PÂśDFFXHLOOLW chaleureusement, Ă ma grande surprise. Ils voyaient en moi l’ange gardien qui par deux occasions dĂŠjĂ avait protĂŠgĂŠ leur enfant. Ils n’ont pas jamais changĂŠ d’attitude Ă mon ĂŠgard. C’Êtait des gens simples qui ne voyaient pas le mal et avaient besoin d’alliĂŠs dans un monde dont ils ne comprenaient pas toujours les enjeux. Anna, si douce, si timide, cachait une nature riche, vivante, turbulente mĂŞme. Avide de dĂŠcouvrir et d’expĂŠrimenter toutes les richesses que lui rĂŠserverait l’existence, elle n’avait qu’un dĂŠsir, intĂŠgrer la jeunesse du village. Jusqu’ici elle n’avait connu que la fuite et les privations. Ses parents, trop âgĂŠs, ĂŠtaient rĂŠduits Ă l’impuissance et laissaient l’adolescente diriger sa vie Ă sa façon. Aussi m’Êtaient-ils reconnaissants de mes attentions envers OD SHWLWH ,OV PH IDLVDLHQW XQH FRQÂżDQFH DYHXJOH FRPPH personne ne l’avait jamais fait Ă ce jour. Je ne voulais en aucune façon les dĂŠcevoir. Je revis rĂŠgulièrement Anna au cours des mois, des annĂŠes qui suivirent. Je ne pouvais partager avec elle aucune des joies, aucun des plaisirs si propres Ă la jeunesse. Je la regardais s’Êpanouir sans plus aucune mauvaise pensĂŠe. Elle n’Êtait pas pour moi. J’en ĂŠtais bien conscient. Je voulais juste ĂŞtre lĂ , encore un peu, pour la protĂŠger, combler ce vide autour d’elle. J’Êtais prĂŞt Ă souffrir, le MRXU R OÂśKLURQGHOOH DX SULQWHPSV SUHQGUDLW VRQ HQYRO YHUV d’autres horizons.

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(OOH ¿W GH UDSLGHV SURJUqV HQ IUDQoDLV HW DSSULW j VH GpIHQGUH avec ses poings. Ses adversaires d’autrefois respectèrent SHX j SHX XQH SUXGHQWH GLVWDQFH -¶pWDLV ¿HU GH PRQ pOqYH Lorsque nous étions ensemble, je lui enseignais tout ce que je savais de la montagne, de la nature. Je fus surpris par l’ampleur de mes propres connaissances. Élève attentive, Anna écoutait de longues heures, puis soudain s’élançait dans les fourrés, à la recherche de mûres, GH ÀHXUV SRXU VHV SDUHQWV (OOH SRVVpGDLW XQ VHQV DUWLVWLTXH très développé et confectionnait en un tour de main de ravissants bouquets. Imprévisible dans tout ce qu’elle faisait, elle me faisait courir comme une chèvre folle et se moquait gentiment de ma timidité, de ma gaucherie de vieux garçon. Les mois s’écoulèrent bien trop vite. Chaque saison nous apportait d’autres émerveillements, d’autres joies. Au plus froid de ces hivers-là, je bravais comme personne n’avait dû le faire jusque-là la neige et les dangers de la montagne en revenant au village pour lui apprendre à skier ou pour confectionner des bonshommes de neige. Le soir, je retournais au hameau et souvent je risquais l’accident. J’avais des ailes à cette époque, les ailes de l’amour même si ce n’est pas le nom que je donnais à mes sentiments. Malgré ses nombreuses prières, je ne l’ai jamais invitée au hameau. J’étais conscient de mes propres limites. La montagne exerçait sur elle une fascination qui bien souvent m’émut jusqu’aux larmes.

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Durant cette pĂŠriode, je fus l’homme le plus heureux de la planète. Un sourire, un mot, un geste me grisaient et me rendaient au centuple mon adoration un peu puĂŠrile. &HOD PH VXIÂżVDLW -ÂśpWDLV DPRXUHX[ 3DUIRLV VHV OqYUHV HIĂ€HXUDLHQW PD MRXH &H EDLVHU LQQRFHQW OpJHU FRPPH la plume et frais comme l’eau de source transformait ma journĂŠe en tourments intolĂŠrables et mes nuits en cauchemars inavouables dans lesquels je me dĂŠbattais sans jamais trouver le repos. J’Êtais devenu l’esclave d’un amour absolu et irrĂŠalisable. Je rĂŠsistais, de tout mon ĂŞtre, de tout mon corps. Anna n’Êtait pas pour moi. Je le savais. /ÂśDGROHVFHQWH JUDQGLW HPEHOOLW FRPPH XQH Ă€HXU DX FRQWDFW de la rosĂŠe. De petit bouton triste, elle devint rose parfumĂŠe HW PDJQLÂżTXH /RQJWHPSV MH IXV OH VHXO j PÂśDSHUFHYRLU GH ce changement. Notre amitiĂŠ ĂŠtait sincère et je croyais ĂŞtre Ă l’abri de toute dĂŠception. C’est alors que sont survenus les vĂŠritables problèmes. Au village, les mauvaises langues qui s’Êtaient jusqu’ici gentiment moquĂŠes de moi crièrent au scandale lorsqu’Anna atteignit ses dix-huit ans. Elle ĂŠtait devenue un papillon d’une rare beautĂŠ, dont les ailes, une fois dĂŠployĂŠes, rĂŠvĂŠlaient un charme très particulier. Les garçons, comme des oiseaux gourmands, la taquinaient sans cesse, tandis que les pères, hypocritement, se rĂŠjouissaient de ces jeux d’adolescents. Chaque sourire accordĂŠ les comblait de joie et m’arrachait un morceau de mon cĹ“ur. Ces menaces constantes PÂśDVVRPEULUHQW HW OD MDORXVLH PH ÂżW FRPPHWWUH TXHOTXHV impairs impardonnables. Anna qui avait trop longtemps

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Chemin de rĂŠvĂŠlation, quand tout reprend sa place‌ Tandis que Jean songeait Ă l’avenir, Marion souffrait du passĂŠ. Plus d’un an dĂŠjĂ ! L’adolescente en perdait l’appĂŠtit. HĂŠlène vint passer une semaine de vacances Ă la ferme avec )DELHQQH /D ÂżOOHWWH j RQ]H DQV FRPPHQoDLW j SUHQGUH TXHOTXHV IRUPHV SOXV IpPLQLQHV 6RQ FDUDFWqUH VÂśDIÂżUPDLW HW LO QÂśpWDLW SDV UDUH GH YRLU VÂśDIIURQWHU OD PqUH HW OD ÂżOOH HQ GH VLQJXOLHUV FRPEDWV &HV FRQĂ€LWV pWDLHQW VXUWRXW SpQLEOHV pour HĂŠlène douce et sensible de nature. Marion servait d’intermĂŠdiaire lors de ces joutes verbales. Fabienne avait dĂŠcouvert en elle la grande sĹ“ur qu’elle n’avait jamais eue. Pour Marion, la tendresse de sa cadette la troublait. C’Êtait Ă la fois inquiĂŠtant et enivrant d’être ainsi le modèle de quelqu’un d’autre. Elle ne savait plus très bien comment se comporter, la tourmente qui avait bouleversĂŠ sa vie n’Êtait pas toujours un exemple Ă citer. Comment expliquer j XQH ÂżOOHWWH TXL DGPLUH YRWUH FRXUDJH SRXU DYRLU IXL le cercle familial, qu’on s’est peut-ĂŞtre tout simplement trompĂŠ et qu’on regrette amèrement cet instant de folie ! /D MHXQH ÂżOOH DYDLW pJDOHPHQW GH ORQJXHV FRQYHUVDWLRQV avec HĂŠlène qui se sentait un peu perdue. Antoinette resplendissait, enceinte de plusieurs semaines. Georges, plus amoureux que jamais, ĂŠtait aux petits soins Ă son ĂŠgard. Le regard d’HĂŠlène brillait de convoitise lorsqu’elle s’attardait trop longtemps sur le ventre de son amie.

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Lorsque Marcel revint Ă la ferme le dimanche suivant, la bataille ĂŠtait gagnĂŠe. Fabienne avait besoin de l’autoritĂŠ d’un père, HĂŠlène d’un mari attentif et amoureux et peut-ĂŞtre d’une nouvelle grossesse, ce qui ne serait pas pour dĂŠplaire Ă Marcel. Ils Âż[qUHQW OD GDWH GX PDULDJH HW UHWRXUQqUHQW j 6WUDVERXUJ heureux et soulagĂŠs. Tant de bonheur, tant de joie troublèrent plus encore Marion TXL VH VHQWDLW GpÂżQLWLYHPHQW GH WURS GDQV FH SHWLW XQLYHUV C’est Antoinette qui inconsciemment mit le feu aux poudres. Pascal rendit une nouvelle visite Ă sa petite SURWpJpH $X UHWRXU 0DULRQ pWDLW VL HQĂ€DPPpH TXÂśHOOH QH SXW FRQWHQLU VHV FRQÂżGHQFHV HW ÂżW SDUW GH FHV FHUWLWXGHV DX sujet de son père. Antoinette l’Êcouta patiemment et retourna le problème dans sa tĂŞte durant toute la nuit. Le lendemain, elle SUpWHQGLW XQH FRXUVH XUJHQWH SRXU GLVSDUDvWUH WRXWH OD journĂŠe. Lorsqu’elle revint, ses traits ĂŠtaient tirĂŠs et ses yeux ravagĂŠs par les larmes. Elle ne parla Ă personne et monta aussitĂ´t se coucher. Deux jours plus tard, BĂŠatrice arriva Ă la ferme. Après le dĂŠjeuner, elle proposa Ă Marion une promenade dans la campagne avoisinante. Tout en marchant, elle prit le bras GH OD MHXQH ÂżOOH TXÂśHOOH VHUD WUqV IRUW FRQWUH OH VLHQ &H JHVWH LQWULJXD 0DULRQ 7RXW GDQV OÂśDWWLWXGH GH VRQ DvQpH trahissait une ĂŠmotion intense. L’adolescente comprit que l’heure ĂŠtait Ă la vĂŠritĂŠ.

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