HUAYCAN - fragment de Lima, une métropole en construction

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Mémoire sous la direction de Denis BOCQUET Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg - 2017

RICOUP Hélène

LIMA

Huaycán

HUAYCÁN FRAGMENT DE LIMA, UNE MÉTROPOLE EN CONSTRUCTION

De l'utopie sociale au modèle urbain, étude du cas de Huaycán, un quartier singulier dans une périphérie oubliée.



Mémoire sous la direction de Denis BOCQUET Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg - 2017

RICOUP Hélène

HUAYCÁN FRAGMENT DE LIMA, UNE MÉTROPOLE EN CONSTRUCTION

De l'utopie sociale au modèle urbain, étude du cas de Huaycán, un quartier singulier dans une périphérie oubliée.



REMERCIEMENTS

J’aimerais remercier tout d’abord mon directeur de mémoire, Mr Denis Boquet, qui m’a suivi, guidé et conseillé durant la construction de ce mémoire, et surtout qui m’a permis de centrer mon sujet et d’organiser mes idées. Je souhaite particulièrement remercier Pablo Muñoz, sans qui ce travail n’aurait été aussi intéressant et riche. Merci d’avoir été présent de notre première rencontre à il y a encore quelques jours. J’adresse les mêmes sentiments à Federico Godiño, qui m’a donné de son temps et m’a montré son quartier, et qui a partagé avec moi son expérience. De même que je remercie Mario Castro de m’avoir accueillie dans son service d’urbanisme et pour m’avoir transmis nombre d’informations importantes à ce mémoire. Également, merci à Pedro Sullca, de m’avoir exprimé sa passion et son combat pour son quartier, Huaycán. Et merci à Eduardo Figari d’avoir partagé ses travaux afin que je puisse comprendre ce quartier singulier. Merci à Nadia, à Juan, à Kenneth, à David, à Mauricio, à Marie José et à tous les autres péruviens qui m’ont permis

de mieux comprendre leur ville. Merci à Laure Criqui, pour nos premiers appels et les contacts qu’elle m’a donné et qui ont guidé mes lectures. Je voudrais particulièrement dire merci à mes parents pour les heures passées à relire et à me corriger. De même qu’à Tiphaine, Alice, Clément et Floriane pour les corrections avisées. Pour finir, je souhaite remercier toutes les personnes qui m’ont soutenue dans ce travail, Marion, Floriane, Nicolas, Pauline, Tiphaine, Adeline, Volker, et tous ceux et celles qui y ont indirectement contribué.



AVANT

-

PROPOS

Août 2015 - Lima la grise, Lima la tentaculaire, Lima l’infinie... Ce sont les adjectifs avec lesquels on m’avait qualifié la capitale péruvienne. Pour moi, dès mon arrivée, Lima est devenue la chaotique. Une démesure urbaine à l’organisation aléatoire dont le chaos était multiple. À la fois visuel, auditif et olfactif, tous mes sens en éveil, perdus, dans l’incapacité d’interpréter l’espace qui les entouraient. Je tentais alors de lire cette ville comme je l’avais « apprise », d’en trouver les éléments auxquels je pourrais me raccrocher. Mais cela était en vain, j’avais perdu mes repères, que ce soit dans le dessin des rues, dans les perspectives urbaines, dans les transports, dans les manières de pratiquer la ville ou encore de m’en échapper.

Ce sont ces espaces à l’infini, ces confins urbains 1 comme l’écrit Alexis Sierra, ou encore les parties « inaccessibles » de cette métropole dont j’ai tenté, par ce mémoire, d’en comprendre la logique, s’il y en a une, de développement exponentiel. Lima une ville insatiable, qui ne cesse de s’étendre. Ce mémoire m’a poussé à développer et à approfondir mes connaissances et compréhensions d’un territoire étranger, en tant qu’étudiante détachée du contexte mais attachée au lieu. Par ce travail de recherche, je me suis intéressée à des dimensions qui m’étaient avant inconnues, les enjeux, géopolitiques et politiques, ou encore économiques et sociaux d’un territoire. Ainsi que l’impact sur le présent d’une lourde histoire passée, des composants qui sont essentiels à l’étude et au projet urbains.

(É)perdue dans cette immensité urbaine, j’étais incapable de me la représenter. Alors m’est venue la volonté, soit par réflexes d’une étudiante en architecture, soit par le fruit de mes intérêts personnels, de tenter de « comprendre » ce géant urbain.

1

Sierra, février 2016, article



S O M M A I R E

1

INTRODUCTION

7

MÉTHODOLOGIE

8

4 PORTRAITS

9

INFORMEL - définition personnelle

intellectuels - Renversement dans municipale - Réagir au débordement

19

CHAPITRE 1 - Aux origines de la naissance d’un modèle : révolution urbaine ou utopie sociale

12

1. 1984 : un tournant, contexte historicopolitique, prise de conscience et action. - La sonnette d’alarme tirée par les

politique

2. Naissance et conception d’une ville innovatrice : Huaycán - L’avant projet : formation d’une coalition. - Innovations sur les plans urbain et architectural, techniques et sociétal. - Participation : reflet de l’implication dans le projet et de l’indépendance des habitants.

33

10

la

3. Un lieu chargé politiquement : levier de pouvoirs à trois facettes - Illustration d’une réussite dans les politiques urbaines - Réussite d’une ville aux idéaux populairessocialistes - Terrorisme et dictature : les limites du développement d’un modèle socialiste


42

CHAPITRE 2 - Huaycán : au coeur d’une métropole sous diverses tensions.

45

INFINI

47

1. Un tissu urbain continu mais désuni, des zones marginalisées et une persistance de la ségrégation.

- Fierté et limites de l’autogestion - Un modèle politique affaibli au sein d’une hiérarchie pyramidale

82

- L’informalité, une solution facile et rapide d’accès à la ville pour les « en dehors du système » - Une option attirante mais dangereuse : la consolidation d’un réseau illégal - Des démarches politiques (insuffisantes ) vers la réconciliation.

- Ruptures et marginalisations de Huaycán en tant que périphérie. - Les réseaux : à la fois connexion et séparation, ils illustrent un déséquilibre métropolitain. - De l’ancien « quartier rouge » à la barriada, la place de Huaycán dans l’imaginaire liménien.

65

PARCOURS

69

2. La désillusion d’un rêve passé, réflexions sur l’identité d’un quartier - Aux origines de son caractère, la fierté d’être huaycanais

3. Informalité, illégalité et alternatives étatiques : les diverses options pour les populations délaissées

94

CHAPITRE 3 - Le réveil d’une capitale – Huaycán de nouveau un quartier test vers un modèle à étendre?

98

1. De (nouveaux) acteurs dans la ville : l’éveil


de la jeunesse et la notion de progrès. - Réveil et conscience d’une nouvelle génération - Le progrès : une notion partagée par tous

103

2. Les travaux actuels : perspectives des professionnels de la ville - Constat critique - climat tendu - District : une municipalité impliquée mais impuissante ? - Métropole : se projeter avec les enjeux de tous

128

CONCLUSION

133

BIBLIOGRAPHIE

134

WEB - BIBLIOGRAPHIE

138

ICONOGRAPHIE


« - Que se passe t’il ? - Une invasion, à Pamplona... Etait-ce un rêve ? Je ne comprenais pas. - Mais quelle Pamplona ? Quelle invasion ? - Habillez-vous, je passe vous prendre… C’est loin. Cette nuit, des milliers de personnes ont envahi un terrain vague dans la grande banlieue, à trente kilomètres d’ici, pour construire une nouvelle ville.2 »

2

Candilis,1977, p.301-302


Figure 1 - arrivée des habitants du futur Huaycán, le 15 juillet 1984 (archive personnelle de Frederico Godiño)


INTRODUCTION

désespéré d’accéder à la ville, d’obtenir l’asile urbain.

« une nouvelle ville3 », ainsi Candilis décrit, dans l’extrait tiré du livre Bâtir la vie, le cas de Pamplona (devenu Villa El Salvador), située dans les périphéries de Lima, la capitale péruvienne. Villa El Salvador est née en avril 1971 de l’invasion, en une seule nuit, de terrains inoccupés par des centaines de familles; hommes, femmes et enfants, motivés par le désespoir et la quête de la ville.

Cette ambiguïté entre droit et non droit, légal et illégal ou encore formel et informel est au cœur même de ces événements. « Il est intéressant de se demander qu’est ce qui est légal de ce qui ne l’est pas ! Et qu’est ce qui est informel ? Ce n’est pas du tout la même chose. »6

L’illustration de cet événement pourrait être la photographie précédente (figure 1), or celle-ci fût prise en 1984, quelques années après Pamplona. Nous nous trouvons là aussi dans les périphéries de Lima, cette fois-ci à l’Est. Cette photographie montre l’arrivée des familles lors de la naissance d’une nouvelle ville spontanée 4 , Huaycán. `

Premièrement, il est important de comprendre pourquoi de tels processus ont existé et subsistent encore de nos jours, ainsi que les conséquences engendrées sur l’espace urbain, en gardant un regard étendu sur un cas loin d’être singulier. L’histoire urbaine de Lima s’intègre dans un schéma similaire à diverses métropoles mondiales, identifiées comme « métropoles aux Suds »7 par Jean-louis Chaléard. Lui-même parle d’un phénomène de métropolisation accélérée des villes du Sud, en liaison avec l’influence globale de la mondialisation entraînée par les pays du « Nord ». Dans le cas de Lima, la démesure de son expansion urbaine a été la conséquence de divers facteurs.

L’emploi du mot invasion peut paraître excessif, or, c’est ainsi, comme l’écrit Candilis, que ce processus fût et continue d’être « qualifié (…) par les autorités »5, mais de quel processus parlons nous ? D’une prise de terrain de manière illégale et forcée par une population ? Ou celui de l’appropriation de terres inoccupées comme acte 3 Ibidem 4 *Ville artificielle, créée. Anton. ville naturelle, spontanée (infra). Les villes spontanées seront pour nous celles qui ne se sont pas développées suivant un plan arrêté d’avance. Nous réserverons aux autres le nom de villes créées (P. Lavedan, Urban.,1926, p. 22), http://www.cnrtl. fr/definition/ville, consulté le 29 octobre 2016 5 Candilis, Op. Cit., p.303

6 7

1

Citation de Pablo Muñoz, issue de l’entretien réalisé le 5-12-16 à Lima Chaléard, 2014


et parle de macrocéphalie l’Amérique du Sud.

Tout d’abord Lima a été le foyer d’une migration massive depuis les Andes au cours du Xxème siècle, avec un pic durant sa seconde moitié. L’attraction de la capitale pour ces populations rurales était nourrie par l’espoir de la ville, à la fois concentration de richesses, de progrès et d’avenir. Cette migration a été renforcée par la période terroriste des années 1980 à 2000, poussant des régions entières à « fuir » vers la capitale, symbole de protection.8

10

, phénomène général à

En réaction à la migration massive dès les années 50, la politique urbaine de la capitale fût tout d’abord de maintenir à l’écart ces populations «pauvres» dans le but de conserver et de protéger un centre bourgeois, l’oasis liménien 11. Une division tout autant spatiale que sociale à l’origine des conflits contemporains, comme l’exprime Noël Cannat,

D’autres vecteurs à cet accroissement urbain accéléré furent politiques et économiques, telle que la nouvelle Réforme Agraire de 1969 à 1979 9.

« c’est le mépris que les citadins manifestent aux paysans, et le refus de faire confiance aux pauvres, qui sont à la racine du sous-développement et de la misère galopante, revers d’une croissance démographique sans précédent.12 »

À l’image d’une politique nationale centralisée, Lima concentre, encore aujourd’hui, l’ensemble des activités du territoire, un point de convergences renforcé par sa situation géographique. Elle tourne le dos au reste du pays, une division qui se lit aussi à l’échelle urbaine (figure s2 p.5-6).

Ces populations délaissées, mises de côté, ont dû faire face à un oubli volontaire des autorités, illustration d’un manque de conscience ou de réalisme d’un phénomène généralisé ?

Dans sa thèse en Sciences Humaines et Sociales, Carole Ortega évoque ce déséquilibre entre rural et urbain

« le droit au logement figure parmi les droits humains fondamentaux déclarés par les Nations Unies 13»

8 Voir carte p.6 9 Loi Agraire de 1969-79, sous le régime de Velasco Alvarado, elle entraina une réelle explosion urbaine (limitation des droits de propriété, ventes hâtives des terrains, peuplement intensif) avec un phénomène de mutation des périphéries et des diversités dans les formes d’habiter, répondant de plus en plus à un besoin de rapidité de construction.

10 Ortega, 2015, p.33 11 terme employé dans, Aux frontières de l’agglomération de Lima, Les effets incertains de la métropolisation, revue Grafigéo, 2011 12 Cannat, 1988, p. 11 13 Petropoulou, 2009, p.16

2


Or, le droit à la ville n’est pas limité à une minorité, il est universel.Si la ville n’est pas pensée pour le plus grand nombre, le plus grand nombre la construira. De là sont nées ces villes spontanées, comme réponse urbaine autonome à une ville verrouillée. Des ensembles de populations se sont alors formés, créant de véritables communautés urbaines, se construisant leur propre ville en périphérie du nucléon central liménien, faite d’urbanisme amateur pour les grandes lignes et d’auto-constructions pour les édifices. Villa El Salvador, Huaycán et encore bien d’autres en sont les résultats.

et préétabli (urbanisme) pour construire son propre schéma, en parallèle. [Il est essentiel de bien différencier l’urbanisme, qui est la partie théorique régissant les procédés de fabrication et de développement de la ville, avec l’urbanisation, qui est l’action de construire la ville.] Quand les chemins se séparent, que les couches urbaines, sociales, politiques et économiques s’effeuillent, la notion d’informel prend-elle alors forme ? Un développement global de Lima est il compatible avec un pluralisme de son urbanisation ?

Si les mots « bidonville » ou bien encore « favelas » au Brésil nous sont familiers, au Pérou, on parle de « barriadas », de « asentamientos humanos » ou « pueblos jovenes 14», des dénominations à consonance péjorative attribuées depuis un regard extérieur sur ces autres urbanités. Relèventelles d’un jugement trop hâtif sur des pratiques étrangères à celles convenues ? Qu’en est-il de cette qualification vue depuis l’interne, au cœur même de cette autre manière de faire la ville ?

Dans cette société multicouche, qui semble diviser les populations tout autant que le territoire, les politiques antécédentes faisant preuve d’ignorance, ont aujourd’hui, la volonté de « rattraper » le passé. Elles souhaitent unir cette capitale démantelée, comme l’évoque Pablo Muñoz, de ne plus parler de « deux Limas mais d’une Lima 15».

La déconsidération de la part d’une minorité gouvernante a entrainé l’apparition d’autres formes de fabrication urbaine (urbanisation), se détachant d’un système normé

Cette notion de temporalité, liée à un phénomène accéléré, déjà enclenché depuis un demi siècle, perdure et s’accroît de nos jours. On la retrouve dans de nombreuses métropoles d’Amérique latine, elle est étroitement liée à

14

15

«zones d’occupations humaines» ou «villes jeunes»

3

Extrait de l’entretien avec Pablo Muñoz du 5 - 12 - 17


un retard de prise de conscience, de considération et de planification urbaine. L’ampleur du phénomène semble avoir perdu tout contrôle, et cela depuis ces débuts. La ville s’étale, Lima ne cesse de s’étendre, et les autorités lui courent après, comment peut on en reprendre le contrôle ? Et faut-il tout contrôler ? Cela remet, de fait, en question les processus du projet urbain, dans une société aux apparences si divisées, il ne peut y avoir une seule manière de fabriquer la ville ? Certains comme Emilie Doré diront que « Ce sont eux qui font la ville 16», en parlant de ces habitants qui construisent eux mêmes leurs maisons, et de ce fait la ville.

« villes périphériques », un de ces « quartiers autogérés » ou encore une de ces « communautés urbaines », Huaycán. La pertinence de ce focus est de considérer l’étude d’un cas à la micro-échelle tel un fragment d’un phénomène général. Qui nous permet à la fois de démontrer des spécificités de ces cas urbains ainsi que de la pluralité des enjeux et des problématiques qui composent la complexité globale de la métropole liménienne.

Pour tenter de comprendre comment de tels territoires se sont formés, se sont développés et tentent de s’inscrire aujourd’hui dans une Lima-métropole unie, nous nous focaliserons sur l’étude en trois chapitres d’une de ces

Précédemment, nous évoquions un changement dans les directives politiques quant à la considération de ces zones périphériques. Si aujourd’hui, cette conscience politique « semble » généralisée, dans le passé il y eut quelques tentatives de réconciliation urbaine. Dans une première partie, nous parlerons justement de la naissance et conception de Huaycán en 1984, qui, loin d’être un cas banal, fût l’exemple d’une première révolution urbaine dans l’expansion liménienne et dans la lutte de l’informel. Eduardo Figari18, acteur de ce projet, le qualifia d’expérience d’urbanisme populaire, fruit d’« une initiative officielle et de celles d’habitants dans un projet de développement progressif 19». Une utopie sociale qui se voulait modèle dans le devancement d’une croissance urbaine désordonnée ?

16 Doré, 2012, p.13 17 référence à Mesclier (Evelyne) et al, « Aux frontières de l’agglomération de Lima, Les effets incertains de la métropolisation », Grafigéo 2011-34,

18 Huaycán 19

De par ces objectifs de métropole globalisée, qu’évoquent également les travaux en recherche de l’équipe de JeanLouis Chaléard17, Lima cherche, en quête de croissance et de développement durable, à tisser un même territoire urbain, ceci reflète-il une volonté de cohésion territoriale par la coalition des intérêts et des enjeux ?

4

Eduardo Figari, architecte péruvien, responsable du pôle technique dans le projet Figari, 1987, p.1


Mais pourquoi cet idéal progressiste n’est t’il pas arrivé aux objectifs espérés ? Nous exposerons, dans un second plan, les tensions actuelles et limites au développement de Huaycán et de la capitale en général. L’impact du passé sur le développement durable du modèle huaycanais, ainsi que la désillusion de sa force première. Un développement aujourd’hui multiple qui a fragmenté et fragmente l’urbanisation liménienne.

LIMA

OCÉAN PACIFIQUE

Qu’en est-il des consciences politique et urbaine actuelles ? La troisième et dernière partie s’intéressera, au réveil d’une capitale par sa population. Et après un certain constat critique de la réalité du site, nous évoquerons deux projets urbano - architecturaux contemporains à Huaycán. Premièrement du point de vue du district, qui lui, se centre au coeur de la vie de quartier. Pour finalement nous intéresser à la vision métropolitaine avec l’intégration de Huaycán en tant que projet modèle parmi d’autres, devenant de ce fait un maillon au sein d’un projet futuriste.

5

Figure 2a - Situation de Lima en Amérique latine et sphère d’orientation (voir iconographie)


ANDES

1983

Huaycán

OC

ÉA

N

PA

CI

FIQ

UE

oasis liménien

1971

Villa el Salvador

1957

1981

2015

1 260 729 hab.

4 608 010 hab.

9 903 935 hab.

Figure 2b - Évolution de la croissance urbaine de Lima entre 1957 et aujourd’hui, cartes réalisées par moi même (références : cartes de Matos Mar, 2004, p. 149-151. Et nombres d’habitants issus de la conférence de Limapolis de Pablo Muñoz, voir sources )

6

demain ?


MÉTHODOLOGIE

Comme les nombreuses citations et références le démontrent, ces événements et problématiques ont intéressé divers types et nationalités de chercheurs, auteurs et acteurs (José Matos Mar, Hernando De Soto, Jean-Louis Chaléard, Émilie Doré, Louise Criqui, Alexis Sierra, Mathieu Durand...). Du grand territoire au cas d’étude, les écrits sont variés. Huaycán a aussi été le terrain d’études de certaines thèses en géographie et sociologie (Ortega, Emilie Doré..). Un premier travail a été celui de dresser une liste des écrits existants à fin de me construire une enveloppe scientifique des connaissances sur le sujet, d’un point de vue large et centré, extérieur et intérieur au pays.

Il semble important de prendre du recul devant l’ampleur des tensions existantes, à la fois politiques, sociales, économiques, mais aussi sécuritaire, car on ne peut nier l’existence d’un climat d’insécurité et de méfiance.

Un second temps a été celui d’un nouveau voyage au Pérou, me permettant d’effectuer un reportage sur le site étudié (Huaycán) et d’aussi pouvoir rencontrer divers acteurs, du passé et du présent, dont certains (Pedro Sullca) habitent Huaycán depuis sa création. J’ai pratiqué, cette foi-ci, Huaycán avec un nouveau regard, celui averti et enrichi par diverses lectures, prise de connaissance de l’histoire du lieu et de mes rencontres. Une étude de terrain se voulant réceptive et ouverte, en essayant de se détacher de tous préjugés, stigmates ou jugements.

7


4

PORTRAITS

des acteurs de Lima à Huaycán que j’ai rencontré lors de mon voyage en novembre dernier

PABLO MUÑOZ

MARIO CASTRO

PEDRO SULLCA

Figure 3 - Pablo devant une carte de Lima (photographie personnelle Pablo Muñoz)

Figure 4 - Mario en conférence durant Limapolis (voir iconographie)

Figure 5 - Pedro durant lors d’une réunion (photographie personnelle Pablo Muñoz)

Figure 6 - Federico dans un atelier (photographie personnelle Pablo Muñoz)

Pablo est architecte, d’origine espagnole, il vit actuellement au Pérou. Il a travaillé pour la Municipalité de Lima. Aujourd’hui, professeur à l’université de la PUCP, il est aussi membre fondateur du collectif CONURB1. Un collectif, tout comme Pablo, investi dans les problématiques actuelles de Lima.

Mario, architecte pour la Municipalité de Lima par le passé, il dirige aujourd’hui le pôle d’urbanisme de la Municipalité d’Ate-Vitarte, qui administre Huaycán.

Pedro était là, en juillet 1984 lorsqu’ils sont arrivés sur les première terres de Huaycán. Il fait partie des fondateurs, de ces fervents habitants, de toujours et dont il lui tient à coeur de faire de son quartier, un beau et durable projet.

Federico est un ancien mineur, il a vécu auparavant dans les Andes, avec sa famille restée à Lima. Aujourd’hui installé à Huaycán, il est élu en 2014 le Secrétaire général. Il représente le quartier et sa population auprès de la Municipalité d’AteVitarte.

S’il se dit plutôt de gauche, Pablo croit surtout en une société plus juste et égalitaire. Et que la ville soit une même chance pour tous.

Engagé auprès de la population, il souhaite améliorer les conditions de vie de tous. Il se projette avec enthousiasme dans le futur, malgré une situation économique et politique compliquée comme il me l’a exprimé.

Aujourd’hui, il reste investi dans le quartier. Dirigeant d’UCV, c’est une personne reconnu et respecté, jusqu’alors. Pedro a toujours été un activiste de gauche, il se dit même parfois communiste et me parle de «feu» Fidel Castro.

1 (groupe de recherches, d’urbanisme, de gouvernance et de logement social)

FEDERICO GODIÑO

Federico est un homme à l’esprit ouvert et social. «je ne me sens pas relié à un parti», ni de gauche, ni de droite, aucune extrême ne l’attire. Ni capitaliste, ni communiste me dit-il, ce qu’il l’importe c’est «luchar por la gente»1, toute personne comprise. 1

8

«Lutter pour le peuple»


D É F I N I T I O N PERSONNELLE

basée sur diverses lectures

Il paraît judicieux d’apporter une définition ouverte au terme souvent employé et central dans ce mémoire qu’est celui de l’informalité. Après lectures des écrits de Matos Mar, de C Petropoulou, de Jean-Louis Chaléard, de Mathieu Durand et encore bien d’autres, il semblerait possible de définir l’informel comme la formation de multiples stratégies créatives, ne s’inscrivant pas dans l’enveloppe des règles convenues, à fin de répondre aux manques de moyens formels, soient des processus législatifs établis, qui dressent le conventionnel par lequel il se « devrait » d’accéder à tel ou tel droit (urbain, économique, social...). Les pratiques informelles naissent des failles d’un système normé incomplet, n’embrassant pas toutes les nécessités, les demandes et les cas divers, favorisant la division des intérêts et démultipliant les « autres » possibilités. Nous finirons sur une citation, déjà citée par Émilie Doré, d’Alain Touraine (sociologue français) en 1988, « « rien ne justifie mieux la notion de secteur informel que la transformation de la marginalité en une situation majoritaire »1 »

1

Doré, Op. Cit, p. 13

9


CHAPITRE

I

Figure 7 - urbanisation, première page de l’article d’Eduardo Figari, HUAYCAN, una experiencia de urbanismo popular (source : Figari, Op. Cit, p.1)

AUX ORIGINES DE LA NAISSANCE D’UN MODÈLE : révolution urbaine ou utopie sociale 10


Comme nous l’évoquions dans l’introduction, l’apparition de ces nouvelles formes d’urbanités, spontanées et «mises de côté » par les autorités gouvernantes se sont développées et deviennent l’unique moyen de ces populations arrivantes d’accéder à la ville et de s’établir.

Ce qui nous amènera à exposer, en tant qu’illustration, comment Huaycán, dans ses premières années, va devenir la concrétisation d’une «utopie sociale ». Et comment cette utopie suit un schéma expérimental de révolution dans la planification urbaine par sa dimension participative, combinant les intérêts des pouvoirs décideurs avec ceux de la population locale.

« Cet exemple ne représente pas La solution. C’est un acte désespéré, qui ne peut que rappeler à l’ordre les responsabilités oubliées1 » L’indignation évoquée par Candilis met en avant la faiblesse de ces installations précaires. Face à une ville consolidée à l’accès fermé et par leur emplacement géographique périphérique, elles ne peuvent entrer dans un schéma durable de développement urbain d’une capitale en pleine croissance démographique. Ces mots de Candilis datent de 1977. S’ils expriment le ressenti porté par un regard étranger, au cœur même de l’intellect péruvien, la période des années 80 va être pionnière dans un changement manifeste de la prise de conscience globale et d’actions en résultant. Un changement porté par l’émancipation de ces intellectuels qui expriment cette situation d’urgence (à réaliser) et l’apparition de nouvelles formes d’urbanisme.

1

Candilis, Op. Cit, p.309 - 310

11


: un tournant, contexte 1. 1984 historico-politique, prise de conscience et action. Est ce une coïncidence, si la même année que Matos Mar publie son livre sur « le débordement populaire » à Lima, le parti de la gauche Izquierda Unida (IU) représenté par Alfonso Barrantes gagne les élections municipales, et que le projet de Huaycán commence ? Peut être cet enchaînement d’événements indique t’il un tournant dans le développement urbain liménien ?

L’État péruvien, en 1984 vit une crise non seulement urbaine, mais aussi économique, politique et bientôt sociétale, comme l’exprime Matos Mar, « L’accélération grimpante d’une dynamique insolite qui affecte toute sa structure sociale, politique, économique et culturelle. On parle du débordement, dans toutes les dimensions (le Pérou) 3» . L’emploi du mot débordement est intéressant dans la représentation formelle qu’il évoque, celui de sortir des limites, dans ce cas, celles de la ville. Mais aussi la représentation immatérielle qu’est celle du dépassement d’une société établie et sous contrôle, qui est en train de perdre sa stabilité. L’équilibre est rompu et la structure de l’État tout autant que la capitale s’effondrent.

La sonnette d’alarme tirée par les intellectuels

Matos Mar appelle à la prise de responsabilité et à la réaction de toute la population, englobant aussi bien les gouvernants que les habitants. Il écrit « Ou nous construisons notre destin ou nous acceptons passivement un futur incertain 4». Le passivement pourrait être une attaque directe aux autorités, dont la responsabilité est justement d’agir pour la ville et sa constitution. Mais il ne faut pas oublier, que les acteurs de celle-ci sont également les habitants, eux mêmes, concepteurs de leur environnement.

Après une trentaine d’années d’un phénomène largement en développement, commencent à se diffuser les écrits représentatif d’un contre pouvoir intellectuel qui tentent d’éveiller les populations et les autorités à la prise de conscience. « Le scénario dans lequel se joue le drame national est passé de la campagne à la ville 2»

Parmi cette même sphère d’intellectuels péruviens, 2

Mar, Op. Cit., p.41

3 4

12

Idem, p. 17 Id., p. 21


l’économiste, Hernando De Soto écrira en 1986, El otro sendero, l’autre chemin en français,. Dont ce titre fait directement allusion au Sentier Lumineux (SL), mouvement terroriste aux idéaux communistes, basés sur des principes marxistes poussés à l’extrême. Dans son livre, De Soto amène la notion d’informel. Cet autre chemin dont il parle est l’allégorie d’une pratique existante qui va aller en se diversifiant, vers des informalités par la diversité des domaines touchés et des moyens empruntés. (économie, urbanisme, transport...)

facilitant le droit d’accès à la propriété et la protégeant 5. Ce droit, pour lui, était une étape majeure dans la voie d’un développement capitaliste réussi. Cette problématique de l’accès à la propriété et de sa régularisation reste majeure dans la subtile couche qui sépare l’état informel du formel. Néanmoins, il faut rappeler les idéaux politiques de De Soto, économiste libéral. De son côté, Matos Mar appelle le Pérou à s’« ouvrir son propre chemin vers le socialisme 6». Même si les idéaux divergent dans ce combat vers le progrès, l’objectif, quant à lui, reste commun.

Peu à peu, les pratiques informelles vont commencer à être définies plus spécifiquement et reliées à la notion de populaire, ce que l’on pourrait traduire comme des pratiques venant du peuple. Dans ce sens, l’économiste De Soto qualifie de « capitalisme populaire », l’économie ou les économies informel(les), soient les couches parallèles à l’économie influencée par la mondialisation. En même temps que l’architecte Eduardo Figari nomme son article « Huaycán, une expérience d’urbanisme populaire », un urbanisme combinant les couches formelles et informelles.

Renversement dans la politique municipale L’invasion extraordinaire de Pamplona dont parle Candilis, s’est consolidée en l’une des premières villes autogérées de la périphérie liménienne, Villa El Salvador. Un des exemples les plus emblématiques de l’époque.

Il reste important de parler du rôle qu’a joué Hernando De Soto depuis les années 80 jusqu’à aujourd’hui dans ces questions de développement économique, social et urbain de Lima, du Pérou et des pays du Tiers Monde en général. Il a lutté pour mettre en place des processus législatifs

5 Ley de Registros de Predios Rurales (1991) permettant l’enregistrement et la légalisation de la propriété, cette loi (proposée par l’ILD (institut pour la liberté de la démocratie)) fût suivie d’un certains nombres d’autres s’y rattachant. 6 Mar, Op. Cit., p. 21

13


Suite à Villa El Savador, l’invasion devient une pratique commune, et qui entraîne un grignotage progressif de toutes les terres vacantes limitrophes au périmètre urbain. Ce phénomène va s’étendre sur la plupart des collines environnantes à Lima. Un étalement urbain qui s’est développé suivant trois directions imposées par les conditions géographiques physiques du territoire, formant les cônes Sud, Nord et Est (porte des Andes sur la capitale). L’État a tenté, à plusieurs reprises, de réagir face à cette croissance accélérée et totalement non maitrisée.

organisées et fréquentes 8». Ainsi s’est formé tout un réseau de villes satellites autonomes, germant autour de l’oasis, et occupant peu à peu les terres libres avoisinantes. Cellesci, en grande partie, sont des terres agricoles, sources de cultures nécessaires à l’alimentation de la capitale. La crise globale péruvienne des années 80, amenant de forts bouleversements dans les structures économiques, sociales et politiques du pays, s’exprime politiquement par une « montée massive 9» de l’électorat des partis populaires. De fait, les périphéries continuent de se peupler. Les classes précaires y demeurant, portées par des idéaux populaires et socialistes, forment un poids politique fort à l’échelle urbaine. Ce qui va entrainer un changement politique à gauche dans la Municipalité de Lima dès 1980, dont le premier parti à en être gouvernant est l’Action Populaire10 de 1981-1983.

« En 1961, suite à d’infructueuses tentatives de freiner par la répression les invasions de terrains, le gouvernement créa une loi légalisant le droit de ces habitants à la possession de terres arides obtenues par invasions. 7» Une absurdité ? Ceci fait partie d’une stratégie de l’État, comme l’exprime Eduardo Figari, pour maintenir ces installations précaires dans les bordures désertiques de la capitale et protéger les propriétés urbaines centrales. Cette politique ségrégative va entraîner, bien sûr, un développement encore plus accru des expansions, comme l’exprime de même Figari. « Durant les années suivantes, Lima grandit au travers d’invasions à chaque fois de plus en plus 7

Cependant, ce n’est que le second changement de la municipalité de Lima qui va transformer les politiques urbaines. En janvier 1984, « entra en fonctions un gouvernement 8 Idem 9 Mar, Op. Cit., p.57 10 AP (action populaire), parti politique aux idéaux démocratique, nationaliste et révolutionnaire, «el Peru como doctrina». Il fût fondé par Fernando Belaunde Terry, en 1956.

thèse Figari, p.12

14


locales représentées par des municipalités (celles de quartier) plus développées et consolidées. Une conception permettant de diviser les gouvernances et d’agir à une échelle locale en considérant de manière plus réaliste les besoins de chaque zone.

municipal socialiste, le premier dans l’histoire de la ville. 11». Ce gouvernement est celui de la Izquierda Unida (Gauche Unie), représenté par Alfonso Barrantes Lingán, un parti rassemblant les divers groupes de gauche péruviens. L’arrivée de Barrantes à la tête de la municipalité de Lima va être décisif pour les expansions urbaines qui vont suivre.

De ce fait, les quartiers périphériques deviennent des lieux stratégiques dans cette politique urbaine sociale. Dans ce sens, le gouvernement municipal cherche à consolider l’espace urbain entre son centre et ses périphéries par des projets expérimentaux dont Huaycán est un avatar.

Aux débuts des années 80, sous la présidence de l’architecte Fernando Belaúnde Terry, la politique du logement n’est pas adaptée aux réalités et nécessités des populations. Les projets de logement à grande échelle ne s’inspirent pas des « innovations à partir de l’expérience spontanée des installations populaires 12». Figari fait ici référence à l’intérêt qu’il est de s’enrichir de ces autres formes d’urbanisation, autonomes, dans les nouveaux projets urbains, comme la formation de Villa El Salvador par exemple. De plus, la politique du logement engagé par le gouvernement de Belaunde ne répond pas à la demande de plus en plus urgente en logements sociaux et salubres.

Réagir au « débordement » Le débordement dont parle Matos Mar, est physique par l’expansion hors des limites administratives et contrôlées de l’aire urbaine liménienne. Mais il peut être aussi traduit par le débordement ou le dépassement de l’« ordre institutionnel 13». Ce qui entraîne une « détérioration de la structure étatique 14».et de l’organisation du territoire.

Les directives municipales, sous Barrantes, sont quant à elles plus à l’écoute de la population. Dans l’objectif de se défaire d’une hyper centralité des décisions, ces directives municipales s’orientent en la promotion d’entités politiques 11 12

Thèse de Figari, p.14 Ibidem

13 14

15

Mar, Op. Cit., p .20 Ibidem


Un débordement qui s’est accompagné d’une perte de maniabilité des espaces en limite du périmètre urbain, les périphéries. Ainsi que d’une perte de contrôle, comme dit précédemment, et cela dès les débuts du phénomène d’expansions urbaines. Ainsi l’exprime Fiagari, « 30 années d’expansion...avant que l’État ne réagisse 15».

De son côté, Candilis a des propos beaucoup plus virulents à l’égard de cette contribution, il écrit en 1977, L’administration péruvienne, sous prétexte de garantir l’ordre, la sécurité, et d’apporter une aide collective en installant l’eau, l’électricité et les égouts, avait retiré progressivement l’initiative et l’enthousiasme aux habitants, détruisant la solidarité humaine (…) Elle avait tué l’essentiel : la « communauté urbaine », l’esprit même de la ville16

Divers sociologues, anthropologues, architectes, urbanistes,... « dénoncent » l’accélération de ce phénomène d’expansion incontrôlée, le manque de considération de la part des gouvernants envers une population précaire et la négligence des conséquences urbaines sur le long terme. Il convient donc d’agir avant qu’il ne soit trop tard, il faut penser ensemble.

Il est intéressant d’exposer les divers points de vue et ressentis qui nous permettent de nuancer les faits. On ne peut négliger, que dans toute implication administrative, des intérêts internes sont présents et divergent de ceux des habitants.

Nous évoquions Pamplona, qui a donné naissance à la ville nouvelle et autogérée la plus connue de Lima, Villa El Salvador en 1971. Sa création s’est accompagnée d’une première implication de la part des autorités. De fait, l’État a souhaité apporter son soutien dans l’organisation, le dessin et dans le financement de cette installation populaire.

La particularité du cas de Villa El Salvador est que les autorités sont arrivées postérieurement à l’invasion et l’installation sur terrain.

Figari reste très tolérant dans sa thèse en évoquant les actions étatiques dans l’intervention de Villa El Salvador.

Le cas de Huaycán, quant à lui, relève d’une implication des municipaux envers les habitants avant même sa conception. Celui-ci peut être considéré comme un essai d’innovations urbaines, enrichi de l’expérience précédemment évoquée de Villa El Salvador et d’autres.

15

16

Figari, Op Cit, p.11

16

Candilis, Op. Cit., p.311


Figure 8 - répartition des terrains lors de la fondation de Huaycán, juillet 1984 (archive personnelle de Frederico Godiño)

17


Figure 9 - premières auto-constructions de Huaycán, juillet 1984 (archive personnelle de Frederico Godiño)

18


alternative urbaine : la 2. Une naissance et la conception de Huaycán, une ville innovatrice L’avant projet : formation d’une coalition.

L’époque de crise qu’est en train de vivre le Pérou dans les années 80 amène les populations les plus démunies à penser des formes alternatives de « faire » la ville. Celles-ci sont basées sur des systèmes communautaires et autogérés. Un des représentants de Villa El Salvador, Sigifredo, s’exprima quant à cette autogestion. « Vu que l’État était absent, c’est le peuple organisé qui était l’État 17».

À la différence du cas précédemment nommé, celui de Villa El Salvador qui fût issu en premier lieu d’une invasion spontanée sans concertation préalable avec les autorités, le cas de Huaycán a suivi une chronologie différente. Et cela, après maturation de ce premier exemple emblématique qui va, tout de même, fortement influencer la construction de cette nouvelle communauté et ville.

« Une réaction du global par le local 18» Thierry Paquot parle des stratégies en contrevent de l’effet de mondialisation qui touche les villes, en pensant des projets à petite échelle et avec les outils et populations locales. Bien que les époques et les contextes soient différents, Huaycán est un exemple réalisé de la mise en œuvre de ce principe.

De fait, le « processus typique de formation des barriadas 19» décrit par Figari dans sa thèse se décompose en trois étapes : 1. Invasion : sélection du terrain et des participants, organisation de ceux-ci. 2. Assainissement physico-légal : reconnaissance légale par les autorités de l’occupation et titularisation des propriétés, mise en place des réseaux primaires 3. Consolidation de la barriada C’est donc suite à une considération commune de

17 Constuire l’utopie, l’autogestion urbaine : l’exemple de Villa El Salvador, article publié le 10 octobre 2013, http://www.autogestion.asso.fr/wp-content/uploads/2013/10/villa-elsalvador.pdf, consulté le 10 octobre 2017 18 Paquot, 2006, préface

19

19

Figari, Op. Cit., p.11


l’ensemble des acteurs de la ville, autorité comme population, qu’est créé, le 4 mai 198420, le projet du Programme Spécial d’Aménagement Urbain de la Zone de Huaycán ou PEH21, se voulant de penser « autrement » la planification urbaine et tenter de ne pas « appliquer au problèmes les instruments conventionnels 22» en suivant une politique d’accompagnement.

et Fisgón. « Huaycán est une expérience réussie d’intégration entre une initiative officielle et celle d’habitants dans un projet de développement progressif 26» Du côté de la population, l’initiative de se rapprocher des pouvoirs publics municipaux pour organiser une invasion était venue de regroupements d’habitants. En avril 1984, une association dénommée Andrés Avelino Cáceres, composée de plus de trois milles familles organise une assemblée à Vitarte, centre du district d’Ate. Une assemblée à laquelle ont également participé des fonctionnaires de la municipalité. La décision est alors prise d’attendre quelques mois (trois) avant l’invasion, une latence qui permettrait l’avancé de la part de la municipalité et des professionnels dans la planification des réseaux, du dessin urbain...

Le choix du terrain est fait par la municipalité avec l’accord des futurs habitants. Il se porte sur le cône Est de l’aire métropolitaine liménienne, c’est à dire, sur tout le territoire allant du centre de Lima à l’entrée des Andes, Chosica.23 Le terrain fait partie de la zone d’influence du district d’Ate-Vitarte. Une terre de 500 hectares24, au km 17 de la Carretera Central25 est choisie, sur les abords de la rivière Rímac. Un site qui regroupe à la fois des parties planes en contrebas et des collines aux alentours, intégrant les ruines archéologiques de « Pariachi ». La dénomination « Huaycán » est un rappel aux spécificités du site, avec la présence de huaycos (nom Quecha en référence aux alluvions) et au nom des collines environnantes Huaycán 20 21 22 23 24 25

D’autres associations tels que celle de José Carlos Mariátegui de El Agustino (autre district liménien) , composée de 500 membres, se sont aussi joint au projet. Une des conditions de la part des habitants est de se formaliser aux directives urbaines mais en adaptant le

Idem, p.5 PEH = Programa Especial de Habilitación Urbana del Área de Huaycán Idem, p.11 Voir carte de situation p.20 Idem, p.18 En français, route centrale

26

20

Figari, 1984, p.1


Chosica

km 17

Ate

rte

-Vita

Rimac Huaycán ra

rete

car

al centr

centre de Lima

Site arquéologique de Pariachi

Figure 10 - cartes de situation : Huaycán-Ate-Lima (en haut et en bas à droite : réalisation personnelle, carte : google earth, en bas à gauche : DWG de la Municipalité

21


processus à leur volonté d’indépendance. Celle-ci se traduit dans la formation d’une entité décentralisée des pouvoirs municipaux, ne s’inscrivant pas dans la hiérarchie traditionnelle. Ils veulent une gestion autonome avec une communication aux autorités supérieures. D’où le nom officiel de Huaycán, et celui que l’on peut toujours lire sur le panneau indiquant l’entrée sur la Route centrale, «Communauté urbaine autogérée de Huaycán ».

capitale. Or, l’expansion de l’aire urbaine accélérée et non planifiée ainsi que la réforme agraire de 1969, entrainent la disparition progressive de ces terres. Plus de 50 % des terres agricoles ont disparu sur dix ans, elles occupaient 29 000 hectares en 1920 et se sont réduites à un peu moins de 15 000 hectares entre 1969 et 1979 27. Une des urgences majeures pour les autorités est d’essayer de freiner cette dynamique, néfaste pour le développement futur de la capitale. Cette dynamique va entraîner une dépendance à l’importation des vivres produites dans les régions adjacentes à celle de Lima-métropole. Il faut savoir que déjà dans les années 80, Lima « accaparait et concentrait la vitalité du marché interne 28». Nous savons que ces tentatives de récupération ont en partie échoué puisque Lima dépend aujourd’hui dans une « proportion importante des vallées voisines ou d’autres régions du pays 29».

Du côté des municipaux, participer et appuyer le projet de Huaycán s’inscrit dans une stratégie plus large d’un développement urbain contrôlé de Lima. Par la conception de Huaycán, Barrantes réalise aussi la concrétisation d’un projet de logements populaires répondant aux perspectives évoquées lors de sa campagne. À long terme, c’est également une manière de revenir à une formalité progressive des propriétés. Et aussi de « récupérer » comme l’écrit Figari, l’emprise sur la vallée du Rimac, qui à l’époque est largement occupée par les invasions. Le but est de conserver la fonction agricole des terres concernées, qui sont nécessaires à l’approvisionnement liménien.

L’innovation de cette « invasion planifiée » est, en premier, de l’ordre du partage dans sa conception urbaine. Une conception qui va résulter en un modèle novateur de planification urbaine participative. Un modèle alternatif dans l’objectif de contrer l’accroissement des pratiques informelles. Et de démontrer qu’il est possible de créer

Il est intéressant de revenir sur l’utilité des terres périphériques au plateau liménien. Toutes les parcelles proches des trois rivières du Rímac, du Chillón et de Lurín, sont cultivées pour les besoins alimentaires de la

27 28 29

22

Mesclier et Al, Op. Cit., p.67 Mar, Op. Cit, p. 47 Mesclier et al, Op. Cit., p. 70,71


ensemble (autorités et population) la ville et ses périphéries par le biais d’un développement se voulant « modulable », soit évolutif.

directeur de l’opération. S’il y a un document écrit qui permet de structurer la construction du projet, un comité exécuteur va être de même mis en place. Appelé Comité de Gestion, il est constitué de délégués et de représentants des municipalités de district (Ate-Vitarte) et de celle métropolitaine. Ce comité va définir les conditions du financement de l’opération, les études préliminaires à effectuer, mais aussi l’établissement d’un règlement des conditions pour les bénéficiaires et finalement la directive du Plan Urbain. Il permet aux autorités de garder une vision générale et une main mise sur le projet.

Pour se faire, la municipalité met en place plusieurs cellules de travail permettant de former une collaboration antre les divers acteurs. Soient des professionnels, architectes, urbanistes, ingénieurs, politiciens ont travaillé en préalable avec les futurs habitants, puis sur le terrain. Des bâtiments dits « techniques » seront construits pour accueillir les équipes de professionnels. À fin de permettre la mise en place et le suivi de la planification urbaine de Huaycán, un architecte est désigné comme responsable du projet et de l’équipe de professionnels. En février 1983, Barrantes mandate un architecte aux idéaux révolutionnaires et engagé dans la lutte sociale, Eduardo Figari Wolf. Il devient le Secrétaire Exécutif responsable du PEH, jusqu’en janvier 1987.

Innovations sur les plans urbain et architectural, technique et sociétal. Les enjeux importants du projet ont été de repenser la formation traditionnelle de la barriada, qui se veut d’être contrer ici. Sans pouvoir, non plus, entrer dans le schéma de la planification urbaine qui s’applique dans d’autres quartiers de la capitale, du fait de la précarité de la population.

En avril 1984, lors d’une assemblée, il présente un document, compte rendu de la planification du projet, établi à la fois par l’équipe « technique » et par les habitants. Ce document se nomme le Projet Communal de Logement et de Développement Urbain qui, après approbation de la part de l’assemblée et de la municipalité, devient le plan 23


Un premier travail s’est porté sur le dessin d’un plan urbain général. Un dessin qui a permis d’établir « un tracé basique et un modèle d’occupation 30» du terrain ainsi que la mise en place d’un « ensemble de normes simples pour son développement 31». L’idée n’est pas d’élaborer un plan rigide et fixe mais au contraire, d’y incorporer une dimension flexible, permettant de s’adapter aux évolutions et aux changements futurs.

L’installation de Huaycán se fait donc simultanément entre la prise d’occupation et les premières installations des habitants, au même moment que finissent d’être établies la planification urbaine et les directives de consolidation du quartier. Si l’on peut voir une certaine division entre l’action hâtive de la population et la langueur des processus administratifs, ils ne vont pas pour autant se confronter mais au contraire, travailler ensemble et mettre en place une autogestion.

Figari écrit dans son article, à propos de sa conception de l’évolution liménienne de l’époque que « La ville doit se développer comme fruit de l’action de ses voisins » et que « sa forme doit enregistrer de manière indélébile le processus à travers lequel elle fût créée 32». La ville est une grande collectivité au sein de laquelle chaque habitant est acteur et constructeur de celle-ci.

Au terme de la première année d’occupation, les habitants se réunissent en un Congrès34. Pour hiérarchiser la communauté, une Association d’Habitants est alors élue, qui par la suite, va prendre en charge le déroulement de la planification et le suivi des chantiers. Un suivi avec l’appui de l’équipe organisatrice de la Municipalité de Lima, qui reste sur place dans un pavillon tout au long de la formation du projet.

Ce plan urbain est développé progressivement durant deux ans. Si sa conception débute dès 1983, le retard de sa finalisation provoque l’impatience chez les habitants, restés dans l’attente de son lancement. Ils vont alors décidé, sans pouvoir plus attendre et sans l’accord des municipaux, d’investir les terrains du futur Huaycán en gestation. Au matin du 15 juillet 1984, l’invasion commence.33 30 31 32 33

D’un point de vue de l’organisation, les caractéristiques sont donc établies. Du côté constructifs et exécutifs, dans quels termes le projet est innovant et se détache de ses prédécesseurs ?

Figari, Op. Cit., p. 24 Ibidem Ibid. Voir photo avant l’introduction.

34

24

Voir figure 15 p.32


Le plan général de Huaycán et ses spécificités : influence des logiques de Villa El Salvador.

hectare comprend soixante familles. À chaque famille est attribuée une parcelle de 90 m2. Ces unités sont pensées « suffisamment petite pour assurer la consolidation d’un coeur d’identité vicinale et à la fois suffisamment ample pour permettre les avantages propres au regroupement multifamilial 36» comme l’écrit Figari dans son article sur l’expérience.

Nous parlions précédemment de la mise en place d’un plan urbain évolutif. Huaycán suit un plan composé par zones. Ils commencent de l’entrée du quartier par la zone A, puis la B, la C et ainsi de suite. Ce zonage s’est développé selon cette logique alphabétique jusqu’à aujourd’hui, où la zone Z est construite.

L’équipe professionnelle conçoit ces noyaux urbains selon plusieurs principes. Afin de favoriser la vie communautaire, les maisons sont orientées sur la rue. Un espace qu’ils définissent comme « cœur de vie publique », à l’image de la « quinta », qui au Pérou, se réfère à la présence d’un espace commun au sein de logements. Cet espace dans le cas des UCV est pensé en maison communale, un élément que l’on retrouve également dans la conception de Villa El Salvador, de nouveau un exemple source. Ce bâtiment comprend une salle, des sanitaires, une cuisine et une infirmerie. L’usage de cette maison dépend de l’implication de chaque communauté d’habitants, elle les engage donc à s’investir dans la vie communautaire. 37

Cette première division en comprend d’autres internes. C’est sur ce point que Huaycán et Villa El Salvador sont comparables. Dans le cas de VES, les habitants se sont organisés de manière autonome et ont structuré le quartier selon des « pâtés » de maisons. « La base de l’organisation est le pâté de maison, qui compte 24 parcelles, c’est-à-dire 24 familles.35 » À Huaycán, chaque zone est composée d’une vingtaine, généralement, de noyaux. Ces «noyaux» représentent l’élément le plus innovant du projet, les UCV ou Unidad Comunal de Vivienda, en français, Unité de Logement Communale. Chaque UCV d’une surface d’environ un 35

Sur la parcelle qui lui est attribuée, la famille est libre de construire sa maison par ses propres moyens. 36 37

Paroles de Sigifredo, habitant de VES, dans l’article Construire l’utopie, Op. Cit.

25

Figari, Op. Cit. Voir figure 14 p. 38


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C A Pariachi - site archéologique

B E F

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H L

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développement alphabétique des zones 1983

J

K

Point de vue - figure 13 Prise de vue (i)

développement actuel depuis les zones existantes

Figure 11 - planification des zones - état entre 1984 et aujourd’hui (réalisation personnelle, référence : thèse d’E. Figari, plan DWG)

26

Figure 12 - schémas de l’installation habituelle à l’organisation de l’UCV (dessins d’E. Figari, Op. Cit., p. 2)


zone E

zone B

zone F

zone H

marché

s

occupations

elle

rm info

Figure 13 - emplacement des zones aujourd’hui (photographie personnelle, prise du 1-12-16 depuis le cerro «vista alegre»)

27


Figure 14 - maison communale dans la zone F (photographie personnelle, prise du 1-12-16)

28


Cette dimension participative permet aux familles de s’approprier ce nouvel espace et de garder une des caractéristiques identitaires des villes nouvelles, l’autoconstruction. Seulement, cette liberté n’est pas totale. Pour des raisons de salubrité, il est demandé aux familles de suivre certaines consignes architecturales particulières. Chaque maison ne doit pas dépasser trois étages, elle doit comprendre un patio intérieur permettant l’assainissement de l’air et un meilleur éclairage des pièces. Le bloc sanitaire doit être placé en façade pour faciliter son raccordement au réseau. Dans le cas de la construction d’un escalier extérieur, celui-ci doit desservir deux logements (mutualisation des infrastructures), etc...

quant à celles-ci (les innovations) 38» écrira Figari face au scepticisme des techniciens à chercher des alternatives.

La mise en place des réseaux Quelles sont ces innovations ? Les technologies doivent répondre à deux concepts principaux. Le premier : être en adéquation avec un développement progressif et accumulatif, ce qui permet de rendre chaque phase comme base de la suivante. Et le second, permettre la participation d’un travail local en terme d’exécution, de suivi et de maintenance des installations. Émilie Doré décrit bien ceci, « Le projet Huaycán était un des plus audacieux (parmi les projets urbains) en ce qu’il souhaitait faire de chaque habitant un technicien, et de chaque défi technique un espace politique où mettre en place le but ultime de cette expérience : l’autogestion.39»

Justement, un des problèmes les plus importants auquel la planification préalable a contribué, est dans la mise en place des réseaux de services basiques. Dans la plupart des invasions « traditionnelles » les réseaux d’eau, de tout à l’égout et d’électricité sont souvent manquants ou du moins très précaires. Dans le cas du projet de Huaycán, il est crucial d’arriver à réduire les coûts généraux de la mise en place de ces services grâce à l’innovation. Et une fois de plus, en intégrant la population à cette installation, « Les habitants ont non seulement montré de la perméabilité mais aussi de l’enthousiasme

Concrètement, la desserte d’eau se fait en premier par des camions citernes puis ensuite par un réseau de réservoirs. Huaycán, de par sa situation géographique ne peut être desservie en eau par les réseaux qui desservent Lima (le sujet de l’eau est abordée dans une autre partie du mémoire). 38 39

29

Figari, Op. Cit., p.4 Doré, Op. Cit., p.31


Chaque UCV possède une réserve de 15 m3 d’eau, les habitants se doivent de distribuer celle-ci équitablement selon les nécessités et disponibilités en mettant en place un réseau de distribution interne. Cette dimension mutualiste s’applique aussi pour le réseau viaire, développant l’artisanat et le savoir faire local, « les voies furent habilitées grâce aux travaux collectifs des habitants40 ». Quant à la gestion des eaux usées, chaque famille possède deux fosses, avec une alternance d’utilisation entre chacune de trois ans, permettant ainsi la sédimentation des résidus de l’autre, un processus durable et aux notions écologiques.

communautaire faite par les habitants. À Huaycán, c’est avec l’aide des municipaux, des architectes, des ingénieurs... que les habitants mettent en place une démocratie locale. Une autogestion progressive, qui à l’époque, concrétise la vision utopique du communautarisme d’un certain nombre d’habitants. L’ampleur du projet a une notoriété médiatique, il sera filmé et diffusé en un documentaire41, réalisé par Jean Paul Desgoutte, cinéaste et linguiste français à l’université de Paris.

D’un point de vue sociétal, la volonté d’équité pensée par l’équipe municipale est partagée par les habitants. Ils s’organisent, comme vu précédemment, en diverses associations d’habitants et ceci par UCV. Ils élisent des représentants à plusieurs échelles, par UCV, par zone et enfin pour le quartier. Huaycán est alors représenté devant les municipaux par un secrétaire général élu lors des congrès rassemblant les élus de chacune des parties précédemment citées. Cette hiérarchie pyramidale et son fonctionnement seront plus amplement détaillés dans la seconde partie de ce mémoire.

Participation : reflet de l’implication dans le projet et de l’indépendance des habitants. Le concept de l’UCV, les innovations technologiques et leur gestion ainsi que les différentes entités vicinales créées démontrent de l’esprit participatif, communautaire et d’autonomie dont les habitants de Huaycán ont fait preuve. Candilis écrit en 1977, « Nous construirons seuls nos maisons et notre ville, ajoutèrent-ils fièrement42 » . Il exprime la fierté que ressentent ces personnes et qui démontre l’importance de donner une action significative aux futurs habitants.

À l’image de Villa El Salvador et de son auto-organisation 40

41 42

Figari, Op. Cit., p.4

30

Desgoutte, 1987, 22 min Candilis, Op. Cit., p.306


En participant activement, physiquement à l’édification de leur ville, de leur maison, cette participation renforce le sentiment d’appartenance et d’attachement au lieu. De même, comme le démontrent des études sociales contemporaines, ce processus facilite une bonne réception d’un modèle en s’appropriant celui-ci, cela relève une fois de plus de la notion de considération. Dans le projet de Huaycán, les habitants font partis d’un essai innovant de coalition entre plusieurs intérêts, les attentes d’une majorité et l’espoir de re« contrôle » et de cohésion territoriale des autorités. Si l’on peut considérer que les habitants de Huaycán se sentent acteurs et membres d’une communauté et d’un projet global, qu’en est t’il à l’échelle de Lima-métropole. Se sentent-ils rattachés à la capitale ou au contraire, vontils s’en éloignés pour se forger une ville autonome ?

31


Figure 15 - réunion lors du IIème congrès (archive personnelle de Federico Godiño)

32


lieu chargé 3. Un politiquement : levier de pouvoirs à trois facettes Les périphéries, dans les années 80-90, sont le berceau de la gauche avec des idées communistes. Elles sont aussi des lieux stratégiques pour les dirigeants de la capitale et à considérer puisqu’elles sont le siège des expansions urbaines de l’époque et de celles à venir. Entre un contrôle semi présent des autorités et un contrôle local et autonome par les habitants, les périphéries restent des lieux fragiles et facilement perméables par les réseaux criminels. Huaycán illustre bien ces trois mesures.

par une planification urbaine révolutionnaire. Les aspects participatif et évolutif dressent Huaycán comme ville test à l’ambition d’être un modèle à suivre. Qui plus est, comme nous l’avons vu précédemment, sa situation géographique est stratégique.

Illustration d’une réussite dans les politiques urbaines

La vallée du Rímac est la porte d’entrée des Andes sur Lima, c’est par là bas qu’arrivaient, et qu’arrivent encore, les nouvelles migrations du centre du territoire et des Andes. En reprenant un certain contrôle sur cette vallée, le gouvernement pensent pouvoir maitriser de futures arrivées, ou du moins de les prévoir. De même, en dirigeant la planification expansive de la vallée, ils vont conserver un certain nombre de terres agricoles, dont une bonne partie des propriétés appartiennent à une communauté paysanne, celle de Collanac, avec laquelle Lima collabore.

En s’impliquant dans le Projet expérimental de Huaycán, Barrantes répond aux expectations de la majorité qui l’a élu. Les enjeux politiques à l’échelle de Lima-métropole sont de démontrer l’implication et la prise de conscience de ces quartiers délaissés et périphériques par les gouvernants.

Il y a aussi une dimension temporelle, le projet de Huaycán s’inscrit dans une vision large, celle du Plan de Développement Urbain des trois cônes de Lima. D’autres projets tels que la Pampa de Manchay au Nord ou San Juan de Lurigancho au Sud feront aussi partie de cette politique.

Également, c’est un gouvernement vecteur de changements qui se veut innovant, des intentions qui vont être démontrées 33


Illustration de la réussite d’une ville aux idéaux populaires-socialistes

politiques). Il est donc convenu de respecter le processus et la planification établis par les autorités. Cependant, les habitants veulent conserver leur intégrité politique et leur conception du communautarisme. C’est une perception qui n’entrainera pas de conflits d’interêt, du moins à l’époque, mais une conciliation des intérêts vers un but commun.

Depuis l’intérieur, la vision est tout autre. Bien que les intérêts soient en partie communs aux divers protagonistes, il y a aussi un certain nombre d’enjeux politiques internes.

Le projet Huaycán est le fruit d’une longue attente de la part de ses habitants, en grande partie représenté par une jeunesse révolutionnaire. Ils sont portés par des revendications gauchistes, parfois communistes. La concrétisation de Huaycán est pour eux la réalisation d’un rêve, d’une utopie sociale. Arevalo le définit ainsi, « la construction d’un nucléon d’une société socialiste au sein d’un État capitaliste devenait réalité 2», c’était dont le symbole d’une bataille gagnée ?

Des enjeux propres aux idéaux et revendications politiques et sociétaux des habitants et des leaders activistes. Pedro Arevalo, déjà cité dans ce mémoire, en faisait de même partie. J’ai eu l’occasion de rencontrer Pedro Sullca, qui est toujours activiste de gauche et se dit même communiste. Il s’exprime justement sur cette époque joyeuse de la création de sa ville. Pour lui, Huaycán allait devenir un véritable modèle, il parle de Figari comme un « père du dessin 1» de Huaycán. L’intérêt pour les habitants d’avoir l’aide d’architectes, par exemple, est qu’ils n’avaient que peu de notion de ce qu’était le logement, ou du moins, ce qu’il pouvait être. En cela, les connaissances professionnelles avaient leur poids dans la conception architecturale et les conseils avisés durant le suivi des constructions.

Les mots d’Arevalo sont similaires aux paroles de Pedro Sullca : pour lui, Huaycán a été « une alternative aux directives politiques ». Sa réalisation n’est pas le fruit d’une réflexion hâtive mais celle d’un peuple uni et fort, avec foi dans un projet avec « une vision à long terme ». Pedro Sullca y voyait lui aussi, dans Huaycán, la mise en place d’un modèle pour les futures villes nouvelles et expansions urbaines.

En effet, l’intention d’éviter la situation d’informalité est partagée par tous les camps (population comme 1

Mots issus de notre entretien du 1-12-16

2

34

Arevalo, 1997, p.63


diverses associations d’habitants

Et pour maintenir et organiser ce modèle, ils mirent en place, au début avec l’aide des autorités puis de manière autonome, une autogestion. S’inspirant de celle également mise en place à Villa El Salvador après sa consolidation, cette organisation autonome représente l’outil central à la réussite et la durabilité du projet de Huaycán.

60 familles 1 président du gouvernement local

demande pour un terrain de sport

de 6 à 23 UCVs / zone

1 secrétaire générale d’une administration générale

C’est donc un an après la naissance de Huaycán, du 19 au 25 juillet 1985, qu’a lieu le premier Congrès Ordinaire, auquel assistent plus de 700 personnes. En septembre 1987, l’organisation du premier Congrès Statuaire va amener à la création de la Communauté Urbaine Autogérée de Huaycán.3

1 comité de gestion

ZONE

projet de voirie

23 zones actuellement

1 conseil exécutif de Huaycan organisation de congrès

Reconnu auprès des autorités, autonome mais en relation avec elles, le rêve d’une ville harmonieuse est en train de prendre forme pour les huaycanais.

3 délégués de chaque UCVs

3 délégués de chaque zone

comité de gestion

QUARTIER

projet d’école ou d’hôpital

secrétariat général 1 médiateur (Federico Godino AJD)

Municipalité d’Ate

Or, derrière cette image idyllique d’une réussite globale, va s’immiscer un mouvement opposé à toute coalition ou communication avec les gouvernants, un mouvement qui va changer l’avenir espéré pour cet éden socialiste.

3 mars 2017

UCV

1 architecte responsable du développement urbain (Mario Castro AJD)

Ministère du logement - Municipalité de Lima

Figure 16 - Schéma de l’organisation pyramidale de l’autogestion et des acteurs actuels (réalisation personnelle)

Informations extraites de https://es.wikipedia.org/wiki/Huaycán, consulté le 26

35


Terrorisme et dictature : les limites du développement d’un modèle socialiste

au débordement), Emilie Doré, quant à elle parle du rôle joué par le SL dans la destruction « des ressorts de l’action collective6 ». En effet, leurs actions sont d’une grande violence, ils iront jusqu’à détruire physiquement la communauté en assassinant plusieurs leaders, qui représentent les noyaux consolidés de la communauté. En 1986, le leader Andrés Tapia est assassiné, entraînant la fuite de plusieurs dirigeants, dont Pedro Arevalo, qui évoque, dans son article écrit depuis son exil en Norvège, la mort de son amie Pascuala Rosado le 6 mars 1996, personnalité très appréciée et médiatisée.7

« malgré les jeunes leaders de gauche, les vieilles thèses d’un communisme autoritaire étaient toujours prédominantes4 » N’en déplaisent aux extrémistes, l’utopie sociale en laquelle croient les habitants de Huaycán n’illustre que la trahison de faux communistes en pacte avec les autorités aux yeux de certains. La réponse de « l’anti mouvement social5 » du Sentier Lumineux se développe dès les premières années après la création du quartier. Les partisans du SL mettent en place des propagandes anti leader et s’infiltrent dans les systèmes associatifs. Des tentatives qui ont pour objectif de semer le trouble et de rompre le lien social communautaire. D’un certain point de vue, leurs revendications terroristes sont peu légitimes, sachant qu’ils prônent, eux mêmes, des idéaux communistes, symboles du communautarisme.

Huaycán n’est pas un cas isolé, Villa El Salvador, est de même, comme d’autres villes périphériques autonomes, la cible du SL. En particulier VES, qui à l’époque illustre « un idéal autogestionnaire (…) qui s’oppose à leur vision autoritaire8 » Comme pour les municipaux, Huaycán est une « une zone clef9 » géographiquement, et de par sa notoriété à l’époque (événement médiatisé). Le quartier entre parfaitement dans la stratégie du SL « d’étouffement de la capitale10 ». Suite à ces événements terroristes violents, Huaycán passe en quartier « zone rouge ». Ce qui va véhiculer une image

Si Candilis évoque l’implication des autorités dans l’anéantissement de la communauté urbaine (1., Réagir 4 5

6 7 8 9 10

Arevalo, Op. Cit., p.63 Doré, Op. Cit.

36

Doré, Op. Cit., p.12 Voir figure 18 p.38 Article Construire l’Utopie, p.2 Doré, Op. Cit., p.18 Ibidem


négative et entraîne le déclin d’un modèle idéalisé par tous (ou presque). En réaction et pour se faire entendre du gouvernement, la population va commencer ses premières « marches ». En 1987, elle va aller jusqu’au centre de Lima, pour réclamer la paix et se faire entendre du gouvernement. Émilie Doré parle alors d’un changement d’état du quartier, de « l’idéalisation à la stigmatisation » Doré, p.19, une perception qui le poursuit encore aujourd’hui. À ce climat de terreur imposé par les actions terroristes du Sentier Lumineux, va venir s’ajouter dans les années 90 celui engendré par un État dictatorial, sous la présidence d’Alberto Fujimori11. Des années 80 au début des années 2000, le Pérou va être profondément marqué par cette guérilla, opposant l’insurrection armée du SL à l’appareil étatique s’octroyant les pleins pouvoirs. La population péruvienne, quant à elle, va plonger dans la peur, la méfiance et l’insécurité. Pour certains habitants de Huaycán, Pedro Sullca, ce fût une époque de double terrorisme, « le terrorisme du SL et le terrorisme de l’État12 ».

11 Informations extraites de https://fr.wikipedia.org/wiki/Alberto_Fujimori, consulté le 13 mai 2017 12 Mots extraits de l’entretien du 1-12-16

37


Figure 17 - Maria Elena Moyano, leadeuse à Villa El Salvador, emblème péruvien (archive personnelle de Federico Godiño)

Figure 18 - Pascuala Rosado, leadeuse àHuaycán (source : à gauche : http://4.bp.blogspot.com/-DMRFdErhf0I/ VQkGHlET3PI/AAAAAAAAA8w/yuapSxF5UK4/s1600/caretaspascuala.jpg , à droite : http://mujeresiconofem-cv-2008. blogspot.pe/2008_02_01_archive.html)

38


C O N C L U S I O N

Le projet de Huaycán a été le résultat d’une construction progressive et embrassant les divers protagonistes de la ville, autorités, professionnels et population. Leur travail s’est projeté vers un développement durable de la ville de Lima-métropole. Ils pensaient mettre en place des projets modèles, tels que celui de Huaycán, répondant à la fois aux nécessités d’expansions urbaines rapides et pour tous, à la demande de logements et aussi permettant une reconquête du contrôle territorial.

développement urbain instable.

Cependant, si la coalition des intérêts et celle des acteurs semblait harmonieuse dans les débuts, des facteurs extérieurs mais aussi internes sont venus contrarier la possibilité d’une évolution heureuse. Le développement progressif de tensions au niveau national a mis en place un climat de terreur. Ces tensions se sont infiltrées dans la capitale et en particulier dans ses périphéries, Huaycán, Villa El Salvador et bien d’autres. Des zones dans lesquelles des divisions nourries par la peur se sont créées et marquées, handicapant l’évolution promise d’un modèle urbain. Ces divisions se sont renforcées sous l’influence mondiale du capitalisme et « des modèles d’urbanisme issus du Nord13 » appliqués à la «va-vite», entraînant dans ce climat, un 13

Ortega, Op. Cit., p.81

39


40


41


CHAPITRE

II

Figure 19 - vue surplombante depuis la zone J (photographie personnelle 4-03-16)

HUAYCAN AU COEUR D’UNE MÉTROPOLE sous diverses tensions 42


43


S’interroger sur l’instabilité ou le déséquilibre liménien nous amène à décortiquer les complexités de cette capitale. Sans nous détacher de notre point vecteur à ce questionnement, Huaycán.

en périphérie et souvent oublié par le centre liménien, Huaycán nourrit pourtant la fierté de ses habitants. Souvenons nous des revendications politiques de la population originelle au quartier, qui a lutté pour que Huaycán conserve une façade utopiste et harmonieuse. Malheureusement, les tensions actuelles et l’histoire urbaine, politique et sociale de la capitale ont impacté le développement de Huaycán, qui aujourd’hui, se retrouve dans un « entre-trois ».

Ce chapitre complexe à l’image de son territoire se concentre sur un choix de questions issues de mes ressentis personnels, suite à mes voyages sur place, mes entretiens et de même aux lectures qui m’ont accompagné. Mes déplacements au sein de la capitale et jusqu’au quartier m’ont conduit à me questionner sur le fonctionnement de Lima. Durant les heures passées en bus, van ou taxi, en regardant par la fenêtre, la ville ne s’interrompt jamais, pourtant les quartiers défilent et les ambiances s’y succèdent, révélatrices des discontinuités urbaines d’un tissu infini.

Un « entre-trois » où la formalité, l’informalité et l’illégalité cohabitent en parallèle avec une population désorientée et des autorités en (re)conquête du contrôle territorial.

Qu’elles soient physiques, mentales, visibles ou perceptibles, les discontinuités liméniennes nous enseignent les divisions qui séparent la population dans la capitale, les hiérarchisent et les stigmatisent. Certains quartiers sont rêvés tel un but inaccessible tandis que d’autres sont évités, par peur ou mépris. Où se situe Huaycán dans cette dualité ? Comment s’identifie le quartier quant au reste liménien. S’il est situé 44


L ’ I N F I N I

Huaycán, jeudi 1 décembre 2016 Je me suis surprise entre le souvenir que j’avais et ce que là je re-découvrais. Accompagnée de Federico Godiño, le représentant général actuel de Huaycán, nous prenons un bus depuis la place centrale d’Ate-Vitarte, proche de la municipalité. Je lui demande le temps de trajet jusqu’à Huaycán. Il me répond 30 à 40 minutes. Je pense « cela de plus à ajouter aux 2 h 30 que j’ai fait ce matin pour venir d’où je réside (Roma) à la mairie d’Ate ». Soit il faut environ 3 heures de trajet pour rejoindre Huaycán depuis toute une partie de Lima. Nous prenons donc le bus, qui est plutôt un mini van. Nous roulons le long de la « carretera central ». Je regarde par la fenêtre, toujours le même paysage. Un premier plan urbain, des façades alignées sur la rue, certaines plus abouties que d’autres, peintes, ou en construction. La plupart sont des devantures de magasins, de restaurants, d’ateliers en tout genre. Les étages supérieurs sont à moitié

Figure 20 - vue depuis le cerro derrière la zone L en direction du Nord (photographie personnelle 1-01-16)

45


finis, des tiges métalliques jaillissent de chaque toit, dans l’attente d’une nouvelle couche. La ville ne s’arrête donc jamais. Plus de 3 h de bus et ce même continuum urbain, plus ou moins établi. En second plan, les « cerros » se dressent, de plus en plus nombreux et élevés. Ils ont la pente aride, un gris marronné fait de roches et de poussières. Seuls de petits carrés colorés les égayent. Ce sont les dernières habitations de fortunes, les dernières invasions et leurs établissements. Sont-ils l’action de personnes en détresse ou le territoire de trafiquants et de mafias ? Je ne sais pas et ne le saurais sans doute pas. Lima me semble à cet instant infinie, pourtant je ne la vois pas. Du moins, je n’en vois plus qu’un morceau, un de ses cônes. Je me retourne, mon regard se perd dans ces montagnes désertiques. Le ciel est lourd, un voile de poussière recouvre l’horizon, il le floute, où est passé l’océan ?

46


tissu urbain continu 1. Un mais désuni, des zones marginalisées et persistance de la ségrégation. Cette introduction personnelle et sensible nous permet de nous intéresser plus profondément aux problématiques que Huaycán permet de dégager sur une capitale dont la composition est fragile.

Un panneau bleu avec écrit l’intitulé « Comunidad Urbana Autogestionaria de Huaycán ». Nous avons vu en première partie, que Huaycán se situe dans l’extension du cône Est liménien. Le quartier est donc placé dans les périphéries étendues de la tâche urbaine, au pied des collines.

Lima est en effet marquée par les divisions. En tant que métropole, celles-ci sont plus fortement inscrites, les « différenciations socio-spatiales (sont) plus marquées que celles des autres villes1 ». Ces divisions sont à la fois physiques donc spatiales, mais aussi sociales. Elles illustrent les effets de marginalisations fortement marquées et de ségrégations persistantes, qui sont ancrées dans la mentalité liménienne.

Auparavant, lorsque les premières migrations massives sont arrivées à Lima, l’établissement de ces populations rurales s’est fait en distance avec le centre de la capitale. Cette division, comme mentionnée dans le chapitre précédent, était volontaire et issue de directives politiques ségrégatives se forçant de maintenir les populations séparées.

De par sa situation enclavée, Huaycán illustre en partie ces constats.

Aujourd’hui, comme le dit Pablo Muñoz lors de notre entretien, Lima n’est plus scindée en plusieurs urbanisations mais est « une seule et même ville2 ». Pourtant cette «continuité» urbaine et physique est loin d’être homogène et de représenter une unité urbaine et sociale.

Ruptures et marginalisations de Huaycán en tant que périphérie. Il faut attendre le 17ème kilomètre sur la « carretera central » pour que soit indiquée la sortie vers Huaycán.

Cela s’explique par le changement de situation géographique qu’ont vécu ces périphéries. L’étalement continu et accéléré de la tâche urbaine liménienne a engendré la disparition et l’urbanisation des terres vacantes

1

2

Mesclier et al, Op. Cit., p. 71

47

Extrait de l’entretien du 5-12-16


Un environnement qui, s’il lui a valu son appellation, aujourd’hui le contraint dans son expansion et limite aussi son influence quant à la sphère métropolitaine.

qui, auparavant, séparaient l’oasis liménien de ses villes périphériques. Ces périphéries ont donc été physiquement rattachées à Lima-Métropole. Des caractéristiques qui « expliquent qu’elles (les périphéries) soient bien placées dans la dynamique de métropolisation, mais qu’elles soient également le lieu où la ségrégation est la plus nette3 » . Un rattachement à la fois positif mais aussi impulsif de nouveaux conflits.

Si dans le cas de Huaycán, on parle de la carratera centrale comme lien et rupture, à Lima, le fait de traverser une avenue principale ou une voie express traduit le passage d’une zone « riche » à une zone « pauvre » ou d’un quartier sûr à un quartier d’insécurité. Comme par exemple pour aller de Miraflores, centre bourgeois et touristique, à Surquillo, quartier populaire à l’image insécuritaire, il faut seulement traverser la «voie express ». Le tissu liménien se découpe selon de grands axes qui définissent les quartiers, ceux-ci sont qualifiés et stigmatisés.

Huaycán est en situation périphérique par rapport à l’aire urbaine liménienne, cependant, le quartier représente la 6ème zone du district d’Ate-Vitarte. Il vient terminer le zonage qui compose le district et qui s’étend sur le flanc Sud de la carretera centrale. Cette route principale est l’unique cordon qui lie le quartier à Lima, Huaycán y est rattaché par l’Avenue d’Andrès Avelino Cáceres4, elle même, route principale du quartier.

S’intéresser aux liens et ruptures physiques qui forgent le tissu urbain liménien et en établissent ses passages et frontières nous conduit à la question des réseaux. Par réseaux, il est pertinent de s’intéresser à ceux routiers comme l’a introduit cette première partie mais aussi à ceux des services, tels que l’eau ou le tout à l’égout. L’organisation et la hiérarchie de ces réseaux démontrent les inégalités urbaines en terme de qualité, d’efficacité mais aussi de capacité des structures d’une métropole difficile à articuler.

D’une certaine manière, la carretera centrale relie autant qu’elle sépare Huaycán du reste urbain. Les connexions routières vers la capitale sont dépendantes de cette unique voie d’accès, qui se retrouve facilement engorgée aux heures de pointe, ce qui augmente la distance temporelle de Huaycán avec le centre de Lima. (différence d’1 h ou +) Les liens physiques avec la ville sont très limités et Huaycán reste enclavé et occulté par son relief environnant. 3 4

Mesclier et al, Op. Cit. p. 69 Voir figure 11 p. 26

48


3h à4

1

à3

0 h3

h

h

2h

à2

h

Huaycán Ate

+ 10 min mototaxi, vélo, à pied

Place Bolognesi

Figure 21 - Carte avec mise en valeur des distances en bus : centre Lima - Ate - Huaycán

Démultiplication des types de transport

49


Les réseaux : à la fois connexion et séparation, ils illustrent un déséquilibre métropolitain.

de la capitale, celle-ci est totalement saturée aux heures de pointe. L’état de cette artère est représentatif d’un phénomène généralisé à toute la métropole. Le réseau viaire illustre la centralisation métropolitaine qui prédomine. Celui-ci est concentrique, la place Bolognesi (place centrale), est l’épicentre de ces artères urbaines. Ce qui entraîne un drainage des flux automobiles et une saturation, aux heures de pointes, de toutes les avenues. Aujourd’hui, les infrastructures routières de Lima supportent à peine l’affluence quotidienne. L’année dernière, lors de mes trajets en bus dans la capitale, il arrivait parfois que tout le trafic soit totalement immobilisé, durant des dizaines de minutes, sur des avenues principales telles que Javier Prado, Faucett ou bien Abancay.

Comme je le décrivais dans l’introduction, l’accès depuis le centre de Lima au quartier prend environ 3 h en bus. Une durée qui démontre une accessibilité réduite et un temps de mobilité à rallonge. En tant qu’habitant de Huaycán, il faut, de plus, ajouter le trajet jusqu’à sa maison. Celui-ci peut être soit piéton, soit en bus ou en moto-taxi. Les conditions géographiques en pente entraînent une multiplicité des moyens de transport. Ce qui en augmente encore la durée.

Les liaisons internes sont donc ralenties selon les heures de pointe. Alors quant aux liaisons centre-périphéries, elles deviennent de plus en plus difficiles et incapables de répondre aux flux quotidiens. Ce qui renforce l’éloignement des populations y habitant.

La connexion à Lima-centre et au reste de la ville est contraignante. Or, comme l’exprime Pablo Muñoz lors de notre entretien, un temps de transport aussi conséquent est synonyme « d’une mauvaise qualité de vie5 ». Cela renforce qui plus est, l’enclavement et la fermeture de Huaycán à l’égard de Lima-centre et oasis.

Je parlais précédemment de trajet en bus. Les systèmes de transport en commun à Lima, en dehors de celui du bus Métropolitain et du train aérien, sont tant multipliés et désordonnés, qu’ils nourrissent ce « chaos » routier. Il est d’ailleurs intéressant de regarder l’organisation de ces

Comme expliqué précédemment, la Carretera centrale étant l’unique voie routière depuis Chosica jusqu’au centre 5

Extrait de l’entretien du 5-12-16

50


transports en commun, qui sont eux aussi représentatifs, de par leur démultiplication et leur manque de coordination et de contrôle, d’une échappée institutionnelle de la part de l’Etat.

de consolider le tissu urbain métropolitain du port jusqu’au cône Est, pour l’instant encore délaissé. Les cônes Nord et Sud, jouissent d’une connexion par voie aérienne avec une ligne de métro construite depuis 1986. Sur le site d’une des agences promotrices d’investisseurs privés à Lima (ProInversion), nous pouvons lire qu’ « un des bénéfices les plus imortants du projet (métro) est qu’il réducira radicalement - de plus de 2 heures de trajet entre Ate et Callao à 45 minutes - en augmentant la productivité heure/homme 7» C’est un projet qui n’intéresse pas seulement les habitants, les politiques ou les urbanistes mais aussi toute une sphère économique.

De par sa distanciation spatiale et temporelle, Huaycán s’inscrit avec nombre d’autres quartiers dans l’image d’une périphérie lointaine, extérieure à l’influence métropolitaine. Il dépend d’un seul axe, la carretera centrale, censée supporter les flux de toute la périphérie du cône Est et de la connexion avec les Andes. Cela illustre l’isolement que subit le quartier. Parmi les personnes auxquelles j’ai demandé si elles connaissaient ou avaient déjà été à Huaycán, peu étaient capable, ne seraitce, de me situer le quartier.

D’autres projets, dans des perspectives futures (PLAM 2035) portent leurs réflexions sur un réseau viaire transversal, reliant les cônes entre eux. Ce qui soulagerait l’actuel réseau concentrique.

« si tu n’es pas forcé par la société à aller dans tel ou tel quartier de Lima, tu restes dans ton quotidien, ta routine urbaine6 ». M’a commenté Pablo Muñoz quand je lui évoquais ce constat. Néanmoins, aujourd’hui, les municipalités de Lima et d’Ate projettent de connecter efficacement le district avec le reste de la capitale. Il est prévu la construction d’un métro souterrain passant par le centre et unifiant El Callao avec Ate (travaux 2017-20211) Une liaison qui permettrait

La chercheuse géographe Christy Petropoulou parle dans le cas de Lima, et de l’isolement des quartiers dans les périphéries, d’une presque ghettoïsation de ceux-ci dans l’esprit des personnes extérieures à ces zones. Comme le démontre Huaycán, ces quartiers sont isolés de par leur situation géographique, mais aussi de par leur manque de liaisons (transports) et également de services (eaux,

6

7 Bulletin insitutionnel de ProInversion, consultable à http://www.proinversion.gob. pe/modulos/JER/PlantillaStandard.aspx?PFL=1&JER=7901, consulté le 21 mai 2017

Extrait de l’entretien du 5-12-16

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électricité) qui dans certains cas, illustrent l’inégalité existante entre les types de quartier.

verde », un front de mer urbain censé être vert, ressemble davantage à une falaise désertique. Sauf en certains points, les zones de la costa verde en amont des quartiers « riches » ou touristiques sont arrosées et entretenues. Lors de mes entretiens, j’apprends étonnamment que Lima regorge d’eau, seulement, que celle-ci n’est pas bien gérée ni répartie équitablement.

Une inégalité encore plus fortement marquée dans la gestion et distribution des réseaux d’eau.

L’injustice souterraine des réseaux d’eau et de tout à l’égout.

Lors de ma rencontre avec Pablo Muñoz, il m’a expliqué la distribution générale de l’eau dans la Métropole et la situation de Huaycán quant à celle-ci.

L’année dernière, je me suis souvent questionnée sur le fonctionnement des canalisations à Lima au vu des nombreuses recommandations préventives, et sur l’origine de l’eau, abondante parfois et inexistante en d’autres lieux. Comment une capitale si gigantesque et aux semblants chaotiques réussissaient à alimenter et à gérer les demandes de ces onze millions d’habitants ?

L’eau, à Lima, est un des rares services publics dont SEDAPAL8 est une entreprise de droit privé qui le gère depuis 1981 9. L’eau est à 80 % issue de la rivière Rimac. Il existe deux stations de traitement, la première est située à Chosica, mais son équipement est limité et ne permet pas une distribution globale de l’eau. Il y a donc une autre station, « la Atarjea », située entre El Agustino et Santa Anita (quartiers limitrophes au centre liménien et avant Ate) au bord de la rivière Rimac.Depuis cette station est alimentée toute la partie de Lima qui se situe à un niveau plus bas de ce point géographique. La pression naturelle due à la pente

De fait, un des thèmes centraux à Lima et sur toute la côte est la question de l’eau. Tout d’abord se pose le problème de son approvisionnement. Si l’on remonte aux origines de l’installation humaine dans les vallées du Rímac, de Chillón et de Lurin, cette occupation s’explique par la présence de terres florissantes, gorgées d’eaux descendant depuis les Andes. Aujourd’hui, le portrait de la vallée est tout autre. Lima se divise entre zones verdoyantes et désertiques. Sa « costa

8 9

52

Servicio de Agua Potable y Alcantarillado de Lima Ioris, 2015, p.93


permet le fonctionnement du réseau. Mais toutes les zones plus hautes que cette station sont hors de portée du réseau et doivent développer d’autres stratégies.10

de SEDAPAL et des autorités locales à l’époque pour améliorer les conditions. Ces débats ont été et le sont encore, au cœur des protestations de la part des populations récemment installées.

Tel est le cas pour Ate. Actuellement, l’eau est tirée du Rimac et mise dans des piscines, traitée et ensuite pompée puis redistribuée dans le district. « Cela n’est pas une situation durable11 », c’est couteux et dommageable pour l’environnement et les réserves d’eau. Dans le cas de Huaycán, comme on l’a vu en première partie, un réservoir est attribué à chaque UCV. Ces citernes sont situées en hauteur de la zone qu’elles desservent.

Aujourd’hui, le système d’approvisionnement à Huaycán reste plus coûteux que pour les quartiers qui sont raccordés au réseau. Ce qui est paradoxal puisque les populations des périphéries, en général, et des habitations sur les collines sont les plus défavorisées. Cette situation revient comme le dit Alexis Sierra* à « une alternative plus chère pour les pauvres13 ».

Le système conçu lors de la conception du quartier, a malheureusement vite montré ses limites face à son autogestion et à la croissance accélérée du quartier. Pour Antonio A. R. Ioris, professeur de géographie humaine, « lack of water and sanitation has been one the most significant failures of the settlement of Huaycán12 ». Ce manque d’équipements et de services a obligé de nombreux nouveaux habitants, dans un premier temps, à se fournir par eux mêmes en eau et à la stocker .

Federico Godiño m’expliquait que les nouveaux arrivants qui n’ont pas encore d’accès à l’eau, demandent à ceux possédant un réservoir de « partager » leur réseau. S’est alors développé un nouveau commerce, ceux qui « louent » leur accès à l’eau mensuellement de 20 à 30 soles (7 à 11 ¤) et revende l’eau. Les habitants qui optent pour cette option payent donc plus chers que s’ils payaient directement à SEDAPAL leur approvisionnement. D’où pourquoi, des habitants s’associent afin de demander ensemble la mise en place d’un réservoir.

Antonio Ioris appuie sur le peu d’implication de la part 10 Voir figure 22 p. 54 11 Extrait de l’entretien avec Pablo Munoz du 5-12-16 12 « le manque d’eau et d’installation ont été les échecs les plus signifants de l’établissement de Huaycán », Ioris, Op. Cit., p.98

13

53

Metzger et al, 2014,p. 11


Huaycán

Ate - Vitarte La Atarjea

Ate

rte

-Vita

jea

Atar

Huaycán

Réservoirs d’eau (localisation subjective) Drainage depuis la rivière Rimac (principe)

Figure 22 - Carte et coupe de mise en situation des pôles selon le réseau hydrographique Atarjea - Ate - Huaycán (réalisation personnelle, fond de carte :

54


Si le réseau d’eau à Lima est unifié, il est loin d’être suffisant quant à la demande actuelle qui ne cesse d’augmenter. Les réseaux de distribution « conçus par petits tronçons »14 rendent difficile leur évolution. De même que le sousdimensionnement des tuyauteries favorise la saturation du réseau.

latina donde los pobres pagan diez veces más por el agua17 », cet approvisionnement en eau est le plus couteux. « mientras más arriba en la ladera vivan, mas tienen que pagar por el agua18 » L’eau, pourtant abondante dans certaines parties de Lima, devient un luxe pour tous ceux qui habitent les « laderas ». Dans le livre Water and Cities in Latin America, Antonio A.R. Ioris parle dans son chapitre sur les services d’eau à Lima, des inégalités de consommation d’eau. Il compare celle des quartiers aux installations (d’eau) précaires, dont la consommation journalière est d’environ 30 litres, Huaycán faisant partie de ses 3 cas d’études, avec en comparaison San Isidro, le « plus riche » quartier liménien, ayant une consommation d’environ 405 litres journalier19.

Afin de soulager le système, la ville a mis en place des politiques que l’on peut juger de discriminatoires. Dans certains quartiers, dont celui où je résidais (Roma), la pression de l’eau est presque nulle durant la nuit, d’environ 23 h à 6 h. À moins d’avoir une réserve personnelle telle qu’un tank en attique, le logement se retrouve privé de l’eau publique15. Un désagrément qui ne s’opère pas, bien sûr, dans les quartiers les plus aisés de la métropole. L’inégalité de l’accès à l’eau est encore plus flagrante dans les périphéries. Certaines zones de Huaycán, les moins consolidées, n’ont pas encore de réservoir d’eau commun. Les habitations précaires possèdent de petits tanks noirs ou bleus16, qu’ils doivent remplir, soit par eux mêmes, soit à l’aide des camions de SEDAPAL. Or comme l’écrit un article de la BBC « Lima, la ciudad de America 14 15 16

Si cela illustre l’injustice évidente de l’accès à l’eau et de sa consommation, l’usage public de l’eau fait aussi preuve de disparités selon les quartiers. Ainsi, la plupart des espaces « qualifiés » de vert sur le plan urbain d’Ate et en particulier à Huaycán sont bien désertiques dans la réalité. 17 « Lima, la ville d’Amérique latine où les pauvres paient 10 fois plus cher pour l’eau », Mervin, 2015 18 « Plus haut dans la colline ils vivent, plus cher ils doivent payer l’eau », Mervin, Op. Cit. 19 Water services in Lima, Peru, Understanding the linkages between urban development, social inequality and water Ioris, Op. Cit., p.94

Entretien avec PM du 5-12-16 Discussion avec Nadia Rodriguez, péruvienne chez qui je résidais Voir figures 23 p.56

,

55


Réservoirs d’eau remplis par SEDAPAL

Tank personnel d’eau

Figures 23 - Les diverses alternatives pour l’approvisionnement en eau à Huaycán (photographies personnelles - 1-12-16)

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Réserve personnelle d’eau


Tandis que des camions citernes de SEDAPAL inondent, littéralement, quelques espaces verts clôturés sur les avenues de Universitaria ou de La Marina (San Miguel) et que les parcs Kennedy ou El Olivar (Miraflores, San Isidro) sont verdoyants.

solides, une grande partie est utilisée pour les fondations des quartiers périphériques et des abords de la Vallée du Rimac. Une ville qui se construit sur ses propres déchets. Or les réseaux du tout à l’égout n’ont pas toujours été planifiés avant l’installation des terrains dans certaines zones récemment établies de Lima, en particulier les bords de la rivière Rimac. Les habitants, comme le démontrent les recherches de M.Durand, ont trouvé des alternatives pour évacuer leurs déchets. Des alternatives plus ou moins légales, mais surtout dommageables, puisqu’elles consistent à déverser le tout dans la rivière Rimac.

Ces thématiques sur les inégalités mises en évidence par les services, que ce soit l’eau ou les déchets, ont été au coeur de débats centraux lors de réunions du FMI ou de la Banque Mondiale à Lima (article BBC). Elles ont également fait l’objet de la thèse en 2010 de Mathieu Durand, enseignant chercheur en géographie, sur la gestion des déchets et inégalités environnementales et écologiques à Lima : entre durabilité et vulnérabilité. Un titre qui décrit clairement la situation. Une thèse dans laquelle M.Durand démontre les inégalités « cachées », celles de la gestion des réseaux souterrains de tout à l’égout et de leur traitement. Les quartiers riches étant favorisés et les quartiers pauvres ou les plus éloignés (Ventanilla ou après Chorillos) étant les sites de rejet des eaux usées de presque toute une métropole20.

Une fois de plus, la population se doit de trouver par elle même des solutions temporaires, leur permettant de subvenir à des nécessités primaires telles que l’eau, le rejet des eaux usées ou des déchets. Puisque le système et l’organisation mis en place officiellement ne sont pas capable de supporter une urbanisation si croissante et rapide. Huaycán peut se considérer chanceux de se situer en recul quant aux zones côtières et d’avoir établi, lors de sa conception, un système autonome de gestion des eaux usées. (voir partie I 3.) Cependant, est-il capable aujourd’hui, de gérer la croissance des déchets et d’eaux usées proportionnellement à son explosion démographique ?

M.Durand explique que dans le traitement des déchets 20 Les eaux usées sont drainées, traitées pour une certaine partie, quant au reste (la majeure partie) est rejetée directement dans l’océan Pacifique au Sud de Chorillos, et plus de 50 % au Nord, dans la baie de Callao, sur la plage de La Tabaoda. Le courant marin permet la remontée vers le Nord des eaux usées et ainsi, la baie de Miraflores, en bas des quartiers les plus aisés de Lima est «protégée». (Durand, 2010, p.356-252)

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Si l’on met ici en évidence les injustices appliquées dans l’organisation des réseaux selon les types de quartier. D’autres ont pour conséquences d’engendrer des attitudes ségrégatives et de marginaliser spatialement les quartiers. Ceux-ci sont ainsi qualifiés et les stigmates, qui leur sont associés, imprègnent les esprits. Les liméniens catégorisent les quartiers, Huaycán parmi ses confrères périphériques, en subit les préjudices.

cultivée par la stigmatisation et la discrimination orchestrée par la population. « le terme périphérie a longtemps été synonyme de marginalité et de pauvreté22 » Ce dénigrement envers les périphéries semble persister encore aujourd’hui. Pourtant, se sont construits, dans certaines régions aux limites de Lima, des quartiers luxueux. Tel que celui de La Molina en 1962, voisin au Sud par rapport à Huaycán, qui se situe au revers des collines. 23

De l’ancien « quartier rouge » à la barriada, la place de Huaycán dans l’imaginaire liménien.

Durant le workshop de Limapolis, nous avions appris que certains habitants de Huaycán allaient chaque jour travailler dans des maisons de La Molina, effectuant différentes tâches. Même s’il existe cette rencontre entre les deux quartiers, les stigmates qui leur sont attribuées persistent. Et cette mixité des populations « n’implique pas nécessairement une porosité entre milieux sociaux24 ».

Nous nous trouvons dans « une société où le centre et les périphéries correspondent parfaitement à l’échelle sociale, l’échelle spatiale et le style culturel21 ». Les paroles de Delich nous explique l’existence d’une hiérarchie urbaine, qui correspondrait dans sa composition aux différentes classes sociales affiliées selon le type de quartier. Une hiérarchie illustrée par les marginalisations et les inégalités précédemment mentionnées, mais aussi une hiérarchie 21

Les quartiers périphériques cohabitent plus ou moins biens entre eux. Parfois cette proximité forcée a engendré des attitudes discriminatoires révoltantes. C’est le cas du « muro de la vergüenza25 », dénomination donnée au mur 22 23 24 25

Delich, 2004, p.71

58

Chaléard et Al, Op. Cit., chap. 7, p. 7 Voir figures 24 p. 59 Chaléard et Al, Op.Cit., chap 7, p.7 «mur de la honte»


Huaycán

Fr

on

tiè

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La Molina

ure

lle

Figures 24 - Confrontation La Molina à gauche et Huaycán à droite (source : gauche > Voir inconographie, droite, photographie personnelle du 1 - 12 -16, en bas : fond google earth retouché)

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construit entre le quartier « exclusif » de Las Casuarinas et les dernières invasions, aux limites de Villa El Salvador, dénommées Pamplona Alta. Un mur dont le but est de « protéger » et de « préserver » la sécurité du quartier de Las Casuarinas. Long de 10 km, ce mur incarne la rupture sociale des populations et illustre, à l’extrême, des pratiques discriminatoires des populations riches envers les pauvres. mur de la honte

de ces quartiers, d’une fausse image qui n’est pas la tienne mais qui est véhiculé par les médias, les rumeurs... 27» On se souvient de l’image de « quartier rouge » attribuée à Huaycán, durant la période terroriste. Un stigmate que le quartier, aujourd’hui, a encore du mal à s’enlever. Comme je l’évoquais précédemment, le quartier est méconnu de la plupart de mes connaissances péruviennes, la majorité ayant une vingtaine d’années. Quand j’ai posé la question au père d’une amie, âgé d’environ 45 ans, il m’a en premier évoqué les antécédents terroristes, ce qui démontre de la persistance de cette étiquette.

Le climat de terreur, orchestré par les temps terroriste et dictatorial, évoqué en épilogue du chapitre précédent a marqué physiquement et mentalement le Pérou. Lima, aujourd’hui, est barricadée, des grilles26, partout, d’une maison à une autre, d’une zone à l’autre, d’un quartier à l’autre. Elles ont l’objectif d’être protectrices, mais elles illustrent surtout la division qui prédomine dans l’ambiance de la capitale.

Un autre contact, Mauricio Bermudez, qui travaille actuellement au Ministère du logement, m’explique que « Huaycán a toujours eu une mauvaise réputation, on le relie beaucoup à la délinquance et au terrorisme28 ».

Elles font partie de ces nouvelles formes de ruptures urbaines et sont de même visibles au sein de Huaycán. Cette peur et cette méfiance répandue à toute la métropole ne font qu’amplifier le phénomène de discrimination exercée envers certains quartiers. Un discrimination qui est nourrie par la crainte et l’ignorance. Ce que m’explique Pablo, « la notion de peur ou de quartier mal-vu naît de l’ignorance 26

Il y a peu, j’évoquais mon sujet de mémoire avec Santiago, un ami péruvien de mon école. En lui parlant de la création « organisée » et « contrôlée » de Huaycán, je l’ai surpris, lui qui pensait que le quartier avait toujours été une « barriada » issue d’invasions informelles. Cela semble être, pour un certain nombre de liméniens, l’écho 27 28

Voir figures 25 p. 61

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Entretien avec Pablo, 5-12-16 Conversation par internet du 6-12-16


- Quand la grille devient objet d’art, prises de vue dans la rue de Manco Capac, Centre de Lima, mars 2016

Avenida Peru, San Martin de Porres

Entrée de la zone L, Huaycán

Figures 25 - Les grilles de « sécurité » comme porte d’entrée de certains quartiers ( photographies personnelles mars-avril 2016 et du 1-12-16)

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qu’évoque Huaycán, se fondant dans la généralisation d’un phénomène métropolitain. La belle histoire d’autrefois semble s’être volatilisée.

aussi sur cette discrimination par rapport aux quartiers périphériques, il écrit « Pourtant la ville est là, tout autant que dans les beaux quartiers, dans ces vastes rassemblements, lieux d’espoir avant de devenir des lieux de misère30 ». Il faut, bien sûr, remettre dans son contexte les mots employés, qui ne s’appliquent pas objectivement à toutes les situations.

Changer l’image des périphéries et des quartiers stigmatisés en général semble être une problématique majeure. D’ailleurs, là aussi a été l’intérêt du workshop Limapolis. Il était composé d’élèves de la faculté d’architecture de la PUCP, et le site d’étude était situé à Ate, incluant le quartier de Huaycán. Peut-être ce workshop a t’il permis de dé-stigmatiser la vision négative des périphéries dans l’esprit des péruviens et des participants étrangers ?

La discrimination et la séparation des populations à Lima et au Pérou en général restent fortement prononcées. S’il y a une division du type de population entre les origines « raciales », celle-ci s’établit surtout sur la classe sociale à laquelle tel ou tel individu appartient. «les villes d’Amérique latine ne sont pas marquées par la ségrégation ethnique mais par la ségrégation sociale31 »

C’est donc un sentiment de peur dû à une méconnaissance que développe un certain nombre de liméniens à l’égard de ces quartiers périphériques. Pablo Muñoz m’explique que « L’imaginaire collectif liménien des « laderas » s’en fait une image horrible, c’est là où vivent les personnes pauvres, là où l’on vole, là où il y a des problèmes, des trafiquants de terre... sauf que c’est aussi là que vivent des milliers de personnes29 ». Il termine sur ses mots, qui expriment que l’identité liménienne se trouve bien là aussi, ici, dans ces quartiers en extrémité qui font partie du « tout » Lima. D’un point de vue plus large, Noël Cannat s’exprime

Cependant, la classe sociale, de par l’histoire péruvienne, n’est pas à distinguer d’une différenciation raciale. Au Pérou, il existe une grande diversité des cultures et des traditions, le patrimoine colonial s’est superposé à celui issu des multiples communautés d’autotochnes. De fait, dans les générations actuelles, le métissage interculturel semble être enclenché mais celui-ci n’est pas étendu à toute la métropole ni au pays. La discrimination évoquée précédemment se basant sur un jugement social et de

29

30 31

Entretien du 5-12-16

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Cannat, Op. Cit. p.15 Petropoulou, Op. Cit., p.5


richesse, existe de même d’une culture envers une autre, certaines se considérant plus « élevées ».

comme une volonté de ne pas vivre dans « le vrai Lima » mais dans celui aseptisé du quartier touristique et étranger.

Federico m’expliquait justement que l’occupation coloniale avait amené à la formation d’une population « criolla » (un métissage entre autochtones et colons (espagnols)). Or depuis la fondation de Lima en 1535, celle-ci a toujours été habitée par cette population « criolla » qui lors de l’exode rural du Xxème siècle des populations andines, les a maintenu à l’écart du centre liménien. Dès les débuts de l’expansion urbaine de Lima, le centre avait déjà commencé à marginaliser et séparer la population. Les périphéries représentaient, tout comme aujourd’hui, « les marginaux de la capitale32 ». La capitale alors était le siège de discriminations d’ordre raciale, sociale et ethnique. Se sont-elles estompées ?

À l’intérieur du Lima-oasis, centre urbain privilégié, la dominance d’une classe haute se cristallise. Tandis qu’autour de ce cœur, se développe le reste de la population. Les plus précaires ou les « marginaux » se concentrent et s’insèrent là où il est encore possible, dans les confins urbains33. Que ce soit dans les périphéries éloignées ou sur les abords du Rimac ou autres espaces délaissés. La capitale est divisée par ses divers quartiers. Ils se caractérisent selon leur réputation et leur type de population associé. Ainsi se forgent les stigmates, qu’ils soient péjoratifs ou positifs. Dans cette rivalité entre quartiers riches et pauvres, sûrs ou incertains, désirés ou rejetés, comment s’identifient les liméniens ? Quelle est l’identité liménienne, une pluralité rassemblée ?

Dans certains quartiers de Lima, par exemple celui de Miraflores, il est affiché dans divers lieux publics, places, bars, restaurants.. un panneau avec la mention suivante « ici la discrimination est interdite ». Il semble donc, encore, nécessaire de le rappeler et cela illustre la réalité d’un mépris peu visible mais persistant entre les catégories sociales et culturelles. D’ailleurs, dans le sens inverse, habiter à Miraflores est aussi synonyme d’embourgeoisement, ou vu 32

Si chaque quartier a son nom et sa réputation, qui de fait, en dressent une identité au sein de l’ensemble métropolitain, les habitants sont directement rattachés à l’étiquette de leur quartier. Pour Huaycán, si de l’extérieur, l’image construite dans les

Entretien téléphonique avec Federico du 16-05-17

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rèf à Alexis Sierra (voir avant propos)


esprits est souvent négative. Il faut pénétrer le quartier et connaître son histoire. C’est en rencontrant sa population, que l’on découvre sa vraie identité. Divisée, entre une qui tente de résister et une nouvelle qui ne sait comment éclore.

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P A R C O U R S

Avant de commencer la seconde partie de ce chapitre, il est intéressant d’expliquer le parcours que j’ai réalisé le jeudi 1 décembre 2016, accompagnée par Federico Godiño.

bleus. (Figures 23 p.56 et 30 p.79) En haut, nous avons été (suivi) accueilli par un groupe d’habitants de la colline, membres de l’association d’habitants «vista alegre», nom attribué à cette butte par sa population. (Figure 30 p.79)

C’est justement suite et grâce à cette visite sur place et aux constatations et rencontres réalisées en ce jour, ainsi qu’aux conversations entretenues avec Federico, que j’ai dégagé certaines pistes composant les questionnements de ce mémoire. Mon approche et mes intérêts ont donc été induits, et fortement influencés, par cette étude sur site.

Sur le flanc accompagnant notre descente, les constructions paraissent plus anciennes, parfois un petit jardin improvisé, une petite barrière en bois délimitant le privé du public.

Federico habite dans la zone L, nous avons donc entrepris une visite de Huaycán depuis sa maison. En pénétrant la zone L, j’ai remarqué que c’était une des rares zones protégées par une grille. (voir figures 35 p. 61)

Arrivés en bas, nous nous retournons et constatons l’ampleur de l’occupation informelle de ce «futur parc public» déjà oublié en tant que tel. (Figure 27 p 67 - 68) Face à la colline «vista alegre» les zones F et B s’étendent (Figure 13, p. 27), nous les traversons. Ce sont deux zones anciennes, fondées sur le schéma originel des UCVs, les maisons y sont bien consolidées, à plusieurs étages, la façade peinte, des avancées avec de petits jardins, grille en Finition.(figure 28 p.73)

Je souhaitais voir différents états d’urbanisation. Nous sommes en premier montés en haut du PPT (indiqué en marron), une colline envahie depuis plus de 10 ans, les constructions y sont artisanales, dans un état précaire. L’occupation de cette colline est informelle.

Nous pourrions tout à fait être dans n’importe quel quartier de l’oasis liménien. On y retrouve par endroits les trottoirs en béton, les jardins publics, les poubelles et les panneaux indiquant l’affiliation à Lima-métropole. (Figures 32 p.88)

L’escalier nous amenant jusqu’au sommet a été monté artisanalement, les chemins sont en terre battu, il y a un réservoir d’eau pour les zones en contrebas mais ceux qui habitent en haut n’ont que de petits containers noirs ou 65


vers la Carretera central

aven

évolution de consolidation du quartier

expansion actuelle depuis les UCVs

ue A

velin

oC

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es

zone B zone la plus développée

zone A en destruction interventions de la municipalité de Lima

vue du cerro envahi zone L

maison communale et maisons consolidées

zone F

grille d’entrée zone L maison de Frederico Godiño écriture contre la délinquance

réservoir d’eau (tanks) et prise de vue

rencontre avec les habitants PPT parc envahi, autoconstructions, association d’habitants expansion actuelle depuis les UCVs

expansion actuelle depuis les UCVs Figure 26 - Carte avec parcours et repères (réalisation personnelle)

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Figure 27 - Panorama du cerro « vista alegre » avec les invasions informelles et zoom sur le panneau indiquant qu’il «s’agit» d’un parc environnemental (photographies personnelles du 1-12-16)

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Municipalité distrital d’Ate Gestion des services publics Zone de protection environnementale «planter un arbre c’est semer la vie»

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désillusion d’un rêve 2. La passé, réflexions sur l’identité d’un quartier En s’intéressant à l’histoire de Huaycán et en m’entretenant avec Pedro Sullca, présent depuis les premiers jours du quartier, en écoutant la ferveur dans son ton lorsqu’il nous parle de celui-ci, la force d’esprit et la fraternité qui ont engendré la naissance de ce quartier nous semblent évidentes. C’est par cette verve politique et sociale que la consolidation d’un modèle socialiste révolutionnaire a été possible. Celui-ci a démontré, à l’époque, que la force de l’union communautaire pouvait se concilier au pouvoir d’une politique métropolitaine.

Alors que les revendications des habitants sont toujours présentes et que les conflits entre habitants ou avec les autorités sont, eux, parfois violents.

Cependant, la double époque de violence terroriste et dictatoriale a semé la discorde à Huaycán et a fragilisé son identité de même que son unité. La stigmatisation en tant que quartier insécuritaire et dangereux l’a peu à peu divisé.

Aux origines de son caractère, la fierté d’être huaycanais

À ces deux freins s’est ajouté le phénomène d’une croissance urbaine expansive et accélérée en continue, qui a entrainé Huaycán dans une perdition de l’image du quartier formel. Le quartier s’est développé sans possible contrôle et est sorti du plan initialement prévu des UCVs, il s’est rapproché de celui de la barriada, entre formel et informel. La population unie passée semble aujourd’hui hétérogène et divisée.

Dans le premier chapitre, nous parlions de l’implication politique et sociale, en soit des valeurs, que partageaient les participants du projet de Huaycán. Ce projet est né de l’engagement par l’association de centaines de personnes aux idéaux socialistes et révolutionnaires de créer un autre type de ville. En premier, sous l’impulsion et l’influence d’exemples précédents tel que Villa El Salvador (VES). Ce projet a démontré à l’époque, la possibilité et la réussite d’un modèle différent de fabrication urbaine.

Il nous faut alors comprendre les facteurs de faiblesses de cette organisation qui ont impacté l’identité du quartier. Et de même s’intéresser plus largement à sa place au sein de la hiérarchie institutionnelle de la métropole.

La croissance exponentielle du quartier a de même affaibli son outil organisationnel, l’auto-gestion atteint ses limites. 69


Secondement, c’était la volonté de se détacher du processus traditionnel de la formation de quartier spontané. C’est à dire, par l’invasion non concertée et/ou autorisée par les autorités, comme l’a été VES. Les futurs habitants de Huaycán ont démontré qu’une collaboration et une entente avec les autorités étaient possibles et permettaient la durabilité du projet. Ce qui a, aussi, permis de se différencier de la traditionnelle « barriada » ou bidonville, qui se positionne en conflit avec les pouvoirs législatifs par son informalité. Huaycán, dès son origine (ou presque) a été une ville formelle et intégrée à la capitale. Mais qu’en a t’il été durant son évolution ?

« Ate sonne comme un quartier historique2 ». Par historique, Ate représente la légitimité et la notoriété d’un district s’inscrivant dans l’histoire urbaine de Lima. Huaycán, par son rattachement à Ate-Vitarte, s’insert de même au récit urbain de la capitale. Représentant actuellement 34 % du district d’Ate3, il est aujourd’hui question de faire de Huaycán, un district à part entière de Lima, ce qui, selon la congressiste Ursula Letona4, permettrait de « répondre plus efficacement aux nécessités de sa population5 »... Mais cette perspective de faire de Huaycán un district n’est pas partagée par tous, en particulier ses fondateurs dont Pedro Sullca.

En terme de qualification urbaine, nous pouvons nous demander s’il faut parler de ville ou de quartier. C’est ici une ambiguïté intéressante, puisque Huaycán se définissait en tant qu’urbanité autonome et indépendante, soit comme une ville satellite. Cependant, aujourd’hui, le quartier est partie intégrante d’un district métropolitain (Ate-Vitarte) qui l’administre, et devient alors, un quartier d’Ate et donc sous-quartier de Lima.

Cependant, d’un point de vue identitaire, se pose la question de l’appartenance à l’échelle métropolitaine. Si Pedro Sullca, en tant que huaycanais s’identifie à Ate, qu’en est il de l’identification du quartier par rapport à Lima ? C’est une question qui reste en suspens, je l’ai posé à Pablo Muñoz, pour avoir un avis extérieur, et il semble compliquer d’y apporter une réponse. La discontinuité de la capitale se ressent ainsi dans le sentiment d’appartenance peu existant dans les parties limitrophes, à la fois incorporées au tissu

Cette affiliation au district d’Ate est pour certains, une réelle fierté. Pedro Sullca m’explique que « faire partie de Vitarte, pour moi, est un honneur1 ». Il ajoute de même 1

2 Ibidem 3 Reyna, 2017, article El comercio 4 Ursula Letona, membre du parti Fuerza Popular, parti de droite, représenté par Keiko Fujimori (fille de l’ancien dictateur Alberto Fujimori) 5 Reyna, Op. Cit.

Entretien du 1-12-16

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urbain mais extérieures à l’identité liménienne ?

Federico est depuis 2014 le secrétaire général, de con côté Pedro Sullca est dirigeant d’UCV actuellement. Federico me parle du système telle une « démocratie participative », mais toute la population y participe t’elle vraiment ?

Cette semi-exclusion à la capitale a peut-être aussi été induite par la mise en place d’une politique locale se démarquant par son autonomie à celle généralisée à la métropole. Cependant, aujourd’hui, si l’autogestion existe toujours, elle n’a plus la prégnance de ces premières années.

Tout d’abord, il faut revenir sur le phénomène de croissance qui a marqué Huaycán. Le quartier, de par sa notoriété et sous l’effet naturel à tout Lima, n’a cessé de s’agrandir et de s’étendre. Cette croissance, toujours active, se lie avec une démultiplication des groupes d’habitants, des types de quartiers, des stades de construction... Si à l’origine, il y avait les associations d’habitants Avelino Caceres, José Carlos Mariátegui, et quelques autres, aujourd’hui leur nombre ne fait qu’augmenter tandis que leur cohésion se dissipe.

Fierté et limites de l’autogestion Dans le chapitre 1, nous parlions de la réussite pour la population fondatrice de Huaycán de la concrétisation d’un système politique social et autonome. Celui-ci illustrait parfaitement l’harmonie de l’esprit communautaire huaycanais tout en restant intégré à la hiérarchie politique métropolitaine.

Lorsque j’attendais dans la municipalité d’Ate de rencontrer José Trisolini, qui travaille pour le développement social du district, un habitant de Huaycán était assis à côté de moi, Julian Ponce Pissares. Il est le représentant d’une association d’habitants vivant sur un des cerros de Huaycán. Je me suis alors demandée combien y avait t’il d’associations dans le quartier ?

Que ce soit dans la thèse d’Eduardo Figari, dans les mots de Pedro Sullca ou dans le discours de Federico Godiño, le système politique mis en place a certes été une réussite et l’est encore d’une part, mais a aussi montré ses faiblesses. Il faut démarquer les différents vecteurs qui entraînent ces faiblesses.

Huaycán atteint aujourd’hui ses limites administratives originelles, il est composé de 23 zones et, est peuplé par plus de 200 000 habitants. 71


Si nous reprenons le schéma du chapitre 1 (Illustration d’une ville aux idéaux populaires et socialistes), sur l’organisation de l’autogestion, nous pouvons déjà avoir une idée du nombre d’acteurs impliqués dans cette démocratie. Est-il possible de mettre d’accord plus de 700 personnes, comme me l’indique Federico, aux revendications diverses ?

celles convenues à la fondation de Huaycán. Le schéma des UCVs ne s’est pas répété et l’informalité a pris la place majeure de l’expansion huaycanaise. De la volonté d’éviter l’informalité et le titre de « barriada » des origines de Huaycán, le quartier a aujourd’hui développé avec sa croissance incontrôlée cette étiquette.

Qui plus est, Federico m’a parlé d’un autre phénomène malheureux, celle de la discrimination interne au quartier.

Pour certains, cela peut donc représenter une défaite et donc attiser le rejet de cette nouvelle population. Qui pourtant, ne demande pas plus qu’avoir les mêmes droits que ses voisins d’accéder à la ville, et cela de manière décente.

Reprenons le parcours que nous avons fait depuis sa maison, dans la zone L, en passant par le cerro « vista alegre » et redescendant vers la zone F. Nous sommes passés d’une zone ancienne, formelle et consolidée à une zone plus récente, envahie et informelle, et de nouveau à une ancienne zone consolidée. Les trois zones se juxtaposent, et l’on constate que Huaycán est composé de zones formelles, informelles et illégales (en périphérie). Outre cette qualification d’état, ce sont les habitants d’une zone à une autre qui nourrissent ces différences. De fait, les habitants originelles demeurant dans les parties reconnues et consolidées dénigrent ces nouvelles installations ainsi que sa population.

Un exemple intéressant est ce cerro « vista alegre », qui justement, devrait être un parc public (PPT) mais a été envahi il y a une dizaine d’années. Le projet a donc été congelé par l’informalité. Ce qui n’apaise pas les tensions entre les populations6. Federico m’explique de même que le rejet de toute cette population « informelle » va jusqu’à leur exclusion au sein de l’autogestion. En effet, toute une partie des habitants ne souhaite pas qu’ils participent aux élections, considérant qu’ils ne sont pas légitimes au quartier.

Ce dénigrement naît de divers facteurs. La plupart des nouvelles installations ont été faites en dehors des règles d’urbanisme s’appliquant à Lima mais aussi de

6

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Voir figures 27 p.67-68


Figures 28- Comparaison entre une construction (à gauche) sur le cerro «vista alegre» et une maison de la zone F (à droite) (photographies personnelles 1-12-16)

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À l’image de la discrimination perpétrée à l’échelle métropolitaine, les habitants de Huaycán répète ce schéma et eux mêmes, « marginaux7 » pour certains, désignent cette nouvelle population comme « marginale ».

valeurs de Huaycán est un esprit aujourd’hui fermé ? Pour sa part, Federico lamente cette tournure et clâme son ouverture envers ces populations, il tente de combattre les groupes extrémistes qui divisent plus qu’ils ne font progresser le quartier.

Or quelles conséquences cela entraîne sur le développement de Huaycán et le climat actuel ? Pedro Sullca, membre fondateur de Huaycán, activiste, dirigeant d’UCV, connu et reconnu, trouve que le respect s’est perdu dans les nouvelles générations. « il n’y a plus de respect8 ». Les vols et agressions deviennent courants.

Le désenchantement... Émilie Doré s’est intéressée dans son livre au délitement progressif de la force unitaire et fraternelle dont Huaycán a fait preuve en ses débuts. Elle s’est intéressée à l’évolution de l’implication des habitants et des organisations mises en place lors de la fondation du quartier, ainsi que ce qui en préexistent aujourd’hui. Elle en expose justement le désenchantement.

La délinquance est un phénomène généralisé à tout Lima, et s’est aussi fortement développée à Huaycán, pour Federico, « être dans la rue, c’est un danger9 ». D’ailleurs, aujourd’hui, sa zone, la « L » est « protégée par des grilles 10... Pour lui, ces actions sont aussi les conséquences de la marginalisation, de l’exclusion et de la discrimination orchestrées envers ces populations précaires habitant les zones informelles ou les « cerros ». Elles, qui ne possèdent pas, désirent ceux qui ont, elles qui sont interdits à la communauté rejettent cette communauté. L’esprit communautaire qui a alors fondé les 7 8 9 10

« dès que les infrastructures de base furent mises en place, la participation retomba11 ». Un discours qui s’oppose à celui d’Eduardo Figari, qui, justement, clamait l’ « enthousiasme12 » des habitants à cette participation durant la construction

Conversation téléphonique du 16-05-17 Entretien du 1-12-16 Conversation téléphonique du 16-05-17 Voir figures 25 p. 61

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Doré, Op. Cit. p.32 Figari, Op. Cit., p.4


Figure 29 - «Non à la délinquance, interdit aux voleurs» annonce dans la zone L en bas du cerro «vista alegre» (photographie personnelle 1-12-16)

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du quartier.

que vit actuellement Huaycán entre les différentes luttes de pouvoir et d’intérêt mais il met aussi en avant, la volonté d’un certain nombre de se projeter et d’avancer ensemble.

Il semblerait qu’aujourd’hui, que ce soit dans les domaines politiques, constructifs ou de vie de quartier, l’individualisme a peu à peu repris son droit.

D’où vient cette perdition de fraternité et vers quel désenchantement s’engage Huaycán ?

« Les structures de gestion pyramidales finissent par perdre toute influence. Elles sont aujourd’hui méconnues de la grande majorité de la population13 »

« Il est utile de constater que l’« esprit » de la fondation de Huaycán, qui devait engendrer un sentiment d’appartenance communautaire, n’a guère été transmis par ceux qui ont vécu cette expérience, et reste ignoré de ceux qui sont arrivés après.15 »

L’image d’un Huaycán uni, autogéré et actif, en relation avec les instances supérieures est un souvenir lointain, dépassé, qui n’attire pas les nouvelles générations. Les habitants se sont désengagés des questions communautaires, les scrutins aux élections communales montrent des participations très en deçà du nombre d’habitants.

Emilie Doré évoque aussi la méfiance qui s’est forgée entre les habitants comme l’illustre aussi le dénigrement de certaines zones envers d’autres. Une méfiance de même envers certains dirigeants d’UCVs, qui selon les témoignages qu’elle a recueilli, semblent plus corrompus qu’investis pour leur quartier.

Le quartier est devenu (en partie) semblable aux autres barriadas de Lima. Comme le démontrent les expansions informelles jusqu’à celles illégales qui se développent sur les cerros, et le fait qu’aujourd’hui le quartier soit administré par la Municipalité du district d’Ate, « à la façon de n’importe quel autre Asentamiento Humano14 ». Ceux-ci sont les mots d’Émilie Doré, auxquels il est intéressant de confronter l’avis de Federico Godiño, qui ne renie pas l’effet de scission 13 14

Dans un tel climat, l’autogestion semble se désagréger, Federico m’expliquait également l’impact qu’a eu la période terroriste sur le quartier. Non seulement les attaques du Sentier Lumineux ont détruit une partie de la force unitaire par l’assassinat de divers leaders. La politique de Fujimori a, quant à elle, visé Huaycán en tant que berceau parmi

Doré, Op. Cit., p.18 Ibidem

15

76

Doré, Op. Cit. , p.32.


tant d’autres du terrorisme et a dissout voire empêché tout rassemblement ou organisation de personnes. De même que Pablo Muñoz m’expliquait que la politique néolibéral lancée par Fujimori a eu des conséquences sur la force sociale de Huaycán. En effet, l’esprit communautaire a été détrôné par celui de la possession. En facilitant et en encourageant l’accès à la propriété personnelle, la politique des années 90 à 2000 a renforcé l’individualisme au détriment du communautarisme.

qu’envoyait la municipalité ; ensemble ils planifiaient16 ». Une communication horizontale qui à l’époque illustre l’équité mise en place entre les pouvoirs des différents acteurs, population comme professionnels. Une horizontalité qui n’est plus d’actualité.

Un modèle politique affaibli au sein d’une hiérarchie pyramidale

Huaycán a donc été destitué de sa force. Aujourd’hui, la population huaycanaise se divise peu à peu entre anciens et jeunes/nouveaux, entre consolidé et récemment établi. Un véritable divorce se ressent au sein du quartier et celui-ci n’est pas solitaire. Le désintérêt des habitants ne jouent pas en leur faveur. Il nourrit la division entre les entités et favorisent l’incompréhension des habitants sur le devenir de leur quartier pensé par les personnes d’« au dessus ». La population ne se sent ni concernée ni considérée par les autorités locales. Et alors les tensions s’installent.

Si nous avons vu précédemment que l’autogestion semble atteindre ses limites, elle s’inscrit dans une hiérarchie pyramidale remontant jusqu’au gouvernement, qui a également de nombreuses failles. Aujourd’hui, l’interlocuteur de tout le quartier avec la Municipalité d’Ate, qui, comme nous le savons, administre Huaycán, est Federico Godiño, secrétaire général. Il travaille d’ailleurs aussi pour la municipalité. C’est un interlocuteur privilégié pour les habitants du quartier mais insuffisant vu le nombre d’habitants et de demandes. Bien sûr, certains dirigeants ou personnalités tel que

Emilie Doré décrit la hiérarchie à l’époque de la construction de Huaycán au sein des UCVs. « Leurs représentants traitaient de manière horizontale avec les techniciens

16

77

Doré, Op Cit, p.31


Pedro Sullca ont aussi des liens avec la municipalité. Cependant, nous pouvons quand même douter que cette communication soit suffisante pour représenter tous les habitants de Huaycán.

Quant à Pablo Muñoz, indépendant des municipaux même s’il a travaillé pour celle de Lima et continue à collaborer avec eux, gravite entre les différentes sphères. Du quartier au gouvernement, il est aussi conscient du manque de connexions et de communication entre tous. Il m’explique sa vision de l’appareil étatique.

Federico et Mario Castro travaillent ensemble pour l’amélioration du quartier. Mario Castro, qui dirige le département d’urbanisme, est celui qui, avec le maire d’Ate (Oscar Benavides), fait le lien entre la municipalité distritale et celle du Lima ainsi que le gouvernement. Il a d’ailleurs travaillé auparavant à la Municipalité de Lima dont il connaît le fonctionnement. C’est donc lui qui fait remonter les diverses demandes, démarches et projets aux autorités supérieures. Il m’explique les failles de l’organisation administrative pour lui, « Cela est tout le problème entre une diction politique du gouvernement central, et celle du gouvernement locale, ce sont deux échelles qui se superposent, mais ne se décalquent pas17 ». Il n’y a pas de cohérence entre les discours et les actions des deux gouvernements.

”l’État”, je ne le vois pas comme une administration unique, nationale, exerçant un pouvoir sur tout le territoire, mais plus comme plusieurs couches de pouvoir ou de gestion qui dialogueraient entre elles, à l’intérieur d’un cadre institutionnel fort. Cela rend la participation populaire plus facile, et en même temps, cela rend tout plus compliqué18 Comment est-il possible dans cette hiérarchie multicouche que le lien entre les deux extrêmes existe réellement ? Les autorités peuvent elles être conscientes des nécessités de la population, quant à celle-ci, se rend t’elle compte de tout ce processus ?

De même que d’un point de vue procédurier, les temps de traitement sont extrêmement longs et parfois, d’un changement de gouvernement à un autre, les projets se perdent ...

Une population (une certaine partie) que j’ai eu l’occasion d’écouter dans une rencontre impromptue le jour où j’ai été dans le quartier, accompagnée de Federico Godiño. Je vous parlais précédemment de notre traversée du PPT à la zone B. Lorsque nous avons atteint le sommet du cerro,

17

18

Entretien du 30-11-16

78

Échange par email 19-05-17


Bienvenue à l’association de quartier «Vue Heureuse » zone «L» Huaycan Nous referons une marche jusqu’au centre de Lima, pour contester, comme dans l’ancien temps.

Figures 30 - Escalier du cerro «vista alegre» et rencontre au sommet avec les habitants (photographies personnelles 1-12-16)

79


nous avons été rejoint par une vingtaine de personnes. Toutes ou presque habitantes du cerro, Federico m’a indiqué par la suite, qu’une des femmes, la plus expressive, venait d’une des anciennes zones, et qu’elle jouait comme un rôle de leadeuse sur le cerro.

différés. Ce qui illustre la fracture sociale qui est en marge. Cette même femme, ancienne habitante du quartier et actrice principale de cette rencontre, s’est exprimée que s’il le fallait nous referons une marche jusqu’au centre de Lima, pour contester, comme dans l’ancien temps. Ces « marches » sont en rappel à celles passées, organisées par les habitants pour se faire entendre de la part du gouvernement. Ces actions représentent l’unique moyen de pression et de communication que possèdent les Huaycanais pour traverser toutes les couches institutionnelles qui les séparent des autorités les plus hautes, de même que médiatiquement par l’impact de leur action.

En premier interpellés par la présence d’une étrangère, c’est à dire moi, les habitants ont demandé à F. Godiño qu’ils soient prévenus de toute venue d’inconnu sur leur terrain en préalable. Cette zone du quartier, comme toutes, est publique, mais les habitants se l’ont approprié et d’une certaine manière privatisé, monter cette colline revient en quelque sorte, à « entrer dans leur territoire ». Par la suite, le sujet de la conversation a tourné vers des contestations à propos de futurs projets de la municipalité sur cette zone du quartier (le parc végétal et projets d’habitat), et sur la défaillance des services de l’hôpital.. Les habitants exprimaient leur peur d’être dépossédés de leur bien.

Pour Mario Castro, la rupture entre certaines populations de Huaycán et la municipalité d’Ate est actuellement si forte , qu’il parle de « divorce ». Nous ne pouvons alors qu’imaginer que le rapport avec les autorités supérieures, celles de l’État soit quasi inexistant, ou seulement dans la confrontation.

Ces contestations, m’ont surtout démontré le peu de communication et de compréhension qui existent, actuellement, entre la population et ses représentants. Après m’être entretenue avec divers acteurs et avoir vu les futurs projets et idées pour le quartier, j’ai réalisé que le discours transmis et celui compris par les habitants

En creusant plus loin qu’une simple dichotomie entre habitants et autorités, il faut considérer ces protestations comme expressions d’une autre société civile. Celle de la population délaissée, oubliée, qui s’allie et s’exprime. Une population déçue d’un système local essoufflé, en colère 80


divisions

déconfiance

revendications

e div rg ces en

avec une autorité aveugle et sourde. Mais une population fragile et aux limites de la perdition entre le légal et l’illégal, le formel et l’informel. Dont la quête majeure, au delà d’être légitimée ou entendue, est celle de la sécurité, du logement, du lieu, de la vie.

ce

n fia

é

m

Mario Castro

médiateur avec la municipalité de Lima et le Ministère

Figure 31- Diagramme des relations multicouches ( réalisation personnelle )

manque de réactivité de la part du gouvernement 81

CONFLITS

A

LIM re ? sphè une possible te oban

engl

Frederico Godiño

médiateur avec la municipalité

Pedro Sullca

interlocuteur de la population

Pablo Muñoz,

intervenant au Ministère, collectif CON URB


illégalité et 3. Informalité, alternatives étatiques : les diverses options pour les populations délaissées L’informalité, une solution facile et rapide d’accès à la ville et à la propriété pour les « en dehors du système »

« les mégalopoles deviennent le lieu d’une rivalité majeure entre les possédants qui en tiennent les leviers et les « have-not » qui tentent timidement de prendre leur part des avantages qu’elle procure aux « vrais » citadins19 » La population de Huaycán autant que celle d’autres quartiers marginaux de Lima tentent de démontrer sa légitimité, sa place et ses droits dans une métropole qui semble la laisser de côté.

Nous parlions en première partie des invasions et occupations informelles comme des actions répondantes à un manque de politique urbaine et sociale. Une informalité qui représente aussi une pratique alternative et accessible aux populations les plus précaires.

Si certains recherches à être reconnus, d’autres souhaitent seulement atteindre le rêve louable de posséder leur propre maison. Un rêve dont s’empare et se nourrit les réseaux criminels qui aujourd’hui se développent à Lima et contre lesquels l’État tente par quelques timides intentions de proposer d’autres alternatives, dans le but de ramener ces populations « perdues » dans les normes.

De fait, la volonté de posséder sa « casa propia » (son chez soi) est un objectif essentiel pour ces populations. Alors le choix de s’installer en périphérie ou en marge aux normes devient une stratégie. Émilie Doré écrit que « vivre dans un bidonville peut être compris comme une stratégie, une chance : celle de devenir propriétaire20 » et que « partir vivre dans un asentamiento humano représente une solution de logement à court terme, mais qui vaut surtout par ses promesses à long terme21 ». En quoi cela est intéressant sur le long terme ? C’est une stratégie dans laquelle le gouvernement vient s’insérer pour

19

20 21

Cannat, 1988, p.11-12

82

Doré, Op. Cit. p.127 Ibidem


tenter d’améliorer les conditions du développement urbain actuel. De fait, il existe aujourd’hui, comme nous allons l’expliquer par la suite, une politique de reconnaissance et de formalisation des établissements informelles. Ce qui permet la pérennité et la consolidation de celles-ci, les habitants peuvent ainsi espérer s’installer de manière fixe et durable.

Si précédemment, j’évoquais l’accueil singulier de la part des habitants sur ce cerro envahi. Mario Castro me racontait que lorsqu’une jeune architecte avait été envoyée pour relever les nouvelles constructions d’une zone afin de les intégrer au dessin du plan actualisé d’Ate, elle avait été très « mal » accueillie et s’était fait «malmenée». Une anecdote qui rappelle le « divorce » dont me parle M.Castro entre la municipalité et les habitants de certaines zones en marge.

Le passage par la « barriada » est, aujourd’hui, vue pour certains comme une étape d’insertion à la communauté urbaine, s’inscrivant dans le processus de « devenir citoyen ».

Dans son livre Repensar América latina, Francsico Delich écrit dans un chapitre sur les violences en Amérique latine que « la marginalité se construit comme un ordre en marge de la légalité23 ». Ce qui peut signifier que dans certains cas extrêmes, la marginalité entraîne une rupture totale avec les autorités, s’exprimant parfois violemment et amenant à la limite de la légalité et alors à la naissance de l’illégalité ?

Se construire dans l’informalité peut être aussi perçu comme une volonté de ne pas se soumettre ou rentrer dans les normes. Dans son article sur les Quartiers d’origine spontanée, C.Petropoulou parle du passage d’une « culture de la pauvreté à une culture de résistance22 », c’est en quelque sorte dire non au système. Un non conformisme, qui s’il s’exprime pacifiquement dans certains cas, il peut parfois être violent. Effectivement, ce qui semble être une résistance envers des pratiques inégales et un système faillible en premier lieu, devient parfois une résistance anarchique à toute autorité. 22

Petropoulou, 2009, p.15

23

83

Delich, Op. Cit. p.73


Une option attirante mais dangereuse : la consolidation d’un réseau illégal

aussi augmentées et sont devenues une pratique commune voire obligatoire pour certaines populations. De ce développement, la criminalité s’est construite un marché où les populations les plus démunies sont à la fois actrices et victimes.

« si l’urbanisme se conçoit et se réalise, en principe, selon des procédures claires et nettes,(...), l’urbanisation emprunte volontiers les chemins escarpés de l’illégalité24 »

De fait, le rêve d’accéder à la propriété pour ces personnes aux faibles moyens et dans l’incapacité d’obtenir un crédit ou de s’acheter légalement un logement, les attirent vers des alternatives illégales. Celles-ci peuvent paraître intéressantes en premier plan mais elles n’en sont pas moins dangereuses.

Nous ne parlons pas ici des pratiques informelles qui restent associées à un certain désespoir d’accéder à la propriété. Nous parlons d’illégalité, qui elle, est construite par tout un réseau jouant à la fois de cette informalité, de ce (dés)espoir de toute une population fragile et des failles d’une autorité limitée.

Déjà dans sa thèse, Figari évoquait le renforcement d’invasions professionnelles dans les années 80. Selon lui, il y avait des groupes se disant « envahisseurs professionnels », qui orchestraient des invasions et distribuaient ensuite les parcelles aux habitants, se faisant ainsi un certain bénéfice. Ils représentaient, d’une certaine manière, les premiers trafiquants de terrain.

Si l’informel naît d’une faille du formel, l’illégal lui, se nourrit du légal, travaille en parallèle « caché ». Dans le sens inverse, Thierry Paquot écrit « ainsi le légal se nourrit parfois de l’illégal25 ».

Aujourd’hui, nous parlons d’un large réseau consolidé, qui touche aussi les abords de Huaycán.

À Lima, les pratiques illégales se sont renforcées et forgées en tout un réseau de mafias, une sphère gravitant autour et à travers la capitale. Les pratiques informelles ont elles 24 25

L’Association de Collanac, qui est une communauté de paysans reconnue par l’État depuis 1989 (créée en

Paquot, Op.Cit, p. 46 Ibidem

84


manière administrative et juridique. Le maintien des règles et de la loi y semble alors impossible.

1964)26, possède divers terrains aux abords d’Ate, Chosica, Pachacamac ou encore Chaclacayo. Mario Castro m’explique que Huaycán est en partie construite sur des terres appartenant à l’État et à cette association.

Les réseaux de trafiquants sont hors de portée des pouvoirs exécutifs, des autorités locales ou métropolitaines et demeurent ainsi en sécurité de tout jugement.

À l’origine, l’utilisation des terres de l’assocation de Collanac se devait d’être agricole, cependant aujourd’hui, les dirigeants ont commencé à spéculer sur celles-ci.

Ces territoires, que j’ai pu apercevoir pour ceux proches de Huaycán, ne sont pas « accessibles ». Dans le sens où il est déconseillé voir surtout interdit de s’en approcher ou d’y pénétrer. Comme me l’expliquait Mario Castro, des agents de la municipalité ont tenté de s’en approcher et se sont fait accueillir par des personnes armées.

Un article sur l’association écrit par Martin Morales accompagnée d’une vidéo27 lors d’une réunion de la Municipalité d’Ate dénonce les pratiques illégales de trafic de terrain et de ventes frauduleuses sur des terres appartenant au district d’Ate et de Collanac. Des terrains vendus sous de faux titres, impossibles à faire valoir devant la municipalité d’Ate. La municipalité ne pouvant vérifier ou reconnaître l’exactitude du titre de propriété et qui plus est, lorsque le terrain se situe en dehors de la juridiction d’Ate-Vitarte, les pouvoirs locaux n’ont aucun pouvoir. Les perdants de l’histoire sont les « pauvres » acheteurs, dépossédés à la fois de leur bien « illégitime » et de leurs fonds.

Il est donc difficile d’avoir, aujourd’hui, de véritables informations sur l’ampleur du phénomène de ces réseaux criminels. Lamentablement, les victimes de ces réseaux sont les populations les plus vulnérables et démunies. Le travail qui revient alors à la municipalité d’Ate est de trouver des solutions pour « ces personnes qui ont acheté des « terrains pirates »28 » comme me l’explique Mario.

Cet exemple met en avant les limites d’un territoire urbain trop étendu aujourd’hui pour être efficacement controlé de

C’est la notion de propriété qui est au cœur de ces

26 27

28

Morales, 2016 https://youtu.be/376rP5dNi5I

85

Entretien du 30-11-16


Des démarches politiques (insuffisantes) vers la réconciliation

problématiques, une propriété définit à la fois par le type d’occupation au sol mais aussi par le titre légalement reconnu définissant cette propriété. Thierry Paquot écrit que « S’interroger sur telle ou telle typomorphologie urbaine (bidonville, la gated community...) revient à savoir qui possède quoi ?29 ».

Jean-Louis Chaléard, dans le livre Métropoles aux Suds, le défi des périphéries ?, qualifie la politique péruvienne de « politique permissive », soit d’une politique faisant preuve d’une grande tolérance envers des pratiques non conformistes.

De fait, ces cerros envahis de constructions plus ou moins précaires peuvent à la fois illustrer l’occupation informelle de population en détresse, ou aussi bien la domination d’un réseau criminel.

C’est justement à travers une telle politique que l’informalité est en soit possible et admise, mais aussi que l’illégalité se développe si fortement. Alors reprendre le contrôle devient de plus en plus difficile.

Dans ce climat, l’unique levier de pouvoir des politiques et des autorités supérieures passe par la proposition de démarches légales perméables embrassant ces populations situées dans l’entre deux légal. Des démarches qui favorisent le retour vers une certaine formalité et qui entraineraient ainsi une possible baisse de la criminalité.

« Il y a en général un divorce entre l’urbanisme formel (académie et État) et l’urbanisme informel (organisations sociales et trafiquants)30 » Les stratégies politiques péruviennes depuis une trentaine d’années ont été, de par ce laxisme envers les pratiques informelles et illégales, de proposer des démarches administratives souples et élargies à (presque) toutes les populations. Des démarches qui sont des alternatives au

29

Paquot, Op. Cit., chap 1

30

86

Issu du mail de Pablo Muñoz du 1-05-17


chemin de l’illégalité pour, progressivement, revenir dans la formalité et le conformisme.

Pablo Muñoz m’explique que « c’est un système de subdivision, à travers lequel l’État favorise l’accès au crédit donc à l’argent pour les familles34 ». Diverses banques du pays font partie du programme, et ce prêt porte le nom de « Mivivienda ». (ma maison)

Nous parlons ici seulement des processus touchant les domaines du logement et de la propriété. En particulier dans l’accès à celui-ci et dans sa régularisation en cas d’informalité.

Cependant, pour toutes les familles, personnes qui n’ont pas la possibilité, même avec de telles démarches sociales, d’accéder au crédit pour cause de précarité élevée, l’informalité est l’unique solution possible.

Des sujets dont j’ai discuté avec Pablo Muñoz. Il m’expliquait en premier qu’en ce qui concerne le pouvoir d’achat, le gouvernement fonctionne actuellement sur le système du programme ABC, soit ahorro, bono, credito (épargne, bon, crédit). Un système que l’on retrouve dans divers pays d’Amérique latine, afin de faciliter l’accès au logement social. Celui-ci, au Pérou, s’intègre au projet « Techo Proprio31 » (propriété), « dont l’objectif est de faciliter le financement à l’acquisition, la construction et l’amélioration de logement, pour les familles de faibles revenus32 ».

Comment tenter de se réconcilier avec ces derniers « oubliés » du système ? Le Pérou est un des rares pays d’Amérique latine a avoir une loi de formalisation des propriétés informelles. Depuis les années 60, Pablo Muñoz m’explique qu’il y a eu un ensemble de lois sur les quartiers-bidonvilles qui permettaient par diverses procédures de formaliser les constructions informelles. Des politiques qu’évoque également Eduardo Figari dans sa thèse. (chap 1, 1 ; second point)

C’est un programme dirigé aux familles possédant une certaine épargne et ayant un accès possible au crédit, il a été conçu par BANHVI33 en 2004 dans le but de donner aux familles des « zones urbaines du pays » l’opportunité de résoudre les problèmes de l’habitat.

Actuellement, l’État possède une section spécialisée dans cette pratique, la loi étatique n°28923 plus connue sous le

31 un programme de l’État (ministère du logement) s’adressant aux familles à faible revenu pour acheter, construire ou améliorer leur logement 32 document FIIC, 2014, p. 42 33 Banque du logement

34

87

Entretien du 5-12-16


Figures 32 - Comparaison entre l’entrée artisanale de l’escalier du cerro «vista alegre» et panneau de la Municipalité d’Ate dans la zone B (photographies personnelles

88


nom de COFOPRI (Comisión de Formalización de la Propiedad Informal).

associations de logement.39 Si nous prenons le cas de Julian Ponce Pissares, l’homme assis à côté de moi dans la Municipalité d’Ate, en tant que représentant d’une association d’habitant et de quartier, il venait se faire reconnaître et donc, par la suite, pourra inscrire l’association au registre RPU. Ceci étant fait, la demande de formalisation est transmise depuis la Municipalité du district à l’État représenté par COFOPRI.

«C’est hallucinant qu’un système de l’État s’appelle ainsi35 !» s’exclame Pablo Muñoz. Le but principal de cet organisme est de définir la titularité de la propriété d’occupations informelles et d’effectuer son « assainissement physico-légal ». Cet organisme fait partie d’un large projet de formalisation lancé par l’État et sous la direction du Ministère du Logement, de la Construction et de l’Assainissement, un projet se nommant Proyecto Derechos de Propiedad Urbana36 (PDPU).

La procédure qui suit consiste tout d’abord par l’inscription à la titularisation. L’étape 0 constitue l’étude et l’organisation du nombre et du lieu des possessions informelles afin de les documenter. Les titres que possèdent actuellement les occupants d’un terrain sont alors sont évalués, s’ils ont été (les titres) octroyés par des entités compétentes reconnues par l’État ou non.

L’organisme COFOPRI gère le processus de formalisation des propriété. En co-exécuteur, il existe de même le Registro Predial Urbano37 (RPU), qui établit la documentation et répertorie les titres. Le projet PDPU s’inscrit dans le Plan Nacional de Formalizacion de la Propiedad Urbana38, qui lui, classe les différentes formes d’occupations informelles. Il y a les asentamientos humanos (AAHH), les urbanisations populaires d’intérêts social (UPIS) et les coopératives ou

L’étape 1, elle, se consacre à l’étude physico-légale des terrains dans le but d’en définir les droits et actions physiques à l’inscription dans le Registre des Terrains. Ceux-ci (les terrains) sont ensuite formalisés. La dernière étape, qui se focalise sur la formalisation individuelle, revient à remettre un droit de propriété au

35 36 37 38

39 Informations extraites du manuel NU. CEPAL, Regularizando la informalidad del suelo en America Latina y el Caribe, Una evaluacion sobre la base de 12 paises y 71 programas, Ed. CEPAL, manuel, janvier 2006

Ibidem Projet des Droits de Propriété Urbaine Registre Foncier Urbain Plan Nactional de Formalisation de la Propriété Urbaine

89


possesseur du terrain, titre transmis par les autorités locales. La propriété est alors immatriculée, elle entre dans le circuit légal et son propriétaire en possède un titre sûr qui ne peut lui être retiré.40

Ce programme étatique reste formateur de ségrégations urbaines en imposant une limite temporelle qui ne permet pas à tous l’accès à la formalité. Nous sommes amener à nous demander si la formalisation ne serait pas une suite logique de ces quartiers informels, de ces constructions précaires, tentant de se rattacher à la sécurité d’une métropole en consolidation plutôt qu’à un réseau illégal en expansion.

La durée de cette procédure est assez longue, Cependant, les terrains pouvant être soumis à la loi doivent être étatiques, dans le cas d’une possession privée, il y a négociation avec le-dit propriétaire. L’organisme ayant été formulé dans les années 1997-98, la loi ne s’applique que sur les acquisitions ou occupations d’après mars 1996 et antérieures au 31 décembre 2004, ce qui laisse à vide, tous les cas suivant cette date.41

Néanmoins, toutes ces alternatives de l’accès à la ville entraînent la formation d’une métropole aussi diversifiée qu’instable, autant consolidée que faite de taudis. Une ville qui tente de se construire et de se gérer, entourée par un réseau criminel urbain incontrôlable et dangereux, et parsemée de pratiques informelles qui viennent panser ses failles et ses zones oubliées.

Après avoir été formalisé et avoir intégré le plan urbain général, l’habitant ou l’association d’habitant a le droit ou plutôt un appel reconnu à réclamer l’accès aux divers services urbains et sanitaires.

Le (non) équilibre liménien actuel résulte t’il de la cohabitation des ces trois états urbanistiques ?

Cette initiative politique à l’ambition d’être « réconciliatrice » semble déjà en retard quant à une urbanisation informelle expansive, qui elle, ne s’est pas arrêtée en 2004. De plus que la procédure, du fait de failles administratives, prend plusieurs années à s’accomplir. 40 41

Voir dans la bibliographie les diverses sources sur COFOPRI Sanchez, Munoz, 2011, p.23

90


illĂŠgal ?

informel ?

formel

Figures 33 - Composition subjective de l’urbanisation en 3 stades (photographie personnelle 1-12-16), trafic de terrain (photographie de Federico Godino)

91


C O N C L U S I O N

Quelles divisions !

liméniennes s’expriment aujourd’hui contre des autorités incapables et une ville incohérente qui ne répond pas aux attentes du plus grand nombre. Ces revendications se répercutent au sein du quartier, dont la jeunesse, dénigrée par certains anciens, est pourtant vectrice de changements à la fois identitaires et urbains. Le quartier tout comme la capitale cherche à se redéfinir et à se consolider. Viennent se joindre à ces dynamiques, les réflexions et projets des professionnels de la ville, architectes, urbanistes, sociologues... Du quartier, du district à la métropole, quelle est la nouvelle narration liménienne et comment Huaycán s’inscrit-il dans celle-ci ?

À l’image de la capitale, le quartier est tout autant divisé, de par les conflits générationnels, les convictions politiques, ou encore les intérêts personnels, sans parler des réseaux criminels qui affaiblissent en permanence les tentatives d’amnistie des autorités supérieures. Matos Mar écrit en 1984, « le Pérou est en train de souffrir de sérieuses altérations structurelles qui conduiront, dans la prochaine décennie, à une transformation profonde de la société42 ». Un peu plus de 30 ans après, le constat est flagrant. Il semble que certaines limites soient atteintes, celles physiques d’une métropole dépassée et dépassant ses propres frontières administratives. Celles des réseaux saturés, qui, cependant, continuent chaque jour de « maintenir » en marche toute une métropole. Celles politiques d’un État démuni, aux maigres tentatives et lois sociales, combattant (ou pas) le danger de l’illégalité grandissante. Et qu’en est il de Huaycán dans tout cela ? À l’image des révolutions passées, les nouvelles générations 42

Mar, Op. Cit, p.18

92


93


CHAPITRE

III

Figure 34 - État du bâti proche de la zone J, Huaycán (réalisation personnelle, origine : DWG de la zone J, Limapolis 2016)

LE RÉVEIL D’UNE CAPITALE : Huaycán de nouveau un quartier test vers un modèle à étendre? 94


Lima, 2017, capitale péruvienne, métropole urbaine qui concentre les pouvoirs, les richesses, les innovations, la majeure population d’un pays (30%) et pourtant « une métropole encore en gestation de gouvernance1 ».

rurale à, aujourd’hui, un accroissement naturel urbain. Plus d’onze millions de personnes vivent à Lima, soit un tiers du pays, et 80 % des formes d’urbanités y sont informelles. Comme l’écrit Émilie Doré, aujourd’hui la croissance démographique de la capitale se limite à 2 % / an, mais son expansion, elle, ne se stabilise toujours pas. Si le centre lui, se densifie jusqu’à l’auto-saturation, les périphéries restent planes et continuent de s’étendre à l’infini.

Les gouvernances y sont aussi diverses qu’impuissantes, Pablo Muñoz parle d’un sérieux « manque d’une politique globale ». En traversant les différentes couches de cette société, le constat est que chacun y fait sa propre politique. Chacun gère son territoire, du légal à l’informel, au criminel ou au local. Les couches s’interconnectent et tentent de cohabiter, juxtaposées sur un territoire métropolitain étendu aux limites infinies.

Les professionnels de la ville au sein de la capitale et du district d’Ate réfléchissent et se projettent à partir de ces problématiques. Dans le but d’apporter des propositions plutôt que des solutions et surtout des alternatives. Leurs intérêts sont multiples, de ceux d’un gouvernement pragmatique à ceux d’une population revendicatrice de progrès et dans le besoin.

Lima est-elle instable ? C’est un facteur dont les nouvelles générations s’inspirent pour clamer leur mécontentement, agir, montrer qu’il est possible de changer peu à peu l’actuelle Lima. Ceci est exprimée par une population du centre, que j’ai côtoyé l’année précédente. Quant aux huaycanais, la conscience urbaine est-elle partagée ?

Lima s’engage dans un plan urbain global et futuriste visant à définir et planifier les lignes de conduite du développement de la capitale – métropole. Au sein de ce projet et en réponse aux années 80, Huaycán en tant que quartier périphérique et « difficile », apparaît à nouveau comme un territoire potentiel s’inscrivant dans les enjeux métropolitains. Il est en voie de (re)devenir un quartier modèle expérimental, à la fois urbain, architectural

En référence au passé, la croissance de la ville a changé. Son schéma a muté d’une immigration due à une fort exode 1

Chaléard, Op. Cit. ,p.72

95


et social, s’engageant vers une nouvelle démonstration afin de réconcilier les habitants avec le territoire (et ses dirigeants) ? Peut-être la réussite de ce nouveau modèle associant divers acteurs aux intérêts arrangés et d’une population (ré)conciliée au sein d’une métropole s’engageant vers l’unification, permettrait une estompe de l’informalité et de la criminalité urbaines ? Et ainsi un développement homogène, harmonieux et controlé de la capitale… À espérer ?

96


#ReaccionaLima Queremos espacio público de calidad Queremos reforma de transporte Queremos participación Queremos planificación Queremos ciudad

« Nous voulons des espaces publics de qualité Nous voulons une réforme des transports Nous voulons de la participation Nous voulons de la planification Nous voulons de la ville » Figure 35 - photographie du 22 novembre 2016 de Juan Villalon Hernando (voir iconographie)

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(nouveaux) acteurs dans 1. De la ville : l’éveil de la jeunesse et la notion de progrès. Figure 36 - logo du collectif (source voir iconographie)

Peu avant mon retour à Lima en novembre dernier, je découvrais des manifestations retransmises et véhiculées sur les réseaux sociaux. Celles-ci démontrent l’esprit éveillé d’une certaine population, en majorité jeune, qui exprime sa frustration face à une ville ne répondant pas aux attentes d’une majorité. Indignés et motivés, ils marchent dans les rues de Lima en quête d’être écoutés, un miroir aux marches des habitants de Huaycán ?

me l’exprime Pablo, « les universités ne répondent pas aux problématiques réalistes de la ville, elles sont enfermées dans ces murs sans regarder à l’extérieur2 ». Il parle ici en particulier de la PUCP3, vraie petite ville-campus entourée (ou protégée) par un haut mur de 3 m. Il existe cependant certains cours soutenus par des professeurs engagés et portant sur des questions essentielles, aujourd’hui, du développement urbain et architectural de Lima. Comme l’a été, par exemple, le workshop Limapolis, offrant une nouvelle perspective des quartiers périphériques tels que Huaycán aux étudiants du centre liménien.

Aujourd’hui, ce n’est plus une minorité délaissé mais tout une population consternée qui appelle à une prise de conscience générale et au changement, et qui investit l’espace urbain.

Toute une partie de la jeunesse étudiante semble peut être peu intéressée et impliquée par ces problématiques urbaines difficiles. Néanmoins, aujourd’hui divers collectifs d’étudiants et de professionnels émergent dans la capitale. Ainsi Pablo Muñoz accompagné de divers architectes forment aujourd’hui le collectif CONURB. Un collectif dont « l’objectif est de développer des propositions, connaissances et analyses sur la ville permettant son développement de manière positive4 ». Le collectif s’intéresse en particulier

Réveil et conscience d’une nouvelle génération Dans la construction de l’imaginaire liménien, Pablo Muñoz évoque le désintérêt voire la peur que portent certains envers d’autres quartiers et les périphéries. L’éducation de la société nourrit parfois ce désintérêt. Par exemple, les politiques des universités péruviennes ne sont pas ouvertes sur les vrais enjeux du Pérou. Comme

2 3 Pérou) 4

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Entretien du 5-12-16 Pontificia Universidad Católica del Perú (univsersité pontificale catholique du Mail du 6 mai 2017


aux phénomènes d’inégalités et de ségrégations urbaines, en tentant de les « combattre ». Et cela ne concerne pas seulement les périphéries mais toute la ville, comme nous l’avons vu dans le second chapitre.

certains jeunes étudiants sont aussi revendicateurs de changements et participent activement à l’amélioration et au développement urbain de Lima.

« il est important d’étudier la ville tel un organisme complexe, comme un « tout » 5»

Lors d’échanges avec Juan Hernando Villalon, étudiant en architecture à la PUCP, il me parle de sa vision aujourd’hui à propos de l’engagement des jeunes citadins.

Aujourd’hui, CONURB est affilié à l’université de la PUCP et possède une certaine influence, à la fois du fait que ses divers fondateurs et membres aient travaillé pour la Municipalité de Lima antérieurement, et de même par leurs actions et les événements qu’ils organisent comme l’a été, à l’échelle internationale, le workshop de Limapolis.

Je crois que notre génération a vécu un grand changement de mentalité. Nous nous reconnaissons comme citadins avec le droit à la ville et considérons la ville comme notre maison. De fait, beaucoup de collectifs et de manifestations ont émergé, afin de défendre cette ville devant un pouvoir, qui avant, représentait le pouvoir indiscutable des municipalités et des gouvernements.7

Cependant, comme me l’explique Pablo, la Municipalité de Lima ne doit « même pas savoir que le collectif existe6 », ils sont actuellement en cours de formalisation. Cela démontre tout de même du peu de communication entre les acteurs urbains extérieurs à la sphère politique et celle-ci. Du côté du gouvernement, ils ont travaillé avec la direction des politiques d’urbanisme et du logement du Ministère du Logement, Construction et d’Assainissement.

Des paroles fortes, qui démontrent une certaine prise de conscience des jeunes esprits, il ajoute, « Au moins maintenant, il y a une jeunesse massive et vigilante qui veut une meilleure Lima8 ».

Parallèlement, comme nous le démontre l’introduction,

À l’image des villes instantanées construites par des populations en désespoir d’accéder à la ville, ce qu’exprime Juan ici, c’est la volonté des citoyens, majoritairement jeunes, nés en ville et enfants de la ville, de prendre leur droit sur celle-ci. Ils l’investissent soit sous forme de marches pour

5 6

7 8

Ibidem Ibid

97

Conversation internet du 24-04-17 Ibidem


manifester, soit par des interventions urbaines ponctuelles, comme l’organisation « occupa tu calle » (occupe ta rue), ramification de l’observatoire citadin Limacomovamos9 avec lequel j’ai pu travailler l’année passée lors d’un atelier sur l’espace public.

dizaine d’années, dont Pablo m’en cite un certain nombre. Ils nous démontrent le changement des mentalités de toute une population. Cependant, les personnes rencontrés ou cités précédemment restent issus de milieux sociaux élevés et sont toutes en études supérieures, essentiellement en architecture ce qui leur apporte un certain regard sur la ville et la société. D’autre part, les collectifs plus influents, comme CONURB, sont composés d’intellectuels ou de professionnels possédant une culture et une expérience de la ville. Cet éveil des mentalités reste t’il privilégié à une catégorie de la population liménienne ? Est-il un écho du XXIème, cette fois-ci par l’action, à l’appel des intellectuels des années 80 ?

Au sein de l’université, on retrouve également, Laura Quijano, étudiante en architecture et activiste. Elle est la fondatrice du mouvement « la vereda se respeta » (le trottoir se respecte). Un mouvement qui organise diverses interventions artistiques afin de dénoncer les mauvaises pratiques urbaines (ex : les voitures qui occupent le trottoir) afin de sensibiliser les citadins à leur ville par le biais de l’art, de ses espaces et de leurs pratiques. D’autres connaissances sont, eux, investis dans le collectif « la vereda » (le trottoir), qui organise des actions urbaines avec le minimum de ressources en espérant un impact maximum. Le but étant ici aussi de faire réagir et d’inciter les habitants à améliorer l’espace public et urbain. Ils luttent contre les sentiments de peur et de méfiance qui nourrissent la capitale afin d’aller vers la réconciliation des citoyens avec leur ville.

L’intérêt que portent les liméniens du «coeur de ville» envers les problématiques actuelles se répercutent-ils dans les périphéries ? Y a t’il aussi une prise de conscience et d’action des populations de ces quartiers « difficiles » tel que Huaycán?

Ces quelques exemples ne représentent qu’un échantillon d’un large mouvement en marche et en action depuis une 9 Mail de Pablo Muñoz 6-05-17, limacomovamos : inspiré de Bogota Como Vamos, l’observatoire réalise des suivis et évaluation des changements de qualité de vie des habitants de Lima-métropole et Callao. Ils sont promus par divers groupes privés dont l’université la PUCP.

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Figures 37 - Intervention urbaine à San Borja, rue Schubert avec San Luis, Travaux réalisés dans le cadre du cours Espacio Publico 2 avec «Occupa tu calle » (plan et coupe réalisation personnelle, photographies : Thirsa Herrera la Rosa, novembre 2015)

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Huaycán s’éveille t’il aussi ?

générations, qui y voient une menace. Cependant, il m’a ensuite expliqué que les jeunes du quartier s’investissaient dans les activités artistiques, culturelles ou sportives. Mais lorsqu’on leur parle de politique, ils ont peur, pour eux, « c’est un monde sale12 » dans lequel il ne veulent pas s’impliquer.

« Huaycán ne saurait, sous peine de contre-sens, être décrit comme un lieu de relégation. Il est investi d’un sens positif, il est un quartier en construction, d’un point de vue physique et social10. » Dans diverses parties de Lima, j’avais déjà remarqué des petits événements, spectacles de rue, où certains jeunes artistes se mettaient en scène. Parfois seulement dans le but de se faire connaître, d’autres dans l’espoir de récolter quelques soles au passage. La danse et la musique sont parmi les arts les plus développés et considérés au Pérou.

Je me rappelle aussi lorsque je marchais sur le cerro de la zone J en mars 2016. Il y avait un groupe de jeunes garçons qui dévalaient la piste de terre permettant d’accéder en haut comme une vraie piste de course. D’une certaine manière, par leur action, ils transformaient ce chemin d’accès en terre et banal en un vrai terrain sportif et s’appropriaient la colline comme terrain de jeu. L’action de la population peut permettre la réappropriation et la qualification des espaces publics ou vides qui composent le quartier. Ils sont les acteurs de la vie de celuici et en définissent son identité.

Federico Godiño m’a justement évoqué qu’en octobre dernier, fût organisé le 6ème festival de l’école d’art urbain « style latin » sur la place d’armes de Huaycán. Plus de 80 jeunes ont participé à ce concours et l’événement fût diffusé sur la radio locale et dans tout Lima.11 Non seulement ils sont fiers de celui-ci mais ils y développent diverses activités, danse, skate, musique... En diffusant ces événements et pratiques, ils transmettent une nouvelle image de leur quartier au reste de Lima. Ces jeunes occupent et investissent les espaces publics et les font (re)vivre, ce qui peut parfois contrarier les anciennes

Il semble donc que le mouvement lancé par toute une jeunesse avertie et cultivée du centre n’a pas encore de répercutions dans certaines parties de la capitale. Cette autre jeunesse écartée des privilèges centristes, ne perd tout de même pas l’espoir. Auparavant, j’évoquais le progrès qui

10 Doré, Op. Cit, p.128 11 http://radioenmanuel.com/2016/10/25/mas-80-jovenes-participaron-del-6festival-break-dance-huaycan/

12

100

Conversation téléphonique du 16-05-17


est un mot pour Émilie Doré révélateur d’une vraie notion au sein de la culture péruvienne. Une notion qui illustre la volonté de la population à toujours avancer, espérer et se battre pour une vi(ll)e meilleure.

Sullca, de démontrer que ce qui est possible dans les pays « développés » (leurs mots) en me pointant du doigt, est possible aussi ici, à Huaycán. Les habitants ont une force d’esprit et de persévérance qui sont des caractères importants que les politiques et professionnels de la ville prennent en compte dans les projets actuellement en réflexion.

Le progrès : une notion partagée par tous

Dans cette même logique, et vues les ségrégations et discriminations qui sévissent aujourd’hui dans le pays et particulièrement dans sa capitale, le progrès est souvent perçu comme une ascension. Emilie Doré parle de l’emploi du verbe « superarse », se dépasser en français, la volonté de monter dans l’échelle sociale et de se détacher de l’étiquette péjorative et dégradante attribuée.

Les objectifs de développement des politiques s’expriment au sein de la population par une réelle volonté de progression. De fait, Émilie Doré évoque cette « vision du progrès13 » que partage les péruviens en général et qu’elle a étudié au sein de Huaycán.

Comme nous avons pu le voir précédemment et comme l’écrit E.Doré, si l’identité du quartier s’est dispersée, et, est aujourd’hui peu lisible ou visible, le progrès de Huaycán doit passer par cette (re)conquête d’une nouvelle identité ou sa redéfinition. Nous aurons peut être alors à faire à un « changement identitaire14 ». C’est en particulier sur ce point que les projets de la municipalité d’Ate-Vitarte dont m’a parlé Mario Castro se focalisent.

E. Doré parle de la croyance et de l’espoir des péruviens, un état culturel des mentalités, à penser que l’amélioration est toujours possible. Ils ont la volonté d ‘améliorer leurs conditions de vie et ne cessent, comme j’ai pu le constater en rencontrant Federico Godiño ou Pedro 13

Doré, Op. Cit., p.172-173

14

101

Doré, Op. Cit, p. 173


Chacun, selon son statut, ses besoins et enjeux, ou son état définit la notion de « progrès ». Il est donc important qu’un développement commun et durable du quartier se fasse par une conciliation de ceux-ci. Que ce soient des attentes du plus précaire des habitants aux directives politiques les plus hautes. Et connaissant l’habituelle autonomie des pobladores envers les autorités et le peu de confiance qu’ils y portent, le pari d’un développement réussi se joue dans la coalition des différents acteurs à toutes les échelles. Entre les regards croisés parfois partagés d’un district, d’une métropole et d’une population. Quelles sont les perspectives vers lesquelles s’engagent les projets aujourd’hui à Huaycán ? Ils sont portés par ces ambitieuses volontés de constituer une union urbaine et de consolider une identité du quartier à la métropole.

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travaux 2. Les perspectives

actuels

: des professionnels de la ville

Lima ne cesse de s’étendre, et Huaycán, de par sa situation, subit aussi ce phénomène.

stabilisé aux limites établies. Or pour cela, il faut amener la population à voir dans les projets proposés, une vraie alternative concurrençant à la fois les pratiques informelles et celles illégales.

Mario Castro m’explique qu’à l’accroissement naturel de la population huaycanaise s’ajoute aujourd’hui de nouvelles migrations. Celles-ci sont internes à la capitale, ce sont des familles en provenance d’autres quartiers périphériques plus précaires qui immigrent à Huaycán, dans l’espoir d’y trouver une qualité de vie meilleure.

L’enjeu est de gagner la confiance et la foi de la population, qui pour un développement durable du quartier et de la ville en général, doit s’investir et faire partie du projet, de manière consciente et active.

L’entrecroisement de cette double croissance, interne et limitrophe aux quartiers, renforce les divisions de celui-ci entre une population ancienne établie dans les normes et une nouvelle qui s’insert où il est possible et s’installe de manière informelle. Les revendications y sont multiples et parfois opposées.

Les projets évoqués par la suite, se doivent aussi de répondre aux attentes des autorités, qui eux, pensent au développement d’une métropole dans sa totalité et sur le long terme. D’une quête de l’identité à la planification verticale maitrisée d’une croissance urbaine, comment les projets pensés par les professionnels-autorités tentent t’ils de répondre aux souhaits de tous ?

Le climat d’insécurité, de méfiance et de peur au sein de la population s’intensifie, et les autorités, par le biais de diverses interventions, tentent d’apporter une politique de paix. Le quartier est ainsi parsemé d’une multitude d’opérations urbaines afin d’y permettre un meilleur développement. Cependant cette politique reste limitée. Mario Castro et Pablo Muñoz s’accordent sur le fait qu’il faut en premier ralentir le phénomène des expansions sans fin. Pour ensuite, être capable d’agir sur un territoire 103


Constat critique - climat tendu

À l’image d’une société et d’une ville fragmentée, les interventions pour l’amélioration du quartier sont ponctuelles et provoquent plus un sentiment de frustration chez les habitants et une perte de confiance dans les projets des municipaux et de la métropole qu’une réelle considération envers eux.

Maintes fois nous avons évoqué le climat de peur dominant au sein de la métropole. Dans l’ambiance générale, certaines zones sont plus tendues que d’autres, cœur de frictions et de conflits entre la population elle même, et avec les autorités. Dans le cas de Huaycán, le quartier est justement situé en première ligne de ces tensions : à la fois de par la mixité de sa population, d’un niveau social moyen à un autre très précaire, d’un établissement formel à celui informel voire illégal. Les revendications sont nombreuses, qu’elles touchent les réseaux et les services de base ou la qualité de vie en général.

Lorsque je suis allée la première fois à Huaycán, dans le cadre du workshop Limapolis, notre équipe travaillait dans la zone J. En grimpant sur la colline, j’ai emprunté un escalier peint en bleu et jaune (les couleurs de Limamétropole). Les marches étaient en béton et les garde corps en métal, ce qui changeait des escaliers artisanaux et parfois faits de vieux pneus pour les plus précaires. En arrivant en haut, je découvrais le panneau informatif de l’opération Lima ciudad para todos. Ce programme a été lancé par la Municipalité de Lima-métropole sous le mandat de Susanna Villarán, sociologue et professeure représentante de plusieurs partis de gauche (Fuerza Social, MNI, Tierra y Libertad et « Lima para todos »), elle fût élue en 2011. Il est intéressant de remarquer qu’elle avait travaillé à la Municipalité de Lima entre les années 1983 et 1985 sous le mandat d’Alfonso Barrantes, mandat sous lequel fût lancé le Programme Spécial de Huaycán en 1984.16

Dans l’objectif d’apporter une certaine politique d’apaisement des populations, la Municipalité de Lima et le gouvernement ainsi que diverses associations et organisations, telles que les Nations Unies, interviennent dans le quartier. Cependant, si nous nous intéressons ici aux actions de la part des autorités, le constat actuel quant aux projets lancés dans le quartier peut nous laisser assez perplexe. Pour Federico, « il n’y a pas de politique global », « ni de justice15 ». 15

Entretien téléphonique du 16-05-17

16

104

https://es.wikipedia.org/wiki/Susana_Villarán#cite_note-1, consulté le 15 mai 2017


Figures 38 - logo Lima ciudadparatodos (source voir iconographie)

L’intitulé « Lima ciudad para todos » reprend le slogan politique d’une « Lima, ville pour tous », soit une ville sociale de même qualité pour tous ces habitants. D’où le lancement de diverses opérations d’améliorations de l’espace urbain et public, en particulier avec ce programme, dans les zones défavorisées et peu consolidées.17

urbain (panneaux, feux...) et de même la répartition et l’aménagement de la distribution de l’eau. Tout un réseau d’aménagements publics s’éparpille à travers Huaycán, afin d’améliorer la qualité de vie et la sécurité des équipements. Cependant, celui-ci reste très parsemé voire totalement absent dans certaines parties.19

Les axes politiques développés se concentrent en 5 points, le développement humain, la gestion de l’environnement, la mobilité et les transports, le développement urbain, le « vivre ensemble » et la sécurité. À ces 5 axes programmatiques sont associés 5 principes de « bonne gouvernance », la transparence, la concertation, l’autorité, la planification et l’excellence18. Nous pouvons percevoir, ici, un message à toute la population qui dénonce la corruption au sein du monde politique.

Fréquemment, nous apercevons sur un trottoir en béton, un panneau ou un terrain, la trace symbolique de l’action des autorités en peintures jaune et bleue, les couleurs de la conscience métropolitaine ? Afin de rappeler que si, là bas, les autorités ne les oublient pas... Si Lima Para Todos était représenté sous le mandat de gauche de Susanna Villarán, le changement de gouvernance municipale en 2014 (successeur Luis Castañeda20) n’a pas obligatoirement permis de continuer dans cette ligne d’actions urbaines sociales.

Concrètement, ces interventions se concentrent sur une amélioration globale de l’environnement des citadins. Elles sont diverses. Soient elles touchent les transports, les structures et équipements (voiries, trottoirs, terrains de sport), les espaces verts mais aussi la gestion des déchets (poubelles), l’information et la formalisation de l’espace

Entre la parcimonie des interventions dans le quartier et les changements constants de route des gouvernements, les actions municipales ne font que renforcer la perte

17 http://www.munlima.gob.pe/images/descargas/gobierno-abierto/transparencia/ mml/planeamiento-y-organizacion/planeamiento-organizacion/PLAN_DE_ACCION_ MML_2013.pdf consulté le 15 mai 2017 18 https://es.slideshare.net/munilima/estamos-construyendo-una-lima-para-todos, consulté le 15 mai 2017

19 Voir figures 39 p.107 20 Óscar Luis Castañeda Lossio, maire de Lima (2003-2010) et depuis 2015, représente actuellement le parti de Solidaridad Nacional de centre droit. C’est sous son mandat entre 2002 et 2007 que fût construit la ligne 1 du bus métropolitain, un réseau de transport en commun organisé et efficace, cependant aujourd’hui saturé.

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de confiance de la population. Et c’est un schéma qui se reproduit dans la plupart des quartiers en difficulté de Lima. Ce ne sont pas les intentions qui manquent mais leur coordination et uniformisation, et leur durabilité affaiblit par les renversements politiques.

volonté de changer l’état actuel et croient dans les projets en réflexion. Ils m’ont chacun parlé de leurs démarches, sous la Municipalité d’Ate pour Mario et à l’échelle de celle de Lima pour Pablo.

Cependant, si l’on revient en 2012, la Municipalité de Lima (alors sous Susanna Villarán) avait lancé un programme social centré sur l’amélioration des quartiers difficiles, BarrioMio (mon quartier). L’ambition de ce programme était de planifier de manière homogène et concertée ces quartiers difficiles. De façon à éviter l’accumulation de petites intentions qui finalement laissent les quartiers dans un même état constant de précarité21. Toujours est-il qu’aujourd’hui les outils de ce programme, tel que le Plan Urbain Intégral de Huaycán (PUIH) que nous développerons par la suite, laissent encore la population dubitative. Ainsi Pedro Sullca, lorsqu’il m’évoque le programme BarrioMio, me dit que le projet « quedò de la nada22 », soit « rien ne s’est fait ». Pourtant lors de mes entretiens avec Mario Castro et Pablo Muñoz, j’ai senti une réelle ferveur dans leur discours quant aux projets en réflexion pour le quartier. Ils ont la 21 Vidéo expliquant les grandes lignes du programme, consulté le 25 avril 2017, https://www.youtube.com/watch?v=okyk_pmtCLE&feature=youtu.be 22 Entretien du 1-12-16

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Accès artisanal zone J

Aménagements zone B

Escalier artisanal zone J

Escaliers aménagés et artisanaux

Escalier municipal zone J

Poubelle zone B

Figures 39 - Zones avec et sans interventions de la Municipalité de Lima, mise en avant des couleurs de Lima - Métropole (photographies personnelles de mars et décembre 2016)

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Rue goudronnée abords de la zone F

Rue goudronnée avec trottoirs zone F

Figures 40 - stade d’évolution de l’aménagement public de la voirie à Huaycan (photographies personnnelles 01-12-16)

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Rue pavée avec trottoirs et petits jardins zone B


District : une municipalité impliquée mais impuissante ?

d’où se situent les zones de tensions les plus fortes et qu’il est nécessaire d’intervenir ou de montrer l’implication et la considération des autorités afin de ne pas perdre la confiance des habitants ni le dialogue avec eux. Même si durant notre entretien, il utilise à plusieurs reprises l’expression du « divorce » entre nous (les autorités) et toute une partie de la population.

« Le gouvernement local veut mais ne peut pas ! » Mario Castro. Cela a été une des premières réflexions que m’a faite Mario Castro lorsque nous avons commencé à parler des projets et du levier d’actions de la Municipalité d’Ate à Huaycán. Il remet en évidence, ici, le manque de coordination et de pouvoir donné aux autorités inférieures à celle métropolitaine afin d’administrer leur district. Mario Castro se sent parfois démuni, face aux problèmes auxquels il tente d’apporter des « solutions » et quant au peu de pouvoir qu’il possède réellement.

Le premier travail enclenché par le département d’urbanisme a été d’établir un plan urbain général du quartier23. Ces travaux de relevé sont venus complémentés ceux précédents. Comme me l’explique Mario, durant de nombreuses années Huaycán s’est étendu sans que les expansions ne soient suivies ni dessinées. Il m’informe que sous le mandat de Benavides à la mairie d’Ate, un plan d’organisation du territoire a été mis en place. Dans ce plan, on pouvait trouver les Planifications Intégrales de Secteur, Mario m’indique que « ces plans constituaient en un diagnostic réel des bâtiments existants24 ».

Nous l’avons déjà mentionné précédemment, Huaycán représente aujourd’hui plus de 30 % du district d’AteVitarte, il en est sa 6ème zone. Le poids du quartier au sein du district est donc considérable. Les divers enjeux et problématiques, que le quartier présente, sont au cœur des études, réflexions et projets de la section urbaine mais aussi sociale de la Municipalité d’Ate.

Afin de dresser aujourd’hui un registre actualisé des constructions établies existantes, des architectes ou agents de la municipalité sont envoyés pour relever les nouvelles constructions afin de les intégrer au plan distrital. Parfois, ces interventions, mal comprises ou peut être mal

Les enjeux pour la municipalité d’Ate sont de l’ordre de la cohésion territoriale. Mario Castro est bien conscient

23 24

109

Voir figures 41 p.110 Entretien du 30-11-16


Zoom sur la zone du cerro «vista alegre», où les constructions n’ont pas toutes été relevées

Figures 41 - plan distrital actualisé - cadastre 2013-2015 et ensemble des 6 zones d’Ate (source : DWG de la Municipalité d’Ate, 6-12-16)

110


communiquées aux habitants, entrainent des réactions violentes (chap 2, 3-).

Justement, pour lui, la ville se construit à l’inverse, les personnes s’installent et ensuite, les réseaux doivent s’adapter aux construits, « La question est comment intégrer à la population le fait qu’un plan d’urbanisme existe, et que se référer à ce plan pour installer sa maison, permettrait une rapidité de mise en place des réseaux26 », Mario parle ici du cas des installations informelles.

Néanmoins, ce plan urbain du district possède bon nombre de lacunes, des zones de « flou », du fait de terrains occupés ou construits de manière informelle et encore non relevés, soit de terrains non accessibles et illégaux, rattachés au réseau criminel.

En parallèle, les zones anciennes ou déjà établies et consolidées du quartier ont, elles, une population en quête d’espaces publics, d’espaces verts, d’équipements et de bâtiments publics de qualité. Comme nous l’avons vu précédemment, certaines parties de Huaycán ressemblent à tout autre quartier liménien standard. (chap 2. 2 et 3)

Il est donc difficile d’avoir une représentation réelle et actuelle de l’ensemble de l’urbanisation du district. Qui plus est, de nos jours, les expansions des diverses zones d’Ate commencent à atteindre les limites administratives du district, la municipalité n’a donc plus d’emprise sur toutes les constructions hors du périmètre. « passer d’une politique d’assistanat sociale à la planification25 » (Mario Castro)

Recréer de l’identité ! L’expression « c’est mon quartier !27 » s’est effacé selon Mario Castro. Pour lui, c’est un enjeu majeur que de tenter à la municipalité d’Ate de recréer ce sentiment d’appartenance à Huaycán. Et permettre ainsi une cohésion progressive de la population, de son quartier, et plus largement du district.

Selon Mario, la politique actuelle au sein du quartier de Huaycán relève surtout de l’assistanat. Il doit répondre aux demandes des divers associations et habitants qui viennent à la Municipalité demander leur formalisation (rèf COFOPRI, chap 2, 3), et réclament l’accès aux réseaux, l’amélioration et la sécurisation du quartier. 25

26 27

Entretien du 30-11-16

111

Ibidem Ibid


Figures 42 - schéma de l’évolution typique du logement familial (croquis personnel)

Le pôle d’urbanisme de la municipalité a réfléchi sur un réseau d’espaces publics et verts, et de bâtiments emblématiques qui favoriseraient l’identification et le sentiment d’appartenance véhiculés par la fierté de son quartier. Effectivement, l’amélioration de la qualité de vie globale passe par l’amélioration de la qualité de l’espace partagé, des équipements le constituant, et des espaces créés et à vocation d’être pour tous. C’est aussi une politique de sécurité, lorsque l’habitant est fier de son quartier, s’y identifie et le considère, il le protège et en « prend soin ».

répondre à l’installation de la génération suivante ou à l’agrandissement de celle-ci. Concrètement, soit la maison s’agrandit, par un étage supérieur ou sur les côtés, soit la famille achète ou s’installe sur une parcelle située en périphérie, parfois sur la colline. Le quartier se densifie, mais de manière horizontale, donc il s’étend. L’idée est de penser cette densification de manière verticale afin de gagner de l’espace au sol et de ralentir l’étalement infini de l’urbanisation. C’est un des points forts qu’ont travaillé à la fois la Municipalité d’Ate et la politique globale de la métropole.

Également, l’équipe de la municipalité a travaillé sur une réflexion architecturale de la construction en pente. Des études et projets qui permettraient une densification verticale et planifiée de l’urbanisation des « laderas » (collines, pentes). J’ai rencontré l’architecte Viviana Janeth Huatuco Nanzer qui m’a exposé quelques exemples28.

Cependant, le second objectif des autorités, et non le moindre, est de regagner la confiance de la population. Comment amener les habitants à croire dans les processus légaux et dans les projets urbains ? Cette confiance doit être partagée, elle passe par la participation et l’implication de la population dans le projet urbain. Une population qui doit surtout être « éduquée » à comprendre les complexités de la conception et de la mise en œuvre de tout projet urbain, architectural ou encore social. Et non seulement espérer de manière instantanée sa finalité. Tel me l’explique Mario, « Le problème est, que les habitants voient le produit fini, ou plutôt l’image de celui-ci et ils le veulent. Mais ils ne se rendent pas compte de tout le processus qu’il

Convaincre la population... Un des objectifs central est de contrebalancer la tendance actuelle qui suit le schéma suivant, les expansions sont la cause de l’extension de la propriété familiale afin de 28

Voir figures 43 p. 113

112


M

y a en amont pour arriver au résultat29 ». Il ne faut cependant pas nier les durées des processus, du fait d’une organisation administrative laissant à désirer, qui nourrissent l’impatience et la perte de confiance chez les habitants envers les dirigeants territoriaux. Puisque nous savons que c’est par l’existence prédominante de ces failles institutionnelles se répercutant sur le territoire que viennent s’y insérer et s’y développer les pratiques informelles et illégales. En accord avec la politique globale de Lima-métropole, Mario Castro, ou encore Pablo Muñoz parlent de l’urgence de convaincre les habitants à la conscience urbaine commune. Il est crucial de les intéresser avec des projets innovants et durables, perçus comme des alternatives plus attractives à l’offre des trafiquants ou à l’échappatoire de l’informel.

29

Figures 43 - De haut en bas, plan typique d’un logement, coupe de l’implantation en pente et interespace public, élévation de la composition sur colline (source : documents de la Municipalité d’Ate, 6-12-16)

Entretien du 30-11-16

113


Métropole : se projeter avec les enjeux de tous

Intégral est un instrument de planification employé dans plusieurs pays d’Amérique latine, similaire au Plan Spécial, et normalement visant les zones de la ville les plus vulnérables physiquement et socialement30 ”

En 1984, l’architecte Eduardo Figari s’engageait dans l’établissement du Plan Spécial de Huaycán (PEH). Il s’est battu avec la population et les autorités pour la mise en place de ce premier modèle de ville réconciliée, « une ville faite d’urbanisme populaire et révolutionnaire » selon ses mots. Il en est devenu pour certains, le père fondateur du quartier, et reste aujourd’hui, une source de connaissances et de conseils pour les professionnels s’intéressant à des quartiers de ce type.

Le PUI H fait partie du programme BarrioMio, évoqué précédemment, en liaison avec les politiques municipales de Lima centrées sur l’amélioration des quartiers défavorisés et de l’espace urbain global à tout Lima. De même que le PEH de 1984, ces programmes sont des démarches appuyées par la Municipalité de Lima et le gouvernement étatique, qui tendent à s’inspirer d’exemples voisins tels qu’au Brésil, au Chili ou en Colombie dans des quartiers similaires.

Plus de 30 ans après, Huaycán est de nouveau mis en avant dans un projet de planification novateur, le Projet Urbain Intégral (PUI) de Huaycán. Un projet auquel Pablo Muñoz et le collectif CONURB ont contribué en élaborant tout un dossier d’études, de recherches et de projets, qu’ils ont actuellement soumis au Ministère du Logement.

Le PLAM 35 – un plan urbain futuriste Le Projet Urbain Intégral n’est pas un projet seulement réservé à Huaycán mais a aussi été étudié dans diverses zones similaires aux caractéristiques du quartier (40 lieux potentiels). De fait, les PUIs s’intègrent dans un plan urbain beaucoup plus large. Celui-ci s’inscrit dans la suite d’une série de plans urbains directeurs, dont le premier fût le Plan Fondateur en 1535, conçu par Pizarro (fondateur de

Le PUI Huaycán apparaît par ses enjeux et ses perspectives comme une réédition actualisée du plan PEH originel, établi dans les années 80. Comme l’écrit Pablo Muñoz dans un article sur le sujet : “ un Projet Urbain

30

114

Muñoz, 2015, article en ligne (voir webographie)


Figure 44 - Logo du PLAM 35 (source voir iconographie)

Lima) et le dernier, Plan de Développement Métropolitain 1990-2010.

a été constitué par l’IMP le 27 octobre 2013, le projet était alors lancé. Les diverses équipes techniques étaient multidisciplinaires (architectes, urbanistes, économistes, sociologues, anthropologues, ingénieurs, politiciens...) et représentaient plus de 150 personnes qui ont contribué et dont certains contribuent encore à l’actualisation de ce plan33.

« la hoja de ruta para el crecimiento y planificación urbana de la metrópoli hacia los próximos 20 años.31 » Ayant la vocation d’être un plan structurant de Limamétropole avec une vision futuriste à 2035 (500ème anniversaire de la capitale), il porte le nom de PLAM 35 ou Plan Metropolitano de Desarrollo Urbano de Lima y Callao.

En 2014, la première version du PLAM 35 fût présenté à la Municipalité de Lima (sous Susana Villarán), qui l’a reconnu. Depuis, il continue à être enrichi, modifié et actualisé.

Plus qu’un document, c’est un vrai catalogue à la fois diagnostic et projectuel, étendu en quatre tomes dans sa première version, deux autres tomes les ont suivi. Ces tomes s’organisent selon cet ordre, I Mémoire, II Projets Urbanistiques et Projets Structurants, III Normes, IV Plans (1), V Plans (2), VI Annexes. Les PUIs font partie du tome II32.

La pertinence et l’importance de ce document lui ont apporté légitimité, la nouvelle gouvernance municipale (Luis Castañeda) a de même reconnu le PLAM 35. Les rôles de la Municipalité et du gouvernement reviennent à coordonner et approuver les processus mis en place à travers ce plan.34

Le lancement d’un telle initiative est venue de l’IMP, l’Institut Métropolitain de Planification, qui est un organisme public décentralisé de la Municipalité de Lima-métropole. Un conseil de consultation au PLAM

Le PLAM 35 se concentre en particulier sur l’amélioration intégrale des quartiers en zones critiques à travers les PUIs, l’amélioration des infrastructures viaires métropolitaines et le développement de nouvelles centralités. L’objectif est que Lima d’ici 2035 devienne une métropole

31 « la feuille de route pour les prochaines 20 années de croissance et planification urbaine de la métropole », Cortes Navarette, 2015, voir webographie 32 Ibidem

33 34

115

informations issues du TOMA 1 analyse et diagnostic, p. 56 à 69 Morales, 2015, article


unie, qu’elle soit socialement et économiquement compétitive face aux autres villes latino-américaines. Tout en définissant les directives à une bonne planification urbaine, une gouvernance et une gestion de la ville efficaces.

processus technique et participatif35 ». Il m’a alors expliqué synthétiquement en quoi il constituait. En premier nous sommes revenus sur le même sujet central : éviter l’informalité est une nécessité ! Il m’explique que « c’est un procédé (l’informalité) qui, à défaire, est très difficile36 ». Effectivement, intervenir par la suite rend plus difficile l’amélioration du quartier et son développement réfléchi. Se pose aussi la question des trafics de terrain et de la croissance de l’illégalité, selon Pablo « notre (seule) possibilité est de créer une alternative, qui soit plus attractive que cette offre illégale37 ». Le PUI se veut donc être cette alternative.

Dans cette narration politique, l’enjeu d’un site comme Huaycán est multiple. Tout d’abord, il faut « réconcilier » la capitale elle même, et cela, tient à la fois de la population mais il est aussi question d’améliorer globalement la qualité de vie des liméniens, qui aujourd’hui restent en attente de conditions de vie égalitaires. Nous parlons ici des réseaux, des services, des infrastructures, équipements, logements, environnements, etc.... D’où la réflexion à travers le Plan Urbain Intégral de Huaycán, d’un projet sur le long terme, réconciliateur ?

Quels sont les outils mis en place pour l’élaboration de ce plan ?

Le PUI Huaycán – enjeux et limites

Le PLAM 35 insiste sur la nécessité que la population fasse partie intégrante du projet puisqu’elle en sera actrice et non la spectatrice de cette future ville en train d’être planifiée. Dans le cas du PUI Huaycán, la communication et l’implication de la population locale au projet est primordiale. Afin que tous se sentent concernés, écoutés et que les projections répondent au mieux aux nécessités de

Pablo Muñoz qui a à la fois participé au programme BarrioMio et collabore au PLAM 35 travaille sur deux projets de PUI dont celui de Huaycán. Dans le TOME II du PLAM 35, on retrouve en présentation du PUI de Huaycán, cette description : « le PUI est un instrument qui établit la planification, la gestion urbaine et l’investissement public et privé, créé à partir des caractéristiques des zones de Lima aux indices de pauvreté et d’exclusion les plus élevés, (…) à travers un

35 36 37

116

TOMO II – programa urbanistico de mejora urbana, vol I, p. 206 Entretien du 05-12-16 Ibidem


Figure 45 - Logo de Limapolis (source voir iconographie)

tous. Et cela, à travers une étude de terrain sur le long terme approfondie et mélangeant divers acteurs. Des laboratoires avec les habitants ont été organisés, ce qui nous rappelle ceux du PEH, Pablo m’explique que « Nous organisons des ateliers « focus » avec la population où nous confrontons nos idées de projet avec eux38 ». (voir photographie p.?)

la part du gouvernement. La première concerne justement la participation active des habitants au projet, afin qu’ils soient sensibilisés, mais de même conscients du processus qui est en marche et au courant de celui-ci. Le but étant d’éviter la rupture entre les décisions supérieures et l’impression populaire d’être destituée ou oubliée des autorités.

De même qu’il est important d’intégrer non seulement la population locale mais de sensibiliser les futures générations. C’est ainsi que le collectif CONURB, travaillant sur le PUI H a organisé le workshop de Limapolis en 2016. Un workshop portant la thématique de « la ciudad de laderas », littéralement « la ville des pentes », et se concentrant sur plusieurs zones du district d’Ate dont Huaycán. Suite au workshop, Pablo m’a expliqué qu’ils ont constitué un catalogue de tous les projets réalisés par les groupes d’étudiants, dont j’ai fait partie. Le workshop a été un laboratoire d’idées, constituant un outil complémentaire à l’étude menée lors du PUI H. Ce catalogue a été exposé au Ministère du Logement en 2016.

Le rôle de Pablo Muñoz à l’intérieur du PUI H a été de travailler dans l’étude, la recherche et l’élaboration, dans le domaine du logement, de diverses propositions. Nous évoquions dans l’introduction à ce chapitre une mutation actuelle de la croissance urbaine de Lima. Le schéma d’extension au sein de Huaycán a changé, auparavant, il constituait en l’établissement des nouvelles populations en extension du zonage existant et sur les collines environnantes. Pourtant le quartier continue toujours de s’étendre.

De fait, que ce soit les projets dans le cadre du workshop ou du PUI, et suite aux directives du PLAM 35 d’impliquer la population, les projets doivent suivre certaines directives de

Pablo m’apprend que « seulement une minorité actuellement va s’installer dans les hauteurs des collines39 » et que les nouvelles générations aspirent à posséder leur propre logement plutôt que de rester au sein du logement familial. C’est

38

39

Ibid

117

Ibid


Figure 46 - Plan de la proposition générale dans l’étude de BarrioMio (avec les membres de CONURB) pour le PUI Huaycan (source : Proyecto Urbano Integral HUAYCAN - ATE, resumen efectivo, février 2014, p. 100)

118


Figures 47 - Propositions d’aménagement sur ke cerro «vista alegre» en parc écologique et zone de cultures dans l’étude de BarrioMio (avec les membres de CONURB) pour le PUI Huaycan (source : Proyecto Urbano Integral - HUAYCAN - ATE, resumen efectivo, février 2014, p. 126-127)

119


aussi une génération plus mobile, qui n’hésite pas à louer ou acheter.

participé aux ateliers de réflexions organisés dans le cadre du PUI. Certaines parties de la population reste donc en retrait et ne connaît pas bien les détails ni les enjeux du projet.

Un point central au projet est d’arriver à contrebalancer ce phénomène d’extension, et de réfléchir à une densification verticale plutôt qu’à une expansion horizontale.

De plus, un projet d’une ampleur tel que le PUI est une nouveauté pour les huaycanais, comme me l’apprend Federico. Les habitants des extensions actuelles n’ont connu que l’informalité comme moyen d’accès à la ville, et n’ont aucune confiance dans la sincérité des autorités. Ils sont donc généralement réticents aux projets. Les premières rencontres, organisées par l’équipe technique du PUI ont donc été difficiles, me dit Federico.

« Nous voulons densifier parce que nous croyions dans le marché du logement qui appelle les personnes disposées à vivre, louer et vivre dans des immeubles multifamiliaux40. » Justement, vivre en appartement serait une manière tout à fait nouvelle pour les huaycanais, habitués à l’habitat individuel. Toute une équipe technique multidisciplinaire composée d’architectes, d’ingénieurs, de sociologue et de psychologue a travaillé sur l’étude technique de PUI.

Revenons sur le cas du cerro « vista alegre » dont nous avons parlé dans le chapitre 2. Une zone au cœur de ce projet puisqu’elle aurait dû être un parc public au quartier, or, celle-ci est occupée et construite depuis une dizaine d’années et cela de manière informelle. Lors de ma rencontre avec quelques uns de ses habitants, j’ai entendu diverses remarques telles que « ils vont venir encore faire un projet ici » ou « si on m’enlève ma maison, je n’ai plus rien »41.

Les problématiques Si nous parlions précédemment de l’importance d’impliquer les habitants au projet afin qu’ils soient conscients et intégrés à celui-ci, Pablo m’a justement parlé des conflits possibles à prévenir lorsqu’est entrepris ce type de travail. De fait, les 200 000 habitants de Huaycán n’ont pas 40

Ces commentaires m’ont démontré à quel point la population, du moins, une partie appréhendée et reniée

Ibid

41

120

Souvenirs de paroles lors de ma rencontre avec les habitants le 1-12-16


la possibilité d’un projet global à Huaycán, mais était-elle vraiment au courant du contenu et des conditions de celuici ?

potentialité de son financement.

La question du coût

« C’est sûr que des personnes vont réagir vivement, et avec raison, ils ont lutté durant 10 ou 20 ans voire plus pour avoir un terrain.42 »

« Le logement social n’est pas rentable. »45 (Pablo Muñoz)

Déloger n’est pas une possibilité. Du moins, comme l’exprime Pablo Muñoz, « alors il va falloir négocier, il n’y a pas d’imposition (…) Mais jamais on ne peut retirer aux gens ce qu’ils ont travaillé durant tant d’années43 ».

La question du coût est extrêmement importante. Pablo m’explique que le Ministère du Logement « a très peur de l’investissement public46 » et que s’il devait financer cette opération, il ferait appel à des entreprises privées.

Il est donc nécessaire d’arriver à un compromis ou une conciliation, certaines personnes ne se déplaceront peut être pas, tandis que d’autres seront intéressées par une des alternatives proposées. « Il est aussi possible de voir quelles sont les attentes ou les réticences de ces personnes, ont-ils peur pour leurs enfants qu’ils n’aient pas de logement ? Dans ce cas-ci, l’on peut tenter de faciliter l’accès, etc...44 » Mais cela n’est pas seulement défendre le potentiel et l’intérêt commun du projet à la population local. Il faut aussi en démontrer la faisabilité au gouvernement. Un gouvernement, qui lui, s’intéresse tout d’abord à la

Ensuite, il m’a expliqué le schéma actuel qui permettrait la réalisation d’un tel projet. Celui-ci serait de mixer différents types de logement (social, moyen voire élevé), afin que les promoteurs et les investisseurs y voient un profit possible. De plus une opération de logement n’est pas unifonctionnelle, elle intègre des services, des espaces publics et des commerces, ce qui est aussi vecteur d’économies. Qui plus est, avec le futur projet de métro souterrain dont le terminus sera à la place centrale d’Ate, tout le district sera désenclavé et efficacement connecté au reste de la métropole, attirant, par la même occasion, une nouvelle population depuis le centre.

42 43 44

45 46

Entretien avec Pablo 05-12-16 Ibidem Ibid

121

Ibid Ibid


Le but est de gagner la confiance des investisseurs par le biais de petites « opérations pilotes47 » tel que le serait Huaycán si le projet se concrétise, et que par la réussite de celui-ci, l’opération puisse se diffuser. En dehors de l’aspect financier, celui des services, et en particulier de l’accès à l’eau est une problématique.

Cela fait tout de même de Huaycán une zone type pour le développement ambitieux des Plans Urbains Intégraux, et une chance pour ses habitants ?

Un modèle ? Nous le disions auparavant, un des objectifs fondateurs du PUI est d’en développer un modèle type pour une diffusion globale. Le choix de Huaycán comme zone test n’est pas singulier, c’est un quartier qui par son histoire et sa fondation historique, ainsi que la ferveur de ses habitants reste la concrétisation du PEH de 1984, soit d’un premier modèle. Il possède une narration urbaine, politique et sociale singulière, dans laquelle un projet tel que le Plan Urbain Intégral a une valeur ajoutée.

L’eau Le problème de l’approvisionnement en eau est au centre des limites d’urbanisation des zones au dessus du réseau dépendant de la station de la Atarjea et surtout, pour les zones situées en relief. Il est alors plus couteux et contraignant de permettre une diffusion efficace de l’eau. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2 sur la question des réseaux, le quartier de Huaycán est difficile à rattacher au réseau de Lima faute de sa situation géographique. Pablo m’explique que Huaycán est pourtant au sein de la métropole et des quartiers en difficulté, une des zones où une meilleure gestion et organisation du réseau d’eau reste possible. Il va néanmoins falloir dessiner ce réseau et trouver des innovations techniques rentables à son approvisionnement depuis la rivière du Rimac. 47

De plus, le PUI serait une manière de « mettre à jour » le PEH d’il y a plus d’une trentaine d’années, au vu des problématiques et enjeux urbains actuels. Et d’inscrire définitivement Huaycán dans le développement futur et durable pensé à toute la métropole, le quartier devenant un maillon du PLAM 35. Un maillon dans une chaîne de plus de 40 sites aux caractères similaires à Huaycán qui vont être porteurs d’un renouveau en terme de planification et amélioration des quartiers défavorisés pour le futur ?

ibid

122


C O N C L U S I O N

Si nous regardons le PLAM 35, Lima semble s’être engagé depuis peu dans une redéfinition globale de son territoire, dont les interventions majeures toucheront les domaines de la connectivité (réseaux de transport), de la précarité (planification et amélioration des quartiers défavorisés), et de la dynamique économique (nouveaux centres). Seulement, ce point de vue reste dirigé depuis le centre sur le reste de Lima.

le quartier, et participent de même à leur conception. Et Pablo Muñoz ou Mario Castro sont plus qu’enthousiastes en parlant de ces projets. Mais qu’en est il du reste de la population ? Entre la participation d’une partie, les protestations de certains, les violences d’autres ou encore le désintérêt du reste. Malgré les outils donnés à la participation populaire, les ateliers, les rencontres et autres événements. La communication entre tous les individus et le partage d’intérêts semble encore faillir.

Et il est intéressant de constater qu’au sein de la Municipalité d’Ate, la section d’urbanisme travaille de manière autonome et indépendante des projections du PLAM 35, les projets restent parallèles mais non intégrés aux travaux communs de la métropole.

L’ambition portée par le PLAM 35 à travers le PUI de Huaycán est il vraiment reçu par cette population ? Se sent elle écoutée et voit-elle en ce projet le futur harmonieux pensé pour le développement de Lima ?

Pourtant nous parlons ici d’une volonté d’unifier Lima, de penser et de concevoir Lima comme une et même ville, géante certes mais homogène dans sa qualité urbaine.

Nous savons que les revendications des populations les plus précaires sont de l’ordre de nécessités quasi immédiates (eau, électricité, sécurité, santé, régularisation). Est-il alors possible de faire attendre cette population, ou de faire comprendre le temps de réalisation d’un projet global alors que chacun (personne ou organisme) y visualise un objectif particulier.

Or les habitants de Huaycán, puisque ce sont eux que nous connaissons, ne semblent pas encore persuader par ces projets. Que ce soient les interventions précédentes de Lima Para Todos, les intentions de la Municipalité d’Ate d’apaiser les tensions ou le grand projet du PUI H et du PLAM 35. Pedro Sullca nous exprimait sa déception quant au programme BarrioMio. Lui, tout comme Federico Godiño sont au courant des projets futurs pensés pour

Est-il finalement possible de coordonner la volonté des 123


autorités avec celle de la population ? Donc de répondre aux besoins de tous. De la gestion du territoire afin d’en construire une capitale-métropole plus unie et définie dont le développement serait moins incertain et surtout durable, tout en apportant la décence d’une qualité de vie urbaine, sociale et économique à toute la population. À méditer...

124


L’INSATIABLE

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Figure 48 - Après l’utopie social, la dystopie urbaine, Lima s’étendant à l’infini (montage personnel, photographies de mars et novembre 2016)

125

vers un développement urbain durable

apporter des altern


126


« Peut être parviendront-ils à atteindre ce que moi et ma génération n’avons pu qu’effleurer. Je souhaite qu’ils touchent le fond de la vérité, le fond de notre métier.1 »

1

127

Candilis, Op. Cit. p.311


CONCLUSION

Comme mentionné précédemment, l’informel naît « naturellement » des failles du formel. Cependant, contrairement aux pratiques criminelles qui ne favorisent pas mais au contraire affaiblissent les populations les plus défavorisées, celles informelles restent aujourd’hui une première réponse à l’urbanisation autonome pour les « en dehors » du système.

L’ouverture et la fermeture de ce mémoire introduisant deux citations de l’architecte Candilis, écrites en 1977, ne sont pas des conclusions mais au contraire, un appel à la remise en question. Tout d’abord par le questionnement d’une vision unitaire de l’urbanisation. L’exemple de Huaycán, cœur de ce mémoire, démontre par son développement la diversité de la fabrication urbaine liménienne.

L’informel serait alors un outil d’urbanisation, ou plutôt une alternative accessible à tous, dans la fabrication de la ville. Mais la fabrication urbaine informelle, comme nous l’avons vu, rentre souvent en friction avec l’urbanisation formelle, se juxtaposant et s’insérant dans les vides des plans d’urbanisme (rèf cerro « vista alegre »). Serait-il alors possible que ces formes d’urbanités cohabitent plus naturellement entre elles ? Est-il imaginable que Lima se réfléchisse et s’auto-construise au même moment de manière harmonieuse ?

Vecteurs de cette diversité, nous avons exposé l’impact des pratiques informelles, s’insérant dans les failles de l’urbanisation formelle, qui n’offre pas à tous l’accès à la ville et surtout à un logement décent. D’autres pratiques, divisent davantage le développement urbain liménien, celles controversées des trafics de terrain, régies par des mafias, qui en deviennent une nouvelle sphère de la politique « du dessous » incontrôlable et totalement déconnectée de la formalité et de la légalité.

Cela peut nous laisser dubitatif, et de fait. Plusieurs fois j’évoquais cette volonté, des politiques, des architectes ou encore de la population locale, de lutter contre l’informalité. Serait-elle alors la menace ?

Or l’existence de cette sphère criminelle parallèle à celle reconnue du gouvernement en dévoile ses faiblesses. Alexis Sierra écrit à propos de la situation politique à Lima que « Le contexte géopolitique liménien incertain témoigne ainsi de l’informalité politique dans la fabrique urbaine1 » A.Sierra. 1

Nous avons vu en premier chapitre qu’elle représentait l’étape évitée dans la formation de Huaycán grâce au premier Plan mis en place en 1984, intégrant ainsi le

Sierra, Op. Cit., p. 3

128


quartier à la planification métropolitaine « dans les formes ». Cependant en se développant, le phénomène inévitable de l’urbanisation accélérée et incontrôlable a rattrapé le quartier. Ce dernier a lui, aussi, basculé dans l’informalité, ébranlé par les trafics de terrain affaiblissant sa stabilité.

appréhender et travailler au sein de la pensée commune de la fabrication de la ville. Et par « commune », il faut déduire que penser la ville d’une manière formalisée ne peut être une réponse à ce type de territoire complexe. Cela appelle donc à une remise en question dans la réflexion de tout le processus du projet urbain, ainsi que de la place même du professionnel de la ville à l’intérieur de celui-ci.

Si Huaycán avait réussi à « bruler » l’étape de l’informalité dans sa construction, celle-ci semble rester une étape inévitable que les politiques ont en partie intégré. L’informalité est aujourd’hui acceptée de manière résignée par les autorités, qui tentent de l’introduire au sein du processus de planification controlée par sa formalisation (COFOPRI, chap 2, 3.). Serait-elle, aujourd’hui, indirectement vue comme un composant (imposé) au projet urbain ? Une imposition qui reste un frein à la consolidation d’une Lima-métropole harmonieuse et équilibrée, puisque l’informalité est incontrôlable et aléatoire.

Quel rôle ? « le fond de notre métier2 » ? Ces derniers mots de Candilis s’adressent directement aux «futures générations d’architectes », et de ce fait, à moi également. Il invoque la place prégnante des architectes dans la fabrication urbaine, comme si, nous seuls, en détenions les « commandes ». Or ce mémoire et l’étude de Huaycán démontrent la pluralité des acteurs à et de la ville.

Nous avons vu, dans les discours de nos quatre rencontres (voir 4 portraits), qu’ils s’accordent, en particulier Mario Castro et Pablo Muñoz sur la nécessité d’apporter des alternatives à la population afin de limiter, voire de faire disparaître progressivement, l’informalité comme première option d’urbanisation pour les plus défavorisés.

En janvier dernier, évoquant le sujet de mon mémoire à mon professeur, Volker Ziegler (urbaniste allemand), celui-ci m’avait fait cette remarque : « ces quartiers remettent en question le rôle de l’architecte même3 ».

Comme ils nous l’ont exprimé, nous ne parlons pas ici d’un problème à solutionner mais de complexités qu’il faut 129

2

Candilis, Op. Cit., p.311

3

conversation avec Volker Ziegler, janvier 2017


Cinq mois plus tard, cette même remarque est devenue une affirmation. Par rôle, il faut comprendre la place que possède l’architecte au sein du processus de projet urbain. À titre d’exemple, Pablo Muñoz, architecte au sein d’un collectif, qui travaille en collaboration avec le Ministère du Logement. Il est aujourd’hui acteur dans le projet du PUI de Huaycán. Il est à la fois consultant pour les politiques, intervenant pour la population locale et médiateur pour l’entre deux. Et dans cet entre deux, Mario Castro, architecte responsable du projet urbain à la Municipalité d’Ate, se dit en divorce avec la population locale et en communication unilatérale avec les entités politiques supérieures (Municipalité de Lima et gouvernement étatique). Il m’exprime ses pensées sur le fait que « La ville ne peut être pensée seulement par les architectes ou les urbanistes et décidée par les politiques. ».

pense stratégiquement, l’entreprise privée qui cherche la rentabilité au nouvel arrivé qui n’aspire qu’à sa « casa propia ». Dans ce théâtre de la ville, où les acteurs sont multiples, Pedro Sullca pourrait y représenter une certaine partie de la population locale. Celle des pobladores, amateurs d’indépendance et fervents défenseur de l’auto-construction et de l’autogestion. Il est fier d’être huaycanais et investi dans son quartier depuis sa formation . Tandis que Federico Godiño, récemment établi à Huaycán, n’est pas moins engagé. Il en représente aujourd’hui la population devant la Municipalité d’Ate, et son souhait est de réconcilier autant la population avec elle-même, qu’avec sa propre ville, Lima. Federico illustre la présence politique à l’échelle intime du quartier. Un système politique, celui de l’autogestion, mis en place lors de la fondation de Huaycán, qui subit aujourd’hui, un schéma similaire à celui vécu depuis plus d’une cinquantaine d’années dans la politique métropolitaine.

Ce « rôle de l’architecte » est loin d’être fixe ou défini. Il est un maillon à l’intérieur du « mécanisme de la ville ». De fait, la ville n’est pas détenue dans les mains de quelques professionnels, qu’ils soient politiques, architectes ou encore urbanistes. Les « clés » de la ville appartiennent à toute sa population, qui en est sa substance, son dynamisme et ses acteurs. La ville est un espace commun qui induit un travail conjoint, entre l’architecte qui dessine un plan à l’ingénieur qui y définit les réseaux, le maire qui

Nous pouvons citer à nouveau le « débordement » dont parlait Matos Mar et qui est bel et bien, une trentaine d’années après, toujours d’actualité. Le phénomène métropolitain s’est répété à l’échelle du 130


quartier. En 1984, Huaycán est pensé et planifié, en tant qu’extension de la capitale. Aujourd’hui, il est lui même rattrapé par son développement urbain accéléré. L’autogestion qui dans les premières années, administrait et gérait le quartier, a rapidement atteint ses propres limites, incapable de contrôler un Huaycán précipité.

il cependant possible de résoudre la scission entre une gouvernance qui tente de faire respecter son autorité et une population aux revendications légitimes ? Cela peut nous sembler être un éternel combat entre deux extrémités, une d’« en haut » étroite et limitée en conflit avec celle d’en bas, en constante croissance. Deux couches entre lesquelles gravitent nos quatre acteurs-guides de ce mémoire. Peu de temps avant de mourir, Matos Mar dit quant à son livre que « le débordement populaire a démontré que Lima n’est pas le Pérou et qu’il n’existe pas d’identité nationale5 ». Qu’en soit, Lima ne saurait, être revendicatrice d’une identité. Pourtant, nous connaissons la volonté actuelle des politiques de faire de Lima une même ville, et que son corps urbain prenne visage.

À l’image de l’instrument politique de la métropole, celui de Huaycán joue parfois à l’aveugle. Il n’englobe plus toute la population et en exclue même une partie. Plus qu’atteindre la saturation de son autonomie, il en perd sa légitimité. De fait, ici entre la notion de légitimité, celle des politiques en tant qu’« administration » de la ville et celle de la population, en tant qu’« habitant » de celle-ci. Serait-ce alors une question de légitimité à la ville, de la possession à son simple droit ? Est-il seulement possible de réconcilier Lima ? Puisqu’il est question de réconciliation, celle physique d’une métropole désarticulée, et celle humaine d’une population divisée. Peut-on parvenir à une conciliation, qui se définirait, comme l’écrit Alexis Sierra, par « l’arrangement (...) une situation intermédiaire entre le conflit et le compromis (…) relevant d’une convergence entre intérêts particuliers4 ». Est4

Sierra, Op. Cit., p.4

5

131

Matos Mar, 2015, article web


À la recherche de l’identité métropolitaine. Identité - unité - durabilité ?

m’exprimait son espoir, et sa certitude, que cela arrivera. « peut être dans 20 ans ou 50 ans6 », le temps que la population elle - même se rende compte du rôle qu’elle joue dans le théâtre d’UNE Lima au développement durable.

Nous avons vu précédemment que l’action de nos quatre acteurs était variée et à divers niveaux. Mario Castro tente à l’échelle du district d’Ate et de Huaycán de recréer une identité de quartier, tandis que Pedro Sullca revendique cette même identité, en apparence effacée. De son côté, Federico Godiño, en position neutre, lutte pour et avec cette population, encore une fois, délaissée. Quant à Pablo Muñoz, il travaille localement à Huaycán avec le PUI H, au sein d’un projet global, celui d’une métropole en quête de développement stable et durable. Elle qui aspire à la maitrise et à la consolidation de son tissu, à la connexion et à l’union de son urbanité.

Ceci ne se veut pas d’être une conclusion mais l’introduction à la nouvelle narration d’une Lima - métropole en construction. Une Lima que je souhaitais mieux connaître et surtout comprendre. En m’intéressant ainsi à sa structure, je commence à réaliser l’ampleur de sa complexité et la diversité de son territoire.

Une union qui ne serait pas seulement physique ou urbaine mais surtout mentale. Une union qui supprimerait les inégalités, dé-stigmatiserait les quartiers et les démarginaliserait, et ainsi unifierait sa population. Afin que Lima se développe plus harmonieusement et surtout durablement. Mais cette union arrivera t’elle ? Lors d’une conversation téléphonique avec Federico Godiño le 16 mai dernier, il 6

132

Entretien téléphonique du 16-05-17


BIBLIOGRAPHIE

urbain de la planète, Ed La Découverte, Paris, 2006

OUVRAGES :

ARTICLES :

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Quartiers d’origine

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Est-il possible de planifier une ville dont l’urbanisation y est multiple, de celle formelle issue des règles de l’urbanisme à celle informelle construite des mains de la population en quête de ville ? Nous sommes à Lima, la capitale péruvienne, une ville aux limites infinies et riche d’une population hétérogène, en quête d’identité liménienne. Dans cet infini, nous nous concentrons sur Huaycán, un quartier périphérique, situé au coeur des problématiques liméniennes. Il est à la limite de ces diverses urbanités, du formel et des conflits qui régissent la capitale. Pourtant son histoire urbaine est singulière, issu d’un urbanisme révolutionnaire, il fût en premier un modèle réconciliateur du territoire ainsi que de sa population. Aujourd’hui rattrapé par le développement urbain expansif à tout Lima, quel place occupe Huaycán dans la narration urbaine liménienne ? Lima s’engage t’elle vers une harmonisation de son urbanité ?

Regarder au delà de l’évidence, entre les murs déchirés, les pavés abandonnés, et trouver la poésie de cet espace étranger. (Photographie personnelle, mars 2016, Huaycán)


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