Elias Poullos
ENSAG 2013
Comment les architectes contemporains s’emparent du thème de l’épaisseur? Recherche à partir de l’analyse des maisons de J.Utzon Can Lis et Can Feliz à Majorque ainsi que la maison de Françoise Besson à Lyon par l’architect Gilles Perraudin.
MASTER 1: Les pensées du projet
Directeur de mémoire: Philippe Deletraz, Patrick Chedal-Anglay Encadré par: Anne Coste
‘‘I have a strange, innate sense for space. I dream a house and then I have it in my head.’’ Jørn Utzon
Sommaire
I. Introduction .........................................6 Historique de l’épaisseur Problématique
II. Analyse croisée des trois villas...........9 IIA. Can Lis....................................................10 IIB. Can Feliz.................................................18 IIC. Maison&Gallerie D’art..............................24
III. Conclusion...................................28 IIIA. Bibliographie...........................................31 IIIB. Source d’images......................................33
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I. Introduction L’épaisseur est un élément de base sur lequel repose toute architecture. La lecture de l’architecture s’effectue par la compréhension des espaces qui la composent. Ces espaces, eux-mêmes, sont structurés par des éléments verticaux(1) ou horizontaux(2), limites implicites de ces espaces. Dans ce cadre, on peut alors se demander alors où intervient l’épaisseur ? En réalité il existent plusieurs épaisseurs. On peut parler de l’épaisseur des éléments qui délimitent verticalement l’espace, le mur, la cloison, l’arbre… Mais on peut aborder également l’épaisseur des parois horizontales que ce soit le sol, le plancher, la dalle, le rocher … Enfin intervient l’épaisseur en trois dimensions de l’espace lui même, qu’il s’agisse d’un plein ou d’un vide. L’épaisseur de la chambre, l’épaisseur du salon, qu’on pourrait exprimer mathématiquement par le volume en mètre cube(3). Dans le dictionnaire Larousse l’épaisseur présente la « qualité de ce qui est dense, serré ou massif ». Cette définition s’applique bien aux « épaisseurs verticales » et « horizontales » que nous avons définies précédemment, en revanche elle contourne l’épaisseur de « l’espace plein ou vide ». source: www.larrousse.fr Ainsi, l’épaisseur en architecture peut être traitée de manières différentes. Par exemple, l’objet du mur peut être traité de plusieurs manières afin que l’observateur perçoive une épaisseur. L’épaisseur du mur n’est pas forcement synonyme du “mur épais de 20 cm ou 30 cm”. Celle-ci peut être créée grâce à des murs plus fins qui se plient ou se creusent. Un vide entouré de murs fins donne aussi l’impression d’une épaisseur : deux murs disposés parallèlement avec un écart restreint permettent de donner l’illusion d’une épaisseur. Des architectes comme Louis Khan sont des personnes qui illustrant cela. 6
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Des architectes comme Louis Khan sont des personnes qui illustrant cela. L. Khan a beaucoup travaillé sur ce thème et nombre de ses projets mettent en place des murs assez “fins” qui viennent se plier, se creuser et s’articuler pour créer l’épaisseur. Les lieux créés par ces articulations deviennent généralement des espaces de transitions, accueillant soit les pièces techniques de la maison, soit les services. L’architecture romane utilisait des murs d’épaisseurs plus importantes pour des contraintes techniques. Les bâtisseurs donnaient du sens à cette épaisseur, en cherchant à créer des espaces de transition ou en travaillant la lumière avec des percements très profonds. Parfois, ils utilisaient même des murs plus épais que la technique l’imposait. L’épaisseur est alors ici aussi recherchée. L’abbaye cistercienne du construite au 12eme siècle dans le Var est un bel exemple de ce travail sur l’épaisseur(4). La Chapel de Ronchamp de Le Corbusier en est un autre(5).
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L’abbaye du Thoronet
C’est en étudiant ces deux maisons de l’architecte Danois : Can Lis et Can Feliz que nous essayerons de comprendre, de différentier et de classifier ces différents dispositifs. En fin nous allons observer un autre traitement de l’épaisseur en analysant la maison et galerie d’art, à Lyon, de l’architecte Gilles Perraudin. 5 Ronchamp Chapel, Le Corbusier. 1950
En croisant les analyses de ces trois villas nous tenterons de répondre à la problématique suivante : Comment les architectes contemporains s’emparent du thème de l’épaisseur ?
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II. Analyse croisée des trois villas
IIA. Can Lis..........................................
IIB. Can Feliz................................
IIC. Maison&Gallerie D’art.......................
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IIA.
Can Lis 1972
La Can lis a été la propre maison de J. Utzon pendant trente ans. Elle fut construite en 1972. Son organisation en quatre bâtiments distincts est possible grâce au climat méditerranéen de Majorque. Les deux pavillons situés le plus à l’Est regroupent les parties nuits alors que ceux bénéficiant de l’exposition Ouest sont pour les parties jours (séjour et cuisine). Les pavillons sont reliés par des cours et une circulation extérieure. Cette dernière a été placée au Nord par l’architecte Danois. La maison est bâtie à partie de blocs de grès qui ont des dimensions fixes : 80x40 ou 40x40 d’épaisseur de 10 ou 20 cm. Ce matériau est local de l’ile de Majorque. Les poutres sont en béton préfabriqué. La toiture quand à elle est recouverte de “bovedillas”, tuiles en argiles typique de Majorque.
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Λ
Nous voyons sur le premier schéma la forme principale de la maison avec ses quatre pavillons distincts. Le deuxième schéma montre la différenciation des espaces au sein même de chaque pavillon. En noir, les parties intérieures, en blanc les parties extérieures non couvertes. Les parties extérieures couvertes sont hachurées. Utzon a travaillé la lumière de sorte à avoir des espaces intérieurs sombres donnant directement sur des espaces très lumineux. Il n’y a pas de transition d’intensité de lumière entre chaque espace. Ce désir de conception poussera l’architecte à quitter la maison plus tard lorsqu’il fut atteint de problèmes aux yeux. Le contraste entre l’intérieur et l’extérieur créait un éblouissement qui n’était alors plus supportable.
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Extérieur
Extérieur- Couvert
Intérieur
Matin
Midi
La maison dans son ensemble est orientée au sud. Les pavillons ont été disposés par rapport à la course du soleil. Ainsi, les chambres à l’Est bénéficient de la lumière du matin et sont plus sombres en fin de journée. Le séjour a lui une orientation Sud Sud-est. Il est doté de “canons à vues” (Utzon) qui forment des cadrages et accompagne ou coupe le soleil selon l’heure de la journée. Ce dispositif permet de créer de jeux de lumières dans le séjour. La partie cuisine et la grande terrasse sont situés à l’Ouest et orientés plein Sud. Ces espaces sont baignés de lumières dans l’après midi et en fin de journée.
Soir
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Utzon aimait bien aller dans les grottes que l’on trouve près du site ou il construit sa maison. Il affectionnait la sensation d’être dans un espace clos, enveloppant tout en ayant un cadrage sur le paysage. Cette opposition entre un espace confiné et une vue dégagée sur la mer est la référence pour ses “canons à vues”. La fente lumineuse est elle aussi clairement inspirée des grottes
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Utzon travail ici une épaisseur uniquement visuelle. Avec une partie sombre et un point lumineux au bout, il nous faite croire que nous avons de l’épaisseur, or celle ci n’existe pas et est faite d’un vide entre deux murs fin.
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Ronchamp Chapel, Le Corbusier. 1950
Autres projets utilisant l’épaisseur et ayant inspirés Utzon. Nous trouvons le même effet d’épaisseur pour la Chapel de Ronchamp de Le Corbusier et la Can lis d’Utzon. Cependant, le Corbusier utilise bien des murs épais, avec de la matière pour “faire de l’épaisseur”. Utzon lui crée le même effet avec des murs de 10 cm de large, en les doublant avec un angle . Utzon donne lui une impression de profondeur. Chez Le Corbusier comme chez Utzon, l’épaisseur sert de transition entre intérieur et extérieur
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Teatro Olimpico, Palladio . 1580
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Utzon met en place deux dispositifs principaux pour donner l’impression de se trouver dans une grotte. Premièrement, les éléments fins doublé et donnant la sensation d’épaisseur ne sont pas visibles depuis l’intérieur de la maison. Seule une vue depuis l’extérieur rend compte de la système constructif utilisé par Utzon. Deuxièmement, les menuiseries sont placées à l’extérieur et hors du cadre maçonné. Ainsi, elles sont invisibles depuis l’intérieur et l’effet visuel est bluffant. Encore une fois, la vérité constructive n’est visible qu’en façade.
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IIB.
Can Feliz 1993
Utzon a quitté la Can Lis pour cette maison en 1993 pour quatre raisons. Tout d’abord à cause de ses problèmes de vue que nous avons énoncés précédemment. Ces problèmes sont d’abord survenus à cause de son activité d’architecte et de la lumière artificielle utilisées pour travailler. La différence d’intensité de lumière entre l’intérieur et les cadrages sur la mer dans le Can Lis lui ont aussi affecté les yeux. Ensuite, Utzon ne supportait plus que les touristes viennent autour de chez lui. Il ne pouvait plus bénéficier de la tranquillité de ce lieu qui en était pour lui l’atout majeur. De plus, à l’âge de 75 ans, il lui devenait difficile de vivre dans une maison où les liaisons entre les différentes parties se faisaient par l’extérieur. Les températures en hiver et l’humidité devenaient un réel souci. Enfin, Utzon voulait vivre dans un espace plus confortable. La Can Feliz ne se trouve plus en bord de mer mais sur les hauteurs de l’ile. Comme le climat est plus doux, Utzon a traité l’épaisseur différemment.
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Extérieur
Contrairement à la Can Lis, la Can Feliz offre des espaces de transitions entre intérieur et extérieur. Il n’y a plus de limite nette mais des seuils, qui amènent vers l’extérieur ou vers l’intérieur. Ce sont des espaces d’entre deux, des transitions douces, qui permettent aux yeux de s’habituer en douceur aux changements de lumière. Les espaces de transitions utilisés par Utzon rappellent le traitement de l’épaisseur par les églises 1
t r a n s i t i o n
Intérieur
Extérieur
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Extérieur- Couvert
Intérieur
Matin
Midi
Pour cette deuxième maison, Utzon a inversé la disposition des pièces. Les chambres sont à l’Ouest, la cuisine et la salle à manger au centre. Son bureau surplombe le salon dans la partie Est de la maison. Utzon n’utilise plus l’épaisseur de la même manière. Ici, il met en place des poteaux carrés et non plus des murs. Ceci est possible car le climat est plus doux. La lumière est filtrée entre les poteaux et les parties intérieures au sein des espaces de transition. La terrasse située devant la cuisine est le point central du projet. Elle offre une vue sur la piscine. Utzon voulait que cette maison soit un lieu confortable de repos offrant une atmosphère calme.
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Vue depuis l’intérieur du salon
A: Espaces vides entre les poteaux, devant le séjour. B: Espaces de transitions entre l’extérieur et le séjour. Epaisseur de limites entre l’ intérieur et extérieure.
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Vue depuis l’extérieure du salon
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IIC.
Maison et galerie d’art Lyon Croix-Rousse 2010
Cette maison est une œuvre de l’architecte Lyonnais Perraudin. Construite entre 2006 et 2010, elle est un exemple d’une troisième façon de traiter l’épaisseur. L’architecte utilise de gros blocs de pierres pour créer les espaces à l’intérieur d’une enveloppe rigide. Les parties d’usages sont placées dans des espaces qui viennent créer l’épaisseur à l’intérieur du logement. Cette fois-ci l’épaisseur est donc une épaisseur de volumes avec l’utilisation du plein vide. Avec sa représentation en poché noir, Perraudin insiste sur la lecture des pleins et des vides.
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Nous voyons ici que l’épaisseur ne sert pas d’espace de transition comme elle le faisait pour la Can Feliz. La position du bâtiment dans une cour recevant peut de soleil est surement une des explications de cela.
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Extérieur
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Extérieur- Couvert
Intérieur
Avec ces images on voit bien que l’épaisseur est ici travaillé à l’intérieure même du volume. Elle donne un idée d’intériorité et de repli sur soi, ce qui n’était pas le cas des maisons de Utzon qui au contraire s’ouvrent sur le paysage.
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III.A
Conclusion
Avec cette étude basée sur l’analyse de 3 maisons : La Can Lis et la Can Feliz de J. Utzon et la Maison de Perraudin, nous avons vu que l’épaisseur peut être traité de manières très diverses. Dans la maison Can Lis, Utzon utilise des mur fins qu’il double pour donner un effet d’épaisseur. Il joue sur les contrastes entre intérieure et extérieur en offrant des cadrages sur le paysage. Avec la Can Feliz, l’architecte Danois met en place des espaces de seuils qui définissent l’épaisseur. Ces espaces permettent d’avoir une luminosité progressive entre intérieure et extérieure. Parraudin quand à lui utilise les espaces de services à travers des volumes pleins pour “faire l’épaisseur.” Il donne ainsi à son architecture un aspect sculptural. Utzon prend des pierres à des dimensions standards et les utilisent telles qu’elles pour construire.
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Perraudin lui taille chaque pierre à la dimension voulu pour faire son architecture. Il y a donc une véritable opposition de conception entre les deux architectes. Utzon traite l’épaisseur depuis l’intérieur en se servant de l’extérieur. Son épaisseur est toujours en relation avec le paysage, le climat et l’ensoleillement. Perraudin utilise lui l’épaisseur depuis l’intérieur pour l’intérieur. En périphérie de la maison, seuls la dimension des blocs de pierre fait de l’épaisseur. C’est à l’intérieur et avec ses volumes qui paraissent pleins qu’il donne une réelle impression d’épaisseur. Dans les deux cas, les architectes créent de l’épaisseur sans utiliser beaucoup de matière. Ils donnent une illusion grâce à des dispositifs architecturaux. Avec des dispositifs différents, les deux architectes produisent des types d’épaisseurs variées.
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III.B
Bibliographie
Livres: Jorn Utzon - Houses: Henrik Sten Moller, Vibe Udsen et Per Nagel , 2006 Two Houses on Majorca: Jorn Utzon Logbook: v. 3: John Pardey et Jorn Utzon, Edition Blondal ,2004 Jorn Utzon et L’Opera de Sydney: Francoise Fromont, Gallimard ,1998
Sites Internet: www.canlis.dk/en/can-lis www.panoramio.com www.archdaily.com www.dezeen.com www.perraudinarchitectes.com/index_site.html www.google.fr en.wikipedia.org/wiki/Main_Page www.bing.com www.flickr.com 31
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III.C
Source d’images
Page 1:
www.openhousebcn.wordpress.com
Page 3:
Soren Kuhn www.utzoncenter.dk/en/joern_utzon/
Page 7.4: 5: Page 11:
Brigitte Brissard
www.linternaute.com/sortir/temoignage/temoignage/161308/l-abbaye-du-thoronet/
www.david-orbach.blogs.com/.shared/image.html?/photos/uncategorized/plan_1.jpg
Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.40
Page 14.1: 2: 3: 4:
Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.67 Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.20 www.openhousebcn.wordpress.com Nakoochi s638.photobucket.com/user/nakoochi/media/IMG_1523.jpg.html
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Mark Esguerra
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www.themarkeworld.com/san-francisco/light-at-the-end-of-the-tunnel/
Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.31 Boris Steinweg www.flickr.com/photos/borissteinweg/2991567813/ Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.67 Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.63 Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.63 Richard Weston www.jabezhoarch1201.blogspot.fr/2010/03/study-of-villa-can-feliz.html Mexicori www.panoramio.com/photo/49194829 Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.54
Page 22:
Erica Chen
Page 23:
Bent Ryberg Livre Two Houses on Majorca p.65
www.ericachenarch1201.blogspot.fr/2010/04/villa-can-feliz-by-jorn-utzon.html
Page 25:
www.perraudinarchitectes.com/projets/maison_crimee/crimee.html
Page 26.1: 2:
www.perraudinarchitectes.com/projets/maison_crimee/crimee.html www.perraudinarchitectes.com/projets/maison_crimee/crimee.html
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www.perraudinarchitectes.com/projets/maison_crimee/crimee.html
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