agir n° 5 - 1/2012

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agir››››››››››› LE MAGAZINE DE L‘ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE | Nº 5 | 1 / FÉVRIER 2012

Haïti Deux ans après le séisme, l‘aide continue


ÉDITORIAL

SOMMAIRE

De l’Ethiopie à Neuchâtel, y a-t-il un point commun ? Cette première édition 2012 d’agir témoigne de la diversité de notre action mais vous permettra aussi d’en percevoir le fil rouge, en Suisse et dans le monde. En Ethiopie, alors que la population attendait la pluie depuis plus de deux ans, voilà qu’elle débarque beaucoup trop fort et inonde les champs que l’on venait juste d’ensemencer. Une tragédie dans l’effort de rendre l’autonomie alimentaire à ceux qui ont déjà tout perdu ; pas d’aide humanitaire sans perspective à long terme. Cet engagement sur la durée est exigeant, comme en témoigne le compte-rendu de Joëlle Herren, de retour de nos projets en Haïti ; deux ans après le séisme, alors que nombre d’ONG ont déjà quitté l’île, l’EPER construit des maisons parasismiques en dur et travaille à redynamiser les possibilités de développement des communautés. La situation diffère-t-elle en Suisse ? Oui bien sûr si l’on regarde le type de problèmes à résoudre, mais non du point de vue de l’approche. L’intégration est un enjeu politique majeur, où s’affrontent plusieurs visions. La Suisse s’y révèle un élève plutôt médiocre en comparaison européenne, même si les cantons romands font bonne figure. Dans ses projets, l’EPER aide les migrants à mobiliser et à renforcer leurs propres ressources. A Neuchâtel par exemple, l’Espace Parents offre un lieu de confiance à des parents fragilisés par l’isolement. Il favorise leur inscription dans un tissu de relations et les oriente pour faire face aux questions concrètes et variées que posent notre système scolaire, les contacts avec l’administration ou la visite chez un médecin. De l’Ethiopie à Neuchâtel, l’approche de l’EPER est cohérente. Elle mise sur la proximité avec les besoins des personnes concernées par son action, vise le renforcement de leur autonomie comme but et donne la préférence aux solutions durables. Sur des thèmes complexes, les résultats sont parfois moins immédiatement visibles, mais ils existent : l’EPER assure l’alimentation de 30 000 personnes en Ethiopie et l’offre « à bas seuil » élaborée par Espace Parents a été reconnue par la Ville de Neuchâtel, qui la soutient dès 2012. Deux résultats réjouissants, qui sont aussi une marque de fabrique de l’EPER. Entre l’Ethiopie et Neuchâtel, il y a Lausanne et sa salle du Bourg qui accueillera, lundi 26 mars, une lecture du texte « Flux migratoires » de Luisa Campanile, notre invitée en page 4. Une autofiction politique et poétique qui parle de la naturalisation des étrangers de deuxième génération et qui lancera la semaine de l’intégration de l’EPER. Vous y êtes tous conviés ! Bonne découverte, merci de votre soutien précieux et du bon accueil que vous ferez à ce magazine !

Philippe Bovey Secrétaire romand

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Editorial Aide humanitaire

Inondations dans la Corne

de l’Afrique

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L’invitée

Luisa Campanile

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Intégration sociale en Suisse

Du politique au terrain

6 L’Espace parents à Neuchâtel

Une cabane au carrefour

des cultures

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Aide humanitaire

Deux ans après le séisme,

un travail de longue haleine

en Haïti

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A ne pas manquer

En couverture  Marie Alina vit avec deux de ses filles et leurs enfants. Sa maison a été détruite pendant le séisme. C’était la première famille à bénéficier d’une nouvelle maison de l’EPER à Petit-Goâve. Photo : Andreas Schwaiger IMPRESSUM AGIR N°5, FÉVRIER 2012 ISSN 2235-0772 Paraît 4 fois par an Editeur : Entraide Protestante Suisse (EPER) Responsable de la publication : Olivier Graz Rédaction : Joëlle Herren Laufer Traduction : Sandra Först Impression : Jordi, Belp Tirage : 18 000 exemplaires Abonnement : CHF 10, déduits une fois par an de vos dons Adresse : Bd de Grancy 17 bis, case postale 536, 1001 Lausanne Téléphone : 021 613 40 70 Fax : 021 617 26 26 Internet : www.eper.ch E-mail : info@eper.ch CP pour les dons : 10-1390-5

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Proximité et autonomie

Photo : EPER

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AIDE HUMANITAIRE

Inondations dans la Corne de l’Afrique Le sud de l’Ethiopie est gravement touché par la famine. L’EPER distribue des vivres aux victimes depuis septembre en échange de travaux d’utilité publique.

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Photo : EPER / Judith Macchi

JUDITH MACCHI

« Nous étions si reconnaissants lorsque la pluie pour laquelle nous avions tant prié est enfin tombée ! raconte Jiba Jantani, une habitante du village de Boku qui bénéficie de l’aide de l’EPER. Mais maintenant, la pluie a détruit tout ce que nous avons planté : nos champs sont inondés. » Fin octobre, il a commencé à pleuvoir dans le district de Miyo, au sud de l’Ethiopie, où l’organisation partenaire de l’EPER, Oromo Self-Help Organization (OSHO), distribue depuis septembre des vivres à la trentaine de milliers de victimes de la sécheresse. Confiante, la population a recommencé, pour la première fois en deux ans et demi, à ensemencer les champs. Le travail a été laborieux : la majeure partie des bœufs ayant succombé à la sécheresse, elle a dû tirer ellemême les charrues ou travailler à la pioche. De plus en plus fortes, les précipitations ont néanmoins rapidement inondé une grande partie des terres fraîchement ensemencées. La population a ainsi vu s’évanouir ses espoirs d’une récolte prochaine et, partant, d’une autonomie retrouvée. D’une violence inouïe pour cette période de l’année, les précipitations ont succédé à la plus grave sécheresse que la région ait connue depuis 60 ans. Grâce aux distributions de sacs de nourriture, les enfants ne se couchent plus le ventre vide. Le maïs, les lentilles et l’huile fournis par l’EPER permettent aux familles de préparer un repas quotidien. Le complément alimentaire riche en matières minérales et en vitamines, spécialement adapté pour

les enfants et les personnes affaiblies, est quant à lui mélangé à de l’eau et servi pour le petit-déjeuner. Les vivres ne sont pas distribués gratuitement aux bénéficiaires : ceux-ci fournissent un travail d’utilité publique afin d’assainir l’infrastructure villageoise d’une part, et de mieux se préparer à d’éventuelles futures sécheresses et fortes précipitations d’autre part. Les routes d’accès aux villages sont ainsi réparées et des clôtures plantées. Ensablés lors des inondations, les puits traditionnels sont nettoyés, tandis que les champs sont terrassés et des réservoirs installés pour recueillir l’eau de pluie. Pour l’heure, il est prévu de poursuivre la distribution de vivres jusqu’en février. Le gouvernement éthiopien procède actuellement à une étude détaillée de la région avec l’ONU afin d’estimer les besoins de la population en 2012. L’EPER décidera sur cette base et sur celle de sa propre évaluation quelle suite donner à l’aide fournie à Miyo. Les espoirs de récolte étant tombés à l’eau, la distribution pourrait se poursuivre après février. La population a également impérativement besoin de semences et de bœufs afin de pouvoir à nouveau cultiver les terres dès les prochaines pluies, probablement à partir d’avril 2012. Anxieuse, Jiba Jantani nous a confié : « Nous faisons tout pour retrouver notre autonomie, et c’est notre vœu le plus cher. Mais en attendant, nous espérons que l’EPER et OSHO ne nous laisseront pas tomber. »


L’INVITÉE

Luisa Campanile JOËLLE HERREN LAUFER

Photo : Hélène Göhring

Votre premier roman, « Flux migratoires », parle de la naturalisation pour les étrangers de deuxième génération. Comment avez-vous vécu votre procédure ? Mal. J’en ai fait un zona. Mon corps a parlé pour faire sortir les bulles de l’esprit. Qui est « l’Autre » dans votre livre ? Le processus de naturalisation pousse vers la déconstruction du « je ». « L’Autre » représente celui qui provoque cette déconstruction et fait émerger les doutes et les vulnérabilités. Définir « l’Autre », c’est définir le « je ». Au bout du cheminement de « Flux migratoires », on trouve ce qu’il y a en commun entre « l’Autre » et « je », pour ne plus être étranger à soi-même. Comment le livre a-t-il été accueilli ? J’ai été touchée par l’écoute des collégiens genevois qui ont vu le spectacle à St-Gervais. Il y a un effet de miroir avec les jeunes. Les questions de la double appartenance et du métissage culturel sont difficiles et encore taboues, alors il y a eu un effet de résonnance. Du côté du public adulte, il y a aussi une bonne écoute car l’intime et le politique sont liés. Que vous apporte l’écriture ? Du silence à l’intérieur de moi. Je mets de l’ordre. J’ai édité en 2010 un recueil de poèmes : « De l’eau et d’autres désirs » aux éditions Samizdat, qui a reçu les distinctions du Jury de PoésYvelines. C’est un bel encouragement. Maintenant, j’écris des pièces de théâtre. La dernière, « Mère Solitude », a été lue au Théâtre du Loup en septembre 2011. En tant qu’étrangère de deuxième génération, en quoi votre parcours diffère-t-il de celui de vos parents, venus du sud de l’Italie ? Entre mes parents et moi, il y a une différence de projets de vie. Mes parents visaient un mieux économique. A ce niveau, je vais mieux que mes parents. Mais les deuxièmes générations ont la mission complexe et inconsciente d’être porteurs de liens à faire. Il faut traduire pour les parents, écrire des mots aux employeurs, traduire la double identité. Pour moi, ça m’a bloquée de ne pas pouvoir mettre en mot ces sensations liées à cette double appartenance.

Quelle est la recette d’une intégration réussie ? Je pense profondément que le terme d’« intégration réussie » n’est valable que pour les primo venants et non pour les enfants d’immigrés. En l’utilisant pour des deuxièmes générations, on nie notre présence depuis toujours en Suisse. Pour les premières générations, l’intégration réussie est un processus à long terme qui touche à la qualité de vie. Cela équivaut à se sentir à la maison dans son nouveau pays, à être bien à tous les niveaux, personnels et politiques. Pour les deuxièmes générations comme moi, l’intégration me fait penser à une béquille ou à une prothèse. Elle ravive la différence et prouve qu’on est encore loin du but. La France fait pire avec l’« assimilation ». Et que dire de l’intégration des étrangers en Suisse ? La politique « étrangère » marche bien dans la proximité, au niveau communal. Mais il y a un hiatus au niveau fédéral, où les deuxièmes générations sont toujours considérées comme des étrangers. Ce maillon-là est le dernier maillon de l’intégration, maillon très important de la reconnaissance. Quand un fonctionnaire lambda à la naturalisation qui a à peine terminé son école obligatoire vous félicite pour la qualité de votre français, c’est pénible. Quelle est la valeur ajoutée des étrangers en Suisse ? Une bombe à retardement de vitalité !

Luisa Campanile est née à Sion en 1973. Italienne et suisse, psychologue de formation, comédienne, metteure en scène et enseignante, elle est l’auteure de l’autofiction « Flux migratoires », Editons Xénia. Ce texte sera lu par Nathalie Boulin, comédienne, dans un espace sonore de David Scrufari, lundi 26 mars à 20 h au Bourg à Lausanne, pour lancer la semaine de l’intégration de l’EPER.

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INTÉGRATION SOCIALE EN SUISSE

Du politique au terrain

Photo : EPER / Walter Imhof

Petit tour d’horizon de l’intégration en Suisse à l’occasion de la semaine de l’intégration organisée par l’EPER du 26 au 31 mars.

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armi les chantiers actuels de la Suisse en matière de politique sociale, le bouclement de la révision de la loi sur les étrangers fait l’objet de discussions intenses. Le texte doit notamment clarifier la politique d’intégration de notre pays, révélant à ce propos des conceptions fort variables : est-on « bien » intégré quand on parle la langue du canton, quand on peut voter, quand on a un travail et un logement ou quand on est financièrement indépendant ? L’intégration relèvet-elle de la responsabilité propre des migrants ou de celle de l’Etat ?

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Les cantons romands bons élèves La politique suisse en matière d’intégration se situe au-dessous de la moyenne européenne. Sur la base de 148 indicateurs, le « Migrant Integration Policy Index » (www.mipex.eu) classe en effet la Suisse au 23 e rang sur 31 pays occidentaux analysés. Notre pays obtient des résultats satisfaisants dans les domaines de la formation et de la participation politique mais fait partie des mauvais élèves dans les domaines du regroupement familial, de l’accès à un séjour durable ou de la protection contre la discrimination (30 e sur 31). Ce constat général résume une situation très disparate selon les cantons, qui sont les acteurs principaux de la mise en œuvre des lois fédérales. Face à des textes formulés de manière très générale, la Suisse romande envisage sa politique d’intégration de façon plutôt libérale et inclusive, selon le principe de l’ « intégration par la participation ». Tous les cantons romands ont par exemple introduit le droit de vote des étrangers au niveau communal pour les étrangers établis depuis plus de dix ans. Le

Valais, Zurich et le Tessin se trouvent dans une ligne médiane, face aux cantons alémaniques qui appliquent une politique d’intégration restrictive, avec des exigences très élevées pour la naturalisation ou l’intégration culturelle et un accès limité au marché du travail. Les politiques d’intégration cantonales dessinent donc un clair « Röstigraben ». Débats politiques et projets concrets La révision par la Confédération de la Loi sur les étrangers s’attaque à ce problème. Un consensus large se dégage autour de quatre principes : réaliser l’égalité des chances, tirer parti des potentiels, prendre en compte la diversité et promouvoir la responsabilité propre. D’autres points font par contre l’objet de controverses. Faut-il par exemple établir un lien entre droit de séjour et intégration, au risque de subordonner l’intégration aux priorités d’une politique d’autorisation de séjour ? L’idée d’un « contrat d’intégration » divise aussi fortement les régions linguistiques de Suisse et les partis. Les Eglises et des œuvres d’entraide comme l’EPER ont empoigné la question de l’intégration depuis des décennies pour suppléer aux lacunes de l’Etat. L’EPER a constaté combien le manque de connaissances linguistiques empêche l’accès à l’information. Elle a donc développé des projets interculturels, permettant l’information des migrants dans leur langue maternelle sur des thèmes liés à l’éducation, l’école, la santé ou notre système d’assurances sociales. De même, elle a développé des projets « à bas seuil », facilement accessibles pour des publics qui échappent aux offres de conseil habituelles. Le reportage sur l’Espace parents développé à Neuchâtel illustre cette approche.


INTÉGRATION SOCIALE EN SUISSE

Une cabane au carrefour des cultures L’ Espace parents offre un lieu de confiance, de proximité et de convivialité à des personnes isolées ou en manque de repères à de Neuchâtel. Reportage à la Villa Yoyo. JOËLLE HERREN LAUFER

L’Espace parents fait des petits !

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Convaincue par le concept de l’Espace parents déployé dans un local par ailleurs bien fréquenté par les enfants, la Ville de Neuchâtel, qui est en train de développer son offre para-scolaire, a décidé de soutenir l’EPER pour reproduire cette structure d’accueil dans d’autres quartiers défavorisés en périphérie de la ville. Un Espace parents sur le même modèle que celui de la Villa Yoyo devrait ouvrir prochainement ses portes aux Acacias.

ichée au cœur du quartier très métissé de Serrières à Neuchâtel, la Villa Yoyo est au carrefour des cultures. Ses allures de roulotte font de cette ancienne buvette en bois un abri multifonctionnel. D’un lieu convivial et coloré d’accueil journalier postscolaire pour plus d’une trentaine d’enfants défavorisés du quartier, elle se mue en Espace parents les mardis soirs et les jeudis matins. Avant chaque rencontre, Sophie Sarr, l’animatrice des adultes, change le décor. Elle cloisonne la partie enfants, tire des rideaux pour cacher les bibliothèques regorgeant de livres et de jeux, recouvre de nappes les petites tables servant à faire les devoirs. Elle pose un ordinateur et une imprimante d’un côté, de quoi faire du thé de l’autre. L’Espace parents est prêt, les adultes peu-

vent venir à leur gré, sans rendez-vous, pendant les deux heures d’accueil. « C’est important pour nous d’investir un lieu déjà très fréquenté par les enfants, cela nous permet d’entrer en contact avec les parents plus facilement et de les mettre en confiance », explique Sophie Sarr, responsable de ce projet d’intégration de l’EPER. Certains bénéficiaires ne sortent jamais de chez eux Les rencontres se déroulent généralement en deux temps. D’abord avec tout le groupe présent, puis de manière individuelle pour régler des questions spécifiques concernant chaque bénéficiaire. Les personnes qui fréquentent l’Espace parents sont

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Photos : © EPER / Olivier Cosandey

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motivées par différents besoins. Certaines viennent pour sortir de leur isolement. Dans ce cas, il n’est pas rare que Sophie Sarr joue le rôle de confidente. « J’aime ce lieu car on peut vider son cœur », lui a dit un jour une bénéficiaire. D’autres souhaitent rencontrer des gens et faire partie d’une communauté, tel Abdou*, ce médecin égyptien qui a fui la répression politique dans son pays il y a près de deux ans en quittant à contrecœur sa femme et ses enfants. D’autres encore viennent avec des demandes bien précises ayant trait à leur rôle de parents ou à des besoins concrets touchant aux aspects de leur vie quotidienne en Suisse.

Ce lieu est conçu comme un microcosme de l’apprentissage des bases de la vie sociale en Suisse. Il offre des pistes de formation en vue d’une meilleure intégration. Une Rom du Kosovo peu habituée à sortir de chez elle et s’exprimant avec beaucoup de difficultés en français s’est récemment lancée dans des cours de français qu’elle suit assidument chaque jour depuis quatre mois. « C’est un véritable succès, même s’il reste une kyrielle de problèmes à régler pour sa famille. Cette femme s’est mise en route et mobilise ses ressources propres. C’est tout l’enjeu de notre démarche », conclut Sophie Sarr. *Nom d’emprunt

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La langue commune est la français Ce soir, Sophie Sarr gère un atelier de discussion avec les habitués du lieu pour déterminer leurs attentes pour les prochains ateliers. Abdou, l’un des plus fidèles bénéficiaires du moment, relève les atouts du lieu. « Merci à Sophie qui crée cette communauté. Mais j’aimerais aussi pouvoir m’impliquer, apporter quelque chose aux autres, dit-il. Et de proposer : ce serait intéressant d’exploiter les compétences de chacun et d’en bénéficier tous, dans un esprit de solidarité. » La langue commune est le français. « Ce n’est pas toujours facile de se comprendre car les niveaux de français et les origines sociales sont très différents », explique l’animatrice. Cependant le brainstorming bat son plein à l’aide de dessins, car certains parents sont illettrés. Timidement, une bénéficiaire somalienne exprime un besoin : « J’aimerais bien ne pas avoir à serrer la main des hommes ». Cet aveu entraîne toute une discussion sur la thématique homme-femme. L’abord et la compréhension du système scolaire est un enjeu important pour ces parents principalement issus de la migration et qui n’ont jamais l’occasion de sortir de leur communauté. Des codes implicites sont souvent liés aux consignes scolaires et s’il existe en plus un problème de langue, les parents sont perdus. L’animatrice sociale accompagne les parents sur leur demande lors d’un premier rendez-vous avec l’enseignante par exemple, afin de les mettre en confiance. Des ateliers sur le système scolaire sont prévus pour familiariser les parents à certaines notions. Un interprète culturel intervient de temps à autre quand la langue freine trop la compréhension.

Bénévolat Amateurs de jardinage recherchés Les Nouveaux Jardins de l’EPER à Yverdon, Villeneuve et Lausanne cherchent des bénévoles pour accompagner des migrants dans leurs travaux de jardinage et mener des activités dans les jardins avec les enfants. Le projet des Nouveaux Jardins vise à favoriser l’intégration des personnes migrantes par le jardinage. Si vous aimez le jardinage au grand air et disposez d’une après-midi libre par semaine de mars à octobre, contactez Chloé Manfredi : 021 613 40 70 ou 077 489 89 85 ou manfredi@ eper.ch


AIDE HUMANITAIRE

Haïti « Je suis heureuse de pouvoir dormir au sec. » Pour Haïti, le séisme a été comme un coup de massue. Des familles déjà très précarisées se sont retrouvées sans toit pendant des mois. L’EPER apporte sa contribution à la reconstruction permanente, durable et sécurisée tout en ayant soin de faire participer les bénéficiaires aux travaux. JOËLLE HERREN LAUFER (TEXTES) ET ANDREAS SCHWAIGER (PHOTOS)

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eux ans déjà que la terre a tremblé en Haïti ! Ce 12 janvier 2010, une minute de secousses a suffi à écraser des milliers de maisons, agenouiller des églises, anéantir des écoles, éventrer des ministères publics, défoncer des routes. Rosmita Lindor et ses quatre enfants vivaient à Port-au-Prince. Ils ont juste eu le temps de sortir de chez eux avant que leur maison ne s’écroule. Après des jours d’errance dans des rues jonchées de morts, sans rien à boire ou à manger, Rosmita et les siens ont rejoint un camp d’urgence. Six mois plus tard, Rosmita a jugé que la promiscuité et la violence au sein du camp devenaient dangereuses pour sa fille de 14 ans. Elle a donc quitté la capitale pour rejoindre sa sœur en province. La Grande Anse a ainsi vu des flots de personnes débarquer de la capitale ou de zones sinistrées après le séisme. L’accueil des nouvelles familles a posé de sérieux problèmes à cette population paysanne qui avait déjà de la peine à nouer les deux bouts.

Implantée dans cette province depuis 38 ans, l’EPER a monté, avec ses organisations partenaires des projets visant à soulager économiquement ces déplacés et leurs familles d’accueil. Dans un premier temps, 1046 bourses scolaires ont été offertes pour que les enfants déplacés puissent reprendre le chemin de l’école dans leur nouvelle zone d’habitation. « L’éducation nous permet de marcher la tête haute. Cela aide nos famille et nous permet de faire des bons choix », témoigne Madeleine, une écolière de cinquième année au bénéfice d’une bourse. Pour générer des revenus auprès des déplacés et de leurs familles d’accueil, l’EPER et deux réseaux d’organisations de producteurs agricoles se sont lancés dans la réfection de pistes rurales, une activité communautaire utile aux villages isolés de la Grande Anse. Deux axes routiers équivalant à 20 km ont été choisis. La réhabilitation de ces routes nécessite une forte intensité de main-d’œuvre qui

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n’a pas besoin d’être qualifiée. « Comme le peuple a soif de travail, les gens se pressent au portillon, explique Pierre Jean, maître d’œuvre du premier tronçon rejoignant Carrefour à Glacis, sur les hauteurs de Dame-Marie. Les travailleurs œuvrent cinq jours par semaine mais ne sont payés que pour quatre jours, c’est notre manière de leur demander une participation communautaire. »

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La route comme facteur de développement Un aveugle se réjouit de cette nouvelle route : « Elle est pour moi ! ». Le travail varie selon les tronçons. Il va du simple nettoyage avec nivellement de la route existante, à la confection de rubans bétonnés pour les passages les plus raides, en passant par le pavage, le creusement de canaux sur les côtés pour l’écoulement de l’eau ou le montage de murs de soutènement pour éviter les effondrements de terrain sur la route. « Avant, on pataugeait dans la boue quand il pleuvait ; maintenant, les enfants peuvent arriver propres à l’école ! », raconte un riverain. « La route facilite le transport des matériaux de construction destinés au centre de santé de Bocan. Elle est aussi utile aux écoliers et aux marchandes qui se rendent à Jérémie et Portau-Prince pour écouler leurs récoltes », explique celui que tous appellent Monsieur Jean. Et Denise Lalanne Gadjee, coordinatrice du réseau, d’ajouter : « En période de choléra, la route permet d’agir vite ; plus besoin de porter les malades sur un brancard ou sur une moto, on peut venir les chercher en voiture. » Si appréciés que soient ces apports de revenu, les dégâts causés aux habitations demeurent une grande préoccupation en Haïti. Deux ans après le séisme, les camps de tentes, de ceux qui ont fleuri après le tremblement, sont encore nombreux. Ils occupent des places stratégiques dans les villes, ou viennent grossir les bidonvilles qu’Haïti connaissait si bien le long des routes. Les tentes bleues, consolidées tant bien que mal par d’autres bâches ou plastiques, sont collées les unes aux autres, en masse compacte. La bourgade de Petit-Goâve, proche de l’épicentre, déplore la destruction de

près de 6 000 maisons et l’endommagement de 24 000 autres. Marie Alina, 74 ans, est l’une des premières bénéficiaires du projet de reconstruction de l’EPER. Sa maison s’est littéralement écroulée lors du tremblement de terre. Elle y vivait avec deux de ses filles, seules à élever leurs quatre enfants, dont un né dans la rue peu après le séisme. « Cette famille était déjà très précarisée avant le tremblement de terre, explique Anaël Tataille, en charge des questions sociales de l’EPER, raison pour laquelle elle a été prioritaire ». Quitter une tente en piteux état dont tous les voisins se moquaient en l’appelant la « tente macaque » a permis à ces femmes et enfants de retrouver une dignité. « Je suis heureuse que nous puissions enfin tous dormir au sec », conclut Marie avec un grand sourire. L’EPER mise sur des constructions durables Contrairement à d’autres ONG qui se sont concentrées sur la construction d’abris provisoires, l’EPER répare ou bâtit des maisons définitives en béton armé à Petit-Goâve, respectant les normes parasismiques et para-cycloniques. « La durée de construction est plus longue et plus coûteuse que pour du temporaire, mais ces maisons répondent aux normes de sécurité et ne s’envoleront ou ne s’écrouleront pas à la première catastrophe », explique Javier Gil Elias, chef du projet reconstruction. Un point que les bénéficiaires apprécient, encore traumatisés qu’ils sont par le souvenir des personnes emprisonnées dans des masses de béton qui n’ont pas pu être secourues. 18 équipes de maçons à l’œuvre L’EPER a mis en œuvre tout un processus participatif qui intègre population et autorités. Des travailleurs sociaux se sont rendus sur le terrain et ont recueillis et vérifié des données auprès des 579 foyers des zones de Grand-Chemin et Meilleure-Eau. Cela a permis de pointer, dans la phase pilote et parmi les détenteurs d’un titre de propriété, les 18 ménages les plus démunis sur les 400 prévus et de déterminer, de concert avec les comités locaux,


AIDE HUMANITAIRE

ceux dont les maisons seraient réparées ou intégralement reconstruites. Roland Hürlimann, responsable de l’EPER à Petit-Goâve, aime la cohérence du projet : « On ne sert pas l’aide sur un plateau. On demande aux bénéficiaires de participer aux travaux. Cela donne une autre valeur à leur habitat. Et puis, comme on n’a pas beaucoup d’argent, on doit trouver des astuces pour recycler le matériel. Aidée de son mari et d’un cousin, Eliane Dorvil, travaille à la réparation de sa maison. « C’est le ‹ boss maçon › qui nous dit ce que nous devons faire. Nous portons l’eau et les blocs de ciment, et sommes à disposition pour apporter les outils ou mélanger le mortier. » Elle se réjouit déjà de voir sa maison terminée. Elle la peindra en rose et crème. Une maison est ainsi prête en trois à cinq semaines. Vingt des 400 constructions sont déjà achevées. L’avantage du projet, c’est qu’il crée toute une dynamique de développement de la communauté locale. Les matériaux sont achetés sur place et les maçons sont recrutés dans la région. Ils reçoivent une formation en maçonnerie chaînée parasismique proposée par la coopération suisse. Du sur-mesure en fonction des besoins Parallèlement, dans la Grande Anse, l’EPER a aussi terminé dix maisons définitives sur les 25 prévues. Celles-ci sont destinées à des familles très vulnérables qui ont perdu leur habitat dans le séisme et se sont réfugiées en province, où elles possédaient une terre. « Nous avons beaucoup débattu pour déterminer s’il fallait construire des maisons blocs,

en béton comme à Petit-Goâve, ou des maisons traditionnelles », expose Kurt Schneider, agronome de l’EPER. C’est la deuxième option, celle des maisons en clisse, qui a été choisie. Avec des poteaux en bois, un entre-croisage de lattes de palmier, le tout recouvert de crépissage, ce type de maison est très répandu en zone rurale. « De par ses matériaux, elle résiste bien aux séismes et cyclones et coûte la moitié du prix d’une maison en ciment. De plus, elle correspond mieux aux connaissances des maçons et des charpentiers locaux. » A Dame-Marie, les bénéficiaires suivent l’évolution de leur chantier aux côtés du maçon et du charpentier. Ils participent financièrement et matériellement à la maison, et, comme à Petit-Goâve, sont au service des deux « boss ». Les maisons offrent, en plus de la ou des deux pièces intérieures, en fonction du nombre d’habitants, un coin citerne avec filtre à eau, évier et lavoir, un four écologique à bois et des latrines extérieures. Pas étonnant dès lors que les bénéficiaires interrogés se disent, en bloc (ou en clisse !), heureux de leur nouvel habitat. Quant à Rosmita Lindor et ses trois enfants, la route a été longue depuis ce fameux jour de janvier où elle a dû tout quitter à Port-au-Prince. Avant de pouvoir construire sa maison à Dame-Marie, elle a dû batailler avec un avocat pour obtenir un titre de propriété que son mari ne voulait pas lui céder, emprunter de l’argent et solliciter la famille. Mais elle et ses trois enfants n’auront plus de souci de logement ces prochaines années. Grâce à sa maison, la famille dispose maintenant d’un toit et de murs solides qui l’abriteront pour les années à venir.

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« Nous vivons dans une tente pendant les travaux de réfection de notre maison. »

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La maison est encore vide, tous les meubles de Violette et Gédéon ont été détruits dans le séisme, mais ils sont heureux d’avoir un toit.


Photo : EPER

Photo : EAPPI

Photo : Valentin Flauraud

A ne pas manquer

20km de Lausanne Devenez « Champion Solidaire »

3 -15 septembre 2012 Voyage pour les donateurs en Palestine/Israël

Lundi 26 mars Invitation : lecture-spectacle « Flux migratoires »

« Champion Solidaire » a été choisie comme l’action phare soutenue par les organisateurs de l’édition 2012 des 20km de Lausanne qui aura lieu le samedi 28 avril 2012. Venez rejoindre les rangs des champions solidaires en courant avec un bandana coloré ! Une manière de courir autrement, en affichant sa solidarité pour les populations du Sud. Cette année, un des projets soutenus par les trois œuvres d’entraide que sont le DM-Echange et Mission, Pain pour le Prochain et l’EPER vise à freiner l’exode des jeunes au Honduras par la valorisation du travail agricole.

L’EPER invite ses donateurs à participer à un voyage pour découvrir son travail en Palestine/Israël au travers d’échange avec ses organisations partenaires et la population. Dans cette région, l’EPER s’engage depuis plus de dix ans en faveur d’une paix fondée sur la justice et le respect des droits humains en promouvant la collaboration d’organisations audelà des frontières.

L’EPER vous convie à la représentation de « Flux migratoires », de Luisa Campanile, pour lancer sa semaine de l’intégration. Cette autofiction politique et poétique, parue aux éditions Xenia, aborde la question de la naturalisation pour les deuxièmes générations (Lire l’interview de Luisa Campanile à la page 4). Lecture de Nathalie Boulin, comédienne, dans un espace sonore de David Scufari.

Programme : rencontre des partenaires, visites culturelles et découverte des projets de l’EPER, dégustations culinaires, discussions. Le voyage passe par Jaffa, Akko, Nazareth, Nablus, Yanoun, Bethléem et Jérusalem.

Lundi 26 mars 2012 Accueil dès 19 h 00 Spectacle à 19 h 30 Café-théâtre Le Bourg, Lausanne Information et inscription : info@eper.ch, 021 613 40 70

Pour courir sous les couleurs de Champions Solidaires ou acheter un bandana de soutien : www.championsolidaire.ch ou par courrier à PPP, Champion solidaire, av. du Grammont 9, 1007 Lausanne

Plus d’info sur www.eper.ch Renseignements et inscriptions : Nicole Pignolet, 021 613 40 83 pignolet@eper.ch

Photo : EPER

Elections au sein du Conseil de fondation de l’EPER

Le Conseil de fondation de l’EPER à partir du 1er janvier 2012 (de g. à dr.) : Walter Schmid-Ackeret, Fritz Schneider, Doris Amsler-Thalmann, Claude Ruey, René R. Hürlimann, Martin Stingelin, Kristin Rossier Buri, Jacques-André Schneider.

Le 8 novembre 2011, l’Assemblée des délégués de la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS) a réélu Claude Ruey pour un nouveau mandat de quatre ans en tant que président du Conseil de fondation de l’EPER. Doris Amsler, actuelle vice-présidente, a elle aussi été réélue pour quatre ans. Le Conseil de fondation a également accueilli un nouveau membre en la personne de Fritz Schneider. Il passe ainsi de sept à huit membres.

Petits moyens, grands effets.


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