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1 ▪ SYNTHÈSE ET CONSTATS
by emile_m
Revisiter la question du réemploi de matériaux en architecture à travers l'adhocisme a permis avant tout d'en parler comme la capacité qu'a l'humain d'improviser son environnement, d'avoir un esprit créatif en cherchant une manière de faire autrement, que ce soit par choix ou par nécessité. Cette manière d'aborder le réemploi a pour motivation d'en amorcer une forme de théorisation et d'en apporter une image différente, tel en fut le contenu de la première partie. Pour la deuxième partie, le champ du mémoire s’est élargi, en traitant d'une des grandes préoccupations contemporaines : mieux gérer les flux de matière pour préserver les écosystèmes et, de ce fait, nous préserver nous-mêmes. Nous avons donc cherché à savoir le rôle que pourrait avoir le réemploi dans cela et, plus spécifiquement, le rôle de l'adhocisme. Pour conclure, voici une synthèse de ce mémoire ponctuée de plusieurs constats, dans la marge de gauche, qui font état de conclusion, résumant des notions ou marquant des évolutions potentielles du réemploi de matériaux en architecture.
1 ▪ SYNTHÈSE ET CONSTATS
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Au fil de ce mémoire, nous avons traité la question du réemploi de matériaux en architecture en usant des notions qu’aborde l’adhocisme. Ces notions, développées par C. Jencks et N. Silver dans les années 70, partent d’un principe d’action, celui de s’approprier des systèmes existants pour accomplir un objectif rapidement et efficacement. C’est entre autres de cette manière que l’on a initialement improvisé le monde naturel pour survivre et que, nos besoins changeant, cette manière a conduit à inventer et à sophistiquer diverses choses. Ce rapport à la recherche, nous l'avons vu avec l'adhocisme de développement décrit par C. Jencks, où le fait d'improviser des systèmes (aussi bien naturels qu'artificiels) serait source d'invention et de développement. Cependant, la majorité des productions adhocistes ne connaissent pas cette évolution temporelle et restent de l’ordre de l’improvisation spontanée, à l'exemple du bricolage (motivé par un sens aigu de l'économie ou par la passion d'expérimenter) ou de la nécessité (faire autrement faute de meilleurs moyens disponibles).
Outre ces deux derniers exemples parlant à la fois d'adhocisme et de réemploi de matériaux, il y a d'autres exemples, récents, porteurs de nouveaux objectifs. Ces exemples réagissent à l’évolution récente de notre mode de production et de consommation, se traduisant par une pratique du réemploi servant à critiquer nos manières de produire et visant à limiter notre impact environnemental. Par conséquent, ils partent d’un panel limité de matériaux, ce qui amène à faire certaines choses autrement. De ces réflexions, nous avons commencé à aborder la question du réemploi de matériaux en architecture en parallèle des trois critères de l’adhocisme énoncés par C. Jencks : le détournement, la lisibilité et la créativité.
Adhocisme et pragmatisme L’adhocisme part de l’idée que, d’une improvisation de l’existant pour accomplir un objectif, en découlerait une esthétique particulière. C’est ainsi que l’adhocisme est facilement associable à une démarche pragmatique, focalisée sur les moyens pour atteindre un objectif et dont l’apparence finale serait plus ou moins due à cette focalisation. Nous avons référé le premier critère, le fait de détourner la situation ou l’usage de systèmes existants, à un réemploi qui expérimente les matériaux pour construire autrement (tel réemployer des produits de l'industrie). Le second critère, la lisibilité, attribut à l’adhocisme un résultat où l’on distingue bien les différents systèmes utilisés, ainsi que leur(s) fonction(s) et leur origine. Nous avions associé cela à des matériaux qui expriment à minima, selon leur degré de complexité, leur provenance. Cela signifie aussi que les éléments ne subissent pas de transformations trop importantes.
Adhocisme et conception Expérimenter des espaces en manipulant des matériaux (souvent de fortune donc de réemploi), et de les adapter ensuite selon l’appropriation que l’on se fait d’un espace, peu transparaitre comme une manière d’appréhender la conception. Avec Prinzmetal, cela servait d’autant plus à faire participer l’habitant au projet (projet participatif). Le dernier critère, celui de la créativité, nous a renvoyé aux dires de C. Jencks lorsqu'il définit l’adhocisme comme téléologique par nature (qui porte sur la finalité). Cette affirmation a fait réagir N. Silver qui nuance le propos en rappelant que suivre un objectif peut receler de l’indéfinition, si bien qu’il est possible de déboucher sur un résultat tout autre que celui initialement escompté (sérendipitité). Cette réflexion nous a permis de mobiliser des projets dont les objectifs ne sont pas déterminés uniquement par le dessin, mais aussi par l'appropriation du projet par d'autres. Ainsi, nous avons vu le projet d’Elemental et celui de Prinzmetal ayant été déterminés, le premier en aval, le deuxième en amont, selon un adhocisme pratiqué par les habitants.
Des différentes formes de l’adhocisme, nous avons distingué deux grandes familles : l’intentionnel et le non intentionnel. Cette distinction se formule selon le rapport entretenu entre les moyens, les objectifs, le procédé et la finalité. Tandis que pour le non intentionnel, c’est avant tout les moyens à disposition qui vont être déterminants, l’intentionnel se caractérise par des objectifs qui vont commencer à affecter la manière de procéder ou la finalité. De ce que l’on détermine (à l’extrême, le purisme) et de ce qui détermine (à l’extrême, le déterminisme), nous avons vu plusieurs projets qui, en réemployant des matériaux, entretiennent un rapport d’oscillation entre ces deux dimensions. En parlant du Hangar 8B et de la Lucy House, nous nous sommes d’abord intéressés à cette question à l'échelle du matériau. Ainsi, nous avons relevé différents rapports que peuvent entretenir les objectifs vis-à-vis de l'élément à détourner : des rapports de nécessité (entre devoir modifier l'objet et devoir adjoindre d'autres systèmes), des rapports de contradiction (l'emploi d'un système contredit un objectif, forçant à chercher des compromis), et des rapports de corrélation (le détournement est idéal ou l'emploi d’un système convient parfaitement).
Rapports de production Pour plusieurs exemples, le réemploi de matériaux est l’occasion de remettre en question nos rapports de production. Car en s’extirpant des moyens conventionnels de production, c’est sur des moyens limités, parfois inconventionnels que le réemploi se base. Ainsi, il faut se contenter de ses moyens et innover leur utilisation, d’où parfois une nouvelle manière d’appréhender le chantier (comme les architectes constructeurs chez Rotor ou le chantier participatif chez Bouchain). Nous avons ensuite changé d'échelle, passant du matériau au bâtiment, avec l'exemple de Rotor et sa démarche très pragmatique. Pour ce collectif, les moyens et la manière de procéder sont le moteur de leur architecture. Nous avons pu associer leur démarche à la description de N. Silver à propos du Retrieval Adhocism (Adhocisme de récupération), où le principal objectif devient l'économie de la matière et de l'énergie. D'une certaine manière, Rotor s’inspire de l'adhocisme pratique, où il y a une focalisation sur les moyens et non sur une quelconque finalité, à la différence que leur objectif porte sur la façon même d’utiliser les éléments : exploiter au mieux les matériaux et économiser la matière. Cela amène à une architecture qui ne revendique aucun style si ce n’est sa manière de traiter la matière. Pour Rotor, cette démarche pragmatique amène à appréhender le chantier d’une manière inconventionnelle, où eux-mêmes construisent.
Means-oriented Design Construire en réemployant, c'est partir de moyens plus ou moins limités qui peut résulter d'une focalisation sur ces moyens. Ainsi le projet est parfois davantage déterminé par la nature de ces moyens que par un dessin global du projet, ce qui remet une place centrale de l’aspect constructif vis-à-vis du projet fini Nous avons ensuite parlé du Superuse Studio et de la villa Welpeloo, qui, de par le concept de Super-utilisation, parte des moyens disponibles aux alentours selon un facteur de pertinence des éléments réemployés. S’en suit une phase d’expérimentation et de dessin où les objectifs (esthétiques, de performances, d’économie) sont atteints selon les éléments à disposition. De ces choix nous avons pu observer cette influence des moyens visà-vis des objectifs à atteindre. Des manières de concevoir, nous avons fait un schéma synthétique où se distingue le means-oriented design (conception orientée sur les moyens) du goal-oriented design (conception orientée sur les objectifs). Et pour les objectifs, nous avons repéré ceux concernant davantage le procès de ceux portant sur la finalité (page 41).
La deuxième partie a analysé divers concepts se penchant sur une des principales questions de notre ère : comment changer notre manière de concevoir, de produire et de consommer pour pallier la raréfaction des ressources, à la destruction de notre environnement et à la dégradation de nos sociétés humaines. La question spécifique à ce mémoire fut de savoir le rôle qu'à l'adhocisme dans ce questionnement.
Adhocisme et C2C De par son souci de pureté des éléments et de démantèlement des produits, le C2C pourrait permettre de faciliter la récupération d'éléments non seulement pour le recyclage, mais aussi pour un réemploi direct. Cependant, pour être C2C, la matière ne doit pas s'hybrider à des matières incompatibles durant l'usage et peut supposer un cadre restrictif d'utilisation voire une remise en cause de la notion de propriété matérielle. Nous avons alors mobilisé deux concepts abordant ces préoccupations. D’abord, le Cradle to Cradle (C2C), qui parle de concevoir en vue de renouveler la matière à l’infini selon deux cycles de renouvellement (la biosphère et la technosphère). Le C2C parle de régénérer à l’infini les ressources, car parle d’une production bénéfique pour l’environnement, à l’exemple de systèmes naturels qui, dans leur abondance, produisent plus que nécessaire pour eux, si ce n’est pour l’environnement cohabitant. Les limites de ce concept ont été jaugées par Rotor, qui, en analysant une entreprise de recyclage de plâtre labellisée C2C, a remarqué l’effort qu’a couté le trie d’une récupération non homogène vis-à-vis d’un résultat loin d’être l’idéal C2C. En vue de récupérer des matériaux homogènes, la difficulté du C2C réside dans la généralisation de ce concept. Une autre solution est de rendre responsable l’entreprise de la production au recyclage de ses produits, avec un système où le consommateur n’est plus propriétaire de la matière, une relation biaisant l’adhocisme qui pourrait réduire encore plus la possibilité de s’approprier notre environnement matériel.
Ensuite, nous avons parlé de la Super-utilisation, qui parle de ralentir la production et la pollution en réemployant directement des éléments. Une motivation qui pousse à récupérer les délaissés, s’en contenter, et chercher à les appliquer à la construction, nous renvoyant au concept d’adhocisme. Mais dans la recherche actuelle d’une performance d’usage (facteur important à l’échelle d’un bâtiment), ce concept de Super-utilisation peut passer pour inadéquat et, en terme économique, peut devenir effectif que si son application est assez généralisée.
Le temps de l’adhocisme L’adhocisme parle d’une efficacité différente de celle d’un chantier se voulant rapide et peu chère. Si dans la définition de l'adhocisme on parle de rapidité, la notion de temps long peut paraitre contradictoire, mais n’est-ce pas au sens d'une adaptation allant à l'essentielle, exploitant bien les propriétés des matériaux et demandant peu de transformation de ces derniers, même si cela requiert un certain temps de mise en œuvre ? La généralisation du réemploi réfère à l’architecture déconstructible (Le Design For Disassembly), à l’anticipation prononcée, en contraste de ce que nous développions avec l’adhocisme, qui parle d’improvisation. Nous avons ainsi exploré les associations possibles entre improvisation et anticipation. D’abord, nous avons parlé d’opposition. D’un côté, l’image du désassemblage optimal, qui peut nous évoquer une architecture complètement préfabriquée en industrie, montée rapidement et facilement modifiable, telle la Huf Haus Allemande. De l’autre, le réemploi de matériaux qui, d’une certaine manière, détourne la notion même d’anticipation et s’inscrit dans un temps différent, plus long. C’est ainsi que des oppositions telles que le générique contre le spécifique peuvent se penser. Mais, sachant que ces deux notions recèlent des potentiels de généralisation du réemploi, c’est en cherchant des corrélations que le mémoire s’est tourné.
De l’improvisation à l’anticipation
•Outre les produits réalisés à partir de débris, chutes ou restes (dont la Rebirth Brick de Liu Jiakun), nous pouvons envisager des produits issus de la déconstructibilité directe d’objets, à l’exemple des panneaux de bois du Lendager Group fait à partir de montants de fenêtres.
•Dans la manière d'hybrider et d'utiliser les systèmes existants semble s'y cacher des manières nouvelles d'assembler et d'utiliser les matériaux pouvant influencer les techniques de mise en œuvre et, pourquoi pas, la production des matériaux eux-mêmes. Ainsi, l’un des caractères de l'adhocisme, l’association de systèmes épars, ferait l'objet d'une fin en soi. C’est ainsi que, de ces notions semblant les opposées d’un même spectre, nous avons réfléchi à la manière dont ils pouvaient dialoguer. Par conséquent, nous avons mis en parallèle des exemples mettant en lien improvisation et anticipation, allant dans le sens d’une possible généralisation du réemploi. Ces exemples se sont distingués selon deux manières d’appréhender ce qui est réemployé (soit en le considérant comme un matériau, soit comme le constituant d’un nouveau matériau). Ainsi, nous avons fait un parallèle ente bâtir des murs en cageots de bois et en bâtir avec des bouteilles qui ont été prévues pour ça. Nous avons vu ensuite l’évolution de la Rebirth Brick de Liu Jiakun, transposable au developmental adhocism. Nous avons fini ce chapitre en parlant de la création de parements en bois du Lendager Group, issu de la déconstruction des bois de fenêtres. Nous avons précédemment supposé un mouvement inverse, la recherche de déconstructibilité ou de C2C facilitant ces pratiques.