Safer Drinking Scenes Alcool, ville et vie nocturne
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a nuit, l’espace public peut devenir le lieu de rendez-vous d’un public jeune qui souvent consomme de l’alcool de manière excessive. Les autorités locales font face à une série de questions. Comment (ré)concilier les usages nocturnes de la ville ? Comment gérer et prévenir les conséquences sanitaires, corporelles et matérielles ? Comment articuler les réponses et les acteurs ? Cette publication a pour ambition de faire état des enjeux autour de ces questions, de pointer certaines pratiques et de formuler des recommandations stratégiques destinées aux collectivités locales.
Ce projet a reçu le financement de l’Union européenne dans le cadre du Programme « Prévention et lutte contre la criminalité » ISEC 2009. Cette publication n’engage que ses auteurs et la Commission n’est pas responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations qui y sont contenues.
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Cette publication a été produite par les Forums français et européen pour la sécurité urbaine (respectivement FFSU et Efus) et résulte du projet SDS (Safer Drinking Scenes). Ses auteurs principaux sont Mark Burton-Page, chargé de mission à l’Efus, et Vanina Hallab, responsable réseau et développement au FFSU. Elle a été réalisée avec l’aimable contribution des villes du projet, le soutien d’Alberto Dotta et d’Elsa Fontanille, respectivement chargé de mission et responsable de la communication à l’Efus, et la collaboration de Nathalie Bourgeois, éditrice. Elle est accessible sur internet, en français et anglais, aux adresses suivantes : www.ffsu.org ; www.efus.eu. L’usage et la reproduction sont libres de droits s’ils sont effectués à des fins non commerciales et à condition que la source soit spécifiée.
Mis en page par Johann Leclercq - johann78@gmail.com Imprimé par Cloître Imprimeurs, Saint-Thonan (FR) août 2013 ISBN : 2-911687-10-8 EAN : 9782911687105 Dépôt légal : août 2013 Publié par Forum Français pour la Sécurité Urbaine – FFSU Forum européen pour la sécurité urbaine - Efus 10, rue des Montiboeufs 75020 Paris FRANCE Tel: +33 (0)1 40 64 49 00 www.ffsu.org www.efus.eu
Remerciements Le projet SDS et cette publication n’auraient pas été possibles sans les représentants des villes partenaires du projet. Que les élus et collaborateurs des services de sécurité et de santé d’Anvers, Bordeaux, Brest, Kingston upon Thames, Liège, Nantes, La Rochelle, Reggio Emilia, Rotterdam et Stuttgart soient ici remerciés pour leur implication qui a fait de ce projet une réussite. Nous souhaitons aussi remercier la Commission européenne et son programme « ISEC prévention et lutte contre la criminalité » pour le soutien financier apporté à ce projet. Nous remercions également les experts pour leur précieuse contribution, les hôtes des différentes réunions, des visites de terrain et de la conférence finale ainsi que toutes les personnes que nous avons rencontrées et avec lesquelles nous avons échangé tout au long du projet. Experts : Les experts suivants ont grandement contribué à la production commune de savoirs qui constituent la richesse de ce projet et la matière de cette publication : MarieLine Tovar, responsable du Pôle enquêtes en population générale, Observatoire français des drogues et des toxicomanies – OFDT (France), Dr Laurent Karila, addictologue, Hôpital Paul Brousse, Paris (France), Phil Hadfield, chercheur, Université de Leeds (Royaume-Uni), Laetitia Nolet, Forum Belge pour la Prévention et la Sécurité Urbaine – FBPSU.
Sommaire
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p. 11 Avant-propos Michel Marcus, Forum Français pour la Sécurité Urbaine (FFSU) p. 13 Introduction
Chapitre I - Le phénomène p. 20 Caractéristiques, mesures et problématiques Marie-Line Tovar, Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) p. 21 p. 28 p. 31
1. L’appropriation de l’espace public par les groupes de jeunes 2. Mesures et concepts en Europe 3. Les problématiques du phénomène
p. 33 Le binge drinking – aspects cliniques, conséquences et prise en charge Dr Laurent Karila, addictologue p. 33 p. 38 p. 40
1. Aspects cliniques 2. Conséquences 3. Quelques pistes pour une prise en charge
Chapitre II - Pour un espace public plus sûr et une consommation responsable p. 44 Des espaces publics plus sûrs : les initiatives de dix villes européennes Phil Hadfield, Université de Leeds
p. 46 p. 49 p. 52 p. 64 p. 68
1. Densité de l’activité nocturne 2. Actions coordonnées de soutien 3. Réglementations officielles et pénalités 4. Aménagement urbain et intervention des services compétents 5. Evaluation des normes locales
p. 71 Pour une culture de consommation responsable en Europe
Chapitre III - Constats et recommandations des villes du projet SDS p. 85 Les constats p. 89 Recommandations
p. 94 Conclusions et perspectives Elizabeth Johnston, Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus) p. 98 Bibliographie
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Avant-propos >>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Michel Marcus Délégué général, Forum Français pour la Sécurité Urbaine Homme sans risque C’est vers le soir, aux alentours de 19h30, que les caisses des supermarchés et supérettes les voient défiler. De petits groupes de jeunes se pressent, des packs de bière à la main, des bouteilles d’alcool fort dans un bouquet de bouteilles de Coca. Les responsables de magasins se tiennent prêts à ouvrir les vitrines derrière lesquelles sont entreposés les alcools de marque. Les plus jeunes sont exubérants, occupent l’espace comme pour faire oublier leur âge. Les fêtes s’allument aux quatre coins des villes et des campagnes. La fumée des cigarettes envahit les ruelles de la vieille ville ; plus loin, dans les recoins des parcs et des jardins, le tabac se fait oriental, garçons et filles rient nerveusement. Tous les mélanges se font et se défont, s’évaporent dans des ivresses laborieuses, martelées, systématiques. La défonce collective, la recherche d’un exploit ou l’affirmation d’un refus collectif d’un mode de vie, d’un avenir sans surprise. Les interprétations nombreuses à propos de ces comportements collectifs donnent la mesure de notre désarroi et de notre difficulté à typer des modes d’action. Au moment d’écrire ces quelques lignes, le peuple du cyclisme célèbre les exploits d’un jeune coureur dépassant ceux de ses prédécesseurs tombés de leur piédestal pour cause de dopage. Les ventes sur Internet de produits destinés à renforcer la performance physique explosent. Les épreuves du baccalauréat dopent les ventes de stimulants accroissant nos capacités d’attention et de mémorisation. 11
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« L’homme normal » existe-t-il ? Notre sexualité n’échappe pas à cette quête de la performance. L’alcool nous rend sociable, entreprenant, démystificateur de nos peurs et retenues. Mais sa façon d’être consommé si massivement et avec des recherches d’alliance de breuvages et de produits divers si étranges indique une tout autre vision de la vie sociale. Le groupe n’est que le sas d’entrée d’un processus conduisant à une négation des qualités de la personne. La jeune femme ramassée sur le trottoir anéantit les stéréotypes de la féminité, le jeune interne en médecine écroulé entre deux voitures bouscule nos schémas fusionnels entre savoirs et responsabilités sociales. Personnages en voie de délitement, mais ce sont les mêmes qui seront les adeptes d’une nourriture « bio », des vitamines contre le vieillissement, de stimulants de toute nature. Est-ce ainsi que doit avancer le monde ? Une violence pour créer et pour détruire, se détruire, quelque chose, quelqu’un qu’il faut défier, dépasser ? C’est bien la conduite des écarts qui constitue le fil directeur de nos politiques publiques. Les problèmes d’ordre public cohabitent avec ceux de la santé, l’usage de l’espace public avec les libertés de chacun. La gestion des risques qu’engendre l’excès dans la consommation exige de notre part une réflexion sur le sens de notre vision de l’homme. Le pragmatisme nécessaire dans la mise en œuvre de nos politiques n’effacera jamais notre interrogation insatisfaite sur la normalité. Comment qualifier « l’homme moyen », aune de mesure du risque et du niveau acceptable de transgression ?
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Introduction
>>>>>>>>>>>>>>>>>>>> Les événements festifs d’une ville rythment son quotidien, l’animent, la mettent en valeur : utiliser les rues et les places publiques pour faire la fête fait partie intégrante de notre vie culturelle. Mais la nuit, l’espace public dans le prolongement de ces événements ou à l’occasion de fêtes spontanées peut devenir le lieu de rendez-vous d’un public jeune qui, souvent, consomme de l’alcool de manière excessive. Ce mode de consommation, et particulièrement le binge drinking 4, comporte des risques aussi bien en termes d’ordre public que de santé publique. Dès lors, les autorités locales font face à une série de questions. Comment (ré)concilier les usages nocturnes de la ville : ceux qui veulent faire la fête, ceux qui veulent travailler et ceux qui veulent se reposer ? Comment gérer et prévenir les conséquences sanitaires, corporelles et matérielles de ce phénomène, articuler les réponses et les acteurs ? Pour faire face aux modes d’alcoolisation excessive, comment rendre les espaces publics plus sûrs et promouvoir une consommation responsable sans pour autant aseptiser la fête ? La tranquillité publique et la prévention (de la délinquance, sanitaire et sociale) semblent au cœur des réponses à ces problématiques, mais il faut ajouter à cela un certain nombre de paradoxes. La relation avec l’alcool reste ambiguë : malgré ses effets nocifs, cette drogue est culturellement admise et considérée comme favorisant la convivialité. La fête a une fonction légitime de lien social et d’expérimentation mais elle 4 - Binge drinking : traduit le plus souvent en français comme « biture express », il s’agit d’un phénomène d’alcoolisation excessive sur une courte période de temps.
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comporte aussi des risques de consommation excessive d’alcool par une jeunesse dite « ordinaire », qui adopte dans ce contexte des conduites à risques. Confrontées à ces questionnements, les villes ont décidé de travailler ensemble en formant entre 2007 et 2009, en France, un groupe de travail5. Elles ont souhaité continuer leurs travaux et élargir le champ de leurs échanges à l’Europe en proposant le projet « Safer Drinking Scenes », piloté par le Forum Français pour la Sécurité Urbaine (FFSU) et le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus). Ce projet a obtenu le soutien de l’Union européenne qui le co-finance dans le cadre programme ISEC « prévention et lutte contre la criminalité ». Entre janvier 2011 et juin 2013, dix villes ont participé au projet : Anvers (Belgique), Bordeaux (France), Brest (France), Kingston upon Thames (Royaume-Uni), Liège (Belgique), Nantes (France), La Rochelle (France), Reggio Emilia (Italie), Rotterdam (Pays-Bas) et Stuttgart (Allemagne). Un comité d’experts, composé de Marie-Line Tovar, responsable du Pôle enquêtes en population générale à l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), du Dr Laurent Karila, addictologue, Hôpital Paul Brousse, Paris, de Phil Hadfield, chercheur à l’Université de Leeds, et de Laetitia Nolet, du Forum Belge pour la Prévention et la Sécurité Urbaine, a accompagné les travaux, qui étaient coordonnés par Vanina Hallab, du FFSU, et Mark Burton-Page, de l’Efus. Objectifs L’objectif principal des activités était d’échanger sur les bonnes pratiques de prévention des consommations excessives d’alcool, de réduction des risques en matière de santé et de sécurité, de gestion opérationnelle de la vie nocturne et de l’espace public. A travers la confrontation des pratiques, c’est l’amélioration des 5 - Comptes rendus disponibles www.sds-project.eu
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connaissances, des méthodes, des outils et des actions locales qui était visée, ainsi que le développement de recommandations stratégiques afin d’aider et d’informer les villes européennes sur ce thème. Par ce projet, les partenaires ont cherché à : • Favoriser une meilleure connaissance du phénomène par les acteurs concernés afin qu’ils puissent notamment améliorer la sensibilisation du grand public (jeunes, parents, etc.) à cette problématique ; • Connaître les partenariats mis en place au niveau local pour gérer ce phénomène et les risques afférents ; • Doter les acteurs locaux d’outils opérationnels pour traiter cette question de façon efficace et efficiente ; • Favoriser le dialogue et l’échange entre villes européennes autour d’actions prometteuses ou de problématiques émergentes ; • Construire une approche commune pour des recommandations politiques. Si l’on considère les multiples thématiques prises en compte (conduites addictives, gestion des foules et de l’espace public, prévention sanitaire, prévention des nuisances, de la violence, victimisation, sensibilisation…) ainsi que les différents acteurs concernés (élus et décideurs locaux, police, personnel médical, acteurs de première ligne…), on peut souligner la nature très transversale du projet. Cette approche globale et intégrée implique d’aborder la problématique sous trois axes différents : • Les risques sanitaires qu’entraînent les pratiques d’alcoolisation excessive ; • Les risques d’augmentation des actes de violence, des nuisances et plus généralement des comportements déviants en prenant en compte les consommateurs en tant qu’ « auteurs » potentiels ; • Les risques de victimisation accrus par la vulnérabilité que provoque la consommation, en envisageant que des consommateurs puissent aussi être des victimes potentielles. 15
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Objet d’étude Echanger au mieux sur ces pratiques prometteuses a nécessité dans un premier temps la définition précise de l’objet d’étude. Les villes ont souhaité dans le cadre du projet distinguer les événements organisés, comme les fêtes étudiantes, les festivals et les animations locales, et ceux qualifiés de plus « spontanés », comme par exemple les rassemblements à la sortie des établissements de nuit ou sur des places publiques en fin de semaine. Ensuite, le public cible, qu’il soit considéré comme victime ou auteur de troubles, a été déterminé comme étant les jeunes âgés de 13 à 25 ans et particulièrement les étudiants. Un autre parti pris a été de travailler sur le mode de consommation massif (hyper-alcoolisation), périodique et problématique de ces jeunes. Une dernière distinction a été opérée sur le territoire : les milieux urbains denses et particulièrement les centres villes dans lesquels se déroule la vie nocturne, ont été privilégiés. Le trait d’union entre ces modes de consommation, ces publics cibles et ces territoires est l’espace public, ce qui explique le titre du projet : Safer Drinking Scenes. Activités et méthodes Tout au long du projet, les activités des partenaires se sont articulées autour de deux axes. • Il s’agissait d’abord de collecter les bonnes pratiques, c’est-à-dire les actions prometteuses, les recherches, les expériences positives et créatives réalisées dans ce domaine. Une trentaine de pratiques ont été collectées et sont disponibles sous forme de fiches synthétiques6. • Ensuite, l’organisation de visites d’étude dans chacune des villes partenaires a permis de présenter les dispositifs et stimuler les échanges entre les différents acteurs locaux impliqués (villes, police, services de médiation, associations, établissements 6 - www.sds-project.eu
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de nuit, services d’intervention et médicaux). Huit visites de villes ont eu lieu entre mai 2011 et mai 2012. Le principe était donc de mettre à disposition les expériences et de permettre aux villes de confronter leurs points de vues, d’expliquer comment, en partant d’une situation donnée, elles avaient construit une réponse originale et adaptée. L’objectif était aussi d’élaborer des préconisations répondant aux préoccupations communes des villes : comment réduire les risques pour la jeunesse d’une consommation excessive tout en assurant le nécessaire équilibre entre santé et sécurité publiques ? Le projet a mis en avant des spécificités, des modes d’action innovants fondés sur la créativité qui pourraient être une source d’inspiration et être transposés à d’autres villes européennes. Les expériences, projets et actions qui ont été apportés dans la matrice du projet sont basés sur une stratégie de tranquillité publique à entrées multiples fondée sur l’éducation, la médiation, la prévention, la réduction des risques et la régulation. Car s’il s’agit de comprendre en profondeur le phénomène, la préoccupation des villes est aussi d’y apporter une réponse équilibrée. Les villes ne souhaitent pas interdire la consommation d’alcool ou la vie nocturne mais en prévenir les excès, informer le public sur les risques, réduire ceux-ci et gérer efficacement la vie nocturne et l’espace public. Ce projet apporte des éléments de réponse concrets qui permettent de construire une politique de gestion des risques cohérente et transversale, basée sur les pratiques de villes françaises et européennes. Cependant, la question de l’alcoolisation excessive va audelà de la gestion de l’espace public et le projet questionne d’autres politiques : celles de la jeunesse (bien-être, identité, acquisition de l’autonomie), de l’éducation (aide à la parentalité), de l’économie de la 17
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nuit. Dans un second temps, ce projet pourrait être élargi afin d’apporter des éléments de réponse pour le grand public (parents, jeunesse). Alcool, ville et vie nocturne Cette publication a pour ambition de faire état des résultats du projet, des observations d’experts, de pointer certaines pratiques et de revenir sur les recommandations stratégiques afin que d’autres puissent profiter des travaux entrepris. Elle reviendra d’abord, dans son chapitre I, sur le phénomène en lui-même, les lieux et les espaces observés, les types d’événements, de population, de consommations, les problématiques posées, mais aussi sur les aspects cliniques, facteurs de risque et conséquences du binge drinking. Les questions de comment renforcer la sécurité de l’espace public et comment favoriser une consommation d’alcool responsable, en tenant compte des expériences des villes du projet, seront abordées au chapitre II. Pour clore cet ouvrage, le chapitre III présente les constats et recommandations élaborés par les villes partenaires du projet.
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Chapitre I >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
Le phénomène >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
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Caractéristiques, mesures et problématiques >>>>>>>>>>>>>> Marie-Line Tovar Responsable du Pôle enquêtes en population générale, Observatoire français des drogues et des toxicomanies Problème majeur de santé publique dans tous les pays d’Europe mais aussi aux Etats-Unis, l’alcoolisation massive et répétée des jeunes surpasse les quantités recommandées par l’Organisation mondiale de la Santé pour une consommation ponctuelle à moindre risque (un maximum de quatre « verres standard »). Fréquemment qualifiée de binge drinking, cette notion anglosaxonne n’est pas clairement définie et ne fait pas l’unanimité auprès des spécialistes, particulièrement sur l’intention délibérée d’atteindre l’état d’ivresse. L’espace public urbain regroupe l’ensemble des lieux de passage et de rassemblement à l’usage de tous. Il a différentes formes : place ou esplanade, rue, boulevard ou avenue, mais aussi jardin, square, grand parc urbain ou bord de rivière, parking ou abord de zone industrielle, de centre commercial ou de grand ensemble. Dans le cadre du projet Safer Drinking Scenes, la problématique de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes de 13 à 25 ans dans l’espace public prend aussi en compte les consommations potentielles d’alcool dans les espaces fermés et privés (bars, discothèques, terrasses, etc.) et leurs conséquences sur l’espace public. L’espace public est par essence un lieu d’appropriation individuelle et collective, révélateur du fait social : es20
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pace de circulation, de croisements et de rencontres, espace de visibilité mutuelle, considéré comme un espace de vie, ouvert 24h/24, qui se partage. Il est aussi lieu de multiples usages ; objet de logiques d’appropriation par des groupes sociaux ; lieu d’enclavement ou de convivialité ; lieu de culture et de spectacle ou lieu sans vie. Ces usages divers peuvent générer des conflits surtout s’ils sont accompagnés de prises de risque et de consommation d’alcool et d’autres substances psychoactives. Un des défis des villes est donc de trouver le meilleur équilibre entre les usages des espaces publics afin de permettre à l’ensemble des usagers d’en profiter de façon harmonieuse et de limiter les conflits sociaux.
1. L’appropriation de l’espace public par les groupes de jeunes
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Le projet SDS a permis de caractériser le phénomène : les lieux et publics concernés, les modalités concrètes des rassemblements et les problématiques attachées à ces pratiques. Chacune des villes visitées a sa propre identité mais aussi des points communs avec les autres. Une majorité d’entre elles sont des villes portuaires et/ou étudiantes, qui accueillent des jeunes venant de tous horizons. Beaucoup ont également une importante population immigrée. Toutes offrent un choix important d’événements festifs et une vie nocturne active. Il s’agit donc de populations jeunes sur des territoires ouverts sur l’extérieur, d’où des consommations de produits psychoactifs et un phénomène d’alcoolisation 21
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présent dans toutes les villes, qui investissent différents espaces. Des espaces ouverts divers et variés Ces lieux de rencontre se situent en majorité dans les centres-villes, qui sont les espaces ouverts préférés de ces jeunes et les lieux privilégiés des commerces de boissons alcoolisées. Les lieux les plus prisés sont les places (villes d’Anvers, Brest, Liège, La Rochelle, Nantes, etc.), les ports (villes de Brest), les abords des gares (Liège, Regio Emilia), les abords des salles de spectacle, des bars et des discothèques. Leurs dimensions varient : parfois ce sont des petites zones, une simple rue, d’autres des quartiers entiers où se concentrent les établissements ouverts jour et nuit (quartier sur les Berges de la Garonne à Bordeaux avec des bars de nuit et des discothèques, quartier du Carré à Liège où se trouvent de nombreux bars, quartier Saint Nicolas à La Rochelle, établissements situés au bord de la Loire à Nantes). Des espaces fermés investis également pour la consommation massive En ce qui concerne la consommation d’alcool dans les espaces fermés privés (bars et discothèques), elle se déplace en fin de soirée vers l’espace public, où affluent de nombreux groupes de jeunes très alcoolisés. Dans certaines villes comme Kingston upon Thames, les boîtes de nuit sont ouvertes tous les soirs et à Stuttgart, il existe « une large zone arborée avec des discothèques et des bars de nuit ». C’est aussi le cas dans la ville de Bordeaux avec les installations le long de la Garonne ou à Nantes avec la grande discothèque. Au moment des fermetures, l’espace public (quartiers, rue ou place, etc.) est envahi par des centaines de jeunes, ce qui a nécessité dans certaines villes des aménagements nouveaux : c’est le cas de Kingston upon Thames où les 22
rassemblements nocturnes en centre-ville peuvent atteindre jusqu’à 16 000 personnes, ce qui a obligé la ville à élargir les trottoirs. Les événements organisés ou spontanés et les déplacements dans les espaces De façon plus ponctuelle, les événements festifs proposés par les villes sont aussi l’occasion de réunions en groupes et de consommations excessives : festivals (Rotterdam, Fête de la Musique dans les villes françaises, Festival de la Bière « Volksfest » à Stuttgart), soirées gratuites estivales où des centaines de jeunes sont dans les rues jusqu’à six heures du matin. D’autres événements plus récents comme les « apéros géants », organisés à partir de Facebook ou via les téléphones portables, donnent lieu à d’importants rassemblements : près de 8 000 personnes sur les places à Brest, des centaines au Miroir d’Eau et aux abords de la Garonne à Bordeaux ou sur la plage à Rotterdam. D’autres phénomènes observés sont la mobilité des jeunes dans l’espace et dans le temps et les parcours de nuit. Ces déplacements sont aussi en lien avec le temps d’appropriation des différents espaces par de nouveaux habitants de ces villes. Dans l’une des villes partenaires du projet, les étudiants de première année se retrouvent chaque année en septembre dans un lieu très central ; en novembre, ces rassemblements se déplacent vers les bars. En fin de soirée, les jeunes se rassemblent sur une place du centre ou bien se retrouvent dans les quartiers où les bars et discothèques sont encore ouverts. La consommation préalable au domicile est un comportement souvent observé. Il s’agit d’un comportement similaire au pre-loading pratiqué par les jeunes au Royaume-Uni : pour accélérer le processus de 23
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l’ivresse, les jeunes consomment de l’alcool chez eux avant de sortir rejoindre leurs amis au pub. A Bordeaux, certains jeunes de 16-25 ans consomment leurs premières boissons alcoolisées à domicile (par exemple dans les chambres d’étudiants), puis se rendent sur les places publiques ou aux abords des discothèques. Dans le cas de La Rochelle : « La soirée commence à 23h au domicile, ensuite les jeunes rejoignent les bars qui ferment à 2h et ils finissent leur soirée sur les parkings des discothèques. » Lors des Festivals de la Bière à Stuttgart, « une grande quantité de boissons alcoolisées est consommée préalablement au festival ». Description de la population jeune concernée Ces rassemblements sont le fait de jeunes intégrés (étudiants, élèves, jeunes travailleurs) qui se rencontrent soit de façon régulière, souvent en fin de semaine, soit occasionnellement (apéro géant, périodes de fin des examens) mais aussi d’une population marginalisée (jeunes errants, migrants…). Les étudiants organisent très régulièrement des fêtes en fin de semaine auxquelles se joignent d’autres populations (surtout des jeunes travailleurs). Le plus souvent, ces fêtes ont lieu le jeudi soir, le vendredi soir faisant déjà partie du week-end qui est souvent passé en famille. Les autres soirées du vendredi et samedi, voire du dimanche, sont néanmoins aussi l’occasion de fêtes. Les lycéens, eux, ont des périodes de consommation de boissons alcoolisées plus ponctuelles, souvent liées à des périodes définies dans le temps : la fin des examens ou le début des vacances d’été. Les plus jeunes sont aussi concernés : à Liège, « les moins de 16 ans ne peuvent pas consommer de l’alcool dans les cafés mais peuvent en acheter, ils le consomment après l’école et dans le Carré » ; à Stuttgart lors de la Volksfest (fête de la bière) ils peuvent 24
consomment dès l’âge de 16 ans s’ils sont accompagnés par leurs parents; à La Rochelle, « des jeunes de 14 à 16 ans se retrouvent dans le quartier Saint Nicolas munis de boissons achetées à l’extérieur ».
« Respect 16 » LIÈGE
Problématique L’interdiction de vente d’alcool aux mineurs de moins de 16 ans était peu respectée dans les débits de boissons du Carré (quartier de vie nocturne de Liège). De plus, la vente d’alcool de moins de 22° était autorisée sans distinction d’âge dans les commerces de détail. Dès lors, on constatait un accès problématique à l’alcool. Objectifs Réduire l’offre d’alcool aux mineurs dans le Carré. Sensibiliser les commerçants sur leur responsabilité en matière de consommation d’alcool par les jeunes et réprimer si nécessaire. Protéger les jeunes en tant que victimes potentielles. Activités Un plan de prévention a été élaboré afin de mettre en place la méthodologie de travail. Un guide d’entretien a été créé pour accompagner les inspecteurs de quartier lors de la sensibilisation et recueillir des données sur les connaissances et les comportements des professionnels rencontrés. Un questionnaire à l’attention des jeunes de moins de 16 ans fréquentant le quartier a été créé et distribué. Les données récoltées (guide d’entretien, questionnaire 25
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jeunes et plans d’action) ont été intégrées au diagnostic local sur l’offre et la consommation d’alcool chez les jeunes, réalisé par l’Observatoire liégeois des Drogues. Des agents de la police locale ont été déployés sur le terrain pour sensibiliser les commerçants au respect de la loi et à leur responsabilité en matière de consommation d’alcool par les jeunes. Un plan d’action répressive a été ensuite élaboré. La Confédération des Brasseurs belges a contribué à la réalisation des outils du projet (affiches et autocollants). Deux conférences de presse ont été organisées afin d’informer la population liégeoise sur le projet et ses résultats.
Des populations marginalisées tels les migrants ou les jeunes errants à Rotterdam, des jeunes en errance, des sans-domicile fixe et des gens du voyage à Bordeaux, des jeunes migrants se regroupant dans la zone de la gare à Reggio Emilia, constituent aussi cette population qui investit les espaces ouverts en consommant des boissons alcoolisées. Les motivations des présences dans les espaces Une enquête qualitative réalisée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)4 autour de la consommation d’alcool par les jeunes dans les espaces publics ouverts à Paris a permis de tirer des enseignements sur les motivations de sortie dans les espaces observés. Parmi les raisons évoquées, deux ressortent : la « motivation générale de sortie le soir 4 - A la demande de la DASES (Département de l’action sociale, de l’enfance et de la santé), et réalisée par le pôle Tendances récentes et nouvelles drogues de l’OFDT en 2011.
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entre amis » et les « avantages intrinsèques offerts par ces espaces ouverts ». Comme noté à La Rochelle, « les jeunes se sentent en sécurité pour faire la fête dans les centres-villes ». Ces lieux de rencontre sont considérés comme des lieux de convivialité particulière. Dans ce cadre, l’alcool qui stimule, désinhibe et facilite les contacts est un élément qui facilite la fête, sans être le seul élément qui contribue à créer de la convivialité. Une des raisons pour lesquelles les lieux ouverts sont investis est de rompre avec les modalités habituelles de sortie le soir : recherche d’espace pour la vue (esthétique et charme des sites) et activités de plein air (musique, foot, danse, chant…). D’autres arguments invoqués sont l’absence de contrôle et de contraintes (sentiment de liberté, pas de contrôle parental ou professionnel), le fait de se rassembler à plusieurs (cadre festif sans limite d’espace) et le coût moins excessif de l’alcool (par rapport à son prix dans les bars). Il ne semble pas que ces rassemblements puissent être assimilés à un phénomène de binge drinking. Les motivations de sortie relèvent d’abord de la fête, où l’alcool favorise la socialisation. Plusieurs personnes rencontrées dans différents groupes ne boivent pas d’alcool. Ces fêtes en extérieur ont toujours existé ; ce qui est nouveau, c’est la régularité de la pratique. Ces lieux sont des points de ralliement pour de petits groupes de jeunes, indépendants les uns des autres mais où tous finissent par se connaître. Un autre exemple est celui de l’Espagne, où des jeunes se réunissent pour boire et s’amuser dans l’espace public « sur un parking ou dans un autre endroit approprié ». A l’origine, ces botellones (littéralement « grande bouteille ») étaient des rencontres entre jeunes qui voulaient passer une bonne soirée loin du système 27
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commercial des bars et des discothèques. Désormais, ces rassemblements de jeunes ont dévié pour se rapprocher des comportements anglo-saxons dont l’objectif final est l’ivresse.
2. Mesures et concepts en Europe
>>>>>>>>>>>>>>> Définition La consommation massive et rapide d’alcool, souvent qualifiée de binge drinking, est repérée au niveau européen et mesurée dans des enquêtes en population générale en tant qu’alcoolisation ponctuelle importante (API) ou heavy episodic drinking. Elle est généralement décrite comme la consommation de grandes quantités d’alcool pendant une brève période de temps, de manière ponctuelle ou répétée, afin d’obtenir rapidement un état d’ivresse. Dans ses recommandations, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a établi le seuil d’une consommation ponctuelle maximale de quatre « verres standards » comme étant une « consommation à moindre risque » : l’API commencerait donc lorsque cette limite est franchie. Il n’existe pas de consensus international sur le nombre de « verres standards » consommés dans le binge drinking. Aux Etats-Unis, selon le National Institute for Alcohol Abuse or Alcoholism (NIAAA), la définition du binge drinking repose sur la concentration d’alcool dans le sang (à partir de 0,08 gramme). Pour un homme adulte, cela équivaut à la consommation de cinq verres ou plus en une seule occasion (laps de temps de deux heures), pour une femme, quatre verres ou plus. 28
En Grande Bretagne, la notion de binge drinking est définie en nombre d’unités, soit deux fois la limite journalière établie par l’OMS, c’est-à-dire au moins huit unités standards d’alcool pour un homme et au moins six pour une femme dans une seule journée. Du fait de variations fortes d’un individu à l’autre (poids, tolérance à l’alcool...) et selon la vitesse de consommation, il n’y a pas de corrélation simple et évidente entre le nombre d’unités consommées, le niveau d’alcool présent dans le sang et les effets ressentis par l’usager. C’est pour cette raison que certains ont proposé d’intégrer la part subjective de l’ivresse dans le questionnement. De plus, atteindre l’ivresse peut être l’objectif de la consommation mais il n’est pas systématiquement programmé par tous. Ainsi, pour mesurer le nombre de binge drinkers dans la population au niveau européen, il faut prendre en compte tous ces comportements de consommation et les différents modes de calcul. Consommation d’alcool et mesures de l’API chez les jeunes Européens Les données les plus récentes proviennent de la dernière enquête ESPAD (European school survey project on alcohol and other drugs) menée entre avril et juin 2011 dans 36 pays européens5 auprès de jeunes âgés de 15-16 ans. Cette enquête permet de comparer les différents niveaux d’usage de substances psychoactives chez les adolescents scolarisés dans la plupart des pays européens. L’enquête est réalisée selon une méthodologie standardisée identique dans tous les pays participants, qui repose sur un questionnaire auto-administré commun. Concernant la consommation d’alcool, en 2011, 57 % 5 - Résultats d’ESPAD 2011 : http://www.espad.org/
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des jeunes Européens déclarent avoir bu au cours des 30 jours précédant l’enquête. Les pays enregistrant les taux les plus élevés sont Chypre, la République tchèque, le Danemark et l’Allemagne avec des taux atteignant 70 %. A l’inverse, l’Irlande rapporte une prévalence très faible (17 %) et les pays nordiques, en dehors du Danemark, des niveaux inférieurs à 50 %. En moyenne, les garçons sont plus concernés que les filles et ce de manière significative dans 18 pays. Afin de mesurer la consommation d’alcool orientée vers l’ivresse, une question plus standardisée et moins subjective a été posée aux jeunes sur le nombre de fois où ils ont consommé plus de cinq boissons alcoolisées en une seule occasion durant les trente derniers jours. Ce concept appelé « alcoolisation ponctuelle importante » remplace le terme binge drinking employé dans les précédentes enquêtes et permet de lever les sources d’incompréhension. En moyenne, 39 % des élèves européens ont déclaré avoir eu un épisode de cinq consommations ou plus (dans un court laps de temps) au cours des trente derniers jours et 14 % en avoir connu au moins trois durant cette même période. Le Danemark et Malte sont les pays où la prévalence de l’API est la plus élevée : 56 % des jeunes de 15-16 ans ont déclaré au moins un épisode durant les trente derniers jours. La Croatie, la République tchèque, la Slovénie, la Grande Bretagne et la Slovaquie enregistrent des taux compris entre 50 % et 54 %, tandis que l’Islande a le taux le plus bas (15 %). L’enquête ESPAD permet ainsi de brosser le portrait d’une jeunesse européenne assez fortement consommatrice d’alcool mais qui, surtout, a bel et bien généralisé une pratique d’API.
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3. Les problématiques du phénomène
>>>>>>>>>>>>>>> Le phénomène de consommations massives dans l’espace public n’est pas sans comporter des dangers pour les consommateurs et est source de tensions sociales pour les populations résidant à proximité. La consommation excessive d’alcool peut avoir pour conséquences des accidents graves, des comas éthyliques, des violences, voire des décès. La notion de sécurité, que ce soit pour les consommateurs ou pour les résidents, est au cœur des préoccupations des villes. Toutefois, « les jeunes disent se sentir en sécurité pour faire la fête dans le centre-ville », tandis que les riverains développent un fort sentiment d’insécurité. Les risques pour les consommateurs dans des espaces non sécurisés Certains lieux non sécurisés comme ceux situés à proximité de cours d’eau ou sur la plage (au bord de la Loire à Nantes, sur la plage à Rotterdam, etc.), de même que ceux situés non loin de voies ferrées, de voies rapides ou de falaises (Brest), peuvent avoir des conséquences dramatiques : au cours des dernières années, un jeune est décédé sur la plage à Rotterdam, cinq personnes sont mortes par noyade à Bordeaux et deux à Nantes. Les grands rassemblements festifs publics type « apéro géant », qui sont souvent sauvages et non-sécurisés, peuvent entraîner des accidents mortels, comme à Nantes. Les violences actives et passives liées à la consommation excessive d’alcool Dans l’enquête ESCAPAD réalisée en 2008 par l’OFDT auprès des jeunes de 17 ans, 21 % des jeunes de 31
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17-18 ans avaient déclaré avoir frappé/agressé autrui suite à une consommation d’alcool et près d’un quart des bagarres déclarées (23,8 %) étaient le fait d’individus alcoolisés. Au delà de ces chiffres, l’étude de l’alcool comme prédicateur de violence montre que, quels que soient la quantité et le mode de consommation, un lien significatif apparaît entre violence (active et passive) et consommation d’alcool (usage régulier, ivresses et alcoolisation ponctuelle importante). La part des violences actives selon la quantité d’alcool consommée diffère selon les conditions d’usage. Sur l’ensemble des agressions physiques déclarées par les jeunes de 17 ans au cours des douze derniers mois, 71,7 % des auteurs ont déclaré une consommation massive et ponctuelle d’alcool pendant le mois écoulé (contre 51,5 % pour l’ensemble des répondants). D’une manière générale, plus les personnes ont un usage intensif d’alcool, plus elles sont surreprésentées parmi les auteurs de violences. Le constat est analogue pour l’ensemble des violences subies (victimes d’agression et de menaces physiques, de railleries ou de vol). Quel que soit le type de violence exercée, les individus ayant une consommation importante font davantage l’objet de violence. La responsabilité d’une grande partie des actes violents enregistrés (passifs ou actifs) incombe donc à un groupe restreint, notamment les consommateurs problématiques qui constituent une part non négligeable des personnes impliquées dans des actes violents. Les tensions sociales La présence de jeunes alcoolisés dans les espaces publics crée un fort sentiment d’insécurité chez les habitants. En dehors des nuisances sonores, souvent à proximité des bars ou sur les terrasses, les violences (bagarres, agressions...) et les « scènes ouvertes de 32
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consommation de drogues et d’alcool » inquiètent les résidents. Ceux-ci n’osent plus aller dans certaines zones et les maires sont donc très sollicités pour trouver des solutions assurant la tranquillité des riverains et l’ordre public.
Le binge drinking : aspects cliniques, conséquences et prise en charge
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Dr Laurent Karila Addictologue, Hôpital Paul Brousse, Paris
1. Aspects cliniques
>>>>>>>>>>>>>>> Données générales6
Le binge drinking est un phénomène de société maintenant très répandu dans certains pays européens comme la Finlande, le Danemark et les pays de l’Est ainsi qu’aux Etats-Unis, qui n’a cessé d’augmenter au cours de ces 20 dernières années et qui est relayé par les médias comme un problème de santé publique affectant surtout les adolescents et les jeunes adultes. Il est important que les acteurs de santé agissent pour informer, sensibiliser et prévenir. Le binge drinking, qui se pratique en général le soir ou pendant le week-end, consiste à consommer une 6 - Karila et al. (2009), « Le binge drinking chez les jeunes ».
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grande quantité d’alcool dans un temps limité, inférieur à deux heures. Cette définition est adaptée au sexe avec au moins quatre verres standard chez les femmes et cinq chez les hommes (voir définition détaillée ci-dessus). Il n’existe pas de traduction précise du binge drinking en langue française. On pourrait parler de biture express, de beuverie express, de murge rapide, de cuite, de blinde… Ce mode de consommation provoque une alcoolémie de plus de 0,8g/l. Quelle que soit la quantité nécessaire, seule l’ivresse massive (« défonce ») est recherchée par les adolescents ou les jeunes adultes ne buvant pas quotidiennement mais consommant beaucoup par occasion. Le binge drinking a lieu la plupart du temps lors de fêtes privées ou publiques. Récemment, le réseau social Facebook a pu être à l’origine d’épisodes de ce type lors d’apéros géants organisés sur la voie publique. Il en est de même pour les soirées skins (alcool et autres drogues, sexe, petits films avec smartphones…), les soirées d’intégration dans différents types d’école ou de faculté, les pseudo-bizutages. De nos jours interdit, le bizutage était une coutume dans les milieux étudiants qui existait déjà dans l’Antiquité en Grèce et que l’on retrouve depuis le Moyen Age en Europe. On la retrouve aussi en Afrique du Nord. Les alcoolisations étaient déjà présentes. Au 16e siècle, il était obligatoire de s’alcooliser pour obtenir le diplôme. Des alcoolisations compulsives ont été rapportées ainsi que de nombreux accidents liés à l’alcool dès le début du 19e siècle. Le rôle de l’alcool dans les grandes écoles est particulièrement important. La consommation fait partie intrinsèque des rapports sociaux qui se tissent entre les étudiants. L’intensité de la compétition scolaire, la pression parentale et du corps enseignant expliquent que ces jeunes vivent leurs années d’étudiant comme une véritable épreuve où toute leur existence est 34
tendue vers l’objectif de la réussite aux examens et aux concours. L’alcool peut jouer un rôle important d’instrument de rapprochement des individus et de réaffirmation des valeurs de la communauté. Industrie alcoolière L’industrie alcoolière joue également un rôle dans le phénomène de binge drinking. Elle développe, entre autres, des produits alcoolisés adaptés aux jeunes avec les premix, les ready to drink, les alcopops. Il s’agit de boissons faiblement alcoolisées avec soit des mélanges fruits/alcool (blanc, vin), soit des mélanges bière/alcools forts (par exemple, vodka - bière), soit des alcools blancs (vodka, rhum…). Les noms utilisés sont exotiques (Desperado, Téquila, Soho, Malibu…) ou plus branchés comme Two Dogs, Seagram’s Coolers, Wild Turkey Cola ou les champagne Pop (petites bouteilles à boire à la paille). Le goût de ces boissons (sucré, léger, fruité…) et la faible teneur en alcool sont étudiés afin que l’ivresse ne se ressente pas immédiatement. Le packaging compte énormément avec une production sophistiquée, moderne ou « collector » de bouteilles ou de cannettes. Le côté fun de l’emballage avec des noms ciblés n’est pas sans laisser indifférent le jeune consommateur : Boomerang, Delirium Tremens (forme grave de syndrome de sevrage en alcool chez l’alcoolodépendant), Bacardi Breezzer, Masaï, Oko. Le prix bon marché de ces boissons explique aussi ces consommations accrues7. De nos jours, Internet joue un rôle capital dans les opérations marketing avec la diffusion de publicités, de films promotionnels, de newsletters, avec les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) et la constitution de groupes ciblés, l’organisation de concours, l’envoi de bons de réduction virtuels ou valables dans certains 7 - Karila (2010), « Alcoolisme - Idées Reçues ».
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magasins. Constituer des fichiers très précis de consommateurs, informés par email ou SMS, invités à déguster en priorité de nouveaux produits, est une pratique courante aujourd’hui. Les marques d’alcool peuvent également sponsoriser de manière informelle de grands événements dont la cible principale sont les jeunes, mais également s’intéresser plus particulièrement au public féminin8. Facteurs de risque Les facteurs de risque du binge drinking résultent de la combinaison de facteurs individuels et environnementaux et de la rencontre avec l’alcool9. L’âge moyen de début du binge drinking se situe de nos jours à 12-13 ans. Le fait que le binge drinking touche des adolescents de plus en plus jeunes est un phénomène inquiétant car cela peut être à plus long terme un facteur de risque d’installation d’une conduite addictive chez des sujets vulnérables. La consommation d’alcool sans limite et ponctuelle est maximale entre 15 et 20 ans10 et s’intensifie après le baccalauréat dans un contexte festif11. La tranche d’âge des 18-25 ans représente presque la moitié des binge drinkers12. Environ 33 % des hommes et 15 % des femmes auraient toujours recours au binge drinking à l’âge de 40 ans. Il existe une forte fréquence du binge drinking et des consommations en public chez des adolescents qui disposent de leur propre argent. L’alcool est le plus souvent obtenu en dehors du contexte parental ou familial (pairs, frères ou sœurs plus âgés, adultes non apparentés). L’influence des pairs dans ce type de 8 - Ibid. 9 - Ibid 10 - Kuntsche et al. (2004), « Characteristics of binge drinkers in Europe » 11 - Plant, et al. (2009), « The social consequences of binge drinking: a comparison of young adults in six European countries ». 12 - Ibid.
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comportement est une donnée essentielle car il est perçu comme étant la norme13. L’exclusion scolaire et le chômage chez ces jeunes favorisent ce comportement de binge drinking. Il en est de même pour le passage à l’université, avec les changements de vie occasionnés (appartenance à un groupe, une confrérie, logement sur place, résidence universitaire). La tolérance parentale envers les consommations d’alcool et les premières ivresses des enfants, les habitudes intrafamiliales de consommation, une défaillance dans le domaine éducatif et l’absence de lien familial sont des facteurs environnementaux de risque d’installation du binge drinking14. Il est capital de s’attarder sur l’entourage de ces jeunes, notamment la permissivité des parents qui est souvent néfaste. Particularités cliniques Les personnes extraverties auraient plus souvent recours à ce type de comportement d’alcoolisation. Ces usagers recherchent des sensations fortes, des expériences nouvelles, des frissons, l’amusement, la désinhibition mais n’utilisent en aucun cas l’alcool comme un anxiolytique, un hypnotique ou un antidépresseur dans un but d’automédication. Ceci marque clairement une différence par rapport aux populations de sujets jeunes alcoolodépendants connus jusqu’à présent, chez lesquels on trouvait des comorbidités psychiatriques comme une dépression, des tentatives de suicide, un trouble anxieux, des états limites ou une personnalité antisociale15.
13 - Bellis et al. (2007), « Sexual uses of alcohol and drugs and the associated health risks: a cross sectional study of young people in nine European cities ». 14 - Zarzar et al. (2012), « Association between binge drinking, type of friends and gender: a cross-sectional study among Brazilian adolescents ». 15 - Karila et al. (2009), op. cit.
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Consommations associées De nombreuses consommations associées de substances psychoactives existent et sont un risque d’installation secondaire d’une conduite addictive. Le tabac reste la substance la plus fréquemment consommée, tout particulièrement chez les hommes16. Le cannabis est de loin la substance illicite la plus utilisée lors de soirées17. Cependant, elle concernerait seulement une minorité de binge drinkers qui consommerait isolément, à l’écart de la soirée. Les consommations de cocaïne et d’ecstasy restent occasionnelles mais doivent être prises en compte18.
2. Conséquences
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Le binge drinking a un effet neurotoxique19. L’adolescence est une période de maturation cérébrale au même titre que la maturation physique ou psychologique. L’alcool consommé de manière importante, répétée sur un temps court, serait à l’origine d’une altération de l’expression de gènes codants pour certains neurotransmetteurs, d’une réduction des volumes de la partie ventrale du striatum, des bulbes olfactifs, d’une réduction de la densité des neurones cholinergiques. Il en résulterait un déficit d’apprentissage à l’âge adulte20. 16 - Beck et al. (2011), « Increasing trends in screening for addictive behaviors among general practitioners in France ». 17 - Ibid. 18 - Petit et al. (2009), op. cit. 19 - Silveri (2012), « Adolescent brain development and underage drinking in the United States: identifying risks of alcohol use in college populations ». 20 - McQueeny et al. (2010), « A preliminary study of functional magnetic resonance imaging response during verbal encoding among adolescent binge drinkers »; Schweinsburg et al. (2011), « Neural correlates of verbal learning in adolescent alcohol and marijuana users » ; Squeglia et al. (2011), « Adolescent binge drinking linked to abnormal spatial working memory brain activation: differential gender effects ».
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Une altération des performances neurocognitives, des structures cérébrales (matière grise et blanche) et de l’activation cérébrale fonctionnelle est constatée chez les binge drinkers en comparaison à des sujets non consommateurs. De telles anomalies sont également retrouvées chez les adolescents ayant une histoire familiale de troubles liés à l’usage d’alcool. Ces différences de neuromaturation dans ces populations sont un facteur de risque important de développer un trouble addictif alcoolique ou lié à une drogue 21. L’installation chronique du binge drinking serait également un facteur prédictif d’alcoolodépendance à l’âge adulte. Cependant, tous les adeptes du binge drinking n’entrent pas pour autant dans l’alcoolisme. Lors de leur passage à la vie active, lorsqu’ils fondent une famille, la plupart de ces jeunes abandonnent cette manière de consommer et deviennent des adultes responsables22. Il existe des conséquences physiques du binge drinking. Il s’agit de la modification de l’activité électrique cérébrale chez les binge drinkers les plus sévères (consommation de plus de 10 verres lors d’occasions ponctuelles) avec des crises convulsives23, mais aussi de vertiges, de malaises, de traumatismes, de coma24. Le binge drinking est un facteur de risque d’athérosclérose25, qui peut aggraver la survenue d’une pancréatite aiguë26 et être à l’origine d’un infarctus du myocarde27. Sur le plan psychiatrique, il n’existe pas de liens entre Squeglia et al. (2012), « Binge drinking differentially affects adolescent male and female brain morphometry ». 21 - Bava et Tapert (2010), « Adolescent brain development and the risk of alcohol and other drug problems ». 22 - Karila et al. (2009), op. cit. 23 -Courtney et Polich (2010), « Binge drinking effects on EEG in young adult humans ». 24 -Karila et al. (2009), op. cit. 25 - Pletcher et al. (2005), « Alcohol consumption, binge drinking, and early coronary calcification: findings from the Coronary Artery Risk Development in Young Adults (CARDIA) Study ». 26 - Deng et al. (2010), « Binge drinking aggravates the outcomes of first-attack severe acute pancreatitis ». 27 - Pletcher et al. (2005), op. cit.
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le binge drinking et la dépression. Cependant, il faut rechercher sa présence concomitante. Différents travaux montrent une association positive entre le binge drinking fréquent, le trouble anxieux généralisé28 et les troubles du comportement alimentaire (connus sous le nom d’alcoolorexie)29. Au niveau sociétal, la consommation importante d’alcool peut être à l’origine d’accidents sur la voie publique, d’agressions sexuelles, de grossesses non désirées30, de violences, de fléchissement scolaire et parfois du décès de certains étudiants.
3. Quelques pistes pour une prise en charge
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De l’analyse de la littérature médicale, les principaux points entrant dans la prise en charge sont les suivants : • Nécessité du repérage précoce31 • Poser systématiquement la question de la consommation de l’alcool et des autres drogues aux jeunes vus en consultation • Evaluer la situation à partir des complications (accident sur la voie publique, conduites sexuelles…) • Informer des risques encourus • Développer des campagnes périodiques de prévention en utilisant Internet, les techniques 2.0 32 et les réseaux sociaux 28 - Cranford et al. (2009), « Substance use behaviors, mental health problems, and use of mental health services in a probability sample of college students ». 29 - Barry et Piazza-Gardner (2012), « Drunkorexia: understanding the co-occurrence of alcohol consumption and eating/exercise weight management behaviors ». 30 - Bellis et al. (2008), « Sexual uses of alcohol and drugs and the associated health risks: a cross sectional study of young people in nine European cities ». 31 - voir la pratique de Kingston upon Thames ci-après. 32 - Macmaster S. et al. (2012), « The use of computer technology to reduce and prevent college drinking ».
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Le travail de prise en charge doit intégrer le médecin traitant (acteur de première ligne), des spécialistes de la prévention, les acteurs de la politique de santé, l’équipe scolaire et la famille. De plus, il existe des approches pharmacologiques du binge drinking33. Sur le plan psychothérapeutique, l’efficacité des interventions motivationnelles brèves a été montrée dans la réduction de la consommation d’alcool34. L’ajout d’un suivi téléphonique post interventionnel sur 10 jours renforcerait ce qui est acquis 35. Les programmes de thérapie cognitive et comportementale brève sont une autre option d’aide thérapeutique36.
« Protocole pour une intervention précoce » KINGSTON UPON THAMES
Problématique D’après les données publiées en 2007 par l’Observatoire de Santé publique du NordOuest, dans la région de Londres, Kingston upon Thames avait le troisième taux le plus important d’admissions à l’hôpital de jeunes de moins de 18 ans, pour des problèmes uniquement liés à l’alcool. De plus, d’après une étude réalisée sur un an, concernant les appels d’urgence auprès des ambulances de Londres
33 -Karila et al. (2011), op. cit. 34 - Chermack et al. (2012), « Brief motivational interviewing intervention for peer violence and alcohol use in teens: one-year follow-up ». 35 - Bernstein et al. (2010), « A brief motivational interview in a pediatric emergency department, plus 10-day telephone follow-up, increases attempts to quit drinking among youths and young adults who screen positive for problematic drinking ». 36 - McCarthy et O’Sullivan (2010), « Efficacy of a brief cognitive behavioral therapy program to reduce excessive drinking behavior among new recruits entering the Irish Navy: a pilot evaluation ».
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pour des incidents liés à l’alcool, 30% d’entre eux concernaient des jeunes âgés entre 18 et 25 ans. Objectifs Deux objectifs ont été identifiés comme prioritaires : le premier était de réduire les conduites à risque chez les jeunes liées à la consommation abusive de certaines substances ; le second était de réaliser une identification et une intervention précoces. Activités Ce projet sur trois ans est appuyé par un plan d’action annuel et fonctionne selon un protocole de travail signé entre le service des Urgences de l’Hôpital de Kingston upon Thames et le Service Jeunesse dédié aux abus de substances, géré par l’autorité locale. Lorsqu’un jeune se présente aux urgences avec des blessures liées à la consommation d’alcool ou de drogue, un des membres de l’équipe médicale, avec l’accord de ce jeune et/ ou d’un parent s’il est mineur, envoie par fax au Service Jeunesse un formulaire standard contenant des précisions sur l’incident. Le Service Jeunesse va ensuite effectuer un suivi téléphonique pour informer et conseiller le jeune, tout en effectuant un enquête préliminaire pour clarifier les circonstances de l’incident et savoir s’il a d’autres besoins et/ ou s’il a un historique de comportements à risque. Si la situation est jugée préoccupante, le jeune est invité à rencontrer un des membres de l’équipe pour une évaluation plus détaillée de ses besoins. L’évaluation permet ensuite de déterminer si des mesures supplémentaires sont nécessaires (traitement avec un spécialiste ou brève intervention des services de protection de la jeunesse…). 42
Chapitre II >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
Pour un espace public plus sรปr et une consommation responsable >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
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Des espaces publics plus sûrs : les initiatives de dix villes européennes
>>>>>>>>>>>>>> Phil Hadfield Chercheur, Université de Leeds Les sociétés européennes connaissent des expériences de plus en plus similaires en ce qui concerne l’évolution de leurs économies nocturnes et des pratiques de consommation d’alcool par les jeunes. Elles partagent par ailleurs les mêmes inquiétudes quant à la nécessité d’équilibrer les indicateurs de qualité de vie que sont l’animation urbaine, la tranquillité résidentielle et la prospérité économique d’une part, et les indicateurs de la sécurité communautaire, de la santé publique et de la gestion de la sécurité, d’autre part. De plus, les expériences des dix villes européennes participant au projet SDS reflètent celles constatées partout ailleurs dans le monde37. Si la « question de l’alcool » fait référence aux aspects historico-culturels nationaux et régionaux ainsi qu’aux facteurs socio-économiques, c’est à bien des égards au niveau local et individuel qu’une meilleure compréhension peut être acquise et que des réponses efficaces peuvent être développées. Le processus de recherche du projet SDS a été enrichissant car il a offert l’opportunité d’examiner en détail les problématiques et interventions des villes ainsi que le contexte européen.
37 - Hadfield (2009), « Nightlife and Crime: Social Order and Governance in International Perspective ».
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Les visites des dix villes ainsi que les discussions auxquelles elles ont donné lieu ont permis aux coordinateurs du projet SDS de rédiger des rapports d’études de cas, en s’appuyant sur des sources documentaires ainsi que sur les procès verbaux des visites d’études. Ces rapports explorent comment les services de santé, de maintien de l’ordre ainsi que les services réglementaires et sociaux répondent aux problèmes locaux, dans chaque ville. Un très faible nombre, voire aucune, des initiatives locales rapportées à l’équipe du projet SDS ont été testées par rapport à la norme scientifique d’excellence, à savoir l’essai randomisé contrôlé (ERC). L’évaluation au niveau de la ville se concentrait plutôt sur des corrélations statistiques, des comparaisons simples entre la situation avant et après, ainsi que sur les informations données par les intervenants de terrain. En ce qui concerne au moins la gestion des espaces publics, l’absence d’évaluation scientifique solide signifie que l’établissement de la preuve, nécessaire pour prévoir l’efficacité et garantir la transférabilité, ne peut être assuré sur la base des connaissances actuelles des villes partenaires. Ainsi, les exemples sont présentés comme des « solutions prometteuses » (dans certaines circonstances) et non comme des affirmations ambitieuses de « ce qui fonctionne » de façon plus générale. En dépit de ces obstacles, l’absence d’évaluation locale par rapport à des normes scientifiques ne peut constituer une excuse à l’inaction ou au manque d’idées nouvelles. Il est possible d’agir sur différents paramètres, par exemple augmenter le prix de vente de l’alcool, réduire le nombre de points de vente, limiter les heures de vente, abaisser le taux légal d’alcool dans le sang autorisé pour conduire, identifier les personnes ayant une consommation problématique d’alcool et les suivre par le biais de programmes de conseil courts, dont le succès est avéré. Tous ces domaines d’action 45
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s’appuient sur un corpus de recherches et d’évaluations à l’échelle internationale. Il s’agit sans aucun doute de bons points de départ. Mais au-delà, il convient d’examiner les approches mentionnées dans la littérature grise et dans un petit nombre d’études approuvées par les pairs. L’une de ces approches consiste à encadrer davantage les pratiques des personnes servant de l’alcool (garçons, barmen...), notamment grâce à un système de sanctions flexibles et progressives. Un autre domaine d’intervention concerne l’infrastructure qui entoure l’économie de la nuit : des transports publics efficaces et sûrs ; des programmes de manifestations culturelles pour animer la vie de la rue et augmenter la mixité sociale ; l’amélioration de l’éclairage public ; des services de contacts rapprochés avec les jeunes et des services de santé d’urgence réactifs ; une forte visibilité des services de maintien de l’ordre, assurée par divers acteurs du secteur public, du secteur privé et du secteur communautaire, afin d’accroître l’efficacité de leur présence. Comme le montrent les points suivants, ces approches, combinées avec de nombreuses autres, semblent produire des lieux de consommation d’alcool plus sûrs dans les espaces publics de dix villes européennes très différentes les unes des autres.
1. Densité de l’activité nocturne
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Les problèmes surviennent le plus souvent dans les zones où il existe une importante activité nocturne. Ce phénomène est généralement le résultat d’une très forte concentration géographique des lieux de sortie nocturne. Dans d’autres cas, la densité d’activité est liée à l’accueil de grandes manifestations et fêtes en 46
extérieur (Stuttgart, Rotterdam, Brest), ou peut-être à une culture ou une tradition de rassemblements spontanés, certains soirs de la semaine, dans des lieux en plein air tels que des promenades, plages ou places. C’est notamment le cas pour les villes universitaires (La Rochelle, Brest) et cela dépend souvent de la saison et de la météo. Ces rassemblements spontanés se sont multipliés ces dernières années avec l’explosion des smart phones et des média sociaux (Brest, La Rochelle). Les jeunes ont toujours été, et restent, attirés par les quartiers très animés et c’est là qu’ils fréquentent les bars et clubs, se déplacent d’un lieu à l’autre, ou se regroupent dans la rue près des bars et clubs. Les plus jeunes, en particulier, n’ont peut-être pas encore l’âge légal ou n’ont peut-être pas assez d’argent pour avoir accès à ces lieux. Mais ils aiment être là pour participer à l’atmosphère de fête et se sentir « adultes ». L’utilisation des places publiques pour ces rassemblements spontanés reflète souvent l’identité de ces lieux ainsi que la fonction qui leur est attribuée en tant que lieux de réunion et points de rassemblement. Les problèmes résident dans l’établissement, la transmission et l’application de limites acceptables et tolérées à la liberté d’expression, lesquelles n’entravent pas ni ne mettent en danger le droit d’autres citoyens d’accéder à ces lieux publics. Accès à l’alcool bon marché et lieux de consommation d’alcool non supervisés La différence de prix entre l’alcool acheté en magasins et supermarchés et celui acheté dans les cafés, bars, discothèques et autres débits de boisson a été mentionnée par plusieurs villes (La Rochelle, Reggio Emilia, Brest, Bordeaux). Ce facteur est associé au développement du pre-loading (ou « pré-chargement », une pratique qui consiste à boire en grande quantité avant d’entrer dans un établissement de nuit) chez soi, dans des lieux publics ou dans les transports en 47
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commun vers et en dehors de la ville. Il a été souligné que le pre-loading donne lieu à des problèmes d’ordre et de santé publics et que cette pratique est à l’origine de la grande proportion d’alcool consommée sur les lieux publics. Ce type de consommation d’alcool est très risqué car il n’est pas supervisé. Il n’y a aucune protection comme celle que peuvent apporter les serveurs de bars qui ont reçu une formation à propos de leur responsabilité. Par exemple, les alcools forts consommés dans des espaces publics sont versés librement, ou bus directement à la bouteille, plutôt que mesurés par un barman. De plus, il n’existe aucune obligation de soin de la part des organisateurs de la manifestation ou du personnel de sécurité, comme c’est le cas dans les débits de boissons contrôlés. Le tarif des boissons non alcoolisées dans les bars a également été mentionné. Le prix élevé des boissons gazeuses n’incite pas à choisir l’option non alcoolisée. L’une des propositions actuellement à l’étude au Royaume-Uni consiste à amener les fabricants de boissons à développer volontairement des produits à faible teneur en alcool, dans l’objectif de réduire les niveaux néfastes de consommation d’alcool 38. Cette proposition illustre bien les liens importants qui existent entre les initiatives locales en matière d’alcool et celles impliquant des acteurs nationaux et internationaux au sein d’organes gouvernementaux et de l’industrie. Les directives de santé publique sur la consommation non dangereuse d’alcool, publiées par les gouvernements allemand et britannique, constituent un exemple de stratégie gouvernementale qui peuvent aider les autorités municipales. L’introduction d’un prix minimum par unité d’alcool constitue une autre mesure, étudiée celle-ci par les gouvernements écossais, anglais et gallois. Il s’agit dans ce cas de refléter dans le système de taxation le risque posé sur la santé par les produits à forte teneur en alcool vendus à 38 - Portman Group (2012), « Code of Practice for the Responsible Naming, Packaging and Promotion of Alcoholic Drinks ».
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petits prix dans les supermarchés et d’essayer de réduire la consommation globale d’alcool parmi la population grâce à des mécanismes de tarification. Ainsi les promotions irresponsables offertes sur le prix de l’alcool (« happy hours ») ont été interdites à Kingston grâce aux procédures nationales obligatoires d’octroi de licence, alors qu’un accord local entre la police et les propriétaires de bars a été mis en place dans le quartier du vieux port à Rotterdam. En France, les pratiques d’open bar, notamment lors de soirées étudiantes, ont été interdites par la loi en 2009.
2. Actions coordonnées de soutien
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Planifier les temps et les espaces de consommation De nombreuses manifestations, même celles spontanées/non organisées, pourraient être prévues et planifiées à l’avance, telles celles organisées pour les étudiants de première année ou pendant les périodes de remise de diplôme et de résultats d’examens, qui font souvent partie du calendrier annuel local. Des mesures pour prévenir et minimiser les troubles éventuels pourraient être organisées en coopération avec les universités et les associations d’étudiants ainsi que les divers prestataires de services, par exemple des campagnes médiatiques pour une « consommation responsable d’alcool », en coordination avec les organisateurs des fêtes étudiantes. On peut aussi prévoir une présence visible sur les lieux de ces manifestations, avec du personnel formé (travailleurs sociaux, médiateurs, infirmiers, fonctionnaires de police, gardiens de la paix) et des volontaires pour apporter de l’aide et des conseils (comme c’est le cas à Brest, La Rochelle, Nantes et Liège). 49
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On peut également mettre en place des mesures similaires, en planifiant l’intervention de spécialistes tout au long de l’année dans les quartiers de vie nocturne. Il est important de noter qu’en raison de la crise économique, la consommation de boissons dans les bars et les clubs est moins accessible pour les jeunes. Une des villes partenaires du projet a identifié trois types de manifestation spontanée ou peu organisée qui peuvent être difficiles à gérer pour les autorités municipales : les rassemblements d’étudiants dans un quartier spécifique, les grandes manifestations en extérieur organisées via Facebook (« apéro géants »), et les soirées en plein air à la fin des examens du baccalauréat. Une grande partie des jeunes qui se rassemblent dans ces lieux publics n’ont peut-être pas l’âge légal pour entrer dans des bars ou clubs et acheter de l’alcool. Ils apprennent donc à boire et gérer leur consommation d’alcool entre pairs, en dehors des limites imposées par les adultes de leur famille ou des lieux de consommation. Des accidents tragiques se sont produits à Bordeaux, Nantes, Kingston et Rotterdam, où des jeunes en état d’ébriété sont tombés dans la rivière ou le fleuve local et d’autres dans la mer. Ces événements ont alerté les services d’urgence (y compris les sapeurs-pompiers et la police fluviale) et les services logistiques plus informels sur la nécessité d’envisager des mesures de précaution spécifiquement destinées aux jeunes buveurs. Présence humaine / équipes de rue Le principe de base d’une participation à des activités de sécurité, au sens large, par des personnes autres que la police est très populaire dans les dix villes. Il consiste à augmenter le nombre d’adultes présents, en plus des garçons de café et barmen, des agents de sécurité et de la police. La meilleure initiative de ce genre combine une « base » visible installée dans la rue, des patrouilles à pied régulières et un accès rapide aux vé50
hicules de secours, ambulances, etc. Il est important que ces activités de sécurité soient dissociées du maintien de l’ordre public, plus autoritaire, exercé par la police et que le personnel présent sur le terrain soit capable de gagner la confiance et le respect des jeunes en leur apportant assistance sans préjugés, qui évite l’incrimination ou la stigmatisation. Ces acteurs sont d’ailleurs souvent considérés comme des médiateurs. Les villes de Brest, La Rochelle et Liège ont indiqué que le début de soirée constituait une bonne occasion pour diffuser des messages de prévention dans la rue. Plus tard dans la soirée, lorsque l’état d’ébriété des jeunes est plus avancé, l’accent est davantage mis sur la réduction des troubles plutôt que sur la prévention. A Brest par exemple, ces interventions tard dans la nuit peuvent inclure la distribution de bouteilles d’eau, de biscuits et de bandes fluorescentes. Si l’on retrouve plusieurs variantes de ces initiatives de sécurisation « en douceur » dans les villes participant au projet SDS, le besoin urgent de mieux former et d’orienter les agents de terrain a été néanmoins expressément mentionné. Il serait peut-être également bon de mettre en place un système de licences et de réglementations qui pourrait être développé par le partage des bonnes pratiques entre les villes et communes. Cela constituerait un autre exemple de travail « intelligent », dans la mesure où les expériences venant d’Australie et du Royaume-Uni ont démontré que les initiatives de sécurisation nocturne assurées par des tiers sont plus rentables et qu’elles permettent d’économiser les ressources humaines de la police et des services de soins d’urgence (ambulances et hôpitaux).
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3. Réglementations officielles et pénalités
>>>>>>>>>>>>>>> Plusieurs villes ont évoqué les ressources en personnel de police et la planification tactique. On considère souvent que l’économie nocturne épuise les maigres ressources de la police et qu’elle la détourne d’autres affaires et que de ce fait, elle a un impact sur les services de police de l’ensemble de la communauté. En effet, dans certaines villes, les patrouilles de police ont dû être réorganisées pour couvrir la période nocturne (La Rochelle et Nantes) ; dans d’autres, il a fallu créer des équipes de police spécialisées (Rotterdam, Bordeaux) ; un certain nombre de villes ont mis en place des protocoles de coordination et de secours d’urgence entre les différents services de police (La Rochelle, Brest, Nantes). La réglementation peut être classée en trois catégories selon qu’elle a trait à l’établissement, le lieu, ou l’individu. La réglementation qui affecte l’établissement Cette forme de réglementation peut inclure une limitation sur l’offre d’alcool par des contrôles du nombre de débits de boisson et de leurs horaires de vente. La Rochelle limite désormais l’heure d’ouverture des bars à 2h du matin, en raison de l’effet cumulatif lié à la concentration des établissements. Reggio Emilia et Brest ont réduit les horaires de vente d’alcool à emporter dans les magasins. Ces règlementations ont pour but de restreindre la quantité d’alcool disponible sur les lieux publics, le soir ou la nuit. Par ailleurs, la non prévention d’un délit par un exploitant de club ou de bar peut entraîner une mesure réglementaire, obligeant ce dernier à réduire les heures de vente de son établissement, ou même à le fermer (Bordeaux, La Rochelle, Kingston). Toutes les villes imposent des 52
amendes aux débits de boisson sous licence pour non respect de la législation liée à la vente de boissons – par exemple les ventes aux mineurs, découvertes par l’intermédiaire d’achats de contrôle et d’autres opérations d’infiltration. Bordeaux a mis en place une « patrouille hibou ». Il s’agit d’une équipe de la police municipale qui mène chaque année jusqu’à 300 visites d’inspection dans les établissements sous licence de la ville. Ce type de mesure peut également affecter les magasins et quartiers situés en dehors du centre ville. A Kingston, la police conduit une « évaluation des risques » de tout promoteur externe souhaitant organiser une fête dans l’une des discothèques de la ville. Les procédures officielles d’application de la loi ne sont cependant pas, dans la plupart des cas, le premier type d’action. La police ou d’autres autorités peuvent dans un premier temps travailler avec le distributeur d’alcool afin de convenir d’un plan d’action permettant de garantir le respect de la loi et/ou de renforcer la sécurité et la sûreté. En Angleterre, Kingston utilise la législation pour renforcer ce travail par une série de sanctions progressives, y compris la possibilité d’appliquer des conditions d’octroi à la licence de l’établissement et de réaliser un examen plus approfondi de la licence. Un examen de licence, par exemple dans le cas d’une discothèque, peut passer en revue des points tels que la prévention de la nuisance sonore, l’obligation de fermer les portes (heure limite d’entrée), les politiques de dispersion des personnes présentes dans l’établissement ainsi que le nombre de caméras de surveillance et d’agents de sécurité qui doivent être déployés. Dans certaines villes, les établissements sont encouragés à adhérer volontairement à une charte (La Rochelle, Nantes) ou à un « plan d’action local » relatif à la vie nocturne du quartier (Rotterdam et Anvers).
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« Plan d’action Alcool » ROTTERDAM
Problématique La consommation d’alcool chez les populations jeunes peut, à court terme, provoquer une intoxication aiguë ou des dommages irréversibles sur le cerveau, qui à cet âge est toujours en plein développement. Les jeunes de moins de 16 ans supportent beaucoup moins bien l’alcool que les adultes : une quantité donnée d’alcool ne constitue pas forcément un danger pour les adultes, alors que c’en est un pour les mineurs. Objectifs Eviter ou réduire la consommation d’alcool chez les moins de 16 ans et éviter ou réduire la consommation excessive ou en grande quantité d’alcool chez les jeunes de 16 ans et plus. Activités Les activités s’organisent autour de trois axes : • Prévention et information : organisation d’activités sans alcool, comme les « FRIS-feesten » (fêtes sans alcool). Des contrôles par surprise des stocks de boissons dans les fêtes d’école sont effectués et les parents sont encouragés à s’assurer que les jeunes ne boivent pas avant d’y aller. Les projets « En sécurité à l’école » et « Une école saine » visent à éduquer les groupes cibles directs (jeunes étudiants) et leur entourage (professeurs, parents). • Surveillance et mise en application : des éthylotest sont proposés de façon volontaire à l’entrée d’établissements ayant une licence de débit de boisson ainsi que dans les transports 54
publics. Si au cours des campagnes de contrôle, des jeunes de moins de 16 ans sont sérieusement ivres, leurs parents sont contactés. Une équipe spéciale (« Horecare », qui fait référence au secteur HORECA hôtellerie, restauration, café) est déployée par la police dans le centre-ville lors des soirées animées au cours de la semaine. • Soutien et aide : l’une des nouvelles solutions de soutien, très accessible et qui a prouvé son efficacité, est l’aide anonyme et individualisée sur internet, qui propose une grande variété de programmes de web-consultation. NB : les villes de Nantes et Bordeaux notamment mènent également des actions dans le cadre d’un plan alcool global.
Ces accords sont nécessairement des activités de partenariat, qui requièrent une étroite participation des exploitants de bars et de clubs. Ils peuvent par exemple comprendre la nomination d’un comité de suivi, la mise en place d’un programme et d’un calendrier d’actions locales, l’allocation d’un financement et de ressources humaines, ainsi que l’établissement des objectifs à atteindre. La réglementation en fonction du lieu La réglementation en fonction du lieu a pour objectif principal d’encadrer les pratiques acceptables des participants aux soirées et des distributeurs d’alcool, dans un lieu géographique donné. L’objectif est d’éviter le scénario du pire, c’est-à-dire une situation où la foule devient difficile à contrôler et où il est nécessaire d’avoir recours aux forces de l’ordre. Cela a été le cas dans certaines villes partenaires du projet, qui ont fait 55
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part de situations où la police a utilisé des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène pour disperser la foule lors de soirées étudiantes. Ces interventions se sont soldées dans deux cas par une émeute sans précédent. Au-delà des dérapages potentiels, ces contrôles en fonction du lieu posent aussi le risque de déplacer les problèmes plutôt que de les éliminer. C’est ce qui s’est produit à Stuttgart, où pendant la Volksfest, il était interdit d’apporter des boissons alcoolisées, ce qui a amené les fêtards à se rendre dans d’autres lieux proches, comme par exemple la gare située à 100 mètres, pour surconsommer avant de pénétrer dans l’enceinte du festival. Par ailleurs, dans la plupart des villes les lieux de consommation d’alcool sont par nature fortement concentrés à des moments et dans des lieux spécifiques, qui sont historiquement des lieux de rencontre. Dans les grandes villes, chaque lieu attire un public spécifique, avec des profils différents. Ce facteur peut être utilisé pour planifier et cibler les interventions et peut contribuer à réduire les déplacements géographiques. Les « zones de consommation contrôlée », où la consommation d’alcool dans les lieux publics est interdite par la loi, constituent un outil apprécié de maintien de l’ordre (Nantes, La Rochelle, Kingston, Bordeaux). La violation de cette interdiction conduit généralement à une amende pour le buveur et à la confiscation de son alcool. Dans la pratique, l’interdiction est appliquée en tenant compte de la situation : une famille buvant un verre de vin dans un parc à l’occasion d’un pique-nique, par exemple, ne sera probablement pas verbalisée. Des politiques de définition de zones sont également employées pour contrôler les endroits où le nombre de points de vente d’alcool est considéré comme ayant atteint un niveau de saturation. Au-delà d’un certain seuil, l’ouverture de nouveaux points de vente et/ou la 56
prolongation de leurs heures d’ouverture tard dans la nuit est considérée nuisible à la qualité de vie (Rotterdam). La délimitation de ces zones peut résulter de facteurs liés à la criminalité, aux troubles à l’ordre public, de nuisances, d’inquiétudes quant à la sécurité publique, ou de la combinaison de plusieurs facteurs. La réglementation en fonction de l’individu Les mesures de maintien de l’ordre comprennent souvent les amendes pour ébriété sur la voie publique. Les ressources policières dont disposent les villes pour verbaliser varient d’une ville à l’autre. Ce n’est pas le fait d’être en état d’ébriété qui attire l’attention de la police mais plutôt le fait que cet état soit jugé comme susceptible de nuire à la tranquillité, de provoquer des dégâts ou du bruit et d’inquiéter les passants. Aucune des villes partenaires du projet ne considère la « tolérance zéro » vis-à-vis des incivilités mineures comme appropriée. Il convient en effet d’accorder un certain degré de latitude. Tous les pays disposent de lois interdisant la vente d’alcool aux mineurs, avec des variations sur l’âge légal. L’exigence qui est faite au personnel des débits de boisson de demander une « preuve d’âge » aux jeunes consommateurs est plus ou moins officielle et plus ou moins appliquée. A Stuttgart, un projet ciblant les jeunes de 14 à 21 ans, coupables d’un délit lié à la consommation d’alcool, permet aux parents de choisir entre deux solutions : soit leur enfant est dirigé vers un programme de prévention de la toxicomanie et de réhabilitation, soit il reçoit une sanction pénale. En France, l’amende pour ivresse publique et manifeste (IPM) s’élève à 135 euros. Après examen médical à l’hôpital, la personne est conduite en cellule de dégrisement au commissariat de police. Cette procédure pèse très lourd sur les ressources policières dans un contexte où la police nationale fait face à des réduc57
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tions d’effectifs. Dans de nombreuses villes, une part croissante de l’opinion publique demande le déploiement de la police municipale pour régler des délits et troubles de l’ordre public liés à la consommation d’alcool. En France cependant, ce sont des missions qui relèvent officiellement de la police nationale. Ceci montre le dilemme qui existe entre la demande accrue du public pour un renforcement des ressources policières et l’impératif de réduction de ces ressources pour des raisons politiques et économiques, aux niveaux national et international. Une solution consiste à renforcer le partenariat entre la police nationale et la police municipale. Cette considération peut également s’appliquer à l’Italie, où les forces de police sont également divisées entre forces nationales et municipales. Afin de prévenir la récidive et d’éviter le « glissement » géographique, les villes s’efforcent aussi de travailler avec les jeunes dans le but de modifier ou de détourner leur comportement vers des activités plus positives. Ce processus de prévention « communautaire » ou sociale est populaire à Anvers, Reggio Emilia, Kingston, Rotterdam et Stuttgart. A Kingston par exemple, il existe un centre pour les jeunes où ceux-ci peuvent se rencontrer, échanger et avoir accès à l’aide des éducateurs ou animateurs. Il est situé dans une zone résidentielle (relativement défavorisée) et non dans le centre-ville. Il est notamment équipé de tables de billard, d’un bar servant des boissons non alcoolisées, d’un studio d’enregistrement, d’installations sportives et d’un simulateur de conduite en état d’ivresse. Un conseiller spécialisé en alcoolisme, toxicomanie et sexualité est aussi présent pour recevoir les jeunes qui le souhaitent. La ville de Reggio Emilia a présenté une initiative de bar sans alcool ouvert à tous, Cafè Reggio. Même si une évaluation approfondie dans la durée est requise pour s’assurer du retour sur investissement, l’ensemble des participants ont souligné leur intérêt et discuté de la possibilité de transférer cette idée. 58
« Cafè Reggio dans le quartier de la gare » REGGIO EMILIA
Problématique Le quartier de la gare de Reggio Emilia compte environ 70 % d’habitants de provenance étrangère en situation de désavantage social. Dans ce contexte, certains groupes ou personnes utilisaient les parcs et les espaces publics pour se retrouver et consommer de l’alcool. Ceci a amené les citoyens du quartier à se plaindre et a également eu un effet négatif sur l’image du quartier auprès des autres habitants de la ville. Objectifs Les objectifs de ce projet étaient de venir en aide aux personnes qui consomment de l’alcool de façon excessive et d’éviter les conflits entre les voisins et les groupes qui consommaient de l’alcool. De façon plus indirecte, l’amélioration de la situation dans le quartier de la gare pouvait constituer un exemple pour le reste de la ville. Activités Plusieurs activités ont été engagées dans le cadre de ce projet : la création du Cafè Reggio, un lieu de rencontre sans alcool pour tous les habitants du quartier. Les gérants font partie de l’équipe de prévention qui intervient aussi aux alentours du bar. L’établissement propose des activités pour les familles et les enfants. Il permet aussi de contrôler et de surveiller la zone. De plus, une équipe de médiateurs de rue est en contact avec les habitants du quartier et 59
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offre un soutien aux personnes ayant des problèmes d’alcool. Les médiateurs reçoivent des formations périodiques et se retrouvent tous les 15 jours lors des réunions de coordination organisées par la municipalité, qui ont permis de mettre en œuvre des actions de prévention primaire dans le quartier.
Une étude réalisée sur 600 jeunes à Liège a démontré que la fonction sociale des rassemblements est importante. Les jeunes interrogés disent qu’ils n’ont pas forcément envie de boire mais que l’important est de se retrouver et de faire des rencontres. L’idée de canaliser l’énergie et la sociabilité de ces jeunes vers des activités plus productives que le simple fait de « traîner » a été adoptée à Stuttgart, qui a développé un programme d’activités sportives destiné à favoriser la réhabilitation et l’intégration sociale des jeunes. Le problème est que les jeunes considèrent souvent l’alcool comme synonyme de célébration, de relaxation et de retrouvailles entre amis. C’est une tradition culturelle fortement ancrée que les publicitaires ne se privent pas d’exploiter. Une grande partie du travail de rue et d’approche des jeunes décrit plus haut se fonde donc sur une approche non incriminante, qui reconnaît l’importante fonction sociale des rassemblements tout en cherchant à empêcher ou à réduire au maximum les troubles liés à l’alcool. Les approches de ce type sont, à bien des égards, les plus innovantes pour la prévention des délits commis par des adolescents consommateurs d’alcool. Il est cependant plus difficile d’attirer les jeunes adultes de la tranche d’âge légèrement supérieure, 18-25 ans, vers des activités de type communautaire, notamment parce que beaucoup d’entre eux se dé-
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placent dans les centres urbains à partir d’une zone géographique très étendue (Stuttgart). Il serait peutêtre utile de travailler plus étroitement avec les universités et les employeurs pour élaborer un message sur la consommation responsable d’alcool destiné à ces jeunes adultes. A Anvers, les projets Breakline et Quality Nights, menés en coopération avec les bars, les clubs et les organisateurs de festivals, sont centrés sur des campagnes d’information sur la prévention et la réduction des troubles et sur les services de soutien destinés aux jeunes adultes binge drinkers et consommateurs d’autres substances toxiques.
« Projet Breakline de prévention par les pairs » ANVERS
Problématique La consommation de drogues et d’alcool est importante dans les lieux festifs, par un public qui est difficile à atteindre avec des activités de prévention habituelles. L’information donnée par des pairs, de jeunes volontaires ayant le même âge et venant d’un environnement similaire, peut permettre d’aider les jeunes fêtards à être plus vigilants sur leur consommation de drogues et d’alcool. Objectifs Le but du projet Breakline n’est pas d’empêcher les jeunes de consommer mais de les rendre conscients de l’impact des drogues et de l’alcool sur leur santé, et d’agir en connaissance de cause. Du fait que ce projet était mis en œuvre par des pairs, un autre objectif était de collecter des informations sur les substances utilisées, afin de pouvoir adapter les messages de prévention. 61
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Activités En 2012, les volontaires du projet Breakline ont animé des stands de soutien dans neuf festivals. Ils ont également organisé des groupes de travail tout au long de l’année. Le projet fait partie du plan global de la ville d’Anvers sur l’alcool et les drogues. Un autre projet, Quality Nights, a démarré récemment. Il fonctionne grâce à la coopération entre les différentes équipes, qui partagent leurs expériences et connaissances. Au vu des résultats de ces deux programmes, il est envisagé de créer un programme complet de formation pour les pairs. Au-delà des contacts directs qui ont lieu lors des événements festifs, la communication du projet est assurée par un site web et une page Facebook. Il serait intéressant mais très coûteux d’utiliser d’autres « nouveaux medias » de communication comme des vidéos sur Youtube ou des messages envoyés par Bluetooth.
Certaines villes ont également mentionné les problèmes de la consommation d’alcool sur la voie publique et de la mendicité par les sans-abri alcoolodépendants (La Rochelle, Nantes, Rotterdam, Bordeaux). Ceci montre la nécessité d’offrir des abris de nuit ainsi que l’accès à des services d’aide disposant de personnel formé au travail avec les alcoolodépendants (Rotterdam). Il est bien sûr possible d’impliquer également les équipes de travailleurs de rue mises en place initialement pour aider les binge drinkers qui se rendent dans les lieux de fête nocturne. Stuttgart et Kingston utilisent les « ordres d’expulsion » qui interdisent aux délinquants violents l’accès aux discothèques et aux bars situés dans la zone d’activité nocturne. 62
« Les interdictions d’accès aux bars » STUTTGART
Problématique A cause d’une alcoolisation excessive, certaines personnes peuvent se comporter de façon violente. Si elles provoquent des troubles dans un établissement de nuit, elles peuvent en être expulsées par le personnel de l’établissement. Mais Stuttgart comprend de nombreux bars et discothèques et les fauteurs de troubles peuvent aller d’un établissement à l’autre sans être repérés, ce qui complique les efforts de prévention. Objectifs Réduire les comportements violents causés par une alcoolisation excessive et créer une coopération efficace entre la ville, les forces de police et les établissements de nuit. Activités Le projet se base sur un réseau des propriétaires des établissements de nuit et associe la police et les services d’un huissier. Si une personne se comporte de façon violente dans un club ou un bar, un rapport est rédigé et la personne est non seulement bannie de l’établissement où elle a causé des troubles, mais également de tous les autres établissements faisant partie du réseau, pour une durée de deux ans. Cette interdiction a un effet dissuasif même lorsqu’elle n’est pas respectée, car la personne se rendant dans un établissement qui lui a été interdit sait qu’elle doit se comporter de façon respectueuse. Lorsque la réitération des faits 63
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de violence est constatée dans un second établissement, un rapport écrit est rédigé par un huissier et une procédure légale est engagée. L’ensemble des établissements partenaires de cette initiative peuvent coller une affiche « pour une vie nocturne plus sûre » afin de montrer leur engagement dans ce projet, pour une meilleure qualité de la vie nocturne. NB : une initiative similaire existe dans l’ensemble du Royaume-Uni, qui s’intitule « Behave or Be Banned ».
Cependant, la délinquance intentionnelle, telle que les vols qualifiés par des personnes qui se rendent dans les quartiers de vie nocturne non pas pour l’animation mais bien pour cibler les fêtards, n’a été mentionnée par aucun des partenaires même si dans certaines villes, ces quartiers sont le théâtre de trafics de drogue qui demandent une présence policière (La Rochelle, Nantes, Stuttgart). Les délits, troubles et nuisances liés à l’alcool sont de loin le principal motif de préoccupation des dix villes, tout particulièrement dans les zones à forte animation nocturne ainsi que lors des manifestations publiques.
4. Aménagement urbain et intervention des services compétents
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Les caméras de vidéosurveillance sont omniprésentes au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, dans les bars et les clubs ainsi que dans les lieux publics. La situation est très différente dans les autres pays où la tolérance en64
vers la vidéosurveillance et sa mise en pratique varient d’une ville à l’autre. Reggio Emilia a obtenu un financement régional pour l’installation de caméras ainsi qu’une amélioration de l’éclairage et une surveillance policière renforcée sur les places publiques. Cependant, il y a eu des dissensions au sein du projet sur l’acceptabilité de ces caméras. A Kingston, les opérateurs de vidéosurveillance sont reliés par radio à la police et aux agents de sécurité sur le terrain. Certaines villes estiment que la présence de personnes capables d’offrir une « surveillance naturelle » est plus importante que l’utilisation de matériels de surveillance et elles ont, comme décrit ci-dessus, pris des mesures dans ce sens. Il est important de rappeler ici le rôle joué par les résidents dans la surveillance naturelle et le gardiennage des espaces urbains. La Rochelle, en tant que ville touristique et universitaire, a mentionné la difficulté de trouver un équilibre entre les besoins et souhaits de ceux qui veulent dormir et de ceux qui veulent faire la fête. Bordeaux a indiqué que l’interdiction de fumer dans les lieux publics a encouragé l’utilisation des espaces extérieurs autour des établissements, où les clients se rassemblent pour fumer. Ce phénomène exacerbait les nuisances sonores pour les voisins, qui appelaient la police municipale pour imposer aux propriétaires de bars et clubs de gérer plus rigoureusement leurs périmètres extérieurs. La Rochelle travaille avec les propriétaires de bars pour que les clients qui consomment à l’extérieur sur les terrasses et autres espaces ouverts ne gênent pas les résidents en faisant du bruit ou en causant des troubles et aussi pour que les bars respectent la réglementation sur la vente d’alcool aux mineurs et les heures de fermeture. La présence de résidents dans un quartier mixte où se trouvent, outre les bars et clubs, des boutiques ouvertes tard le soir, des attractions culturelles et d’autres services et activités, permet d’améliorer ce que les so65
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ciologues appellent « l’efficacité communautaire », c’est-à-dire la capacité d’une communauté à la résilience, à établir des relations de bon voisinage et à assurer son autoprotection. Si l’économie nocturne occupe un espace sans vie dans le tissu urbain, cette efficacité communautaire a peu de chances de fonctionner. Il en résulte une mono-culture de vie nocturne qui oblige à imposer des contrôles supplémentaires, formels et artificiels, sur le comportement des visiteurs. L’expérience montre que ce type de contrôle est plus difficile à mettre en place parce que les visiteurs pensent qu’ils entrent dans une « zone de plaisir » où les comportements anti-sociaux sont tolérés, voire même encouragés. De nombreuses formes d’urbanisme et d’intervention par les services compétents en matière d’économie nocturne ont été développées pour traiter ce problème spécifique : comment gérer l’ébriété publique dans un contexte où elle est socialement acceptable, lorsqu’elle est difficile, pour des raisons juridiques, à traiter par la réduction de l’offre d’alcool ? On voit ici que les questions de santé et de sécurité publiques rejoignent celles du contrôle de la délinquance et de la gestion urbaine. Stuttgart a été confrontée à des conflits entre résidents et visiteurs au sujet du stationnement illégal et des courses dangereuses de voitures la nuit sur les routes publiques. La sécurité routière est un problème important qui recouvre autant la prévention de la conduite en état d’ébriété que les aménagements urbains qui permettent d’éviter les accidents impliquant des piétons ivres. Partout dans le monde, les villes ont expérimenté diverses formules : barrières qui séparent les trottoirs des voies de circulation, fermeture temporaire de certaines routes la nuit (Bordeaux), systèmes de gestion des feux de circulation spécialement programmés. Accroître la sécurité et l’offre des transports publics nocturnes (Nantes, Bordeaux, Kingston) ainsi 66
que veiller à ce que la rue soit propre et bien éclairée constituent d’autres mesures pouvant être mises en place par les partenariats locaux (La Rochelle). Il est particulièrement important d’enlever le plus rapidement possible tous les contenants en verre et les bris de verre, afin d’éviter les blessures accidentelles et la possibilité d’utiliser le verre comme une arme (La Rochelle, Brest). A Kingston, les volontaires Street Pastor (Pasteurs de la rue) distribuent des tongs aux femmes participant aux fêtes, afin d’éviter qu’elles ne se blessent lorsqu’elles enlèvent leurs chaussures de soirée et marchent pieds nus. Comme l’a indiqué Brest, le développement de contenants en polycarbonate constitue une autre mesure de sécurité qui peut empêcher les blessures accidentelles et criminelles. Dans certains quartiers sensibles de la vie nocturne (Bordeaux) ainsi que dans les établissements ayant des antécédents de violence, les producteurs et distributeurs d’alcool peuvent être encouragés ou obligés à servir l’alcool dans des récipients qui ne sont pas en verre. Parfois, le nettoyage approfondi de la zone ne peut avoir lieu qu’une fois tous les fêtards partis. Si l’on prend en compte l’utilisation importante de l’espace public par les fêtards jusqu’au petit matin, cette question peut poser un grave problème pour les villes et communes, dans la mesure où il est essentiel que les détritus soient enlevés avant l’arrivée des autres utilisateurs de la ville, le jour (Brest). Stuttgart efface les graffitis et les traces de vandalisme dans les transports publics afin de réduire le sentiment d’insécurité qu’ils provoquent chez les habitants, comme le révèlent les enquêtes d’opinion. Certaines collectivités ont créé la figure du coordinateur de sécurité nocturne dont la mission est d’organiser, d’évaluer et de diriger les différentes activités de partenariat nécessaires à l’amélioration de la sécurité des quartiers de consommation d’alcool, dans le cadre 67
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d’un programme de conception et des initiatives de gestion des espaces (Rotterdam, La Rochelle). Il est certain que les villes ont les moyens de reconquérir leurs espaces nocturnes au bénéfice de la majorité des citoyens et visiteurs, y compris les adultes plus âgés et les familles. Cela a été expérimenté dans plusieurs pays, en investissant dans des projets tels que l’éclairage créatif et des programmes de gestion des espaces et des événements. Des pratiques aussi simples que permettre l’ouverture tardive aux boutiques et cafés qui servent des boissons sans alcool peuvent aussi aider. On peut aussi utiliser l’espace public différemment, par exemple en favorisant les lieux de fêtes organisés par les fêtards eux-mêmes ou les événements ponctuels. L’attrait du Cafè Reggio pour tous les âges est un exemple de réussite parmi les villes partenaires du projet SDS. Ces réponses contribuent à casser la dichotomie inutile qui peut apparaître la nuit entre des espaces intérieurs bien réglementés et des espaces extérieurs indisciplinés. L’un des points forts des contrôles en fonction du lieu mentionnés ci-dessus est qu’ils permettent aux autorités municipales de mettre en place des changements positifs, en s’assurant que les espaces ne deviennent pas des zones seulement destinées à la consommation d’alcool. Ceci est en effet un problème qui peut apparaître rapidement dans les espaces déréglementés où domine la volonté de vendre le plus d’alcool possible.
5. Evaluation des normes locales
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Ce sont les élus qui décident en dernier ressort de notre niveau de tolérance à la consommation et à l’abus d’alcool ainsi qu’à d’autres substances. De nombreux lieux de consommation d’alcool sont des 68
espaces urbains publics, ouverts à tous les citoyens et qui servent d’autres fonctions civiques importantes. L’approche du « droit à la ville » affirme que tous les citoyens jouissent des mêmes droits d’accès et de décision par rapport à l’espace public. Liège a eu recours à un processus de consultation publique, où l’on demandait aux résidents leur opinion sur la consommation d’alcool à l’échelle locale et dans le public en général. Les habitants de Stuttgart ont également été consultés sur leur sentiment de sécurité. Veiller à ce que le domaine public reste accessible à tous est un aspect important de la gouvernance urbaine en Europe. Les autorités municipales doivent comprendre et mesurer les attitudes publiques ainsi que les niveaux de tolérance envers les quartiers de consommation d’alcool, tout en s’assurant que les droits de la minorité sont protégés, dès lors qu’ils ne nuisent pas aux autres. Il faut aussi rappeler que les normes sociales sont influencées par la législation et par les mots qu’elle utilise. La capacité à défendre sur le plan politique des normes sociales établies localement est inéluctablement limitée par les restrictions légales et les normes économiques, en particulier lorsqu’elles sont exprimées par les fabricants et distributeurs de boissons. La conformité avec ces normes implique souvent un élément de lutte et elle se traduit de différentes manières dans les différents contextes nationaux et locaux, par des processus de litige ainsi qu’un accès différencié aux conseils juridiques et scientifiques spécialisés, comme c’est le cas pour l’accès aux ressources financières et alliances politiques39. La question de l’ébriété sur la voie publique fait rarement consensus entre les acteurs et les groupes d’intérêt. Une fois qu’un programme d’action a été établi, il est souvent difficile à mettre en œuvre et à maintenir sur le long terme, afin d’en récolter de véritables gains mesurables. 39 - Hadfield (2006), « Bar Wars: Regulating the Night in Contemporary British Cities »
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Evaluation Comme indiqué en introduction à cette section, il existe peu d’évaluations scientifiques des nombreuses mesures mises en place pour prévenir les effets nocifs de l’ivresse publique. Cette incertitude et le manque de ressources publiques pour financer une recherche locale indépendante ont créé un vide que l’industrie de la boisson s’est efforcée de combler en développant et finançant ses propres initiatives d’autorégulation et de partenariat. Ainsi, la majorité des programmes développés dans les villes du projet SDS n’a à ce jour pas été évaluée de manière indépendante par la communauté scientifique. S’il existe diverses possibilités de bénéficier de financements privés pour les activités de prévention, certains des projets développés par l’industrie alcoolière au Royaume-Uni, tels que Purple Flag et Best Bar None, sont désormais exportés à l’international comme des solutions prêtes à l’emploi. De plus, l’expérience internationale laisse à penser que les projets d’autorégulation ne fonctionnent pas pour prévenir les nuisances liées à l’alcool sans la présence d’un régime fort d’application de la loi allant dans ce sens. Ce phénomène est probablement dû, dans certains cas, aux conflits d’intérêts chez les distributeurs d’alcool qui, alors qu’ils opèrent sur un marché compétitif, sont tentés avec le temps de faire des entorses ou d’enfreindre des règles volontairement adoptées. Outre les efforts pour mesurer l’efficacité d’initiatives spécifiques au sein d’un programme plus large de réduction des nuisances liées à l’alcool, il existe une tendance internationale croissante qui consiste à analyser le rapport coût/bénéfice local des initiatives. Par exemple on compare le coût économique des services médicaux d’urgence et de la police utilisés dans l’économie nocturne avec une analyse du bénéfice économique de la vie nocturne en matière de création d’emplois, d’investissements, de recettes fiscales et de 70
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prospérité locale. « L’évaluation du coût du binge drinking » réalisée par Kingston a un objectif différent : mesurer les coûts locaux des services d’intervention pour des problèmes de santé aigus et chroniques par rapport aux coûts des programmes de prévention des risques liés à l’alcool financés par la communauté locale et dont l’objectif est de réduire les niveaux de consommation. Il est intéressant de noter qu’au Royaume-Uni, où l’on développe depuis de nombreuses années des programmes de réponse au binge drinking dans l’espace public, ce problème est de plus en plus considéré comme une problématique de santé publique (à la fois chronique et aiguë). Cette évolution est due au fait que l’approche qui a si longtemps dominé la législation et le discours public, selon laquelle le binge drinking est une infraction ou un trouble à l’ordre public, n’a apporté aucun changement aux causes profondes des troubles liés à l’alcool.
Pour une culture de consommation responsable en Europe
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L’alcool fait partie de nos sociétés et exiger une société sans drogues est illusoire. Prenons acte de cette réalité et limitons les risques et les effets nocifs pour la jeunesse : allons vers une acceptation de cette réalité et des paradoxes liés à la consommation d’alcool. Les autorités politiques du projet SDS ont le souci de dépasser les idées toutes faites afin de protéger la jeunesse des risques sanitaires, de victimation, de délin71
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quance. L’étude des politiques locales menées par les villes du projet révèle des stratégies globales développant des politiques d’éducation, de médiation et de régulation. Elles visent ainsi à soutenir la jeunesse dans la construction de son identité et de sa responsabilité personnelles et dans l’acquisition de l’autonomie et des compétences nécessaires pour devenir adulte. L’enjeu est de se pencher sur les excès liés à cette consommation et de promouvoir une consommation responsable s’inscrivant dans la durée, car rien ne se fait en matière de prévention sans constance dans les actions et les messages délivrés. Parier sur une démarche participative Promouvoir une consommation responsable, c’est favoriser une démarche participative. Ici, les villes prennent appui sur l’entourage et la responsabilité individuelle en ciblant l’implication de la communauté. La ville d’Anvers, par exemple, soutient une approche communautaire qui vise à accompagner et sensibiliser la personne et son réseau social. C’est une ville multiculturelle où différentes communautés (turque, marocaine, etc.) coexistent. Dans le projet Tupper Care, cette approche parie sur les femmes. Des mères immigrées convient leurs voisines, amies, connaissances pour échanger sur la parentalité et améliorer les connaissances sur les drogues et leurs effets, en présence de professionnels. Les hôtesses bénévoles sont formées et leurs connaissances sont renforcées. Elles deviennent ensuite des référents au sein de leur communauté sur les conduites à risques et les problématiques liées aux drogues. Elles deviennent aussi un point de contact pour leur communauté. Associer le public cible renforce l’impact du message de prévention. La même ville d’Anvers est engagée dans une dynamique participative avec les Youth Counselling Centers (centres de conseils pour la jeu72
nesse) où des jeunes informent leurs pairs sur les questions des drogues et de santé. Les messages sur la santé sont reconnus et compris car ils sont organisés par des pairs, ce qui facilite leur diffusion et leur communication. Un « conseiller jeunesse » aide personnellement dix jeunes qui deviennent eux-mêmes des intermédiaires, multipliant ainsi, grâce à une réaction en chaîne, les réseaux et les liens interpersonnels. « On sort ensemble, on rentre ensemble ! » Comme rappelé plus haut, des partenaires du projet SDS ont été confrontés à des drames, des chutes ou des noyades accidentelles. Pour accompagner leur stratégie, ils militent pour plus de solidarité entre jeunes afin qu’ils prennent soin des uns des autres. Liège, par exemple, cible la sensibilisation et la responsabilisation des jeunes de 12 à 18 ans aux dangers de l’alcool pendant la période de fin des examens dans le quartier du Carré avec le projet « Fêtards mais pas saoulards ». Kingston upon Thames associe les collégiens dans cette démarche de communication et stimule leur potentiel artistique pour la création de clips vidéo de prévention. L’ensemble des partenaires s’accorde sur la nécessité d’une présence humaine, une vigilance bienveillante et un accompagnement. Il s’agit non seulement de diffuser des messages de prévention et de réduction des risques mais aussi de limiter les risques d’accidents liés à la gestion de fin de soirée. La Rochelle, se fondant en partie sur une étude scientifique de longue durée, a mis en place une équipe de médiateurs dès 2007.
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« Action de rue » LA ROCHELLE
Problématique Le projet a été mis en place suite à une recrudescence des incivilités nocturnes liées au rassemblement de populations jeunes alcoolisées en fin de semaine dans le centre-ville. Cette recrudescence a été mise en avant par l’analyse des plaintes des riverains, commerçants, passants et touristes, les relevés de conclusion des cellules de veille et les résultats de l’étude préliminaire à la mise en place de cette action par deux sociologues, en 2007. Objectifs L’objectif est de prévenir les troubles à l’ordre public générés par les rassemblements festifs alcoolisés et les conduites à risques. Le projet entend fournir une réflexion générale sur la « valorisation » des nuits rochelaises, amenant à la finalisation d’un document contractuel listant les engagements de chacun pour promouvoir une démarche de prévention concernant la santé des jeunes, maintenir la convivialité de la ville et favoriser la cohabitation des différents acteurs des nuits rochelaises. Activités Mise en place d’un dialogue et d’une médiation dans l’espace public avec les jeunes, les gérants d’établissements et les riverains, afin de réduire le sentiment d’insécurité et désamorcer les situations de tension. Les différents acteurs se sont engagés à faire appliquer la réglementation en vigueur (en matière de vente d’alcool, d’ordre public…), à assurer l’application de la 74
charte de vie nocturne (qui est le support de communication des différents acteurs) grâce à la présence d’une équipe de nuit de trois personnes circulant dans le centre-ville. Un dispositif de prévention sur les risques de l’alcool et ceux liés à la surconsommation a aussi été élaboré.
A Nantes, une équipe composée de professionnels de santé publique, de volontaires en service civique et de bénévoles intervient les jeudis, vendredis et samedis de 21h à 3h aux abords des lieux festifs de la ville.
« Veilleurs de soirée » NANTES
Problématique Face à l’évolution des modes de consommation d’alcool, des produits psychoactifs et des prises de risques des jeunes, la Ville de Nantes et la Préfecture de Loire-Atlantique ont développé, depuis 2008, un dispositif alliant santé publique et tranquillité publique : le « Plan Alcool ». Ce plan a été élaboré non seulement pour répondre aux risques sanitaires et sociaux de l’abus d’alcool mais aussi suite aux problèmes de nuisances sonores rencontrés lors des fêtes et des événements festifs. Objectifs • Réduire les prises de risques liés à une consommation de produits psychoactifs (notamment alcool) chez les jeunes ayant fréquenté un lieu ou un événement festif. • Travailler sur le « savoir vivre ensemble » entre 75
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jeunes et riverains afin de réduire les nuisances sonores. • Développer une démarche de prévention/réduction des risques concernant la consommation de produits psychoactifs auprès des jeunes issus des quartiers prioritaires et des professionnels agissant auprès de cette population. • Agir, en prévention, auprès des plus jeunes (collégiens et lycéens) sur leur temps de rassemblement. Activités Les « Veilleurs de soirée » sont une équipe mobile de prévention et de réduction des risques. Elle est composée de professionnels de santé publique, de volontaires en service civique et de bénévoles qui interviennent les jeudis, vendredis et samedis de 21h à 3h aux abords des lieux festifs. Dans ce cadre, l’équipe assure une régulation et une médiation par une présence (adulte) sur l’espace public. Cette approche est jugée rassurante et sécurisante par les personnes rencontrées. Elle permet également une orientation et un signalement en fonction de l’évaluation des situations rencontrées. Enfin, son travail d’observation et d’évaluation constitue une veille sanitaire pour les pouvoirs publics sur les pratiques festives des jeunes et leur appropriation de l’espace public.
A Bordeaux, l’opération Soul Tram propose un nouveau dispositif expérimental dans le tramway : un DJ avec une sono mobile et des agents de prévention et de réduction des risques vont à la rencontre des étudiants sur la ligne campus-centre-ville. Cette action a pour but de délivrer des messages de prévention dans un contexte favorable, l’accompagnement musical favorisant une atmosphère plus calme. 76
« Soul Tram » BORDEAUX
Problématique La multiplication des actes d’incivilité et la présence de groupes de jeunes très alcoolisés sur une ligne spécifique du tramway bordelais générait un fort sentiment d’insécurité, particulièrement le jeudi soir en raison des nombreuses fêtes étudiantes. Cette situation a amené la ville de Bordeaux à développer une réponse singulière et attractive en direction du public étudiant, afin de réguler les comportements des jeunes. Objectifs Les objectifs du projet étaient de prévenir la suralcoolisation des jeunes lors des soirées de fin de semaine, de réduire les incivilités dans le tramway liées à cette suralcoolisation et de développer une action de prévention innovante en direction du public étudiant. Il s’agissait de promouvoir une consommation plus modérée et aussi la solidarité entre pairs lors des moments de fête et de réduire les incivilités dans la ligne de tramway reliant le campus universitaire au centre-ville, dans le but de réduire le sentiment d’insécurité des autres passagers et des résidents. Activités Entre 21h et 0h30, une équipe de prévention mobile appelée Tendance Alternative Festive (TAF), composée de professionnels de l’Association nationale en Prévention, Alcoologie et Addictologie (ANPAA 33) et de jeunes en service civique formés à la prévention, va à la ren77
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contre du public présent dans le tramway afin de l’informer et de prévenir les risques. Cette équipe est accompagnée par un membre de l’association bordelaise « Allez les filles » (programmateur musical) qui, équipé d’une sono mobile, diffuse de la musique à l’intérieur des rames.
Moins d’alcool, la fête est plus folle ? Promouvoir une consommation responsable, c’est proposer des alternatives. L’excès est-il un passage obligé ? Les villes considèrent que des espaces festifs sont à imaginer, des lieux qui offrent aux jeunes des moments où ils peuvent développer leurs compétences et talents afin que l’alcool ne soit pas l’unique option pour « faire la fête ». A Reggio Emilia, le Cafè Reggio (voir encadré p.59) est géré par les habitants, accompagnés de médiateurs interculturels. Il propose des boissons sans alcool. Ce café a été installé sur la place d’un quartier populaire qui était « occupé » par des groupes d’individus qui consommaient de l’alcool en excès et des drogues. Cette démarche a permis de pacifier le lieu et de lui redonner sa vocation de place publique, accueillant des citoyens de tous les âges et de toute origine culturelle. « Trois jours sans alcool », la population adulte de Brest est ainsi mise au défi. Est-elle capable de ne consommer aucune boisson alcoolisée pendant trois jours consécutifs ? Malgré la difficulté d’évaluer l’impact de cette action menée depuis 1984, ce défi brestois a le mérite de la créativité et de s’adresser à l’ensemble de la population, sans stigmatisation. Brest affirme la nécessité de se rencontrer et de partager l’espace public ; la place publique doit retrouver son 78
rôle d’agora. La place de l’Hôtel de Ville, lieu de rendezvous nocturne des étudiants, doit symboliser cette « grande conversation » pour que ces moments de rencontres soient véritablement intergénérationnels. « Déringardiser » la personne qui ne boit pas est aussi une piste de travail. Une politique de prévention doit permettre aux jeunes de faire un choix conscient. Elle ne porte pas la moralisation ni la diabolisation du produit mais promeut une consommation éclairée par une meilleure connaissance des risques et des méfaits des excès. Prévention versus vie économique Promouvoir une consommation responsable, c’est gérer des paradoxes. La vie festive contribue à l’attractivité d’une ville et aux activités économiques. Les grands festivals attirent et brassent autant de bière que d’argent. L’impact économique positif pour les industriels, les commerces, les établissements et la ville rend complexes la lutte contre l’alcoolisation excessive ainsi que l’action des élus et des professionnels de la prévention. A Stuttgart, pendant la Fête de la Bière qui a lieu chaque année en septembre (Volksfest), des messages sur les sous-bocks et un véhicule accidenté sur le parking attirent l’attention sur les risques d’une consommation excessive. Le choix d’une musique plus calme vise aussi à limiter l’attractivité du lieu pour les jeunes. Face aux enjeux économiques et au lobby alcoolier, pourquoi ne pas travailler sur les partenariats avec les industries de l’alcool ? Les villes se sont interrogées sur la façon de faire pression sur les alcooliers pour une distribution plus responsable. Les alcooliers ont aussi compris l’intérêt de promouvoir une consommation responsable et mènent des programmes autour de leur responsabilité sociale. Le prix de l’alcool serait une des mesures à porter au niveau européen pour 79
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agir sur les niveaux de consommation et ses méfaits, de même que l’accès restreint à la vente au détail et l’interdiction de la publicité. Vie étudiante et vie festive Promouvoir une consommation responsable, c’est accompagner la vie étudiante qui contribue au dynamisme d’une ville. Associer et impliquer les étudiants permet une meilleure diffusion de messages entre pairs, une meilleure compréhension du phénomène et des parcours de soirée. La politique municipale de la jeunesse encourage ainsi les jeunes à s’exprimer, à s’intégrer à la vie collective et démocratique et à se construire une individualité pleine et entière. A Brest, les étudiants sont une des composantes de la ville. La fête étudiante doit l’être aussi. Ainsi, chaque été, les résultats du baccalauréat se fêtent par des rassemblements de lycéens sur une plage qui cumule un certain nombre de risques (une voie ferrée, une voie rapide, l’océan et la falaise). L’ensemble des services (institutions et associations) se mobilise pour accompagner cette fête. La présence humaine s’adapte et bascule de la prévention à la réduction des risques en fin de soirée. La surveillance de la plage est assurée également par la présence des zodiacs de la gendarmerie nationale et du service d’incendie et de secours avec un éclairage de l’océan pour éviter les accidents et les noyades.
« Prévention des risques lors de rassemblements lycéens » BREST
Problématique Depuis le mois de juin 2005, des rassemblements spontanés de lycéens se déroulent sur la plage du Moulin blanc à l’occasion de la fin des 80
épreuves du bac. Ils s’accompagnent d’une forte alcoolisation de certains jeunes et comportent donc des risques importants en matière de santé publique et de sécurité. Objectifs Prévenir les risques liés à une surconsommation d’alcool mais aussi les vols avec violence et autres violences volontaires observés au moment des premiers rassemblements. Réduire les risques inhérents à l’espace choisi par les lycéens (proximité de la mer, d’une voie rapide, d’une voie de chemin de fer et de falaises). Activités Différentes actions ont été mises en place : • Avant : prévention en milieu scolaire par des organismes spécialisés, envoi d’un courrier d’information aux parents d’élèves, stand d’information en dehors des établissements scolaires. • Pendant : actions de prévention et réduction des risques avec stands distribuant gâteaux et eau, présence de médiateurs urbains, organisation intégrée des secours et sécurité civile, renforcement du dispositif policier, mise en place d’un poste de commandement opérationnel regroupant police, gendarmerie, Croix rouge et service départemental d’incendie et de secours. • Après : nettoyage du site, éclairage public amélioré, offre de transports augmentée.
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Chapitre III >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
Constats et recommandations des villes du projet SDS >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
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Considérant : L’impact de la consommation d’alcool sur la société, les tensions entre générations, la phase d’expérimentation des jeunes et la nécessaire protection de la jeunesse par la société ; Les effets négatifs de l’expérimentation de l’alcool et la légalité de son usage, les risques sanitaires, de victimation et les troubles de la tranquillité publique que les pratiques d’alcoolisation excessive des jeunes sur l’espace public entraînent ; Que ces risques préoccupent les autorités locales en matière de santé et de sécurité publiques ; Que les réponses à apporter doivent allier la légitimité de la pratique festive, prévenir les risques et les excès et concilier vie nocturne et tranquillité des habitants ; Que les autorités locales souhaitent promouvoir une démarche pragmatique et opérationnelle visant la protection des consommateurs et des habitants par des stratégies globales, partenariales et intégrées ; Les villes partenaires du projet Safer Drinking Scenes soulignent un certain nombre de points communs constatés lors des activités du projet, mais également reconnaissent chez certaines d’entre elles des spécificités notables. Elles souhaitent apporter des recommandations issues du projet.
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Les constats
>>>>>>>>>>>>>>> Constats partagés
• La fête est légitime : elle a une fonction de lien social. La consommation d’alcool aussi. Ce sont les excès qu’il faut chercher à prévenir. • Une alcoolisation excessive entraîne des risques sanitaires, des risques de victimation et a une influence négative sur l’ordre public et le sentiment d’insécurité. Stratégies communes • Les villes mettent en place des stratégies de sécurité et de santé publiques fondées sur l’éducation, la médiation, la prévention, la réduction des risques et le respect de la réglementation. • Ces stratégies consacrent la recherche d’équilibre entre vie nocturne et tranquillité publique, entre santé et sécurité publiques. • La transversalité est de rigueur afin d’appréhender le phénomène dans sa globalité. Il faut prendre en compte les consommateurs (jeunes surtout), l’environnement (urbain, social), les lieux de consommation (espaces publics, privés, lieux de vie nocturne), les modes de consommation (binge drinking par exemple). • L’ensemble des partenaires et acteurs (professionnels et société civile) concernés par ce phénomène doit être associé aux stratégies d’action : parents et jeunes, services publics municipaux et d’Etat, patrons d’établissements, alcooliers, grande distribution, acteurs de la prévention, de la santé, de la sécurité, de la culture, des transports, de l’éducation, etc. 85
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Modalités d’intervention envers les consommateurs • La jeunesse étant elle-même actrice et productrice de tranquillité urbaine, il s’agit de la responsabiliser en l’aidant à comprendre les risques de la consommation excessive et en posant les règles du « vivre ensemble » pour une jeunesse citoyenne, responsable et solidaire. Les partenaires considèrent que des actions constructives sont celles qui donnent directement des moyens d’action au public cible (empowerment) et qui développent la prévention par les pairs. • Les modalités d’intervention que les villes privilégient sont d’une part l’intervention précoce et les programmes d’éducation à la santé tout au long de la vie, notamment envers les jeunes et leurs parents, et d’autre part une règlementation et des moyens de contrôle appropriés (type brigade de contrôle nocturne). • Des lieux spécifiques dédiés à la prévention des conduites à risques doivent être mis en place, où des dispositifs ambulatoires ou mobiles doivent permettre d’accompagner et de prendre en charge les publics jeunes. Connaissance du phénomène • Les villes soutiennent un travail fondé sur des savoirs construits et orientés par la pratique. • La mise en œuvre de stratégies et de modalités d’intervention, qui permettent de répondre au mieux à une problématique donnée, nécessite au préalable d’établir un diagnostic afin que l’ensemble des partenaires et des interlocuteurs de la nuit puisse s’en saisir (habitants, jeunes, patrons de bars, étudiants étrangers, police, partenaires associatifs, etc.). Chaque problématique doit être analysée dans son contexte et ses particularités, en fonction des différents publics, des différents intervenants, etc. 86
Partenariats • Les villes développent des partenariats forts avec les acteurs de la sécurité et de la santé sur les dispositifs de prévention, de médiation, de réduction des risques, de régulation des conflits et de gestion de l’espace public. • Les partenariats avec les établissements de nuit et les bars peuvent s’appuyer sur des documents d’engagement type « charte » ou « label » de la vie nocturne. Pour les entorses constatées à la réglementation, une gestion collective ville/secteur privé peut être organisée dans le cadre de commissions des débits de boisson. • Les moyens humains tels que des médiateurs ou des travailleurs de rue étant privilégiés, il est important de développer un partenariat fort avec la société civile qui est le plus souvent porteuse de ces initiatives. Gestion de l’espace public • Les villes souhaitent veiller à la régulation des espaces car il existe une attention, voire une tension, portée sur l’occupation de l’espace public par la jeunesse, qui soulève la question de l’équilibre à tenir entre interdiction et régulation. • Définir l’identité de l’espace public et ses fonctions, c’est étudier les aménagements et l’urbanité. Les villes pensent la prévention situationnelle, y compris la vidéosurveillance, en travaillant l’aménagement des espaces publics à partir de ses identités et de ses usages. • Il convient de privilégier la présence humaine : forces de l’ordre, agents de médiation, agents de prévention, bénévoles. • Il convient de réfléchir à la nécessité d’espaces que les jeunes peuvent s’approprier sans pour autant exclure les autres populations. 87
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Recours à la régulation • Sans prôner la prohibition généralisée qui trouve rapidement ses limites, les villes sont porteuses de pratiques de régulation associées à des interdictions limitées dans le temps et dans l’espace. Ces pratiques accompagnent les démarches de prévention et de réduction des risques et permettent d’appliquer les réglementations (prises à différents niveaux de gouvernance). • Les pratiques de régulation sont nombreuses et favorisent l’encadrement, la limitation voire l’interdiction de la consommation et/ou la vente d’alcool. Les villes ont les compétences réglementaires pour moduler les horaires de fermeture des établissements de nuits et des bars, interdire la consommation dans le temps et dans l’espace, veiller au respect des lois nationales sur l’âge légal et expérimenter des systèmes en vertu desquels les consommateurs fauteurs de troubles se voient interdire l’accès aux bars. Approches locales spécifiques • L’approche participative : la prévention et la lutte contre les problèmes liés à l’alcool sont intégrées dans un processus global de consultation des habitants ou sont menées au sein d’une étude sur le sentiment d’insécurité (Liège, Stuttgart, Rotterdam). • L’approche de prévention communautaire : des messages et des actions de prévention ciblées en fonction des communautés (Anvers et Kingston upon Thames), ce qui n’est pas transposable en l’état, notamment en France. • Chartes de la vie nocturne (La Rochelle, Nantes, Bordeaux, Brest) qui posent des partenariats et des objectifs collectifs et labels pour les établissements de nuit (Liège, Anvers) qui déterminent un certain nombre de conditions à respecter pour en bénéficier. 88
• L’interdiction d’entrée dans les bars et discothèques pour des groupes spécifiques, initiée par les établissements de nuit, sur le même principe que l’interdiction de l’accès aux stades de foot pour les personnes violentes (Kingston upon Thames, Stuttgart, Rotterdam). • L’utilisation de la vidéosurveillance : certaines villes ne disposent pas de cet outil et privilégient la présence humaine (Brest), d’autres l’ont intégré dans le processus de gestion de la nuit (Bordeaux, Rotterdam). • L’évaluation du coût de l’alcoolisation excessive : les données partenariales collectées permettent de mettre en regard le coût final d’intervention (coût de la réparation, des prises en charge sanitaire) et le coût de la prévention. Cette évaluation apporte aux décideurs publics une meilleure information sur les bénéfices financiers des actions entreprises (Kingston upon Thames). • Des dispositifs de régulation tels que la brigade de contrôle nocturne (Nantes, Rotterdam, Bordeaux) et les commissions municipales de débits de boissons (villes françaises, Kingston upon Thames), qui veillent au respect des dispositions relatives à la charte de la vie nocturne ainsi qu’à la règlementation des débits de boissons. • La politique de transports : des transports spécifiques pour les fêtards (Nantes) ou une action de médiation et de réduction des risques dans les transports (Bordeaux).
Recommandations
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Construire des stratégies intégrées au niveau local • Promouvoir une philosophie d’intervention fondée sur l’équilibre entre santé et sécurité publiques, 89
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une stratégie équilibrée entre présence humaine, prévention, réduction des risques, respect de la législation / réglementation. • Mettre en place un diagnostic préalable et une étude sur le sentiment d’insécurité grâce à un questionnaire dont une version de base, commune aux villes, pourrait être élaborée. • Inscrire la démarche « Plan local alcool » dans les plans de sécurité et de santé des villes en s’inspirant des programmes développés dans certaines villes du projet SDS. Ces plans contribuent aux objectifs plus généraux de la ville comme la réduction de l’échec scolaire, la lutte contre les violences et l’amélioration de la santé publique. • Mobiliser le partenariat et organiser les collaborations : gérer la vie nocturne en définissant la gouvernance et les modalités de collaboration avec les acteurs de la nuit, en promouvant l’établissement de chartes de la vie nocturne, de brigades de contrôle nocturne, en étudiant la faisabilité d’un dispositif d’interdiction d’entrée dans les bars et discothèques pour des groupes spécifiques. Consolider les collaborations avec les services de santé et les services d’urgence. La dimension partenariale doit prendre en compte la gestion des risques sur l’espace public et la réduction des risques d’addiction. • Organiser une culture commune entre partenaires sur le phénomène, au moyen de sessions de formation et d’information. • Définir les indicateurs pertinents pour évaluer le coût de la prévention et le coût de l’alcoolisation excessive. • Consolider les démarches d’évaluation des actions et d’étude de l’impact des interventions (des dispositifs prévention/ sécurité). • Evaluer la victimation et la délinquance liées à la consommation excessive afin d’apporter aux décideurs publics, à tous les niveaux de gouvernance, une meilleure information sur le rapport coût/bénéfices et les priorités à définir. 90
Promouvoir une consommation responsable »» Eduquer • Promouvoir les actions de soutien à la parentalité, développer l’éducation et la responsabilisation des parents : les actions sur les compétences psychosociales des jeunes et le renforcement des capacités des parents. • Travailler avec les jeunes directement : des alternatives doivent être créées afin de donner aux jeunes la possibilité de développer leurs compétences et leurs talents. Les autorités locales doivent proposer ou soutenir des pratiques festives afin que l’alcool ne soit pas l’unique option pour faire des rencontres et gérer le stress ou les difficultés. • Renforcer le traitement du basculement de la consommation festive à la consommation excessive et abusive. • Renforcer les liens avec d’autres politiques (Jeunesse et Education) et diffuser des messages auprès de la communauté afin de prendre soin de la jeunesse ; associer les jeunes dans le processus d’information et de prévention ; renforcer l’éducation en milieu scolaire et soutenir les parents dans une démarche de responsabilisation. »» Développer la démarche participative • Associer les parents afin qu’ils puissent sensibiliser leurs enfants, notamment les très jeunes. Mettre en place des pratiques de prévention par les pairs afin d’améliorer la pénétration des messages clés de prévention dans la population jeune. • Développer des lieux d’accueil ouverts à l’ensemble de la population, aux enseignants, aux adolescents et enfants. Ceux-ci peuvent être des lieux d’information et d’éducation à la santé (exemple du centre d’information de Reggio Emilia 91
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ou des dispositifs mobiles comme à Anvers et Kingston upon Thames). • Sensibiliser les professionnels à l’apparition de tout signe d’addiction chez les jeunes afin de promouvoir une prise en charge précoce. • Impliquer les habitants d’un quartier particulièrement concerné par la vie nocturne dans une approche de co-responsabilisation et prendre en compte le sentiment d’insécurité. • Réfléchir à une prévention adaptée aux communautés dans leur diversité et impliquer les membres de ces communautés. • Promouvoir des formes d’autorégulation des consommateurs. »» Communiquer • Définir une position éthiquement responsable : quelle est la position des acteurs (institutionnels, associatifs) sur les messages de prévention des alcooliers figurant sur leurs produits ? Faut-il les intégrer aux politiques de prévention et de sécurité ou s’en distinguer ? • Penser une stratégie de communication positive : « déringardiser » la personne qui ne boit pas, imaginer des lieux pour la jeunesse, concevoir la fête autrement. Diffuser des messages de solidarité entre jeunes tels que « celui qui conduit est celui qui ne boit pas » ou « on sort ensemble, on rentre ensemble ». • Associer les médias à cette stratégie de communication et au débat sur la place des alcooliers et de la grande distribution. • Avoir un regard pragmatique sur les retombées économiques générées par la vente d’alcool à l’occasion des pratiques festives (vie nocturne et grands événements) et mettre en face le coût supporté par la société pour la réparation des dégâts engendrés par les excès. 92
Adopter une perspective européenne et internationale »» Adopter un fonds commun d’intervention • Diffuser à travers l’Europe une culture commune de prévention et de sécurité sur l’alcoolisation excessive des jeunes sur l’espace public, le binge drinking étant un mode de consommation particulièrement développé. • S’appuyer sur le savoir-faire des villes : les stratégies, les dispositifs et les pratiques existent et apportent des réponses adaptées. Les démarches présentées dans le cadre du projet Safer Drinking Scenes méritent d’être valorisées car leur potentiel de transférabilité est élevé. • Proposer la création d’un vade-mecum pour les villes : les politiques locales examinées au sein de SDS peuvent soutenir d’autres autorités locales en apportant des éléments de réponse, des méthodes et des outils pour l’organisation de politiques locales de lutte contre la consommation excessive d’alcool. • Pourtant, les villes constatent le manque de moyens financiers notamment pour développer et promouvoir des actions de prévention auprès des plus jeunes. Les parties prenantes de ces actions doivent pouvoir montrer, partout en Europe, que le coût des dispositifs de prévention est inférieur à celui du traitement et de la réparation. »» Elaborer une politique de l’offre • Débattre et homogénéiser l’âge légal de consommation de l’alcool en Europe ; étendre la mise à disposition gratuite d’eau dans les établissements de nuit. • Engager une discussion avec les alcooliers et la grande distribution sur le prix de l’alcool et leur stratégie de communication auprès des jeunes et des étudiants. 93
Safer Drinking Scenes - Alcool, ville et vie nocturne
Conclusions et perspectives
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Elizabeth Johnston Déléguée générale, Forum européen pour la sécurité urbaine Une vision commune de la vie nocturne Les problématiques examinées par le projet Safer Drinking Scenes ont fait émerger les tensions potentielles entre la ville qui dort, celle qui s’amuse et celle qui travaille. Le rôle des élus locaux et de leurs équipes est alors de chercher un équilibre et de dessiner une vision commune de la vie nocturne, respectueuse de chacun de ses usagers. Cette vision s’élabore au niveau de la ville avec les représentants du secteur sanitaire et social, de la police, de la justice, mais aussi avec les jeunes eux-mêmes, les alcooliers et les organisateurs de fêtes. Les expériences menées à travers l’Europe montrent que seule une concertation organisée et régulière permettra de penser l’espace public dans ses usages diurnes et nocturnes et de prendre en compte cette diversité dans la conception comme dans l’animation de cet espace. Elle s’attachera à former les agents publics et privés à ces différents usages afin que les besoins des différents groupes de population soient également respectés à travers l’animation, la médiation ainsi que la réduction des risques et du sentiment d’insécurité. Par ailleurs, un travail fondamental s’impose autour de la question de la demande : l’ensemble des partenaires locaux, mobilisés par la recherche du bien-être des jeunes, se doivent de s’interroger sur les attentes de ces jeunes, sur ce qui pousse des jeunes par ailleurs souvent socialement et professionnellement intégrés à se mettre en danger de la sorte. Le caractère extrême 94
de certains comportements dont témoignent les experts et acteurs de terrain ne correspond-il pas au durcissement de la société et à l’angoisse que peut susciter chez les jeunes l’avenir que leur propose la société ? Quelles marges de manœuvre la société, souvent guidée par un idéal du risque zéro, peut-elle offrir pour permettre la transgression inhérente à l’âge adolescent ? Tout en restant guidées par un souci de pragmatisme, les stratégies de réduction des risques et de prévention ne peuvent faire l’économie de ces questionnements profonds. Mobilité et réponses européennes Le travail d’élaboration d’une vision commune de la vie nocturne se fait au niveau local, mais aussi au niveau européen. En effet, les villes européennes partagent « leurs » jeunes à travers les nouvelles formes de tourisme et de mobilité. La mobilité est un facteur déterminant qui remet en cause nombre des schémas d’analyse et d’intervention établis. Aujourd’hui pleinement européenne, la mobilité requiert une coopération entre les autorités locales. Les jeunes qui boivent sur la place centrale sont-ils du quartier ? Sont-ils d’une ville voisine appartenant à la communauté d’agglomération, reliée par un transport public ? Ou bien d’un autre pays, relié par un vol low-cost dans le cadre d’un voyage organisé autour de la fête ? Comment à la fois accueillir l’opportunité et gérer la pression que ce tourisme impose aux populations locales ? Le public auquel s’adressent les professionnels est changeant, les obligeant constamment à la souplesse, à l’adaptabilité et à l’innovation. Il ne peut y avoir une stratégie figée de prévention et de gestion des problématiques d’alcoolisation excessive, mais plutôt un corpus d’expertise qui s’enrichit et évolue avec les phénomènes rencontrés. Sur cette thématique particulièrement, il est essentiel de travailler avec les populations concernées pour que les messages et dis95
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positifs de prévention restent pertinents et adaptés à des comportements en constante et rapide évolution. Pour une vie nocturne durable et de qualité Touchant à divers aspects de la ville et de la vie des jeunes, les thématiques de la gestion de la vie nocturne et de l’alcoolisation excessive sont à la confluence de différents thèmes traités par le Forum européen, le Forum Français et leurs partenaires. Au sein de l’Efus, le réseau Safer Drinking Scenes s’inscrit dans un corpus important de travail autour de la réduction des risques et de la recherche d’un équilibre entre sécurité publique et santé publique. ll prend appui sur les réseaux Démocratie, Villes et Drogues, comme sur le réseau des villes festivalières, initiés il y a déjà de nombreuses années. Il s’inscrit aussi dans les réseaux « cousins » que sont Fêtez Clairs et Party + et a également des liens avec les projets « Gestion des grands événements sportifs » et « Tourisme et Sécurité » coordonnés par l’Efus. C’est ainsi qu’il fait appel à différentes cultures professionnelles et mobilise un large panel d’acteurs, publics et privés, professionnels et bénévoles. Des rencontres régulières du projet SDS et une conférence finale à Nantes en juin 2013 ont donné à ces acteurs l’espace et le temps pour commencer à construire cette vision commune, une culture et des outils partagés. L’échange de pratiques et d’expériences, particulièrement riche et intense au sein de ce projet Safer Drinking Scenes, a permis une fois encore de valider le principe du Forum européen : « Les villes aident les villes ». Grâce au projet, les villes ont pu s’inspirer d’initiatives mises en place par leurs homologues et les adapter à leur territoire. Un message commun européen a été formulé grâce à l’implication forte des élus, aux côtés des professionnels : les principales recommandations étant d’ores et déjà inscrites dans le Manifeste d’Aubervilliers et Saint-Denis40, plateforme politique de 40 - Disponible sur le site de l’Efus www.efus.eu
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l’Efus et de ses partenaires pour les années à venir. Ces recommandations, comme la dynamique créée par le réseau SDS, nourriront, nous l’espérons, les réseaux thématiques liés aux problématiques de santé et réduction des risques, de sécurité et de tranquillité publique, de gestion de l’espace public, de développement économique et urbain. Les villes se sont enrichies grâce au partage d’expertise. Par le biais du Forum européen, nous souhaitons que d’autres collectivités européennes puissent bénéficier de ce savoir-faire et l’opérationnaliser à travers le développement d’outils communs pour labelliser une vie nocturne durable et de qualité en Europe.
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SITE INTERNET DU PROJET SDS www.sds-project.eu
AUTRES SITES Forum Français pour la Sécurité Urbaine : www.ffsu.org Forum européen pour la sécurité urbaine : www.efus.eu Fêtez Clair : www.fetez-clairs.org Party + : www.partyplus.eu
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