Le piège de l’illectronisme

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Echo Magazine, Dossier spécial Education, p 24-25, 10 juin 2021

24 FORMATION

Le piège de l’illectronisme En Suisse, 1,5 million d’adultes ne possèdent pas ou peu de compétences numériques, explique JeanClaude Domenjoz, expert en éducation aux médias et à l’information.

Etre connecté en permanence ne garantit pas forcément de savoir utiliser un ordinateur pour les études ou le travail.

U

Lea Kloos

n terme a fait son apparition ces dernières années: l’illectronisme. Comment le définiriezvous? Jean-Claude Domenjoz: – L’illectronisme, c’est l’impossibilité d’utiliser sans aide des appareils informatiques en raison d’un manque de connaissance de leur fonctionnement. Ce concept transpose celui d’illettrisme dans le domaine de l’informatique. Ses conséquences croissent à mesure que se poursuivent la numérisation et l’automatisation de la société. La dématérialisation des services constitue un handicap pour la réalisation de tâches quotidiennes qui doivent être effectuées en ligne ou avec des automates. Achat de biens et de services, démarches auprès des administrations publiques ou privées,

10 JUIN 2021

DOSSIER

Jean-Claude Domenjoz tient un blog dédié à l’éducation aux médias: educationauxmedias.ch

recherche d’information, transports: tous les aspects de la vie quotidienne sont concernés. Aujourd’hui, il est impensable de se former ou de travailler sans la maîtrise d’un large éventail de savoir-faire de base qui ne s’acquièrent pas aisément. Sans aide, les personnes en situation d’illectronisme sont victimes d’une véritable exclusion sociale. Ce phénomène est-il répandu en Suisse? – Le phénomène de l’illectronisme dans notre pays est difficile à quantifier, car il n’existe pas de statistiques à ce sujet. Mais il est préférable d’envisager les difficultés éprouvées par rapport à un continuum de compétences acquises ou non. Tout le monde peut ressentir occasionnellement un sentiment de gêne face à l’usage d’outils informatiques nouveaux. Ce

qui est important, c’est la capacité d’y faire face. En 2019, un peu plus de la moitié de la population suisse disposait de compétences numériques de base. Cependant, selon la Fédération suisse pour la formation continue (FSEA), 1,5 million de personnes entre 16 et 65 ans ne possédaient que peu ou pas du tout de compétences en la matière (300’000 en Suisse romande), ce qui représente 20% de la population adulte. Cela touche-t-il uniquement des personnes d’un certain âge ou aussi les jeunes, qu’on qualifie souvent de «natifs digitaux»? – Les jeunes qui ont grandi avec le numérique sont également touchés, aussi incroyable que cela paraisse. Là encore, par manque de statistiques, le phénomène est difficile à évaluer. La plupart des jeunes sont connectés en


SPÉCIAL ÉDUCATION

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«Stratégie pour une société de l’information en Suisse», renommé stratégie «Suisse numérique» en 2015. Les résultats ne sont cependant pas à la hauteur des attentes. Entre 2010 et 2020, les programmes de formation organisés par les organismes affiliés à la FSEA et ceux soutenus par la Confédération ont totalisé environ 25’000 participants. C’est bien peu en regard du 1,5 million de personnes adultes qui possèdent peu ou pas de compétences numériques de base. D’ici 2023, les écoles publiques de Suisse romande et du Tessin devraient avoir intégré l’éducation numérique dans l’ensemble du cursus scolaire. Est-ce réalisable, et comment? – On ne sait pas comment et avec quels moyens les autorités scolaires romandes comptent mettre en œuvre l’ambitieux projet d’apprentissage au numérique par le numérique Keystone pour tous les élèves. L’éducation numérique est conçue comme une forpermanence, principalement pour mation essentiellement transversale des usages récréatifs, mais on connaît liée aux apprentissages disciplinaires très mal leurs compétences pour réa- de manière graduée tout au long de liser des tâches de base avec un ordi- la scolarité. nateur. Ce projet très séduiEn 2013, une enquê«Les jeunes qui ont sant paraît toutefois irréalisable sans te internationale porgrandi avec le tant sur les compéla mise en œuvre de numérique sont tences informatiques moyens extrêmement et médiatiques des également touchés.» importants. Princiélèves de 15 ans a répale pierre d’achopvélé qu’environ 30% des écolières et pement: les qualifications du corps écoliers suisses avaient obtenu de fai- enseignant. Il faudrait offrir un recybles résultats. On peut donc penser clage (obligatoire) à l’ensemble des qu’il existe effectivement des élèves 30’000 enseignants de Suisse romanen situation d’illectronisme à la fin de de. Et donc former suffisamment de leur scolarité obligatoire. formateurs à haut niveau d’expertise pour instruire et accompagner les enQu’a-t-on réalisé pour réduire la seignants et les directions d’établissements. Cette condition, essentielle, fracture numérique en Suisse? – Dès 1998, le Conseil fédéral a pré- montre la difficulté et la complexité conisé la formation de toute la popu- de l’entreprise. ■ lation au numérique dans son plan Propos recueillis par Aude Pidoux


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