ROULEZ ! LA VOIX EST LIBRE
111 petits textes de : Andreï Gangioveanu René Codourey Sandrine Bressoud Janique Roessli Francis Amoos Gaétan Daves Cédric Bardou
Éditions Soleil Blanc
Éditions Soleil Blanc www.soleil-blanc.ch Estampes : Isabelle Zeltner-Salamin © Photographies : Julien Dresselaers © Mise en page : Atelier Imagin’- Chalais Livre N° 101 – Décembre 2016 © ISBN 978-2-940605-00-2
Table des matières Prologue
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Présentation des auteurs Andreï Gangioveanu René Codourey Sandrine Bressoud Janique Roessli Francis Amoos Gaétan Daves Cédric Bardou
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Présentation de l’artiste Isabelle Zeltner-Salamin
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Chapitres I. L’importance de la voix II. Écrire, marcher III. Liberté IV. En décalage V. Combats VI. Oubli VII. Émotions
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Mot de la Direction
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Remerciements
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Donateurs
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Prologue « Ceux que tu attends, tu le sais bien, ils sont au fond de toi, perdus. Perdus dans la forêt du sang. Allume un feu pour qu’ ils y voient, pour qu’ ils retrouvent leur route, la route qui mène des enfers au plein jour - au jour d’aujourd’ hui, Isabelle. Éclaire ton sang. Écris. » Christian Bobin
Ils ont été conviés à une soirée culturelle dans le foyer où ils sont résidents. Un atelier de conteurs viendra partager avec eux le fruit du travail de l’année en leur racontant quelques Histoires d’en parler, parmi lesquelles figure un conte créé par une personne handicapée, en duo avec la conteuse animatrice d’atelier que je suis. Ce soir-là, alors qu’ils écoutent, les histoires racontées font ricochets avec leur histoire, et une grande émotion nous saisit tous. À l’issue de cette rencontre, plusieurs personnes présentes dans le public ont le vif désir de prendre elles aussi les mots pour se dire, écrire leur monde intérieur, faire entendre leur voix. Si un l’a fait, d’autres le peuvent aussi. Il me faudra quelques mois pour répondre à cette demande. Certes, ce sont des personnes handicapées, 7
certaines de naissance, d’autres suite à une maladie ou un accident ; leur mobilité est restreinte et leur élocution parfois difficile, mais cela ne représente pas un obstacle pour moi. J’ai déjà vécu cette expérience dans le cadre d’un atelier de Contes qui s’ était tenu dans leur foyer, et ce sont avant tout des personnes, avec une histoire en marche qui m’appelle et suscite ma curiosité. Ce n’ est pas d’eux que je doute, c’ est de moi-même : de ma capacité à tisser un lien de confiance, à m’inviter dans le secret intérieur de leur mémoire, là où se tissent les images du vécu, là où se déroule, fragile, le fil de vie, et celui de l’écriture possible. Je finis par accepter et nous nous retrouvons pour la première soirée pour tenter d’écrire, d’extraire de notre intimité des pensées, des paroles pour leur donner matière dans l’écrit et ainsi se dire au monde. Chaque rencontre permet de nous trouver davantage, l’écriture fait miroir avec nous-mêmes et devient, après quelques rencontres, indispensable à chacun. Et cela dure depuis dix ans. À raison d’une à deux fois par mois. Ce groupe, variable au cours des années, mais dont le noyau originel est demeuré le même, se retrouve pour écrire sur toutes sortes de sujets, chacun avec son regard, son style et sa capacité et surtout, son identité propre. Le cadre d’écriture est multiple, d’une lecture à une chanson, d’un fait d’actualité à un souvenir d’enfance, 8
en passant par toutes les préoccupations humaines, la mort, le désir, la liberté, pour n’en citer que bien peu sur la gamme de notre palette de vie. Et, comme une chercheuse de pierres précieuses, une archéologue du cœur, je travaille la terre créative de chacun, j’attends que les mots trouvent la voix et je transcris alors sur le cahier ce qui est dit. C’est de l’écriture à l’oral, comme je la nomme. Parfois, le vocabulaire manque ou l’émotion fait barrage aux mots ; parfois, l’élocution est laborieuse, la capacité physique restreinte, pour exprimer l’écriture qui est exactement à l’intérieur de soi. Il faut être patient, apprendre à lire les corps, guider, proposer, reformuler plusieurs fois, pour que la parole soit véritablement celle de celui qui la dit, avant de la fixer dans l’écrit. La bienveillance du groupe salue la belle écriture d’un soir, le trait d’humour d’un jeu de langue rieur, accueille un débordement émotionnel ou un blocage occasionnel qui laisse en lieu et place des mots, le silence. Un silence qui parle de l’indicible, auquel même l’écriture ne peut donner de voix en l’instant. En dix ans, nous avons ensemble tracé un chemin d’écritures, existé en marche pour dire nos humanités, et qui sait si elles ne feront pas miroir avec les vôtres… Anne C. Martin, fondatrice et accompagnatrice de l’Atelier Écritures
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PrĂŠsentation des auteurs
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Andreï Gangioveanu Andreï Gangioveanu naît polyhandicapé en Roumanie, en 1981. À l’âge de 9 ans, il arrive en Suisse où il vit encore avec sa famille, mais reste profondément roumain dans l’âme. Il est amoureux de tout ce qui est vivant, les femmes, la musique, la nature, et se sent une grande intelligence et créativité intérieures, mais une grande timidité aussi. Il rejoint en 2006 l’Atelier Écritures afin de partager sa sensibilité avec d’autres.
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René Codourey Né en 1950 à Romont-FR, René Codourey est polyhandicapé de naissance. Durant sa jeunesse, il connaît la chance de pouvoir voyager, New York, le Québec, le Maroc et puis beaucoup en France. Il se sent l’âme nomade et garde de ce temps beaucoup de beauté à l’intérieur et le goût de la diversité. Avec l’aide de ses proches, il commence à écrire multitude d’ histoires imaginaires dès l’âge de 18 ans. Il rejoint l’Atelier Écritures en 2006, pour ouvrir son champ de création.
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Sandrine Bressoud Née en 1973, à Monthey. Handicapée de naissance, on ne lui donne qu’un mois de vie ; pourtant, elle survit à une longue suite d’opérations. À l’âge de 7 ans, elle perd sa maman et de nouvelles luttes commencent. Elle se rêverait en nurse, tant elle aime les enfants, mais ce possible faisant défaut, elle choie ses petits neveux. En 2008, après un long silence émotionnel, elle rejoint l’Atelier Écritures, pour renouer avec elle-même par l’expression des mots.
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Janique Roessli Janique Roessli naît le 11 octobre 1968 à Sion. Elle est fortement prématurée et reste infirme moteur cérébral. Épicurienne, amoureuse de la vie, elle dévore les livres dès sa scolarisation, et fréquente assidûment les bibliothèques et librairies. Ainsi, tout naturellement, elle rejoint l’Atelier Écritures en 2006, pour se faire pousser des ailes, comme elle aime à le dire.
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Francis Amoos Né en 1958 en Valais, Francis Amoos est licencié en lettres. En 1990, un grave accident le laisse handicapé, avec une lésion cérébrale apparemment sans retour. En 2006, grâce à la communication facilitée et à l’accompagnement de personnes bienveillantes, il retrouve sa dignité et son droit d’existence par l’écriture et rejoint l’atelier à ses débuts, en 2006. Il publie, en 2014, son premier recueil de poèmes, vit aujourd’ hui à Sierre, où il poursuit sa vie d’écrivain. La Société des Écrivains du Valais lui décerne son prix 2015 pour l’ouvrage « Du neuf, de l’inconnu, de l’impossible ».
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Gaétan Daves Né en 1995, à Vérossaz, qu’il qualifie de plus beau village du monde. À un an et demi, les complications d’une opération le laisse handicapé à vie. Dès l’âge de 6 ans, la danse devient sa passion et sa raison de vivre. En 2016, pour la première fois, il est en duo avec la danseuse Florence Fagherazzi au TLH de Sierre, dans le spectacle « Bist du frei ? ». Il rejoint l’Atelier Écritures en 2013, avec la volonté de créer un second livre, le premier étant un conte écrit durant l’enfance.
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Cédric Bardou Cédric Bardou naît prématurément le 28 février 1971 et reste infirme moteur cérébral. Bon vivant, il aime la peinture -il a même été auditeur en histoire de l’art à Genève-, la musique, le sport, les femmes et aime le dire ; sans tout cela, il ne pourrait pas vivre. Il rejoint l’Atelier Écritures en 2012, pour s’ouvrir au monde et développer sa capacité de dialoguer.
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Présentation de l’artiste
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Isabelle Zeltner-Salamin Les paysages, la nature et la nature humaine sont des thèmes de prédilection chez Isabelle et c’est naturellement que des images figuratives sont apparues dans ces gravures. Pour ce projet, un fin travail à la pointe sèche sur des plaques de plexiglas a été réalisé, témoignant d’une belle rencontre, celle de ces femmes et de ces hommes qui se sont volontiers prêtés au jeu de la pose, et d’une artiste sensible. Isabelle Zeltner-Salamin est artiste peintre, elle vit et travaille en Valais. En 1991, elle obtient son diplôme Espace / Volume à l’ École Cantonale d’Art du Valais. 28
En 2006 et en 2010, elle entreprend deux voyages marquants au Burkina Faso et participe à la construction et à l’animation d’une école pour jeunes adultes handicapés moteurs. Isabelle Zeltner-Salamin sera durant cinq ans animatrice au Musée C.C. Olsommer, à Veyras, et créera en 2013 la structure pour les cours de médiation culturelle destinés aux familles, à la Fondation Pierre Arnaud, à Lens, et anime les ateliers pour enfants pendant la saison Hiver I. Isabelle crée d’une façon intuitive, interprète de toile en toile une série dans une composition globale. Elle s’exprime spontanément en faisant coexister des éléments picturaux gestuels dans des plages de couleurs mesurées, créant une tension entre les éléments. Les images sont des paysages irréels, nimbés de silence d’où jaillissent une trace de pastel, une ligne au fusain, un signe gravé. Gestes suspendus en périphérie qui s’inscrivent et se figent dans le gesso, dans les surfaces peintes ou sur la plaque de cuivre. Tout comme en musique les silences font écouter plus attentivement, les éléments picturaux, les écritures et les couleurs qui apparaissent en transparence jouent avec les plages traitées plus sobrement. La terre ocre ramenée de ses voyages en Afrique participe à cette poésie.
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Isabelle Zeltner-Salamin travaille depuis 2008 à l’Association de Loisirs et Culture (ASLEC) de la ville de Sierre. Membre actif Visarte, elle a participé à de nombreuses expositions personnelles et collectives, en Valais et en Suisse romande.
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I L’ importance de la voix
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Le silence À l ’intérieur de moi Se tait. J ’attends Tendu Qu ’ il trouve Sa voix. Francis A.
J’ai envie de dire J’aimerais mourir Si je pouvais, je me donnerais la mort. C’est à mourir de rire, car je ne peux pas le faire. Quelque chose me retient, quelque chose qui ressemble à l’envie de vivre. Oui, oui, oui, c’est ma voix. Andreï G.
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Ma voix est–elle présente ? Je ne sais pas. Comme un cri enfermé. Sandrine B.
Si la danse n’était pas à la surface du monde, je serais mort. La danse est ma liberté, ma voix. Quand je danse, je suis dans un zoo bizarre où je peux rire et créer librement. Je me sens unique au milieu des milliards d’êtres humains. Gaétan D.
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III Liberté
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Je m’accroche à la ficelle qui retient un ballon de baudruche. Elle me hisse, moi et ma chaise collée à mon derrière ; et bien sûr, mon antivol, pour être sûr qu’il n’y ait pas de kidnapping pendant le voyage. J’atterris Place de la Concorde. Les touristes me regardent l’air étonné, surtout les Japonais collés à leurs objectifs. Paris, ma passion. Je suis au septième ciel. Janique R.
Comme une flamme qui brûle dans mon corps Au-delà de ses limites. Le mouvement, c’est une énergie chaude comme la caresse d’une femme. La force de ma bonne humeur, la force de mon âme. René C.
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V Combats
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Ma première maison est un grand zoo. Un hôpital. De l’autre maison, celle de ma naissance, je ne me souviens de rien. Aujourd’ hui, c’est pire qu’un zoo : un asile de vieux. J’aimerais m’envoler hors de cette maison et vivre. Gaétan D.
Arrêtez ! de me bassiner les oreilles avec le terrorisme et les attentats ! Montrez-moi de belles images, des arbres en fleurs, des plages sous les cocotiers. J’ai mal pour tous les hommes, les femmes et les enfants. C’est tellement plus beau de jouer et marcher ensemble au lieu de s’entretuer. On pourrait faire un lâcher de ballons sur toute la surface de la Terre. Cédric B.
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VI Oubli
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J’étais seule dans ma chambre Je me sentais seule, abandonnée
Je ne savais pas Ce qui se passé. Sandrine B.
Des choses destructives De mauvaises pensées Tout ça, Resté À l’intérieur. Je l’ai gardé En mémoire De toi Fous le camps ! Francis A.
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Remerciements Nos remerciements vont À VALAIS DE CŒUR, à la direction et à l’ensemble de ses collaborateurs du foyer de Sierre, pour leur collaboration, la mise à disposition de leurs locaux et le soutien actif dans la réalisation du présent ouvrage. À Mary-Jo Rudaz, accompagnatrice sociale de 2006 à 2009, pour avoir cru en la richesse de chacun et sa capacité à faire un chemin au fil de l’écriture. À Yann Quadranti et Danaëlle Savioz, accompagnateurs sociaux, qui lui ont succédé avec sensibilité, efficacité et générosité. À l’ASLEC, Association de Loisirs et Culture de Sierre, à son animatrice d’alors, Mariethé Nanchen, qui a créé le premier lien en organisant cette soirée de contes au foyer Valais de Cœur ; à sa direction qui nous soutient en nous intégrant comme activité de loisir au sein de l’association. À Isabelle Zeltner-Salamin, artiste peintre, qui s’est lancée de plein cœur dans l’aventure en créant des gravures en résonance avec l’écrit. À Julien Dresselaers, éditeur aux Éditions Soleil Blanc, qui nous a accompagnés jusqu’ à la naissance du présent ouvrage, avec sensibilité et professionnalisme.
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Nous remercions nos donateurs de leur prĂŠcieux soutien
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