Mauricio Kagel (1931-2008) Alexandre Tharaud
Rrrrrrr... (1980-81) 14’17 transcription for two and four hands 1. Ragtime-Waltz 3’37 2. Rondeña* (piano four hands) 1’59 3. Rosalie 1’27 4. Rossignols enrhumés (prepared piano) 4’39 5. Râga 3’15 Ludwig van (1969) 22’02 for various instruments 6. I 2’31 7. II 2’02 8. III 1’49 9. IV 2’03 10. V 1’27 11. VI 3’20 12. VII 3’07 13. VIII 3’13 14. IX 3’10
15. Der Eid des Hippokrates (1984) 4’04 for piano three hands* 16. Unguis incarnatus est (1972) 6’20 for double bass and piano 17. MM 51 (1976) 8’52 for metronome and piano
Alexandre Tharaud, piano Philippe Bernold, flute Hervé Joulain, horn François Le Roux, baryton Eric Le Sage, piano* Marc Marder, double bass Jean-Guihen Queyras, cello Ronald van Spændonck, clarinet Chœur Rémusat Anne Barbier, Jean-François Boclé, Sébastien Holzapfel, Catherine Noyelle, Serge Paolorsi, Ingrid Perruche, Cyril Roux, Virginie Tharaud, Patrice Verdelet Carmen Taccon-Devenat, piano teacher Jean-François Boclé, sanza
« Ce quelque chose qui est à mi-chemin entre la couleur de mon atmosphère typique et la pointe de ma réalité. » “That certain something that lies halfway between the background colour of my typical atmosphere and the tip of my reality.” Antonin Artaud
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Ce qui revient… 16 janvier J’ai longtemps cru que Mauricio Kagel n’existait pas, qu’il était le produit incertain, grinçant, absent, de ses propres œuvres : une sorte de croisement germano-argentin de Kafka et de Borges : un ironiste, comme Satie, Cage ou Nancarrow, dont la musique a moins d’importance que son intention philosophique. Une musique d’épilogue, dont l’inscription dans la modernité a lieu par le commentaire, la citation, la mise en dérision ou en abîme – tout un attirail qui appartient lui aussi à l’histoire de la musique. C’est oublier que Kagel, comme tout créateur important, ne cesse d’interroger cette histoire et la nature de l’émotion musicale. 17 janvier Ce qu’on croit savoir n’est jamais ce qu’on connaît. Ce que je croyais savoir de Kagel, sa musique le bat en brèche : c’est mon propre rapport à la musique que j’interroge en l’écoutant : c’est moi qui suis mis en abîme ; je cesse d’être au centre de mes certitudes, et cela ne va pas sans plaisir ni jubilation. 18 janvier Ludwig van, pour piano et diverses formations instrumentales, est, certes, un hommage à Beethoven ; c’est aussi la mise en question de l’hommage en tant que genre, non seulement par ce que le tissu citatif a de provocateur, mais par la mélancolie de ce parcours beethovénien qui est une sorte d’adieu autant que de réactualisation permanente d’une œuvre. Ludwig van : incomplétude du titre, abolition du patronyme : Ludwig van Kagel ? 19 janvier La question de la citation est celle de la lumière. Exposition à la lumière de l’autre, comme la Sinfonia de Berio, les quatuors de Schnittke ou certaines pièces de Pesson. Kagel ne détourne pas Beethoven ; il ne l’altère pas, ne l’injurie pas : il le redéploie ; il dit en quoi il est notre contemporain. On ne peut être contemporain que dans l’appel à une nouvelle innocence, impossible et cependant infiniment rêvée.
20 janvier L’hommage comme printemps. La reverdie, disait le vieux français. Nous sommes en quête d’une reverdie que le langage humain ne permet pas ; d’où la musique, et l’indispensable ironie envers les formes de la musique, ses rites, ses figements, nos douleurs… 21 janvier La musique est le seul art qui emploie, en français, le verbe créer pour dire non pas le geste de susciter une musique ex nihilo, mais sa première audition publique ; en tant que compositeur, Kagel ne cesse de jouer sur cette position ambigüe de l’interprète, lequel est, ici, soumis à rude épreuve. 22 janvier L’humour kagélien est à mille lieues de ce qui fait rire. On rit sans rire. Rossini n’est que plaisant. Kafka riait aux éclats en lisant ses textes à ses amis. Proust, Borges, Beckett sont, au fond, d’immenses humoristes. 23 janvier Théâtralité : quelque chose se donne à voir, ici, qui n’est pas de l’ordre de l’immédiat. Ludwig van est d’abord une musique pour un film sur Beethoven : pas une illustration, encore moins un pot-pourri, mais une mise en scène de nos illusions sur la musique, dont Beethoven serait le parangon. Et il y a plus de mélancolie que de dérision dans cette scénographie qui nous renvoie à nos années lointaines. 24 janvier Quelque chose entre ici dans une résonance infinie, au-delà de toute volonté ludique ou déconstructionniste, qui nous rend à la musique pure, et nous émeut, comme dans l’ultime partie où le piano, avec le violoncelle, en appelle à notre reconnaissance, semble supplier quelque chose en nous.
25 janvier Le propre de l’innocence étant d’être perdue, c’est à partir de cette perte que j’écoute les pièces pour piano de Rrrrrrr… Comme chez Satie, une distorsion entre le titre et le contenu : l’humour est la mélancolie retournée comme un gant (autre définition, par exemple, des « rossignols enrhumés »). 26 janvier Dans Der Eid des Hippokrates, pour piano à trois mains, comme dans Unguis incarnatus est, pour piano et instrument grave, ou MM51 avec son métronome, ce sont des spectres auxquels nous sommes confrontés – celui de Liszt, notamment. Spectres nous aussi, à nous-mêmes confrontés par la mesure infiniment décalée d’un temps où nous ne sommes que par la vertu de la musique. 27 janvier La modernité hantée par le passé, comme nous au crépuscule, par nos années profondes : la musique suscite ces spectres (notre mémoire) bien plus que le langage ou les images. Kagel dit notre condition de spectres sceptiques mais heureux. Richard Millet Nogent-sur-Marne, 2003
Mauricio Kagel Éperonner des oreilles sans salive Kagel. Le nom : insécable. Lourd comme un boulet. Le musicien ? Inclassable parce que incassable. Le jeu de mots paraîtrait celui d’un scoliaste s’il n’était l’image de la véritable force : celle, ténue, qui agit par traquenards et trompe-l’œil. Savoure un croc-en-jambe. Ourdit des trames ; avec méticulosité. Ainsi Kagel, qui irrémédiablement envahit notre espace spirituel, ses interstices, en concasse idéaux et néants, le purge de l’insignifiance de ses espoirs et de la désolation de ses ébats. Par là même Kagel dévaste notre espace musical, le délivre de ses idées fixes et réflexes sonores, de ses anamnèses andalouses, désaltère nos oreilles arides, redonne lèvres à nos voix. Il apure notre sens du bon sens, purifie le sens en le faisant vaciller, provoque le hérissement de notre esprit critique. Par de lourdes vagues d’ombre, ou mille infimes cillements d’humour. Car il a l’« art de donner l’être à des riens », comme dit Saint-Simon. Ce qui frappe d’emblée dans le déblayage kagélien des idées musicales reçues – chacune de ses notes agit telle une « correction » –, est une manière de critique de la raison impure, l’« impureté [étant] le seul moyen de réfléchir sur la pureté », éclaire le compositeur qui, à l’instar de Nietzsche, se distingue par « une sensibilité absolument déconcertante de l’instinct de propreté ». (Et la propreté, ça « distingue et isole », dit encore Nietzsche.) Son regard, qui déborde la présence empirique, correspond à la « véritable critique » échafaudée par Walter Benjamin, celle « qui ne va pas contre son objet ; [qui] est comme une substance chimique qui, lorsqu’elle s’attaque à une autre, la décompose pour en dévoiler la nature profonde, mais ne la détruit pas. […] Mais cela n’est pas l’affaire du langage ou alors par le détour d’un profond déguisement : dans l’humour. Le langage ne peut être critique qu’en se faisant humour ». Ainsi en va-t-il des genres musicaux dans Staatstheater, Serenade, Phantasiestück ou dans Die Stücke der Windrose, Süden (la tarentelle) ; de l’instrumentation, dénaturée, exagérée et « sabotée » dans le Quatuor n° 2, élargie, pastichée et érigée en principe esthétique dans Exotica ; de la musique sacrée, dans Recitativarie, « théologie acoustique par-delà la moquerie », qui, détraquant le langage et celui de la mystique juive, disloquant l’imagerie baroque, remet en question de vieux fonds d’idées religieuses ; de la tradition, de l’histoire (Rrrrrrr…) dont Kagel se sert non par nostalgie mais par égard : « c’est le passé qui donne la force d’inventer le futur » ; de la perméabilité des cultures, des langages musicaux et de cet ignominieux dénominateur commun, l’ethnocentrisme occidental (Die Stücke der Windrose) ;
de la porosité, de l’humour, de la caricature et de la hargne des instrumentistes en situations et actions théâtrales, pour déconcerter le spectateur (Match, Dressur, Gegenstimmen, Unter Strom) : « Les interprètes semblent tout d’abord s’en tenir à des attitudes ludiques en face de ces attributs de la civilisation bourgeoise. La gamme de leurs comportements, très exactement prescrits, s’étend pourtant bien au-delà du jeu intime et délicieux avec les instruments : il faut y ajouter la fascination, le ridicule, l’admiration, et leur brusque renversement en peur panique et souffrance » ; enfin du son lui-même dont, selon l’une de ses techniques de prédilection, Kagel met en scène l’émission (déraillante) dans une tragédie du dérisoire (Atem), ou dans une savante amphibologie1 entre son noble et bruit brut (L’art bruit)… et des principes compositionnels même, élargis aux « matériaux non sonores » dans son « théâtre instrumental » (Sonant), ses films (Ludwig van), ses pièces radiophoniques (…nach einer Lektüre von Orwell). Voilà qui est pédagogique et prophylactique – éminemment. (Créer est une « maladie complètement intime », nous disait-il.) Les antithèses grésillantes, les stichomythies acérées, les paradoxes qui se dévorent pour aussitôt se régénérer, les contradictions et les malentendus qui s’opiniâtrent à se méconnaître font intimement partie, aussi, de ses intentions esthétiques – qui n’ont rien à voir avec l’éthique (« En composant des mensonges, je ne mens pas. ») –, avec la vérité du composé : en falsifiant le faux, on a une chance d’avoisiner le vrai. Ce qui ne manque pas d’humour, une attitude, elle, proprement éthique puisque « chaque humoriste professionnel est un moraliste professionnel », souligne Kagel. Qui ajoute : « L’humour n’est pas seulement un moyen de communication privilégié, c’est une façon de faire réfléchir rétrospectivement, de faire prendre conscience. Les choses sont toujours trop complexes pour qu’on les communique simplement en les nommant. C’est comme pour le « sabotage » visuel, je pense que les choses vraies ne sont qu’apparentes. » Il y a donc quelque chose d’un pouvoir de sérieux où n’atteindra jamais une personne : c’est l’humour. Dans son crépitement, il y a le mot amour… une tendresse vis-à-vis de l’auditeur ; d’aucuns n’aiment guère cet humour comme intransigeance de l’émotion – suprêmement subversive. Sources exaltantes de création, ces pensées qui grincent, ces ambivalences (autant de désinvoltes perfections) mettent l’auditeur en état de perte féconde, de malaises propres à le faire réfléchir sur la mollesse intellectuelle, les moulins à fariboles chic, la duplicité, la démagogie (de l’industrie de la culture – ou esthétisation de la politique par d’idoines acoquinements sémantiques –, de la néo-tonalité…) ; en état de doute capable de l’extraire de l’attente avachie d’un Aha-Erlebnis, d’une brusque illumination ! 1 Kagel précise que ses œuvres ne sont, esthétiquement, presque jamais à « double sens » (zweideutig), mais à « multiple fond » (doppelbödig).
Outre qu’il faut sans cesse laisser à l’auditeur quelque chose à malaxer, à penser, à imaginer, Kagel « s’insurge toujours contre l’opinion généralement admise que tout ce qu’on a à dire ait une issue univoque », estime que nous devrions tenir pour erroné toujours tout ce que rend l’image d’un compositeur définitive, considère que l’on « sous-estime le public et qu’on le met dans une situation indigne quand on s’efforce de composer de façon à ce qu’il comprenne tout ». En cela, une des formes les plus cohérentes, les plus « normales » de son activité est de « rendre une situation qui est anormale subconsciemment, la rendre anormale consciemment ». Exemple : « L’auditeur peut quiètement écouter Aus Deutschland [ein Liederoper] d’une oreille inquiète : cela sonne comme du Kagel, mais fait tout de même penser à Schubert. » Il ne s’agit jamais de « casser les choses, mais seulement de les décaler un peu » ; de dévier, de démultiplier, de rendre indevinable. Le compositeur, qui ne dissocie pas la communication musicale de la communication humaine, peut désormais proposer une réflexion au-delà d’une vision engourdie de l’histoire, permettre à l’auditeur-spectateur, par-delà bien et mal, de fissurer l’opacité du monde, de penser les catastrophes qui l’assaillent. A fortiori d’être « confronté avec la vérité terrible d’entendre, – parce que ça, assène-t-il, c’est vraiment une vérité épouvantable ». Et le lot de l’homme réel, celui qui ne flagorne pas l’éternité. Alors, iconoclaste et amuseur, Kagel ? On l’a dit, le ressasse, ça rassure – dans le splendide échouage de nos certitudes, nous les léchottés de musique loisive. Mais l’étiquetage est réducteur et simplet. Kagel nous détraque qui veut « faire la corrosion » ; nous devons lui en être obligés, « non parce que nous nous avisons enfin qu’il nous a dupés, eût écrit Nietzsche, mais bien parce qu’il n’a pas estimé nécessaires des moyens plus subtils pour nous attraper ». Tomber le cœur dégoupillé dans les pièges que nous tend Kagel est une façon de découvrir l’essentielle et impeccable nudité des émotions musicales. Jean-Noël von der Weid Programme Présences 1996
Rrrrrrr… Cette « Radio-Phantasie » se compose de quarante et une pièces autonomes, toutes commençant par la lettre R, d’une encyclopédie musicale, le Wörterbuch der Musik, de Ferdinand Hirsch (1977). Ce musée imaginaire carambolé renferme des concepts musicaux issus d’époques, de lieux et d’emplois les plus divers. « Quand je commençai de réfléchir à cette œuvre, se souvient Kagel, je me suis imaginé d’Alembert aux prises avec la tâche immense que représentait son Encyclopédie, s’assoupissant maintes fois sur les feuilles de son manuscrit, pages couvertes d’articles, tous commençant par la lettre R. Les significations précises des définitions se mêlaient dans son demi-sommeil – de manière plutôt antiscientifique –, ce qui lui permettait toutes sortes de combinaisons, par associations allant des plus logiques aux plus excentriques. Je n’avais qu’à modifier un peu cette idée pour étendre clairement mon savoir – au sens de Diderot – et ainsi rendre le projet réalisable. J’échangeai l’encyclopédie d’intérêt général contre l’édition de poche d’un dictionnaire de musique et, immédiatement, je me trouvai dans des domaines qui se multipliaient à l’infini, depuis la sémantique rigoureuse jusqu’aux régions lointaines de la musicologie comme art poétique. » Parmi les huit pièces composées pour orgue en 1980-81, figurent ici : (1.) Râga (hindi) : désigne un modèle mélodique dans la musique de l’Inde, comparable au maqâm arabe, au masculin râgas, au féminin râginis ; par la note centrale, le choix de différentes notes de la gamme (jâtis), par des tournures mélodiques et rythmiques préétablies, par leur valeur expressive caractéristique, ces improvisations et compositions ont une valeur très spécifique. (4.) Ragtime : style pianistique populaire des musiciens de couleur du Middle-West américain de la fin du XIXème siècle […], qui exerça une influence décisive sur la formation du jazz. (7.) Rosalie (Cousin Michel, réparation de cordonnier, rafistolage) : une manière de répéter fréquemment le même motif montant ou descendant par degrés, motif et systèmes usés jusqu’à la corde ; désigne d’une manière péjorative des mélodies confectionnées de cette manière2. (8.) Rossignols enrhumés : un oiseau qui ne se trouve dans aucun ouvrage de référence.
2 Beethoven tenait le thème de la valse de Diabelli (dont il tira les Variations op. 120) comme une rosalie (un Schusterfleck), un ressemelage de savetier. Expression devenue sans doute une plaisanterie à l’adresse de Diabolus-Diabelli.
Ludwig van Œuvre musicale tirée du film éponyme et sous-titrée « Hommage à Beethoven ». On entend toute la musique de Beethoven que l’on a vu, Beethoven que Kagel « aime tellement ». La partition de l’œuvre est faite de gros plans sur les murs et les objets de « la chambre de musique ». « Pour cette composition, précise Kagel, le point de départ d’une telle objectivation des collages musicaux [la possibilité d’un continuum sans douleur est donnée, déclarait-il par ailleurs] était une séquence dans laquelle la caméra – suppléant les yeux de Beethoven-spectateur – feuillette la chambre avec une extrême lenteur. Le montage muet de cette séquence fut projeté à un orchestre de 16 musiciens qui avaient pour tâche d’interpréter la partition « cinétique ». Ludwig van est avant tout une idée qui tente de faire comprendre aux interprètes que la musique du passé doit aussi être interprétée comme musique du présent : « C’est pour moi la raison, déclarait Kagel, de repenser ce qu’est la musique du passé ; ce que Schwitters disait : “la tradition, c’est moi”, je pense que, dans la musique, c’est absolument valable. […] La musique du passé est plus proche de nous dans la mesure où nous l’interprétons d’une façon différente ! » De façon authentique, sans « retouches », dans sa « crudité », ses « déformations » ! « L’idéal serait d’interpréter Beethoven comme il entendait, c’est-à-dire « mal ». C’est ce que j’ai essayé de composer dans mon film Ludwig van. L’idée de base était de réorchestrer sa musique de façon à ce que certaines régions sonores et certaines fréquences qu’un sourd perçoit à peine ou encore de manière déformée soient conséquemment traitées. Les déformations de timbres nous ont permis encore une fois de constater clairement, lors des enregistrements, à quel point il s’agit là d’une musique véritablement grandiose. Tous les musiciens participants et moi-même étions continuellement émus. Je n’avais encore jamais vécu une telle expérience. » Interpréter Beethoven tel qu’il se mal-entendait, ou l’authenticité braquée contre elle-même. Donner une réponse acide aux hommages d’usage, vitupérer de Beethoven l’écoute et l’interprétation dénuées de critique et de réflexion.
Der Eid des Hippokrates (Le Serment d’Hippocrate) Mauricio Kagel est le critique implacable d’une musique qui ne produit que des sortilèges en loques, des émotions qui bâillent ou des baignoires d’idées lustrées. La musique d’art est le résultat d’une activité impitoyable, parfois monstrueuse ; elle peut impliquer haine ; et amour et humour ; et sérieux, comme dans cette pièce consacrée au Serment que prêtaient alors les futurs médecins et dont nous avons conservé la tradition (le premier signe d’expression de la partition est « grave »). Hindemith avait déjà considéré, dans son alors extravagante Suite 1922, le piano « comme une espèce intéressante de percussion » ; le tambourinement kagélien évoque plutôt le « royaume du tyran Rythme ; où les muets communiquent avec des tambours »... (Arno Schmidt) Le musicologue Werner Klüppelholz se demande si l’on peut déceler dans cette œuvre une évocation du Paul Wittgenstein (pianiste amputé du bras droit et dédicataire du Concerto pour la main gauche (piano et orchestre) de Ravel), ou encore la peur d’une mésaventure chirurgicale. Kagel : « Cette composition aphoristique me fut inspirée par la publication, en janvier 1984, dans une revue médicale, d’un article consacré à mes dernières œuvres. À force de patienter dans des salles d’attente d’hôpitaux ou de cliniques, je me pris à méditer le généreux Serment d’Hippocrate. Je ne saurais dire si ce fut parce que je m’interrogeais sur l’influence qui fut celle du praticien grec… Toujours est-il que j’écrivis une pièce pour trois mains gauches, mais faisant également intervenir la main droite – pièce à exécuter par deux ou trois pianistes. L’une des mains s’obstine à tambouriner en sourdine, sur un coin de la caisse du piano, comme s’il émettait en morse des extraits de l’antique Serment : « Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses… » Unguis incarnatus est Comme MM51, cette œuvre, conçue « pour piano et… » un instrument, non précisé, dont la tessiture est située dans le grave, tisse un lien entre le passé et le présent. Le motif initial, qu’énonce le piano, est le sibyllin et fantomatique début de Nuages gris de Franz Liszt (naissent alors Parsifal, les Contes d’Hoffmann, autant de victoires du bien sur le mal). Kagel : « C’est précisément dans ses œuvres tardives que Liszt parvient à prouver qu’une intensité extrême d’expression peut s’obtenir également avec une ample réduction des moyens. Cette réduction en faveur d’un effet plus durable, révèle le rôle de Liszt comme initiateur d’un expressionnisme comprenant un nombre très limité de tons (‘knapp-bemessener-Tonanzahl’) […]. On
pourrait comparer le rapport musical entre Unguis incarnatus est et Nuages gris avec celui existant entre les paraphrases de Liszt et les œuvres des autres compositeurs qui lui servirent de point de départ pour la réflexion musicale. Liszt se livre sciemment à un gonflement des tendances inhérentes au modèle – et démasque ainsi des marques stylistiques inflationnistes chez Wagner ; j’ai procédé ici de manière semblable : en insistant sur un minimum d’effet sonore, j’ai essayé d’intensifier aussi bien le silence inhérent à ces nuages gris que leur mutité de nature morte musicale. » Le titre de l’œuvre est un jeu de mots sur « incarnatus » (incarné). Unguis incarnatus est (syntagme technique utilisé en médecine), l’ongle est incarné, évoque la formule correspondant au dogme fondamental de l’Église, le credo : « et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine ». On peut aussi considérer la pédale du piano tel un unguis incarnatus, comme un ongle qui s’est incarné dans le pied du pianiste. Car, sourit Kagel : « Le rôle particulier attribué à la pédale du piano peut assurément être considéré comme un indice parfait pour déchiffrer cette énigme. » MM 51 Chiasme des temps. Les années 1920-1930, les lueurs vives encore du cinéma muet, c’est l’heure de Robert Wiene, Fritz Lang, Murnau ou Pabst. Schoenberg compose une pièce pour orchestre, Begleitungsmusik zu einer Lichtspielszene (« Musique d’accompagnement pour une scène de film », op. 34). En 1976, Kagel compose cette pièce de « musique de film pour piano », mise en abîme du passé. Mais quand l’œuvre de Schoenberg, dont le sous-titre est « danger menaçant, peur, catastrophe », révèle un langage musical qui lui est propre, Kagel n’utilise, dit-il, que des « échantillons stéréotypés de la musique commerciale […], tels que l’auditeur les connaît à travers d’innombrables productions de l’industrie du film. […] Dès les premiers accords de la pièce, l’auditeur peut aisément reconnaître le répertoire des anecdotes acoustiques qui ne se laissent pas séparer sans difficultés de l’illustration d’images filmées. Mais c’est justement la relation étroite de cette musique avec des situations d’angoisse, qui ne subsistent généralement qu’assez émoussées dans notre mémoire, qui permet à l’auditeur de créer un collage de sa propre culture de différentes scènes de cinéma. Ainsi, à partir d’éléments dramatiques d’origines disparates, se forme une représentation personnelle et originale ». Le germe de la tension dramaturgique est un métronome reposant sur un hémisphère mobile. Des battements réguliers, accompagnant en de longues séquences la partie de piano, se font pourtant irréguliers quand le pianiste actionne une pédale qui fait pencher le métronome. D’où les
trois éléments de l’œuvre : le tic-tac du métronome (Métronome de Maelzel réglé sur 51), une voix de basse et une couche sonore interrompue seulement par quelques pauses – une multiplicité de rapports rythmiques. « C’est par une régularité parfaite qu’on peut le mieux rendre compte de l’horreur, précise Kagel. La fripouille ne fait jamais de pause. De même le silence, en faisant progresser régulièrement le néant, nous donne le sentiment d’un tempo. Dans ce contexte, la seule chose qui puisse avoir un effet apaisant est le boitement du métronome. » Jean-Noël von der Weid
Mauricio Kagel Mauricio Kagel, né à Buenos Aires le 24 décembre 1931, fait partie des compositeurs éminents de la musique de ce temps. Dès le départ, son nom est associé au théâtre instrumental dont il s’est fait le héraut, un genre qui va faire de lui une autorité dans le paysage de la création musicale européenne. Toutefois, en plus de son incontestable influence dans ce domaine, Kagel a aussi développé une esthétique très personnelle dans le champ de la musique pure. Compositeur prolixe, son œuvre est étendue et variée. Elle englobe non seulement la scène, l’orchestre et la musique de chambre mais aussi les musiques de film, les pièces et essais radiophoniques. Couvrant un large spectre, sa musique est en rupture radicale avec toute forme d’académisme et rompt avec toute forme de tradition, notamment la culture musicale germanique. L’imagination, l’originalité et l’humour caractérisent cet artiste protéiforme. Avec un pouvoir d’invention toujours renouvelé, les moyens expressifs de Mauricio Kagel sont illimités mais, bien que souvent caustiques et provocateurs, toujours au seul service du discours musical. Mauricio Kagel est mort le 18 septembre 2008 à Cologne, en Allemagne. Alexandre Tharaud Après avoir obtenu un brillant Premier Prix du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, Alexandre Tharaud est lauréat du Concours international Maria Canals à Barcelone et remporte le Premier Prix du Concours international Città di Senigallia en Italie, ainsi que le 2ème Prix du Concours international de Munich qui le révèle au public. Alexandre Tharaud est lauréat de la fondation C.N. Ledoux/ Conseil de l’Europe. Il se produit dans les plus prestigieuses salles internationales et consacre une grande partie de son activité à la musique de chambre, en particulier avec tous les interprètes de ce disque. C’est pour harmonia mundi qu’Alexandre Tharaud a enregistré son disque Rameau, dont il joue les Suites de clavecin au piano, et qui a été une des révélations discographiques 2002. Cet enregistrement a eu un écho dans la presse internationale et a obtenu un Choc de la Musique de l’année. Suite à ce succès mérité, Alexandre a été invité à se produire en récital aux célèbres BBC Proms, au Festival de Piano de La Roque-d’Anthéron, dans la série « MeisterZyklus » de Bern, au Festival de Musique Ancienne d’Utrecht ainsi qu’au Grand Théâtre de Bordeaux. Alexandre Tharaud a également fait appel au talent de jeunes compositeurs dont six d’entre eux ont écrit un « Hommage à Rameau » qu’il interprète en alternance avec l’œuvre du grand compositeur.
A recurrent theme
FRANCAIS
16 January For a long time Mauricio Kagel did not seem to me to be real. I felt he must be the result in absentia of his own works, improbable and jarring, a sort of Germano-Argentine cross of Kafka and Borges, an ironist like Satie, Cage or Nancarrow, whose music was less important than his philosophical message. As though his music were an epilogue, its place in modernity anchored by commentary, quotation, scorn and despair, all procedures that also have a part to play in the history of music. But then one must not forget that Kagel, like any creator of importance, never ceases to question history and the nature of musical emotion. 17 January What you think you know is never what you do know. What I thought I knew about Kagel was given to lie by his music. When I listen to it, I question my own relationship with music and am thus plunged into despair. I am no longer central to my own certainty, yet this does not rule out all pleasure or joy. 18 January Ludwig van, for piano and instrumental ensembles, is certainly a tribute to Beethoven, but it also questions the very genre of homage, not only because of the provocative nature of the quotations, but also an account of the inherent melancholy, so that a given work becomes not so much a living reminder as a sort of farewell. Ludwig van: perhaps this incomplete name, without its final handle, should be read Ludwig van Kagel. 19 January Quotations illuminate, letting in the light on something else, like Berio’s Sinfonia, Schnittke’s Quartets or certain pieces by Pesson. Kagel does not rewrite Beethoven; he does not alter his music or devalue it but rather unfurls it anew and shows how contemporary it is. We can be contemporary only by calling on new innocence, the stuff of infinite dreams and ultimately impossible.
20 January Homage is like spring, when the greenwood “springs anew”. Here we search for a new spring that human language cannot contain, and so we look to music and the indispensable irony of musical forms, to its ritual, its fixity and our own heavyweight. 21 January Music is the only art that uses, in French, the verb “créer” [to create] to mean not only conjuring up music from nowhere but also giving its first performance. As a composer, Kagel continually plays on the ambiguous position of the performer who has a tough task ahead of him. 22 January Kagel’s humour is not the sort that makes us laugh. You can laugh inside without actually laughing aloud. Rossini is simply pleasant on the surface. Kafka used to roar with laughter when he read his writings out to his friends. Proust, Borges and Beckett are, when it comes down to it, enormous humorists. 23 January The theatrical side: something is shown here, which is not immediately apparent. Ludwig van is above all music for a film on Beethoven, so it is not an illustration, nor is it a pot-pourri, but a setting of our illusions about music, of which Beethoven is a paragon. There is more melancholy than mockery in this little scene which reminds us of the distant past. 24 January There is something here that rings on indefinitely, beyond any desire to be playful or destructive, something which brings us face to face with pure music and moves us deeply, like the final part where the piano, together with the cello, calls out for recognition and seems to beseech us for something.
25 January It is an integral part of innocence to be lost, and starting from this loss I now listen to the piano pieces, Rrrrrrr‌ As with Satie, the title does not reflect the contents, for humour is melancholy turned inside out like a glove (which could be another definition of “nightingales with coldsâ€?). 26 January In Der Eid des Hippokrates for piano 3 hands, as in Unguis incarnates est for piano and a low instrument, or MM 51 and its metronome, we are confronted with ghosts, and particularly that of Liszt. But we too are ghosts, confronted in turn with the totally timed out notion of a time in which we are only what we are by virtue of music. 27 January Modernity haunted by the past, just as we are haunted at dusk by our own deeply buried past. Music conjures up such spirits (our memories) much more than language or images. Kagel describes us as sceptical but basically happy spirits. Richard Millet Nogent-sur-Marne, 2003
Mauricio Kagel Spurring without spitting Kagel. The name is a round, indivisible whole, as heavy as a cannonball. As for the musician, he cannot be classified because he falls into no category. This is no scholiastic playing with words, for here we have the image of slender yet genuine strength, which works by traps and trompe-l’œil, delighting in tricks, meticulously hatching new plots. Kagel invades our living space once and for all, infiltrating the interstices, crushing ideals and vacuums, purging us of insignificant hope and its hopeless frolics. Similarly Kagel destroys our musical space, freeing it from its idées fixes and providing a mouthpiece for our voice. He checks out our common sense, and purifies the senses by making them sway, making our critical hackles rise, with heavy waves of shadow, or a thousand tiny instances of winking humour. As Saint-Simon put it, he can “breathe life into a void”. What strikes us at the outset when Kagel sweeps received musical ideas aside – each of his notes is like a punishment – is the way he discards erroneous reasoning, for as the composer says, “impurity [is] the only way to reflect on purity”. Like Nietzsche, Kagel is notable for “a totally disconcerting sense of the instinct of cleanliness” (and, as Nietzsche had it, “cleanliness sets you apart, isolates you”). His view, overflowing with empirical presence, corresponds to the genuine critique described by Walter Benjamin, which does not go against its object but is rather like a catalyst which, when it attacks another chemical substance, breaks it down to reveal its innermost nature but without destroying it. This is not done by language but by a penetrating disguise in the form of humour. Language, said Benjamin, can be critical only when it is humorous. This applies to the musical genres in Staatstheater, Serenade, Phantasiestück or in Die Stücke der Windrose, Süden (the tarantella); to the distorded, exaggerated, even sabotaged instrumentation in the Second Quartet, which is enlarged, built up and made into a pastiche in Exotica; to the sacred music of Recitativarie, “acoustic theology beyond mockery” which, by breaking up language and that of Jewish mysticism, thereby disturbing the baroque imagery, fundamentally questions basic ideas of religion; it applies to tradition and history (Rrrrrrr…) which Kagel uses not for nostalgic reasons but deliberately, since “it is the past that gives us the strength to invent the future”; to the permeability of culture, musical languages and that ignominious common denominator, western ethnocentricity (Die Stücke der Windrose); to porosity, humour, caricature and instrumental aggressivity in the
theatrical environment created with the intention of disconcerting the concert-goer (Match, Dressur, Gegenstimmen, Unter Strom): “The performers seem at first to maintain a playful attitude when faced with these attributes of bourgeois civilisation. The range of their behavior, precisely describes, goes far beyond the delightfully intimate play with instruments, and includes fascination, ridicule and admiration as well as their sudden reversal, fear, panic and suffering”; and finally it applies to sound itself which, in accordance with one of his favourite techniques, Kagel dislocates in a tragedy of the derisory (Atem) or, in a skillful amphibology3 between noble sound and brute sound (L’art bruit) and compositional principles themselves, widened to the “non-sound material” in his “instrumental theatre” (Sonant), his films (Ludwig van) and radiophonic works (…nach einer Lektüre von Orwell). Which is eminently pedagogical and prophylactic. (“Creating” said Kagel, “is a completely intimate disease.”) Cracking antitheses, scathing stichomythia, paradoxes that absorb each other the better to regenerate, contradictions and misunderstandings so strong that they cannot recognise each other, all these are a fundamental part of his aesthetic intentions – which have nothing to do with ethics (“I don’t lie if I make up lies”) – or the truth of what is composed, for in falsifying what is already false we have a chance of coming close to the truth. And this is not without its own humour, a genuinely ethical attitude for, as Kagel points out, “every professional humorist is a professional moralist”. He goes on to add that “Humour is not only a privileged means of communication, but also a way of making us reflect in retrospection and recognise the truth. Things are always too complex for us to point out simply by naming them. This is like visual ‘sabotage’; I believe the truth is only apparent”. This is therefore something of an earnest power which no one can ever attain, namely humour. You can almost hear the word love, a tenderness towards the listener, although hardly anyone appreciates its humour, its intransigent emotion, which is supremely subversive. These exhilarating sources of creation, these jarring thoughts and ambivalence (like offhand perfection) place the listener in a state of fecund loss, of disease calculated to make one reflect on a lack of intellectual rigour, the chattering classes, duplicity, demagogy (of the culture industry – or making politics aesthetically acceptable by the use of suitable semantic pairings – of neotonality); when in doubt, able to extract it from the limp expectations of an Aha-Erlebnis, a sudden illumination. Besides the fact that the listener should always be left with something to chew over, to think 3 Kagel makes it clear that aesthetically his works almost never have a double meaning (zweideutig) but are based on multiple layers (doppelbödig).
about and imagine, Kagel “always rebels against the prevailing opinion that everything one says has only one outcome”, and believes that we ought always to consider the definitive view of a composer as erroneous, that one “underestimates the audience, placing them in an unmerited situation by trying to compose music so that they will understand it all”. One of the most consistent and “normal” forms of his activity is to “take a situation that is unconsciously normal and make it consciously abnormal”. For instance, “The audience may be quietly listening to Aus Deutschland [ein Liederoper] but feeling far from quiet: it sounds like Kagel but reminds them all the same of Schubert”. It is never a case of “breaking things, but simply displacing them a little”, of deviating, dividing them up so they cannot be guessed at. The composer, who does not divorce musical communication from human communication, suggests henceforward a reflection beyond the numb vision of history, enabling the listeners and watchers, beyond good and evil, to break open the opaqueness of the world and think of the catastrophes that attack it. All the more so is one “confronted with the terrible truth of hearing, because that”, argues Kagel, “is really a horrifying truth”, and the lot of the true man, he who does not flatter eternity. So may we consider Kagel as a comic iconoclast? The words are spoken and turned over in order to reassure us – when our certainties run so splendidly aground, and we are caressed by the music of leisure. But the label is reductionist and simplist. Kagel leads us astray when we want to “corrode”, and we are in debt to him “not because we realise that he has duped us”, as Nietzsche would have put it, “but because he did not think it necessary to envisage more subtle means to catch us”. To drop a raw heart into the traps that Kagel sets is one way of discovering the quintessential and impeccable nudity of musical emotions. Jean-Noël von der Weid Programme notes Présences 1996 Translation: Mary Criswick
Rrrrrrr… This « Radio-Phantasie » comprises forty-one autonomous pieces, all of which begin with the letter R, taken from a music encyclopaedia, the Wörterbuch der Musik by Ferdinand Hirsch (1977). This imaginary concertinaed museum contains musical concepts taken from the most varied times, places and manners. Kagel recalls that “when I began to think about this work, I imagined d’Alembert hard at work on the enormous task of writing his encyclopaedia, drooping with fatigue over the pages of his manuscript covered with articles that all began with the letter R. The exact meanings of his definitions would be blurred in his semi-slumber, in a rather anti-scientific way, which would lead to all sorts of combinations and associations from the most logical to the most eccentric. I had only to modify this idea a little in order to be able to heat my own knowledge – in Diderot’s sense of the word – and thus make the project possible. I replaced the general knowledge encyclopaedia with a pocket music dictionary, and immediately found myself among infinitely multiplying fields, from rigorous semantics to the distant areas of musicology as a poetic art.” Among the eight pieces written for organ in 1980-81 are: (1) Râga (Hindu): this is a melodic form in Indian music, comparable to the Arab maqâm; the masculine form is râgas and the feminine râginis. The improvisations and compositions have a very specific value depending on the central note, the choice of different notes of the scale (jâtis), the pre-established melodic formulas and rhythms and their characteristic expressive value. (4) Ragtime: a popular style played by black pianists in the American mid-west at the end of the 19th century […], which had a decisive influence on the development of jazz. (7) Rosalie (Cousin Michel, cobbler and shoe-mender): a way of frequently repeating the same stepwise ascending or descending motive, a motive and a system played until they are threadbare; used as a pejorative description of melodies developed in this way.4 (8) Rossignol […]: Nightingales with colds: a bird not found in any reference book.
4 Beethoven used Diabelli’s waltz theme (on which he wrote his op. 120 Variations) as a Rosalie (in Schusterfleck), resoling it like a cobbler. The expression has no doubt evolved into a joke against Diabolus-Diabelli.
Ludwig van This is the music for the eponymous film, subtitled “Hommage à Beethoven”. In it can be heard all of Beethoven’s music as we see him, the work of the Beethoven whom Kagel “so much admires”. The score of the work is a close-up of the walls and objects in the “music room”. Kagel wrote that “for this composition, the starting point for the ‘objectivisation’ of musical collages” [which he described as the possibility of a painfree continuum] “was a sequence in which the camera – in the place of the eyes of the Beethoven audience – examines the room extremely slowly. The silent editing of this sequence was projected to an orchestra of 16 musicians who then had to perform this ‘cinematic’ score”. Ludwig van is above all an idea which attempts to help performers understand that the music of the past should be played like that of the present: “This is why I want to take a new look at music of the past”, declared Kagel, “and Schwitters’ remark that ‘I am tradition’ is completely valid. […] Music of the past is closer to us in that we perform it differently!” It is authentic, without ‘improvements’, ‘untouched’ with its ‘warts and all’. “The ideal method would be to play Beethoven as he heard his music, which was ‘poorly’. This is how I tried to write the music for my film Ludwig van. The basic idea was to reorchestrate his music so that certain areas of sound and certain frequencies that a deaf person would barely perceive, or that would be deformed, are rearranged. The deformation of timbre allowed us once more during recording to appreciate just how grandiose the music really is. All the performing musicians and myself were continuously moved. I had never been through such an experience before.” Performing Beethoven’s music as he (mis)heard it makes authenticity turn against itself, and provides an acid counter-argument to a more orthodox homage, protesting against listening to Beethoven and performing his work without any critical or reflective thought. Der Eid des Hippokrates Mauricio Kagel is an implacable critic of the type of music that does no more than reproduce tattered magic spells, yawning emotions or bathtubs of shining ideas. Art music is the result of a merciless and sometimes monstrous activity; it may imply hatred, it may imply both love and humour, and seriousness, as in this piece dedicated to the Oath that future doctors would take, an oath that survives in our tradition (the first making of the score is ‘grave’). In his Suite ‘1922’, extravagant for its time, Hindemith had already thought of the piano as “an interesting type of percussion”; Kagel’s drumming reminds one rather of the “kingdom of the tyran Rhythm, where dumb people communicate by
means of drums” (Arno Schmidt). The musicologist Werner Küppelholz asked whether one might in this work detect a reminder of Paul Wittgenstein (a pianist whose right arm had been amputated, the dedicatee of Ravel’s Concerto pour la main gauche for piano and orchestra), or even the fear of a surgical accident. Kagel wrote, “This aphoristic composition was inspired by the publication in January 1984, in a medical magazine, of an article on my latest work. Whiling away the time in hospital waiting rooms, I began to think about the generous Hippocratic Oath. I could not say if it was because I was wondering about the influence this Greek practitioner had – but there I was, writing a piece for three left hands, while also calling on the right hand, music that could be played by two or three pianists. One hand keeps on providing a muted drumming, on a corner of the piano, as if transmitting extracts from the early oath in Morse code: ‘I swear by the doctors Apollo, Aesculapius, Hygieia and Panacea, by all the gods and all the goddesses…’ ”. Unguis incarnatus est This work, like MM 51, conceived “for piano and…” an unspecified instrument with a low tessitura, weaves a link between the past and the present. The opening motive, given by the piano, is the ghostly, sibylline start of Franz Liszt’s Nuages gris (contemporary with Parsifal and Tales of Hoffmann, recounting the victory of good over evil). As Kagel wrote, “It is in his later works that Liszt shows that extremely intense expression may also be obtained with a sizeable reduction of means. This reduction in order to provide a longer-lasting effect shows how Liszt initiated a type of expression using a very limited number of tones (‘knapp-bemessener-Tonanzahl’) […] The musical relationship between Unguis incarnatus est and Nuages gris is that which exists between Liszt’s paraphrases and works by other composers that he used as a starting point for musical reflection. Liszt consciously yields to an increase of the tendencies inherent in the model, thereby unmasking the inflationist marks of style in Wagner. I worked in a similar way, and by insisting on a minimum sound effect, I tried to intensify the silence inherent in the grey clouds as well as their musically mute still life.” The title of the work is a pun on “incarnates” (incarnated). Unguis incarnatus est (a technical term used in medicine), meaning an ingrowing nail, reminds one of the corresponding formula used in the fundamental dogma of the church, in the Creed, “et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine”. The piano pedal can also be taken as an unguis incarnates, as an ingrown nail in the pia-
nist’s foot. For, as Kagel reminds us with a smile, “the particular role given to the piano pedal may surely be considered as a perfect clue to decipher the enigma.” MM 51 The crossroads of time. The 1920s, the heyday of the silent film, were the years of Robert Wiene, Fritz Lang, Murnau and Pabst. Schoenberg composed his orchestral piece, Begleitungsmusik zu einer Lichtspielszene (Music to accompany a film scene), op. 34. In 1976, Kagel wrote his “film music for piano”, opening up a gulf to the past Whereas Schoenberg’s work, subtitled “threatening danger, fear, catastrophe”, reveals his own musical language of expression, Kagel uses only, as he says, “stereotyped samples of commercial music […], such as the listener has met in countless productions of the film industry. […] Right at the opening chords, the audience can easily recognise the repertoire of acoustic anecdotes which are difficult to separate from the pictures on film. But it is precisely the close links between this sort of music and distressing situations which have become dulled in our memory, enabling the listener to make up a collage of different film scenes according to his or her own culture. So although the dramatic elements may have widely varying origins, they contribute to something personal and original.” The kernel of dramatic tension is like a metronome on a mobile hemisphere. Regular beats, accompanying long passages on the piano, become irregular when the pianist depresses the pedal and makes the metronome lean to one side. This explains the three elements of this work: the tick-tock of the metronome (set at Maelzel 51), a bass voice, and a layer of sound that is interrupted only by a few pauses, resulting in multiple rhythmic links. “It is only when the rhythm is perfectly regular that you fully recognise the horror”, wrote Kagel. “Scoundrels never take a rest. Even silence, by making the void move along regularly, makes us feel a sense of tempo. In that context, the only thing that can have a calming effect is a slightly irregular metronome.” Jean-Noël von der Weid Translation: Mary Criswick
Mauricio Kagel Mauricio Kagel born in Buenos Aires on December 193, is among the most distinctive composers of contemporary music. From the very beginning his name has been associated above all with music theatre, the genre in which he has perhaps exerted the greatest impact. Besides his radical innovations in this area, however, he has also developed a highly personal aesthetic in his absolute music. Kagel’s creative output has been enormous. It encompasses not only stage, orchestral and chamber music in an extremely wide range of instrumental settings, but also film scores, radio plays and essays. Throughout its broad spectrum, his music reveals a breach with any and all forms of academism as well as close ties to tradition, especially to the German tradition. Imagination, originality and humour are the hallmarks of this multimedia artist. With inexhaustible powers of invention, Kagel makes use of a very wide array of expressive devices which, although often caustic and provocative, are always placed in the service of musical discourse. Mauricio Kagel died in Cologne on September 18th, 2008.
Alexandre Tharaud Alexandre Tharaud graduated from the Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris and was awarded a Prize at the Maria Canals Competition in Barcelona and First Prize at the Città di Senigallia Competition in Italy. He is a “Lauréat Juventus” of the Fondation C.N. Ledoux/Conseil de l’Europe. He started his international career in earnest when he won the 2nd Prize at the Munich Competition and has since been invited to such venues as the Herkulessaal in Munich, Mozarteum in Salzburg, Palau de la Musica in Barcelona, Carnegie Hall in New York and Suntory Hall, Tokyo. An outstanding soloist as well as a fine chamber musician, namely with performers involved in this CD, Alexandre Tharaud has dedicated much of his time to French music. His recording, dedicated to JeanPhilippe Rameau’s Nouvelles Pièces de Clavecin, received great critical acclaim (Choc de la Musique de l’année) and resulted in invitations for performances internationally. These include the BBC Proms, Festival de Piano de La Roque-d’Anthéron, ‘MeisterZyklus’ in Bern, Schleswig-Holstein Festival in Germany, Brighton, Warwick and Norfolk festivals in England, August Karessaave in Estonia, Utrecht Baroque Music Festival and Grand Théâtre de Bordeaux.
Artistic direction: CĂŠcile Lenoir & Alexandre Tharaud Sound engineer, editing: CĂŠcile Lenoir Recording: Ircam, Paris (France), December 2002 Editions: Peters (1-5, 15), Universal Executive producer: Damien Pousset