" Les limbes d'Ève" - Benjamin Jichlinski - Éd. Soleil Blanc

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Benjamin Jichlinski

Les limbes d’Ève

Éditions Soleil Blanc


Du même auteur :

En mal de fleurs, poèmes, Société des Écrivains, Paris 2012 À jamais perdu, poèmes, Éditions du Madrier, Pailly 2013

Tableau de la couverture : Thomas Mustaki ©

Photographie de l’auteur : Stéphane Mocan ©

Éditions Soleil Blanc www.soleil-blanc.ch Livre N° 102 – Décembre 2016 ISBN 978-2-940605-01-9


À l’Amour, À la Passion, À la Haine, À l’Oubli…

À ma famille, À mes amis.


Ă€ notre pulsion la plus forte, au tyran qui nous habite se soumet non seulement notre raison, mais mĂŞme notre conscience. Nietzsche, Par-delĂ le bien et le mal.


Préface Entre Rilke et Dylan… La lecture des « Limbes d’Ève » me tourmente, tellement je retrouve des interrogations personnelles, des sentiments propres, des doutes et des questions qui me préoccupent. Ces mots, je les scarifie dans ma peau pour m’en imprégner, ils transitent dans mon sang pour passer dans mon cœur. Ces mots font jaillir les miens tel un geyser d’Islande : l’eau chaude, bienveillante, retombe sur nos têtes pour un bienêtre incommensurable. Qu’est-ce que l’artiste ?

Un choix de vie, un choix de folie, et c’est à travers cette « folie » que peut se produire la réussite : « Le poète s’entend aussi bien / Avec les fous / Qu’avec les assassins. » - (Entente, p. 76)

Benjamin peint ses tristesses, ses amours, ses désirs. À l’heure la plus silencieuse de la nuit, il cherche une réponse profonde face au doute et construit sa vie autour de cette nécessité. Sa jeunesse est impatiente envers tout ce qu’il y a de non résolu dans son cœur : « Amour, sentiment roi aux complots éreintants / … Mon esprit éhonté crie son courroux / Il t’en veut et t’en voudra toujours, vieux fou ! / Immolateur de liberté et de sagesse, / Au regard occulte ridé de bassesse. » - (Doux ennemi, p. 22)

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Le piège, c’est de partir à la recherche de réponses qui ne peuvent pas être données, parce que tu ne pourrais pas les vivre. Vivre maintenant les questions, fait peut-être entrer dans la réponse. (Rilke)

La volupté physique est profusion, expérience grande, infinie, un savoir sur le monde. Il observe avec une crainte respectueuse sa fécondité, qu’elle apparaisse comme spirituelle ou corporelle : elles sont de la même essence. La relation au sexe vient du poète, de ses dispositions et de sa manière d’être qui sont les siennes, de son expérience, de son enfance, de sa propre force, hors de toute influence des conventions et des mœurs. (Rilke) Le poète qui, au long des nuits, s’unit et s’entrelace dans les bercements de la volupté fait un travail plein de sérieux, amasse des douceurs, des profondeurs et de la force. Même s’il s’égare et s’étreint en aveugle, il appelle le futur, faisant surgir un homme nouveau. Une vigoureuse et résistante semence se fraie un chemin. Ces paroles de Rilke adressées au jeune poète me sont inspirées par plusieurs poèmes de Benjamin :

« Qu’est-ce que l’amour sinon / L’envie du corps nu et lascif / Choyé de touchers et d’étreintes / En ces chaudes nuits. » (Sinon toi, p. 12)

« Un instant oublié de Chronos et des dieux / En une sombre nuit où l’ivresse fut reine /… Mes yeux ne se lassaient de parcourir ton corps / Qu’un Eros a forgé alliant le feu à l’or. » (Souvenance, p. 53) « Reine de mes nuits / quand me lasserai-je / De ton insouciance / Et de ta / Frivolité ? … Ô mais qu’il est bon / De t’enlacer

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/ Et de goûter / Dans le gouffre insatiable / De l’instant / Retrouvé. » - (Lilith, p. 18-19)

Le poète exprime son humilité, ses limites, ses doutes, son vécu. Il construit son expérience des mots, de noms communs à caractère grave qui martèlent notre vie, en les personnifiant. Au fil du recueil, Benjamin parle, dialogue avec la Raison, l’Ennui, la Tragédie, l’Argent, le Temps, le Travail, la Science, le Progrès, la Religion, la Morosité, mais aussi avec l’Espoir, l’Amitié, la Vitalité, le Rêve, La Parole, la Beauté…

Ces noms communs personnifiés prennent l’ampleur de dieux, de démons, de personnages surhumains, que l’auteur appréhende, clairvoyant face à la soumission, la faiblesse de l’homme dans une société écrasante. (Marchand de cœur, Une tempête, Érogyne, Trahison, Sénèque, Des années après la mort d’Espérance, Nouveau règne, Plainte, Rêve, Caillou …) Même l’amour surpasse la force du poète, dont la sincérité est désarmante :

«Tous agrippent mon corps dépourvu de raison / Le trimballent, pantin, le plongeant sans façon / Dans la lie rance couchée de noirceur, / Coussin que je pleure lorsque vient le matin. / Juge de lumière – Ô Hélios divin ! / Brûle-les, brûle-moi, car ils ont eu mon cœur. » - (Nuit, p. 15)

« Ton esprit de douceur, fait de cristal si fin / Alourdi de soucis, se fêle tout entier / Et les larmes perlent, tu te brises en mes mains / Tranchant les artères de mon être achevé. » - (Sinon toi2, p. 61) Je tiens aussi à faire une comparaison risquée entre Benjamin et Bob Dylan. Le jeune Dylan est un poète engagé. J’aime le

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risque. Et j’aime les vers de Benjamin.

Dans ses poèmes « Avortement », « Café », « Merde », « Assourdi », « Un vieux », « On tourne », « Il suffit », je perçois un souffle humaniste, une ébauche altermondialiste chez Benjamin dont l’essence s’apparente aux célèbres paroles de Dylan, notamment dans un de ses premiers album «The free wheelin’». Dylan se fait le porte-parole de la lutte pour les droits civiques ; il fait un réquisitoire contre le nucléaire et contre les profiteurs de la guerre « Masters of War » / « A Hard Rain’s A-Gonna Fall. » En lisant Benjamin, je pense à une chanson d’amour que Bob Dylan dédie à sa girl friend Suze Rotolo : « Parle de moi à quelqu’un qui vit là-bas / Elle fut jadis mon grand amour. »

Son poème « Si » m’évoque la chanson « Blowin‘ in the Wind » écrite par Dylan en 1963 : « Combien de fois un homme doit-il regarder en l’air avant de voir le ciel ? Oui, et combien d’oreilles doit avoir un seul homme avant de pouvoir entendre pleurer les gens ? » Voilà, chère lectrice, cher lecteur, j’espère éveiller en vous un plaisir insatiable à la lecture de ce recueil, en évoquant pour conclure quelques mots du poème « Cité » : « … Nous resterons ensemble / Et c’est le combat / Que l’on mènera / Toutes ces nuits / Pour l’amitié. »

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Bruno Mercier


Poèmes

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Sinon toi Qu’est-ce que l’amour sinon L’étoile blanche et polaire Guide scintillant En ces longues nuits.

Qu’est-ce que l’amour sinon L’envie du corps nu et lascif Choyé de touchers et d’étreintes En ces chaudes nuits. Qu’est-ce que l’amour sinon L’impatience de se retrouver Après l’amère absence Du temps qui fuit. Les mots cachent Ce fougueux sentiment Timidement habillé Mais qu’est-ce que l’amour Sinon Toi.

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Nuit Le souffle de la nuit éteint les étoiles Et mon âme aveugle tombe dans sa toile Réclamant l’attention d’un esprit sans rêves Glaciale elle arrive, l’obscurité d’Ève.

Les ombres se tordent d’un rire des bas-fonds Arrachant au repos des plaintes de damné Et terrible Hécate, folle de l’Odéon Dégueule l’oracle des désirs avortés.

Tous agrippent mon corps dépourvu de raison Le trimballent, pantin, le plongeant sans façon Dans la lie rance couchée de noirceur, Coussin que je pleure lorsque vient le matin. Juge de lumière – Ô Hélios le divin ! Brûle-les, brûle-moi, car ils ont eu mon cœur.

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Mainau Apollon a craché sur l’amour coloré Un geste horrible pour un homme enfoui En ses propres ténèbres où les démons nantis Ont pris de beaux quartiers, se mettant à leur aise, Ils fument leur houka, qu’à cela ne plaise ! Brumant les sentiments, poignardant la Beauté.

Si belle musique, le malheureux t’oublie Vaquant sous de grands arbres où les oiseaux trillent Il ne voit plus les roses ni leur parfum d’été Il titube du cœur comme au loin ce voilier.

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Adieu Prisonnier de l’instant Revécu sans relâche L’âme n’est plus qu’un radeau Déchiré par les flots.

Et l’inspiration Vieille voile trouée Tend son oreille jaune et misérable Aux cris vindicatifs du vent. Alors péniblement Cogné par les récifs de l’amour Il essaye l’écorché De se joindre à l’horizon.

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Les remerciements de l’auteur vont à

Bruno Mercier, pour la rédaction de la préface de ce recueil, et pour son aide dans la finalisation de l’ouvrage. Stéphane Mocan, pour le portrait photographique.

Thomas Mustaki, pour l’illustration de la couverture. Thomas est un artiste peintre greco-scandinave né à Lausanne en 1990. Des rêves l’emportent dans des danses incessantes, peuplés de personnages hauts en couleur qui tour à tour, comme en transe, s’élèvent, se déforment, sourient, pleurent, s’extasient et chutent en vacarme. Puis se relèvent pour y retourner. Ainsi va son oeuvre, ainsi va la vie. Plus d’informations sur le travail de ces deux artistes sur les sites www.thomasmustaki.com et www.stephanemocan.ch

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