agir n°19 - 08/2015

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AOÛT 2015

AGIR LE MAGAZINE DE L'ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE

LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

INTÉGRATION Plongeon en eau froide IRAK DU NORD Aide humanitaire aux déplacés


ÉDITORIAL

QUI AIME BIEN CHÂTIE BIEN

Philippe Bovey Secrétaire romand

DOSSIER THÉMATIQUE

Pour une ONG, garder le cap au milieu des attentes variées, voire franchement contradictoires des nombreuses parties prenantes à son travail exige une maîtrise consommée de l’équilibrisme. L’aide au développement, encensée autant que décriée, offre une illustration exemplaire de ce défi. Ce numéro d’agir vous propose de parcourir quelques lignes de tension, en répondant aux critiques.

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Dossier spécial : la coopération au développement en question

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Face à face : Ueli Locher et Luzi Stamm

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Dans les coulisses d’un projet au Niger

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Questions critiques

14 Evaluer et redresser le cap en Inde

Encensée, l’aide au développement l’est assurément par les Suisses qui trouvent à une écrasante majorité les prestations de notre pays dans ce domaine « plutôt bonnes » et estiment, pour 30% d’entre eux, que la Suisse devrait renforcer encore son action dans le domaine. Ils n’étaient que la moitié de cet avis il y a quinze ans et ne sont que 8% à penser le contraire aujourd’hui. Considérant la générosité constante de ses donateurs, l’EPER peut confirmer ce constat à son niveau.

DANS CE NUMÉRO 3

Nord de l’Irak Aide humanitaire aux familles déplacées

16 Campagne DM-EPER L’histoire de Cido

Pourtant, l’aide au développement est également régulièrement décriée, parfois sévèrement. La liste des critiques est impressionnante : inefficace, peu transparente (corruption, coûts administratifs), peu durable, voire, pire que tout, paternaliste et même néocolonialiste quand elle est instrumentalisée par des enjeux de politique étrangère…

18 Age et migration Plongeon en eau froide 20 Actuel et agenda

Ce numéro d’agir fait face ouvertement à ces critiques. L’EPER se positionne ainsi doublement : par rapport à des défis de l’aide au développement bien sûr, mais aussi par rapport à vous. Sur la ligne de tension qui va de l’information à la séduction, la motivation d’un donateur naît certes de « success stories », mais a besoin aussi de confiance. Nous sommes convaincus que la transparence ou, pour reprendre un mot moins à la mode, l’honnêteté, contribue à nourrir cette confiance. Merci de votre précieux soutien et excellente lecture.

AGIR N°19 AOÛT 2015 ISSN 2235-0772 Paraît 4 fois par an COUVERTURE PHOTO EPER / Christian Bobst

RÉDACTION PHOTO Anne Geiger

TRADUCTION Virginie Tisserand

RESPONSABLE Olivier Graz

GRAPHISME ET ILLUSTRATIONS superhuit.ch

TIRAGE 15 100 exemplaires

RÉDACTION Joëlle Herren Laufer

IMPRESSION Jordi Belp

ÉDITEUR Entraide Protestante Suisse (EPER)

ABONNEMENT CHF 10, déduits une fois par an de vos dons

ADRESSE Bd de Grancy 17 bis, Case postale 536, 1001 Lausanne Téléphone 021 613 40 70 Fax 021 617 26 26 www.eper.ch info@eper.ch

CP POUR LES DONS 10-1390-5


AIDE HUMANITAIRE

LES DÉPLACÉS EN IRAK SONT ACCUEILLIS MAIS DÉMUNIS Les minorités déplacées au Nord-Est de l’Irak qui ont dû fuir l’Etat islamique sont accueillies à bras ouverts. Mais elles manquent de tout. L’EPER leur apporte un soutien de première urgence. Texte : Joëlle Herren Laufer Photo : EPER

En Irak, des habitants de Mossoul et environs fuient par milliers l’Etat islamique et prennent le chemin de Souleimaniye, dans la région autonome kurde. Il s’agit essentiellement de minorités religieuses – Chrétiens, Yézidis ou Shabaks – des Chiites kurdes, mais aussi des Sunnites. La ville offre encore sécurité et protection grâce à ses forces armées, les Peshmerga. Elle a déjà accueilli environ 168 000 personnes déplacées internes, et ce chiffre devrait encore augmenter. Sans compter les quelque 250 000 réfugiés en provenance de Syrie. L’EPER offre une aide d’urgence avec le concours de ses partenaires locaux « Christian Aid » et « REACH ». L’aide répond aux besoins élémentaires de 2280 familles. Elle consiste en produits alimentaires, articles d’hygiène, ustensiles de cuisine, matelas, poêles et couvertures en hiver. « Certaines familles qui n’avaient pas un centime en poche reçoivent un don unique de 400 dollars. Elles peuvent ainsi s’acheter l’essentiel. En outre, 40 personnes ont pu prendre part à un programme « cash for work » (travail contre rémunération), explique Simon Salman, responsable du projet pour l’EPER.

ment son soutien aux déplacés internes du mieux qu’il peut. Il a mis des terres à disposition en bordure de la ville où les déplacés construisent des abris de fortune. « Ces gens ont avant tout besoin d’argent pour acheter ce qui leur manque, explique Simon Salman. Ces nouvelles zones ont par ailleurs un besoin urgent de disposer d’un accès à l’eau potable et d’installations sanitaires. »

Solidarité locale Simon Salman est très étonné de voir à quel point la population sur place accueille les réfugiés à bras ouverts en mettant à leur disposition logement et nourriture. Le gouvernement local apporte égale-

Ils ont fui l’Etat islamique La famille Shaba a reçu le soutien de l’EPER. Le 28 juillet 2014, à l’aube, elle a dû quitter en toute hâte sa ville au Sud-Est de Mossoul pour échapper à l’organisation terroriste Etat islamiste (ISIS). Elias,

sa femme Fawzia et leur fils Anwar vivent depuis un an avec 24 autres familles dans une église catholique chaldéenne à Souleimaniye. Chacune dispose d’un espace réduit sans intimité. Fawzia Shaba se désespère : « Je n’en peux plus. J’en mourrai si je ne peux pas retourner dans ma maison ». Et son mari d’ajouter : « Quand les combattants d’ISIS ont conquis la ville de Mossoul et capturé des fonctionnaires de police, des forces de sécurité et des soldats, nous avons eu peur. Les chrétiens n’avaient encore été victimes d’aucune attaque, mais ISIS leur a adressé un ultimatum avec quatre options : se convertir à l’islam, payer un impôt, quitter la ville ou mourir ».

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DOSSIER SPÉCIAL

LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION Bien que les Helvètes soutiennent largement la coopération au développement de la Confédération et des œuvres d’entraide, des voix dissonantes se font entendre dans les médias, au niveau politique ou parmi le grand public. Manque de transparence sur l’octroi et l’utilisation des fonds, corruption supposée dans certains Etats bénéficiaires, absence d’efficacité figurent parmi les critiques les plus répandues. L’EPER aborde ces critiques de front pour lever les malentendus. Texte : Dieter Wüthrich Photo : EPER / Maman Elhadji Montari

La coopération au développement jouit d’une bonne réputation, et tout particulièrement en Suisse. Ainsi, selon les résultats d’une enquête représentative mandatée par la Direction du développement et de la coopération (DCC), 83% de la population helvétique estimait l’an dernier que le travail accompli par le pays en la matière était au moins bon. De même, la part de la population pensant que la Suisse devrait accroître ses efforts en matière d’aide au développement a progressé de moitié ces 15 dernières années pour atteindre 30% aujourd’hui. Seuls 8% étaient d’avis que l’aide helvétique devrait être réduite (contre 17% en 1999). Toutefois, pas question pour la DCC et les œuvres d’entraide suisses de céder à l’autosatisfaction et de se reposer sur leurs lauriers. Car malgré tout, depuis quelques années, le débat public et les opinions liées à la coopération au développement – et aux œuvres d’entraide plus généralement – doivent compter avec un nombre croissant de critiques. Cette tendance est alimentée par les discussions sur l’efficacité et la transparence de la coopération au développement et de ses acteurs. Des discussions qui ont gagné en intensité lorsqu’il a été question d’accroître les

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fonds publics alloués à l’aide au développement. Les politiciens ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’interroger sur l’avantage de doter les œuvres d’entraide de moyens financiers supplémentaires. Accroissement des exigences Le scepticisme croissant à l’égard de la coopération au développement est exacerbé par la masse d’informations disponibles sur Internet concernant le travail et les projets des œuvres d’entraide. Les donateurs, les bailleurs de fonds et les mandataires sont devenus plus exigeants et s’informent désormais en ligne. Il n’est pas rare qu’ils mettent le doigt sur un rapport litigieux ou un projet avorté dévoilé et monté en épingle par les médias. Les réels bénéfices et la durabilité des projets sont remis en question ou critiqués, tout comme le manque de transparence dans l’octroi et l’usage de fonds. Autre point de litige, la corruption dans les pays d’action et les frais administratifs élevés de certaines œuvres d’entraide, sans oublier leur manque d’autocritique. L’EPER (Entraide Protestante Suisse) se penche volontairement sur cette critique et y consacre un dossier spécial. Vous trouverez dans les pages qui suivent un

face à face entre Ueli Locher, directeur de l’EPER jusqu’à la fin juin, et Luzi Stamm, conseiller national UDC, opposant notoire à la coopération au développement. La parole est aussi donnée à des particuliers faisant part de leurs réserves en la matière auxquelles l’EPER répond sans détour. Nous avons aussi fait un zoom sur notre programme national consacré à l’Inde qui rend compte des réussites et des échecs de nos projets. Enfin, une chronologie illustrée détaille les différentes étapes d’un projet de coopération au développement de l’EPER au Niger : de la planification à la mise en œuvre. S’il ne prétend pas répondre à toutes les interrogations liées à cette thématique, notre dossier spécial aborde de nombreuses questions en suspens sur la coopération au développement.



LES INVITÉS : UELI LOCHER ET LUZI STAMM

IMPÉRATIF HUMANITAIRE OU GASPILLAGE ? Face à face entre Ueli Locher, directeur de l’EPER, et Luzi Stamm, conseiller national UDC, critique envers à la coopération au ­développement. Texte : Markus Mugglin* Photos : EPER / Sabine Buri

M. Stamm, la coopération au développement est-elle plus utile que ­préjudiciable  ? Luzi Stamm (LS) : A n’en pas douter, la coopération sert plus qu’elle ne dessert. Il serait présomptueux d’affirmer que les œuvres d’entraide suisses impliquées dans la coopération au développement causent du tort avec leur engagement. Faites-vous la distinction entre la coopération au développement publique, comme celle de la Confédération, et privée, comme celle de l’EPER ? LS : Les différences sont réelles. Le principe d’efficacité doit régir l’aide de la Confédération : chaque franc investi doit être maximisé. C’est bien plus important que dans le cas de la coopération d’organisations privées où vous pouvez faire ce que bon vous semble. Vous pouvez notamment apporter votre soutien à quelqu’un qui, objectivement, n’en a pas du tout besoin. La Confédération doit en revanche rendre des comptes à ses contribuables. M. Locher, cela reviendrait donc à dire qu’en tant qu’œuvre d’entraide privée, l’EPER est moins sous pression... ? Ueli Locher (UL) : (rires) Oh, je ne crois pas ! Nos bailleurs de fonds, qu’il s’agisse de personnes privées, de fondations ou de paroisses, par exemple, ont exactement les mêmes attentes. Ils espèrent bel et bien que les fonds mis à disposition amorcent une évolution positive des conditions de vie des bénéficiaires. En ce qui concerne

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la coopération publique, on ne peut pas généraliser. Car tout dépend notamment de l’Etat qui mène à bien cette coopération. Des pays comme les Etats-Unis ou la Chine articulent leur aide selon leurs intérêts géopolitiques. La pression exercée sur la coopération pour que celle-ci vienne étayer l’orientation géopolitique du pays concerné est bien plus importante dans ces pays que dans de nombreux Etats européens. La Suisse, elle, n’a aucun agenda géopolitique. Pour revenir à la Suisse. M. Stamm, quelle note attribuez-vous à la coopération au développement helvétique ? LS : En ma qualité de politique, le problème que je critique est celui qui se pose dès qu’une part bien trop élevée des fonds injectés par la Suisse est utilisée sur sol helvétique. En effet, face aux terribles drames qui touchent les réfugiés, plutôt que d’employer directement ces fonds dans les régions en proie à des crises, des sommes considérables servent à financer de prétendus réfugiés en Suisse. A mon sens, le principal souci, c’est que beaucoup trop de fonds de coopération sont dépensés en Suisse pour des juristes, traducteurs, propriétaires de logements, travailleurs sociaux, etc. UL : Vous mettez le doigt sur un éternel point de discorde parmi les politiques, mais aussi les acteurs de la coopération. A l’EPER, nous considérons cependant que les fonds que nous allouons en Suisse au

bénéfice des réfugiés ne peuvent être assimilés à des fonds de coopération au développement à proprement parler. Ils comptent pourtant comme tels dans les statistiques… UL : Hélas oui, car cela permet d’augmenter le pourcentage des fonds alloués à la coopération au développement en regard du PIB. A mon sens, ce n’est pas une bonne manière d’appréhender ces fonds. Et surtout, il ne faut pas faire l’amalgame entre aide aux réfugiés et coopération au développement. L’efficacité de l’aide devrait bien plus être mesurée à l’aune des évolutions positives permises par les fonds injectés dans les pays du Sud. M. Locher, où positionnez-vous la collaboration au développement de la Suisse ? UL : Avant de devenir directeur de l’EPER, j’ai moi-même travaillé cinq ans dans le domaine du développement en Afrique et en Asie. Durant mes voyages en tant que directeur de l’EPER, j’ai ensuite pu fréquemment comparer les projets d’aide suisses et ceux d’autres pays. Cette ­ comparaison internationale permet véritablement de voir les atouts de la Suisse en matière de coopération au ­développement. Bien entendu, nous affichons nous aussi un potentiel d’optimisation : tous les projets de coopération ne se soldent pas par un succès.


Ueli Locher, directeur de l’EPER

« Il ne faut pas faire l’amalgame entre aide aux réfugiés et coopération au développement. »

LS : J’abonde, l’aide suisse est meilleure que celle de nombreux autres pays ou organisations internationales. Cela étant, il nous faut impérativement réduire le nombre de pays et de projets auxquels nous apportons notre soutien dans le cadre de la coopération. Car à s’engager excessivement, on s’éparpille. Nous en faisons trop à l’heure actuelle : trop de projets dans trop de pays. En quoi cette diversification représente-t-elle un problème ? LS : Nous aurions par exemple dû renoncer depuis longtemps à injecter des fonds d’aide dans les pays de l’Europe de l’Est qui font partie de l’UE. L’UE a assez d’argent ! Nous devrions par conséquent limiter notre coopération aux pays réellement pauvres de la planète. M. Stamm, vous avez réclamé, à l’occasion d’une intervention parlementaire, une augmentation des fonds

d’aide humanitaire immédiate au détriment de la coopération au développement. N’y a-t-il pas un risque à long terme ? LS : Lorsque seuls des moyens limités sont à disposition, l’argent fait toujours défaut ! C’est pour cette raison que la Suisse doit aussi établir des priorités au moment de choisir les pays et les projets où elle s’implique. En ce qui me concerne, j’apporterais par exemple mon soutien à des projets comme celui du pédiatre Beat Richner au Cambodge, qui sauve des vies dans son hôpital en soignant des patients qui ne peuvent se permettre financièrement une aide médicale. Je parle là de succès concrets. Notre pays serait donc bien inspiré de promouvoir encore davantage de tels projets à l’avenir. Mais lorsque la Suisse injecte par exemple de l’argent dans ce qu’elle appelle la promotion de la démocratie, elle jette trop souvent l’argent par les fenêtres. Car ces résultats ne sont pas tangibles. Un engagement politique

peut même se traduire par des dépendances à des puissances mondiales qui peuvent tout balayer d’un battement de paupière. UL : Je ne qualifierais pas l’exemple de Beat Richner d’aide humanitaire, mais plutôt d’un cas classique de coopération au développement. En effet, il met en place des infrastructures et embauche du personnel garantissant une prise en charge médicale de la population. Il faut faire attention à ne pas mettre en concurrence l’aide d’urgence et l’aide au développement à plus long terme. Toutes deux sont complémentaires. Après une catastrophe, c’est la survie qui prime dans un premier temps. La coopération au développement sert à modifier les bases et les conditions de l’existence de ces personnes, de telle sorte qu’elles puissent mener une meilleure vie à plus long terme, sans devoir recourir à une aide extérieure.

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Luzi Stamm, conseiller national UDC

« A trop vouloir s’engager, on s’éparpille. Nous en faisons trop à l’heure actuelle : trop de projets dans trop de pays. »

rités. Dans le cas de la crise des réfugiés syriens par exemple, c’est dans la région frontière du pays que j’injecterais sans hésiter tous les fonds. De plus, j’associerais notre aide à la condition que les populations restent dans leur région d’origine. Si les sommes faramineuses que nous débloquons pour l’asile en Suisse étaient utilisées à l’étranger, nous pourrions résoudre bien plus efficacement de nombreux problèmes dans ces pays. UL : Mais M. Stamm, vous ne tenez pas compte du fait que la situation est insoutenable pour les populations syriennes et que leur vie est en danger. Je comprends donc tout à fait qu’elles cherchent à se déplacer vers un endroit où leur existence n’est pas continuellement menacée.

LS : C’est vrai que les deux sont nécessaires. Et il est évidemment positif que des œuvres d’entraide privées s’engagent en faveur du développement. S’agissant de la politique d’aide officielle de la Suisse, la Croix-Rouge reste pour moi l’exemple à suivre. Les circonstances de sa création par Henri Dunant, en réaction à la bataille de Solférino, nous rappellent à quel point il est important de garder son sang-froid et de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre des belligérants, mais bien de se concentrer exclusivement au soulagement de la souffrance humaine. C’est pour cette raison que les organes officiels de la Suisse devraient surtout utiliser ces fonds pour intervenir dans le sillage de telles catastrophes humanitaires. Parler en toute transparence des problèmes que rencontrent les projets d’aide au développement et admettre

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ses erreurs risque de faire reculer les dons. Comment l’EPER gère-t-elle ce dilemme ? UL : A l’ère d’Internet et des médias sociaux, les problèmes et les erreurs ne restent pas longtemps secrets. De ce fait, j’envisage les avantages et les inconvénients d’une communication ouverte et honnête de manière tout à fait p ­ ragmatique. Concrètement, notre réputation risque nettement moins d’être durablement remise en question si nous communiquons spontanément et de manière proactive au lieu d’y être contraints par les publications des médias. M. Stamm, compte tenu de sa richesse, la Suisse ne devrait-elle pas s’impliquer davantage dans la coopération au développement ? LS : Ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité. Il faut donc fixer des prio-

M. Locher, vous aller quitter votre poste de directeur de l’EPER après huit ans. Quelle est la conclusion la plus essentielle que vous tirez en matière de collaboration au développement ? UL : J’ai surtout appris une chose : il faut savoir rester mesuré. Les objectifs que nous nous fixons doivent être réalistes. Avec nos moyens modestes, nous pouvons faire une différence à petite échelle, mais nous ne pouvons pas révolutionner l’ordre mondial. Comme seconde conclusion plus que préoccupante, j’observe qu’il est de plus en plus difficile pour des organisations d’entraide comme l’EPER de s’engager à informer et à instruire la population civile dans des pays où les droits de l’homme sont bafoués par l’Etat. Les pauvres et les plus faibles sont les plus touchés par ce phénomène. Ils ont d’autant plus besoin de notre soutien. * Markus Mugglin a été rédacteur à la radio suisse SRF, et a notamment dirigé le prestigieux magazine politique « Echo der Zeit ». Spécialiste de la politique suisse du développement, il est aujourd’hui journaliste indépendant et économiste expert dans le domaine de la mondialisation.


LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

DANS LES COULISSES D’UN PROJET AU NIGER Comment fonctionne en réalité la collaboration au développement ? Quelle est la genèse d’un projet, et par quelles étapes transite-t-il ? Décodage des phases d’action de l’EPER dans les coulisses d’un projet concret au Niger visant la protection des éleveurs nomades. Texte : Corina Bosshard Photos : EPER / Sabine Buri

Dans le Sahel, au Niger, les familles paysannes sédentaires et les éleveurs nomades cohabitent. Par le passé, ces derniers parcouraient des centaines de kilomètres avec leurs troupeaux, du nord à la zone agricole du sud, pour faire paître leur bétail dans les champs où la récolte avait déjà eu lieu. Au début de la saison des pluies, ils repartaient vers le nord, afin que les paysans puissent cultiver leurs champs. Mais en raison des sécheresses à répétition et d’une croissance démographique importante, la cohabitation de ces deux secteurs économiques complémentaires est devenue problématique. Le sol étant moins fertile, les agricultrices et agriculteurs ne mettent plus des voies de passage à disposition du bétail et s’approprient toujours plus de terres autrefois réservées au bétail des nomades. Par conséquent, les éleveurs de bétail sont contraints de faire passer leur troupeau par des champs cultivés. Chaque année, de grands troupeaux de bétail transitent par la zone du projet, ce qui provoque des conflits sanglants pour la possession des pâturages ou des terres cultivées.

différents groupes d’utilisateurs à tous les niveaux administratifs. Ces commissions certifient les droits d‘utilisation des terres, contrôlent que les ressources sont utilisées conformément aux objectifs et arbitrent les conflits. Mais comme la mise en œuvre du Code Rural et la constitution de ces commissions ne progressent que lentement, les commissions foncières sont encore loin d’être établies partout. Et lorsqu’elles existent, leur fonctionnement n’est souvent pas optimal.

de Mayayi et Dakoro. Les points de passage des troupeaux sur les pâturages sont négociés entre les parties, puis délimités par des piquets et des haies. Des commissions foncières veillent au respect de ces passages, arbitrant et réglant les conflits. L’accès à l’eau est également une source permanente de conflits entre paysans et éleveurs de bétail. Afin de les désamorcer, il est prévu de construire des fontaines le long des corridors de passage et de réparer celles qui sont défectueuses.

Objectifs du projet Le projet de l’EPER vise à garantir une cohabitation pacifique des éleveurs nomades de bétail et des familles paysannes sédentaires dans les départements

La double page ci-après représente graphiquement et année après année le déroulement du projet, de l’idée initiale à l’état actuel.

Un code rural difficile à mettre en œuvre Pour éviter ces conflits, le gouvernement du Niger a adopté en 1993 le Code Rural, une loi cadre régissant les droits d’utilisation des terres des populations rurales locales et garantissant, dans le même temps, des terres pour l´élevage du bétail. Un aspect important du Code Rural est l’instauration de commissions foncières composées de représentantes et représentants du gouvernement et des

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LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

DÉROULEMENT D’UN PROJET 2009

ORIGINE DU PROJET

L’idée du projet est à mettre au crédit d’Elhadji Maman Mansour Moutari, directeur pays de l’EPER au Niger. Quand ce géologue de 53 ans travaillait pour la Direction du développement à la coopération (DDC), il était très impliqué dans la mise en place du projet PASEL (programme d’appui au secteur de l’élevage) qui garantissait l’existence de voies de passage dûment marquées pour les nomades. Il a donc suggéré de le prendre pour modèle pour créer un projet pilote de l’EPER dans une autre région géographique.

ÉTUDE

PHASE I

fin 2010

2011-2013

MISE EN PLACE

PREMIÈRE PHASE

L’équipe du bureau de coordination de l’EPER au Niger a effectué plusieurs missions d’évaluation dans la zone du projet auprès de tous les acteurs. Les routes de transhumance des éleveurs de bétail ont été analysées et les conflits documentés. Les corridors de passage prévus et les pâturages à disposition ont été localisés géographiquement. Une équipe de projet expérimentée en matière de mobilité pastorale a été recrutée. Le projet a été baptisé ­ZAMTAPO – une contraction des mots « Zaman Tare » (cohabitation) en langue haoussa et « Potal » (pacifique) en peul.

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Forums de négociation du tracé et des accès aux pâturages avec les différents groupes ­d’utilisateurs. 5 corridors négociés et délimités (531 km). Localisation et signalisation des corridors et pâturages garantis avec poteaux de bétons et haies. 32 commissions foncières créées. 20 ateliers de formation. 26 fontaines construites ou réparées le long des corridors et dans les pâturages. Campagnes de sensibilisation (caravanes de la paix dans les villages, émissions radio). Soutien agricole à env. 500 familles paysannes sédentaires installées le long des corridors.

LE PROJET AU NIGER EN CHIFFRES

3,8 %

Croissance de la population par an au Niger

12 %

Proportion de nomades dans la population

10

24 170 km2

300 mm/an

Superficie couverte par le projet

Précipitations dans la région du projet

env. 1 million

CHF 142 000

Nombre d’habitants dans la région du projet

Budget du projet en 2015


Couloirs pré-identifiés

2016 +

Couloirs en cours de balisage

PERSPECTIVES

Aires de pâturage identifiées non balisées Aires de pâturage balisées 7

6 HEKS

Baja

Saidawa Konkorma

Zongon Dédé

Gidan Assaka

May Gachi

5

Dan Koulou

Gondama Serkin Aréwa

3 HEKS

Soké Soké Saboa

Moforawa

Le projet pilote « ZAMTAPO » de l’EPER est jusqu’ici un succès. Il pourrait se transformer en pôle de compétences pour la garantie de la mobilité pastorale dans la région de Maradi et apporter un soutien important de conseils aux structures du Code Rural au Niger. Le projet pourrait être géographiquement étendu et se pencher sur les épineuses questions de la transhumance des éleveurs de bétail à la frontière NigerNigeria, où la sécurité fragile met en péril le projet et la région.

1

2

6.2 CTB

4 CTB Garin Bizo

4

Mayrakouma

Daboubou

Rouga Mai Layou

Sansamé

Garin Nanaya Kouka Dan Bako

Sarkin Hatsi

Guidan Ato

Guidan Meyda

Dan Baou

14°20'

Guidan Tanko Garin Bala Katoley

Samia Andi

Dan Gao

Kotya

Azarori El Mayahi Mallamawa

Garin Galadima Algoum

Bantacha

Guidan Tanko

Mai Douma

Dan Zao

Janrwa

Djibbi Inkidi Kankalé Majikay

May Kiéléwa Linkidim

Koudou Baro

Rougar Moussa (kaka)

Rapka

Labara

Zongon Kankaré

Guidan Bara Guidan Magagi Bara

Garin Agali

Guidan Gagéré

Guidan Nakaora

Dan Gado In Gawa

Dadin Tamro Al Moktar

Guidan Bawa

Gakwey Tchaké Batchiri

Tossa

Farou Bakey

Dan Ila

TCHAKYÉ

May Bagay Guidan Koré

Garin Wari Sakawa

Dan Askya

Dan Amaria

Salifawa

Guidan Antou Gourbabo Toulou Bouché

Inyélwa Sarékou

Litao

Guidan Atchié

Djilguigé

Mayléllé Baba

Maygizon Aréwa

ATANTANÉ

Guidan Bara

ISSAWAN Nwala Maydoubou

Guidan Kata

14°

Gourjougou Wala

Rougga Hamadi

Aytaden

Gangara

G O U L B I N May Yara Korén Abjia

Guidan Koussaw

Ita Sofoua

Kabirgui

Koufan Agoua

Djali

Guidan Ibrahim

Kago

Boultou

Guidan Issa Toukounda

Kowa Gwani

Hassane

Dan Albawa

Gisgué

MAYAHI K

Loda

A

B

Karé Dahaouka

Dalawa

A Dan Kori

Dan Bakoy

Tambarawa

Danko

Dan Goulbi

Araourayé

KANAN BAKATCHÉ

Dan Mairo Dan Tsountsou

Maissakari

SERKIN HAOUSSA Kahin Kossaou

Malamawa Zarso

Maché Jambaouchi

Dan Galadima

Guidan Ranaou

Kadakay

Atchi lafia

Tobana

Barkégé

TESSAOUA

Guidan Kibia

Dan Maimouna Sirdawa

Echelle

Karoubini

Malamawa Oura

0 7°20'

Guidan Maga

Wakasso

7°40'

10 km 8°00'

PHASE II

2013

2013-2016

ÉVALUATION

DEUXIÈME PHASE

Par deux consultants externes

Résultats intermédiaires depuis le début de la phase II : • 14 forums pour négocier et délimiter environ 300 km de voies de passage. • 6 campagnes de sensibilisation menées et 73 émissions radio diffusées. • 35 commissions foncières créées et leurs membres formés. • 13 nouvelles fontaines construites et 4 réparées. • 480 hectares de pâturages ressemés le long des corridors.

Réussites • Les cinq corridors ont été acceptés par la population locale et appliqués dans une large mesure. La transhumance s’est faite sans conflit (20 conflits recensés au début du projet). • Grâce aux fontaines, les éleveurs de bétail ­nomades recourent moins aux fontaines des villages (source de conflits). • La commune de Sherkin Haoussa a financé la mise en place de dix commissions foncières jusqu’alors prises en charge par l’EPER. Cela prouve la disposition des instances locales à poursuivre le projet initié par l’EPER avec leurs propres moyens. Leçons apprises • Le besoin des éleveurs nomades en points d’eau le long des corridors de passage a été sous-­ estimé. • Les surfaces où les troupeaux paissent le long de ces voies de passage n’ont pas été ressemées. La phase II du projet devra s’atteler à construire en priorité des fontaines et des latrines et à renouveler l’ensemencement.

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LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

QUESTIONS CRITIQUES GERHARD ITEN, 65 ans, Zürich « Je ne fais jamais de don, parce que les frais administratifs sont trop élevés. L’engagement d’une organisation doit être désintéressé et personne ne doit s’enrichir au fil du processus. En outre, la comptabilité et la communication doivent être transparentes, car en tant que donateur, je souhaite savoir comment un projet est mis en œuvre, et si l’argent arrive à bon port. Plus une organisation est de grande taille, moins je peux en suivre la structure et plus j’hésite à faire un don. » Réponse de l’EPER : L’EPER dispose du label de qualité de la fondation ZEWO. Celui-ci certifie que ses membres poursuivent un objectif d’intérêt public et qu’ils utilisent efficacement les dons reçus pour l’atteindre. Ce label n’est octroyé que si l’organisation concernée affiche une attitude économe et responsable avec ses frais administratifs. Dans le cas de l’EPER, la part des frais administratifs (autrement dit, les coûts d’administration, de communication et de recherche de fonds) atteignait 13,4% en 2014. Cette valeur est bien inférieure à la moyenne des organisations certifiées. Toutefois, un minimum de fonds doit être alloué à l’administration, notamment pour une gestion de la qualité. Si un projet ou un programme veut avoir une portée aussi vaste que possible, il

doit en effet être mis en œuvre de manière optimale. Cela requiert des contrôles et des évaluations. Et pour que les donateurs apprennent ce qu’il advient des fonds versés, des rapports annuels détaillés et quantités de statistiques doivent être préparés. Dans la même veine, l’EPER a publié un codex complet axé sur la transparence. Celui-ci doit permettre de faire toute la lumière sur la définition, les principes et la pratique d’une communication transparente. Et en parallèle, l’EPER procède chaque année à une évaluation de manière à identifier des lacunes existantes en matière de transparence et qui permet d’introduire les mesures d’amélioration correspondantes.

THOMAS FERON, 24 ans, Palézieux « Je ne fais pas de dons à des projets de développement. Je préfère être actif politiquement en Suisse et soutenir des ONG qui ont une action locale. En agissant en Suisse, on peut avoir un impact à l’étranger. Ce qui me dérange dans la coopération internationale, c’est l’approche impérialiste au niveau économique, culturel et idéologique des ONG. Certaines paient leurs expatriés aux normes suisses et exploitent les collaborateurs locaux sans leur donner des droits syndicaux, la liberté d’expression ou des avantages sociaux équivalant aux normes suisses. Mais elles imposent aussi des manières de faire et de penser qui ne conviennent pas aux contextes locaux. » Réponse de l’EPER : L’EPER est aussi de l’avis que certaines questions peuvent être réglées en Suisse. C’est la raison pour laquelle nous réalisons un travail de plaidoyer auprès du grand public en Suisse pour améliorer les conditions de vie à l’étranger au travers de campagnes auxquelles nous sommes associés, telles que l’Alliance climatique ou Droits sans frontière. Pour ce qui est de l’approche impérialiste des ONG sur le terrain, l’EPER est très soucieuse de ne pas entrer dans cette catégorie.

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Un des principes de notre action est le « Do no arm », autrement dit de ne pas produire des effets pervers en croyant résoudre des problèmes. Un autre principe important est que nous n’envoyons généralement pas d’expatriés sur le terrain, mais collaborons étroitement avec des organisations locales. Ces ONG, qu’on appelle aussi nos partenaires, sont à même de mieux cerner les besoins des bénéficiaires sur place et les projets à monter avec leur participation dans un souci constant de rendre autonomes et dignes ces personnes vulnérables.


REINHARD MARGELISCH, 41 ans, Diessbach bei Büren « J’ai du mal avec la charge émotionnelle qui accompagne la coopération au développement. Bien souvent en effet, les organisations d’entraide dramatisent les choses pour doper autant que possible leurs dons. C’est flagrant pour les collectes de fonds pendant la période de Noël où l’on cherche à profiter de l’émotion saisonnière des personnes pour les inciter à donner. La fidélité dans les dons devrait être encouragée. Les organisations d’entraide devraient fournir un savoir bien solide aux gens, afin de modifier leur comportement et les amener à s’investir toute l’année pour aider les personnes défavorisées et apporter leur soutien après des catastrophes. » Réponse de l’EPER : Bien des donateurs se laissent guider par leurs émotions. Beaucoup veulent faire une bonne action, surtout à l’approche des fêtes de fin d’année. Ils ne veulent pas uniquement gâter leurs proches, mais aussi contribuer, par un don, à améliorer l’existence de personnes défavorisées. Et bien entendu, les œuvres d’entraide profitent de ces circonstances et proposent des offres en conséquence. L’EPER ne déroge pas à cette règle. A nos yeux,

la sensibilisation et l’information sont capitaux lorsque nous sollicitons des dons. Car, vous avez raison, seules une évolution du comportement à l’égard des plus démunis de notre société et l’aptitude de ces personnes à devenir acteurs de leur vie permettent un développement ancré dans la durée – et pas seulement à Noël.

NAOMI JONES, 44 ans, Berne « Je ne fais pas souvent des dons pour des projets de coopération. Je préfère soutenir l’aide aux réfugiés, une thématique qui me touche plus personnellement. Je trouve que l’aide au développement s’apparente souvent à une mise sous tutelle. Beaucoup d’organisations croient savoir ce qui est bien pour leurs bénéficiaires sans les concerter et cerner leurs besoins réels. Les œuvres d’aide devraient renforcer leur action politique afin que les gouvernements instaurent les mesures nécessaires pour que les populations puissent se prendre en main. » Réponse de l’EPER : Naturellement, la coopération au développement doit toujours être motivée par les besoins réels des bénéficiaires. C’est pourquoi l’EPER travaille sur le terrain avec des organisations partenaires dont les collaboratrices et collaborateurs connaissent les conditions de vie, les problèmes et les besoins de la population. Ils peuvent ainsi définir au mieux les besoins réels et l’étendue de l’aide nécessaire. L’un des piliers centraux du travail de coopération au développement de l’EPER est le plaidoyer. Nous soutenons les personnes dans leur effort pour prendre part aux processus de décision des gouvernements et d’autres organes d’importance. C’est un des facteurs essentiels du renforcement des compétences des bénéficiaires prôné par l’EPER.

Votre avis compte !

VOUS AUSSI VOUS SOUHAITEZ RÉAGIR ? La coopération au développement a beaucoup évolué ces dernières décennies et il n’est pas rare qu’un malentendu entrave la compréhension d’un projet. Si vous avez des questions ou des critiques à formuler, n’hésitez pas à nous les adresser. Nous nous ferons un plaisir de vous répondre personnellement. Contacter la rédaction : joelle.herren@eper.ch


LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT EN QUESTION

ÉVALUER ET REDRESSER LE CAP Le programme de l’EPER en Inde arrivait en fin de cycle. L’évaluation des chaînes de création de valeur par un consultant externe, suivie d’un atelier avec les différents protagonistes du projet a permis de tirer profit des succès et d’apprendre des échecs pour adapter, en conséquence, le programme national 2015-2018. Adrian Scherler, chargé de programme, détaille les enjeux. Texte : Corina Bosshard Photo s : EPER / Christian Bobst

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Adrian Scherler, quel est le résultat général de ces évaluations ? Les forums sur les droits fonciers ont été la plus belle réussite de l’EPER en Inde : entre 2009 et 2014, les organisations partenaires de l’EPER ont pu mobiliser des terres pour quelque 69 000 familles marginalisées de Dalits et d’Adivasis. De ce fait, dans la prochaine phase de son programme en Inde, l’EPER veut principalement se concentrer sur le travail de ces forums et leur apporter son soutien, pour qu’ils puissent continuer à oeuvrer de manière durable et indépendante.

le seuil de la pauvreté. Cet essor économique attise par ailleurs des conflits autour de la terre et des ressources. Et c’est justement dans cette phase que les familles de petits paysans ont besoin de notre soutien. Dès que nos organisations partenaires et les forums sur les droits fonciers seront suffisamment renforcés, nous pourrons définitivement leur passer le flambeau de la responsabilité du projet et nous retirer progressivement du pays.

Et qu’est-ce qui a moins bien marché ? A l’évidence, le soutien agricole dans le cadre du programme « SEASON » n’a pas eu la portée escomptée : seul un tiers des bénéficiaires a pu tirer parti durablement des interventions. En outre, il manquait des synergies et une coordination entre les différentes composantes du programme. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? De nombreuses familles qui ont participé au programme « SEASON » ne possédaient aucune terre. Et certaines familles qui avaient obtenu des terres grâce à l’EPER n’ont pas été intégrées aux activités de « SEASON » ; elles n’ont pas pleinement – voire pas du tout – pu profiter de leurs terres. Une composante de suivi faisait également défaut pour savoir ce qu’il advenait des nouveaux propriétaires de terres après quelques années. Cela devrait toutefois changer dans la nouvelle phase du programme ? Absolument. L’accent principal devra être l’accompagnement, tout au long de leur parcours, des familles qui luttent pour une parcelle de terre : de l’acquisition à l’exploitation durable de la terre acquise, en passant par la vente des produits agricoles cultivés. La commercialisation de la noix de cajou par exemple sera importante. En tant que puissance émergente, l’Inde a-t-elle encore besoin d’aide au développement ? Effectivement, ce pays vit un boom économique significatif. Mais seule une petite partie de la population profite de cet essor. Un tiers de la population vit toujours sous

57 ANS D’ACTIVITÉ EN INDE L’EPER a débuté son action par un atelier d’apprentissage mécanique pour des jeunes des régions rurales du Kerala. Elle a ensuite ciblé son action sur les populations défavorisées et marginalisées que sont les hors-castes (Dalits) et les femmes ou aborigènes indiens (Adivasis). Depuis 2003, l’EPER a concentré son travail sur l’accès à des terres pour ces populations marginalisées en abordant toute la chaîne de création de valeur, de la production à la distribution, en passant par la transformation. Elle a fondé des forums sur les droits fonciers dans trois Etats, afin de coordonner la lutte pour la terre de ses différentes organisations partenaires. Ces dernières aident les petits paysans sans terre à s’extirper

des méandres administratifs et légaux pour obtenir leur propre terre. Puis, dans un deuxième temps, le programme « SEASON » aide ces nouveaux propriétaires à cultiver leur terre de manière durable en privilégiant les céréales traditionnelles et l’utilisation de fertilisants et pesticides organiques dans des potagers et centres de semences. Une autre composante du programme est la « Local Ressource Mobilisation ». Il s’agit d’informer les bénéficiaires de leur droit d’exiger que l’Etat installe des trous de sondage pour des fontaines ou qu’il mette à disposition de l’électricité, et de les amener à obtenir ces prestations.

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CAMPAGNE DM-EPER

AUJOURD’HUI CIDO A SA PROPRE TERRE, UN REVENU, UN AVENIR Cap sur le Cerrado au Brésil dans le cadre de la campagne DMEPER « La Terre en partage ». Cido et sa famille ont réussi à sortir de la misère en obtenant leur propre terre au sein d’une coopérative.

Texte : Joëlle Herren Laufer Photo : EPER / Christian Bobst

Quand Cido était jeune, il vivait avec ses six sœurs et ses parents sur un tout petit lopin de terre, proche de Montes Claros. Trop petit pour qu’il puisse y travailler, il était obligé d’offrir ses services à de grands propriétaires terriens pour un salaire de misère. Sa vie a changé quand, il y a 15 ans, il a occupé un lopin de terre à Americana, sur le terrain d’une grande entreprise redistribué dans le cadre de la réforme agraire. Cette action soutenue par l’EPER faisait partie des actions menées par le « Movimendo Sim Terra », le mouvement des sans-terres.

hommes sont d’abord venus sans leurs familles. Ils ont construit des routes, des huttes et des citernes. Ce n’est qu’après que leur familles les aient rejoints qu’ils ont construit des maisons en dur. Toutes les familles sont réunies en collectif ; l’entraide prédomine. L’un des principes qui les guide est de respecter leurs traditions de Geraizeiros. Ils cultivent donc de manière écologique en n’utilisant que des fruits et des légumes indigènes qui supportent le climat local principalement aride. Pas moins de 60 espèces différentes sont cultivées, parmi lesquelles des ananas et des mangues.

A l’époque, le responsable foncier de la commune prétendait que la terre n’y était pas fertile et que l’on ne pouvait pas la faire fructifier. Mais les nouveaux occupants ont démontré le contraire en utilisant des méthodes écologiques et traditionnelles pour travailler la terre. La défense du droit à la terre et le recouvrement de la propriété foncière est un axe important du travail de l’EPER dans le Cerrado au Brésil. Le Centre d’agriculture écologique forme des organisations partenaires locales et des petits paysans. L’accent est aussi mis sur la promotion des semences locales traditionnelles.

La coopérative de Grande Sertao, soutenue par l’EPER, collabore avec environ 3000 familles. Elle crée des filières pour la canne à sucre, les fruits sauvages ou les plantes médicinales. Cette collaboration permet aux familles de petits paysans du Cerrado d’obtenir un meilleur revenu et donc une meilleure qualité de vie. L’EPER a contribué à ce que le cycle du développement durable puisse se mettre en place et bénéficie non seulement aux petits paysans, mais aussi aux organisations partenaires qui ont tous augmenté et amélioré leur savoir-faire.

Culture indigène écologique Pour Cido et les autres hommes du camp d’occupation des terres, l’« acampamento », il a fallu commencer de zéro. Les

Il a fallu six ans à la communauté pour se structurer. Aujourd’hui, 15 ans plus tard, les familles de petits paysans sont fières de ce qu’elles ont réussi à accomplir. Les

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enfants sont poussés à aller à l’école et à entreprendre une formation pour avoir de vraies perspectives d’avenir. L’accès à la terre constitue le point de départ d’une vie meilleure pour les familles qui peuvent produire et assurer leur sécurité alimentaire. Cido rêvait depuis toujours d’avoir sa propre terre. Avec l’aide de l’EPER, son rêve est devenu réalité. Cido est apaisé et il souhaite maintenant pouvoir soutenir ses enfants à réaliser leurs projets de vie.

LA TERRE À CEUX QUI LA CULTIVENT Le mouvement des sans-terres, ­partenaire de l’EPER, réunit quelque 900 « acampamento », des camps d’occupation des terres de paysans pour le compte d’environ 50 000 familles. Celles-ci produisent des denrées alimentaires pour leur propre consommation ainsi que pour le marché local. « La terre doit revenir à ceux qui la cultivent ! » est leur slogan. 175 millions d’hectares de terres pourraient être distribués à des paysans sans terre en vertu de la loi agraire de 1990.


Cido a réalisé son rêve en acquérant une terre

LA SITUATION AU BRÉSIL

Faites un don !

AIDEZ LES PETITS PAYSANS À OBTENIR UNE TERRE… 24%

30%

76%

70%

Répartition des terres agricoles

Contribution aux denrées consommées

A travers le monde, l’EPER soutient des milliers de familles dans leur lutte pour la terre. Avec un don de CHF 70, vous permettez à une famille de s’organiser et de bénéficier du soutien juridique nécessaire pour obtenir une parcelle dans le cadre de la réforme agraire. CP 10-1390-5, mention : « Brésil »

…  ou mobilisez-vous pour vendre des sachets de sel à CHF 5 ! Industrie agroalimentaire Petites exploitations

www.eper.ch/dm-eper, nicole.pignolet@eper.ch, 021 613 40 83


AGE ET MIGRATION

PLONGEON EN EAU FROIDE : LES VERTUS DE LA MISE À NU A côté des séances d’information sur les assurances maladie et sociales, Age et migration propose aux personnes vieillissantes des communautés ex-yougoslaves et lusophones des activités pour sortir de l’isolement. Zoom sur une relation de confiance avec un groupe de femmes portugaises qui leur permet de se jeter à l’eau, au propre comme au figuré. Texte : Joëlle Herren Laufer Photos : Yves Leresche et EPER / Joana da Silva

Quand l’animatrice d’Age et Migration, a créé le Café-rencontre au centre des Alizés à Yverdon, c’était pour donner aux femmes portugaises l’occasion de se rencontrer. Les hommes avaient leur Café portugais où ils pouvaient jouer aux cartes ou regarder des matchs de foot. Mais les femmes n’y trouvaient pas leur place. Le Café-rencontre a palié à ce manque. Lors des premières séances, les participantes buvaient simplement du café avec des pâtisseries. C’était déjà un véritable plaisir pour elles de pouvoir échanger sur leur vie au Portugal, leurs douleurs corporelles – elles pratiquent toutes un emploi pénible – ou leur éventuel retour au pays. Un jour, Joana, l’animatrice, a suggéré une sortie aux bains d’Yverdon, les participantes lui ont avoué qu’elles ne savaient pas nager. Elle a donc mis sur pied des cours de natation. « Cela semble banal, mais quand on n’est jamais allé à la piscine, c’est toute une aventure », témoigne Joana. « On ne va jamais y arriver ! » s’est exclamée l’une d’elles. « J’ai arrêté l’école à la quatrième année, je ne sais pas faire du vélo, comment veux-tu que j’apprenne vite à nager ? » a déclaré une autre.

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« Ces femmes ont pris conscience qu’elles pouvaient organiser des activités. »

Elles trouvent la force dans le groupe Les cours de natation constituent une sacrée étape pour ces femmes qui ont peu l’habitude d’être en situation d’apprendre ou de pratiquer des loisirs. « C’est une mise à nu à tous points de vue, raconte Joana. D’abord, il y a la peur à gérer. Il n’est pas rare qu’elles sortent de l’eau en tremblant. Rien n’est naturel, même souffler dans l’eau est nouveau. Ensuite, il faut dévoiler son corps en maillot de bain puis être à nu au sens propre du terme sous la douche. » Charlotte, la professeure, passe son temps à encourager ces femmes qui ne cessent de se dévaloriser. Et qu’elles le croient ou non, elles font des progrès tout en rigolant.

vague. Elle a invité une nutritionniste au Café-rencontre, elle organise une sortie champignons. L’effet de groupe est un véritable moteur. Ces femmes ont tellement de plaisir à participer aux cours de natation qu’elles ont décidé de les poursuivre à leurs propres frais et ont déjà agendé leur propre sortie morilles. « Pourrait-on apprendre autre chose ? »

Avides d’apprendre Cette plongée en eau froide n’est pas seulement bénéfique pour le corps. Les vestiaires sont un lieu idéal de papotage. Pour cette population très pudique, cette intimité permet une complicité nouvelle. Et puis ces femmes découvrent non seulement qu’elles sont capables d’apprendre, mais aussi qu’elles sont avides d’apprendre de nouvelles choses. Joana surfe sur la

AGE ET MIGRATION COMBLE UN VIDE Lancé en 2012, le projet Age et Migration a démarré auprès des communautés vieillissantes ex-yougoslaves et s’est étendu aux communautés lusophones du canton de Vaud, toutes deux très vulnérables, isolées et souvent en mauvaise santé. Ces personnes au parcours migratoire difficile et qui ne pensaient pas rester en Suisse sont peu intégrées et maîtrisent mal le français. Il en résulte une méconnaissance du système socio-sanitaire, raison pour laquelle le projet organise des séances d’information sur les assurances maladie et sociales et leur gestion financière personnelle en collaboration avec Pro Senectute Vaud. Chaque séance est encadrée par un médiateur interculturel pour que les informations soient compréhensibles dans les cinq langues des communautés.

Des permanences d’écoute et d’orientation individuelles sont aussi organisées à Lausanne et Yverdon. Elles permettent aux bénéficiaires de mieux prendre conscience des cartes qu’ils ont en main pour s’approprier leur situation et revendiquer des prestations auxquelles ils pourraient prétendre. Une fois qu’une relation de confiance est établie, les différents groupes de migrants seniors sont ouverts à participer à des activités culturelles ou sportives proposées par le projet. Outre les cafés-rencontres, la soirée musicale et la visite de la Fondation gentiana pour la connaissance des plantes médicinales à Leysin ont été fort appréciées.

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ACTUEL

AGENDA Stand d’infos sur les paysannes du Congo et l’EPER Thierry Pleines, chargé de projet, présent de 10h-12h

ANDREAS KRESSLER

NOUVEAU BUREAU DU

NOUVEAU DIRECTEUR

SAJE À YVERDON

Dès le mois d’août, Andreas Kressler succède à Ueli Locher au poste de directeur de l’EPER. Elu par le Conseil de fondation, il sera basé au siège de Zurich. Ce comptable de formation dispose d’une vaste expérience de l’administration publique.

Le Service d’Aide Juridique aux ­Exilé-e-s (SAJE) a ouvert en avril une nouvelle antenne à Yverdon.

En tant que membre de la direction de la mission des Frères moraves suisses durant plusieurs années, il a participé à des projets de développement en Tanzanie. Il est également membre du Conseil de fondation d’une organisation offrant un accompagnement au logement ambulatoire et stationnaire, et membre de la commission d’experts pour le développement et la coopération du canton de Bâle-Ville. Il bénéficie aussi de plusieurs années d’expérience en matière de management dans un environnement de travail complexe. Il a dirigé jusqu’alors l’organisme en charge de la gestion du parc immobilier du canton de Bâle-Ville et était antérieurement secrétaire général du département cantonal des finances de Bâle-Ville.

Ce centre s’occupera d’offrir un conseil juridique gratuit aux personnes requérantes hébergées dans les Centres d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, des Rochats (VD) et de Perreux (NE), les deux derniers récemment ouverts par le Secrétariat d’Etat à la migration. Une juriste à 60% tient une permanence sans rendez-vous les lundis et jeudis de 14h30 à 16h30. Un groupe de bénévoles de la région du Nord vaudois, le Tempak, accueillent les requérants pendant les heures de permanence. Coordonnées : Quai de la Thiele 3, 079 928 03 05

L’EPER lui souhaite la bienvenue !

29 AOÛT 2015, DE 9H À 16H Autour ou dans l’Eglise française de Berne. Contact : Thierry Dominicié, 078 715 46 52

Campagne DM-EPER 2015 La terre en partage SOIRÉES DE LANCEMENT Neuchâtel (NE), 1er septembre, maison de paroisse, 19h Tramelan (BE-JU), 3 septembre, maison de paroisse, 19h Martigny (VS), 8 septembre, salle de paroisse, 19h30 Môtier-Vully (FR), 10 septembre, maison de paroisse, 19h30 Lausanne (VD), 11 septembre, Centre de Bois-Gentil, 19h30 Contact : nicole.pignolet@eper.ch, 021 613 40 83,

Fête interculturelle de Renens 3 OCTOBRE 2015, DÈS 14H Eglise catholique St-François de Renens. Contact : Abbé Thierry Schelling 076 542 05 31

Marché d’automne à Champoz Vente de chèvres et de savons par la paroisse de Bévilard au profit de l’EPER 3 OCTOBRE 2015, DE 9H À 18H Champoz. Contact : ­Claudine Bassin, 032 358 51 85

ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE Secrétariat romand Bd de Grancy 17 bis Case Postale 536 1001 Lausanne

Tél. +41 21 613 40 70 info@eper.ch www.eper.ch CP 10-1390-5


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