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Le Pôle de recherche national en Sciences Affectives de l’Université de Genève
invite
Le Musée de l’Elysée, Lausanne
Stand-ups— Reporting Live from Ground Zero
Frank Schramm
October 1, 2001
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The National Centre of Competence in research Affective Sciences (NCCR Affective Sciences) is one of the 28 National Centres of Competence in Research funded by the Swiss federal government and administered by the Swiss National Science Foundation. It is the first national research centre dedicated to the interdisciplinary study of emotions and their effects on human behaviour and society. It is directed by Prof. Klaus Scherer and administered by the Swiss Center for Affective Sciences of the University of Geneva.
The National Centre of Competence in research Affective Sciences Emotions in individual behavior and social processes (NCCR Affective Sciences)
Le Pôle de recherche national en Sciences Affectives Les émotions dans le comportement individuel et les processus sociaux (PRN Sciences Affectives)
www.affective-sciences.org www.snf.ch
Le Pôle de recherche national en Sciences Affectives (PRN Sciences Affectives) est l’un des 28 Pôles de Recherche Nationaux en Suisse financés par la Confédération helvétique et administrés par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Il est le premier centre national de recherche au monde dédié à l’étude interdisciplinaire des émotions et de leurs effets sur le comportement humain et la société. Il est dirigé par le Prof. Klaus Scherer et géré administrativement par le Centre Interfacultaire en Sciences Affectives (CISA) de l’Université de Genève.
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Images are now omnipresent, this fact cannot be stressed enough. They inform us, influence us, educate us, deceive us, strike us or, on the contrary, by force of repetition, leave us indifferent. The attacks of September 11th, 2001 are the perfect example of an overhyped event, photographed, filmed and broadcast continuously, producing countless images, some of which now belong to the collective memory. By photographing the journalists and the media creating these representations, Frank Schramm has chosen to show the media coverage of the event rather than the event itself. He invites us to reflect on the role played by these reporters and on the responsibility of the image in a terrorist act. Here the photographer contrasts reflection and emotion. The latter, although being inevitably extreme faced with such an event, however, constituted the core of the broadcast information during the days and weeks following September 11th. Unable to take a step back—unlike Frank Schramm in his series—journalists were overwhelmed by emotion, which they inevitably transmitted to their audience. To reflect on the role of this emotion, how it is created and transmitted, the Musée de l’Elysée invited the Pôle de recherche national en Sciences Affectives (National Center of Competence in Research (NCCR) for the Affective Sciences) of the University of Geneva to study these images. Carte blanche was given to fifteen researchers of various disciplines— psychologists, neuroscientists, philosophers and authors—to select one or more photographs and produce a text. Initiated in 2009 for the “Stigmates” exhibition organized by the Musée de l’Elysée at the Musée international de la Croix-Rouge (International Museum of the Red Cross), the collaboration with the Geneva research centre in affective sciences opened our museum to other approaches and points of view. By giving free rein to these researchers, the Musée de l’Elysée wishes to widen the debate and the reflection it produces about images.
Sam Stourdzé
Edito
Les images sont aujourd’hui omniprésentes; on ne le dira jamais assez. Elles nous informent, nous influencent, nous éduquent, nous trompent, nous marquent ou au contraire, à force de répétitions, nous laissent indifférents. Les attentats du 11 septembre 2001 sont le parfait exemple d’un événement surmédiatisé, photographié, filmé et diffusé en boucle, produisant des images innombrables dont quelques-unes appartiennent désormais à la mémoire collective. En photographiant les journalistes et les médias responsables de ces représentations, Frank Schramm a choisi de montrer la médiatisation de l’événement et non plus l’événement lui-même. Il nous invite à réfléchir au rôle joué par ces reporters, à la responsabilité des images dans un acte terroriste. Il oppose la réflexion à l’émotion. Celle-ci, forcément extrême face à un tel événement, constitue pourtant le noyau dur de l’information diffusée pendant les jours et les semaines qui ont suivi le 11 septembre. Incapables de prendre de la distance—celle que nous propose Frank Schramm dans sa série—les journalistes sont submergés par l’émotion, dont ils se font le relais. Afin de réfléchir au rôle de cette émotion, à la manière dont elle se crée et se transmet, le Musée de l’Elysée invite le Pôle de recherche national en Sciences Affectives (PRN Sciences Affectives) de l’Université de Genève à réagir à ces images. Carte blanche a été donnée à quinze chercheurs issus de disciplines variées—psychologues, neurobiologistes, philosophes ou littéraires—pour choisir une ou plusieurs photographies et produire un texte. Initiée en 2009 à l’occasion de l’exposition «Stigmates», organisée par le Musée de l’Elysée au Musée international de la Croix-Rouge, la collaboration avec le PNR Sciences Affectives permet d’ouvrir le musée à d’autres approches, à d’autres points de vue. En laissant libre cours à ces chercheurs, le Musée de l’Elysée souhaite étendre le débat et la réflexion qu’il mène sur les images.
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Être dans le vrai The ring of truth
We encounter a mass of information to be apprehended. A pile of information to represent to ourselves. A ton of information to articulate. Emotion is based on this accumulation of sometimes contradictory items of information that enable each individual to apprehend the complexity not only of their own emotions, but also of other people’s. All Frank Schramm’s photographs convey the notion that emotions are constructed. Each of the presenters has to embody the potential emotion of the event, to be as good a conductor of emotion as they can. The main vector used is the as-if-you-werethere effect. For emotion to come over on television, facial expressions have to be exaggerated, so presenters, like actors and politicians, have to make a conscious effort to accentuate their own horror, anguish or consternation: they have to invest in a promising emotional potential. Despite the time-lapse, during the phase that ushered in the long post-9/11 period, they had to sustain the effect of apprehending reality as it was happening, and do their utmost to enable viewers to experience or re-experience the event. This happened in a place near you—who knows what might happen tomorrow? To prepare yourself for this very real danger, listen closely to us. You are right to be afraid. Stay with us: we will shortly be broadcasting more information about the reasons why. Viewers’ emotions are not constructed on the basis of just any old information. Only information that is relevant to an individual’s goals, needs or values is likely to trigger an emotion. There is a debate within the affective sciences research community about the nature of the emotions triggered by works of fiction—certain films, certain novels, certain photographs. These emotions are sometimes called quasi-emotions, because they are sparked by information that the individual concerned believes not to be true: an explosion on a cinema screen does not represent a real danger. The notion that fiction triggers genuine emotions seems paradoxical. A television news bulletin must seem to distance itself from fiction to keep its grip on actuality. To touch viewers, the presenters in the photographs have to mimic reality as closely as possible. This collection of photographs by Frank Schramm demonstrates effectively how vital it is for news reporters, whether they are reporting facts or conveying emotion, to have the ring of truth that says: “You can believe us. We are there.”
David Sander et Jérémie Gindre CISA, Genève
Introduction
Une masse d’informations à percevoir. Un tas d’informations à se représenter. Une tonne d’informations à exprimer. L’émotion se construit sur la base de ce cumul d’informations, parfois contradictoires, qui permettent non seulement à chaque individu de ressentir la complexité de ses propres émotions, mais également de percevoir celles d’autrui. Dans l’ensemble des photographies de Frank Schramm émerge l’idée de la construction de l’émotion. Chacun des présentateurs doit incarner le potentiel émotionnel de l’événement, en être au mieux le conducteur. Pour transmettre l’émotion, il utilise comme principal vecteur l’effet comme-si-vous-y-étiez. La projection de l’émotion par le biais de la télévision passe par la caricature de ses traits, aussi le présentateur doit-il faire un travail d’accentuation de son propre effroi, de son angoisse, de sa consternation, comme le fait un acteur ou un politicien: investir dans le potentiel prometteur de l’émotion. Malgré le délai, dans cette période qui constitue le seuil d’entrée dans la longue période du post-11 septembre, il faut maintenir l’effet de prise directe avec le réel, s’appliquer à faire (re) vivre l’événement. C’est arrivé près de chez vous et demain, qui sait? Pour vous préparer à affronter ce danger bien réel, écoutez-nous attentivement. L’information sur les causes de votre peur légitime vous sera transmise prochainement. Les émotions du spectateur ne se construisent pas sur la base de n’importe quel type d’information. Seule une information évaluée comme importante pour les buts, les besoins ou les valeurs de l’individu est susceptible de déclencher une émotion. Au sein des sciences affectives, un débat anime les chercheurs qui s’intéressent à la nature des émotions déclenchées par les œuvres de fiction: certains films, certains romans, certaines photographies. Ces émotions sont parfois appelées quasi-émotions car déclenchées par des informations que l’individu ne croit pourtant pas être vraies: une explosion sur un écran de cinéma ne représente pas un danger réel. L’idée selon laquelle la fiction déclenche des émotions authentiques semble alors représenter un paradoxe. Un journal télévisé doit paraître s’éloigner de la fiction pour s’accrocher à l’actualité. Les présentateurs photographiés doivent paraître s’approcher de la réalité pour toucher le spectateur. La collection de photographies de Frank Schramm démontre bien les enjeux qu’il y a à être dans le vrai, pour informer comme pour émouvoir. «Nous y sommes. Il faut nous croire.»
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Aux confins de plusieurs rôles Journalists at crossroads
To commemorate the ten years since 9/11, the Musée de l’Elysée presents for the first time the series of photographs by Frank Schramm, Stand-ups—Reporting live from Ground Zero. Here there are no shots of the destroyed twin towers, of rubble piled up, of dusty ruins and haggard or shocked crowds: the New York photographer focused on the TV journalists covering the event over the eight weeks that followed. The series serves as a manifesto: terror—and the ensuing international conflicts—could not exist without the role played by the media and the images they broadcast. The strength of Frank Schramm’s work is that he managed to seize, just hours after the event, the media paradigm shift that was being played out and that had to be immortalized. The exhibition shows that journalists play several roles, which they endorse sometimes in spite of themselves. First, these close-ups on their concentrated, tense and sometimes tort faces— especially just before going on the air—show the emotion and anxiety of the first witnesses of the tragedy. Journalists are primarily spectators in the front row, facing the shock of the attacks, which they must, like the rest of the world, try to assimilate. Fundamental to a modern event, emotion is initially the only way for journalists to describe 9/11. Too overwhelming and shocking, the event does not first allow them to stand back and analyse it. More than recount the facts, which are always the same, journalists play the role of emotional mediators. Without giving any new stories, their presence on the air is only justified by their function of catharsis and their ability to anchor the inconceivable in reality. On television, the continuous broadcast of the video of the planes hitting the World Trade Center left the public incredulous. The images of the journalists had to testify to the truth of the event and allow the incredible to become credible. Yet the broad framing of Frank Schramm’s photographs never shows Ground Zero. Only a few visible details here and there allow us to guess the event in question: the cover of the Daily News, a commemorative heart, an American flag in the background or on the jacket of a journalist, or maybe the dust on the feet of a camera tripod. Paradoxically, journalists testify to an event that took place in a location they cannot visit, as they are restricted to remain on the West Side Highway. From September 12th, the FBI and the Mayor of New York’s stringent controls indeed meant that no image was taken within an area of seven hectares, resulting in mundane media coverage, without bodies, without dead people. Caught by emotion, excluded from the site of the event, the journalists photographed by Frank Schramm are indeed actors of their own staging. The heavily made-up female faces, the final make-up touches before going live, the artificial lighting and the improvised podiums remind us that the immense media coverage of this tragedy was also a professional godsend for some reporters and an economic opportunity for all media: most newspapers doubled their circulation in the days following 9/11. An opportunity for some, the global media coverage was clouded in the eyes of others. The severe expression of certain journalists cannot fully be understood without recalling that media coverage was part of the strategy of the attacks, as the success of a terror act is measured as much by the number of people directly affected as by the number of witnesses watching the coverage. The journalists photographed by Frank Schramm play the role assigned to them by terrorists: broadcasting tragedy and fear. Most importantly, allowing the event to exist, as today an event is mainly created by media coverage.
Pauline Martin Musée de l’Elysée, Lausanne
A l’occasion de la commémoration des dix ans des attentats du 11 septembre 2001, le Musée de l’Elysée présente une série inédite de Frank Schramm, Stand-ups—Reporting Live from Ground Zero. Aucun aperçu des tours jumelles détruites, des gravats amoncelés, des ruines poussiéreuses et des foules hagardes et choquées n’apparaît dans ces images: le photographe newyorkais s’est focalisé sur les journalistes de télévision gravitant autour de l’événement au cours des huit semaines qui l’ont suivi. La série fait office de manifeste: le terrorisme—et les conflits internationaux qui en découlent—ne pourrait exister sans le rôle prépondérant joué par les médias et les images qu’ils diffusent. La force de Frank Schramm est d’avoir su saisir, quelques heures à peine après les événements, le changement de paradigme médiatique qui était en train de se jouer et qu’il s’agissait d’immortaliser. L’exposition rappelle que les journalistes se trouvent à l’interstice de plusieurs rôles, qu’ils endossent parfois malgré eux. Des gros plans sur leur visage concentré, tendu, parfois crispé —notamment juste avant de passer à l’antenne—se dégagent d’abord l’émotion et l’angoisse des premiers témoins de la tragédie. Les journalistes sont avant tout les spectateurs du premier rang, confrontés au choc des attentats, qu’ils doivent, comme le reste du monde, tenter d’assimiler. Elément fondamental de l’événement moderne, l’émotion est dans un premier temps le seul moyen, pour les journalistes, de relater l’actualité du 11 septembre. Trop accablante et choquante, celle-ci ne permet d’abord pas le recul de l’analyse. Plus que de relater des faits, toujours les mêmes, les journalistes jouent un rôle de relais émotionnel. Sans donner de nouveaux récits, leur présence à l’antenne ne se justifie que par leur fonction de catharsis et leur capacité à ancrer l’inconcevable dans le réel. Dans le poste de télévision, les vidéos en boucle des avions percutant le World Trade Center laissent le public incrédule. Les images des reporters sur place doivent témoigner de leur véracité, permettre à l’incroyable de devenir crédible. Pourtant, les cadrages larges de Frank Schramm ne montrent jamais Ground Zero. Seuls quelques détails plus ou moins visibles permettent de deviner l’événement en question: la couverture du Daily News, un cœur commémoratif, un drapeau américain à l’arrière-plan ou sur le veston d’un journaliste, éventuellement la poussière aux pieds d’une caméra. Les journalistes témoignent, paradoxalement, d’un événement sur le lieu duquel ils ne peuvent pas aller, condamnés à rester à l’écart sur la West Side Highway. Dès le 12 septembre, en effet, le FBI et la Mairie de New York contrôlent très rigoureusement qu’aucune image ne soit prise à l’intérieur d’un périmètre de sept hectares, avec pour conséquence une médiatisation lisse, sans corps, sans mort. Pris par l’émotion, exclus du lieu de l’événement, les journalistes de Frank Schramm sont finalement les acteurs de leur propre mise en scène. Les visages féminins hyper maquillés, les dernières retouches avant le direct, la lumière artificielle et les podiums improvisés rappellent que l’immense médiatisation de cette tragédie est aussi une aubaine professionnelle pour certains reporters. Et une opportunité économique pour tous les médias, la plupart des journaux ayant doublé leurs tirages les jours suivant le 11 septembre. La visibilité médiatique mondiale, opportune pour les uns, s’assombrit pourtant dans le regard des autres. La gravité de l’expression de certains journalistes ne peut pleinement s’appréhender sans rappeler que l’écho médiatique fait partie intégrante de la stratégie des attentats, la réussite d’un acte terroriste se mesurant autant au nombre de personnes atteintes dans leur chair qu’au nombre de témoins astreints au spectacle. Les reporters de Frank Schramm jouent le rôle que les terroristes leur ont assigné: relayer la tragédie et la peur. Surtout, permettre à l’événement d’exister, celui-ci étant à l’époque contemporaine principalement créé par sa médiatisation.
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September 15, 2001 schramm_news_7.indd 6
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Pascal Vrticka
Régulation émotionnelle Emotion Regulation
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Les journalistes qui ont couvert les retombées du 11 septembre n’ont pas eu une tâche facile. Bien qu’émotionnellement bouleversés et personnellement touchés par la situation, ils devaient garder une attitude détachée et concentrée de manière à être en mesure de traiter avec objectivité les événements horribles de cette tragédie humaine sans précédent. À la seule vue du visage et du corps de ce reporter, il est impossible de remarquer qu’il parle de personnes disparues, d’un nombre de victimes, de menaces de guerre et d’autres faits avec un impact fortement négatif. Autrement dit, il a dû recourir efficacement à des stratégies de régulation émotionnelle pour diminuer l’influence sur son expression faciale et corporelle du contenu de l’histoire qu’il devait rapporter. Dans notre vie au quotidien, la régulation émotionnelle est une compétence essentielle. Bien que les émotions soient très adaptives, signalant des changements importants dans notre environnement et préparant notre corps à réagir de façon appropriée, elles peuvent devenir problématiques si elles sont trop fortes ou si elles durent trop longtemps. C’est pourquoi nous devons réguler nos émotions pour éviter de tomber physiquement ou psychologiquement malades. D’après les modèles psychologiques actuels, il existe deux stratégies fondamentalement différentes de régulation émotionnelle, qui interviennent à des moments différents au cours du processus de génération des émotions, et emploient des moyens distincts pour parvenir au même objectif. La première stratégie, la «réévaluation cognitive», intervient relativement tôt dans le processus et vise à réévaluer consciemment la signification de l’information émotionnelle. Par exemple, nous pouvons penser qu’une situation n’est pas aussi mauvaise qu’elle en a l’air, ou qu’elle va s’améliorer bientôt. En modifiant notre état mental en réaction à l’apparition d’une émotion, nous pouvons changer cette dernière dès son origine et ainsi éviter toute influence qu’elle pourrait entraîner sur notre esprit ou notre corps. La seconde stratégie, la «suppression (expressive)», ne consiste pas à tenter d’agir directement sur le processus de génération de l’émotion, mais davantage à réagir à une émotion qui est déjà présente. Cette stratégie vise à tenter de supprimer toutes les réactions corporelles qui pourraient être provoquées par la nature perturbante de l’émotion vécue et d’éviter l’apparition de toute pensée relative à cette émotion. Des études neuroscientifiques sont actuellement en cours pour examiner les mécanismes cérébraux qui sont à l’origine de ces deux stratégies de régulation émotionnelle et tentent de déterminer laquelle des deux est la plus bénéfique pour la santé physique et mentale. Bien que les résultats ne soient pas encore définitifs, ces recherches suggèrent que la suppression (expressive) est une stratégie particulièrement mauvaise, car elle entraîne une stimulation corporelle continue ainsi qu’un accroissement de l’activité cérébrale dans des régions du cerveau traitant des émotions et des états mentaux négatifs. Par opposition, la stratégie de réévaluation cognitive est considérée comme étant plus favorable car elle permet de réduire efficacement les réactions corporelles et les activations cérébrales induites par la représentation de pensées et d’émotions négatives. Par conséquent, il semble plus utile de recourir à une attitude proactive face à des événements suscitant des émotions fortes plutôt que de réagir à ces émotions une fois qu’elles ont déjà affecté notre corps et notre esprit. Espérons que le journaliste représenté ici réagissait de la sorte.
Journalists reporting about the aftermath of 9/11 had a tough job. Although emotionally upset and strongly personally affected, they had to remain detached and focused to stay capable of objectively covering the horrible facts about this unprecedented human tragedy. In our everyday’s life, such emotion regulation skills are crucial. Although emotions are very adaptive, signaling important changes in the environment and preparing our body for an appropriate reaction, they become problematic if too strong or lasting for too long. We therefore have to make use of emotion regulation to prevent ourselves from falling physically or psychologically ill. According to current psychological models, there are two fundamentally different kinds of emotion regulation strategies. They occur at different time points in the course of emotion generation, and use distinct means to reach the same goal. The first one, called “re-appraisal”, comes into play relatively early. It aims at cognitively re-evaluating the meaning of emotional information. We can, for example, think that something is not as bad as it looks like, or will become better soon. By putting ourselves into a different mental state in relation to the emerging emotion, we can already change it at its origin and thereby prevent any subsequent influence of it on our mind and body. The second one, called (expressive) “suppression”, does not try to act on the emotion generation process itself, but can be understood more as a reaction to an emotion that is already present. Its goal is to try suppressing any bodily reactions to, and preventing any thoughts about the lived emotion’s disturbing nature. Recent neuroscientific research is examining the brain mechanisms underlying these two different emotion regulation strategies, with the aim to see which one would be most beneficial for physical and psychological health. Although not yet conclusive, such investigations suggest that suppression represents a particularly bad strategy, entailing persistent bodily arousal as well as increased brain activity in regions processing negative emotions and mental states. In turn, re-appraisal is regarded as most favorable, because it efficiently reduces body reactions and brain activations involved in the representation of negative thoughts and emotions. Consequently, it seems most useful to employ a pro-active attitude towards strong emotion eliciting events, in contrast to only reacting to them once they have already affected our body and mind. Let’s hope the journalist depicted here was acting accordingly.
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Alison Montagrin
September 17, 2001 Emotions et Médias: Impact sur la mémoire How emotions and the media affect memory
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Pourquoi nous rappelons-nous mieux d’un événement plutôt que d’un autre? Il nous est, en effet, impossible de mémoriser l’intégralité des événements que nous vivons au quotidien. Ainsi, les informations que nous traitons dans notre environnement sont filtrées de manière automatique. Nous savons, aujourd’hui, que les événements émotionnels sont mieux retenus que les souvenirs neutres. Par exemple, nous sommes presque tous capables de mentionner où nous nous trouvions, avec qui nous étions et qui nous a appris l’événement du 11/09. Ces souvenirs liés aux circonstances dans lesquelles nous apprenons un événement marquant, tel que l’attentat du 11/09, sont appelés les souvenirs flashes. Bien que la mémoire ne soit pas une copie conforme de la réalité, les souvenirs flashes sont très détaillés, vivaces et persistants dans le temps. Ainsi, des détails à priori banals vont prendre une autre dimension lorsqu’ils sont liés à un événement chargé émotionnellement. La probabilité de se rappeller de souvenirs dépend aussi du degré avec lequel l’individu a été affecté par l’événement. En effet, un événement en lien avec nos buts est mieux rappelé qu’un événement insignifiant pour nos buts. Par exemple, une étude menée huit ans après la mort de M. Luther King a montré que les noirs rapportaient plus de souvenirs flashes que les blancs. La fréquence à laquelle le souvenir de l’événement public est évoqué par les médias est également à prendre en considération. Alors que durant la première année suivant l’événement les souvenirs flashes diminuent de manière importante, cette diminution tend à se stabiliser entre la deuxième et la troisième année. Une diminution semblable a été mise en évidence pour les souvenirs liés à l’événement lui-même (p.ex. le nombre d’avions impliqués ou la localisation de Bush lors de l’attentat). De manière surprenante, ce type de souvenirs tend à être plus exact à travers le temps, et ce contrairement aux souvenirs flashes. Cet effet d’amélioration sur l’exactitude du souvenir a été expliqué, en grande partie, par le biais de la diffusion du film de M. Moore Fahrenheit 11/09. La responsabilité des médias dans l’homogénéisation d’un souvenir collectif a d’ailleurs été mise en évidence à plusieurs reprises. Il semble donc primordial de prendre en compte l’influence des médias sur ce type de souvenirs et de se demander quelle est leur conséquence sur le maintien et la transformation de ces derniers. Ainsi, il est essentiel que le journaliste prenne conscience de son impact potentiel sur les souvenirs d’un événement public.
Why do we remember some events better than others? To be sure, we cannot remember every single one of the things that happen to us in our everyday lives. So the information we receive from our surroundings is automatically filtered. We now know that people remember affective events better than neutral ones. For example, almost all of us can say where we were and with whom when we found out about the events of 11 September 2001, and who told us they were happening. Memories connected with the circumstances in which we learn about a significant event like the 9/11 terrorist attacks are called flashbulb memories. Although they are not identical copies of reality, flashbulb memories are very detailed, vivid and long-lasting. Seemingly commonplace details take on another dimension when linked to an emotionally charged event. How likely a memory is to be retained also depends on the degree to which the individual was affected by the event. We remember an event connected with our goals better than an event that has no relevance to them. For example, in a study carried out eight years after the death of Martin Luther King, more black subjects than white subjects reported flashbulb memories. The frequency with which people are reminded of a public event by references to it by the media should also be taken into account. While flashbulb memories decrease significantly during the first year following the event, this decrease tends to flatten off between the second and third years. A similar decrease has been observed in memories connected with the event itself (for instance, the number of aeroplanes involved or where George W. Bush was during the attacks). Surprisingly, unlike flashbulb memories, this type of memory tends to become more accurate over time. The improved memory effect has substantially been explained by the screening of Michael Moore’s film Fahrenheit 9/11. Indeed, attention has repeatedly been drawn to the media’s homogenizing effect on collective memory. So it seems crucial to take media influence on this type of memory into account and to ask ourselves how the media affect memory retention and alteration. It is essential that reporters realize the potential impact they have on people’s memories of a public event.
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Sur cette image, l’accent est mis sur un reporter de télévision qui est sur le point d’apparaître à l’écran. Cette photo a attiré mon attention en raison de ses contrastes. Je regardais l’expression faciale de cet homme, sérieuse et pensive. L’expression songeuse de ce visage a retenu mon regard jusqu’à ce que je jette un œil sur ses mains tendues: dans l’une, un micro tenu avec une force excessive, dans l’autre, un carnet serré au point de le froisser. Le visage n’est pas la seule source de messages émotionnels de la personne. Le langage corporel est aussi important que l’expression faciale, telle qu’on l’observe sur cette photographie. La posture, notamment, peut modifier sensiblement la signification de l’expression d’une émotion. Par exemple, un visage anxieux est perçu comme exprimant de la colère lorsque la posture corporelle est agressive. Par ailleurs, il n’y a pas qu’en psychologie scientifique que l’on s’intéresse au langage corporel. En psychologie appliquée, les psychothérapeutes sont également attentifs à celui de leurs patients: lorsqu’une personne dit «je ne cache rien» tout en croisant les bras, cela dissimule quelque chose au-delà de la déclaration. Je ne peux que supposer ce que le journaliste a dû réellement ressentir en tant que reporter de télévision après la catastrophe du 11 septembre et comment cela a dû l’affecter, voire changer sa personne. J’imagine que le travail d’un journaliste consiste à présenter des nouvelles aux téléspectateurs et à analyser des situations et des événements. Le journaliste ne fait pas partie de l’événement. Mais qu’en serait-il si tel était tout de même le cas? Qu’en serait-il si les nouvelles tragiques l’affectaient et qu’il devait malgré tout accomplir son travail de manière irréprochable sur le terrain? Qu’en serait-il s’il n’y avait pas de contradiction entre le visage sérieux et les bras tendus? Imaginons, par exemple, un journaliste qui se mettrait à pleurer devant les caméras parce que la catastrophe et les histoires personnelles dont il est en train de parler le touchent, de la même manière que les téléspectateurs. Serait-ce le type de journaliste que vous souhaiteriez voir?
Ruta Lasauskaite
Ne me dis pas ce que tu ressens Don’t tell me what you feel
September 28, 2001
The main focus in the picture is a television reporter who is about to appear on air. This photo caught my attention because of its contrasting parts. I was looking at a serious and thoughtful face expression of a man. Musing face expression was holding my eyes until I had a look at the tensed hands: Strongly held microphone and a strongly held wrinkled notepad. The face is not the only source to get the emotional message of the person. Body language is as important as the facial expression, just as it is in this case of reporter photography. Body posture can give quite a different meaning to an emotional expression. For example, a fearful face is perceived as angry when body posture is aggressive and attacking. Also, not only in scientific psychology, but in applied psychology as well, psychotherapist is paying attention to client’s body language: There is something beyond when a person is telling “I don’t hide anything” and crossing the arms at the same time. I can only imagine what the journalist should have actually felt after the 9/11 catastrophe while working as a reporter for the television and how did it affected and maybe change him as a person. I suppose that journalist’s work is to present the news to people, to analyze situations and events. Journalist is not part of the happening. And what if he is? What if tragic news overburdened him but he is still supposed to work in the field impeccable? What if there was no contradiction between the serious face and tensed arms? Imagine a journalist who is, for example, starting to cry in front of the cameras while talking, because the tragedy and people’s stories are affecting him as well as the spectators. Would that be a journalist you want?
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September 29, 2001 schramm_news_7.indd 12
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Géraldine Coppin
Smells cannot be photographed. But if you could physically represent the smell that hung in the air after the collapse of the Twin Towers, it would look like a thick fog that spread and slowly blended with and merged into the clouds. Which begs the question of those cumulus clouds we can see in the upper section of this photograph taken on 29 September 2001. Is this just a cloudy autumnal sky like any other? It seems unlikely: months after the disaster, a smell that for many New Yorkers was unbearable rose from Ground Zero, choking the air for miles around, more noticeable some days than others. A mixture of burnt plastic, fuel and metals, and something no one can think about for long without feeling horrified, the fumes of 9/11 penetrated the nostrils of Manhattan and Brooklyn, seeping into the inhabitants’ lungs and in some cases causing serious respiratory damage. So why was so little said about smells in the media coverage of 9/11? Baudelaire said that “Scents, colours and sounds correspond.” But the spectacular sight and sound of the Towers collapsing substantially took precedence over smells in the media representation of 9/11. Although penetrating odours lingered in the air long after the day of the disaster, smells are difficult to convey via traditional channels such as radio, television and Internet. Another reason is that it is very difficult to describe a smell in words, so victims’ and rescue teams’ accounts tended not to feature effective descriptions of smells. Why, then, did smells nonetheless play a substantial part in creating the climate of terror engendered by the disaster? The emotive power of smell is well documented in both literature and scientific research. As Kipling put it, “Smells are surer than sounds or sights to make your heartstrings crack.” As well as having this emotive power, smells can transport us to a time in our lives weeks, months or even years earlier. So the fact that New York was plunged in a foul-smelling fog that only very slowly evaporated may have acted as a constant reminder of the disaster to the victims, causing powerful and very often painful feelings, connected, amongst other things, with memories of the disaster triggered by scent clues, to resurface.
Peu après le 11 septembre, une remarque s’est imposée comme un leitmotiv dans la bouche des journalistes qui couvraient l’événement: New York, «fourmillante cité», capitale de l’activité perpétuelle, vit son premier temps mort. Plus rien ne bouge; le mouvement de la ville est suspendu. L’air vibre encore du fracas de la chute des tours. Moins d’un mois après les événements, il paraît encore difficile de réaliser que la vie reprend. Quelques images essaient d’en rendre compte, mais elles semblent encore engourdies dans leur immobilité. La route est ici déserte. Des câbles emberlificotés reposent dans une lumière de fin d’après-midi, une vague signalisation détourne le trafic, des trépieds jalonnent le bitume, et quelques caméras pointent on ne sait où. Rien de plus anodin, de prime abord, qu’une caméra. Rien de plus dénué d’émotion: elle est un organe, un œil qui, quand on le met en marche, regarde tout, capture indistinctement ce qu’on lui demande de capturer. Cependant, voir un œil ne revient pas à voir ce qu’il voit. Sortie de son contexte, cette photo ne nous indique pas si l’on se trouve sur le tournage d’un film ou si un incident attenant vient de se produire. On ne connaît ni le lieu—les quelques indices çà et là n’autorisent pas une localisation précise—ni l’occasion qui motive la présence des caméras. Mais aussitôt que l’on évoque le contexte du 11 septembre, le sens de la photo se voit changé du tout au tout. Instantanément, d’autres images reviennent en mémoire: les terribles plans en contre-plongée pointés vers le sommet des tours enfumées, les séquences tremblées prises à la hâte tandis que l’on essaie d’échapper à la catastrophe, les photos d’explosions, grainées de pixels, à la une de tous les journaux. L’émotion que suscita notre rencontre avec ces images contribua à les enraciner profondément dans notre souvenir. Dès lors, le caractère anodin de la route et de ces caméras prend sens en fonction du choc de nos émotions et de leur perpétuation. Si la scène nous est connue, demeurent l’envers du décor, les coulisses, la marge, une fois le silence revenu. Le ciel est vide, il reste des caméras pour le montrer.
Shortly after 9/11, one particular remark became a leitmotiv in reporters’ coverage of the event: for the first time, the anthill of New York, the city that never sleeps, was silent. All movement was stilled: the life of the city hung in suspended animation. The air still vibrated with the terrible sound of the Twin Towers collapsing. Less than a month after the events, it is still hard to take in the fact that life has started up again. A few pictures attempt to document it, but they still seem unable to shake off the immobility. Here, the road is deserted. Cables lie tangled in a late afternoon light, there are a few markers to direct traffic away from the scene, tripods every few feet along the tarmac, and cameras pointing in seemingly random directions. There is nothing so seemingly neutral and stripped of feeling as a video camera: it is an organ, a naked eye that, once it starts filming, contemplates everything and captures whatever it is asked to capture without distinction. But seeing an eye is not the same thing as seeing what it sees. Without the context, we do not know whether the photograph depicts a film shoot or a report on an event. We do not know where it was taken—the few clues here and there are not enough to tell us the exact location—or why the cameras are there. But as soon as the context of 9/11 is mentioned, the meaning of the photograph is completely altered. Other images instantly come back to us: the terrible low-angle shots looking towards the top of the smokewreathed Twin Towers, the shaky hand-held camera sequences filmed by someone fleeing the disaster, the photographs of explosions, grainy with pixels, on the front pages of newspapers. Because the emotions we felt when we first saw these images helped root them deeply in our memories, the strong emotions we still feel imbue the neutral road and cameras with meaning. We know the scene, but even when silence has returned, the other side of the picture is still there, behind the scenes and around the edges. The sky is empty, but the video cameras are still there to record it.
Julien Zanetta
Sentir la terreur dans l’air Smelling terror in the air Temps mort In the lull
On ne peut photographier les odeurs. Mais si on parvenait à matérialiser la lourdeur de l’air suite à l’effondrement des tours, cela ressemblerait à une brume solide, se répandant, s’entremêlant et se fondant avec lenteur aux nuages. Que penser alors des cumulus que nous observons sur le cadran supérieur de cette photographie, prise le 29 septembre? Est-ce juste un ciel automnal, nuageux, classique? Cela semble peu vraisemblable: des mois après la catastrophe, des jours plus saillante que d’autres, l’odeur qui est montée de Ground Zero, saturant l’air à des kilomètres à la ronde, fut insupportable pour beaucoup de New-Yorkais. Mélange de plastique, combustible et métaux brûlés, sans compter ce à quoi personne ne peut penser bien longtemps sans ressentir de l’horreur, les émanations du 11 septembre ont pénétré les narines de Manhattan et Brooklyn, s’insinuant dans leurs poumons, et causant de sérieux dommages respiratoires à certains de leurs habitants. Pourquoi alors les odeurs ont été si peu mentionnées dans la couverture médiatique du 11 septembre? Baudelaire disait que «les parfums, les couleurs et les sons se répondent». L’image frappante des tours qui s’écroulent et le fracas de leur chute ont cependant largement pris le dessus sur la représentation médiatique des odeurs dans le 11 septembre. Pourtant pénétrante et présente bien longtemps après le jour de la catastrophe, les odeurs sont peu adaptées à être représentées par les canaux d’informations classiques, telles que la radio, la télévision ou internet. De plus, il s’avère très difficile de décrire verbalement une odeur, rendant les témoignages des victimes et des secours difficilement percutants à ce sujet. Pourquoi les odeurs ont-elles pourtant joué un rôle substantiel dans le climat de terreur enfanté par cette catastrophe? La littérature, tant classique que scientifique, soulignant le pouvoir émotionnel des odeurs, abonde. Comme Kipling le disait, «pour faire vibrer les cordes du cœur, les odeurs sont plus sûres que ce que l’on voit ou que ce que l’on entend». Couplées à cette dimension affective, les odeurs ont le pouvoir de nous transporter au travers des semaines, mois ou années que nous avons vécus. Ainsi, l’engluement de New-York sous un brouillard olfactif solide, ne s’évaporant que très lentement, a pu plonger les victimes de la catastrophe dans son rappel constant. Des affects puissants et très souvent douloureux, liés, entre autres, à la remémoration de la catastrophe par des indices olfactifs, ont pu alors être ressentis.
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We rarely see an event and its visual representation together, as we do here. The reporter is duplicated in the bluish window of the viewfinder, his body no longer visible. The image that will be screened is clearly seen, while the background remains hazy, probably as a result of the photographer’s choice of focal setting and depth of field. But it is also a law of news reporting. Although “live” footage serves as fodder for television news bulletins, it is only later that its contents are processed and analysed. We are constantly being surprised by an accident, an alert or a sensational event. Then, once it is all over, the event is revisited, recalled and fleshed out with additional words and pictures. Like news, emotions can only be described in the past tense. True, we experience them head-on, but it is virtually impossible to feel and express them simultaneously. First we feel, then we reproduce what we have just felt as best we can. Think of all those first-hand accounts and instant reactions in news reports: by simulating the present, by reliving it moment by moment, these spur-of-the-moment reactions forget that the moment has already passed. We are doomed only ever to describe our fear, anxiety or surprise with hindsight. The reporter’s face reflects this: his impassive features and relaxed shoulders and the confident way he faces camera and viewers reveal his awareness of the conditions within which journalists work. In this particular case, the event had such a massive impact that, almost a month later, the circumstances still require him to look grave. He has to describe how the situation has evolved, to gauge the mood, to assemble and sum up the emotions collected, to reassure viewers, to say that although the population is still reeling from the shock, it is starting to get back on its feet. Even though the background is out of focus, we can make out a cyclist riding past in the background. Life has begun to resume its normal pace.
Stupéfaction. Chacun a son souvenir de stupéfait, chacun se souvient. Ce moment, cet instant, est là, encodé dans nos neurones, pas indélébile mais redondant, tenace. Chacun à son propre point de vue de cet événement, son expérience intime de cet instant où il a été exposé aux images, où il a découvert cet événement. Nous partageons certes un lot d’images médiatiques commun, une sorte de représentation commune, pourtant l’expérience intime est forcément singulière. Cette vision de l’homme «narratif»—celui qui raconte, rapporte l’état du monde à autrui—dans l’objectif est la représentation de l’autre, désincarnée, une pixellisation—pourtant nette—de son image. Alors qu’il est lui-même une sorte d’empreinte du narratif de l’instant, désireux d’objectivité, désireux de donner une image, il est aussi un être vivant beaucoup plus flou que l’image qu’il veut transmettre. Ce décalage entre l’image lisse de l’objectif, par nécessité objectif, contraste avec le flou du personnage réel. Cette distance créée entre les deux images du journaliste est le reflet de la distance à l’événement. Progressivement chacun va élaborer une représentation moins émotionnelle, plus rationnelle, faire distance avec l’évènement, s’en détacher émotionnellement pour construire du sens. Au même titre que l’évènement frappe l’intime, que l’émotion ressentie rend flou les limites entre soi et l’autre, rapporter l’évènement, le rappeler, est une nécessité vitale, constructive. Notre système nerveux permet cette élaboration, permet cette mise à distance par une élaboration complexe de représentations débouchant sur un narratif, une histoire, histoire toutefois ancrée également dans l’émotion initiale. Les deux aspects sont nécessaires car ils permettent le changement grâce non seulement à un phénomène de distanciation, comme le disait Henri Wallon «la représentation retire à l’émotion la part du réel représenté», mais également grâce au souvenir de cette émotion, maintenant objet elle-même d’une représentation.
We were stunned. Each person has their own memory of that stunned moment; everyone remembers it. That moment, that instant, is there, encoded in our brain cells, not indelible but at once superfluous and enduring. Everyone has their own viewpoint on this event, their private experience of the moment when they were exposed to the images, when they found out what had happened. Granted, the clutch of media images we have in common forms a kind of shared representation, but our private experience is necessarily unique. This vision of the “narrator”—the person who relates, who reports on the state of the world to others—in the camera lens is the representation of the other, disembodied, a pixellized but sharp version of his image. While the narrator himself is a kind of imprint of the narrative of the moment, endeavouring to be objective and to project an image, he is also a living being who is much fuzzier than the image he seeks to project. There is a gap, a contrast between the polished, necessarily objective image in the lens, and the blurred real person. The distance between the two images of the reporter mirrors the distance from the event. Each person sets about gradually constructing a representation that is less emotional and more rational, distancing themselves from the event, detaching themselves from it emotionally in order to make sense of it. In the same way as the event impinges on our private world, as the emotion we feel blurs the boundaries between ourselves and the other, reporting on the event and recalling it is a vital, constructive necessity. Our nervous system enables us to carry out this process, distancing ourselves by constructing representations via a complex process that produces a narrative—a story, but a story that is also rooted in the initial emotion. Both aspects are necessary in that they enable change, not only via a process of distancing—as Henri Wallon put it, “representation removes the part of reality that is represented from emotionality” —but also by turning the memory of the emotion into the subject of a representation.
Julien Zanetta Didier Grandjean
L’émotion en abyme Emotion and its double Points de vue Viewpoints
Il est rare de voir coexister, comme dans cette photo, un événement et sa mise en image. Le journaliste, dont on devine la silhouette, est dédoublé dans la fenêtre bleutée du viseur. L’image télévisuelle se dessine nettement, tandis que l’arrière plan reste vague. Sans doute est-ce là un choix de focale et de profondeur de champ. Mais c’est également une loi de l’actualité. Bien que les images «en direct» nourrissent les journaux télévisés, leur traitement et leur analyse sont soumis à un temps second. Nous sommes sans arrêt surpris par un accident, une alerte, un fait divers. Puis, une fois l’événement passé, on y revient, on le repasse dans notre mémoire et on l’étoffe de mots et d’images. Tout comme l’information, les émotions ne peuvent que se dire au passé. Si elles sont certes vécues de plein fouet, il est, pour ainsi dire, impossible qu’elles soient contemporaines de leur verbalisation. On éprouve, puis on restitue comme on peut ce que l’on a éprouvé. Que l’on pense aux témoignages ou aux comptes rendus sur le vif qui ponctuent les reportages; en mimant le présent, en le revivant instant par instant, ces réactions «à chaud» oublient qu’il vient de fuir. Pour parler de la peur, de l’angoisse ou de la surprise, nous sommes condamnés à l’après-coup. Le visage du journaliste en porte la trace: les traits impassibles, les épaules tombantes et le regard qui affronte avec aplomb caméra et spectateurs montre la conscience qu’il possède des conditions de son métier. Dans ce cas, la répercussion de l’événement fut si grande que, un peu moins d’un mois après, la gravité dont s’empreint son expression est encore commandée par la circonstance. Il doit décrire l’évolution de la situation, en donner la température, rassembler les émotions récoltées, les résumer, rassurer, dire que malgré le choc, la population se relève. En dépit des contours flous, on remarque un cycliste qui traverse l’arrière-plan. Le battement de la vie reprend.
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October 2, 2001 Le relativisme culturel dans l’expression et la perception de l’émotion—Grim or Grimace? Cultural relativism in expression and perception of emotion Caroline Lehr CISA_news_prod.indd 16
Sur cette photographie, il semble que l’accent est mis sur deux points: le visage de la journaliste et le journal qu’elle tient dans ses mains, qui nous informe de terribles catastrophes humaines. Après avoir lu le titre «Grim find» (Découverte effroyable), nous regardons à nouveau le visage de la journaliste en mettant en relation son expression faciale avec ce que nous venons de lire. Mais comment percevons-nous, en réalité, cette expression? Et comment l’interprèterions-nous si nous n’avions pas vu le journal qu’elle est en train de commenter? Discernerions-nous peut-être même une sorte de sourire sur son visage?
Looking at this photograph there seem to be two focal points, the journalist’s face and the newspaper she holds, informing us about horrific human tragedies. After reading the heading “Grim find” we look back at the journalist’s face, relating her facial expression to what we just read. But how do we actually perceive this expression? And how would we interpret it, if we hadn’t seen the newspaper article she is commenting on? Would we maybe even spot a sort of smile on her face?
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Christian Mumenthaler
Le relativisme culturel dans l’expression et la perception de l’émotion—Grim or Grimace? Cultural relativism in expression and perception of emotion Caroline Lehr Terreur Médiatique Terror by media
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Le fait de réfléchir à l’expression faciale de cette journaliste nous conduit à nous interroger sur le contexte social des émotions, dans lequel les normes culturelles et l’acceptabilité sociale jouent un rôle important, tant sur le plan de la manière dont nous évaluons une situation suscitant des émotions et lui attribuons une signification que sur celui de l’expression de nos émotions. Les règles relatives à la démonstration des émotions varient beaucoup d’une culture à l’autre et les normes culturelles définissent en grande partie s’il est convenable ou non d’exprimer une émotion particulière, et avec quel degré d’intensité. Tandis que, dans certaines cultures, l’expression d’une émotion est parfaitement acceptable, dans d’autres, même si cette émotion peut paraître tout à fait humaine, compréhensible et justifiée, le fait d’exprimer ouvertement ce que l’on ressent est parfois tout juste respecté, voire tout à fait inacceptable. Par conséquent, la dissimulation et la régulation émotionnelle sont souvent dues à des normes culturelles et peuvent être une source de différences interculturelles en matière d’expérience des émotions. Les différences culturelles se manifestent évidemment aussi dans la manière dont nous exprimons et dont nous communiquons l’émotion à travers des signes verbaux et non verbaux, et ces différences conduisent souvent à des mésinterprétations dans le cadre de communications interculturelles. Le sourire, alors qu’il est avant tout associé à l’expression d’émotions positives dans les cultures occidentales, peut au contraire, dans d’autres cultures, dissimuler de la douleur. Cependant, l’expression du visage n’est pas le seul élément susceptible de faire l’objet de différences culturelles; on en observe également dans les expressions verbales, la différence pouvant aller de l’indication indirecte d’un état émotionnel à la désignation explicite d’une émotion ressentie. Le fait de manifester ouvertement et de nommer expressément une émotion que l’on ressent peut être considéré comme une pratique habituelle dans certaines cultures et inacceptable—voire impensable —dans d’autres, au point par exemple d’être considérée comme une attitude socialement perturbatrice violant la volonté de préserver l’harmonie et l’ordre social. L’expérience émotionnelle étant si profondément marquée par notre arrière-plan culturel, nous pouvons nous demander quels sont les standards et les normes culturels de cette journaliste lorsqu’il s’agit d’exprimer des émotions. En quoi ces normes correspondent-elles aux nôtres et comment interprèterait-elle nos agissements et expressions émotionnelles dans cette situation?
Reflecting on this journalist’s facial expression leads us to think about the social context of emotions, in which cultural norms and social acceptability play an important role, both in the way we evaluate an emotion-eliciting situation and ascribe meaning to it, as well as in the expression of our emotions. Rules for displaying emotions vary greatly across cultures, and cultural norms define to a large extent whether it feels appropriate for us to express a particular emotion and to what intensity. If in some cultures the expression of an emotion might be fully accepted in the environment, in other cultures, however human, understandable and justified the emotion might seem, the overt expression of the way one feels may be barely respected or even unacceptable. As a result, the need to dissimulate and regulate emotions is often motivated by cultural norms and can be responsible for crosscultural differences in emotional experience. Cultural differences evidently also exist in the way we express and communicate an emotion through verbal and nonverbal signals, and these differences often leading to misinterpretations in intercultural communication. Traces of a smile, while mostly associated with the expression of positive emotions in Western cultures, in other cultures may instead cover emotional pain. But not only facial expressions are subject to cultural differences; of course, the same applies to verbal expressions, ranging from indirectly indicating an emotional state to explicitly naming a felt emotion. The open manifestation and the naming of an experienced emotion may to be common in some cultures and inacceptable—even unthinkable—in others, as this would be considered to be socially disruptive and violate the willingness to preserve harmony and social order. Emotional experience being so much shaped by our cultural background, we may ask ourselves, What are this journalist’s cultural standards and norms when it comes to expressing emotions? How do these norms correspond to ours and how would she interpret our actions and emotional expressions in this situation? Would they appear to her as grim or rather as a grimace?
La couverture médiatique des événements du 11 septembre 2001 fut sans précédent. L’acte en lui-même étant à la fois si atroce et inattendu que les journalistes ne se sont pas restreints à rapporter des informations liées à l’événement. Leurs apparitions publiques ont été mises en scène et imprégnées d’un contenu émotionnel très fort. Les reporters se rendirent alors eux-mêmes responsables de la transmission de la terreur vécue par les Américains au monde entier. Cette photographie, prise 21 jours après les attentats, illustre bien la volonté des journalistes de garder l’attention des téléspectateurs centrée sur cet événement, et ceci en divulguant des images qui, bien que choquantes, génèrent de fortes émotions dans l’audimat et se propagent rapidement parmi nous. Les recherches menées sur la théorie du partage social des émotions montrent que 80 à 90% des épisodes émotionnels, aussi bien positifs que négatifs, sont partagés avec plusieurs personnes de notre entourage social. Nous avons besoin de parler des événements qui nous touchent, peut-être dans un simple but de les rationaliser et pour leur trouver une explication. Bien que surprenant, ce partage ne diminue pas directement notre détresse émotionnelle qui reste très intense en lien avec l’événement, mais nous permet de la surmonter en facilitant l’appui et l’intégration sociale. Souvenez-vous du jour des attentats et ce besoin que vous ressentiez d’en discuter avec les personnes autour de vous. Par ailleurs, pouvions-nous faire autrement? Avions-nous l’option de ne pas en parler alors que les médias passaient en boucle les images de l’événement en nous rappelant constamment l’horreur de cette scène? Les attentats du 11 septembre ont mis en évidence que le monde fait désormais face à un type de terrorisme dont les objectifs vont bien au delà de l’atteinte physique des victimes. En ciblant principalement les médias, à travers des attentats aussi spectaculaires que dramatiques, l’objectif est la diffusion de la peur et de la psychose chez les téléspectateurs. Une couverture médiatique irresponsable peut alors malheureusement se transformer en un moyen puissant pour transmettre la terreur.
The media coverage of the events of 11 September 2001 was unprecedented. The act in itself was at once so terrible and so unexpected that journalists did not confine themselves to reporting news relating to the event. Insofar as their public appearances were staged and emotionally charged, they took it upon themselves to broadcast Americans’ experience of terror to the entire world. This photograph taken 21 days after the attacks is a good illustration of the way reporters deliberately kept viewers’ attention focused on the event by revealing images that shocked people but triggered strong emotional responses that were reflected in high ratings, and spread like wildfire among the population. Research into the theory of social sharing of emotions shows that we share 80% to 90% of emotional experiences, be they positive or negative, with several members of our social circle. We need to talk about events that affect us, perhaps simply in order to rationalize and explain them. Although, surprisingly, this sharing does not directly reduce emotional distress relating to an event, which remains very intense, it enables us to overcome it by obtaining support and facilitating social integration. Think back to the day of the attacks and the need you felt to talk about it with people around you. For that matter, we could hardly have done otherwise. Did we have the option of not talking about it when the media kept showing the images of the event over and over again, constantly reminding us of the horror of the scene? The 9/11 attacks revealed that the world is now facing a brand of terrorism that aspires to far more than physically harming its victims. By making the media their chief target, with attacks that were both spectacular and harrowing, the terrorists set out to sow fear and panic among viewers. In this context, irresponsible media coverage can unfortunately become a powerful vehicle for the spread of terror.
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Laure Freydefont
October 1, 2001 Hors caméra Off camera
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La commémoration des évènements du 11 septembre nous rappelle l’ambiance qu’a suscitée cette journée. Dix ans après, les images des chutes des deux tours de Manhattan sont encore très claires dans nos esprits. Ces images, non sans nous remémorer à chaque instant notre vulnérabilité, nous ramènent sans difficulté à la terreur ressentie lors de leurs diffusions. Mais qu’en était-il des journalistes présents au plus près de ce terrible événement? A une heure où le monde entier était rivé sur les médias, que peut-on penser des reporters livrant leurs informations en direct? Qu’ont alors ressenti les hommes retranchés derrière le professionnalisme du journaliste venu couvrir l’événement? Dans cette ambiance particulièrement horrible des premiers comptes rendus, la vision de l’horreur ne ressort que par les paroles prononcées par les journalistes. En raison des règles imposées par la profession, les reporters dépêchés sur place se doivent de rester neutres devant les millions de téléspectateurs. Une fois la caméra allumée braquée sur eux, leurs émotions n’ont plus leur place. Ne pouvant exprimer leurs sentiments personnels pourtant vivaces et omniprésents, nous ne connaissons des journalistes que des visages inexpressifs, distants voire même froids. Cependant, au-delà de la caméra éteinte, cette photo traduit une facette des journalistes peu habituelle. Hors caméra, ils sont alors les premiers spectateurs des événements qui seront retransmis. A travers cette prise de vue, le photographe nous fait découvrir les sentiments du journaliste laissant ainsi transparaître un mélange de vive inquiétude traduisant la terreur qui l’entoure. Il livre alors un autre message: celui de l’incertitude. Cette vision prise sur le vif témoigne de ces brefs instants que le journaliste possède pour lui. Entre urgence, proximité et rivalité entre confrères d’autres chaînes, ces instants hors caméra sont les seuls instants où le journaliste peut se contenter de n’être qu’un spectateur comme les autres. La violence des images l’a emporté sur le discours du journaliste annonçant le drame du 11 septembre, bien que l’attitude du professionnel soit cruciale pour informer le public de faits qu’il ne peut observer directement. Ce cliché met en avant l’intense concentration d’un envoyé spécial, en pleine préparation mentale avant de se confronter au stress du direct.
The commemoration of the events of 11 September 2001 brings back memories of the atmosphere that resulted from 9/11. Ten years on, the images of the collapse of Manhattan’s Twin Towers are still very clear in our minds. As well as constantly reminding us of our vulnerability, they readily transport us back to the terror we felt when they were first broadcast. But what about the reporters who were there, in close proximity to this terrible event? At a time when the entire world’s eyes were glued to the media, what about live news reporters? What were they feeling, behind the professional mask of the reporter despatched to cover the event? In the peculiarly horrifying atmosphere of the first accounts, the only sign that the reporters are witnessing an atrocity is in the words they use. Journalistic conventions require on-the-spot reporters to remain neutral in front of millions of viewers. Once the camera starts filming, there is no room for their emotions. And since they cannot express their personal feelings, even when these are strong and all-pervading, all we know of the reporters are their expressionless, distant, even cold faces. However, beyond the mere fact that the camera is not filming, this photograph conveys a side of reporters we rarely see. Off camera, they are the first people to witness the events that will subsequently be broadcast. Here, the photographer reveals the reporter’s feelings—a blend of strong anxiety—that conveys the scenes of terror going on around him. The message he now conveys is the very different one of uncertainty. This snatched image records the few moments the reporter has to himself. What with the urgent nature of the job, proximity and rivalry with colleagues from other channels, these moments off camera are the only times when reporters can allow themselves to be spectators like everyone else. Although violent pictures mark our memory better than words when it comes to remembering 9/11,it is the journalist’s role to communicate the dreadful news to a public who cannot directly witness them. This image depicts the intense concentration of a journalist mentally preparing himself before presenting the live report.
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Aline Pichon
The public’s opinion directs the journalist’s attitude, and the photographer chooses to center his image according to this point of view. The focus is made on the reporter alone, minutes before the broadcast. He is portrayed as a deeply concentrated professional, who cannot afford to be carried away by his emotions, as his words will have a huge impact expressing the importance of the situation. Furthermore, a live broadcast has to be flawless, and the journalist is on his own, standing on in an unfriendly surrounding. He has neither access to an audience feedback on his performance, nor to a comfortable television stage, and must bear the pressure to perform in a proper way to stand out against his fellow competitors without offending the public sensitivity. This latent hostility is embodied by the cold color dominance in the picture, conveying a clinical and threatening atmosphere. The journalist’s facial and body expressions are extremely tense. His eyes are fixed and absent, his right hand is grasping the microphone while his shoulders are bent inwards. He is so self concentrated that he appears to be absolutely blind and deaf to his environment. This perception blurriness is materialized by the undefined haze that surrounds him in the background. The fuzzy shadows of the cameraman in the foreground seem to echo the dark thoughts wandering in the journalist’s mind. He is questioning himself about how he will convey appropriately such terrible news to a world audience, and he has to rid himself of anxiety before it shows on stage. Beyond the stress caused by public speaking, lies actually the fact that his career is also at stake. The journalist’s image has to be in accordance with the ethics ruling his profession, a compromise between emotional display and neutrality. For instance, the choice of a dark colored shirt reflects his search for an appropriate social attitude. But what about his inner feelings? The anguish he’s experiencing is probably leading to numerous physical symptoms, caused by the over-activation of his autonomic nervous system. Dry mouth, heart racing, sweaty palms, weak legs and shaky voice, are all signs, which associated to a particular context, result in an emotion of anxiety, or even fear of performing poorly. Professional journalists are familiar with this phenomenon and undergo extensive mental preparation before they broadcast. By doing this, they emotionally regulate the stress that could harm their performance. This way, they are able to exert better control, and focus on their facial expression and their elocution.
Sur cette photographie, le journaliste produit une claire activation de ses muscles dits «corrugateurs», muscles se trouvant entre les sourcils permettant le froncement de ceux-ci. En voyant cet homme, nous sommes capables d’attribuer un état émotionnel et mental chez cet individu. En fait il est difficile d’attribuer «le vrai» état, ce journaliste est-il, à ce moment précis, en colère contre les terroristes responsables des attentats du 11 septembre? A-t-il des difficultés à lire son texte sur l’écran ou est-il tout simplement en pleine concentration? Cette expression faciale apparente est visible et détectable par l’Homme et est utilisée à des fins de communication. Mais d’autres phénomènes existent au niveau du visage, en partie indépendants des contractions de muscles faciaux. Certaines personnes, par exemple, ont tendance à rougir dans certaines circonstances sociales. Ces effets de rougissements peuvent être visibles mais peuvent également être invisibles mais détectables à l’aide de la thermographie, une méthode permettant de mesurer très précisément la température de la peau grâce à une caméra infrarouge spéciale. Les variations de température dans le visage nous donnent des indications quant aux contractions musculaires pouvant être liées à des émotions, mais aussi quant aux autres fluctuations de température indépendantes de l’activité musculaire, par exemple la vasodilatation périphérique. Sur cette photographie l’expression faciale, serait associée à une élévation de température, mais il se peut que d’autres parties du visage telles que le front, par exemple, présentent également un échauffement sans que cela soit visible pour l’Homme, mais pourtant faisant partie intégrante de l’expérience vécue par le journaliste.
In this photograph, the reporter is clearly activating what are called the corrugator muscles—the muscles between the eyebrows that are used for frowning. When we look at him, we can ascribe an emotional and mental state to him. But in fact it is difficult to identify his “true” state: is he, at this precise moment, feeling anger with the terrorists responsible for the 11 September attacks? Is he having trouble reading his script on the autocue? Or is he merely concentrating? The apparent facial expression can be seen and apprehended by the human eye and is used for communication. But the face is subject to other processes, some of which take place independently of the contractions of facial muscles. For instance, some people tend to blush in certain social situations. The effects of this blushing may be visible, or they may be invisible but detectable with the aid of thermography, a technique that makes it possible to measure skin temperature very accurately using a special infrared camera. Variations in facial temperature provide us with indications about muscular contractions that may be connected with emotions, and about other temperature fluctuations unconnected with muscular activity, such as peripheral vasodilation. In this photograph, the subject’s facial expression suggests that he is experiencing a rise in facial temperature, but other parts of his face—the forehead, for instance— may also be experiencing a temperature rise that cannot be seen by the human eye but is an integral part of the reporter’s experience.
Sophie Jarlier
Focused? Focused? Expression faciale: visible contre invisible Facial expression: what you see and what you don’t
Le regard des spectateurs est déterminant pour le présentateur, et c’est cet angle qu’a choisi le photographe. La mise au point est faite sur le journaliste, seul, quelques instants avant la retransmission. Il ne peut laisser libre cours à ses émotions car le poids de ses mots sera énorme, étant donné l’envergure de l’événement. Outre les circonstances du direct, qui n’admettent aucun faux pas, le correspondant est doublement seul face à la caméra. En premier lieu, il n’a pas de retour sur sa prestation, car il ne voit pas son public. D’autre part, dépourvu du confort d’un plateau de télévision, il est en confrontation avec ses concurrents. Avec un sujet d’une telle importance, il doit rester sobre tout en se démarquant de ses pairs. Cette hostilité latente se reflète dans les couleurs froides du cliché qui confèrent à l’ensemble une ambiance clinique et menaçante. Visage contracté en un rictus soucieux, yeux fixes, absents, la tension est palpable. La main crispée sur le micro et les épaules en avant, le reporter est replié sur lui-même, si concentré, qu’il semble totalement aveugle et sourd à son environnement. Ce flou perceptif est matérialisé par le brouillard confus au premier et à l’arrière plan, et les contours indistincts du cameraman qui font écho aux pensées assombrissant le journaliste. Il doit chasser son anxiété afin qu’elle ne transparaisse pas à l’écran lorsqu’il s’exprimera tout à l’heure. Ses interrogations sont multiples: comment retransmettre de façon appropriée une information aussi choquante à une audience mondiale? Car il s’agit d’un enjeu personnel: cette prestation aura un impact direct sur sa carrière. L’image du correspondant doit être en accord avec l’éthique de sa profession, compromis entre émotion et neutralité. Sa chemise est sombre, emblème d’une attitude sociale appropriée. Mais qu’en est-il de son intérieur? Bouche sèche, cœur battant la chamade, jambes en coton et mains moites témoignent de l’angoisse d’une mauvaise performance ou, pire, du ’blanc’. Ces symptômes sont causés par une suractivation du système nerveux autonome, qui, associée à un contexte particulier, résulte en anxiété, voire en peur. Forts de ce phénomène, les journalistes préparent intensément le fond et la forme de leur discours avant de passer à l’antenne. Ils réalisent ainsi une régulation émotionnelle, canalisant le stress qui pourrait avoir des répercussions néfastes sur leur performance. Dès lors, en pleine possession de leurs moyens, ils sont capables d’exercer un meilleur contrôle sur leurs expressions faciales et leur élocution.
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October 3, 2001
September 28, 2001
October 20, 2001
October 1, 2001
November 2, 2001
Thomas Jacobi
Empathie et auto-projection Empathy and Self-Projection
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En regardant simplement ces photographies, peut-on réellement dire avec certitude ce que signifient l’expression du visage et les gestes des reporters? Après tout, nous pourrions aussi bien être témoins de la froide détermination de professionnels de carrière avant de passer à l’antenne que d’une souffrance et d’un état de choc authentiques. Il semblerait qu’en tant que public, et mis à part le contexte du 11 septembre, nous serions incapables de déterminer de quelle situation il s’agit. Ceci étant, sommes-nous réellement plus avancés, une fois que nous savons ce qu’il en est? Il semblerait que non, car nous pourrions également nous demander si ces journalistes ressentent sincèrement ces émotions ou s’ils se préparent simplement à les incarner pour les téléspectateurs. Évidemment, cela nous paraîtrait éthiquement blâmable si nous découvrions qu’ils jouaient seulement la comédie—mais pourquoi? Attendons-nous des acteurs de montrer des émotions réelles plutôt que de simplement simuler celles qui sont appropriées? Nous pourrions certainement critiquer leur piètre capacité à incarner ces émotions de façon convaincante, mais nous ne leur reprocherons jamais de ne pas vraiment les ressentir sur scène. Pourtant, lorsqu’il s’agit de journalistes, nous avons tendance à appliquer des standards éthiques bien plus stricts. Nous voulons qu’ils nous montrent des réactions réellement inspirées par leur empathie, car c’est ainsi que nous pensons obtenir une information émotionnelle sur un événement réel, ce qui nous permettra à notre tour de nous sentir affectés. En fait, il semblerait que les journalistes servent de référence publique pour l’attitude émotionnelle qu’il convient, croit-on, d’avoir, et ils sont jugés sur leur capacité à plus ou moins bien ’saisir’ l’ambiance. Mais voilà où le bât blesse: les reporters doivent également s’imaginer de manière empathique quel impact leur propre expression émotionnelle est susceptible d’avoir sur le public. L’émotion des téléspectateurs sera-t-elle guidée dans la bonne direction? Et leur réaction émotionnelle correspondra-t-elle à ce à quoi ils s’attendaient de ressentir? Vous me direz que l’on pourrait juste rétorquer que «c’est comme dans la vraie vie». Après tout, nous avons les mêmes exigences envers les hommes et les femmes en général. Eux aussi, lorsqu’ils sont en compagnie d’un public «privé», devraient montrer qu’ils éprouvent un lien empathique avec la misère et les pertes et adapter leur «mise en scène» émotionnelle en fonction de l’impact qu’elle aura sur ce public. Il semblerait donc que nous soyons tous piégés dans un détour émotionnel: ressentant de l’empathie à la fois envers nos semblables en général et avec notre public personnel, nous produisons en permanence des auto-projections qui seront, nous l’espérons, à la hauteur du jugement éthique de notre groupe de pairs. En bref, nous sommes aussi, comme ces reporters, partagés entre la présentation authentique de nos émotions et la représentation d’une pièce jouée. Désormais, nous savons que l’objet initial de notre préoccupation mérite une attention plus approfondie: par rapport à ces images, nous avons, le public, autant de mal que les reporters à trouver le sang-froid approprié.
Simply by looking at these photographs, can we really tell for certain what the reporters’ gestures and facial expressions mean? After all, we might witness as much the grim determination of career professionals before going on air as genuine anguish and shock. It seems, without the context of 9/11, we, the audience, would have no way of finding out. But is really so much gained, once we are told? It appears not, because we might then still be in the dark about whether these journalists are truly affected by the scene or are merely preparing to impersonate such emotions for the television audience. Naturally, it would feel ethically wrong if we discovered that they are only enacting emotions—but why? Do we require actors to show real emotions, instead of merely simulating emotions that are appropriate? Surely, we might admonish them for their bad technique in portraying emotions effectively—but we won’t blame them for not truly living through those emotions themselves onstage. Yet when it comes to reporters, we tend to apply much more stringent ethical standards. We want them to show us their genuine empathy-inspired reactions, because this is how we expect to gain emotional information about some real event and become affected ourselves. In fact, they often seem to be setting the public benchmark for what is supposed to be the correct emotional response and are judged by how well they ’capture’ the mood. But here is the rub: reporters also need to empathetically imagine how their emotional expression might be impacting on the audience. Will the audience be emotionally steered in the right direction? And will their emotional reaction mirror what they expected to feel? But, you might say ’This is just like real life!’. After all, we put the same demands on our fellow human beings. They, too, ought to be seen to connect empathetically with misery and loss and mould their subsequent emotional performance in a way that responds to how it affects their ’private’ audience around them. So it seems we are all trapped in an emotional roundabout: while empathising simultaneously with people we observe and our personal audience, we constantly produce emotional self-projections that hopefully live up to the moral judgement of our peer group. In short, we as much as these reporters are suspended halfway between a genuinely natural setting and the staging of a play. Now we know that our initial worry merits even closer attention: we, the audience, are as much in these pictures as the reporters struggling for appropriate composure.
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September 22, 2001
October 3, 2001
October 12, 2001
Jérémie Gindre
Erreur de casting Bad casting
Alors là on a un problème. Ça ne va pas du tout. L’arrière-plan est parfait: au coin de la rue ou en surplomb aucun doute, on est dans une ville américaine. C’est bien ça le sujet: LA ville américaine, bouleversée. La lumière aussi est plutôt réussie, dans chacun des cas: blafarde pour l’affliction, petit-matin pour l’espoir, plein soleil parce que la vie continue. Non le problème, vraiment, c’est eux. Le blanc-bec pour commencer. On dirait une petite frappe dans un film de Scorsese période Les Affranchis. Son visage n’inspire pas confiance. Ça vient peut-être de ses yeux, ou des sourcils. On le sent tout prêt à profiter de la faiblesse des autres, à retourner sa veste à chaque occasion. D’ailleurs qu’est-ce que c’est que cette veste, ce costume croisé de mafioso? On est à New York il ne faut pas l’oublier, les gens font vite ce genre d’amalgame. La fille, ça pourrait aller. On pressent que les mots vont sortir tout tremblotants, que la voix devra lutter avec la montée des sanglots, qu’une mèche se détachera bientôt, barrant nonchalamment son visage sans perturber ce regard lointain. Le tailleur est sage, respectueux de la situation. Mais elle en fait trop, vraiment. Les yeux plissés au bord des larmes, la blancheur diaphane attendrissante, le casque blond de l’innocence. On n’est pas sur le plateau d’un mélo ici, on est dans la réalité, il faut rester concentré là-dessus. Et le vieux beau alors là non, aucune chance. Les cheveux teints, le col ouvert, le solarium, la moue qui paraît plus vraisemblablement inspirée par un souci d’Eau de Cologne que par la gravité de la situation: tout, absolument tout est hors-sujet. On ne tourne pas l’épisode 6038 des Feux de l’Amour, l’angoisse ce n’est pas la réapparition de Nick qu’on croyait pourtant disparu en mer tandis qu’Abigail porte secrètement l’enfant d’un autre. Il faut changer les acteurs. Quand il s’agit de communiquer l’émotion, la vraie, on doit au spectateur un peu plus de naturel. Un peu moins de coiffure, aussi.
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There’s a problem here. This won’t do at all. The background is fine: whether the scenes are photographed on the street corner or from a height, we know we’re in an an American city. And that’s the subject: the American city, smitten by tragedy. The light works quite well, too, in all these pictures: pale for affliction, early morning for hope, broad daylight to show that life goes on. No, it’s they themselves that are the problem. Let’s start with the greenhorn. He looks like a small-time hoodlum from Scorsese’s Goodfellas period. There’s something untrustworthy about him. Maybe it’s his eyes, or his eyebrows. We get the feeling he’ll jump at any chance to take advantage of other people’s weakness, that he’ll change sides whenever it suits the occasion. And by the way, what is that suit? It makes him look like a cross between a businessman and a gangster. Watch it, buster! After all, this is New York: people might jump to conclusions. The girl might just about pass muster. We sense that when she speaks, there’ll be a wobble in her voice as she fights to keep her sobs down, that she’ll keep gazing into the middle distance even when a lock of hair falls nonchalantly forward in front of her face. She is wearing a demure little jacket in deference to the occasion. But she’s overdoing it. Those screwed-up eyes brimming with tears, that touchingly ethereal pallor, that innocent blond cap of hair. This isn’t the set of a soap opera: this is reality! It’s vital not to lose sight of that. As for the ageing Lothario, no way. The dyed hair, the open-necked shirt, the sunbed tan, the grimace that makes him look as if he was worrying about his eau de cologne rather than being affected by the gravity of the situation: every detail is utterly wrong. We’re not filming Episode 6038 of The Young and the Restless here: we’re not worrying about the fact that Nick, who everyone thought was dead, has reappeared, unaware that Abigail is pregnant with another man’s child. Get some different actors, puh-lease! When real-life emotions have to be conveyed, presenters owe it to viewers to be a bit more natural—and a bit less preoccupied by their hairdo.
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Entretien avec Frank Schramm
Pauline Martin Pour commencer j’ai une question très simple: comment avez-vous vécu le 11 septembre? Frank Schramm Tout d’abord, comme vous le savez, l’une de mes photos montre un journaliste tenant un cœur portant le chiffre «9/11». Cet événement est fortement ancré dans ma mémoire, en particulier à cause de la date. Était-ce une date choisie au hasard: 911? Parce qu’en Amérique le 911 correspond au numéro des urgences. Je me suis toujours interrogé là-dessus et aussi sur le fait que designers et créateurs se sont largement inspirés du chiffre 11 pour représenter les deux tours, il y a tellement de parallèles possibles. Ce jour-là j’étais à un pâté de maisons du World Trade Center, sur Maiden Lane, pour une séance de kiné. Mon kinésithérapeute (je crois qu’il s’appelait Robert) était en train de me dire «Vous avez entendu ça? Il paraît qu’un type de la finance a percuté l’une des tours jumelles avec un petit avion privé!» Et puis tout d’un coup il y a eu une autre énorme explosion vers le nord, quand le second avion a heurté la deuxième tour, mais à ce moment-là on n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait. Et puis quand on a vu que ça passait à la télévision, tout le monde s’est figé et Robert a dit: «P****, il faut sortir d’ici!». Je me souviens seulement du sentiment qui m’envahissait alors: on était en train de nous attaquer! Alors j’ai pris mes affaires de sport, je suis descendu dans la rue et j’ai levé les yeux. On se serait presque cru dans un film, comme dans Fahrenheit 451, quand les gens s’enfuient dans tous les sens. J’ai couru jusque chez moi. Ma femme n’était pas encore arrivée et je me souviens d’avoir regardé par la fenêtre de mon bureau (à cette époque on vivait dans l’ancien presbytère de l’église St Marks, sur la 2e Avenue) et j’ai juste eu cette vision du jour se transformant instantanément en nuit, comme au cinéma, et j’ai regardé dans la rue, j’entendais les voitures de police et tout ça, et puis soudain je me suis dit que d’ici ce soir les tanks allaient arriver, c’est comme ça que j’imaginais que les choses allaient se passer. Et puis j’ai entendu le pas lourd de ma femme. À l’époque, elle et moi attendions des triplés (ils ont presque dix ans maintenant) et ma femme était attachée culturelle au Consulat général de Suisse. J’ai entendu ses pas se rapprocher, puis elle a ouvert la porte et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. C’était vraiment dramatique.
Par Pauline Martin
PM Pourquoi avoir choisi de photographier les journalistes et non l’événement lui-même?
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FS C’est un point intéressant, historiquement, en ce qui concerne mon travail. Si cela se passait aujourd’hui (si l’on rembobinait le film pour revenir au 11 septembre), je prendrais probablement des photos de tout, car depuis j’ai toujours un petit appareil photo numérique sur moi. Mais à l’époque, je n’en avais pas forcément. Je travaillais surtout sur moyen format et les appareils étaient lourds à transporter. Il faut dire aussi qu’à l’origine j’ai été formé à la photographie en studio. Au lendemain du 11 septembre, je n’avais aucune envie de photographier l’événement lui-même. Intérieurement, je me suis fixé cette règle: ne prendre aucune photo liée à cet événement. Le 13 ou 14 septembre, ma sœur m’a appelé en me disant: «Frank, il faut que tu viennes! Tu ne peux pas t’imaginer le nombre de camions de chaînes de télévision qu’il y a ici. Ni ce qui s’y passe…». Son immeuble se trouvait
à l’intersection entre West Side Highway et Christopher Street, un lieu désormais connu sous le nom de «Checkpoint Thank-you» où les gens venaient encore des mois après le 11 septembre, jusqu’en janvier 2002, pour brandir des drapeaux américains, des pancartes, etc. afin de remercier tous les bénévoles ayant participé au nettoyage des gravats et autres débris. Les journalistes voulaient bien sûr s’approcher autant que possible de Ground Zero. Mais une limite avait été fixée, ils ne pouvaient pas aller au-delà de Canal Street, à environ 5 ou 10 pâtés de maison du lieu de l’attentat. Impossible d’aller plus loin. Il y avait là peut-être 35 à 50 chaînes de télévision du Canada et de tous les Etats-Unis avec leurs camions et toutes étaient prêtes à passer à l’antenne. J’étais d’autant plus intrigué par tout ça qu’à l’origine je viens du milieu de la mode et que j’ai beaucoup travaillé sur le terrain et en studio. J’étais donc très intrigué par ces journalistes, par le fait qu’ils évoluaient dans un environnement entièrement mis en scène, avec un éclairage très contrôlé. Je voulais aussi photographier cet aspect du 11 septembre, non pas les personnes ayant été tuées lors des attentats, mais celles qui continuaient à vivre, qui devaient raconter cette histoire, des messagers des temps modernes en quelque sorte, ceux qui, finalement, allaient dire au monde, à la nation, ce qu’ils vivaient à Ground Zero. Je ne connaissais aucun de ces journalistes. Je n’en ai reconnu aucun et c’est aussi cet aspect-là qui m’a plu, cet anonymat, même s’ils étaient sans doute tous célèbres dans leur région, que ce soit au Kansas ou à Montréal. Ils étaient là à travailler entre eux, se faisant concurrence pour obtenir la meilleure histoire. Et moi je gravitais autour de tout ça. Il s’agit en fait de l’après 11 septembre, du 12 septembre plutôt que du 11, et de la façon dont les choses ont changé dans le pays. Selon moi, ces images représentent ce que je pensais alors, mais en même temps, je voulais savoir ce que ces journalistes avaient en tête au moment où je les photographiais. PM Les journalistes ont été les premiers à voir ce qui se passait sur place et à le montrer au monde entier, ils ont donc eu à gérer leurs émotions et vous avez eu à gérer les vôtres également. Comment y êtes-vous parvenu? Et quel genre d’atmosphère régnait entre vous et les journalistes, et entre les journalistes euxmêmes? FS Il y avait peu de dialogue entre eux, c’était comme si une paroi invisible marquait la limite entre leurs différents plateaux temporaires. Je ne les ai jamais vus se parler ou prendre un café ensemble. En fait, c’est un peu comme les photographes, même s’il existe une sorte de fraternité, d’esprit de groupe, on est toujours seul, séparé des autres. Je leur ai toujours demandé leur permission avant de les photographier. Un seul a refusé. Il y avait cette jeune femme, une journaliste japonaise, je crois que c’était la plus… «enthousiaste» n’est pas le mot qui convient, disons «assidue», filmant pendant des heures sous différents angles, sous forme de séquences courtes ou longues, etc. en vue de son passage à l’antenne. Je trouvais ça tellement étrange qu’ils aient tous décidé de se rassembler au même endroit. Ils auraient pu aller dans d’autres quartiers de la ville et filmer les réactions des gens, leur demander ce qu’ils ressentaient. Mais ce lieu était le plus proche du véritable site des
attentats. Ils étaient dans une impasse et ne pouvaient aller plus loin, alors ils restaient là. Un journaliste m’a dit: «Voilà comment je vois les choses. C’est un peu comme d’être à bord de ces bateaux à fond de verre qu’il y a en Floride et d’où l’on peut regarder les poissons: vous êtes le témoin de quelque chose de totalement inédit pour vous, vous regardez à travers la paroi de verre et vous voyez le plus beau récif de corail que vous ayez jamais vu. Dans un sens, c’est une occasion unique pour un journaliste!». Mais je sais qu’ils étaient vraiment épuisés, parce qu’en fait ils n’avaient pas grand’ chose à dire à l’antenne, dans leur rôle de «stand-ups» ou d’envoyés spéciaux, comme on dit dans le milieu de la télévision. Mon appareil photo était sans doute un moyen pour moi de surmonter mes émotions. J’allais très bientôt être le papa de triplés et je vivais des moments difficiles sur le plan émotionnel à cause de mes parents qui prenaient de l’âge. Ma mère était atteinte de la maladie d’Alzheimer, etc. Je souhaitais aussi donner ma propre vision du 11 septembre, un point de vue différent. C’est une chose que j’ai apprise quand j’étais en terminale. J’étais alors en stage au magazine Newsweek, à Washington, auprès de l’excellent photographe Wally McNamee. J’y suis resté quatre semaines et il m’a toujours dit de ne jamais me joindre au troupeau, si je puis dire, de toujours regarder où vont les autres photographes et d’aller ailleurs. C’est un conseil que je n’ai pas oublié. L’atmosphère où gravitaient ces journalistes évoquait l’univers du cirque. J’ai récemment photographié un cirque américain et on retrouve cette dimension liée au fait de se trouver dans un environnement où tout est mis en scène. Vous êtes là avec votre appareil photo à la main, ce dernier constituant une sorte de «clé» pour vous faire accepter. Vous êtes vous aussi le témoin des événements et je dois dire que c’est assez grisant, même si le fait de prendre ces photos était une manière d’apaiser mes émotions. C’était ma façon de conserver une trace de tout ça. PM Diriez-vous que le 11 septembre constituait d’une certaine manière une aubaine professionnelle pour certains des journalistes présents et même peut-être pour vous, même s’il s’agissait de moments vraiment terribles? FS C’est une bonne question. Je pense que c’était surtout le cas pour les journalistes extérieurs à New York. Oui, je crois que pour ceux qui étaient présents c’était une véritable aubaine d’être le témoin d’un moment aussi important dans l’histoire. Le plus étrange c’est qu’on avait une impression bizarre, on savait qu’on vivait un événement historique mais il n’y avait là ni George Washington ni Napoléon. Je me disais: «Ai-je vraiment assisté à cet événement? Était-ce aussi énorme que cela semble l’être maintenant, que cela va le devenir, aussi énorme que le souvenir que l’on en aura?» Tous ces journalistes étaient des personnes connues, mais ils avaient aussi une vie privée, et pourtant ils étaient aussi en train de vivre quelque chose que nous allions tous vivre, lors de la période de transition qui a suivi le 11 septembre. PM Avez-vous remarqué un changement au cours de vos huit semaines de travail auprès de ces journalistes? FS C’était comme au cinéma. Dans le sens où on
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PM Donc vous êtes resté jusqu’à la fin? FS Oui, quasiment. J’étais là quasiment tous les jours. PM Et vous êtes-vous dit à cette époque que ces journalistes jouaient précisément le rôle que les terroristes leur avaient assigné? Car finalement les terroristes ne peuvent pas toucher autant de gens qu’ils le souhaitent sans les journalistes, donc tous les journalistes présents sur place ont en quelque sorte aidé les terroristes dans leur action. Avez-vous un commentaire sur ce point? FS C’est une question intéressante mais je dois dire que je rejette l’idée selon laquelle les journalistes auraient «aidé» ou «soutenu» les terroristes. Ils ont en fait été utilisés et se sont contentés de faire ce que l’on attendait d’eux: informer le public de l’événement. Ces attentats ont fait la une des médias pendant des mois, comment ne pas en parler? Pour eux c’était l’événement d’une vie, un moment unique dans leur carrière de journalistes. Il s’agissait simplement d’informer sur un événement dont l’impact était énorme. Les journalistes ont peut-être été «piégés» par les terroristes afin de jouer leur rôle, tout comme les terroristes ont «piégé» les passagers des avions, mais c’était un rôle passif.
Lorsque l’on considère ces photos individuellement, et non comme un tout, la manière dont elles fonctionnent ensemble, dont elles sont liées, et même s’il n’y a qu’une image sur le mur, ces photos interpellent le spectateur «Qu’est-ce que c’est? Qu’est-ce qui se passe? De quoi s’agit-il? Pas de titre. OK.» Le spectateur doit donc deviner où l’événement se passe et de quoi il s’agit. Et puis il y a l’aspect psychologique lié au fait de regarder les visages de ces journalistes et de tenter de deviner ce qu’ils ont à l’esprit, à quoi ils pensent. Peut-être qu’ils s’apprêtent en fait simplement à continuer leur travail et qu’ils pensent juste à leur passage à l’antenne. PM Quelle interprétation avez-vous du fait que vous ayez photographié de nombreux avions il y a vingt ans pour votre série «Plane Sights»? Vue de l’extérieur, une telle coïncidence pourrait sembler prophétique.
September 30, 2001
Après le 11 septembre, les journalistes n’ont pas pu accéder à Ground Zero. Être journaliste consiste à jouer le rôle de témoin et ce qui me fascinait justement c’était le fait qu’ils ne pouvaient pas aller plus loin, c’est précisément ça le point essentiel, ils avaient un accès limité aux événements.
September 22, 2001
Je me souviens que, début novembre, l’un des journalistes de Chicago a déclaré que c’était sa dernière soirée à l’antenne. Il disait qu’il était impatient de rentrer, parce qu’il avait été séparé de sa famille depuis un mois et demi et qu’il avait hâte de rentrer chez lui. Je lui ai demandé ce qu’il allait faire ensuite. Les élections américaines approchaient, ce serait donc son prochain sujet. En fait les journalistes ne voyaient pas d’inconvénient à partir: ils fermaient boutique si l’on peut dire, ils passaient à autre chose. Un autre aspect m’a semblé étrange, c’est que bon nombre d’entre eux ont tout simplement abandonné leur «plateau» sur place, sans le démonter. Malheureusement je n’ai pas véritablement photographié cet aspect-là, je n’y ai pensé qu’après coup. Je crois qu’ils ont démonté un grand nombre de plateaux avant de les laisser là, en tas, sur place.
avait une trentaine de camions mais à un endroit différent cette fois (sur Church Street je crois). De nombreux journalistes se trouvaient là parce qu’une foule importante s’était soudainement rassemblée et brandissait des drapeaux américains pour fêter la mort de Ben Laden. Ça a immédiatement fait tilt dans ma tête, j’ai pensé boulot et puis je me suis rendu compte que c’était complètement différent, différent aussi du cas dont vous parlez, près du City Hall, avec l’affaire Strauss-Kahn.
FS Je suppose que c’est simplement un sujet qui m’inspire, qui me fascine. Cette série sur les avions est une idée qui remonte à l’enfance, quand j’étais un petit garçon fasciné par les avions et l’idée de voyager. Je ressentais une telle excitation à les voir voler au-dessus de ma tête ! Dans mon travail je m’intéresse avant tout à l’impact qu’a une image. Qu’il s’agisse des écrivains grecs classiques ou du grand directeur artistique et photographe russe Alexey Brodovitch, on a toujours jugé la qualité d’une œuvre à sa capacité à surprendre: «Étonnez-moi!». Je ne perds jamais ce principe de vue. C’est donc l’impact de chaque image qui m’importe, mais aussi sa longévité et l’idée d’intemporalité, que cette image ait quelque chose d’intemporel.
September 15, 2001
pourrait comparer ça… je n’aime pas dire ça, mais c’est vrai: à un festival, à un événement sportif ou à quelque chose que l’on pourrait qualifier d’événement médiatique. Dans le cas du 11 septembre, l’événement était en fait l’attentat lui-même et puis soudain ça a pris une telle ampleur et ensuite tout le monde essayait d’une certaine manière de revenir à la normale, et c’était justement ça le plus pénible, le fait d’essayer. C’est étonnant de voir le nombre de journalistes qui sont restés sur place, il y en avait peut-être encore 25 ou 30 un mois et demi après l’attentat.
FS Je vois bien sûr les plateaux et les journalistes installés sur place, mais je ne ressens pas le désir de les photographier. J’ai effectivement vu réapparaître les envoyés spéciaux et leur équipement, c’était deux jours après qu’Oussama ben Laden ait été tué. Il y
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PM Comme vous êtes basé à New York, ou près de New York, n’avez-vous pas eu envie de photographier les journalistes qui couvrent aujourd’hui l’affaire Strauss-Kahn, l’ancien directeur du Fonds monétaire international?
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Frank Schramm interview
PM First of all, a very simple question: What was your experience of 9/11? FS First of all, as you know, in one of the pictures there is a reporter who is holding a heart with the 9/11 logo. That is so imbedded in my mind, particularly the fact of the date. Was the date random: 9/11? Because in America 911 is the number you call in an emergency. I always wonder about that and the fact that designers became creative with using the 11 as the two towers—there are so many different parallels to that. That particular day, I was a block away from the World Trade Center, on Maiden Lane, for physical therapy. My physical therapist (I think his name was Robert) was saying “have you heard there has been some financial guy who flew a small private plane into one of the Towers?” And then all of a sudden there was another huge explosion from the North perspective, which was when the second plane went in the second tower, but at that point we had no idea what was going on. And then we saw it on TV and everyone just froze, and Robert said “Let’s get the f**** out of here” and I just remember this feeling overcoming me that we were being attacked. So I got my gym stuff, then I came outside to the ground level and looked up. It was almost like out of a movie, almost like Fahrenheit 451, where everyone sort of dispersed. I ran all the way home. My wife hadn’t arrived yet, and I remember looking out my office window—at that time we were living at the rectory of St-Marks Church on 2nd Avenue—and I just had this immediate vision from day to night, like in cinematic, of like of suddenly looking out on the street, hearing of course police cars and all that, but then suddenly thinking that there would be tanks by night, my sort of fantasy of what was going to happen. And then finally I heard the big footsteps of my wife. At the time my wife and I were expecting triplets—they are almost 10 years old now—and she was working for the Swiss Consulate General as Cultural Attaché. I heard her steps coming up, and then opening the door, and then we just embraced. It was really dramatic. PM Why did you choose to photograph the journalists and not the event itself?
By Pauline Martin
FS This is interesting, also historically, about my photography. If this were now—if we were to rewind back to then on September 11—I would probably have taken pictures of everything, as now I carry a small digital camera with me all the time. But back then, I did not always have a camera with me. I mostly used medium format equipment, and the cameras were heavy to carry, and I also came from a studio set-up style of photography. By the next day, I had no interest whatsoever in photographing 9/11. I purposefully set a rule in my mind that I was not going to photograph anything related to that.
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By the 13th or 14th, my sister called me and said “Frank, you’ve got to come over here! You can’t believe how many TV trucks there are. And also what is going on…” Her corner, on the West Side Highway at Christopher Street, became known as “Checkpoint Thank-you,” which was a place where people would stand for months after 9/11 up until like January of ’02, holding American flags, signs and so forth, to thank all the volunteers who helped remove all the debris and what not. Of course the journalists wanted to get as close as possible to Ground Zero. But there was limit, they could
only go no further than Canal Street—about 5-10 blocks or so from Ground Zero. That’s as far as they could go. There were probably between 35 to 50 trucks, from Canada, all over the US, and they had their set-ups. I was so intrigued by this, because my background is from fashion originally, and I worked a lot on location and studio. So I was intrigued by the reporters because of the fact that they were in a very staged environment, controlled lighting. I also wanted to photograph this side of 9/11, meaning not those people that perished, but the people who are now carrying on living, who have to tell the story, who are modern messengers who basically tell the world, the nation, of what they are experiencing from Ground Zero. I didn’t know any of the reporters. I didn’t recognize any of them and I liked that aspect about it too, the anonymous factor, even though they are probably famous in their local area—wherever, from Kansas, Montreal. They were there working among themselves, competing with one another to get the perfect story. I gravitated towards that. It is about post 9/11, it is about 9/12 more than 9/11 and how our country has changed. In my mind, those images are about what I’m thinking, but at the same time I want to know what they’re thinking at the moment that I’m photographing them. PM The journalists were the first to see what was happening there and to show it to the world further on, so they had to deal with their emotions—and so you had to deal with your emotions as well. How did you do that? And what kind of atmosphere was there with these journalists, amongst them? FS There was not much dialogue among the journalists, it was as if there were invisible walls between the confines of their temporary studios. I never saw them interact or get together for coffee. In a funny way it is like photographers, even though we’re a fraternity, a group, we’re still very much on our own, separate. Before photographing all the journalists I would always ask them for their permission. There was one only rejection. There was one young lady, the reporter from Japan—I would say that she was the most…—enthusiastic is not the right word—diligent, doing hours of different camera angles and long shots, short shots, and so forth for her preparation of going on her news report. I found that just so unusual that they all chose to be in one spot. I mean you could go to other parts of the city and get reactions to how people felt. But this spot was the closest they could get to the actual physical location of Ground Zero. That was the dead end and they could go no further, so that’s where they were. One reporter mentioned: “Well it’s like this: think of being on a glass bottom boat, like the ones in Florida where you can look at the fish, and you’re witnessing something that you’ve never seen before, but you’re looking through this glass and you’re seeing the most beautiful coral reef that you’ve ever seen before. In a way this is incredible as a journalist.” Although I know that they were very exhausted, because there was only so much they could do on the air—as “standups.” as they call it in the TV business. The camera certainly was a way of overcoming emotion for me. I was becoming the father of triplets very soon and a lot was going on emotionally with my parents who were getting much older. My mother had Alzheimer’s etc.
I also wanted to interpret 9/11 my way and differently. This is something which I learned from when I was apprenticing in Washington, D.C. during my Junior year in High School at Newsweek magazine with the great photographer, Wally McNamee, I was down there for four weeks, and he always spoke about not being part of the pack so to speak, always look where the other photographers are, and then go somewhere else. So that was something that always stuck with me. This atmosphere of the journalists was like a circus environment. Recently I photographed an American circus and there is something about being in this environment where everything is set-up. You have your camera in your hand, which is a key to the entry-way to get approval. You too are a witness to what is happening and I have to say it was quite exhilarating, although it was a sort of emotional relief for me to photograph this. This was my way of preserving something. PM Would you say that 9/11 was kind of an opportunity for some of the journalists that were there, maybe even for you—even though it was a very terrible opportunity? FS Well that’s a good question. I feel that this was true particularly for those who were from out of town. Yes, I believe for those who were there it was an amazing opportunity to witness history. I think the strangest thing was that there was an unusual feeling because we realized that we were witnessing an historical moment, but then George Washington wasn’t there, Napoleon wasn’t there. I thought: “Did I really witness this event? Was it as big as it is, or became or will be remembered?” All these reporters were public faces, but at the same time they had their private lives too, and yet they’re also experiencing something that we’re all going to experience too, in the sort of journey and transition post 9/11. PM And did you notice a change during your 8 weeks of work with the journalists? FS It was cinematic. In the sense that it was something that you would equate to—I don’t want to say it, but it is true—a festival, of a sporting event, or even something that I would equate to a media event. In this case the event was the actual attacks, but then suddenly it was at such a high level, and then everyone was sort of attempting—and that was the frustrating part: was attempting—to get back to normal. It was amazing how many of the journalists stayed, there were maybe still about 25 to 30 a month and a half after it happened. I recall at the beginning of November, one of the journalists from Chicago said it was the last night that he broadcast. He said that he couldn’t wait to get back, because he had been gone for a month and a half from his family and he was looking forward to getting back. I asked what was he doing next and there was the U.S. elections coming up, and so that was his next thing. So the journalists were okay to leave: now they were closing up shop so to speak, moving on. And the other strange thing was that a lot of them left their “studio” still set up and just abandoned it. Unfortunately I didn’t really photograph this—it was more of an afterthought. I think they did dismantle many of them, but they were in piles so to speak, left around. PM So you were there until the end?
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the idea of travelling. I just got such a rush from standing under planes.
PM: And at that time, did it occur to you that these journalists were also playing the part that the terrorists had assigned to them? In the sense that terrorists can’t touch as many people as they want to without journalists—so all the journalists that were there were in a way helping the terrorists in their action. Could you comment on that?
In all my photographic work, my interest is the impact of the image. From the classical Greek writers to the great Russian designer Alexey Brodovitch, the demand on good art has been: “Astonish me!” and I always remember that. So it is the impact of the individual image that is important and also the longevity of the image and a sense of timelessness—that there is a timelessness of the photograph.
FS That’s an interesting question, but I have to say I must reject the suggestion that the journalists “helped” or assisted the terrorists. If anything, they were used and did what they were expected to do, which is report about the event. This was the top story for months—of course they’re going to report it! For them it was a lifetime event, in terms of their careers as journalists. In this case it was purely reporting something of a huge impact. The journalists may have been “set up” by the terrorists to play their role, the way they “set up” the passengers in those airplanes, but it was a passive role,
October 4, 2001
FS Pretty much so. I pretty much went daily.
I actually did see a reoccurrence of the “standup/set-up,” which was two days after Osama Bin Laden was killed. There were again 30 trucks or so at a different location—I believe it was Church Street—many reporters were there because there were large crowds suddenly gathering, with American flags in celebration of the fact that he was killed. I immediately had a light going off in my mind about my work but realized that it was completely different—and different from the situation you’re mentioning down near City Hall with Dominique Strauss-Kahn. The journalists post 9/11 could not get access to Ground Zero. The whole idea of being a journalist is being a witness, and my fascination was the fact that their eyes could not go any further, and that’s the important part about it, and so they were restricted. When you look at the pictures individually, versus as a group, how they work together, as they’re threaded together, or even if it’s just one image on the wall—the viewer is asked “What is this? What’s happening? What is this about? No title—Okay.” And let the viewer figure out where they are, what is this about. And then there is the psychological aspect about the looking into the person’s face and what is in their mind, what are they thinking? And maybe they’re just going on with their work and thinking about going on the air.
October 16, 2001
FS Sure I see the set-ups and the journalists but I don’t have that interest where I’d want to photograph more journalists.
September 15, 2001
PM Since you are in New York, or near New York, haven’t you been interested in photographing all the journalists that are now around Dominique Strauss-Kahn, the former head of the International Monetary Fund?
FS I guess it is just something which inspires me, fascinates me. The aircraft series is something which goes back to my childhood when I was a young boy, being fascinated with planes, and
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October 30, 2001
PM How do you interpret the fact that you photographed many airplanes 20 years ago for your series “Plane Sights?” From an outsider’s point of view it could seem prophetic.
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Index des auteurs du Centre Interfacultaire en Sciences Affectives
Géraldine Coppin Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Laboratory for the study of Emotion Elicitation and Expression, Université de Genève Laure Freydefont Centre Interfacultaire en Sciences Affectives and Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Geneva Motivation Lab, Université de Genève Jérémie Gindre Artiste en résidence au Centre Interfacultaire en Sciences Affectives, Université de Genève Didier Grandjean Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Neuroscience of Emotion and Affective Dynamics Lab, Université de Genève Thomas Jacobi Centre Interfacultaire en Sciences Affectives, Université de Fribourg Sophie Jarlier Centre Interfacultaire en Sciences Affectives, Centre Interfacultaire en Neurosciences et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Neuroscience of Emotion and Affective Dynamics Lab, Université de Genève
Frank Schramm Stand-ups— Reporting Live from Ground Zero Une exposition du Musée de l’Elysée, Lausanne Commissaire de l’exposition: Pauline Martin, Musée de l’Elysée
Ruta Lasauskaite Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Geneva Motivation Lab, Université de Genève Caroline Lehr Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Ecole de traduction et d’interprétation, Département multilingue de traductologie et de traduction, Université de Genève
Pascal Vrticka Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Laboratory for the study of Emotion Elicitation and Expression, Université de Genève Julien Zanetta Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté des Lettres, Département Langues et Littérature française moderne, Université de Genève
Alison Montagrin Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Laboratory for the study of Emotion Elicitation and Expression, Université de Genève Christian Mumenthaler Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Laboratory for the study of Emotion Elicitation and Expression, Université de Genève Aline Pichon Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de médecine, Département de neurosciences fondamentales, Université de Genève David Sander Centre Interfacultaire en Sciences Affectives et Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Laboratory for the study of Emotion Elicitation and Expression, Université de Genève
Directeur du Musée de l’Elysée: Sam Stourdzé Coordination éditoriale: Pauline Martin, Musée de l’Elysée Carole Varone, CISA Conception et mise en page: Raphaël Verona This is Not, Morges
13 septembre – 20 novembre 2011 ©Le Musée de l’Elysée, Lausanne et le Centre Interfacultaire en Sciences Affectives (CISA), pour la publication ©Les auteurs, pour les textes ©Frank Schramm. Courtesy Musée de l’Elysée, Lausanne, pour les images
Traductions: Victoria Selwyn, Gabrielle Sturm, EnergyTranslations Impression: Musumeci S.p.A Loc. Amerique 97 11020 Quart (AO) Italia
impressum
Remerciements: Merci à Frank Schramm, à tous les chercheurs du Centre Interfacultaire en Sciences Affectives de l’Université de Genève, aux équipes du Musée de l’Elysée et d’IDPURE, ainsi qu’à tous ceux qui, par leur aide et leur soutien, ont permis à cette publication et à cette exposition de voir le jour, et plus particulièrement à Daniel Girardin, Pascal Hufschmid, Anne Lacoste, Ulrike Meyer Stump et Agata Ubysz.
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