agir››››››››››› LE MAGAZINE DE L‘ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE | Nº 8 | 4 / OCTOBRE 2012
Construire des perspectives d’avenir au Sénégal
ÉDITORIAL
SOMMAIRE
Agir vous donne régulièrement un aperçu des défis auxquels nous sommes confrontés dans notre travail. Au-delà de la variété des projets, des régions ou des domaines, un même défi : garder le cap quels que soient les contextes. En Suisse comme à l’étranger, l’EPER est en effet active sur des terrains pour le moins « volatiles ». Les débats très émotionnels et tendus de cet été autour de la révision de la loi sur l’asile, la dixième en quelques années, donnent une idée des conditions dans lesquelles nos juristes travaillent et travailleront. Les articles de ce numéro d’agir illustrent ce défi dans d’autres domaines. L’aide humanitaire est bien sûr un premier exemple. Les échos du conflit syrien ont suscité une forte émotion et de nombreux donateurs nous pressent d’agir par leurs dons. Garder le cap dans cette situation confuse signifie que l’EPER ne cède pas au sentiment d’urgence – par ailleurs fort compréhensible – mais prend le temps d’évaluer sur place quelle intervention sera la mieux adaptée. Prise de distance certes difficile face à l’actualité, mais qui permet d’inscrire les résultats dans la durée. Le reportage au Sénégal montre comment l’EPER garde le cap d’une autre façon, en tenant compte de la complexité des situations concrètes : tensions entre droit traditionnel et droit foncier formel autour de la propriété terrienne, promotion de méthodes écologiques n’aggravant pas l’érosion des sols, patient travail de renforcement des compétences et de sensibilisation des communautés à leurs droits. Pas de médiatiques succès à court terme ni de solutions préfabriquées, mais des progrès notables à l’échelle de la communauté qui seront mis en valeur par l’EPER lors de sa campagne nationale consacrée cette année au Sénégal. En Suisse, nos Permanences volantes sont confrontées à la complexité des parcours de vie, aux conséquences imprévues de la crise économique en Europe et à la précarité extrême. Garder le cap exige ici, paradoxalement, une grande souplesse, pour rester centré sur les besoins des sans-papiers visés par ce projet. Vous avez répondu nombreux, et le plus souvent avec grand enthousiasme, à notre récent sondage : vous aimez nos articles, la forme et le fond, et soutenez notre travail à grands points d’exclamation. Grand merci à vous, avec point d’exclamation aussi ! Excellente lecture, merci de votre précieux soutien et bel automne coloré,
Philippe Bovey Secrétaire romand
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Editorial Aide humanitaire
Les réfugiés syriens affluent
en Turquie
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L’invité
Vincent Zodogome
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Offrir son aide
Des cadeaux qui font coup double
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Développement des communautés rurales
Sénégal : nouvelles perspectives
pour le village de Soune
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Intégration sociale en Suisse
La précarité à notre porte
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Actuel et agenda
Couverture Photo : Christian Bobst Babacar Pouye, écolier au Sénégal IMPRESSUM AGIR N°8, OCTOBRE2012 ISSN 2235-0772 Paraît 4 fois par an Editeur : Entraide Protestante Suisse (EPER) Responsable de la publication : Olivier Graz Rédaction : Joëlle Herren Laufer Traduction : Sandra Först Impression : Jordi, Belp Tirage : 16 200 exemplaires Abonnement : CHF 10, déduits une fois par an de vos dons Adresse : Bd de Grancy 17 bis, case postale 536, 1001 Lausanne Téléphone : 021 613 40 70 Fax : 021 617 26 26 Internet : www.eper.ch E-mail : info@eper.ch CP pour les dons : 10-1390-5
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Chère lectrice, cher lecteur
Photo : EPER
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AIDE HUMANITAIRE
Les réfugiés syriens affluent en Turquie L’EPER prévoit une distribution d’articles d’hygiène dans des camps de refugiés en Turquie situés à la frontière syrienne.
Photo : EPER / Hans Polak
JOËLLE HERREN LAUFER
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ans une Syrie déchirée par les combats, nombreux sont ceux qui fuient leur patrie pour les pays limitrophes : Irak, Jordanie, Liban, Turquie. Ils ont dû partir très vite, sans avoir pu emporter ni habit ni nourriture, laissant parfois derrière eux leurs proches avec lesquels ils n’ont plus aucun contact, craignant de ne plus jamais revoir leurs maisons. Plus de 100 000 personnes ont déjà trouvé refuge en Turquie. Elles sont principalement logées dans des camps, mais aussi chez des particuliers. Hanns Polak revient d’une visite dans la province anatolienne de Gaziantep, située à la frontière nord de la Syrie. Le but de sa mission était d’évaluer les possibilités d’intervention de l’EPER pour venir en aide aux réfugiés syriens. Dans la ville turque de Karkamis, à la frontière avec la Syrie, il a été frappé par le nombre de voitures syriennes venant s’approvisionner en nourriture et en produits de tout genre. « Un camion était rempli de couches pour bébé. On m’a expliqué qu’elles servaient à panser les blessés ! » Pour sa visite, Hanns Polak était accompagné d’un responsable de l’ONG turque Anatolian Development Foundation (ADF), partenaire de l’EPER dans différents pays depuis plusieurs années et spécialisée en aide humanitaire. Grâce à ADF et à sa bonne implantation dans la région, Hanns Polak a pu visiter deux des trois camps qui fonctionnent à plein régime. C’était la première fois que leurs portes s’ouvraient à des étrangers. Le camp de Karkamis, dirigé par l’organisation étatique d’aide en cas de catastrophe AFAD dépendant du premier ministre, héberge 7000 personnes regroupées par familles dans 1534 tentes. « J’ai été
impressionné par la tenue du camp et l’hospitalité générale des Turcs qui ont très bien organisé toutes les distributions de nourriture. Du côté des réfugiés, il y a une grande reconnaissance de l’aide apportée. De plus, les Syriens se sont tout de suite organisés entre eux pour créer des classes pour les enfants ». Mais les réfugiés manquent d’articles d’hygiène pour leurs besoins quotidiens tels que savons, poudre à lessive, rasoirs, linges, serviettes hygiéniques et couches. De plus, avec l’arrivée de l’hiver et des températures qui peuvent baisser jusqu’à -10°, les réfugiés manqueront aussi d’habits chauds, de couvertures, de tentes résistantes au froid, ainsi que de poêles pour chauffer les tentes. Dans un contexte où la fin de la guerre en Syrie n’est pas à l’ordre du jour, avec un déplacement des combats vers la frontière turque, quelque 14 000 personnes qui attendent aux frontières la permission d’entrer en Turquie et l’arrivée de l’hiver, il est à craindre que le nombre de réfugiés augmente, et que les besoins humanitaires ne puissent plus être couverts par le seul gouvernement turc comme c’est le cas aujourd’hui. L’EPER prévoit dans un premier temps de venir en aide aux réfugiés de la province de Gaziantep. Cette aide humanitaire sera menée en partenariat avec Caritas Suisse et implémentée par ADF. La première étape de l’aide d’urgence devrait consister à distribuer des articles d’hygiène aux familles.
Pour tout don : CP 10-1390-5, mention « Syrie » ou SMS au 2525 en envoyant « SYRIE 25 » (pour un don de CHF 25 par exemple)
L’INVITÉ
Vincent Zodogome « Ce n’est pas seulement le cœur qui parle, mais aussi la raison » Quel est l’apport de l’EPER à la FEDEVACO ? C’est donnant donnant. De par leur professionnalisme, les grosses ONG comme l’EPER crédibilisent notre action en apportant une visibilité et une expertise dans nos commissions tant techniques que d’information. L’EPER a de très bons projets sur différentes problématiques et dans de nombreux pays. Comment l’aide au développement a-t-elle évolué ? Ce qui a changé, c’est l’approche. Avant, on venait avec de la condescendance et de l’argent et on disait : « Vous avez besoin de ça, on vous le fait ». Beaucoup de projets ont échoué car les bénéficiaires n’ont pas pris en main ce qui devait être leurs outils. On croyait bien faire mais ce n’était pas adapté. Maintenant, les bénéficiaires sont au centre de la conception et de la mise en œuvre des projets. Au final, on cherche la durabilité du résultat.
JOËLLE HERREN LAUFER
Quel est le rôle de la FEDEVACO ? La Fédération vaudoise de coopération (FEDEVACO) rassemble de petites, moyennes et grandes ONG du canton, dont l’EPER. Elle les représente devant les autorités communales, cantonales et fédérales pour le soutien financier aux actions concrètes qu’elles mènent dans les pays du Sud et de l’Est. Chaque projet soumis à financement est évalué et validé par la FEDEVACO. Cela évite à ces institutions de recevoir des centaines de demandes isolées. La FEDEVACO propose également des formations, notamment en gestion de projet, surtout destinées aux petites ONG, afin d’améliorer constamment la qualité du travail sur le terrain. Y a-t-il d’autres fédérations du même type ? C’est une particularité latine en Suisse. La FEDEVACO a démarré ses activités il y a 22 ans sur le modèle de la Fédération genevoise de coopération (FGC), qui fonctionne avec succès depuis 45 ans. Depuis, les autres cantons romands et le Tessin nous ont emboîté le pas. Tous ensemble, nous formons le Fédéréseau. Quels sont les ingrédients d’un bon projet ? Un bon projet doit répondre aux besoins des bénéficiaires, c’est primordial : ils doivent être impliqués dans la préparation et la réalisation du projet. De plus, les solutions identifiées doivent être pertinentes pour répondre à leurs difficultés. Enfin, elles doivent être viables à long terme.
Quels sont, au niveau mondial, les défis à relever ? Il y a les constantes que sont l’accès à l’eau potable, la promotion de politiques diminuant les effets négatifs sur le climat et enfin la diminution de la pauvreté, qui comprend l’accès à la santé et à l’éducation. Mais il y a surtout un énorme problème qui touche la jeunesse. Le chômage se répand de manière effrayante à travers le monde. Les jeunes quittent leurs villages pour la ville, et le Sud pour le Nord. Tant que les jeunes ne trouveront pas de travail chez eux, ils s’exileront. C’est un problème d’équilibrage de la création de richesse. Maintenir la jeunesse chez elle devrait constituer une priorité de tous les pays. La FEDEVACO a eu de très bons résultats en 2011, pensezvous qu’elle poursuivra sa progression cette année ? Nous avons atteint un record l’année passée en provenance des communes vaudoises. L’idée de la solidarité communale fait son chemin. Il faut dire qu’on est parti de très loin. La plupart des grandes villes sont partenaires de la FEDEVACO. Reste maintenant à convaincre toutes les autres que chaque contribution financière, même limitée, peut faire la différence. Qu’est-ce qui vous motive personnellement dans ce domaine ? J’ai quitté le Bénin en 1978 pour venir faire mes études en Suisse. Ce n’est qu’une fois ici que j’ai pris conscience que je pouvais faire quelque chose pour mon pays. J’ai donc créé l’Association solidarité avec les villages du Bénin (ASVB). La FEDEVACO m’a ouvert les yeux et ma manière d’agir a beaucoup évolué. Ce n’est plus seulement le cœur qui parle ; la raison l’accompagne !
Vincent Zodogome est ingénieur civil et consultant en gestion de systèmes intégrés qualité, environnement, sécurité et santé au travail. Président de la Fédération vaudoise de coopération (FEDEVACO), il gère parallèlement l’Association solidarité avec les villages du Bénin, active dans les domaines de la santé, de l’éducation et du développement socio-économique des populations rurales.
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Photo : EPER / Loïc Favre
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ENGAGEMENT
Offrir son aide Des cadeaux qui font coup double A l’approche des fêtes, l’EPER saisit l’opportunité de proposer à tout un chacun d’offrir des cadeaux qui ont du sens. Pas moins de 41 articles sont proposés. Ils vont de la vache à l’ange gardien, en passant par les poules et la ruche. De nouveaux cadeaux sont disponibles cette année, tels les palmiers doums, la machine à coudre ou le sac de millet. Le catalogue cadeaux permet de faire son shopping. L’objet choisi est offert sous forme de certificat à envoyer à ses proches. Le montant payé est attribué à un fonds précis correspondant à l’objet en question. Ainsi, à l’achat d’une chèvre par exemple, le proche reçoit un certificat et CHF 30 sont versés dans un fonds pour venir en aide aux communautés rurales. Un cadeau qui fait coup double !
Lancée en 2008, l’action Offrir son aide connaît un vif succès auprès du grand public et des donateurs de l’EPER.
Nouveautés cette année
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Machine à coudre Pour en découdre avec la pauvreté Les femmes hors castes veuves ou célibataires en Inde ou au Bangladesh peinent à être autonomes. L’EPER leur offre une aide de départ sous la forme d’une machine à coudre pour leur permettre de sortir de la misère et de gagner le respect de la communauté. N° article : A1201, CHF 100 Set de cartes postales Pour avoir les bonnes cartes en main Une manière d’innover par rapport aux certificats « Offrir son aide » ! Le set contient dix cartes postales : deux avec « une poule », trois avec « trois canards », deux avec « cinq hectares de terre » et trois avec « sept plants de moringa ». Les cartes peuvent être offertes individuellement. N° article : A1203, CHF 35 Pour commander : www.offrir-son-aide.ch Hotline téléphonique : 021 613 44 56 (8 h 30 –12 h et 13 h 30 –17 h)
Velmeena inspire le respect Velmeena, une Bangladaise de 20 ans, n’oubliera jamais le jour où elle a reçu sa première machine à coudre de l’EPER. La jeune fille est issue de la caste des nettoyeurs de latrines – les « intouchables » – une population marginalisée et discriminée sur le plan tant social qu’économique. Les nettoyeurs de latrines vivent dans la pauvreté, ils sont généralement analphabètes, sans emploi et souffrent de la faim. Contrairement à ses parents qui ne savent ni lire ni écrire, Velmeena a pu aller à l’école dans un internat. Une bourse lui a ensuite permis de suivre une formation de couturière sur deux ans. Aujourd’hui, elle vit de nouveau chez ses parents, dans un lotissement précaire. Mais elle a fait savoir au village qu’elle disposait désormais d’un diplôme de couturière et souhaitait travailler à son compte. Très vite, elle a reçu des commandes de pantalons, chemises, blouses et jupons. Aujourd’hui, Velmeena est une véritable entrepreneuse ! Cette évolution sociale et économique a fait sensation et a motivé d’autres jeunes filles à suivre son exemple. « Ma machine à coudre a changé ma vie, explique Velmeena. Grâce à elle, j’ai gagné le respect de la communauté et je dispose d’un revenu. »
DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS RURALES
Sénégal : nouvelles perspectives pour le village de Soune Régulièrement confrontés à des sécheresses et des inondations, les habitants du village de Soune, au Sénégal, se sont pris en main. Ils font fructifier leurs terres malgré ces conditions climatiques difficiles et se défendent contre les expropriations. HANSPETER BIGLER (TEXTE), CHRISTIAN BOBST (PHOTOS)
Mauritanie Sénégal Le Sénégal compte 12,8 millions d’habitants. Dans ce pays, le contraste entre les riches et les pauvres ainsi qu’entre les villes et la campagne est énorme : deux tiers de la population vivent en-dessous du seuil de pauvreté, et deux tiers des familles travaillent dans l’agriculture. 33,5 millions de personnes vivent avec moins de $ 1.25 par jour.
Soune Dakar
Sénégal
Mali
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Guinée-Bissau
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Guinée
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L
’école d’agriculture de Soune, au Sénégal, tient ses quartiers en plein air, sous un soleil de plomb. Des hommes et des femmes sont assis en cercle. La chaleur est étouffante. Un vent chaud balaye la terre rouge, soulevant un nuage de poussière qui rend la respiration difficile. Ceux qui le peuvent se réfugient à l’ombre d’un arbre, tel Amadou Gueye, le coordinateur de l’EPER au Sénégal. Avec un groupe de paysannes et de paysans du village, il discute des progrès effectués ces derniers mois et semaines dans les champs. L’EPER et son organisation partenaire locale, Enda Pronat, organisent des rencontres régulières entre les petits paysans de 21 villages du district de Keur Moussa, à l’ouest du Sénégal. « Nous devons renforcer les compétences des producteurs en techniques agricoles et en commercialisation, explique Amadou Gueye. Les nombreuses formations qu’ils ont suivies à ce jour sur la culture des arbres fruitiers leur ont déjà permis d’améliorer leurs récoltes, et par conséquent leur revenu. » C’est sur l’initiative des paysans que l’EPER et Enda Pronat ont commencé à dispenser des formations en agriculture biologique. Après des années d’utilisation intensive d’engrais et de pesticides, les terres étaient ravagées. Dès lors, il fallait trouver de nouvelles méthodes d’agriculture plus durables.
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Des rapports de propriété précaires Au Sénégal, la plupart des paysans exploitent depuis plusieurs générations des terres léguées de père en fils sans pourtant détenir de titre de propriété. Ils sont ainsi constamment exposés au risque d’être expulsés. « Sur quinze personnes, seule une a pu me présenter un titre foncier. C’est un véritable problème. Les paysans doivent lutter pour obtenir des papiers », explique Amadou Gueye. Cette situation est encore aggravée par la construction d’un nouvel aéroport. Les habitants du village de Soune
sont menacés d’expropriation. Nombre d’entre eux ne savent pas encore s’ils pourront rester sur leurs terres ou pas. L’EPER et Enda Pronat les informent, les sensibilisent et les aident à revendiquer leurs droits auprès des autorités, afin d’être impliqués dans les décisions et d’obtenir des titres fonciers officiels. Ces étapes sont essentielles pour garantir l’accès des paysans à leurs terres.
Lutte contre l’érosion A Soune, la population est également confrontée au problème de l’érosion des sols. La région est toujours plus aride. Il ne pleut que trois mois par année, mais les pluies sont alors diluviennes. « Avant, pendant la saison des pluies, toute l’eau affluait vers le village, car celui-ci est situé dans une cuvette, explique Salimata Coly, la responsable de projet d’Enda Pronat. L’eau menaçait les maisons et emportait parfois des enfants. Les travaux que nous effectuons visent à protéger le village. L’autre problème posé par ces pluies torrentielles, c’est qu’elles abîment les sols : lorsqu’il pleut et qu’aucune plante ne stabilise la terre, la couche supérieure est emportée par les flots. Or les dix premiers centimètres de terre sont les plus fertiles. Les travaux que nous effectuons permettent à la terre de redevenir fertile, et à la végétation de repousser. » Pour lutter contre l’érosion, les habitants du village de Soune ont uni leurs forces pour édifier des murs de protection, planter des haies et construire des bassins de rétention d’eau et de canaux. Le résultat est impressionnant : « Avant, quand il pleuvait, l’eau pénétrait régulièrement dans les maisons. Depuis, nous décidons où l’eau doit couler puis nous construisons des murs de pierre pour la freiner et lui permettre de s’infiltrer dans le sol. Désormais, le sol est stable et nous pouvons cultiver des manguiers », se réjouit Mor Pouye, un paysan du village.
DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS RURALES
Des récoltes plus abondantes En plus de participer aux travaux communautaires de lutte contre l’érosion, Mor Pouye applique sur sa propre parcelle tout ce qu’il apprend à l’école d’agriculture : « Les autres pensent que je suis fou à cause des méthodes que j’applique, explique-t-il en riant. Ils disent que je vais me tuer à force de travailler, et que tout ça ne sert à rien. Mais ils se trompent : mon champ est le plus beau de la région ! » Mor Pouye recourt uniquement à des méthodes naturelles. Il répand des cendres sur le sol pour lutter contre les termites et suspend des pièges à ses arbres fruitiers pour attirer les parasites au moyen de produits végétaux. Démarré dans les années 1980, le projet bénéficie aujourd’hui à quelque 34 000 personnes dans 21 villages. Pour Mariam Sow, responsable d‘Enda Pronat, « le plus grand danger pour la population est d‘abandonner ses propres valeurs. C’est pourquoi il est essentiel que la population analyse elle-même ses problèmes et en arrive aux mêmes conclusions que l’EPER et Enda Pronat. Les fondements d’une évolution se posent ainsi. »
Développer de nouvelles perspectives Le projet se développe peu à peu sur l’initiative de la population. Il y a deux ans, plus de 130 femmes de sept villages se sont réunies pour créer une caisse d’épargne et de crédit. Le principe est simple : les femmes versent de petits montants dans un fonds. Celui-ci permet d’octroyer des aides de départ sous la forme de microcrédits. Les intérêts à verser s’élèvent à 2,5%, contre 11% pour un crédit commercial. Les femmes profitent ainsi des intérêts de leur épargne tout en ayant la possibilité d’obtenir un crédit à des conditions avantageuses pour se lancer dans une activité commerciale. L’EPER et
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9 Enda Pronat apportent un soutien administratif et comptable : dans chaque village, ils forment plusieurs femmes à la gestion du groupe. A ce jour, 75 femmes ont déjà obtenu un microcrédit. C’est le cas notamment de Rokhaya Faye, la femme de Mor Pouye. Elle a acheté des feuilles de palme à partir desquelles elle fabrique des éponges, ainsi que du café qu’elle revend en petites portions. « Cette activité me permet d’acheter des habits pour mes enfants. » Rokhaya se rend régulièrement au marché pour vendre les produits qu’elle a fabriqués, mais également des fruits et des légumes. Les petites quantités sont écoulées dans la ville voisine. Lorsque la marchandise est plus abondante, elle se rend avec d’autre paysannes et paysans au marché de Dakar.
Mariam Sow en est convaincue : « Les petits paysans sont les moteurs du développement durable ». Mais le développement n’est possible que si la population est convaincue du projet. » C’est le cas à Soune : « Je suis allé voir par moi-même les travaux et j’ai constaté les bénéfices pour le village, confirme Mor Pouye. C’est pourquoi je suis fier de participer à ce projet. »
« Je n’utilise que des procédés naturels » Agé de 51 ans, Mor Pouye est agriculteur. Il vit avec sa femme et ses quatre enfants dans le village de Soune. Sur sa parcelle de 0,5 hectare, il a planté des manguiers et des citronniers. Durant la saison des pluies, il cultive également des aubergines. Sa famille et lui disposent également pour se nourrir d’hibiscus, de menthe ainsi que de palmiers doums et de baobabs, dont les fruits sont comestibles. Sur sa parcelle, il applique tout ce qu’il apprend à l’école d‘agriculture. Il a par exemple appris à irriguer ses manguiers de manière optimale. Pour ce faire, il coupe le fond d’une bouteille PET pour y verser de l’eau, puis perce le couvercle de la bouteille et plante cette dernière dans la terre, goulot vers les bas. « Avant, je versais de l’eau sur les plantes. Mais celle-ci s’évaporait toujours très vite. Avec ce système d’irrigation goutte à goutte, la plante obtient autant d’eau qu’elle en a besoin », explique-t-il. Visionnez ici un petit film montrant comment Mor irrigue ses arbres : www.eper.ch
La communauté, clé du succès
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Campagne nationale En voyant les résultats du projets, les paysannes et paysans de Soune et alentours sont toujours plus nombreux à vouloir y participer. Pour l’EPER et Enda Pronat, il est essentiel que l’initiative émane des communautés villageoises. D’une manière générale, la communauté représente la solution contre la pauvreté : « Ici au Sénégal, beaucoup de personnes refusent de dire qu’elles sont pauvres, explique Mariam Sow. On dit que le pauvre, c’est celui qui n’a plus personne autour de lui. » Pourtant, plus de 50% de la population sénégalaise vit au-dessous du seuil de pauvreté. « Ce qui préoccupe la population, c’est de pouvoir manger quotidiennement, ajoute Amadou Gueye. Lorsque la vente de ses produits lui rapporte de l’argent, la première chose à laquelle elle pense, c‘est à acheter de la nourriture. » Ce qui est décisif pour l’avenir, c’est que la communauté ait des perspectives et obtienne les moyens de se développer de manière autonome. « Nous sommes à mi-chemin, explique Salimata Coly. Nous avons déjà fait beaucoup de progrès. La communauté a acquis des connaissances précieuses en matière de lutte contre l’érosion et d’agriculture. Elle est également mieux organisée. Mais il y a encore beaucoup à faire. »
Film « Soune – Un village va de l’avant » DVD, 32 minutes, de Peter Indergand DVD à commander à info@eper.ch Ce documentaire présente le travail de projet de l’EPER au Sénégal, plus particulièrement dans le village de Soune. Les deux protagonistes, Mor Pouye et sa femme Rokhaya, racontent leur vie et les progrès que le village a pu effectuer avec le soutien de l’organisation partenaire locale de l’EPER. Le film relate le quotidien des habitantes et habitants du village, qui luttent ensemble pour préserver leur terre et s’assurer ainsi une base de subsistance. Au travers d’images poignantes, il dresse le portrait d’une communauté mue par la volonté de se construire des perspectives d‘avenir. L’EPER se propose de venir animer une soirée ou tout autre événement. Contactez : pignolet@eper.ch Quatre films courts sont téléchargeables sous : www.eper.ch
INTÉGRATION SOCIALE EN SUISSE
La précarité à notre porte Des personnes latino-américaines débarquent chaque jour à Genève en quête d’un avenir meilleur. Les Permanences volantes vont à leur rencontre pour les aiguiller vers les bons services, notamment médicaux. JOËLLE HERREN LAUFER
Photo : EPER / Irène Collaud
Performance de rue à Genève : « Ici, c’est aussi chez nous. »
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idi a sonné dans le quartier genevois des Grottes. Des hommes et des femmes arrivent seuls ou en groupe, ils se saluent, ils se donnent l’accolade. La cantine du Phare se remplit joyeusement. Qui pourrait deviner qu’il s’agit d’une soupe populaire ? Fréquenté principalement par des Latino-Américains, ce réfectoire de l’Armée du Salut est ouvert à tous ceux qui s’y présentent. La plupart sont originaires d’Amérique latine. Certains sont en Suisse depuis quelques mois, d’autres arrivent directement d’Espagne, leur valise à la main. C’est donc un point de rencontre idéal pour Weimar Agudelo, travailleur social de l’EPER. Une fois par mois environ, ce Colombien d’origine y présente, dans sa langue maternelle, le travail des Permanences Volantes, un projet de promotion de la santé de l’EPER. Il aborde les questions d’accès aux soins et distribue des brochures en espagnol, contenant une liste des lieux de consultations médicales et d’autres informations pratiques. Une Bolivienne de 27 ans l’aborde, car elle aimerait
obtenir un rendez-vous au planning familial. « Ces personnes vivent dans l’urgence et survivent tant bien que mal. Les Permanences Volantes sont là pour leur fournir des informations de base concernant la santé et les soins, explique Weimar, mais aussi pour leur expliquer comment faire des gestes quotidiens simples comme payer une facture. » Le repas au Phare terminé, Weimar prend des rendez-vous dans son gros agenda avec les personnes qui le sollicitent pour un entretien individuel. Isabelle est l’une d’elle. Equatorienne, elle travaille comme employée de maison chez des particuliers six jours sur sept. Elle a des ennuis de santé. Elle aimerait consulter un médecin mais elle n’a ni assurance ni permis, et en plus elle n’est jamais disponible en semaine. Les permanences d’écoute offrent un espace de parole confidentiel permettant aux personnes migrantes d’exposer leurs difficultés, de recevoir des informations adéquates et de bénéficier d’une orientation personnalisée en fonction de leur situation.
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Photo : Lucas Da Campo
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A six dans 25 m2, une réalité genevoise Les personnes migrantes latino-américaines sont souvent dépourvues d’autorisation de séjour en Suisse. Avec la crise, une nouvelle catégorie de migrants est apparue : ce sont les Latinos qui détiennent des papiers les autorisant à travailler en Espagne ou même des Espagnols qui s’exilent vers la Suisse en raison de la crise. Originaire de Colombie, Maria est ainsi venue d’Espagne à Genève il y a un mois pour travailler. Pour CHF 290, elle a loué un lit dans un deux pièces-cuisine où logeaient déjà 12 personnes ! Elle a tenu dix jours puis a fui cet endroit car il lui était impossible de fermer l’œil de la nuit. Un Equatorien venu avec sa fille partage, quant à lui, une chambre de 25 m2 avec cinq autres personnes pour CHF 600 par mois sans même qu’il y ait de lit. Il est là depuis trois mois et n’a toujours pas trouvé de travail bien qu’il ait un permis de chauffeur de poids lourds. C’est sa femme qui lui envoie de l’argent d’Espagne. Il se donne encore un mois pour trouver du travail. Ces exils ne concernent pas que les plus démunis. Certaines personnes migrantes viennent en Suisse parce qu’elles doivent payer une hypothèque en Espagne, tellement élevée que vendre leur maison ne suffirait pas à la rembourser.
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L’égalité des sexes grâce aux sans-papiers Ils sont des dizaines de milliers sans statut légal à vivre et travailler à Genève. Au bénéfice d’une bonne formation, ils se retrouvent pourtant à faire des tâches considérées comme subalternes dans la restauration, l’hôtellerie, la construction et, principalement, l’économie domestique : ménage, garde d’enfants ou prise en charge de personnes âgées. Ils cumulent des heures avec différents employeurs dans des conditions précaires, sans perspectives d’avenir et sans véritable protection sociale. Une grande partie des sans-papiers travaillant dans l’économie domestique sont des femmes. C’est un secteur en pleine expansion en Suisse. « Paradoxalement, le fait d’externaliser le travail domestique à des femmes migrantes permet aux femmes suisses de pouvoir travailler, d’avoir des postes à responsabilité, de s’engager dans la vie publique,
Weimar Agudelo et Gaëlle Martinez gèrent les Permanences Volantes.
de concilier aisément vie professionnelle et vie familiale », explique Pierre-Alain Niklaus, porte-parole de la campagne « Reconnaître le travail domestique – Régularisons les sans-papiers ». Plus que toute autre population, ces personnes fragilisées souffrent de problèmes de santé liés à des conditions de vie difficiles, à un cadre de vie instable, ainsi qu’à un accès restreint aux soins. Les Permanences volantes vont donc les trouver là où elles se rencontrent, comme par exemple dans les communautés chrétiennes sud-américaines. Les Permanences volantes ont récemment organisé une conférence-débat en espagnol avec un spécialiste sur le thème des régularisations. « La force du projet est de faire du travail de prévention et d’orientation en réseau avec les institutions sociosanitaires genevoises », explique Gaëlle Martinez, responsable du projet. Réflexion à travers l’expression corporelle Les Permanences volantes organisent également des ateliers d’expression orale et corporelle où toutes les questions liées à la migration et à la perte d’identité sont abordées. Ils débouchent parfois sur des performances de rue. Le 23 juin par exemple, une performance intitulée « Ici, c’est aussi chez nous » a été jouée à plusieurs reprises sur la Place du Molard à Genève. L’idée était de témoigner de l’apport des personnes migrantes au développement de la Suisse. De manière rythmée, tantôt humoristique, tantôt tragique, la dizaine de femmes migrantes qui a participé à ce théâtre de rue a montré à quoi se réduisaient leurs origines : une simple valise. A plusieurs reprises, devant les passants, elles ont mimé leur quotidien, munies d’un aspirateur, caricaturé la cadence de travail à laquelle elles étaient soumises, simulé leur état de fatigue et de découragement, mais aussi exprimé la précarité de leur emploi puisqu’il suffit que la patronne leur dise « Rentrez chez vous ! » pour qu’elles se retrouvent à la rue. D’ailleurs où rentrer ? Weimar Aguledo est souvent confronté à cette question pour des femmes qui atteignent un âge où les travaux domestiques deviennent trop fatigants. La question de l’identité est centrale pour ces femmes déracinées. D’où est-on ? D’ici, de là-bas ?
Photo : EPER
Agenda
Photo : EPER
Actuel
Enquête auprès des lecteurs EPER, comme engagée efficace et protestante !
Etoile à souhaits Bricolage à thème pour les catéchumènes
Pas moins de 180 personnes ont pris la peine de répondre à l’enquête encartée dans le numéro d’août d’agir ! Un grand merci à elles ! D’une manière générale, les personnes sondées lisent le journal en grande partie, voire de A à Z. La forme du magazine, les articles et la fréquence de parution leur semblent clairement adaptés. Il ressort que la thématique du développement et de la coopération à l’étranger est celle qui intéresse le plus les lecteurs. Les questions d’intégration sociale en Suisse et d’aide humanitaire viennent ensuite. La plateforme offerte à un invité plaît aussi beaucoup. Si les lecteurs doivent caractériser l’EPER en trois mots, c’est : « engagée » (36%), « efficace » (21%) et « protestante » (19%). Les remarques ajoutées au questionnaire sont également très instructives. Certaines personnes expriment leur difficulté à distinguer les œuvres d’entraide entre elles et d’autres soulignent être très sollicitées de toute part. Plusieurs lecteurs mentionnent à quel point ils apprécient la campagne « Offrir son aide », qui consiste à offrir un cadeau symbolique à un proche. L’EPER prendra soin d’analyser ces résultats en détail, mais considère déjà ces premières tendances comme réjouissantes et encourageantes pour la poursuite de son travail d’information. N’hésitez d’ailleurs pas à prendre votre plume pour faire part de vos réactions ou commentaires lorsque l’un ou l’autre article vous fait réagir !
Les souhaits varient beaucoup d’une personne à l’autre. Pour Noël, certains enfants souhaitent recevoir un ballon de foot, un vêtement particulier ou un téléphone portable. Mais les souhaits peuvent être d’un tout autre ordre : un autre malade aimerait par exemple recouvrer rapidement la santé. Un enfant souhaitera que ses parents arrêtent de se disputer à longueur de journée, ou alors il rêvera de partir en vacances avec toute sa famille. Un autre enfant encore souhaitera peut-être tout simplement recevoir une paire de sandales. L’EPER propose de réfléchir, seul ou en groupe, à ses propres souhaits et de les mettre en perspective avec ceux de personnes démunies. Des étoiles prêtes au bricolage sont proposées aux groupes de catéchumènes. Elles illustrent, d’un côté, les souhaits d‘enfants et d‘adultes d’un petit village du Sénégal. Et permettent, de l’autre, d’exprimer ses propres souhaits. T’es-tu déjà demandé ce que tu souhaites de tout cœur ? Chablons d’étoiles disponibles gratuitement jusqu’à épuisement du stock. Commande : info@eper.ch ou au 021 613 40 70
Petits moyens, grands effets.
18 novembre 2012 Culte à Meyrin (GE) sur le thème du Honduras Culte à 10 h. Après-culte avec verre de l’amitié et présentation d’un court métrage et d’un diaporama sur le projet au Honduras proposé dans le cadre de la campagne DMEPER « Si on semait ». Plus d’infos : jean-claude.rogivue@hotmail.com 21 novembre 2012 Soirée Terre Nouvelle à Aubonne Evénement dans le cadre de la campagne DM-EPER « Si on semait ». Cette soirée sera aussi l’occasion de découvrir les sketchs de la troupe théâtrale Terre Nouvelle. Dès 19 h 45 à la chapelle Trévelin. A 20 h 15, accueil et présentation de projets de l’EPER au Honduras. Dès 21 h, sketchs « D’abord, merci de votre confiance ». Plus d’infos : michel.durussel@eerv.ch, tél. 021 331 58 02