FORUM EUROPEEN POUR LA SECURITE URBAINE
SÉCUCITÉS FEMMES VICTIMES DE LA TRAITE A DES FINS D’EXPLOITATION SEXUELLE ET COOPÉRATION TRANSFRONTALIERE
Ecrit par Nicoletta Ratini chef de projet
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Avec le soutien de la Commission Européenne Direction Générale Justice et Affaires Intérieures Programme STOP
Ni la Commission Européenne, ni aucune personne agissant en son nom n'est responsable de l'usage qui pourrait être fait des informations ci-après.
Achevé d’imprimer en France Sur les presses de l’Imprimerie PÉROLLE 75014 PARIS N° ISBN : 2-913181-22-8
FORUM EUROPEEN POUR LA SECURITE URBAINE 38, rue Liancourt 75014 – PARIS – France tel. 0033 (0) 1 40 64 49 00 – fax 0033 (0)1 40 64 49 10 Internet : http://www.urbansecurity.org
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Nos remerciements chaleureux à : Mme Vesely, Mme Gebhart, Mme Bauer, Mme Mayerhofer, M. A. Dearing, Mme Appelt, Mme Almer, M. Zach, Mme FertingerMme Ille, M. Bisutti, Mme Probst – Ville de Vienne ; Mme Backwinkel, M. Kleinsteuber, M.Böcker, M. Thiel, Mme Von Schmiedeberg, M. Meyer, M. Hanlein, Mme Niesner, Mme Eckhardt, Mme Schmidt, Mme Zabudkinsed, Mme.Bandrowski, Mme Lipka, Mme Sergan, Mme Schneider, Mme Hoffmann – Ville de Francfort M. Tuur Van Wallendael, M. Wils, Mme Nuyts, M. Martens, M. Hobstaken, Mme Bauweraerts, Mme Timmermans, M. Mertens, M. Moens, les bénévoles de l’association Relief Center – Ville de Anvers M. De Wit, Mme Coort, M. Van Zuphen, Mme Van Iersel, M. Hissel, Mme Karstenberg, M. Van de Winkel, M. Geuns, M. Hulst, M. Huizingh, M. Slenter, M. Kroon, M. Van Rooij, Mme B. Holland, Mme Dohmen, M. Tijsen, M. Münstermann, Mme Verschuren, M. Richardson, M. Kerkhofs, Mme Souren, Mme Timmermans, Mme E. Pijl, Mme Feijen, M. Janssen, Mme Erkens, Mme RozemaMorawska, M. Verdonschot, Mme G. Doverman, M. H. Don – Ville de Heerlen M. Thielemans, Mme Pellens, Mme Vandevannet, M Hougenaert, Mme Le Cocq, M. Janssens, Mme Minnen, M Bontink, Mme Dutrieux, Mme Vauthier, Mme Beeckman, Mme Jekeler – Ville de Bruxelles M. Hauvuy, M. Thelen, M. Dorcet, M. Muguet, M. Armangol, M Lemaire, M Gonzales, M. Albert, M. Favot, Mme Mavic, Mme Roussel, M.Attal, M.Passeron, Mme Pennet, M. Pezzali – Ville de Nice M. Monduzzi, M. Persico, Mme Melotti, Mme Manni, Mme Granzotto, Mme Monti, M. Bracco, Mme Fusiello, Mme Dosi, Mme Vitiello, Mme Antonioni, M. Pivani, Mme Bettini – Ville de Bologna
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Sommaire
Pages
Introduction
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Chapitre 1 L’inscription du projet dans la politique au niveau européen L’évolution des prises de conscience et des engagements des institutions Depuis 1996 l’Union européenne multiplie la législation sur le crime organisée
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Chapitre 2 Historique des projets SécuCités Femmes du FESU Première étape - 1998-99 Seconde étape - 1999-2000 La méthodologie Les partenaires
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Chapitre 3 La démarche vers le projet SécuCités femmes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle 2002 Déroulement du projet
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Chapitre 4 Le trafic des femmes Causes principales
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Chapitre 5 Evolution de la situation Les complexités et les contradictions engendrées par le phénomène Les villes et le problème de la traite des femmes
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Chapitre 6 Les visites aux villes partenaires du projet Les villes de destination La ville de Nice, la Ville de Vilnius La ville de Vienne, la ville de Györ La ville de Heerlen, la ville de Lodz Les politiques de lutte contre la traite en Belgique La ville de Bruxelles, la ville de Sofia La ville d’Anvers la ville de Kiev La ville de Francfort, la ville de Brno La loi de protection des victimes de la traite en Italie La ville de Bologne, la ville de Kuçova
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Chapitre 7 Recommandations Considérations Les champs à enquêter
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Annexes Bibliographie
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Introduction Depuis l’effondrement des pays de l’Europe communiste, l’Ouest parle beaucoup de son envahissement par des sujets peu dignes d’intérêt, venant s’approprier nos villes et nos campagnes, nos biens et nos richesses. La prostitution est un de ces domaines qui a vu l’apparition de jeunes femmes de diverses contrées venues vendre leur sex et ses attraits. Quelques histoires révélées tendent à indiquer l’existence de réseaux criminels organisant le recrutement et le transfert dans les villes de l’Ouest. Le « proxénète » et la « fille » sont des figures inhérentes à cette activité. Que ce couple se retrouve au travers d’une organisation nécessitée par le passage de frontières, la connaissance des villes d’accueil est évident. Les efforts déployés pour aider des femmes à se sortir du milieu de la prostitution se sont toujours heurtés au proxénète. L’origine de ce proxénète et son organisation en réseau nous obligent à réévaluer nos méthodes, ne serait ce qu’en raison des cultures profondément différentes que nous découvrons. Le Forum et d’autres ONG estimons depuis longtemps qu’un travail entre les lieux de départ et les lieux de prostitution est la meilleure manière de pouvoir concilier une mise en réseau de professionnels et de maintenir ouvertes les possibilités de retour dans de bonnes conditions des jeunes femmes. Ce travail demande du multiculturalisme, mais aussi un travail de partenaires aussi bien policiers que travailleurs sociaux. Le travail effectué depuis un an par ce réseau de villes prend place dans une série d’échanges organisés depuis trois ans par le Forum. Nous souhaitons que les financements européens et surtout leur durée puissent ne pas nous obliger à abandonner ce travail. Ce travail prend place dans une double réflexion. Les rues de nos villes de l’Ouest ne sont pas peuplées seulement de femmes venues de l’Est. Des jeunes femmes originaires de nos villes les partagent. Et ceci nous oblige à nous poser la question de pourquoi nos sociétés riches obligent des jeunes femmes à se prostituer de façon régulière ou occasionnelle. Il ne faudrait surtout pas que la question du « trafic des êtres humains » nous délivre de cette interrogation. La seconde réflexion est inspirée de cette constatation économique. La prostitution internationale, les migrations des prostituées doivent être replacées dans la question des migrations internationales. Comment ne pas voir aussi que des centaines de diplômés des pays de l’Est viennent aussi dans nos villes pour peu à peu occuper des emplois peu qualifiés dont on ne veut plus? Nos chantiers publics se peuplent de jeunes hommes à la recherche d’argent, de l’amélioration des conditions de vie de leurs familles restées au pays. Et ceci nous rappelle malheureusement que beaucoup des jeunes femmes partent en répondant à des annonces recrutant des « hôtesses de bar », c’est à dire acceptant une dimension sexuelle à un travail. Une grande partie de leur motivation est celle de la survie de leurs familles et de leur accession à un mode de vie que les médias ont institué comme celui de tout le monde. La remarquable étude de terrain faite sur la ville de Genève par Didier Froidevaux et
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Massimo Sardi 1 nous montre un marché du travail dont l’accès n’est pas contrôlé exclusivement par une organisation criminelle, mais au contraire laissant la place à des discussions salariales entre les patrons de boîtes de nuit et les bars et les hôtesses. Avant d’être un phénomène criminel, la prostitution est inhérente au phénomène migratoire et à ce titre la prévention de la prostitution doit trouver place dans l’ensemble des mesures de développement économique et social que l’Union européenne entend mettre en œuvre pour que les pays européens aient un égal niveau de vie. Michel Marcus Délégué Général Forum Européen pour la Sécurité Urbaine
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"Le monde de la nuit. Milieu de la prostitution, affaires et "crime organisé" Etude du milieu genevois de la prostitution basée sur l'analyse des données policières judiciaires et administratives, 2003.
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L’inscription du projet dans la politique au niveau européen
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L’évolution des prises de conscience et des engagements des institutions: « La lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle a beaucoup de difficultés à apparaître comme une priorité de nos politiques de sécurité. Le problème n’intéresse que par ricochet. Dès lors qu’il est établi que la prostitution peut favoriser le développement du VIH, des moyens sont dégagés pour mettre en place une politique de prévention des risques. Dès lors qu’il est établi qu’une certaine forme de criminalité organisée prospère à partir de cette activité, qu’une immigration clandestine est encouragée, les autorités policières et judiciaires se réveillent. Les élus locaux suivent plus régulièrement le problème, car il s’exprime en termes d’ordre public, de troubles de voisinage, de visibilité trop importante du phénomène… »
Ainsi s’exprimait Madame Leona Detiège, Bourgmestre d’Anvers (Belgique) et Présidente du Forum Européen pour la Sécurité Urbaine dans la préface du livre édité à la fin du premier projet SécuCités Villes et lieux de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, mais le problème de la prostitution pratiquée sous la contrainte d’organisations criminelles est toujours d’actualité. Forme moderne de l’esclavage constituant une violation des droits fondamentaux de la personne, la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle est une priorité pour les instances européennes. Il s’agit d’une « instrumentalisation » de la femme et des êtres humains qui dépasse toutes imaginations et qui nourrit énormément les revenus des réseaux criminels. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe et l’Union européenne se mobilisent depuis plusieurs années pour sensibiliser l’opinion et les acteurs, pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies d’actions efficaces et adaptées à l’échelle européenne. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, la Convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 garantissaient déjà un certain nombre de droits fondamentaux qui peuvent être considérés comme violés par la traite aux fins d’exploitation sexuelle. Depuis 1996 l’Union européenne multiplie la législation sur le crime organisé L’intérêt des instances de l’UE pour la lutte contre le trafic des êtres humains se marque au début des années 1990. En novembre 1993, le Conseil de l’UE a adopté une série de recommandations pour lutter contre la traite des êtres humains. En juin 1996, s'est tenue à Vienne la première conférence européenne sur la traite des femmes organisée par la Commission, rassemblant des acteurs de tous les horizons (universités, ONG, services de police et d'immigration, gouvernements, parlements). A la même époque, on commence à avancer des chiffres sur un phénomène qui dépasse le territoire de l’Union européenne 2 . 2
Communication de la Commission, 20 novembre 1996, au Conseil et au Parlement européen concernant la traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle : «Il est difficile de disposer d'informations et surtout de chiffres précis pour évaluer le phénomène. L'organisation internationale pour les migrations estime à 500 000 le nombre des victimes, qui proviennent de plus en plus d'Europe centrale et orientale
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Toujours dans le milieu des années quatre-vingt-dix, l’UE achève son travail sur la définition du phénomène qui n’est - en la matière - jamais anodin. En effet le phénomène de prostitution occasionnelle, dont les acteurs de terrain s’accordent à souligner l’importance, en est exclu. C’est ainsi que l’UE défini son champ d’action en 1997 3 :
"traite d'êtres humains" : tout comportement qui facilite l'entrée sur le territoire d'un État membre, le transit par ce territoire, le séjour sur ce territoire ou la sortie de ce territoire, dans un but lucratif en vue de leur exploitation sexuelle ou en vue de leur infliger des sévices sexuels ; "exploitation sexuelle" concernant un enfant : inciter ou contraindre un enfant à se livrer à une activité sexuelle illégale, exploiter un enfant à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales, exploiter des enfants aux fins de la production de spectacles ou de matériel à caractère pornographique, y compris la production, la vente et la distribution ou d'autres formes de trafic de matériel de ce type, et la détention de ce type de matériel ; "exploitation sexuelle" concernant un adulte : au moins l'exploitation d'un adulte à des fins de prostitution.
C’est aussi dans le cadre de ces travaux que l’UE commence à exiger des Etats membres qu’ils réexaminent leurs législations. Face à la portée trans-européenne du phénomène de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, dans la Déclaration finale du Deuxième Sommet du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 10-11 octobre 1997), les Chefs d’Etat et de Gouvernement affirment leur « détermination à combattre la violence contre les femmes et toutes les formes d'exploitation sexuelle des femmes considérées comme une menace pour la sécurité des citoyen(ne)s et la démocratie en Europe » 4 . A ce titre, le Conseil de l’Europe a répertorié des actions prioritaires à engager dans le cadre d’un plan d’actions global. Ce dernier « propose des axes de réflexion et de recherche devant conduire à la formulation de recommandations aux Etats membres sur les aspects législatifs et judiciaires de ces questions, le rôle de la police, l’adoption de mesures d’aide et de réadaptation des victimes et la mise en œuvre de prévention et d’éducation » 5 . Les principales recommandations adressées aux Gouvernements sont les suivantes : « ne rien épargner pour traiter les principales causes de la traite, parmi lesquelles la situation économique des pays d’origine et la demande qui existe chez les hommes (…), entreprendre une action coordonnée grâce à une approche pluridisciplinaire réunissant tous les secteurs concernés (social, judiciaire, pénal, administratif, douanes, application des lois et médias) et les ONG, sensibiliser les autorités judiciaires à l’ampleur et à la diversité du phénomène pour qu’elles comprennent que sont en jeu des
ainsi que des nouveaux États indépendants. De véritables réseaux se sont constitués et bénéficient de soutiens politiques et de ressources économiques importantes. » 3 Les définitions sont extraites de l’action commune 97/154/JAI, du 24 février 1997, adoptée par le Conseil sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, relative à la lutte contre la traite d'êtres humains et l'exploitation sexuelle des enfants [Journal officiel L 63 du 04.03.1997]. 4 L’action du Conseil de l’Europe en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, EG (98) 2, Conseil de l’Europe, Direction des Droits de l’Homme, Strasbourg, novembre 1998 5 idem
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violations des droits fondamentaux des femmes, et reconnaissent la nécessité de protéger les témoins, pour veiller à ce que la condamnation des trafiquants soit bien réelle (…), fournir suffisamment de ressources financières à toutes les organisations et toutes les ONG qui participent à l’aide aux victimes (…) » 6 . Au-delà des recommandations, le Conseil de l’Europe entend créer une obligation morale pour les Etats membres et de fait adopter une convention obligeant les parties contractantes à modifier leur législation et à mettre en place des mécanismes solides de lutte contre les violences. Dans une même optique de politiques et d’actions communes à l’échelle de l’Europe, et à la veille du lancement d’une campagne européenne en 1999 contre la violence à l’égard des femmes, la Commission européenne insiste sur la nécessité d’établir un diagnostic exhaustif des actions entreprises dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains, d’impulser de nouvelles initiatives et renforcer les actions d’ores et déjà engagées. L’augmentation du nombre de femmes faisant l’objet d’un trafic à destination de l’Union européenne, en provenance des pays d’Europe centrale et orientale, la dimension européenne du phénomène de traite des êtres humains (pays d’origine, pays de transit, pays de destination) et les liens vraisemblables entre les réseaux organisés autour de la traite et d’autres formes de criminalité, constituent des facteurs décisifs dans l’orientation des choix politiques opérés par l’Union Européenne. Ainsi, les grands principes adoptés par la Commission européenne ont trait à la mise en place d’une «approche multidisciplinaire et coordonnée qui implique tous les acteurs – ONG et autorités sociales, judiciaires, autorités de police et de l’immigration – et qui implique à la fois la coopération nationale et internationale », au développement et à l’adaptation « des démarches préventives appropriées et des mesures répressives, ainsi que des mesures visant à soutenir les victimes et à rétablir leur dignité et leur intégrité humaine », à la nature transfrontalière qui exige « une action au niveau européen, à la fois dans le contexte communautaire et dans le cadre du troisième pilier en matière de justice et d’affaires intérieures » 7 . Au niveau des textes fondateurs, le Traité d’Amsterdam marque véritablement une étape en élevant la lutte contre le trafic des êtres humains au rang des moyens nécessaires pour garantir aux citoyens un niveau élevé de sécurité et de justice. Les Etats de transit et d’origine, non-membres de l’UE ne seront pas oubliés même si en l’espèce les compétences de l’UE sont évidemment plus limitées sauf pour les Etats candidats priés d’adopter des mesures en la matière et de coopérer le plus tôt possible avec l’UE 8 . Il s’agit ici de favoriser une mise à niveau des structures policières et judiciaires de ces pays aux standards de l’Union. 6
Georgina Ashworth, Séminaire international sur La lutte contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle : le rôle des ONG, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 29-30 juin 1998 7 Pour des nouvelles actions dans le domaine de la lutte contre la traite des femmes, COM (98) 726 final, Commission européenne, Bruxelles, décembre 1998 8 Communication de la Commission, du 9 décembre 1998, au Conseil et au Parlement européen pour de nouvelles actions dans le domaine de la lutte contre la traite des femmes mentionne à ce propos : « Aussi la Commission souhaite-t-elle que la lutte contre la traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle demeure une priorité politique de l'UE et que l'approche multidisciplinaire soit renforcée. Il s'agit également de lancer un message clair aux pays candidats pour qu'ils adoptent des mesures en la matière et coopèrent avec l'UE dès maintenant".
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C’est le Conseil Européen de Tampere de 1999 qui va préciser plus en avant les axes prioritaires de lutte contre le trafic des êtres humains. D’une part, la nécessité d’aborder le phénomène en dépassant les frontières de l’Union. En effet, dans le cadre de la gestion des flux migratoires une coopération étroite avec les pays d’origine est préconisée (art. 22) visant notamment au lancement de campagnes de sensibilisation. De plus, un accroissement de l’aide aux pays de transit et d’origine est demandé par le Conseil (art. 26). D’autre part, une attention particulière est portée aux réseaux criminels ainsi qu’à la prise en compte des droits des victimes (art. 23). N’est envisagée ici que l’implication des Etats (membres et les pays d’origine et de transit) et d’Europol dont le mandat a été étendu en 1996 à la lutte contre la traite des êtres humains, géré au sein de son Unité Drogues. Pendant ces dernières années, l’attention de l’Europe, ainsi que des gouvernements nationaux, des élus locaux et des médias face au phénomène de la traite des êtres humains a de plus en plus évolué. Plusieurs institutions se sont engagées à élargir le débat et à développer la sensibilisation au sujet de la traite des femmes. La Commission Européenne, dans sa direction Justice et Affaires Intérieures, après avoir financé pendant plusieurs années à travers les programmes STOP et DAPHNE des actions dans tous les domaines touchés par le phénomène de la traite, est en passe de réorganiser les programmes pour concentrer ses efforts dans les domaines de la coopération entre les Pays membres de l’Union et les Pays candidats au sujet de la criminalité internationale, de la migration, de la coopération transfrontalière et cætera. Les programmes TACIS et PHARE ont été mis en place, dont les fonds sont alloués à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, pour permettre aux Pays d’Europe Centrale et Orientale, entre autres, d’y faire face. Deux documents majeurs méritent une attention particulière : - le Protocole issue de la rencontre de Palerme (décembre 2000) - protocole additionnel à la convention contre la criminalité transnationale des Nations Unies, - la Déclaration de Bruxelles, issue de la conférence européenne sur la prévention et la lutte contre le trafic des êtres humains organisée par l’IOM (International Organisation for Migration) à Bruxelles en septembre 2002. Le protocole contre la criminalité transnationale organisée qui vise à prévenir, réprimer et punir la pratique de la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants a été adopté par l’assemblée générale de l’ONU à New York le 15 novembre 2000 et présenté à Palerme le 12 décembre 2000. Ce protocole dit « Convention de Palerme » vient compléter la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en traitant plus spécifiquement de certaines activités menées par les groupes criminels organisés, en l’occurrence la traite des personnes. Il est le premier instrument universel portant sur tous les aspects de la traite des personnes. Il s’agit avant tout d’un instrument de droit pénal, mais il comprend également des mesures de prévention et de protection des victimes :
il oblige les Etats à fournir aux victimes une assistance appropriée pour leur permettre de faire valoir leurs droits au cours de la procédure pénale, ainsi que la possibilité d’obtenir réparation des préjudices subis
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il encourage les Etats à fournir aux victimes un logement convenable, une assistance médicale, psychologique et matérielle, des possibilités d’emploi, d’éducation et de formation, ainsi que la possibilité de rester sur le territoire. Le protocole consacre, pour la première fois au niveau d’un traité universel, l’engagement des Etats à reprendre leurs nationaux et résidents permanents victimes de la traite, afin de favoriser le retour, de préférence volontaire, des victimes dans leur pays d’origine. La Conférence européenne sur la prévention et la lutte contre le trafic des êtres humains qui s’est tenue à Bruxelles en septembre 2002 a rassemblé plus de 1000 personnes, représentants de tous les Etats européens, des pouvoirs locaux et des ONG. Elle a été organisée par l’Organisation Internationale pour la Migration (IOM) en étroite coopération avec le Parlement européen et la Commission Européenne, Direction Justice et Affaires Intérieures. A l’occasion de cette Conférence, il a été souligné que seulement 22 Etats avaient signé le protocole de Palerme, ce que signifie que la plupart des Etats ne se sont pas encore engagés à respecter les mesures proposées par ce document. La conférence de Bruxelles a donné lieu à un document dit « Déclaration de Bruxelles » qui contient des recommandations sur : - la coopération et de la coordination entre tous les gouvernements, les Institutions internationales et les acteurs concernés par la traite des êtres humains ; - la prévention du trafic des êtres humains à partir de la connaissance des causes, de la recherche et de la formation des acteurs, de campagne de mise en alerte adressées à la population cible, de contrôles administratifs et d’une attention particulière aux enfants ; - la protection et l’assistance aux victimes. Cette déclaration a été débattue et a intégré les contributions des participants tout au long des deux jours de travail : elle a été adoptée en séance finale de la conférence. A cette même occasion, le Commissaire européen Vitorino a annoncé la création d’un groupe d’experts sur la traite des êtres humains, composé de personnalité qualifiées. Les fonctions de ce groupe d’experts seront d’apporter des contributions et des propositions de mise en oeuvre des priorités déclinées dans la Déclaration de Bruxelles. Si l'on considère l’évolution de ces dernières années, il semble qu’il y ait une certaine discordance entre les propositions d’évolutions législatives débattues dans certains pays, qui concernent l’exercice de la prostitution tout court, et la conscience que la lutte contre le trafic, comme la Commission l’entend et le soutient, demande une approche multidisciplinaire et une attention particulière à la prostitution irrégulière. Une contradiction apparaît sur la scène européenne, avec d’une part l’harmonisation des lois sur des positions prohibitionnistes et le constat que le débat politique est majoritairement concentré sur l’approche répressive et d’autre part des ONG et des villes de plus en plus engagées dans des actions de proximité et de prévention. Cette absence de cohérence risque, à l’inverse de ce que l’on attend, d’offrir plus d’avantages aux criminels et de nuire aux victimes et à la lutte contre le trafic. C’est dans cette démarche pluridisciplinaire, exhortée tant par le Conseil de l’Europe que par l’Union européenne, que s’inscrivent les trois projets SécuCités Femmes Victimes de la Traite du Forum Européen pour la Sécurité Urbaine.
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Historique des projets SécuCités Femmes du FESU
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Première étape - 1998-99 Dans le cadre du Programme Communautaire STOP 98, le Forum Européen a mené dans sept villes européennes une recherche-action intitulée - SécuCités Femmes. Villes et lieux de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. L’objectif principal de cette recherche-action était d’observer ce qui se passait dans ces villes, au niveau de la prostitution illégale. Il s’agissait : - de parvenir à développer de nouvelles synergies avec les différents partenaires qui interviennent auprès des populations victimes de la traite ou d’une activité prostitutionnelle subie ; - de déterminer des modalités de gestion de la traite des êtres humains en assurant une meilleure cohérence dans le traitement de l’ensemble des problèmes d’ordre public, sanitaire et social en décloisonnant les services. Sept villes européennes ont été sélectionnées, en fonction de leurs différentes dispositions législatives et des spécificités locales relatives aux problèmes de la traite et de la prostitution : Anvers et Bruxelles (B), Bologne et Modène (I), Lyon (F), Francfort (A), Vienne (A), Liverpool (GB). Le projet s’articulait autour de deux étapes principales : - l’observation, la collecte des données relatives aux nationalités des femmes victimes, leur parcours, les modes opératoires des réseaux criminels et les réponses des institutions et des ONG ; - la restitution, la mise en commun et l’évaluation des pratiques. Les visites dans les villes et l’ensemble des rencontres ont permis de dresser un état des lieux, présenté et débattu au cours d’un séminaire international de mise en commun et d’évaluation, organisé par le FESU à Lyon, les 11 et 12 février 1999. Les enjeux de cette rencontre étaient triples : - le partage des informations et des expériences recueillies lors des travaux préparatoires dans les villes afin de vérifier s’il était possible d’établir un diagnostic et de connaître les obstacles ; - la conception et la mise en place d’un espace de dialogue et de débat ouvert à des préoccupations concomitantes, à l’exposé des pratiques de terrain, à la recherche collective de solutions ; - l’élaboration de « préconisations » pour le futur. Cette rencontre a mis en évidence plusieurs champs à investir plus avant : le travail partenarial en réseau est déterminant pour le partage des informations, pour l’élaboration d’objectifs communs et la construction d’une politique commune et concertée. A cette époque il est apparu qu’un certain nombre de réseaux de travail existaient déjà : ceux des villes, des autorités policières et judiciaires qui organisent la communication et la coopération entre leurs services respectifs à l’échelle européenne, des ONG qui ont été insérées dans certains réseaux. Il devenait néanmoins impératif que l’ensemble de ces réseaux travaille conjointement et se lie autour de thématiques attenantes au problème de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle
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A partir des travaux préparatoires de cette rencontre de mise en commun et d’évaluation, un réseau a été amorcé. Le pas suivant était de continuer à alimenter la « banque de données » et de continuer le travail de « mise en réseau des réseaux ». Il était question de définir et de mettre en œuvre une stratégie à l’échelle européenne en instaurant un partenariat impliquant les pays de destination, de transit et d’origine des femmes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. En effet, dans le contexte de l’immigration telle que nous la connaissions, nous ne pouvions pas accepter que la pénurie d’argent, les problèmes de logement ou le chômage ne laissent pas d’autre issue à des femmes que celle d’être utilisées malgré elles par de vastes organisations criminelles et laisser se développer indéfiniment l’exploitation sexuelle de femmes et d’enfants. C’est pourquoi, dans les pays d’origine de la traite, des actions importantes d’information et de prévention relatives aux risques encourus dans les pays de destination étaient à mettre en place, en priorité à l’intention des femmes qui représentent des victimes potentielles. Un autre champ à investir concernait les actions de prévention, qui ne peuvent être menées que s’il y a une coordination entre les services sanitaires, sociaux, du logement, de l’emploi, de même que les services policiers et judiciaires. Cette politique pluridisciplinaire, si elle était menée dans plusieurs villes d’Europe occidentale, restait embryonnaire sinon inexistante dans les villes d’Europe centrale et orientale. Il y avait par conséquent urgence à développer ces politiques locales et à promouvoir parallèlement leur articulation et leur adhésion aux politiques nationales et internationales. Le FESU estimait impératif d’encourager les pays d’origine et de transit à participer activement au sein des plates-formes partenariales européennes et d’élargir le réseau partenarial vers l’Est pour une prise en considération globale du phénomène de traite des êtres humains. Seconde étape - 1999-2000 Les recommandations du séminaire de Lyon prirent corps au sein du projet SécuCités Femmes. Traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle et coopération transfrontalière (STOP 99). Les objectifs du projet étaient multiples :
Donner forme et contenu à une coopération transfrontalière par le biais d’un partenariat/ jumelage entre les villes d’origine des femmes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle (villes d’Europe centrale et orientale) et les villes de destination de ces mêmes femmes (villes européennes occidentales).
Assister les villes d’Europe centrale et orientale à la mise en place d’actions visant - l’information et la sensibilisation des femmes (victimes potentielles) aux risques encourus dans les pays de destination - l’organisation de l’accueil et de la réintégration sociale des victimes tout en leur assurant la sécurité, - la lutte contre les pratiques et les méthodes de recrutement dont usent les réseaux de criminalité organisée, - l’activation d’une coalition de sécurité urbaine prenant acte de ce type de problématiques. Pérenniser des relations partenariales Est-Ouest.
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La méthodologie adoptée Dans un premier temps, les sept villes de destination ont fait l’objet d’un audit, avec pour objectifs de déterminer les pays et les villes d’origine des femmes victimes de la traite et la mise en lumière des difficultés auxquelles sont confrontés les différents acteurs qui interviennent dans ce domaine. Chaque ville a été auditée par une équipe du FESU. Les visites dans les villes ont été l’occasion de rencontrer, au cours de tables rondes et/ ou d’entretiens individuels, les différents partenaires (police, justice, services municipaux, associations...). Une grille d’enquête avait été établie préalablement afin de pouvoir conduire les audits sur la base d’un modèle commun. Les entretiens avec les acteurs du terrain et les analyses des résultats, faite en partenariat avec les ONG qui travaillent auprès des femmes victimes et avec les services policiers et judiciaires des sites concernés, a permis, en croisant les données recueillies, de repérer les villes de « départ » afin de proposer à 7 de ces villes un partenariat avec les villes d’accueil. Les partenaires du projet Sept villes européennes de destination ont été sélectionnées : Bruxelles (B), Anvers (B), Nice (F), Bologne (I), Vienne (A), Francfort (D) et Heerlen (NL). Sept villes d’Europe centrale et orientale ont été identifiées et ont accepté le partenariat proposé : Brno (CZ), Györ (H), Lódz (PL), Vilnius (LT), Kiev (UA), Sofia (BG), Kucove (AL). Le Forum a établi les contacts avec les « villes de départ » d’Europe centrale et orientale identifiées. L’ensemble des villes contactées a immédiatement adhéré au projet. Une rencontre entre les villes de destination et les villes d’origine a ensuite été organisée à Bruxelles, de manière à confronter et à partager les expériences et les problématiques respectives, à préparer le jumelage entre les villes et à recenser les attentes des deux parties et définir une stratégie commune. Cette rencontre a aussi été l’occasion d’entériner les jumelages entre les villes : Bruxelles (B)-Sofia (BG) ; Heerlen (NL)-Lodz (PL) ; Anvers (B)-Kiev (UA) ; Francfort (D)-Brno (CZ) ; Nice (F)-Vilnius (LT) ; Bologne (I)-Kuçove (AL) ; Vienne (A)-Györ (H) Pour donner forme et contenu au jumelage et définir les modalités de coopération, deux correspondants de la ville de destination (un représentant associatif et un représentant institutionnel) ont passé une semaine dans la ville d’origine, accompagnés du chef de projet du FESU. Dans chaque ville identifiée en Europe Centrale ou Orientale, la mise en place d’une coalition locale partenariale a été encouragée afin d’établir un plan local de prévention intégrant l’élaboration de messages de prévention. Dans un souci de complémentarité avec les travaux de recherche réalisés dans les villes de destination, il s’est révélé nécessaire, d’une part d’organiser la détection des groupes à risques dans les villes d’origine, d’autre part d’étudier les modalités de recrutement dont les réseaux font usage. Une démarche identique a été suivie, dans la mesure du possible, dans chacune des villes d’origine :
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* une réunion partenariale (autorités locales, parfois centrales, police, justice, associations et NGO, parfois même société civile) a été organisée. Cette réunion a permis de confronter et d’échanger des données sur la problématique de la traite telle qu’elle est appréhendée de part et d’autre et de mettre en commun des pratiques déjà en œuvre. * l’observation des différents dispositifs/équipements et les entretiens bilatéraux avec chacun des partenaires ont permis de mettre en lumière les pratiques professionnelles et associatives, les actions déjà entreprises, les lacunes, les obstacles/ difficultés à surmonter et les attentes des interlocuteurs. * une réunion rassemblant les partenaires rencontrés au cours de la semaine a clôturé la « procédure ». Grâce à ce travail collectif, le contenu à donner au processus de coopération inhérente au dispositif de jumelage a été défini : comment et en quoi la ville de destination peut-elle aider la ville d’origine, et comment et en quoi la ville d’origine peut-elle aider la ville de destination ? La méthode choisie pour entamer ce processus a été : - un diagnostic de la semaine préparée par les correspondants des villes de destination a été présenté à la fin de la visite ; - les partenaires des villes d’origine, après une concertation sous forme d’ateliers, ont formulé des suggestions pour les travaux futurs à engager de concert ; - les recommandations des deux parties ont été confrontées ; - les modalités de collaboration ont été déterminées en fonction des intérêts des deux parties : - des décisions sur les plans politique, méthodologique et opérationnel ont été validées, des projets élaborés, les moyens de monter ces projets esquissés (ressources financières, formation, équipements). L’approche développée par le Forum préconise aussi qu’à leur retour, les correspondants de la ville d’accueil s’efforcent d’adapter les dispositifs de prise en charge des victimes de la traite dans leurs villes respectives en fonction de leurs nouveaux acquis.
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La démarche vers le projet SécuCités femmes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle 2002
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Plusieurs pistes avaient été dégagées à l’occasion des visites dans les villes de départ et lors de la rencontre de Bruxelles, pistes qu’il convenait d’approfondir afin d’améliorer la mise en en œuvre des différentes actions aux niveaux locaux. La nécessité de perfectionner les méthodes d’intervention policière et judiciaire avait été soulignée, ainsi que le besoin de définir une stratégie commune même si d’un pays à l’autre les lois sont différentes parmi les partenaires du projet. La prostitution est, par exemple, interdite dans certains pays, alors qu’elle est tolérée voire légale dans d’autres. Les objectifs des polices et de la justice peuvent néanmoins avoir des points en commun, surtout en ce qui concerne la lutte contre la criminalité organisée. Pour cette raison, les occasions de discussion et d’échange étaient souhaitées par l’ensemble des participants au projet. Le soutien aux victimes et la nécessité de leur donner des droits et de les faire valoir ainsi que la mobilisation contre les réseaux locaux de souteneurs demandent la constitution d’un partenariat local et de modalités d’action organisées et élaborées par la mise en commun du travail et la concertation de tous les acteurs locaux, tout en prenant soin de laisser à chacun les fonctions qui lui sont propres. Un débat transparent autour de la définition des rôles des différents acteurs (municipalités, institutions diverses, ONG) et de leur mise en synergie, ainsi qu’une amélioration de la prise en charge et des accueils des femmes étaient souhaités par de nombreux partenaires. La coordination des acteurs aux niveaux local, national et international était aussi l’une des préoccupations importantes des partenaires, entre autres en ce qui concerne la préparation du retour des femmes victimes dans leurs pays d’origine afin de leur garantir une protection suivie et une démarche de réinsertion socio-professionnelle. La constitution d’un continuum entre les actions menées dans les villes de destination et les villes d’origines de ces femmes a toujours été l’un des objectifs principaux des projets SécuCités Femmes victimes de la traite mis en place par le FESU. Les échanges au sujet des programmes spécifiques adressés aux victimes-témoins pendant leur séjour dans les villes de destination demandaient aussi plus de temps et d’opportunités de rencontres ; pour nos partenaires d’Europe Centrale et de l’Est, il s’avérait très utile de pouvoir visiter des lieux dédiés à l’accueil des femmes et de rencontrer des ONG qui mettent en place ces programmes. La sensibilisation des pays d’origine à la nécessité de travailler conjointement avec les pays de destination peut être aussi induite par le biais de la sensibilisation d’acteurs locaux qui deviendront des porte-parole qui s’engageront à sensibiliser à leur tour d’autres instances. La démarche contient ainsi un effet démultiplicateur. Au terme du deuxième projet SécuCités Femmes Traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle, il apparaissait nécessaire de poursuivre le travail entamé, de même qu’il était primordial de maintenir en activité le réseau que nous avions mis en place. Les ONG des villes de destination, qui rencontrent les femmes dans les villes de destination et en connaissent les problèmes, ont eu l’opportunité d’aller dans leurs villes d’origine pour entrer en contacts avec les élus locaux, les professionnels du terrain, les chefs de polices et les magistrats. Le
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fait d’avoir des points de vues différents et d’enrichir les sommes de connaissances leur a permis d’augmenter leur potentiel d’action. Il était impératif de prolonger le projet pour permettre aussi aux partenaires des villes d’origines de visiter les villes de destination, de rencontrer les acteurs et ainsi de maintenir le réseau en vie. Tous souhaitaient continuer les actions d’échange, de discussion, d’apprentissage et de sensibilisation. Les partenaires contactés pendant la période d’élaboration du nouveau projet se sont tous entendus pour déclarer l’intérêt de poursuivre l’expérience, et le troisième volet du projet SécuCités-Femmes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle a été déposé auprès de la Commission européenne. Déroulement du projet A partir de l’expérience acquise durant le déroulement des deux projets précédents, les visites aux villes de destination par les partenaires des villes d’origine ont été organisées par le FESU. Deux correspondants de la ville de départ (un représentant associatif et un représentant institutionnel) ont séjourné une semaine dans la ville de destination jumelée pour identifier des bonnes pratiques, pour partager des informations sur, entre autres, le background culturel des femmes provenant des villes d’origine et sur les différentes problèmes rencontrés par les ONG des villes destinataires lors de la prise en charge et du suivi de ces femmes. Les objectifs principaux de ces visites étaient :
L’organisation d’un partenariat multidisciplinaire au niveau local L’échange entre professionnels de l’action sociale, policiers, magistrats, élus locaux, représentants des ONG, responsables des bureaux d’immigration, bénévoles engagés dans le soutien aux femmes victimes et dans la lutte contre la traite des êtres humains. La collecte et la diffusion de bonnes pratiques La création de réseaux de plus grande envergure, impliquant des villes, avec l’objectif de mettre en place des groupes de travail et d’action internationaux relatifs à l’aide aux victimes de la traite.
Il a été demandé à chaque ville de destination d’organiser un programme de rencontres avec le plus grand nombre possible d’acteurs impliqués dans la lutte contre la traite des êtres humains et dans le soutien (à différents titres) aux femmes victimes. Le FESU a aussi demandé à rencontrer les élus locaux pour connaître leur point de vue concernant les problèmes et les conflits éventuels soulevés par ce phénomène, ainsi que les actions mises en place par les villes. Les partenaires des villes d’origine ont aussi été interrogés avant leur départ, afin de connaître leurs attentes spécifiques, pour pouvoir les intégrer au programme. Les visites ont eu lieu tout au long de l’année 2002 et le projet s’est conclu par un colloque à Paris en décembre.
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Le trafic des femmes
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Le trafic des femmes Chaque époque est confrontée à la réalité du phénomène de la prostitution. Si l’on considère la période historique la plus récente, pendant la phase d’urbanisation conséquente à l’industrialisation, souvent les femmes émigraient de la campagne vers la ville ou bien des régions pauvres vers des lieux plus riches. Elles venaient en ville pour travailler en usine ou pour tenter de se placer comme femmes de ménage dans les familles bourgeoises. Celles qui ne trouvaient pas d’emploi, libérées du contrôle de la famille d’origine, n’avaient souvent d’autre choix que de se livrer à la prostitution. La fuite de la pauvreté et l’attraction de la ville et du bien-être étaient, hier comme aujourd’hui, les raisons qui poussaient les personnes à partir de chez elles, mais l’émigration était interne au pays ou venait des colonies. De nos jours, nous ne trouvons plus de femmes autochtones sur le trottoir dans les pays de l’Europe de l’ouest : elles se sont organisées et travaillent par le biais d’Internet, des téléphones portables, dans des appartements ou dans des maisons spécialisées 9 . Ce sont les femmes étrangères, et souvent clandestines, qui ont repeuplé les trottoirs, et qui, comme dans d’autres domaines, sont le dernier maillon de la chaîne, le barreau le plus bas de l’échelle, à partir du moment où les personnes qui occupaient cette place avant ont « amélioré » leur condition. Le trafic des femmes : causes principales. Tout le monde s’accorde à considérer la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’économie des pays qui étaient derrière le rideau de fer comme les causes plus importantes du trafic des femmes à des fins d’exploitation sexuelle. La communication facilitée entre les deux parties de l’Europe, la possibilité de se déplacer plus aisément, les images des pays du bien-être et le mythe de la consommation des pays de l’Europe de l’Ouest comparés à des pays où des familles entières se retrouvaient sans salaire, où les produits n’arrivaient plus et où les magasins étaient vides, font partie des causes qui sont à l’origine de la nécessité d’émigrer. Il y a toutefois d’autres éléments à analyser pour essayer de comprendre pourquoi ce phénomène a pu se développer. L’un d’entre eux est la contradiction entre ce qui était connu pour être le statut de la femme dans les pays communistes et ce que la réalité montre aujourd’hui. Les femmes dans ces pays avaient une plus grande possibilité d’accéder à tous types d’études et à des emplois considérés comme typiquement masculins. Le niveau d’éducation était beaucoup plus élevé que dans nos pays et, apparemment, l’égalité des chances et la parité étaient beaucoup plus avancés et développés que dans les pays occidentaux.
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Dans les pays où la loi le permet.
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La crise économique a toutefois mis en lumière le fait que selon toute probabilité l’égalité des chances et le rapport entre hommes et femmes était le résultat d’une idéologie imposée, probablement considérée comme étant nécessaire au contrôle des territoires immensément étendus et des ethnies, cultures et religions différentes, et pas d’une réelle évolution entre les genres. Les changements profonds et la crise de l’ensemble d’un système politique et économique ont fortement ébranlé toutes relations et modèles, ont pénalisé premièrement les femmes et ont mis en évidence les profondes différences entre les villes et les campagnes. Dans ces contrées reculées, l’isolement, on pourrait presque parler de réclusion, et l’énorme lacune que représente incontestablement le manque d’éducation des femmes, ont généré un état de faiblesse de ces dernières et les ont mises dans une position telle qu’elles étaient à la merci et devenaient des proies faciles pour un certain type d’individus ou de réseaux organisés qui moyennant quelques arguments fallacieux arrivaient à les tromper et à les convaincre de les suivre pour accéder à « une vie meilleure ». La tâche de ces « recruteurs » était d’autant plus aisée que la plupart des femmes aspiraient à partir, à quitter à tout prix ces environnements hostiles. En effet les enquêtes successives menées par le personnel des ONG, la police ou les officiers de justice ont révélé que des femmes interviewées décrivaient des situations familiales imprégnées de violence, les éléments mâles de la communauté, les pères et/ou les frères par exemple, sont souvent alcooliques, sans emploi, avec toutes les conséquences que cela comporte. D’où une volonté farouche de ces femmes à vouloir s’échapper. Ceux à qui cette période de transition dramatique profite le plus sont les organisations criminelles qui ont une surprenante capacité d’anticipation et d’adaptation face à l’évolution des marchés ainsi qu’une habilité notoire à cibler les nouveaux « secteurs d’investissement » desquels on peut tirer d’énormes profits dans un laps de temps très court.
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Evolution de la situation
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Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à une évolution importante dans le domaine de la traite des êtres humains. En 1998, au début de notre recherche-action, nous avions identifié certains pays de l’Europe Centrale et de l’Est comme étant les pays d’origine des femmes victimes de ce trafic ; aujourd’hui ces mêmes pays sont devenus aussi pays de transit. Le recrutement s’est élargi au-delà des anciennes frontières et les organisations criminelles s’appuient sur des recruteurs locaux, souvent organisés en petits réseaux familiaux. La lutte contre la traite devient ainsi plus difficile et complexe obligeant les anciens pays d’origine à chercher de nouveaux moyens plus efficients et un réseau de coopération plus large et plus structuré pour enquêter au-delà de leurs frontières. A l’époque où le FESU mettait en place le premier projet SécuCités Villes et lieux de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, la nécessité et la difficulté d’obtenir un visa pour pouvoir entrer dans les pays de l’Union Européenne pour les ressortissants des pays d’Europe de l’Est rendaient plus compliquée la circulation des personnes. Actuellement, du fait que de plus en plus ces pays tendent à éliminer les procédures pour obtenir ces documents, les polices des pays de destination nous informent que les femmes particulièrement arrivent par vagues de nationalités qui correspondent aux pays qui ont adopté ces modalités d’allègement des procédures. Si l’une des priorités actuelles est de préserver et de favoriser la libre circulation dans une Europe qui se veut ouverte et démocratique, il ne faut pas perdre de vue le fait que les organisations criminelles sont souvent les premières à profiter amplement, sinon à outrance, de cette plus grande liberté. Une tentative de réponse aux problèmes engendrés par ce phénomène est en train de prendre forme : les polices de différents pays de l’Ouest coopèrent plus fréquemment et avec des procédures plus rapides, plus ouvertes et plus souples qu’auparavant, mais la mobilité et la rapidité impressionnantes avec lesquelles les organisations criminelles s’adaptent aux changements, ainsi que les multiples moyens dont elles disposent, financiers entre autres, rendent la tâche plus que difficile. De plus, un autre paramètre est à prendre en compte : c’est le fait que les femmes sont conscientes et ont une certaine lucidité au sujet du travail qui les attend à l’Ouest. Elles ne sont presque plus recrutées sur la base de « promesses non véridiques ». Au contraire, elles savent ou pensent savoir ce qui les attend et connaissent la nature du « service », mais l’idée, ou plutôt l’illusion, que le travail sera très lucratif, de courte durée et pas trop pesant l’emporte sur le reste, les attire et joue en faveur de leur décision. Elles peuvent à présent conserver leurs documents d’identité, le risque de fuite étant réduit par l’adhésion à un contrat. De plus, la plupart du temps, l’une d’entre elles est « promue » au rang de responsable et a la tâche de surveiller les autres. Dans certaines villes, nous avons constaté qu’à la suite de ces changements, le comportement de la police n’était plus le même : il semble que cette dernière ne s’engage plus autant pour la cause de ces femmes qui, de fait et en dépit des apparences, sont encore victimes. À présent, l’attitude de ces policiers à l’égard de ce problème est plutôt de considérer les femmes non plus comme des personnes qui ont besoin d’aide, mais au contraire de témoigner de plus de méfiance vis-à-vis
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d’elles, comme si elles faisaient partie du réseau au même titre et au même niveau que les proxénètes. Nous avons pu remarquer aussi que cette réaction dans les milieux de la police était souvent étroitement liée à l’actualité du débat politique et aux propositions de durcissement des lois sur la prostitution en cours dans leur pays. Il est indéniable que les femmes sont encore des victimes. La réalité qui les attend n’a aucune commune mesure avec l’image qu’on leur en a laissé entrevoir au moment du recrutement. Dans la majorité des cas, les contrats ne sont pas respectés, les femmes sont contraintes et soumises à des cadences et à des durées de travail beaucoup plus importantes que prévu, dans des conditions sordides où la violence et la contrainte sont toujours présentes. Il est vrai que parfois les plaintes portées par les femmes s’avèrent être des actions orchestrées à l’intérieur d’un réseau pour porter préjudice à un proxénète ennemi ou concurrent et le mettre hors circuit. Une plainte peut aussi cacher des conflits d’origine économique, mais cela ne devrait en aucun cas influencer les institutions au point de constituer une raison valable pour placer toutes les femmes au même rang que les criminels. En ce qui concerne les organisations criminelles, les partenaires (policiers, magistrats, procureurs, responsables des ONG) que nous avons rencontrés ont tendance à croire en l’existence de quelques réseaux criminels très violent. Pour ces réseaux, la main d’œuvre serait recrutée parmi les membres des anciens corps d’élite des pays de l’ex-Union Soviétique, obligés de se reconvertir après la crise économique. Les moyens financiers dont dispose la criminalité organisée lui permet d’avoir toujours une longueur d’avance sur les institutions chargées de la combattre. La technologie dont ces réseaux criminels sont dotés ainsi que leurs filières d’information, le fait qu’ils aient les moyens de recycler et de blanchir l’argent très vite, la mise à leur disposition immédiate de tous ces avantages fait que la police qui, elle, doit passer par les lenteurs administratives pour accéder aux mêmes équipements se retrouve dans la position de celui qui a la tâche extrêmement ardue et illusoire, comme l’a un jour mentionné un juge allemand, paraphrasant lui même un député, de « courser en vélo un brigand qui s’enfuit au volant d’une Ferrari. » En parallèle de ces réseaux, il y aurait une myriade de cellules très mobiles quasi-familiales qui gèrent des petites groupes de femmes, ainsi que toute une économie qui tourne autour des femmes : des surveillants, des personnes qui les accompagnent sur leur lieu de travail, qui font les courses pour elles, etc. Il ne faut surtout pas perdre de vue que ces femmes ne parlent pas la langue des pays dans lesquels elles arrivent, elles ne connaissent pas les villes où elles travaillent et même si elles ont un contrat, elles ne sont absolument pas libres de se déplacer. Enfin un élément assez inquiétant qui a émergé tout au long de notre travail est l’élargissement de l’exploitation à d’autres catégories de personnes. On assiste à la présence d’esclaves dans les domaines domestique, de la cuisine, de la couture, et même du football. Les femmes ne sont plus les seules victimes : à elles s’ajoutent les hommes et les enfants. L’état d’extrême pauvreté auquel certaines personnes étaient réduites a totalement annihilé leurs droits et leur personne, leurs vies, leurs corps, sont devenus la marchandise à vendre.
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Les ONG de certaines villes, nées au début pour aider les femmes, ont fait en conséquence le choix d’ouvrir leurs foyers d’accueil protégé aussi aux hommes, ainsi que le soutien juridique qui permet d’entamer les démarches pour dénoncer les réseaux de ce nouveau type d’esclavage. Les complexités et les contradictions engendrées par le phénomène Nous savons tous que, d’un pays à l’autre, les lois concernant le trafic des êtres humains sont très différentes. Par extension on pourrait même aller jusqu’à dire qu’il y a à peu près autant de lois que de pays. Certains pays considèrent les femmes comme des victimes à protéger, comme des êtres à part entière, alors que d’autres ne voient en elles que des témoins à « conserver » le temps nécessaire pour arriver jusqu’au procès, ou encore comme des personnes n’ayant droit à aucune protection, à aucune attention ni aucun soin, quantité négligeable en somme, ou tout au plus utilitaire. En Europe, les lois concernant la traite des êtres humains et la protection des victimes sont très différentes, elles sont le résultat de divers choix politiques et culturels vis-à-vis du problème. Au-delà des considérations morales ou de la nécessaire solidarité envers des femmes qui sont contraintes de vivre des expériences affreuses et le plus souvent dégradantes, il demeure des contradictions au sein même des pays. Par exemple, en Autriche un fort mouvement d’attention aux droits des femmes a eu pour résultat la création et la mise en vigueur d’une excellente loi pour la protection des femmes victimes de la violence familiale. La loi a, en plus, été entourée de dispositifs, de procédures, de structures d’accueil, de la formation des acteurs censés l’appliquer, d’actions immédiates de la police et de réponses (de moyens d’application) rapides. Tout cet engagement peut laisser penser que la volonté de se charger de ce problème est réellement forte et que, grâce à l’effort mis en place, des changements comportementaux et culturels de la part des hommes et de femmes seront à prévoir dans le temps. Cette loi permettra aussi de connaître de façon plus précise et scientifique les origines des comportements violents et offrira ainsi des éléments plus concrets pour envisager une meilleure prévention, des programmes d’éducation plus ciblés, une capacité accrue à reconnaître et à prévenir des comportements à risque auprès des jeunes et cætera. Il est toutefois bien dommage que l’absence d’une loi spécifique sur la traite des êtres humains ne permette pas d’adresser à ces victimes la même attention qu’aux victimes de violence familiale. L’absence d’une « loi européenne » contre la traite et pour la protection des victimes, qui soit commune, acceptée par tous, qui soit le résultat d’un débat entre les pays, ne permet pas de créer un « système » de réponses et de dispositifs communs afin d’obtenir dans le temps les changements culturels fondamentalement essentiels et nécessaires pour vaincre ce fléau. Des propositions pour la mise en place de normes communautaires pour le soutien aux victimes ont déjà été envisagés à plusieurs reprises. Chaque pays investit de fortes sommes d’argent et des ressources humaines dans la lutte contre le trafic, le risque est d’en gâcher une grande partie en actions contradictoires.
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Tout au long des visites aux villes, nous avons entendu dire que l’action de répression dans un pays provoque une migration et donc un afflux de femmes dans les pays ou les villes alentour. Une loi commune aux pays européens, et éventuellement géographiquement plus étendue, permettrait d’accéder à de meilleurs coordinations, de procéder à des échanges à partir de bases communes, d’obtenir des données comparables, offrirait la possibilité de suivre les parcours des femmes, et enfin conduirait à réduire la lourdeur des diverses bureaucraties. Cela se traduirait également en une plus grande difficulté pour les réseaux criminels à tirer profit des différences et des divergences actuellement en place. Arriver à l’harmonisation des interventions et des procédures demandera probablement du temps mais, ce temps-là, ne serait en rien perdu. Un autre exemple de contradiction qui est parfois présent à l’intérieur d’un même pays : lorsque dans un pays la prostitution est légale, c’est la clandestinité et les agissements des femmes étrangères qui sont passibles de répression. Le corps de police qui s’occupe du contrôle d’identité et de la lutte contre la clandestinité n’est pas le même que celui qui s’occupe de la lutte contre le trafic. Leurs mandats sont différents : amener à la prison pour les premiers, et arriver à obtenir la coopération pour les seconds. Mais les femmes sont les mêmes et sont généralement impliquées dans les deux cas de figure. Etant donné la diversité des attitudes au sein des différents corps de police, il devient extrêmement difficile de gagner la confiance des femmes. Ou bien encore : les villes sollicitées par des citoyens mettent en place, par le biais de la police locale, des actions dissuasives à l’encontre des femmes qui travaillent dans la rue, or en même temps, les corps de police chargés des enquêtes contre la traite des êtres humains demandent à ces mêmes femmes de coopérer. Tant que ces victimes vivront dans l’incertitude par rapport à leur futur et sans savoir vers qui se tourner pour obtenir aide, compréhension, écoute et assistance, elles seront réduites au silence et maintenues dans une immobilité due à la crainte ; d’un côté, la crainte de la punition venant des éléments criminels qui les exploitent, d’un autre côté, celle de la répression de la part des institutions. Dans tous les cas, il sera très difficile de les motiver et de les amener à coopérer. Les villes sont aussi souvent dans l’obligation de gérer les contradictions et de mettre en place des dispositifs et des services que l’on pourrait considérer « hors la loi » ; comme les dispensaires de dépistage et de soins pour femmes autochtones mais aussi pour les irrégulières. Egalement obligée de gérer des contradictions, la police a parfois la responsabilité d'assumer les coûts d'hébergements pour les femmes. Comment mettre en place un réseau efficient et instaurer une véritable communication entre les divers organes de l’Etat (le gouvernement, la justice, les corps de police, les pouvoirs locaux…) ? Les villes et le problème de la traite des femmes La raison pour laquelle le Forum Européen, à partir de 1998, s’est intéressé à de ce sujet, bien qu’il soit de la compétence et du ressort des états, des polices et de la justice, réside dans le fait que ce sont les villes qui sont le plus souvent confrontées à ce phénomène.
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Les villes doivent gérer des problèmes d’ordre public en faisant face à des conflits engendrés par certains citoyens. Les habitants de ces villes sont secoués ou dérangés par l’image de ces femmes qui travaillent au vu de tous sur les trottoirs, ainsi que par les épisodes de violence entre bandes ou individus rivaux qui se déroulent dans la rue. Ainsi il s’agit de mettre en place une structure nouvelle ou d’adapter une structure existante pour être en mesure de faire face aux problèmes de santé et de sécurité publiques, en prenant en charge le suivi médical de ces femmes qui n’ont aucun repère et préserver leur santé et leur sécurité ainsi que celles des habitants. Si l’objectif d’une ville est de contribuer au bien-être de l’ensemble de ses habitants, il est évident que la première préoccupation à partir du moment où ce phénomène est apparu a été de mieux le connaître, de savoir d’où ces femmes venaient et dans quelles conditions, d’essayer de les aider à sortir du réseau et de les accompagner dans un processus de réinsertion. De nombreuses villes ont donc mis en place des systèmes de récolte et d’analyse de données par le biais des conventions avec les universités, elles ont subventionné des ONG engagées dans l’aide aux femmes victimes de la traite, elles ont aussi élaboré des projets d’actions possibles visant à lutter contre la banalisation du phénomène de la prostitution et de la traite, surtout chez les jeunes, considérant que la sensibilisation de la population joue un rôle très important dans ce type d’action. Enfin elles ont crée des partenariats et des lieux de discussion avec les représentants des différentes institutions impliquées. Mais les villes ne sont pas en mesure de pouvoir définir le cadre d’intervention et les moyens à mettre en place pour lutter contre ce problème. De plus, elles se sont rendues compte qu’en ce qui concerne les chiffres à l’échelle nationale, les données dont elles disposent subissent des variations importantes selon les sources. Il faut aussi prendre en compte le fait que souvent les Etats mettent en place des actions politiques fortes qui s’appuient sur des données incertaines et que les débats politiques sont de plus en plus concentrés et orientés sur la lutte contre trafic des êtres humains et de moins en moins sur la prévention et l’aide aux victimes. Un autre problème concerne les ONG : elles ont parfois des difficultés à être reconnues comme interlocuteurs par les autres institutions et souvent vivent dans la difficulté face à l’instabilité de leurs ressources. Leur apport fondamental est ainsi affaibli et le risque de les voir (du moins les plus petites) disparaître est très présent, ce qui aurait des conséquences désastreuses. La création d’un observatoire européen qui permettrait de récolter des données provenant des différentes sources, de les rassembler et de les analyser ainsi que la mise en place d’un réseau «vertueux » formé par ceux qui, à différents titres, souhaitent lutter contre la traite des êtres humains pourrait être un début de réponse coordonnée, interdisciplinaire et internationale contre ce fléau qui de toute évidence s’avère être en extension plutôt qu’en régression.
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Les visites aux villes partenaires du projet
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Au cours des visites aux villes partenaires du projet SécuCités femmes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, nous nous sommes aperçus que beaucoup de choses avaient changé par rapport au premier projet que nous avions mis en place en 1998. Des pays comme l’Allemagne et la Hollande ont légalisé la prostitution. Les pouvoirs locaux se sont de plus en plus impliqués dans la gestion et dans la mise en œuvre des actions et des dispositifs prévus par ces nouvelles lois. Une meilleure spécialisation de certaines professions a été développée, des partenariats ont été mis en place et un dialogue plus large a été entamé entre les diverses institutions. Un des aspects les plus intéressants est néanmoins la découverte que le réseau international des ONG s’est énormément élargi aux pays d’Europe centrale et orientale. La demande d’échange et de formation que les professionnels de cette partie de l’Europe adressent aux experts des ONG occidentales, l’effort que ces personnes font afin de créer des actions de sensibilisation des politiques et des citoyens dans leurs pays et de convaincre leurs voisins plus à Est d’adhérer au réseau est une source d’espérance pour une amélioration de l’application des droits des individus et de la protection des plus faibles. Les villes de destination La ville de Nice Nice est une ville située à la frontière avec l'Italie, ce qui facilite le transit des femmes arrivant des pays qui font aujourd’hui partie de Schengen. L'espace juridique de Schengen qui existe depuis longtemps a récemment été élargi à plusieurs pays d’Europe centrale et de l’Est. De plus, les réseaux de transports en commun provenant de ces pays se sont beaucoup développés. Nice devient ainsi une ville de destination aussi bien qu'un lieu de transit vers les autres Régions de la France, ainsi que vers l’Angleterre et l’Espagne. L’un des moyens pour connaître les pays d’origines des femmes est de contrôler les routes suivies par les autocars provenant de l’Europe de l’Est. Nice a toujours été un lieu de villégiature privilégié pour les Russes. A partir de 1800, en effet, les aristocrates s’y rendaient pour y faire de longs séjours et après la révolution d’octobre, beaucoup d’entre eux s’y sont réfugiés. La sympathie naturelle des habitants pour cette population a néanmoins été fortement ébranlée par le comportement des nouvelles générations de Russes, pour la plupart sérieusement impliqués dans des réseaux criminels. Nice est en fait considérée comme l’une des plaques tournantes de la mafia russe. La prostitution a toujours existé à Nice, du fait que c'est une ville très riche où le tourisme est assez développé pendant toute l’année, mais au cours de ces dernières années, les acteurs présents sur le terrain ont observé une forte augmentation des femmes prostituées étrangères, récemment toutes munies de visas touristiques, leur permettant un séjour temporaire. De ce fait, les femmes, qui auparavant restaient en ville clandestinement pendant un ou deux ans, y restent maintenant entre deux et six mois maximum et possèdent toutes une pièce d’identité, même si elle est souvent fausse.
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Le changement de leur statut, et par conséquent de leur comportement, engendre des difficultés pour les ONG : la précarisation de leur présence rend plus ardus le contact et l’instauration de relations de confiance durables avec elles. Les femmes ont toutefois les mêmes besoins d’aide qu’auparavant dans la mesure où elles sont toujours exploitées et elles travaillent dans des conditions épouvantables de coercition et de violence. De plus, elles doivent faire face à la violence accrue d’une partie des clients qui, connaissant le manque de droits de ces femmes, se permettent de les agresser, les rapter et aussi de les violer. Les données concernant ce nouveau problème nous ont été communiquées par les ONG qui travaillent sur le terrain. La vulnérabilité de ces femmes est due au fait qu’elles ne peuvent pas communiquer, ne possèdent aucune information sur les lieux où elles se trouvent et qu’elles se méfient des policiers et des représentants des institutions, se souvenant que dans leur propre pays ils ont souvent une fonction de contrôle, de dénonciation et de persuasion assez musclée. Il est indéniable que leurs besoins d’analyses médicales, de soins, et souvent d’avortement existent toujours, comme le démontre l’analyse de leurs demandes. La police de Nice a choisi de ne pas avoir une attitude répressive mais plutôt de chercher à obtenir la confiance des femmes. L’intérêt majeur est de récolter le maximum d’informations pour aider à la connaissance des réseaux ainsi que des mouvements et des nationalités des femmes par le biais de leur identification. Pour ces raisons, les policiers contrôlent les papiers des femmes et, à ces occasions, leur demandent d’être honnêtes et de donner des informations sur leur domicile, nom et lieu de provenance, pour leur sécurité et pour essayer de comprendre comment les réseaux fonctionnent et quels sont leurs parcours. Toutes les données concernant la prostitution sont ensuite envoyées au siège de l’OCRETH (Office Central de Répression du Trafic des Etres Humains), qui est chargé de la centralisation des informations, des enquêtes et des relations avec les autres pays qui font partie d’Interpol. Les données centralisées permettent l’analyse des mouvements, flux et nationalités concernées. A l’heure actuelle, en ce qui concerne la ville de Nice, mais aussi le territoire français, le comportement est celui de courts séjours, d’une forte mobilité des femmes et d’une violence accrue entre femmes (en raison du rapport entre le nombre des femmes et la disponibilité réduite des places à occuper), ce qui laisse présager aussi une croissance future de la violence entre proxénètes. Ces derniers ont une énorme et rapide capacité à s’adapter aux changements : ils habitent souvent dans des appartements loués par le réseau ou dans des hôtels et ils déménagent fréquemment ; ils changent de numéro de téléphone portable chaque mois, ils n’apparaissent presque plus sur les trottoirs et ils utilisent des femmes ex prostituées pour garder le contact avec les femmes pendant le travail. Il est aussi confirmé qu’actuellement les réseaux criminels marseillais et corse ne s’occupent pas de prostitution, ayant laissé le soin de gérer cette source de revenus aux réseaux d’Europe de l’Est et ayant gardé celle qui dérive de la gestion des salles de jeu et de la vente de la drogue. En ce qui concerne la drogue, aujourd’hui elle n’est pas consommée par les prostituées; en revanche la consommation d’alcool est l’un des problèmes qui touche ces femmes.
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Une importante présence de femmes provenant de la Bulgarie a été enregistrée dans la région niçoise ainsi que sur le territoire français (de même que dans toute l’Europe). Il s’agit de petits groupes composés de trois ou quatre femmes accompagnées par un proxénète qui restent deux ou trois mois à peine. Elles sont très jeunes, issues d’un milieu familial en difficulté, avec un niveau très bas d’éducation, elles sont contrôlées par un réseau plutôt artisanal, même si les dernières informations montrent que la criminalité organisée commence à s’y intéresser. La méthode consiste à racheter les dettes que ces femmes ou leur familles ont contractées. De cette façon les femmes deviennent la « propriété » des criminels qui mettent ainsi en place un chantage qui ne leur laisse aucun choix. La Police frontalière a constitué des groupes de travail chargés de thèmes spécifiques : - les irréguliers, les filières de la traite, les faux documents, les personnes qui sont encore présentes sur le territoire nonobstant l’interdiction d’y demeurer - les clandestins - les mariages avec des irréguliers, afin de vérifier qu’ils ne soient pas faux. Les centres de rétention qui accueillent les clandestins en attente d’expulsion hébergent aussi les prostituées (40 places y sont réservées). Les femmes peuvent recevoir une aide pour obtenir les documents nécessaires pour être rapatriées, si elles le souhaitent, ou une intercession (à travers le ministère des affaires externes) dans les pays d’origine dans les cas de menaces aux familles. Une aide pour obtenir le permis de séjour est aussi offerte. L’ONG engagée depuis le plus longtemps sur le sujet des femmes victimes de la traite, à Nice, est l’ALC SPRS. A fur et à mesure que l’ONG entrait en contact avec les femmes, les professionnels ont compris qu’il était indispensable d’avoir des lieux protégés pour accueillir les femmes qui souhaitaient sortir du réseau et que la possibilité de communiquer était primordiale. L’Association a par conséquent embauché des femmes provenant des mêmes pays que les victimes et elle les a formées au contact et à la relation avec elles. Ils ont aussi mis en place un réseau de lieux d’accueil de longue durée à travers la coordination de plusieurs centres déjà existants et prêts à pour travailler avec des femmes qui avaient vécu l’expérience de la prostitution forcée. L’ONG ALC travaille conjointement avec différents dispositifs de droit commun (accueil d’urgence, intervention générale pour SDF) pour dépanner les femmes qui sortent du réseau et qui doivent être protégées. Un appartement est réservé pour les femmes prostituées victimes de la traite. L’Association ALC a aussi mis en place un modèle de formation pour les acteurs qui, au niveau départemental, sont confrontés à ce type de problème (policiers, éducateurs, etc.). L’objectif était de créer un réseau stable de professionnels qui puisse constituer un point de repère pour toutes les professions censées entrer en contact avec les femmes prostituées victimes de la criminalité organisée. La DDASS (Direction départementale des affaires sanitaires et sociaux) a financé cette formation et a aussi mis en place une Commission départementale de lutte contre la violence envers les femmes qui se réunit une fois par an et à laquelle participent, entre autres, le Préfet, le Procureur de la République, des représentants de la police, de la gendarmerie, du Conseil général, du Conseil régional, de l’ordre des médecins, de l’ordre des avocats et des Associations qualifiées.
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Le phénomène de la prostitution en Lituanie et dans la Ville de Vilnius La population totale de la Lituanie est estimée à 3,7 millions d’habitants dont environ 400.000 habitent à Vilnius. Le 11 mars 1990 le Conseil Suprême de la Lituanie proclamait la restauration de l’indépendance de la République de Lituanie après plus de 50 années « d’occupation soviétique. » La Lituanie est une jeune démocratie parlementaire dont la constitution a été adoptée le 25 octobre 1992. Les chiffres non officiels indiquent qu’en 1997 à Vilnius il y avait environ 50 « entreprises de prostitution » avec un total de 5.000.000 dollars de revenu. En 1998, le code criminel prévoit la punition des crimes de traite des êtres humains. C’est à partir du 1999 que la Lituanie commence à prendre en charge le problème de la prostitution. Cette même année les femmes « disparues » en Lituanie étaient 600, aujourd’hui elles sont environ 1.500. En Lituanie, se livrer à la prostitution est passible d’une amende (Article 182 du code des infractions administratives). En revanche, la loi punit le proxénétisme ou la possession d’un établissement de prostitution par une peine de 5 ans d’emprisonnement ou par une amende. La prostitution de rue est exercée la plupart du temps par des femmes provenant de Russie et de Biélorussie. En ce qui concerne les femmes hongroises qui se prostituent en Lituanie, elles sont toutes d’origine tzigane. Les femmes et les proxénètes proviendraient tous de Peçs. En Lituanie travaillerait aussi un réseau yougoslave qui serait lié à la criminalité organisée. Les femmes lithuaniennes, quant à elles, exercent en appartements en utilisant les annonces sur les journaux ou migrent en Scandinavie, Danemark, Suède, Israël, Allemagne et Emirats Arabes. La société lithuanienne stigmatise les prostituées, et les femmes qui reviennent sont soumises à une pression sociale très forte. Les femmes sont ainsi écartées de la société et aucune compassion ou proposition d’aide n’est exprimée à leur égard par les voisins ou par les parents. Des épisodes de femmes qui ont subi du chantage et des agressions par les parents ou les frères ont été rapportés. La vie dans leurs villages devient donc impossible et la réinsertion socio-économique très difficile. Pour ces raisons, les femmes qui vivent en Europe occidentale n’ont pas envie de rentrer chez elles et tentent plutôt d’émigrer ailleurs quand rester dans un pays devient dangereux. Les organisations criminelles sont épaulées par des agences de voyages qui proposent des séjours touristiques « tout compris » et qui ne sont que des couvertures pour faciliter le trafic des femmes. Il y a aussi des agences matrimoniales reconnues et officielles qui organisent des mariages avec des citoyens aux Etats-Unis Des actions de prévention ont été mises en place par le biais de brochures et de campagnes télévisées afin de rendre les femmes plus attentives. En ce qui concerne les enquêtes et la répression, la police de Vilnius a adhéré à la convention avec Interpol et Europol et enquête sur les réseaux en milieu urbain, tandis que la gendarmerie intervient dans les zones rurales. Un programme national de lutte contre la traite des femmes a été mis en œuvre, mais les difficultés majeures sont liées au manque de données, au manque de personnel
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chargé de faire respecter la loi et d’enquêter sur le trafic, au manque de cohésion entre les ONG et les institutions publiques. En Lituanie il y a une loi de protection des témoins, mais la dimension assez petite du pays rend difficile une application efficace et véritablement dépourvue de risque pour les personnes concernées. Il faut considérer que les témoignages dans les pays d’Europe centrale et de l’Est sont plus délicats et dangereux qu’en Europe occidentale. Les dimensions de ces pays et la distance entre les villes rendent la tâche des policiers très ardue et d’autre part, les très bas salaires de ces employés publics, ainsi que ceux des citoyens, peuvent affaiblir leur volonté d’être irrépréhensibles. Chacun peut, en conséquence, donner des informations ou pour l’argent ou parce qu’il est menacé à son tour. C’est pour ces raisons que les trois pays Baltiques ont signé un accord pour la protection des témoins qui permet le changement de leur domicile et le droit de ne pas être vus pendant les auditions. En même temps que les actions de répression du trafic, des actions de prévention ont été mises en place en utilisant des brochures et des campagnes télévisées afin de rendre plus attentives les femmes. L’ONG Praeties Pedos (Les empreintes du passé), partenaire du projet, est née en 1998 avec pour objectif de créer un centre d’études et de documentation sur la problématique des femmes dans la société et dans la famille. L’ONG n’a pas de services mais des liens avec d’autres associations et des services de l’administration publique (service de prévention et réadaptation sociale). L’association Praeties Pedos coopère avec les autres ONG lithuaniennes engagées sur ce thème, ainsi qu’avec le service de prévention du département de la police nationale ( Ministère des affaires intérieures) et les institutions gouvernementales. Dès le début, les priorités de l’association ont été la violence envers les femmes, la prostitution et le trafic d’êtres humains, et leur objectif de trouver des solutions pratiques aux problèmes auxquels les femmes victimes doivent faire face. Dans le projet « Stop Trafficking » le but de l’Association était d’analyser l’attitude de la société lithuanienne à l’égard du trafic et de la prostitution, de recenser les activités des ONG et des organisations gouvernementales dans ce domaine, ainsi que d’élaborer et de publier des brochures adressées aux prostituées de rue et aux jeunes femmes qui cherchent un travail à l’étranger. La ville de Vienne La ville est très sensible à la qualité de la vie des femmes et à l’égalité des chances. C’est pour cette raison que le Bureau des Femmes a été mis en place par la municipalité en 1991. Les activités du Bureau couvrent plusieurs domaines : - la coordination des actions contre la violence envers les femmes, _ la production de brochures pour la prévention et l’information sur les services existants, - l’analyse des lois nationales afin d’en discerner les limites du point de vue de la parité et l’élaboration de commentaires ou recommandations, - l’étude du développement urbain et de l’architecture de la ville ;
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tout ceci toujours avec une grande attention portée sur les besoins de sécurité et de « facilité d’emploi » des femmes. Toutes les disciplines sont représentées dans ce bureau et les divers professionnels apportent leurs compétences spécifiques à l’élaboration des politiques et des actions « au féminin ». Le bureau finance aussi les ONG chargées de soutenir les femmes victimes de violence et de gérer les centres d’accueil spécifiques. En Autriche la loi de protection des victimes de violence domestique date de 1997 et a permis la mise en place d’un réseau de réponses d’aide très large, multidisciplinaire et interprofessionnel qui est très expérimenté et très bien coordonné. La municipalité a aussi mis en place un centre d’intégration pour immigrés qui héberge environ 90 personnes en attente d’un permis de séjour en tant que réfugiés et qui est organisé autour de plusieurs actions qui ont pour but l’intégration des adultes et des enfants accueillis. Un autre service très important est le Dispensaire spécialisé dans le diagnostic et le traitement des maladies sexuellement transmissibles, qui prend en charge les femmes prostituées (et les hommes aussi, bien qu’en nombre nettement inférieur), qu’elles soient ou non dans la légalité, et les personnes ayant eu des comportements à risque. Les dépistages et les soins sont gratuits, la municipalité de Vienne prenant les coûts en charge. L’analyse des données sanitaires montre que les maladies sexuellement transmissibles ont changé leur cadre clinique : - il y a beaucoup de femmes entre 20 et 45 ans atteintes par la syphilis et qui sont à la première ou deuxième année de maladie, donc infectieuses ; - un nombre non négligeable d’enfants naît avec la maladie ; - certaines maladies ont développé une résistance aux antibiotiques spécifiques, même aux plus récents. L’engagement et l’attention de la ville en ce qui concerne la protection des femmes sont néanmoins limités, en ce qui concerne la protection des femmes victimes de la traite, du fait que la loi nationale ne prend pas en compte le trafic des êtres humains et, par conséquent ne prévoit pas d’actions spécifiques de lutte contre ce trafic ni de soutien aux victimes. A partir de 1998, la possibilité d’obtenir un permis de séjour pour des raisons humanitaires s’est élargie aussi aux personnes « affectées par » (et non pas victimes de) la traite des êtres humains. Depuis la fin de l’année 2000, les femmes victimes de la traite peuvent présenter au Ministère une demande d’asile. Si la demande est acceptée, elles peuvent, en tant que demandeurs d'asile, travailler et, à partir de l’année 2002, obtenir un permis de séjour limité et une protection sociale. Grâce aux financements du programme STOP en 1998, l’ONG Lëfo, impliquée dans le soutien aux femmes prostituées, a mis en place une formation adressée aux policiers afin de leur apprendre comment gérer la relation avec les femmes prostituées irrégulières et à travers quelles procédures les envoyer à l’association. Lorsqu'elle interpelle une femme en situation irrégulière qui se prostitue, la police peut librement choisir de la considérer comme une victime de la traite et l’envoyer à l’association Lëfo ou tout simplement la considérer comme clandestine en Autriche et la renvoyer dans son pays d’origine. Il a été toutefois souligné par l’association que les contacts avec la police sont assez compliqués, probablement à cause des charges de travail de cette dernière.
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L'absence d’une loi et de dispositifs spécifiques sur la traite des êtres humains fait qu'il est difficile de définir les procédures à suivre et les tâches à accomplir ainsi que de produire des protocoles entre les acteurs concernés permettant la coordination et la coopération. L’association Lëfo se charge aussi de « l’observation de la Cour » dans les cas où des trafiquants sont poursuivis. Des représentants de l’association demandent de pouvoir être présents tout au long du procès afin d’observer le comportement des juges, des avocats et des accusés face à la femme victime. Dans plusieurs cas, les témoins ne se présentent pas, ce qui empêche les juges d’émettre un verdict en raison de l’absence de contradictoire. L’ONG Wave qui a organisé les rendez-vous de nos partenaires et qui nous a accompagné pendant la semaine de visite a crée, en 1996, un réseau européen sur la violence envers les femmes. L’ONG est aujourd’hui une fédération nationale qui a mis en place une banque de données avec les adresses d’environ 2000 associations européennes de femmes et qui est engagée dans la création d’un centre européen contre la violence envers les femmes. Wave est aussi un centre de veille et d’information sur tous types de violences (y compris celles aux victimes de la traite) et il publie des revues spécialisées sur ce sujet. Les ONG autrichiennes, convaincues que le manque d’une loi spécifique réduit leur potentialité ainsi que la possibilité d’obtenir des réelles coopérations avec les autres acteurs concernés, mettent en place de plus en plus des actions pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il adhère au protocole de Palerme et qu’il définisse dans la loi d’une part le trafic d’êtres humains et d’autre part les dispositifs à mettre en place pour lutter contre ce fléau et pour protéger les victimes. La police nous confirme que le manque d’une loi de protection des victimes, affaiblit les actions des ONG et la possibilité de créer une coordination stable et formelle entre les acteurs concernés. Il arrive souvent que les policiers eux-mêmes doivent s’occuper de trouver un accueil pour les femmes victimes. La loi de protection des témoins qui pourrait être utilisée n’est pas suffisante, étant donné que souvent les femmes n’ont pas d’informations sur le réseau qui puissent être exploitées par les enquêteurs. En Autriche, en l’absence d’une loi nationale, ce sont les Provinces qui décident comment gérer la prostitution. De cette façon, si une Province met en place des règles restrictives, les femmes se déplacent dans une autre. En fait en Autriche se produit à petite échelle ce qui se passe à grande échelle entre les pays de l’Europe de l’ouest. Les investigations de la police sont alourdies du fait que les policiers doivent se charger aussi de toutes les tâches bureaucratiques et administratives à résoudre pendant leur travail. Le bureau national d’investigation est en cours de constitution; il étudie actuellement les méthodes à adopter. Un échange d’informations entre polices des pays candidats et membres concernant les organisations criminelles (où se trouvent elles, combien sont elles, quelles sont leur structures et leur mode opératoires..) apparaît essentiel. Pour l'instant, l'échange d'information est ponctuel, et concerne des cas individuels.
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La police de Vienne a constaté à travers des signaux que des proxénètes étrangers se sont déjà appropriés des zones de prostitution légale qui auparavant étaient gérées par des autochtones, qui avaient des comportements et des règles « locales » et connues. La ville de Györ Györ est une ville frontalière. Beaucoup de femmes provenant de l’Ukraine, de la Moldavie, de la République slovaque, de la Roumanie, ainsi que de la Turquie et de l’Albanie et qui souhaitent entrer dans l’Union européenne s’arrêtent ici. Györ est donc un lieu à la fois de destination et de transit. Un nombre important d’hommes autrichiens viennent à Györ, qui est à une heure et demie de train de Vienne, pour profiter d’un « marché » plus accessible (en Hongrie la prostitution est légale), plus varié et moins cher. Le fait d’être une ville à la frontière de plusieurs pays fait de Györ un carrefour de la criminalité. Plusieurs marchés illégaux se trouvent et tout type de marchandises (drogue, armes, femmes pour n’en citer que quelques unes) est repérable. Les criminels sont très violents ; ils sont le plus souvent issus des anciens corps spécialisées des gouvernements des pays de l’ex Union soviétique, obligés de se reconvertir après l’effondrement de l’économie de leurs pays. En 1999, la définition de trafic des êtres humains a été introduite dans la loi et, à partir du 1er avril 2002 le code pénal a intégré les définitions du protocole des Nations-Unies et de la Convention de Palerme. Une nouvelle loi en Hongrie établit que le Procureur ordonne et autorise les enquêtes, laissant au juge cette fonction seulement dans certains cas spécifiques. Le rôle du Procureur a acquis, grâce à cette loi, beaucoup plus d’importance. La municipalité finance les actions des ONG (travail de rue à la rencontre des SDF et des femmes prostituées, maisons d’accueil) et les services publics, mais elle n’est pas en mesure de pouvoir coordonner les actions des différentes institutions. L’établissement des liens de confiance entre les institutions et les citoyens est un des éléments de difficulté du pays, d’autant plus qu’apparemment l’obligation au secret professionnel, qui est une règle présente dans tous les services publics des villes d’Europe de l’Ouest, n’est pas garantie en Hongrie, et se ferait donc d’une manière aléatoire. La ville de Heerlen La prostitution est légale en Hollande : il appartient aux Maires des villes de produire les règlements locaux, à défaut de quoi, un comité national les établit. La prostitution des femmes toxicomanes est exercée dans un lieu défini et avec la surveillance de la police qui veille à leur sécurité. Dans le même lieu, le bus d’une association stationne en permanence pour permettre aux femmes de pouvoir compter sur une présence de professionnels, qui
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leur donnent des conseils, ainsi que des boissons chaudes, des préservatifs et l’occasion de se reposer ou de se changer avant de rentrer chez elles. La prostitution des femmes autochtones est exercée dans des lieux prédisposés : clubs, bordels, salles de massage etcetera. Les contrôles de ces lieux sont très stricts et c’est à travers les documents des femmes qui y exercent la prostitution que les policiers se rendent compte si leur présence est irrégulière ou non. Il faut savoir que très fréquemment les documents que ces femmes exhibent sont faux et les policiers ont une grande capacité à les reconnaître. Une fois repérée, ils conduisent la femme clandestine en prison et si elle déclare être victime de la traite, les policiers contactent leurs collègues de la cellule spécialisée dans la lutte contre le trafic. La loi permet d’obtenir un permis de séjour de trois mois pour ces femmes, afin de leur donner le temps de réfléchir à la possibilité de coopérer avec les enquêteurs. Pendant cette phase elles sont accueillies dans des maisons protégées. Si, à la fin de cette phase elles décident de dénoncer leur proxénète, le procureur les interroge et elles obtiennent un permis de séjour d’une durée d’un an mais qui ne leur donne ni le droit de travailler ni celui de suivre une formation. En revanche une protection sociale leur est accordée. Les enquêtes sont menées par les policiers sous la direction du Procureur ; si un contact avec un juge d’un pays en dehors de Schengen s'avère nécessaire, c’est au Ministère de la Justice qu’il faut directement adresser la demande. Le dit Ministère donnera le feu vert après avoir obtenu à son tour l’accord du Ministère du pays intéressé. La loi en Hollande ne définit que le trafic finalisé à l’exploitation sexuelle et pas d’autres formes d’esclavage ou de trafic d’êtres humains. Cela limite les enquêtes à la seule prostitution forcée. A la suite d’une recherche qui démontrait que la prostitution illégale était assez répandue dans le sud de la Hollande, des task forces composées de détectives spécialisés dans le trafic ont été mis en place dans chaque Région. A la suite de la légalisation de la prostitution (octobre 2000) le personnel en charge de la task force a été réduit. En ce qui concerne la Région de la Hollande du sud, 4 personnes en font partie et agissent dans une zone de 240 kilomètres de frontières (Maastricht, Heerlen). Les femmes prostituées sont enregistrées sur des fichiers spécifiques ; les policiers contrôlent les bordels et les maisons de massage, ainsi que les annonces dans les journaux, afin de dépister les prostituées irrégulières. L’absence de femmes sur les trottoirs et donc l’impossibilité d’avoir des contacts informels rend plus difficile la récolte d’informations et la découverte de bordels clandestins est assez difficile, mais personne ne doute de leur existence. La loi sur la prostitution est très rigoureuse en ce qui concerne le fonctionnement des bordels. Si le gérant emploie des prostituées illégales il risque la fermeture de la maison pendant 5 ans et il est soumis à un contrôle concernant son comportement pendant ces années avant que ne soit donné le permis de réouverture. La légalisation de la prostitution ainsi que les dispositifs d’enregistrement des femmes et des contrôles très stricts visent à dissuader l’utilisation du territoire national comme marché de la prostitution illégale. Les décideurs ont en fait considéré que, puisqu'il est impossible atteindre la tête des organisations criminelles, il fallait rendre très difficile aux femmes de travailler en tant que clandestines.
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Les policiers qui travaillent dans la task force ont une attitude de respect envers les femmes très remarquable et assez rarement vue dans d’autres lieux. Les formations régulières et les réunions d’équipe leur permettent de gérer au mieux le travail qui est assez délicat et non dépourvu de risques. De plus, ils ont un code de déontologie très précis auquel ils se conforment sans faille. La police travaille en coopération avec la Fondation STV (Dutch Foundation against Trafficking in Women) dont le siège est à Utrecht et qui est chargée de repérer des lieux protégés pour les victimes du trafic par le biais d’un réseau national de maisons d’accueil. Cette fondation agit dans plusieurs domaines liées à la lutte contre le trafic des femmes et elle participe à un programme qui rassemble des ONG de Pologne, République Tchèque et Slovaque et Ukraine (La Strada Prevention Programme). Ses objectifs sont d’augmenter l’attention des pouvoirs politiques au sujet de la traite des femmes, de créer des campagnes de prévention et des dispositifs de soutien aux victimes du trafic dans les pays d’Europe centrale et de l’est, de former des professionnels à l’aide aux victimes dans le plus grand nombre de pays d’Europe. La possibilité de créer des protocoles avec l’Allemagne et la Belgique pour élargir les possibilités d’hébergement se heurte au fait que les permis de séjours hollandais ne sont pas reconnus dans ces deux pays. D’autres ONG sont impliquées dans l’aide et le soutien aux femmes victimes de la traite à Heerlen et un service gratuit et anonyme de dépistage de maladie sexuellement transmissible est offert aux femmes de toutes conditions. La ville de Lodz La ville de Lodz compte environ 790.000 habitants. Des 63.000 chômeurs officiels 77% ne bénéficie d’aucune protection sociale. La lutte contre le chômage (18.5%) et contre l’aggravation de la pauvreté constituent les priorités pour les autorités locales. La municipalité travaille en coopération avec des ONG, pour la préparation et la distribution de repas gratuits et la recherche de nourriture à fournir aux familles qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. C’est ainsi qu’il est aisé de comprendre pour quelles raisons la lutte contre le trafic des êtres humains ne constitue pas, en ce moment, la priorité ni de la ville, ni de l’Etat. La prostitution n’est pas punie en Pologne, en revanche la loi punit le proxénétisme. Des ONG polonaises spécialisées dans la lutte contre le trafic décrivent la ville de Lodz comme étant à la fois ville de destination et de transit. Les femmes arrivent de la Biélorussie, de l’Ukraine, de la Russie et de la Bulgarie. La mafia russe contrôle les femmes qui travaillent en périphérie, alors que les femmes qui travaillent en ville sont contrôlées par la mafia polonaise. Le phénomène de la prostitution occasionnelle, ainsi que de la prostitution des mineurs est aussi présent à Lodz.
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Les financements de l’Etat sont en grande majorité utilisés pour réduire la pauvreté, ce qui fait que la ville n’est pas en mesure de mettre en place des campagnes d’information, de sensibilisation ou de prévention à l’égard du problème de la prostitution et de la lutte contre la traite des femmes. Les enquêtes des Procureurs et des policiers sont très lentes, à cause, entre autres, des procédures bureaucratiques. Un dossier concernant une enquête peut durer trois ou même quatre ans avant d’être terminé. Les représentants de ces institutions sont très conscients de l’existence de réseaux criminels locaux agissant soit sur le territoire polonais soit en connexion avec les mafias internationales et nonobstant les difficultés à enquêter, ils ont réussi à convaincre un certain nombre de femmes à témoigner contre leurs proxénètes. En Pologne, le thème de la prostitution est encore tabou et des discussions ouvertes comme celles que nos partenaires ont eues avec les élus et les professionnels de la ville d’Heerlen ne sont pas possibles aujourd’hui dans leur réalité. Un grand travail de décloisonnement est à faire en Pologne et les ONG polonaises, qui souvent ne travaillent pas en coordination, et qui ont des difficultés à être soutenues et reconnues par le gouvernement, auraient besoin de plus d’échanges d’informations et de coopération avec les pays qui ont déjà développés des dispositifs et des réponses à ce sujet. C’est pour cette raison que la fondation « La Strada » fait partie depuis quelques années d’un programme qui porte le même nom et qui est financé par la Commission européenne et par le gouvernement hollandais. C’est en fait le même programme cité précédemment, qui rassemble aujourd’hui un réseau assez important d’organisations de toute l’Europe et qui est en phase d’élargissement. La Strada Pologne a sollicité l’ONG de la voisine Biélorussie (Young Women’s Christian Association) pour mettre en place un projet commun de prévention. Les politiques de lutte contre la traite en Belgique La Belgique a approuvé en 1995 une loi dite « loi sur la traite des êtres humains », à la suite des travaux d’une commission d’enquête parlementaire créé pour examiner le phénomène à l’échelle nationale. A partir de là, une série de circulaires ministérielles, de dispositifs et de coordinations a été créé dans tout le pays, ainsi qu’une mise à jour des compétences et des procédures que les acteurs publics concernés par la nouvelle loi doivent respecter. La politique belge de lutte contre la traite se fonde sur la coordination, la cohérence et la synergie de tous ces acteurs ainsi que sur une approche multidisciplinaire. Le système des dispositifs mis en place permet d’agir d’une façon très productive sur le plan des enquêtes, des contrôles des arrivés des immigrés, des actions de répression ainsi que des actions d’aide et de protection aux victimes. La Belgique a récemment approuvé une nouvelle loi qui élargit le délit d’exploitation à d’autres domaines comme celui de l’exploitation immobilière et qui permet la réquisition d’appartements qui ont été loués à des prix d’usure.
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Des structures d’accueil ont été mises en place afin d’héberger les victimes et de les suivre tout au long du parcours qui les mènera à l’obtention d’un permis définitif de séjour si elles y ont droit ou de les accompagner jusqu’à la sortie du pays, si elles le souhaitent ou y sont obligées. Trois organisations ont été choisies pour ces fonctions: l’asbl (association sans but lucratif) Pag-Asa à Bruxelles, l’asbl Surya à Liège et l’asbl Payoke à Anvers. En même temps, le Centre pour l’égalité des chances, service public autonome créé en 1993, basé à Bruxelles, a été chargé de l’élaboration d’un rapport annuel d’évaluation des résultats de la lutte contre la traite en Belgique. Ce rapport doit être remis au Parlement chaque année et constitue un outil de communication important afin de donner au gouvernement les éléments sur lesquels définir des mesures à prendre ou des problèmes spécifiques à considérer. Le rapport est produit grâce aussi aux contacts stables que le centre entretient avec le terrain. Le Centre a été aussi chargé de la coordination entre les trois centres d’accueil. La ville de Bruxelles Chaque année le Parquet de la ville de Bruxelles traite entre 500 et 600 dossiers concernant l’exploitation sexuelle et la traite des femmes. Les villes de Bruxelles, Anvers, Liège et Charleroi ont les dossiers les plus importants. Les femmes victimes de la traite peuvent aujourd’hui demander de témoigner par vidéo, en utilisant une procédure qui avait été mise en place pour les mineurs victimes d’abus sexuels. Les femmes et les proxénètes bulgares sont arrivés récemment à Bruxelles en grand nombre. Selon les policiers, une partie d’entre elles s’est déplacé de la France à cause du durcissement des actions répressives mises en œuvre dans ce pays. Leur arrivée a produit une baisse des prix, des offres de prestations sans protection et, par conséquent, un conflit assez violent entre elles et les prostituées qui occupaient déjà le trottoir, ainsi qu’entre les proxénètes. Le réseau bulgare travaille avec des antennes en Bulgarie, chargées, entre autres, de trouver des femmes à « exporter » et de contrôler les virements d’argent. Il faut savoir que les proxénètes bulgares n’achètent rien à Bruxelles : ni appartement, ni voiture et ils investissent tout en Bulgarie. Cela ne permet pas d’avoir des preuves de leurs activités illégales et il ne faut donc compter que sur les témoignages des femmes pour pouvoir les enquêter. La condition des femmes empire de plus en plus à cause de la concurrence. Elles sont souvent obligées de rester sur le trottoir dans n’importe quelles conditions météorologiques, jusqu’au petit matin parce qu’elles sont surveillées et parce qu’elles ne sont pas en mesure de pouvoir se payer une chambre d’hôtel. Nous assistons aussi à une nouvelle forme de « conditionnement » des femmes : il s’agit d’une figure de proxénète qui rachète une ou plusieurs femmes à des bourreaux violents et qui les fait ensuite travailler dans de conditions plus « humaines » (en appartement, par exemple). Un lien de reconnaissance est ainsi créé entre le nouveau proxénète et les femmes. Ces dernières lui seront totalement dévouées. Ainsi il devient presque impossible de les faire témoigner contre lui.
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Le Parquet de Bruxelles convoque une fois par mois tous les acteurs concernés afin d’échanger des informations concrètes sur des dossiers spécifiques. L’ONG Pag-Asa est le point de repère pour les femmes victimes de la traite à Bruxelles. L’association gère environ 120 dossiers en permanence. Le nombre de cas que Pag-Asa a suivi depuis sa création lui a permis d’acquérir une connaissance très approfondie du problème. L’association observe qu’en général, les victimes ne sont pas les plus pauvres mais des personnes qui cherchent des meilleures conditions de vie et qui essaient de faire quelque chose pour les obtenir, donc avec un bon esprit d’initiative. Leur faiblesse réside dans le fait que, tout en sachant bien de quelles conditions elles essayent de s’échapper, elles font une mauvaise évaluation de la situation qui les attend. Elles surestiment les opportunités que notre système occidental peut leur offrir et elles ne prennent pas en compte la possibilité que les personnes qui leur proposent un futur étincelant ont un tout autre objectif que les leurs. Une fois arrivée à destination, elles se retrouvent totalement dépendantes de ceux qui ont organisé le voyage, sans moyens, sans possibilité de communiquer et seules face à la violence et à l’exploitation. La ville de Sofia La situation économique en Bulgarie est encore très difficile. Les salaires moyens sont très bas et ils sont insuffisants par rapport au coût de la vie. En Bulgarie, les témoins ne sont pas protégés. Les femmes qui témoignent déclarent qu'elles n'ont pas eu à effectuer les démarches nécessaires à leur départ en Europe de l'Ouest, dans la mesure où celles-ci, ainsi que les coûts afférents étaient pris en charge par d'autres. Avant d’arriver en Europe occidentale, presque toutes se sont prostituées en Bulgarie. L’ONG « Animus Association » gère un Centre de réhabilitation des femmes victimes de la violence créé en 1994. L’association fait partie du programme international de prévention du trafic des femmes d’Europe centrale et orientale intitulé « La Strada ». L’association est engagée sur trois volets principaux qui sont complémentaires et liés : le travail de soutien à celles qui ont survécu à la violence, la dissémination de leur modèle d’intervention ainsi que la promotion des droits des femmes et les actions de lobbying, prévention et alimentation du réseau. Les activités de l’association s’appuient sur l’échange de bonnes pratiques, le travail multidisciplinaire en équipe, le professionnalisme et l’approche inter institutionnelle. Le centre de crise de l’Association, faute de moyens, peut héberger une femme pour une durée maximum de deux semaines. Pendant ce temps l’objectif est de l’aider à se rétablir psychologiquement et à faire un état des lieux de sa situation afin de pouvoir bâtir un projet pour son futur. Souvent, il est impératif d’aider les femmes à s’émanciper des familles d’origine, très violentes, et où il serait impossible de les renvoyer.
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Ici comme dans la plupart des pays d’Europe centrale et occidentale, la stigmatisation des femmes victimes et la discrimination à leur encontre sont très répandues. Il est donc souvent nécessaire de déplacer les femmes dans d’autres parties de la Bulgarie et de cacher leur passé. Les liens stables avec les 30 ONG existant en Bulgarie permettent de poursuivre l’action de soutien aux femmes une fois que l’intervention de premier secours est terminée. Cependant, il n'existe pas de centre d'accueil, autre que celui géré par Animus. La coopération avec Médecins sans frontières permet de faire des bilans de santé aux femmes pendant la phase d’accueil au centre de crise. L’association Animus entretient des rapports avec des associations de l’Europe occidentale, les ambassades bulgares et les polices de frontières. Les professionnels de l’association sont alertés lorsque des femmes bulgares sont expulsées et renvoyées en Bulgarie. Les lieux où repérer les femmes qui rentrent sont généralement les gares de bus, l’aéroport ou les orphelinats dans les cas ou les femmes sont mineures. Du côté des institutions, le Ministère de l’emploi et des politiques sociales a mis en œuvre un programme de prévention composé de plusieurs actions : - une aide à l’emploi adressé aux femmes. A ce propos il a confié à la ville de Sofia la tâche de mener une enquête élargie à toutes les villes limitrophes, concernant le marché du travail pour les jeunes sans qualification. Le ministère s’est aussi engagé à repérer des emplois dans les entreprises publiques dont les salaires seront garantis par l’Etat ; - un programme de développement de la communauté Rom ciblé sur l’obligation à l’éducation des enfants et sur une aide à l’emploi des femmes ; - la création de cantines gratuites dans les écoles afin d’augmenter la présence des enfants. Le budget de la municipalité de Sofia n’est pas en mesure d’assurer les aides nécessaires aux victimes. La ville compte beaucoup sur les actions des ONG et elle fait de son mieux pour les faire connaître aux citoyens. Une des occasions a été le renouvellement obligatoire des papiers d’identité de tous les habitants : joint aux nouveaux documents, la municipalité a donné la brochure d’information et le numéro de téléphone de l’association Animus pour faire connaître leurs activités. La ville d’Anvers A Anvers, les élus locaux ont du faire face ces dernières années à une augmentation des crimes et de la violence au sein de la zone de prostitution (red light district, la zone des vitrines) située au centre ville, dans un quartier très peuplé. Les bandes de criminels, surtout d’origine albanaise et d’Europe de l’est étaient en conflit permanent, jour et nuit, pour le contrôle des lieux de prostitution, l’occupation des meilleures vitrines, l’appropriation des femmes prostituées. Les conflits étaient très violents, pouvant aller jusqu’à des morts par arme à feu en plein jour. A la suite de ces évènements et d’une série de pétitions initiées par les riverains, la municipalité a décidé de réduire la zone des vitrines de 17 rues à 3 et d’interdire le passage aux voitures. En même temps, une unité de police spécialisée en matière de traite des êtres humains a été mise en place, selon les dispositifs de la loi. Elle travaille en coordination avec la section scientifique et la justice. Sa tâche est le contact avec les prostituées, l’enregistrement des femmes dans les fichiers, la
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récolte d’informations. La permanence s’effectue de 22h à 6h et, en cas de nécessité toute la police est censée intervenir sur simple appel. La municipalité a ensuite décidé de rénover la zone qui avait été fermée et qui est en très mauvaise condition. L’objectif serait d’en faire un lieu de vie et de loisirs (habitations, restaurants, cinémas..) même si la réussite n’est pas certaine, vu la quantité de travaux à faire. La préoccupation principale en ce moment est de faire en sorte que la partie abandonnée ne devienne pas un lieu squatté par les clandestins et les délinquants. Le dernier objectif est d’améliorer la qualité de vie des femmes prostituées. A cette fin, la ville est sur le point d’imposer une baisse des locations des vitrines qui actuellement sont trop chères, d’imposer aux propriétaires d’élargir les locaux trop étroits et de les rendre salubres. Un contrôle de respect des nouvelles règles a été mis en place, ainsi qu’une recherche des femmes en situation irrégulière et victimes du trafic. Les actions et les dispositifs de la municipalité ont contribué à la baisse de la violence dans cette zone et les prostituées elles-mêmes ont le sentiment d’être mieux protégées. L’ONG Payoke, qui est l’association reconnue comme partenaire par la municipalité, gère une maison d’accueil pour femmes victimes avec pour objectif leur réinsertion socio-économique soit en Belgique, soit dans leur pays s’elles le souhaitent. Grâce aux compétences acquises par Payoke durant ses années de travail, l’ONG est souvent consultée, tout comme les deux autres ONG belges Pag-Asa et Surÿa, par des agences gouvernementales, des institutions de l’éducation nationale, des organisations socioculturelles. L’ONG a récemment donné l’alerte concernant des femmes provenant de l’Asie centrale (Kazakhstan et Afghanistan) qui commencent à apparaître en ville. Parmi les associations qui travaillent à Anvers, l’une d’elles représente un cas à part : il s’agit d’une association crée par des riverains qui sont tous bénévoles, et qui a pour but de donner une aide « impromptue » aux femmes africaines prostituées. L’association a aménagé un appartement dans lequel les femmes peuvent se rendre quelques jours ou simplement pour une nuit, elles peuvent aussi y prendre un repas et parler avec quelqu’un de l’association. L’aide porté permet à ces femmes d’être en sécurité, de ne pas être obligées de rentrer tard le soir dans des quartiers dangereux et d’avoir un soutien en cas de besoin. Avec le temps, un lien de confiance s’est créé entre les femmes et les bénévoles. Cela a permis à l’association de connaître mieux les coutumes, habitudes et dynamiques de cette groupe : on pourrait dire que ces bénévoles sont devenus les experts du réseau africain à Anvers. La ville soutient l’association avec une aide financière et la prise en charge des dépenses de l’appartement. La ville de Kiev La population de Kiev est d’environ 2.500.000 habitants. L’Ukraine comptait 52.000.000 d’habitants en 1997 ; aujourd’hui la population a baissé à environ 49.000.000.
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En septembre 2001, la prostitution a été déclarée illégale en Ukraine : elle est punie de deux ans d’emprisonnement et d’une amende. La prostitution existe néanmoins comme avant et est exercée au bord des autoroutes, dans les bars et par le biais de téléphones portables. Selon les données de la police, environ 8.000 prostituées entre 14 et 53 ans travaillent à Kiev. L’origine est pour la plupart nationale ; les femmes n’ont ni protection sociale ni sanitaire, étant donné qu’elles ne paient pas d’impôt, pour cette raison elles ne sont pas considérées comme ayant des droits. La prostitution des femmes étudiantes qui proviennent d’autres régions ukrainiennes est répandue à Kiev. La prostitution de rue est exercée sous la contrainte des proxénètes. L’association « La strada-Ukraine » (même nom du programme international auquel elle adhère) a été reconnue par le Ministère de Justice ukrainien en 1998. Depuis, elle a mis en place plusieurs activités. En 1999, le Cabinet du Ministère a adopté le Programme Global de prévention du trafic des femmes et des enfants en Ukraine : celui-ci comporte un engagement des institutions publiques et des ONG à mettre en place de campagnes de sensibilisation et de prévention mais aussi des actions d’assistance sociale et psychologique aux femmes victimes de la traite. L’une des activités les plus intéressantes que l’ONG La Strada-Ukraine a développée est une ligne téléphonique ouverte 24h sur 24 qui essaie de donner le plus d’informations possible aux femmes qui souhaitent aller travailler à l’étranger. Les informations concernent les possibilités, les conditions, les règles relatives au travail à l’étranger pour les Ukrainiennes, mais aussi les risques de violence et les dangers possibles. Les appels sont anonymes et gratuits et l’association essaie autant que possible de mettre en contact direct des femmes qui ont été victimes du trafic avec celles qui vont partir à l’étranger pour y étudier ou travailler. Depuis octobre 2001, date d’ouverture de la ligne, plus de 8 156 consultations ont été données. Les autres activités de l’ONG sont : des campagnes de sensibilisation de la population, des campagnes en direction de la presse ; des actions de formation ; l’activation de groupes de pression ; des expertises sur les lois concernant la condition des femmes en Ukraine ; des activités d’éducation aux droits des femmes chez les jeunes ; des séminaires et colloques sur le thème de la traite ; les signalement d’alerte concernant les changements des modes opératoires des réseaux criminels adressés aux institutions ; l’aide à la recherche des femmes ukrainiennes disparues. La ville de Francfort En décembre 2002, une nouvelle loi sur la prostitution a été approuvée par le gouvernement. Selon cette loi, la prostitution est devenue légale et les prostituées ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres travailleurs.
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En ce qui concerne la lutte contre la traite des êtres humains, le Ministère des affaires sociales du Land de Hesse a mis en place un « conseil de la prostitution » réunissant tous les acteurs concernés (police, ONG, justice, élus, responsables des services municipaux …) avec pour objectif de définir des hypothèses de coopération dans le domaine de la prostitution. Ce conseil a aussi mis en place des groupes thématiques de travail et a élaboré un code de déontologie visant à garantir le devoir de réserve des participants. Le conseil a élaboré une recommandation relative à la coopération des autorités répressives, des services d’immigration et des ONG en ce qui concerne la protection des témoins qui coopèrent à la lutte contre la traite des êtres humains. Cette recommandation est désormais en application. Aujourd’hui, par exemple, la police prévient les centres d’accueil la veille d’une rafle et les prépare à la possibilité que des femmes soient amenées pour êtres accueillies. Le problème à régler reste toutefois la coopération entre les différents corps de police qui, parfois, ne sont pas coordonnés, ce qui fait qu’une partie des femmes continuent à finir en prison en tant que clandestines, mêmes si elles peuvent être reconnues comme sources d’information importante et à ce titre elles pourraient avoir un autre traitement. Plusieurs ONG sont engagées, à différents titres, dans l’aide aux femmes prostituées : l’association Iskra a mis en place un programme spécifique ciblé sur la prostitution et les faux mariages ; l’association des femmes protestantes travaille avec les femmes réfugiées, l’association JVA s’occupe des femmes en situation irrégulière provenant surtout de l’Europe de l’Est et qui sont en prison. Toutes les représentantes des ONG que nous avons rencontré déclarent que les changements sociaux et les nouveaux problèmes engendrés demandent des nouvelles professionnalisations et des nouvelles définitions des métiers dans le domaine du social. L’association FIM est spécifiquement engagée dans l’accueil des femmes victimes de la traite. FiM s’attaque à la traite des êtres humains, au tourisme sexuel et à la violence envers les femmes en processus de migration ainsi qu’à la discrimination et à l’exploitation dont elles peuvent faire l’objet. Depuis trois ans, elle est porteuse du projet-modèle contre la traite des êtres humains en Hesse et elle constitue l’organisme de coordination du Land et, avec l'association des femmes du nord de la Hesse, FRANKA, les seuls services de conseil spécialisé pour les victimes de la traite des êtres humains dans la Hesse. L’ONG apporte un soutien important aux victimes de la traite des êtres humains indépendamment du fait qu’elles témoignent ou pas. Avec ce travail, l’association soutient aussi la poursuite judiciaire. Les tâches des conseillères spécialisées comprennent : . hébergement en sécurité en accord avec la police . assistance psychosociologique continue . mise en place d’une aide pour l’existence matérielle . soutien lors de la reprise d’un travail salarié . communication d’offres de formation (initiale ou continue) . explication des rôles et devoirs de la police et de la justice . établissement de contacts avec des conseillers juridiques et des représentants de parties civiles . préparation, accompagnement et suivi lors des procès en justice . soutien au retour et à la réintégration dans la patrie d’origine
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En coopération avec des institutions d’hébergement, l’association a aussi établi un réseau d’hébergement sur tout le territoire de la Hesse : elle coordonne tous les ans des rencontres d’échange entre ces établissements. De plus, l’association favorise le travail interdisciplinaire entre les autorités étrangères, l’assistance publique, les foyers d’accueil pour les femmes et autres organismes par un travail ciblé de formation et d’information, pour que les marges d’action existantes en faveur des victimes soient utilisées au mieux. A ce jour, beaucoup de travail a été consacré à l’instruction des collaborateurs non informés, par exemple dans les services de l’assistance publique. En ce qui concerne les données, d’après le « Lagebild Menschenhandel » (représentation de la situation de la traite des êtres humains) des services fédéraux de la police judiciaire, au total 273 procédures d’enquête ont été menées en 2001 avec 987 victimes étrangères. Mais dans les cercles des spécialistes les chiffres sont considérablement plus élevés. D’après le Lagebild, la majorité des femmes est originaire d’Europe de l’Est et a moins de 25 ans. Le nombre des mineures a augmenté par rapport à l’année dernière. Environ 55 % des femmes concernées ont été dupées sur la raison réelle de leur recrutement tandis que 32 % environ étaient d’accord pour se soumettre à la prostitution mais ne savaient pas dans quelles conditions elles devraient travailler. La somme des gains illégaux estimés dans le cadre de la procédure judiciaire s’élevait au total à 5 millions et demi d’euros. Contrairement aux années précédentes, le nombre des victimes expulsées est descendu de 60.9 % à 24.4 % . Ceci est clairement à imputer au travail des services de conseil spécialisé sur tout le territoire de l’Allemagne. La ville de Brno C’est en 1999 que la ville de Brno a adhéré au projet SécuCités Femmes victimes de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle du Forum Européen pour la sécurité urbaine. A la suite de la première étape du projet, la ville de Brno a décidé de créer au niveau communal une structure pouvant fournir tout un ensemble de services (sociaux, juridiques, et sanitaires) adressées aux victimes de la traite et qui est située à une adresse secrète. Les fonds fournis par le Ministère ont permis de financer une ONG qui fournit le personnel nécessaire tandis que la ville de Brno a financé l’ouverture de la structure protégée. La structure prévoit aussi des logements pour les femmes victimes de la traite et des abus sexuels ayant l’intention de rentrer chez elles, se trouvant en transit dans la ville avant de rejoindre leur pays d’origine ou souhaitant demander l’asile dans la République Tchèque. Contrairement à ce qui existe en République Fédérale Allemande, la législation de la République Tchèque ne dispose pas encore d’une Loi sur la prostitution.
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En réalité, la prostitution n’est ni tolérée, ni explicitement interdite en République Tchèque. Elle n’est pas considérée comme un délit, mais plutôt comme une infraction, dans certains cas. Cependant, le caractère criminel de la prostitution est affirmé dans les paragraphes suivants du Code Pénal: § 204 – crime de traite des femmes, § 246 – crime de passage illégal de personnes en provenance de l’étranger, par lequel on entend le fait d’attirer, de louer et d’assurer le transport d’une femme au-delà d’une frontière. Il s’agit d’un crime, même si on ne peut pas démontrer qu’une violence a été exercée contre la femme, car souvent elle peut être appâtée par des promesses de gains faciles et d’une vie plus aisée. D’autres délits sont visés (par exemple, atteinte à la morale, atteinte à l’éducation de la jeunesse, menaces de transmission d’une maladie sexuelle, limitation de la liberté de la personne, privation de la liberté, viol, abus sexuel, exactions, vol, privation de la liberté d’exercer ses droits, falsification et changements de documents, abandon de mineur, production et détention de stupéfiants et de substances psychotropes et de poisons). Ainsi, bien que la législation de la République Tchèque ne considère pas la prostitution comme un délit, elle permet néanmoins de prendre des mesures légales contre des actes liés à la prostitution et par conséquent contre le trafic et la traite des femmes. Il manque toutefois encore à la République Tchèque une Loi spéciale relative à la prostitution. De même, la protection des témoins n’est pas prise en considération par la législation de façon appropriée. Le problème de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle reste une priorité au sein du programme pour la prévention de la criminalité de la ville de Brno pour 2003 10 . Il s’inscrit également parmi les priorités du Département de la Prévention de la Criminalité du Ministère de l’Intérieur de la République Tchèque. La loi de protection des victimes de la traite en Italie L’Italie, tout comme la Belgique, a approuvé en 1998 une loi sur l’immigration dont l’article 18 garantit aux victimes étrangères de l’exploitation, dont la vie est mise en péril, un permis de séjour donnant droit à une protection sociale. Selon cet article, si une victime décide de s’échapper au réseau d’exploitation ou de coopérer avec les enquêteurs et si du fait de ces décisions elle risque sa vie, une procédure de protection doit être mise en place et un permis de séjour doit être donné par le chef de la police sur proposition du Procureur ou avec son accord. Le permis a une durée initiale de six mois et il peut devenir illimité. Le programme d’assistance sociale et d’intégration de la victime doit être élaboré par les représentants des services publics et il doit être signalé au Maire de la ville. 10 Dans le cadre du réseau européen Eurocités, la ville de Brnö organise un colloque sur le thème de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. A cette occasion, seront présentés les résultats des activité de la municipalité en ce domaine, y compris les résultats du Projet SécuCités Femmes.
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Le permis peut être révoqué au cas où la personne interrompt le programme de protection et de réinsertion sociale ou a un comportement qui n’est pas compatible avec les objectifs du programme d’insertion. A partir de cet article, les Régions plus sensibilisées ont mis en place des dispositifs visant à la coordination des actions mises en place à un niveau local. Les villes ont mobilisé leurs services sociaux, de la santé et de l’immigration et établi des coopérations avec les ONG spécialisées sur ce thème et tous les acteurs pouvant constituer une ressource afin de pouvoir répondre aux besoins de ces personnes. L’Etat finance à 70% les projets approuvés et coordonnés par les Régions, les Régions et les villes finançant chacune 15%. La ville de Bologne Les services de police indiquent que les femmes albanaises, qui étaient assez nombreuses il y a quelques années, ne viennent plus se prostituer à Bologne. Elles restent présentes néanmoins dans le sud de l’Italie et plusieurs enquêtes semblent indiquer que le réseau albanais travaille surtout en Belgique. La police de Bologne contrôle strictement l’aéroport où le contrôle des documents et le rapatriement obligé est plus simple. La ville est devenue donc plus difficile d’accès pour le réseau. La police confirme les indications des autres villes occidentales : les vagues des nationalités est liée à la tombée de l’obligation des visas dans les pays de l’Europe centrale et orientale. La Moldavie et la Roumanie sont les pays desquels le plus de femmes arrivent en Italie en ce moment. Le mode opératoire des organisations criminelles a aussi changé : il y a quelques années la recherche des femmes, l’organisation du voyage, l’exploitation une fois arrivée étaient plus structurés. Aujourd’hui, selon la police, le phénomène est plus fragmenté : on assiste à la présence de microgroupes de deux ou trois personnes, gérés aussi par des ex prostituées, les violences physiques et la captivité sont moins fréquentes, les dénonciations aussi et souvent elles sont dues à une mauvaise répartition des gains pour les femmes prostituées. Le micro-groupe rend plus difficile l’action de lutte de la police et il est plus difficile d’appliquer la loi de protection des victimes en raison du manque de péril réel pour les femmes, étant donné que la plupart d’entre elles adhèrent au contrat que le proxénète propose. Toujours selon la police, on assiste à une augmentation des mariages « blancs » entre des femmes étrangères prostituées et des hommes italiens ou encore entre des hommes albanais et des femmes italiennes (souvent toxicomanes). Il y aurait une forme « d’éclectisme » (un peu de prostitution, quelques cambriolages, un peu de deal..) des proxénètes qui démontrerait que « l’organisation maison » a pris la place des organisations criminelles.
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Les conditions de travail (si on peut les nommer ainsi) des femmes prostituées ont radicalement changé le panorama et même le parcours de réinsertion prévue par la loi de protection des victimes est moins accepté : en fait, le salaire que les femmes peuvent obtenir par le programme de réinsertion n’a rien à voir avec les gains qu’elles obtiennent en se prostituant, aussi bas soient-ils. Apparemment, les nouvelles règles leur donnent beaucoup de liberté, une soirée par semaine où elles peuvent sortir, le droit de rentrer quand elles veulent et des proxénètes très compréhensifs et quasi-amicaux. Même les menaces aux membres de la famille restés au pays ne sont plus d'actualité, étant donné que les nouveaux recrutements sont très faciles. Si les juges chargés des enquêtes confirment la plupart des informations de la police, ils soulignent en même temps, le niveau de corruption de certains employés publics des pays d’origine, ou certains liens entre des agences de voyage d’Europe orientale et centrale et les organisations criminelles, et ils affirment que la protection des membres de la famille est assez difficile à garantir par les polices locales. La ville de Bologne fait partie d’un projet financé et coordonné par la Région Emilia-Romagna qui s’appelle « Oltre la Strada » (au-delà de la rue) et qui a pour but d’améliorer les conditions de vie des personnes prostituées, qu’elles soient forcées ou non, et à les aider à sortir des conditions d’exploitation. Le projet a mis en réseau les professionnels des secteurs public et privé de la santé, du social, de la formation, des syndicats, des organisations de bénévolat de 12 villes de la région. La première phase est celle de la réduction des risques mise en place par les éducateurs de rue auxquels est confié le premier contact soit sur le trottoir pendant la nuit (distribution de brochures d’information, de matériel pour la prophylaxie des maladies sexuellement transmissibles, accompagnement aux services de la santé et sociaux territoriaux), soit dans le point d’écoute (dropin center ) pendant le jour. Au moment où une femme souhaite sortir de la rue, un programme individuel de protection et d’insertion sociale est élaboré (insertion dans un lieu d’accueil protégé, soutien médical et psychologique, éducation et formation professionnelle, apprentissage de la langue italienne, orientation professionnelle, laboratoires motivationnels d’insertion au travail, stages de formation dans les entreprises, aide à la mise en place d’une entreprise individuelle). Une aide juridique, un aide au regroupement familial et au rapatriement assisté sont organisés selon les souhaits de la femme. Un numéro vert contre la traite a été mis en place à partir de juillet 2000 avec le soutien financier du Département pour l’égalité des chances de la présidence du Conseil des Ministres. Selon les ONG engagées dans le projet, la violence et l’exploitation existent encore pour les femmes prostituées. Les ONG craignent entre autres le risque d’une baisse d’attention, surtout des forces de
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l’ordre, due aux propositions de changement de la loi de protection et qui font la une du débat parlementaire en ce moment. La ville de Kuçova En Albanie, la prostitution est illégale et elle n’est pas exercée dans la rue mais elle est adressée aux étrangers et s'exerce dans les hôtels de luxe et dans les boîtes de nuit. Jusqu'à présent, l’Albanie ne possède pas de lieux d’accueil protégé pour les femmes qui rentrent. Cependant l’ONG Caritas est très active en Albanie ; elle travaille en liaison avec Caritas Italie, et en particulier avec le siège de Rimini. La prostitution est fortement condamnée par les Albanais et les femmes qui reviennent sont très isolées. 60% de la population vit en milieu rural et une femme qui n'est pas fiancée à 17 ans est considérée déjà comme une vieille fille. Après la chute du régime, beaucoup d’hommes ont émigré. Le départ des hommes a affaibli les familles, restées sans protection dans une société patriarcale et les jeunes femmes ont été exposées au kidnapping des criminels. Aujourd’hui, si les choses se sont améliorées du côté de la traite, on ne peut pas dire la même chose en ce qui concerne l’évolution de la société albanaise, surtout en ce qui concerne les droits des femmes. Ainsi, l’une des formes de protection des femmes choisies par les familles est de faire marier très jeunes leur filles à des hommes assez âgés. Jusqu’en 1999, les trafiquants considéraient qu'ils bénéficiaient de l’immunité à cause de l’absence de cadre légal de référence et de circulaires ministérielles donnant des moyens à la police. Grâce à une structure nationale qui a été mise en place très récemment, avec des équipes locales et qui est chargée de lutter contre l’exploitation et le trafic des êtres humains, à partir de fin 2002, la police a atteint diverses organisations criminelles. La loi aussi a été changée et elle prévoit des peines lourdes pour les exploiteurs. La ville de Kuçova compte 31.000 habitants et la nouvelle task force a pu appréhender 18 personnes impliquées dans le trafic des femmes. Le nombre de femmes disparues a aussi diminué, mais les causes de leur départ demeurent : la pauvreté, le manque d’écoles et d’informations dans les zones rurales, le manque de services d’aide aux familles désagrégées et l'absence d’une meilleure perspective de vie pour les jeunes. Même si les femmes disparaissent moins, les réseaux criminels sont pourtant encore très actifs et ils recrutent les femmes en Moldavie et ailleurs, où les femmes acceptent de partir. Dans la ville, il y a 16 ONG qui travaillent dans le domaine de l'intervention sociale, 3 d’entre elles sont engagées sur le thème de la prostitution. L’obsolescence des industries a produit 7.000 chômeurs à Kuçova qui détient ainsi le record du chômage en Albanie et la municipalité doit faire face à 1.200 familles en état de pauvreté. Les villes en Albanie n’ont pas une forte autonomie en ce qui concerne la mise en place de politiques locales.
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Le budget local est issu de trois sources financières : le gouvernement national, les impôts locaux et les dons privés. Le budget est limité et ne permet pas à la municipalité de faire face aux fonctions propres de la ville (services sociaux, de la santé etc). Si la municipalité n’est pas en mesure de pouvoir financer des actions de prévention, d’accueil et de réinsertion des femmes victimes de la traite, elle peut néanmoins se donner la tâche de coordonner au niveau local tout ce qui existe déjà et qui a été mis en œuvre par les ONG, les écoles, la police en essayant d’assumer le rôle de trait d’union entre le pouvoir central et le niveau local. Ainsi, le maire de Kuçova et l’adjoint qui l’a accompagné ont réfléchi à un projet de réorganisation structurelle pour mettre en réseau les initiatives existantes. La création d’un comité de coordination à l’intérieur des collèges a aussi été envisagée, avec l'objectif d’organiser des actions de prévention, des activités culturelles pour les élèves (surtout les filles) et le maintien des relations avec les familles. Un groupe de deuxième niveau nommé « groupe STOP¨ » composé de femmes pourrait être mis en place avec les fonctions de communication et de contact avec les comités de coordination des écoles, de recensement et les projets similaires au niveau national, contact avec la police, la justice, la municipalité. Les objectifs seraient d’analyser les données récoltées dans tous les services et les ONG ayant un lien avec la traite des êtres humains (aspects culturels, données quantitatives, résultats des actions de prévention…), d’en publier les résultats au niveau municipal, d’envisager des actions en milieu rural, de veiller à leur mise en place et de chercher des financements pour des projets spécifiques.
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Recommandations
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Le séminaire final du projet SécuCités Femmes victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle s’est tenu à Paris en décembre 2002. Tous les partenaires du projet ont apporté leurs réflexions et fait part des actions de sensibilisation en direction des représentants institutionnels qu'ils avaient mis en route une fois rentrés. Ainsi, la police de la ville de Lodz a fait part de sa volonté de créer des liens avec la police d’Heerlen, tandis que le responsable de la maison d’accueil pour femmes victimes de la violence domestique est en train de réorganiser son foyer afin de pouvoir y accueillir aussi des femmes polonaises prostituées qui veulent retourner en Pologne; le commandant de la police municipale de Vilnius a engagé une réflexion avec les représentants de la ville afin de mettre en œuvre des actions de prévention pour les étudiantes centrées sur l’amélioration de la confiance en soi et sur la signification de la dignité des femmes. L’ONG Animus de Sofia souhaite mettre en place des séances de formation avec les représentants de l’ONG ALC de Nice. Ces initiatives témoignent de la volonté et de la nécessité de continuer à alimenter les échanges à l’intérieur d’un réseau qui a maintenant trois années d'existence. Après deux jours de débat et d’échanges multidisciplinaires mais aussi multiculturels, les partenaires ont proposé les recommandations suivantes : En ce qui concerne la protection des victimes : Le système de protection aux victimes-témoins doit être augmenté, renforcé et accéléré. Etant donné que d’une part souvent ce ne sont que les témoignages et les preuves personnelles qui conduisent à l’enquête, et que d’autre part les victimes, traumatisées et intimidées, ne font pas confiance aux forces de l’ordre, l’élucidation des délits demande une grande coordination entre tous les acteurs concernés. Les victimes doivent être suivies aussi sur le plan psychologique et social. Il est nécessaire que les services d'immigration des villes de destination et des villes d’origine soient en relation afin d’organiser et de suivre le retour des femmes dans leurs pays, En ce qui concerne la coopération avec les pays d’origine les partenaires ont souligné les limites suivantes : - La faible connaissance des systèmes des états membres ; - la difficulté de la langue ; - la diversité voir le manque d’accord sur les espaces juridiques, - la difficulté à coopérer avec les pays d’origine sur le plan de la répression à cause des limites bureaucratiques entre les pays ; - certaines lenteurs en ce qui concerne la coopération et l’échanges d’information entre Europol et les pays d’origine. Tous les partenaires ont souligné l’importance de pouvoir être tenus informés des changements en cours dans chaque ville et dans chaque pays partenaire du projet. Cela permettrait de pouvoir informer les femmes des villes d’origine qui souhaitent partir de ce qu’elles trouveront une fois en Europe occidentale. Il serait important aussi pour les partenaires des villes de
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destination de connaître les changements en cours dans les pays d’origine sur le plan des actions juridiques, policières, d’accueil et de suivi des femmes. A cette fin, les partenaires ont souligné la nécessité d’avoir un lieu d’échange très souple dans lequel chaque partenaire puisse envoyer les mises à jour de sa propre réalité. La possibilité de travailler par le biais d'Internet a été évoqué. Une lettre d'information régulière serait aussi à envisager. Enfin, des dispositifs de formation internationaux soit interdisciplinaires, soit par professions ont été souhaités par tous les participants au projet ainsi que l’espoir que le réseau mis en place il y a trois ans puisse survivre et être élargi à d’autres pays et d’autres villes. Considérations Au point où nous en sommes actuellement, le travail que nous avons accompli ne nous permet pas encore de faire une analyse pas plus que des prévisions sur le tour que prendront les choses en ce qui concerne la prise de conscience, l’engagement et la responsabilité de l’ensemble de la société. Durant tout le temps où nous avons travaillé nous avons toutefois eu l’opportunité de mettre en évidence des faits substantiels et de constater que certains éléments qui même s’ils paraissent encore incertains pourraient générer un début de dynamique qui engendrerait des changements culturels. Les résistances individuelles ou collectives face au durcissement ou aux propositions de durcissement des lois sur la prostitution dans certains pays pourraient créer l’apparition de nouvelles alliances entre groupes hétérogènes et à la participation active des femmes prostituées clandestines et des prostituées autochtones dans les discussions et les débats visant à reconsidérer l’application de ces lois ainsi que leur contenu. L’évolution de la sensibilité sociale et de son intérêt face à ce problème conduirait peut-être à mieux décliner la définition des droits des individus et à mieux les défendre. Nous ne sommes pas en mesure de prédire quels seront les véritables éléments déclencheurs de cette dynamique, toutefois il nous semble réaliste de prendre en considération ces hypothèses. Les champs à enquêter Les acteurs impliqués dans la question de la prostitution irrégulière sont, comme nous l’avons vu, nombreux. Il nous semble intéressant d’en évoquer quelques uns parmi ceux qui à différents titres y sont impliqués de près ou de loin. - Pour ce qui est des femmes prostituées, elles sont souvent perçues comme des victimes ou comme une présence illégale. - Ceux qui tirent les ficelles et exploitent ces femmes ont différents statuts et par conséquent sont perçus et traités différemment selon leur importance ou « grade » dans le monde de la criminalité, car tous les pays concernés n’ont pas les mêmes conditions économiques, le même pouvoir d’action dans ce domaine, les mêmes lois ou le même passé culturel. - Les élus locaux sont, en ce qui concerne la prostitution irrégulière, au carrefour entre le responsabilité de santé publique et d’ordre public. Ils sont aussi souvent confrontés avec les demandes contradictoires des habitants.
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- Il y a quelques années un autre acteur est entré en scène ; l’ONG, qui sert entre autre de canal de communication et de médiateur entre les prostituées irrégulières et les institutions (réseaux de protection des femmes, services de santé publique…). - Il ne faut pas enfin, oublier que tous ces acteurs agissent en présence d’un sujet qui exprime des jugements ou qui participe activement : il s’agit de « l’opinion public » - Le grand absent et le moins impliqué dans ce débat est le client. Les institutions semblent ne pas porter grand intérêt à ses caractéristiques sociales et culturelles non plus qu’à sont état civil ou à toute information utile afin de comprendre ce qui l’amène à fréquenter les prostituées. Dans le meilleur des cas, il reste une entité abstraite, objet d’un jugement moral mais jamais celui d’une étude sociologique. Chaque projet ou action se doit de tenir compte de tous ces acteurs et souvent de prévoir un rôle pour chacun d’eux. Il demeure indispensable de continuer à tisser des liens entre tous les acteurs, les institutions et même les individus concernés par la traite des êtres humains afin de continuer le travail incessant de réflexion, de mise en commun des pratiques, de débat sur les implications éthiques, sur les droits et libertés mis en péril. En définitif, il s'agit de s'interroger sur le modèle de société que nous voulons construire à partir des défis auxquels nous sommes obligés de faire face.
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ANNEXES
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Les villes d’origine : composition des délégations VILNIUS (Lituanie) : Madame Eginta Lisauskiene - ONG Praeties Pedos (centre de documentation sur les femmes et la traite, action de soutien aux victimes) ; Madame Zivile Mikenaite - Commandant de la Police urbaine, Ville de Vilnius, BRNO (République tchèque) : Monsieur Stanislav Jaburek - Responsable Centre pour la prévention de la criminalité, ville de Brno ; Madame Jana Sancova - Responsable Coopération internationale, ville de Brno KUCOVE (Albanie) : Monsieur Artur Kurti - Maire de la ville de Kuçove ; Monsieur Dimitri Druga - Maire Adjoint chargé de la culture KIEV (Ukraine) : Monsieur Olekxander Kulyk - Chef du département famille et jeunesse ; Madame Kateryna Levtchenko et Madame Kateryna Cherepakha - ONG La strada (accueil des femmes victimes de la traite) GYOR (Hongrie) : Monsieur Mészaros Zsolt - Juge du Tribunal des mineurs ; Monsieur Csaba Süto - Responsable des services sociaux, ville de Györ SOFIA (Bulgarie): Madame Veneta Fakova - chef des services sociaux de la ville ; Madame Laura Belcheva - ONG Animus (accueil des femmes bulgares victimes de la traite) LODZ (Pologne) : Madame Beata Adamczyk - Département des Services sociaux, ville de Lodz ; Monsieur Jacek Lelonkiewicz - ONG d’aide aux femmes victimes de la violence domestique.
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L’ONG Pag-Asa Actions entreprises dans la lutte contre la traite des êtres humains Depuis 1995 des actions ont été menées pour lutter plus efficacement contre l’exploitation et la traite des êtres humains. Le Gouvernement a essayé de répondre au problème de deux manières. Tout d’abord, la traite des êtres humains est devenue passible d’une peine au titre de l’article 1, §1, de la nouvelle loi du 13 avril 1995, libellé comme suit : “quiconque contribue, de quelque manière que ce soit, soit directement soit par un intermédiaire, à permettre l’entrée ou le séjour d’un étranger dans le Royaume et, ce faisant : fait usage à l’égard de l’étranger, de façon directe ou indirecte, de manœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou d’une forme quelconque de contrainte,ou abuse de la situation particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve l’étranger en raison de sa situation administrative illégale ou précaire, d’un état de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale ; sera puni d’un emprisonnement de un an à cinq ans et d’une amende de cinq cents francs à vingtcinq mille francs » Deuxièmement, les autorités belges ont décidé d’établir un système spécifique pour accorder des permis de séjour temporaires aux victimes de la traite des êtres humains. Ce système a été mis en place en 1993 et a été promulgué sous la forme d’une circulaire ministérielle le 7 juillet 1994. Une autre circulaire datée du 13 janvier 1997 a été ajoutée à cette disposition. Dans un avenir proche, cette directive ministérielle sera à nouveau transformée. L’origine de ce système repose sur le fait que le statut illégal ou incertain de la victime est l’un des moyens utilisés par le crime organisé pour exercer une pression et faire du chantage. La situation irrégulière des victimes constitue également un des principaux obstacles à la défense de leurs droits et à un accès à des structures d’aide et de soutien. L’expérience de la Belgique a montré l’importance d’établir, sous certaines conditions, un système spécifique accordant des permis de séjour temporaires aux victimes de la traite des êtres humains. Avant la mise en place de ce système, la plupart des victimes découvertes le plus souvent au cours de descentes effectuées principalement par les services de police, recevaient l’ordre de quitter le pays dans les cinq jours. La délivrance de titres de séjour et d’une autorisation de travail (permis de travail) aux étrangers, victimes de la traite des êtres humains passe par différentes phases liées au déroulement de la procédure judiciaire. Première phase : délivrance d’un ordre de quitter le territoire dans les quarante-cinq jours. Cette période de quarante-cinq jours doit permettre à la victime de quitter le milieu de la traite des êtres humains ; elle est aidée par un centre d’accueil spécialisé pour les victimes de la traite des êtres humains à retrouver sa liberté d’esprit. Pendant cette période, les victimes en question peuvent décider s’ils souhaitent ou non faire une déposition concernant les personnes ou les réseaux liés à la traite des êtres humains qui les ont exploités ou s’ils souhaitent se préparer à un retour dans leur pays d’origine. Il est donc important que la police ou les services de l’inspection, dès qu’ils se trouvent face à une personne supposée
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être une victime de la traite des êtres humains, mettent cette personne en contact avec un centre d’accueil spécialisé. Le service de police concerné devrait également prendre contact avec le Ministère des Affaires Etrangères et, si le cas se présente, signaler que la victime (supposée) a été dirigée vers un centre d’accueil spécialisé. Si la victime a porté plainte immédiatement ou fait une déposition, le centre d’accueil spécialisé qui assure l’accompagnement de la victime, peut demander immédiatement au Ministère des affaires étrangères de passer à la seconde phase. Deuxième phase : délivrance d’une déclaration d’arrivée de trois mois. La victime qui a porté plainte ou qui a fait une déposition durant la période de quarante-cinq jours, recevra un permis de séjour provisoire de trois mois rédigé sous la forme d’une déclaration d’arrivée. Pendant cette période, l’aide à la victime par un centre d’accueil spécialisé est obligatoire. Au cours de cette phase, la victime peut recevoir un permis de travail provisoire. Le Ministère des affaires étrangères se renseigne immédiatement, et au plus tard un mois avant l’échéance de cette période, auprès du procureur du Roi sur les effets de la plainte ou de la déposition faite par la victime en indiquant la date à laquelle une réponse est attendue. Les informations recueillies auprès du procureur doivent prendre en compte deux éléments ; d’une part s’il s’agit d’une affaire en rapport avec la traite des êtres humains ; deuxièmement, si l’affaire est toujours en cours. Le procureur du Roi envoie, simultanément, les mêmes informations à la victime. Dans l’éventualité où le procureur ne répondrait pas, la demande d’information sera transmise au procureur général. Troisième phase : délivrance d’un certificat d’inscription au registre des étrangers. Si la réponse du procureur du Roi aux deux questions est positive, la victime reçoit un permis de séjour de plus de trois mois (souvent de six mois) renouvelable jusqu’à la fin de la procédure judiciaire. Au cours de cette période, l’aide à la victime par un centre d’accueil spécialisé pour les victimes de la traite des êtres humains, est obligatoire. A partir de ce moment, la victime peut obtenir un permis de travail B. Enfin, en conformité avec le rapport de la commission d’enquête parlementaire et avec l’intention d’assurer la sécurité des victimes, un processus peut être engagé au Ministère des affaires étrangères en vue d’obtenir un permis de séjour pour une durée indéterminée. Cette demande de permis de séjour pour une durée indéterminée peut être déposée par la victime dont la plainte ou la déposition a abouti à une citation à comparaître devant les tribunaux, et lorsque sa plainte ou sa déposition sont considérées comme significatives pour la procédure. Le fonctionnement de Pag-Asa 1. Orientation Au cours d’une opération de police, dans le cadre d’un contrôle ou d’une inspection sociale, on découvre une personne sans papiers ou en possession de faux papiers d’identité A son arrivée à l’Aéroport de Zaventem ou au terminus de l’Eurostar, un passager ne peut présenter de papiers en bonne et due forme. Lorsque les procès-verbaux sont dressés, un agent de police ou un inspecteur a le réflexe de penser que cette femme, homme ou enfant pourrait être une victime de la traite des êtres humains. Un magistrat du ministère public parcourt les faits et les examine dans le cadre d’un problème plus large.
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Un avoué attaché au Commissariat général aux réfugiés et apatrides ou un fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères écoute ce que le demandeur d’asile a à déclarer et tente de découvrir des indications sur la traite des être humains. Dans les bureaux des services sociaux ou un CPAS, quelqu’un expose un problème et un intermédiaire en conclut que le demandeur en question pourrait bien être une victime de la traite internationale des êtres humains. L’étape suivante est de contacter Pag-Asa. 2. Admission L’étape suivante est d’avoir un entretien d’admission. En principe, un des deux criminologues de l’équipe de Pag-Asa s’occupe de ceci. Toutefois, le critère le plus important pour décider si Pag-Asa peut proposer une admission est : « La situation ayant poussé la victime à venir peut-elle être considérée comme la traite des être humains ? L’entretien d’admission a deux objectifs. Il permet à l’intermédiaire de Pag-Asa de recueillir suffisamment d’informations au sujet de la situation de la victime qui lui a été signalée. Sur la base de cette information, l’équipe peut prendre la décision de proposer un accompagnement. En plus de ceci, l’entretien permet également une évaluation des premières décisions à prendre : accompagnement résidentiel ou de consultation, points importants à souligner, etc. Le contenu de ces entretiens peut varier considérablement d’un cas à l’autre, mais il contient toujours deux éléments : écoute de l’histoire de la victime et présentation de l’aide offerte par PagAsa. Si l’affaire est signalée par un membre des forces de police, il est généralement clair qu’il s’agit d’une victime, et dans ce cas, il peut être moins important d’obtenir de la victime qu’elle répète son histoire. En conséquence on insiste sur les services proposés par Pag-Asa dès le début. Nous insistons également sur le fait que Pag-Asa collabore avec la police, mais adopte une approche radicalement différente et a d’autres objectifs. Lorsque l’affaire nous est signalée par d’autres canaux, ou lorsque la victime se présente directement, la protection de l’anonymat joue un rôle plus important. En effet, quiconque collaborant avec Pag-Asa doit pouvoir évaluer s’il s’agit réellement d’un cas de traite des êtres humains et si une aide devrait être fournie en conséquence. 3. Assistance et soutien Pour l’équipe de Pag-Asa, l’assistance a pour objectif de soutenir les victimes dans tous les aspects du problème qu’elle rencontre, dans chaque aspect de la vie. Le cas échéant, nous travaillons avec des services spécialisés pour chaque domaine de l’assistance. 3.1. Vie quotidienne 3.1.1. Service de conseil Les conditions de vie quotidienne sont souvent la première inquiétude des victimes. Si l’endroit où ils vivent n’est pas directement lié à leur situation d’exploitation et que leur sécurité n’est pas menacée, ils peuvent y rester. Si nécessaire, la personne de l’équipe de protection peut aider à trouver des solutions de toutes sortes aux problèmes pratiques liés à l’organisation de la vie quotidienne. Lorsque la victime décide, après un séjour dans un centre d’accueil, de reprendre une vie indépendante, un grand nombre d’initiatives sont mises en places afin de matérialiser ce projet : rechercher un appartement, et l’équiper, s’occuper de la sécurité et de l’assurance incendie,
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s’habituer à un nouveau rythme de vie, organiser ses journées … L’assistant social, du service de conseil, et la victime ont de nombreuses choses à résoudre ensemble. 3.1.2. Centres d’accueil Dans certains cas, les victimes peuvent uniquement être aidées au début en leur offrant un hébergement stable. C’est le rôle du centre d’accueil de Pag-Asa. La première mission de ce centre d’accueil est évidente : accueillir les personnes en situation difficile et les héberger temporairement. Leur sécurité est également assurée parce que le centre d’hébergement est situé à une adresse secrète. Au cours de leur séjour, les résidents peuvent retrouver une paix émotionnelle et commencer à travailler pour leur avenir. Le centre d’accueil est un établissement ouvert, où les personnes disposent d’une liberté de mouvement. Cette liberté n’est limitée qu’à l’organisation et aux règles internes qui ont pour objectif la sécurité et l’organisation pratique du centre. Les résidents du centre d’accueil prennent en charge la plupart des tâches ménagères eux-mêmes, même s’ils peuvent compter sur l’aide et le soutien d’un collaborateur présent sur le site. En effet, un service permanent est organisé 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 grâce à l’équipe entière de PagAsa et l’importante équipe de bénévoles. Ainsi, les résidents trouvent toujours quelqu’un à qui parler. Leur demande de reconnaissance, de soutien et de compréhension n’est pas laissée sans réponse. On leur apporte un sentiment de sécurité, leurs préoccupations pratiques sont prises au sérieux. Autant que possible, ils peuvent bénéficier de la sécurité d’un foyer. Nous attendons d’eux un certain degré d’indépendance et un sens des responsabilités. Ceci signifie que cette structure est moins adaptée à l’hébergement de mineurs non-accompagnés. De même, les personnes qui, tout en étant victimes de la traite des êtres humains, sont confrontées à d’autres problèmes tels que la toxicomanie ou de sérieuses difficultés physiques ou psychologiques, ne peuvent être reçues dans les conditions habituelles. Le centre d’accueil peut accueillir 13 personnes. Souvent, nous sommes obligés de dépasser ce nombre, à l’évidence au détriment du confort et de la vie privée des résidents. 3.2. Assistance juridique Une partie spécifique de l’assistance consiste à aider les victimes à l’égard de la loi. Tout d’abord, cette assistance est largement limitée au contact avec les services de police auxquels la personne ayant effectué une déposition ou une plainte, ou souhaite le faire. Très souvent, la victime a déjà témoigné ou porté plainte avant que Pag-Asa le reçoive pour un entretien. Au cours de la première phase, la surveillance juridique consiste à accompagner la personne lorsqu’elle doit être interrogée par la police ainsi qu’à l’aider au moment de nouvelles audiences ou réunions. Dans d’autres cas, la victime n’a pas encore effectué de déposition ou de plainte au début de la période d’assistance. Ainsi, nous examinons avec la personne concernée, si elle le souhaite, et évaluons les avantages et les désavantages d’une telle démarche du point de vue administratif, financier, familial et psychologique. Les victimes qui portent plainte ou effectuent une déposition ne réalisent souvent pas entièrement la procédure qui les attend. La législation belge et notre système judiciaire leur sont complètement inconnus. C’est pourquoi la déposition est préparée avec la victime qui a décidé de lancer une procédure judiciaire. En effet, cette déposition détermine souvent le choix des services que la police doit effectuer au sujet du déroulement ultérieur de l’enquête.
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Dans de nombreux cas, bien que la déposition puisse avoir déjà été effectuée avant l’intervention de Pag-Asa, nous avons dû remarquer que les victimes n’osent pas dire l’entière vérité au cours des premières entrevues avec la police. Certaines victimes ont même effectué des dépositions erronées, déformées ou incomplètes, qui devaient ensuite guider l’enquête. Il aurait été souhaitable que PagAsa puisse intervenir plus tôt dans ces situations et jouer un rôle dans la préparation de la déposition. Lors de la seconde phase, nous proposons à la victime d’appeler un avocat pour sa défense. Afin d’éviter que cette action ne s’avère inutile, cette proposition n’est faite qu’après une période d’observation et de réflexion. Il est tout à fait possible que la victime ne souhaite pas s’engager dans un programme d’aide, ou ait l’intention de la quitter à l’issue d’une brève période de temps. Pag-Asa essaie de confier la défense des victimes à des avocats à qui le problème de la traite des être humain est familier. Un réunion est organisée assez rapidement entre l’avocat et la victime. Au cours du premier entretien, on présente la personne concernée à un avocat et elle peut recevoir plus d’informations sur la façon dont la procédure va avancer. En général, nous appelons un avocat assez tôt dans la procédure, quand l’enquête est toujours en cours. De cette manière, l’avocat plus beaucoup de temps pour connaître son client, ainsi que son passé et pour se sentir engagé. Au cours de la procédure, la défense peut ainsi se mettre en place avec une compréhension mutuelle la plus grande possible. Une fois l’enquête achevée, le Ministère public doit décider s’il clôt l’affaire ou non. Parfois, ceci peut durer des mois, mêmes des années pour certaines affaires. Si l’affaire passe devant un tribunal, nous évaluons avec l avocat et la victime s’il convient que la victime se constitue partie demanderesse de dommages dans une affaire criminelle et de quels dommages elle peut se prévaloir. Si l’affaire est close, l’avocat peut encore obtenir une copie du dossier afin de vérifier les motifs ayant amenés à la clôture du dossier, et si l ‘enquête a été effectuée sérieusement. Si, après consultation avec l’avocat et une enquête plus approfondie, il apparaît que le dossier n’a pas été traité convenablement, d’autres moyens d’action peuvent être envisagés. L’accès à l’intégralité de cette procédure est difficile pour la victime et est tellement complexe qu’une assistance est absolument nécessaire. C’est alors seulement que la victime trouve sa place et remarque que sa situation est prise au sérieux. 3.3. Questions administratives La majorité des personnes qui sont accompagnées par Pag-Asa ont également résidé illégalement dans notre pays pendant un temps. Cette illégalité est souvent un moyen de pression utilisé par ceux qui les exploitent. Les dispositions ministérielles relatives à l’assistance des victimes de la traite des êtres humains prévoient une procédure relative aux droits de résidence. Pag-Asa peut intervenir dans ce cadre, en consultation avec le Ministère des affaires étrangères, afin d’effectuer les démarches nécessaires pour que les victimes puissent recevoir des permis de séjour. En dehors des règles des lois relatives à la résidence, il est nécessaire d’effectuer de nombreuses autres obligations administratives avec les victimes. Puisqu’elles sont étrangères, elles se sentent en territoire étranger. Il peut s’agir, par exemple, d’un abonnement à des moyens de transport, de règles liées aux administrations de l’emploi, de mesures pour accorder un revenu minimum, d’une affiliation à une assurance sociale, etc. 3.4. Questions psychosociales
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Au cours de l’assistance, une attention particulière est portée au bien être de la victime. Trois aspects sont principalement traités : aider les victimes à surmonter la situation qu’elles ont vécue dans le passé et le traumatisme enduré, les guider pour pendre en charge leur vie actuelle et, de manière optimale, de développer un plan réaliste avec elles pour leur avenir. C’est petit à petit que ces dimensions peuvent être traitées lors d’entrevues régulières tout au long de la période d’assistance de conseil. Pour certaines victimes, des démarches sont entreprises pour permettre un rapatriement dans des conditions optimales. Pour d’autres, nous faisons de notre mieux pour permettre leur intégration dans la société belge. 3.5. Questions Médicales Lorsque les victimes ont été exploitées, elles ont souvent pris des risques considérables avec leur santé. Indépendamment de ceci, il est assez fréquent qu’une inquiétude soit présente au sujet de leur santé. La période d’assistance permet la possibilité de prendre cet aspect en charge et de réaliser un examen médical approfondi au cours des tous premiers jours. Pour de nombreuses victimes, cet examen apporte enfin une question qu’elles n’osaient pas se poser : « Suis-je séropositif ? » Conclusion : La traite, un phénomène international Depuis 1999, nous pouvons voir qu’il ne s’agit plus d’un problème concernant uniquement nos autorités, mais concernant les autorités au niveau européen. Ce n’est pas de la fiction : l’exploitation des personnes s’étend bien au-delà de nos frontières et c’est ceci qui rend ce « commerce » si profitable pour ceux qui le pratiquent. Il est temps que les autorités européennes commencent à s’inquiéter de l’expansion incontrôlée des réseaux, et leur efficacité et leur facilité à se déplacer. Pag-Asa doit continuer à témoigner du pouvoir de ces réseaux, de leur manipulation des faiblesses de notre système et du rôle indispensable de la victime dans la procédure judiciaire. L’information relative à notre procédure et notre expérience dans l’aide aux victimes de la traite doit être diffusée dans toute l’Europe. L’harmonisation de la législation sur un sujet tel que celui-ci qui est définit par sa spécificité internationale est une priorité si nous souhaitons mettre fin à ce fléau. La protection de la victime doit être prise en compte. Les rapports diffusés par les médias au niveau international et préparés avec soin avec les acteurs engagés dans le combat pourraient être un outil intéressant pour favoriser une prise de conscience des autres pays confrontés à ce problème. Dans ce contexte, nous restons vigilants sur les décisions prises au niveau européen et international lors de colloques, séminaires ou réunions internationales dans le but d’établir des contacts avec les ONG des pays d’origine des victimes afin que les victimes puissent compter au moins sur un minimum de soutien lorsqu’elles décident de retourner dans leur famille.
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L’Association ALC – Nice Le Dispositif Accueil Sécurisant « Ac.Sé » Le 8 août 2001 la DDASS des Alpes-Maritimes a transmis un appel à projet intitulé « lutte contre la prostitution », émanant de la Direction Générale de l’Action Sociale. L’association ALC 11 a souhaité se saisir de cet appel d’offre pour mettre en place un dispositif expérimental d’accueil des victimes de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, reliant les services spécialisés (dans l’accueil des personnes prostituées) et des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale, situés de préférence en dehors des sites traditionnels de prostitution, s’appuyant ainsi sur le rapport(12) de la mission parlementaire sur les diverses formes de l’esclavage moderne. Initialement localisé dans les grandes villes, traditionnellement concernées par la prostitution, le phénomène de la traite s’étend peu à peu aux villes de province qui découvrent pour la première fois la prostitution de rue alimentée par les réseaux mafieux. L’introduction dans le champ social d’un public inconnu jusqu'à ce jour, a pour conséquence de placer les acteurs sociaux de ces localités face à une problématique nouvelle à laquelle ils ne sont pas préparés. Confrontés à ces situations dramatiques les différents intervenants spécialisés ou non, ne disposent que de moyens très limités en matière : 1. d’hébergement, 2. de réponses directes (communication, statut des personnes, soutien psychologique, assistance juridique, santé,…), 3. de protection et de sécurisation de ces personnes. Dans ce contexte de carence de dispositions spécifiques pour assurer la protection des victimes, les services sociaux ne sont pas en mesure de garantir une sécurité absolue : lieux sécurisés par des forces de l’ordre, présence 24/24 h. L’accueil dans un lieu éloigné par une structure d’hébergement classique mais sensibilisée à la problématique est une réponse satisfaisante. Par expérience nous avons pu le vérifier. Pour sa mise en place, ce projet s’est appuyé sur la mobilisation des partenaires suivants : o Les structures spécialisées en direction des personnes prostituées, o Le réseau FNARS, o Les structures spécialisées dans les droits des étrangers o Les DDASS ainsi que les divers services déconcentrés de l’Etat de chaque département concerné par l’accueil des personnes victimes de trafic
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Accompagnement Lieux d’accueil Carrefour éducatif Service de Prévention et de Réadaptation Sociale - NICE 12 N° 3459 2001 in, les Documents d’informations de l’Assemblée Nationale
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Public concerné Toute personne majeure, française ou étrangère en situation régulière ou non, sans distinction de genre, victime de la traite des êtres humains et/où du proxénétisme, en danger, nécessitant un éloignement géographique. Le réseau « Accueil Sécurisant » Le réseau est constitué de la manière suivante : 1. Partenaires « prostitution », structures spécialisées dans l’accueil des personnes prostituées (services sociaux spécialisés, santé communautaire, associations spécialisées). 2. Partenaires « accueil » : Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale acceptant d’accueillir une, voire deux personnes. 3. Coordination du dispositif chargée de : centraliser et gérer les demandes d’orientation, assurer la gestion administrative et comptable du dispositif, développer et renforcer le réseau d’accueil. Actuellement le dispositif compte près de 30 CHRS partenaires opérationnels. D’autres établissements doivent confirmer leur partenariat. Mode opératoire En janvier 2002 un séminaire de démarrage auquel étaient invités tous les partenaires à permis d’élaborer collectivement les modalités de fonctionnement suivantes : o Centralisation et gestion des demandes d’orientation attribuée à la coordination du dispositif (le SPRS de l’association ALC) ; réponse sur les possibilités d’accueil fournie dans les meilleurs délais, si possible 48h00. o Les modalités d’accueil, notamment la date de ce dernier, seront définies entre le demandeur et le centre d’hébergement. o Les demandes sont formulées systématiquement par une institution ou une association pour des raisons de sécurité. o Si possible pas d’orientation dans l’urgence, o Au préalable effectuer évaluation de la situation et définir les perspectives envisagées par la personne (rester en France, retourner dans son pays) ; o Accompagnement physique des personnes vers les lieux d’accueil ; o Mise à disposition d’un fonds de solidarité pour les besoins de la personne. Accessibilité au dispositif Quelle que soit sa localisation géographique en France métropolitaine le dispositif est accessible à tout intervenant social, médical ou associatif en contact avec le public ciblé. Il suffit pour cela de contacter la coordination « Ac.Sé » Accueil des personnes Le préalable à toute orientation passe par une évaluation la plus complète possible, réalisée par le service qui oriente, avec pour objectifs :. o D’obtenir de la victime une adhésion complète à la proposition qui lui est faite. Cela nécessite de disposer d’un temps suffisant pour mettre en évidence : la nécessité de
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rompre tous liens avec le milieu d’où elle s’extrait, de ne donner aucune possibilité que des pressions soient exercées sur elle notamment par le biais d’un téléphone portable (abandon de ce dernier, changement de numéro,…), de maintenir confidentiel le lieu où elle va se rendre, du sentiment d’isolement affectif, linguistique, culturel qui résultera de l’éloignement. De réunir toutes les informations sur la situation, au besoin faire des recherches notamment sur le plan administratif sur d’éventuelles démarches en cours en France ou dans un autre pays de l’Union Européenne, afin d’éviter des complications lors des demandes de régularisation des personnes accueillies.
L’accueil des victimes de la traite ne va pas sans poser de problèmes, notamment sur trois aspects de la prise en charge : o La communication dans ses dimensions linguistique et culturelle ; o La situation administrative des personnes dont le traitement des dossiers de régularisation fait l’objet d’une grande disparité d’un département à l’autre et l’incertitude pesant sur le sort des victimes n’étant pas en mesure de porter plainte ou témoigner contre les proxénètes ou les réseaux mafieux de traite o Le soutien psychologique aux personnes ayant subies de graves traumatismes à la suite des violences exercées à leur encontre de manière méthodique et barbare. Bilan de l’activité du dispositif au 31 août 2003 De février 2002 à août 2003, la coordination a été sollicitée pour l’orientation de 86 personnes en lien avec : des services sociaux (spécialisés dans l’accueil des personnes prostituées, services de probation), de services de police, d’associations (communautaires, humanitaires, défense des droits de l’homme, de soutien aux femmes victimes de violences) des villes suivantes : Paris, Marseille, Orléans, Besançon, Beauvais, Brest, Lyon, Nice, Toulouse, Colmar, Bordeaux, Nancy, Grenoble, Montpellier, Annecy…
Les demandes d’orientations formulées : o 82 au titre de la traite des êtres humains ; o 4 au titre de l’esclavage domestique.
Ces demandes représentent : 23 nationalités différentes (albanaise, algérienne, bulgare, cambodgienne, camerounaise, centre africaine, congolaise, française, éthiopienne, guinéenne, libérienne, marocaine, moldave, nigériane, polonaise, sierra léonaise, slovaque, somalienne, syrienne, roumaine, russe, ukrainienne) ;
45 victimes ont été accueillies dans le dispositif « Accueil Sécurisant » dont : o 35 dans le cadre d’un maintien sur le territoire national (prise en charge CHRS, démarches administratives en vue de l’obtention d’un titre de séjour, apprentissage du français, soutien médical, psychologique, juridique et toutes actions d’intégration) ; o 10 personnes ont été assistées dans le cadre d’un retour volontaire dans leur pays d’origine (hébergement, soutien dans la période d’attente, démarches auprès des autorités consulaires en vue de l’obtention d’un laisser passer provisoire, contact avec
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l’OIM 13 ou des ONG locales dans les pays d’origine, accompagnement à l’aéroport,) ; 3 personnes sont dans l’attente du départ.
41 demandes d’orientation n’ont pas abouti pour les raisons suivantes : o perte de contact avec les personnes concernées (16), o pas de possibilité d’accueil suffisamment rapide (7), o autre solution trouvée par la structure sollicitant l’accueil (8), o refus d’orientation dans le dispositif (3), o changement d’avis et retour au pays d’origine (1), o reconduite à la frontière (2), o personnes en danger (violences conjugales, toxicomanie) ne correspondant pas au public ciblé (2), o situation ne nécessitant ni protection, ni éloignement (2).
Renforcement et extension du dispositif Nous avons démarré cette action pour faire face à une situation d’urgence sans avoir une évaluation précise des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Au stade ou nous en sommes, il est indispensable de pourvoir répondre aux exigences suivantes : o
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Atteindre une capacité d’accueil de 50 personnes simultanément. Sur une année ce nombre peut être supérieur, si l’on tient compte du roulement, des départs pour diverses raisons, des retours au pays d’origine, etc. Adhésions de nouveaux CHRS en particulier dans le Nord, l’Ouest et le Sud Ouest de la France pour permettre une couverture nationale homogène. Diversité dans la spécificité des lieux d’accueil (adultes, mineurs, urbain, rural, diffus, collectifs,…). Mise en place d’un numéro d’accueil téléphonique national (type numéro azur) destiné aux diverses structures pouvant être en contact avec le public concerné ; Création d’un comité de pilotage composé des différents services de l’Etat concerné par la question de la traite et de la prostitution ; Connexion de l’Accueil Sécurisant avec d’autres dispositifs d’accueil français et européens.
L’efficacité du dispositif tel qu’il est, repose sur l’engagement des partenaires actuels et à venir. Son avenir dépend de l’implication de l’état non seulement par un engagement financier mais également par l’application, homogène dans tous les départements, des mesures d’assistance et de protection des victimes de la traite pour lesquelles il s’est engagé Contact coordination « Ac.Sé. » : Tel. 06 64 49 34 74 – E-mail : ac.se@association-alc.org
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Organisation Internationale pour les Migrations
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Association « On the Road » Synthèse de la mission et des activités L’Association « On the Road » fonctionne depuis 1990 et intervient dans le domaine de la prostitution et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, en centrant plus particulièrement son action sur la prostitution de rue de femmes immigrées et de mineurs, souvent victimes de trafic organisé et géré par des organisations criminelles.
« On the Road » intervient en cas de mal être et/ou de danger encouru à cause de la prostitution, elle développe des activités et des services structurés qui s’adressent directement aux personnes concernées par ces formes d’exclusion, et son approche est fondée sur le développement et la protection des droits des individus. Avec un objectif local, national et transnational, « On the Road » contribue simultanément au développement des politiques en la matière, et à l’élaboration de modes d’intervention, de profils professionnels et de programmes de formation ; elle mène à bien des projets de recherche et d’intervention et fait paraître de nombreuses publications. On trouvait et on trouve toujours dans les lieux où « On the Road » a étendu ses actions, des travestis et des transsexuels (en particulier Italiens et Sud-Américains) et certaines prostituées d’origine locale (des travailleuses “historiques” du sexe ou des toxicomanes), un certain nombre de prostituées venues du Nigeria, d’Albanie, de pays de l’ex-Union soviétique ou d’Europe de l’Est, et d’autres pays d’Afrique et d’Amérique Latine. Depuis une action directe dans la rue aux premières démarches pour aider et accueillir les victimes, l’action de l’Association s’est développée en un véritable réseau de possibilités et de structures d’aide. « On the Road » travaille directement avec les prostituées pour diminuer les risques et réduire le mal être lié à la prostitution et pour accroître leurs chances de se protéger elles-mêmes, de se libérer des différentes formes de violence et d’exploitation, et propose des programmes d’insertion sociale et d’insertion professionnelle, d’autonomisation et du droit à disposer d’elles-mêmes. Dans ce but, des services permanents et structurés, dirigés par des professionnels formés, ont été mis en place: antennes mobiles; centres d’accueil; différents types d’hébergements ; séances d’information, orientation, conseils et formation en matière de problèmes sanitaires, juridiques, éducatifs, et psychologiques ; on propose également des cours d’orientation et de formation professionnelle, « la Formation Pratique en Entreprise » ainsi que des programmes d’insertion sociale. Un effort important a été fait sur les points suivants: mise en place de réseaux, prise de conscience, implication des autorités territoriales et des institutions, promotion des politiques dans ce secteur, ainsi que la formation, la recherche, et des publications
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« On the Road » s’est consacré à la promotion de politiques, de stratégies et d’interventions dans les domaines de la prostitution et de la lutte contre la traite au niveau local, national et transnational. En outre, le travail d’élaboration est particulièrement utile dans les allers-retours entre pratique et théorie en ce qui concerne les différents modes d’intervention en la matière et les professionnels impliqués : les travailleurs de rue, les employés des centres d’hébergement, les médiateurs interculturels, les consultants juridiques, les conseillers en insertion professionnelle, et ainsi de suite. Des activités de formation innovantes développées au niveau national y sont mises en exergue. L’approche de l’action et de la recherche est constante en ce qui concerne des phénomènes spécifiques tant liés à la prostitution qu’au trafic : immigration et situation irrégulière, toxicomanie, nouvelles formes et nouveaux lieux de prostitution et de traite, et nouvelles zones d’exclusion.
Tout ceci a fait de « On the Road » une référence au plan national, non seulement par son réseau, et ses activités de recherche et de formation, mais aussi par ses activités d’assistance technique et de conseil scientifique pour différentes institutions et projets. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne, par exemple, la mise en oeuvre des mesures transversales d’accompagnement du projet de la région d’Emilie Romagne l’Oltre la strada et la surveillance scientifique de Strada, le projet Egal de la province de Pise. C’est donc un travail complet dans lequel les institutions et les réseaux territoriaux s’impliquent progressivement, ce qui témoigne de la possibilité de sensibiliser activement et de mettre en place des synergies pour intégrer de manière significative le secteur public et le secteur privé, au plan local, national, et transnational. Domaines d’intervention Les interventions de « On the Road » organisées actuellement combinent le travail de professionnels soutenus par des bénévoles, et sont mises en place dans les régions de la Marche, Abruzzes et Molise, tant dans des contextes nationaux et qu’internationaux Unités de proximité (Unités de proximité d’intervenants professionnels et de bénévoles avec l’aide de médiateurs interculturels) observation et repérage du phénomène contact, écoute et analyse des besoins information et prévention sanitaire accompagnement aux services sanitaires et formation afin de pouvoir avoir accès aux services locaux information et assistance en matière juridique, psychologique et relative au logement liste des services offre d’aide ou aide en réponse à une demande de quitter la prostitution et des conditions de violence et d’exploitation interventions de sensibilisation et gestion des conflits pour les communautés locales repérage, prise de contact, sensibilisation aux services territoriaux
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observation et contrôle de la dynamique du phénomène production de matériels d’information, en italien et dans les langues principales pratiquées par la population cible Centre d’accueil (Centres de faible demande d’information, orientation et conseil, ajout de filtres entre la rue, les services de l’Association et du territoire information, orientation et conseil sanitaire ainsi que sur des problèmes sociaux et juridiques accompagnement à des services sanitaires et formation relative à l’accès aux services locaux conseil et liste des services offre d’aide ou aide en réponse à une demande de quitter la prostitution et des conditions de violence et d’exploitation orientation sur l’assistance et les programmes d’intégration sociale séminaires thématiques et d’animation territoriale Numéro vert pour les victimes du trafic 800.290.290 information, orientation et conseil sanitaire ainsi que sur des problèmes sociaux et juridiques envoyer les personnes concernées dans services agissant dans les domaines traités par le centre d’appel activités de réseau promotion locale de la ligne d’appel gratuite Hébergement et encouragement de l’autonomie (dans des mini structures résidentielles, des maisons et des hébergements de soins d’urgence, des hébergements de soins secondaires, familles ) co-élaboration de projets d’autonomisation individualisés hébergement et protection gîte et couvert soutien d’une possible dénonciation de crime assistance juridique régularisation (obtention d’un permis de séjour) services sanitaires assistance psychologique soutien relationnel socialisation activités d’éducation et de formation apprentissage de la langue italienne ateliers créatifs orientation professionnelle mise en œuvre de l’insertion professionnelle et sociale Orientation professionnelle, formation, intégration sociale et professionnelle (Systèmes diversifiés, individualisés et flexibles ayant pour objectif une insertion professionnelle finale) orientation professionnelle en groupe ou individuelle formation de base
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programme “ Orientation professionnelle en entreprise” insertion et soutien à un emploi direct recherche, identification et contact avec les organismes de formation et les entreprises Interventions de sensibilisation et travail en commun avec l’environnement local Travail avec les organismes du territoire et les citoyens afin de régler les conflits sociaux et de mettre en oeuvre des réponses communes à des problèmes émergeants. Supervision des équipes et évaluation des activités Afin de maintenir une qualité constante du travail au sein des différents domaines de l’Association, des séances de supervision mensuelles sont organisées par un superviseur externe et des systèmes de vérification et d’évaluation de chaque secteur de travail sont mis en oeuvre et améliorés par cet évaluateur externe. Travail institutionnel et mise en place de réseaux au niveau européen, national et local Dans le but de contribuer au développement et à la mise en oeuvre de politiques et stratégies d’intervention, dans le domaine de la prostitution e pour lutter contre la traite des être humains à des fins d’exploitation sexuelle, tel que décrit par les institutions nationales, les autorités locales et les organismes sociaux privés, les Autorités locales et les agences sociales privées. Dans le but de collaborer avec des projets d’intervention dans le même secteur: transfert des femmes et des mineurs au sein de programmes de protection sociale, intégration des interventions. Relations avec les organismes européens Au travers de projets de recherches, intervention, activité et échange entre les ONG et les organismes, université et institutions au niveau européen Relations avec les Pays d’origine Enquête approfondie sur la possibilité de rapatriement des femmes immigrées, contact avec les familles, recherche de documents, et interventions de développement local dans les pays d’origine… Activités de recherche, de documentation et de publication De par la complexité et l’évolution constante des phénomènes actuels, des projets de recherches et des interventions de recherches sont menés afin d’identifier de façon utile les caractéristiques, les inter-relations et les transformations. A partir d”une telle perspective, « On the Road » a élargi sa gamme d’analyse afin d’inclure les formes d’exclusions sociales différentes et reliées en terme de prostitution et de traite. Diverses publications sur le phénomène, les politiques et des interventions dans de tels secteurs ont été réalisées. En outre, au siège, un Centre de Documentation a été mis en place sur les thèmes de la Prostitution et de la Traite et tous les phénomènes y afférant. Formation des intervenants Concevoir et développer des stratégies et des projets sociaux sur un phénomène nouveau, dynamique et complexe, ce qui signifie porter une attention particulière à l’élaboration de modèles d’intervention, aux profils professionnels et aux curriculum de formation des intervenants, dans une sorte de laboratoire permanent
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En plus de la formation initiale des intervenants – éducateurs, assistants sociaux, psychologies, sociologiques et enseignants… - des cours de mise à niveau et des séminaires de formation spécialisée et permanente sont nécessaires afin de travailler dans le domaine de la prostitution et de la traite. Depuis 1997, l’Association a organise des séminaires et des cours de formation pour des intervenants internes et externes provenant de toute l’Italie et d’Europe. Les cours sont développés selon une approche multidisciplinaire (c’est-à-dire : des cours pour les intervenants de rue travaillant dans le domaine de la toxicomanie, la prostitution, les mineurs à risques, les sans abri…: cours pour les intervenants du monde de la nuit…) L’expérience et les succès, soulignés par les intervenants et les organisations privées aux niveaux local et national, ont mené « On the Road », avec les encouragements de la Région des Abruzzes et d’autres organismes locaux, à concevoir un laboratoire de formation permanente : Opificium – Ecole pour la promotion sociale. L’école projette d’offrir des cours de base et des cours de qualification, des maîtrises, des laboratoires de stratégie politique, des séminaires et des événements, de la documentation et des publications. Pratiques méritant d’être soulignées Travail de rue; Médiation interculturelle, Centres d’accueil Le travail de rue est nécessaire pour pouvoir effectuer des interventions dans ce domaine, puisque la rue (l’endroit où les femmes se prostituent) est souvent l’unique endroit où il est possible d’entrer en contact avec elles et de les approcher. .Il s’agit d’un modèle d’intervention innovant puisqu’il dépasse l’approche traditionnelle des services sociaux, attendant généralement dans leurs locaux que les clients de déplacent. Ce type d’approche est très important pour les femmes en situation difficile en tant qu’immigrées en situation irrégulière dans un pays étranger et en tant que victimes d’exploitation. En outre, le fait d’atteindre directement les femmes à l’endroit où elles se prostituent implique une approche dénuée de jugement. Les travailleurs sociaux proposent également aux femmes de les accompagner dans des services sanitaires dans le but d’améliorer leur autonomie en utilisant les services en tant qu’approche d’autonomisation. Commencer par le problème de la santé permet également aux travailleurs de rue de gagner la confiance des femmes, il est possible d’obtenir d’autres demandes ou de détecter d’autres besoins et d’offrir des réponses différentes : assistance juridique, aide à se sortir de la prostitution et de l’exploitation etc. En outre, dans notre domaine spécifique il existe un autre aspect innovant, il s’agit de la participation de médiateurs interculturels aux équipes de travailleurs de rue, c’est à dire des travailleurs sociaux provenant de la même zone géographique ou linguistique que le groupe cible qui sont donc capables de faciliter la communication entre le groupe cible et les travailleurs de rue et également entre le groupe cible et les services sociaux ou sanitaires. La question de la médiation interculturelle est un sujet général dans un pays où l’immigration est un phénomène récent comme l’Italie et l’intervention spécifique dans la prostitution et la traite contribue à un développement général d’une telle approche. Une autre action innovante effectuée par les unités de la rue est de renseigner les services sanitaires et sociaux sur ce groupe cible particulier et ses besoins. En réalité les travailleurs sociaux de la rue effectuent un travail considérable en contactant ces services et en les informant du phénomène de la
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prostitution et de la traite, les informant même au sujet de ce qu’ils sont censés faire (de par la loi) pour ces personnes, en activant la collaboration avec les services. Dans certaines zones, la prostitution de rue est perçue comme un problème social, alarmant les communautés locales. Dans de tels cas, l’unité de rue tente de sensibiliser les communautés locales, en effectuant des interventions de sensibilisation et des négociations de conflits. L’unité de rue fait paraître des matériaux d’information dans les langues maternelles des femmes et les engage directement à donner leur avis sur l’adéquation des matériaux. Puisque dans la rue il est difficile d’établir des relations à long terme avec les prostituées, l’Association « On the Road » a établi des lieux dans d’autres endroits, nommés Centres d’accueil, qui agissent en tant que filtres supplémentaires entre la rue, les services et les moyens de sortie de la prostitution. Le Centre d’accueil est un point de rencontre où les prostituées peuvent rencontrer les travailleurs sociaux de la rue et les médiateurs interculturels afin d’obtenir des informations complémentaires, d’être prises en charge par les services sanitaires, de construire une relation de confiance, de participer à des ateliers sur différentes questions. En outre, d’autres services sont proposés dans le Centre d’accueil : information et conseil sur des problèmes sociaux et juridiques, conseils et aide relationnelle, orientation professionnelle, proposition et/ou réponse à la demande de quitter la prostitution et la violence et l’exploitation. L’unité de rue observe également le phénomène de la prostitution et de la traite et projette d’explorer et de définir des modèles d’interventions innovants possibles dans le monde caché et inconnu des formes “immergées” de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, se développant dans les lieux de prostitutions “cachés et invisibles “ telles que des boites de nuit, bars, clubs “privés”, centres de massages, saunas, centres de sport, hôtels, appartements. Programmes d’Hébergement et d’encouragement de l’autonomie En conséquence de l’approche individualisée caractérisant le travail de rue et les activités du Centre d’hébergement, une fois qu’une femme a décidé de quitter la prostitution, un programme individualisé d’autonomisation et d’insertion sociale est convenu avec elle. Le programme peut être développé dans différentes structures, et dans différentes activités. L’association a effectué de telles interventions puis le début des années 90, toutefois, de nouvelles possibilités sont maintenant offertes de par l’Article 18 de la loi de Consolidation de l’Immigration qui indique : “des programmes d’assistance sociale et d’insertion” sont prévus pour les victimes du trafic. Tel qu’indiqué ci-dessus, chaque programme est défini et développé sur une base individuelle avec chaque femme afin d’encourager son autonomisation. Lorsqu’une femme décide de sortir de la prostitution ; si elle possède un logement et ne nécessite pas une protection particulière, son programme peut être suivi à partir de son domicile, sinon elle peut être hébergée dans différentes structures : Hébergement d’urgence (pour un premier court séjour au cours duquel on vérifie sa motivation et on élabore un premier projet de programme personnel) Hébergement de premiers soins (pour des séjours de 2 ou 3 mois au cours desquels le programme est entrepris ainsi que toutes les étapes de la régularisation ) Hébergement de soins secondaires ( pour des séjours de 2 ou 3 mois au cours desquels le programme est développé dans une phase avancée)
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Maisons d’autonomie (maisons où les femmes sont hébergées tout en démarrant un travail en attendant de trouver leur propre logement) Dans le cas de femmes mineures, celles-ci sont souvent insérées dans des familles Dans certains cas, les femmes peuvent également être hébergées dans des hébergements dirigés par d’autres organisations spécialisées dans d’autres régions de l’Italie (par exemple pour des motifs de sécurité, ou à cause du manque de place libre). Orientation professionnelle, formation, insertion sociale et professionnelle Dans la plupart des cas, les femmes immigrants qui se sont échappées de la prostitution forcée ou qui ont quitté la prostitution estiment qu’il leur est pratiquement impossible de retourner dans leur pays d’origine. En conséquence il est nécessaire de promouvoir leur insertion sociale et professionnelle en Italie. Ainsi, l’orientation professionnelle, les activités d’éducation, la formation professionnelle sont des parties importantes des programmes individualisés mentionnés ci-dessus. Puisque l’autonomie économique est d’importance fondamentale, il est nécessaire que de telles activités puissent mener à l’obtention d’un emploi. Une des méthodologies la plus efficace conçue et expérimentée par l’Association est La formation pratique en Entreprises. Au moyen de cette méthode, un programme de formation individualise est défini et la personne est insérée dans une entreprise pendant une durée variable selon ses capacités ( de 2 à 6 mois). Au cours de cette période, le stagiaire a la possibilité de travailler dans un “vrai” environnement de travail et de participer aux processus de travail. Le stagiaire est soutenu par un psychologue et un tuteur travaillant dans l’entreprise. Un accord spécifique est signé entre l’Association et l’entreprise afin de régulariser la formation. D’une part, tous les coûts sont couverts par le projet dirigé par l’Association (assurance et salaire ou rémunération pour le stagiaire), d’autre part, l’entreprise est obligée de confirmer, à l’issue du stage, la possibilité d’embaucher le stagiaire. Selon notre expérience, si la période d’essai et la négociation ultérieure ont été convenablement effectuées, il existe d’excellentes possibilités pour le stagiaire d’être embauché à l’issue du Stage pratique en Entreprise. Associazione On the Road Via delle Lancette 27/27A Tel 0039 0861 762327 796666 Fax 0039 0861 765112 e-mail: mail@ontheroadonlus
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Bibliographie AA.VV., Articolo 18 : tutela delle vittime del traffico di esseri umani e lotta alla criminalità (l’Italia e gli scenari europei) Rapporto di ricerca On the Road Edizioni, Martinsicuro, 2002 I.Hulsbosch, B. Moens, Traite des êtres humains phénomène – législation – assistance, CCEM, 2002 M. Wijers,L. Lap-Chew, Trafficking in women forced labour and slavery-like practices in marriage, domestic labour and prostitution, Foundation Against Trafficking in Women, Netherlands, 1999 Jurisprudence La loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains et de la pornographie enfantine, Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Bruxelles, 2002 Stop Tratta, Atti del Convegno internazionale 23 e 24 maggio 2002, On the Road edizioni, 2002 G. Mennetrier, Villes et lieux de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, Forum Européen pour la Sécurité Urbaine, 1999 G. Mennetrier, SécuCités Femmes. Traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle et coopération transfrontalière, Forum Européen pour la Sécurité Urbaine, 2000 M. Jankowski, A Siemaszko, Administration of justice in Poland, OficynaNaukowa, Warszawa, 1999 Revues et rapports Animus Association Foundation, Annual Report 2001, Sofia 2001 Payoke Annual Report 2001, Antwerp 2001 Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Lutte contre la traite des êtres humains, Rapport Annuel – Images du phénomène de la traite des êtres humains et analyse de la jurisprudence, 2001 G. Vaz Cabral Les formes contemporaines d’esclavage dans six pays de l’Union Européenne, IHESI Etudes et Recherches, 2002
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