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ego en société
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by Egolarevue
Le zéro-déchet est-il une utopie ultime ?
AUTEUR NANCY FURER
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L’OBJET
Depuis 2020 et l’interdiction de vendre des cotons-tiges en plastique en France, il se nomme « oriculi ». Ce petit bâtonnet en bois recourbé réutilisable venu du Japon est devenu l’ami de nos deux oreilles !
LE LIVRE
Le mythe du recyclage de l’anthropologue Mikaëla Le Meur, aux éditions Premier Parallèle.
Une approche originale, à la fois essai, carnet de bord et récit.
LE CHIFFRE
Chaque habitant de la planète produit en moyenne 0,74 kg de déchets par jour ; un chiffre qui cache évidemment de fortes disparités selon les lieux du globe.
DE QUOI EST FAITE LA MATIÈRE ?
Jusqu’où peut-on la décomposer ? Et si la réponse à ces questions qui taraudent les physiciens et les philosophes depuis des siècles était, par nature, insoluble ? Le principe de la matière, c’est en quelque sorte son impénétrabilité. Car la plus infime particule, la plus évanescente poussière conserve une dimension, une surface et une profondeur. Dans de telles conditions, rêver de réduire à zéro les déchets que notre société génère s’apparente presque à un jeu de dupe. Surtout face à de tels volumes et à un rythme de production aussi efficace ! 1,2 kg, c’est le volume moyen de déchets accumulés* par individu et chaque jour en Europe. Le Danemark remporte la palme, tandis que la France se situe juste au-dessus de la moyenne annuelle européenne avec 546 kg par habitant contre 502 kg au sein de l’Union. Bien sûr, les directives européennes fixent un taux de recyclage de 55 % d’ici 2025 et jusqu’à 65 % d’ici 2030, mais les États membres sont encore loin d’avancer en rangs serrés. En 2019, quatre pays avaient d’ores et déjà atteint un tel taux de recyclage : l’Allemagne, la Slovénie, l’Autriche et les Pays-Bas. La France (à 46,3%) se situait bien en bas du classement, Malte n’avait recyclé que 8,9 % de ses déchets !
ALORS, EST-ON CAPABLE, GRÂCE AUX INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES, DE METTRE EN PLACE UNE ÉCONOMIE CIRCULAIRE ET DE RELEVER LE DÉFI D’UNE GESTION PLUS EFFICIENTE DE NOS DÉCHETS MÉNAGERS ?
Il semblerait, en tout cas, que de nombreuses initiatives voient le jour partout dans le monde, ne demandant qu’à être améliorées pour être adaptées, notamment dans les grands centres urbains. Nos villes pourraient bientôt se doter de poubelles intelligentes, capables de recycler elles-mêmes les déchets. Merci à la technologie de détection des matériaux et de l’internet des objets ! Le principe est assez simple : lorsqu’un détritus atterrit dans la poubelle, celle-ci détermine de quoi il s’agit, puis le dirige vers le bac souterrain correspondant : pour les plastiques, les métaux, les déchets organiques, les cartons… Un
« Les déchets système connecté aux services de collecte transmet alors l’inradioactifs les formation qu’un bac est plein et plus dangereux qu’il doit être apporté jusqu’au en raison de centre d’incinération ou de tri correspondant. De nomleur niveau de breuses villes expérimentent radioactivité et de aussi l’introduction de puces leur durée de vie sur les bennes des particuliers, qui déterminent le poids et le ne représentent volume de déchets dans la pouen France qu’une belle lorsqu’elle est ramassée, très faible part puis calculent la taxe d’ordures ménagères à payer. Il s’agit du volume total, concrètement d’une incitation estimée à 3,1%. » financière pour encourager les habitants à réduire leur volume et pour favoriser le recyclage des matières. Dans les pays nordiques, mais aussi en France depuis quelques années, des expérimentations de collecte souterraine sont opérées. Des bennes sont reliées à des centres de tri par des tuyaux, afin d’envoyer directement les déchets du consommateur jusqu’au lieu où ils seront recyclés. En diminuant presque complètement les camions de collecte, la collectivité génère moins d’émissions de gaz à effet de serre, moins de trafic routier et moins de poubelles !
À UNE AUTRE ÉCHELLE, BEAUCOUP PLUS ANGOISSANTE ET SÛREMENT PLUS COMPLIQUÉE À RÉSOUDRE, LA QUESTION DE L’ACCUMULATION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES DIVISE LES POLITIQUES, CHERCHEURS, ACTEURS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET ACTIVISTES.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’immersion dans les océans fut la première solution utilisée par 14 pays, dont la France, pour faire face à cet encombrement nucléaire. Les déchets étaient coulés dans du béton ou confinés dans des fûts avant d’être immergés dans les profondeurs des océans Pacifique, Atlantique et Arctique. L’immersion était alors considérée comme sûre par la communauté scientifique en raison du volume important des océans qui devait permettre de diluer la radioactivité. Mais en 1993, les signataires de la Convention de Londres sur la prévention de la pollution des mers ont définitivement interdit de telles immersions. La France s’est alors attelée à favoriser la recherche d’une gestion à terre. Elle stocke désormais, en surface, dans des centres qui atteignent progressivement leur capacité maximale, comme celui de la Manche, actuellement fermé et placé en surveillance. Si 90 % des déchets radioactifs produits dans l’Hexagone continuent à bénéficier d’une solution de stockage en surface, leur volume croissant pose néanmoins problème. Selon le dernier inventaire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), les volumes augmentent chaque année et certains sites pourraient arriver à saturation autour de 20282029. L’agence précise toutefois que les déchets radioactifs les plus dangereux en raison de leur niveau de radioactivité et de leur durée de vie ne représentent qu’une très faible part du volume total, autour de 3,1 %. Reste qu’en présence de durées de stockage allant de quelques dizaines d’années à plusieurs centaines de milliers, la mémoire revêt un enjeu particulier… pour aujourd’hui et pour demain. Le programme Mémoire de l’Andra vise donc à nourrir la conscience de l’existence des centres de stockage et à réfléchir aux solutions qui permettront de prolonger le plus longtemps possible la conscience de ces installations. « Même si nos centres sont conçus pour être sûrs sans intervention humaine, des dispositifs doivent être mis en place pour que la mémoire perdure aussi longtemps que possible, et ce, malgré d’éventuelles ruptures sociales ou politiques, indique JeanNoël Dumont, responsable de ce programme. Le premier objectif de notre démarche est d’éviter, par exemple, que ne soit construit une école ou un hôtel au-dessus d’un ancien centre de surface. Et, pour le stockage géologique profond, d’éviter que des humains aillent forer ou excaver, sans précautions, à proximité des déchets ». Une mémoire plus « technique » relative aux caractéristiques des déchets, à la manière dont ils sont conditionnés ou aux raisons qui fondent leur sûreté pourra en outre aider les futurs exploitants ou ingénieurs à prendre leurs décisions en toute connaissance de cause. Elle appartient à l’héritage scientifique et technologique que notre génération transmettra, au même titre que d’autres types de patrimoines : architectural, littéraire, artistique… On vous le disait en préambule : aucune matière ne se perd vraiment !
* Ces données publiées par Eurostat chiffrent les déchets des ménages, des commerçants et des petites entreprises, ainsi que ceux des jardins, des parcs ou des marchés.