Agir no 27 - 08/2017

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AOÛT 2017

AGIR LE MAGAZINE DE L'ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE

FORUM SUR LA TERRE

ÉCHANGE DE SAVOIRS SUR L’ALPAGE

MARCHÉ DE L’EMPLOI Des diplômes bons à emballer des saucisses ! LIBAN Pas de statut légal pour les réfugiés


ÉDITORIAL

ÉGALITÉ DES CHANCES, UN INVESTISSEMENT GAGNANT ! © EPER/ Patrick Gilliéron Lopreno

Et si l’égalité des chances n’était pas seulement un principe de justice sociale, mais également un investissement rentable économiquement ? Plusieurs études menées par le Secrétariat d’Etat à l’économie annoncent une pénurie de main d’œuvre qualifiée, notamment dans les domaines de l’ingénierie et de l’informatique. Suite à la votation du 9 février, une valorisation de la main d’œuvre indigène est priorisée dans les stratégies dessinées au niveau fédéral. Nikita, informaticienne, employée aux cuisines d’un hôpital, représente un potentiel de talents gâché. Avec sa campagne « Egalité des chances, un investissement gagnant », l’EPER souhaite sensibiliser la population et les employeurs à ces quelque 50 000 personnes, originaires de pays tiers, vivant en Suisse et occupant des emplois sans lien avec leur haut niveau de formation et dont le potentiel est gaspillé. Pour illustrer cette perte pour l’économie suisse, des diplômes seront utilisés comme papier d’emballage pour des saucisses. Est-ce à cela que l’on veut employer les masters chèrement acquis ? Magaly Hanselmann Secrétaire romande

Bilan de compétences exhaustif, mise en place d’un projet professionnel réaliste et proposition de formation sont les mesures que l’EPER offre en Suisse romande grâce au projet Pont Emploi depuis 2013. Ce coaching permet de développer l’employabilité des bénéficiaires relevant de l’asile, afin qu’elles et ils soient reconnus sur le marché de l’emploi en Suisse. L’EPER mène également depuis 2010 le projet Mentorat Emploi Migration (MEM). En créant des duos avec des professionnels de différents domaines, le projet vise à faciliter la reconnaissance des compétences et diplômes étrangers et à ouvrir le réseau professionnel. Les résultats sont là. Les personnes ayant reçu le soutien d’une ou d’un mentor MEM ont des possibilités d’accès à l’emploi deux à trois fois supérieures à celles qui n’en ont pas bénéficié. Environ 30% des personnes ayant participé au mentorat trouvent un emploi dans leur branche.

DANS CE NUMÉRO 3

Egalité des chances Des diplômes à peine bons pour emballer des saucisses ! Interview de Ferhad Moussa : « Il m’a fallu beaucoup de patience »

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Aide humanitaire Les réfugiés n’ont aucun droit au Liban Après la sécheresse, le Zimbabwe en proie à des innondations

10 Collaboration avec les Eglises Transformer les regards face au handicap 12 Annoncer la couleur Quand la solidarité fait la fête Traditions humanitaires et folkloriques 15 Forum sur la terre Palabres terriens à Berne et balades à Schwyz Utilisation commune des terres dans les projets de l’EPER 20 Actuel et agenda

Ces projets illustrent parfaitement notre slogan : petits moyens, grands effets !

AGIR N° 27 AOÛT 2017 ISSN 2235-0772 Paraît 4 fois par an COUVERTURE PHOTO

PHOTOS Anne Geiger

TRADUCTION Nassima Rahmani

RESPONSABLE Olivier Graz

GRAPHISME ET ILLUSTRATIONS superhuit.ch

TIRAGE 15 300 exemplaires

RÉDACTION Joëlle Herren Laufer

IMPRESSION Jordi Belp

ÉDITEUR Entraide Protestante Suisse (EPER)

Annette Boutellier / EPER Hilário Correa Franco, chef de la tribu des Xakriabá

ABONNEMENT CHF 10 déduits une fois par an de vos dons

ADRESSE Chemin de Bérée 4A Case postale 536 1001 Lausanne Téléphone 021 613 40 70 Fax 021 617 26 26 www.eper.ch info@eper.ch

CP POUR LES DONS 10-1390-5


ÉGALITÉ DES CHANCES

DES DIPLÔMES À PEINE BONS POUR EMBALLER DES SAUCISSES !

A quoi servent vos diplômes ? Pour la plupart d’entre nous, ils sont soigneusement rangés dans un tiroir de bureau, et parfois encadrés au mur. Pour d’autres, issus de la migration, ils ont perdu toute valeur, à tel point qu’ils pourraient servir à emballer une saucisse ! Texte : Andrea Oertli Photo : EPER / Daniel Rihs

Des saucisses emballées dans des diplômes universitaires ? Choquant ! Cela reflète pourtant la situation à laquelle sont confrontées, en Suisse, une grande partie des personnes migrantes diplômées d’autres pays. L’EPER réédite cette année la campagne « Egalité des chances – un investissement gagnant ». A travers une action menée sur une terrasse zurichoise, elle a voulu rendre le public attentif à la situation de quelque 50 000 personnes dotées d’une bonne formation mais déqualifiées quand elles ne sont pas au chômage. Leurs diplômes sont sans valeur en Suisse, un simple bout de papier. Potentiel de main-d’œuvre inexploité Quand une informaticienne est employée aux cuisines d’un hôpital ou qu’un technicien en environnement gagne sa vie comme maçon, il s’agit, selon l’EPER, de talents gâchés. Ces situations sont d’autant plus surprenantes que la Suisse affiche un taux de chômage très faible, comparé à d’autres pays, et que le Secrétariat d’Etat à l’économie observe une pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans plusieurs branches, notamment dans les métiers du génie civil et de l’informatique.

La Confédération en quête de réponses Cette question préoccupe également l’administration fédérale qui a lancé un projet pilote sur mandat du Secrétariat d’Etat aux migrations pour la période de 2013 à 2018. Intitulé « Exploiter le potentiel des migrants – Formations de rattrapage », il vise à enquêter sur les problèmes auxquels les personnes relevant de l’asile sont confrontées dans leur recherche d’emploi en Suisse et d’apporter des solutions susceptibles de changer la donne.

Des obstacles qui pourraient être surmontés La maîtrise de la langue a été identifiée comme indispensable. Trois autres obstacles de taille ont également été relevés dans un rapport intermédiaire publié en 2015. Il y a d’abord la complexité du système éducatif suisse avec autant de procédures qu’il y a de cantons. Il y a ensuite le problème de la non-reconnaissance

APPEL AUX ENTREPRISES La plate-forme www.donnez-unechance.ch publie des portraits de personnes migrantes qualifiées actuellement à la recherche d’un emploi en Suisse. Etes-vous à la recherche de personnel pour votre entreprise  ? Alors parcourez ces profils et invitez les candidats potentiels à passer un premier entretien sans engagement de votre part. Un bref essai ou un stage peuvent en dire long sur une personne. Aidez vous aussi les personnes migrantes ou réfugiées à s’insérer sur le marché du travail. Leurs diplômes ne sont pas sans valeur. Pour toute question, n’hésitez pas à contacter : anne-claude.gerber@eper.ch

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ÉGALITÉ DES CHANCES

de la plupart des diplômes aquis hors de Suisse car les cursus étrangers ne sont pas toujours suffisamment détaillés. Un bilan de compétences exhaustif permettrait de remedier à ce problème et d’envisager les mesures de rattrapages éventuelles. Il y a enfin le fait que les qualifications acquises dans un autre pays, surtout les diplômes de formation professionnelle, ne sont que rarement reconnus en Suisse. En général, ces titres sont plutôt considérés comme une condition préalable à l’admission à des cursus de qualification ou à des programmes de rattrapage, ce qui exige un grand niveau de flexibilité, de patience et de volonté alors que l’expérience est déjà

acquise. Cela explique que la plupart des personnes migrantes se rabattent sur des emplois moins qualifiés. Et ensuite ? La solution pour surmonter ces obstacles consiste à fournir un coaching personnalisé aux personnes recherchant un emploi adéquat, avec bilan de compétences, élaboration d’une stratégie pour l’insertion professionnelle et recherche d’un stage approprié, d’une formation ou d’un emploi. Les résultats sont perceptibles aussi bien sur la motivation de la personne concernée que sur son insertion professionnelle. Cet investissement sur le long terme porte

ses fruits, l’EPER en est persuadée. C’est pourquoi elle a lancé cette année le projet MosaiQ dans plusieurs régions de Suisse, qui propose des conseils et un suivi à des personnes migrantes qualifiées et les aide à franchir l’écart entre leurs compétences acquises ailleurs et les exigences du marché suisse. La participation des entreprises est une condition indispensable au succès de cette approche. En proposant des stages de quelques semaines, il est possible d’évaluer de manière approfondie les compétences de collaboratrices et de collaborateurs potentiels.

Ferhad au laboratoire d’acoustique d’ARTROG. Il a construit un moteur électrique qui peut faire bouger les haut-parleurs et développé un programme pour smartphone qui commande le tout.

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« IL M’A FALLU BEAUCOUP DE PATIENCE » Il y a deux années, Ferhad Moussa a fui seul la Syrie en guerre pour la Suisse. Interview de ce réfugié de 29 ans hautement qualifié qui souhaite travailler dans le domaine des techniques biomédicales. Texte : Bettina Filacanavo Photo : EPER / Daniel Rihs

Ferhad Mussa, vous avez déposé une demande d’asile en Suisse en mars 2015, après une errance de sept mois. Que s’est-il passé ensuite ? Ça a été long. Tout était nouveau pour moi, les gens, la culture, les règles de vie, les lois... De plus, j’attendais une réponse à ma demande d’asile. De nature très impatiente, j’ai dû apprendre la patience. La réponse de l’Office des migrations a mis une année et demi à arriver. Pendant ce temps, j’étais logé dans une commune du canton de St-Gall et j’avais peu de liberté de mouvement. J’aurais voulu travailler et suivre des cours d’allemand mais j’étais forcé à l’inactivité.

Vous parlez l’allemand couramment… J’aime les langues. Je parle l’anglais couramment, mais cela ne suffit pas, bien sûr. J’ai suivi un cours intensif d’allemand pendant sept mois à l’école-club Migros, jusqu’au niveau B2. La langue est un critère important si l’on veut trouver du travail. Vous avez fait des études supérieures en Syrie. Dans quelle discipline exactement ? Je suis ingénieur. J’ai fait un bachelor en génie électronique puis un master en ingénierie biomédicale à l’université d’Alep. Pendant mes études, j’ai collaboré à plusieurs études dans le domaine médical. En février 2014, j’avais commencé à travailler en Syrie comme enseignant en électronique et en informatique à l’école secondaire industrielle d’Afrin.

Vos diplômes ont-ils été reconnus ici en Suisse ? Oui ! J’ai envoyé mes diplômes et mes certificats à l’organisme swissuniversities, qui a jugé mes qualifications de haute école équivalentes à un bachelor en génie électronique et à un master en ingénierie mécanique.

Dans quelle mesure MosaiQ a pu vous être utile ? Cela a commencé dès l’établissement des documents de candidature. Ensuite, MosaiQ m’a aidé dans la recherche de stages pratiques correspondant à mon profil. Et enfin, j’ai reçu des conseils très utiles pour les entretiens de candidature.

Quels sont les principaux obstacles dans la recherche d’emploi ? Au début, c’était la langue, puis les barrières administratives : quand j’étais encore en procédure d’asile, je n’avais pas d’autorisation de travail alors que j’aurais pu travailler. Je voulais être financièrement indépendant aussi vite que possible et cesser de dépendre de l’aide d’urgence. Mais sans permis de travail, un employeur ne peut rien faire. Aujourd’hui, même en stage, je gagne un salaire suffisant pour me prendre en charge. Cela fait du bien.

Que faites-vous maintenant ? J’ai obtenu un stage rémunéré de trois mois à l’université de Berne, au centre ARTORG de recherches en ingénierie biomédicale. J’y travaille dans la section du laboratoire de recherches sur l’audition, qui collabore étroitement avec l’hôpital bernois de l’Île. Comme j’ai peu d’expérience dans ce domaine, ce stage va m’aider à décrocher un poste fixe. Pour l’instant, je profite des contacts avec les autres scientifiques. C’est très motivant.

Vous allez être accompagné par le programme d’intégration MosaiQ de l’EPER. Comment avez-vous entendu parler de MosaiQ ? J’ai demandé à l’EPER si quelqu’un pouvait m’aider à trouver un stage ou un emploi. Une juriste du Bureau de consultation juridique m’a alors parlé de MosaiQ. Pour moi, il était clair que je voulais travailler dans ma branche, comme ingénieur, mais j’avais besoin d’aide dans ma recherche de stage ou d’emploi.

Que va-t-il se passer ensuite ? Une entreprise du canton de St-Gall m’a proposé un stage en ingénierie pour Aerospace AG, qui réalise l’aménagement intérieur et extérieur des appareils dans ce domaine. Je le commence en août avec l’espoir qu’il débouche sur un engagement à durée indéterminée. J’avais déjà postulé auprès de cette entreprise l’année dernière, mais à l’époque il me manquait un permis de travail. Récemment, l’entreprise a repris contact avec moi et comme ma situation administrative a changé, je peux enfin faire ce stage.

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AIDE HUMANITAIRE

LES RÉFUGIÉS N’ONT AUCUN DROIT AU LIBAN Bien que représentant le quart de la population libanaise (1,2 million), les personnes qui se sont réfugiées dans ce pays ne sont pas reconnues comme telles et n’ont aucun droit. Interview de Khalid Grein, responsable des projets d’aide humanitaire de l’EPER au Liban, démarrés en octobre 2013 avec la crise syrienne. Texte : Joëlle Herren Laufer Photos : EPER / Pascal Mora

200-300 dollars pour une petite chambre sans intimité. Les réfugiés s’endettent pour ces abris de fortune : plutôt se priver de nourriture que de perdre leur logement ! Quelles sont les difficultés rencontrées sur place ? Comme le Liban n’a jamais signé la convention de 1951 sur les réfugiés, leur statut n’est pas reconnu : ils n’ont pas le droit de travailler. Il y a par conséquent beaucoup de travail illégal et d’exploitation. Les personnes travaillent souvent pour presque rien et ont des conditions de vie déplorables.

Où travaille l’EPER au Liban ? L’EPER est active dans deux ghettos de réfugiés à Beyrouth auprès de 1750 familles. L’un est à Chatila, qui abritait 16 000 personnes sur une surface de moins d’1 km2 avant la crise syrienne, auxquels se sont ajoutés 8000 réfugiés syriens ces dernières années. L’autre est à Borj el Barjine où vivent 35 000 personnes sur 1 km2. Quelles sont les conditions de vie dans ces deux camps ? Désastreuses ! Il y a une pénurie de logements. Beaucoup de réfugiés vivent dans des garages sans fenêtres ou des maisons délabrées sans eau courante ni électricité. Les loyers sont exorbitants : entre

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Quel type d’aide l’EPER fournit-elle ? Nous leur apportons un soutien financier inconditionnel de 50 dollars par mois pendant un an, ainsi que des opportunités de gagner de l’argent contre des travaux de nettoyage dans les camps et de réhabilitation des logements. Nous nous efforçons de faire travailler les personnes réfugiées et la population locale ensemble pour qu’une forme de cohésion s’installe entre elles. Est-il courant de distribuer de l’argent ? Cela se fait de plus en plus lorsque l’on peut acheter des choses sur place. L’avantage, c’est qu’il y a moins de risques de détournements qu’avec des distributions de nourriture et moins de possibilités de tricher. Mais le plus important, c’est que cette approche offre plus de dignité aux

bénéficiaires : ils ne sont pas stigmatisés parce qu’ils reçoivent une aide sociale et ils peuvent décider eux-mêmes comment dépenser leur argent. En amenant de l’aide, ne risque-t-on pas de créer des effets pervers ? En effet, d’un côté, nous sauvons la vie de milliers de personnes, de l’autre, nous créons une dépendance. C’est pour cela que nous devons aller plus loin et les aider à générer leurs propres revenus de façon autonome. Mais tant qu’il n’y a pas de droit pour eux, c’est difficile. L’EPER réhabilite-t-elle aussi des maisons ? Oui. En plus d’améliorer les conditions de vie et de santé, cela fournit des emplois temporaires. Nous avons aidé une femme


« LA TERRE EN PARTAGE AU

TURQUIE

1,2 MILLION SYRIE

ISRAËL/ PALESTINE

JORDANIE

arrivée seule de Syrie avec ses quatre enfants qui vivait dans une chambre de 10 m2. La chambre était totalement délabrée. Elle a été repeinte, réaménagée et une fenêtre a été installée. Cette femme était très reconnaissante et nous a dit qu’elle pouvait enfin considérer cette pièce comme un lieu de vie. Elle a même trouvé un emploi.

DE PERSONNES RÉFUGIÉES AU LIBAN, SOIT 25% DE SA POPULATION.

Quelles sont les perspectives pour les réfugiés dans ces camps ? Ceux qui en ont les moyens fuient vers l’Europe. Mais c’est une minorité. Je pense qu’ils rentreront en Syrie quand les conditions le permettront, sauf si tout a été détruit chez eux. En attendant, la vie est très difficile. Nous nous employons à discuter avec les autorités locales pour que les réfugiés puissent travailler selon des conditions locales. Nous les formons aussi pour qu’ils aient une profession à l’avenir. Ils ne veulent pas la charité, ils veulent travailler. Ce qui me frappe, c’est l’hospitalité des gens. Partout, il y a de l’espoir.

BÉNIN ET LIBAN » Chaque année à l’automne, DMéchange et mission et EPER mènent une campagne conjointe dans les paroisses de Suisse romande, relayée par les animateurs Terre Nouvelle pour les paroissiens. Cette année, elle aborde les questions de l’impact des changements climatiques au Bénin et de l’afflux des personnes réfugiées syriennes au Liban, observées sur le terrain par ces deux œuvres d’entraide. Vous êtes bienvenus aux soirées de lancement ! cf. agenda en page 20 Pour toute commande de matériel et info supplémentaire : www.eper.ch/dm-eper_materiel

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AIDE HUMANITAIRE

APRÈS LA SÉCHERESSE, LE ZIMBABWE EN PROIE À DES INONDATIONS

Après une longue période de sécheresse qui a détruit les récoltes, la population zimbabwéenne est maintenant confrontée aux ravages des inondations causées par le passage du cyclone Dineo, fin février. Avec deux organisations partenaires, l’EPER apporte une aide d’urgence à environ 33 170 personnes touchées par ces inondations.

Texte : Bettina Filacanavo Photo : KY / AP Photo / Tsvangirayi Mukwazhi

Depuis plusieurs années, le Zimbabwe est victime de variations climatiques extrêmes. Les populations rurales, notamment dans le sud du pays, sont les premières à en subir les conséquences. Dans les districts les plus durement touchés, les redoutables sécheresses de 2015 et 2016 ont, d’après les estimations, détruit jusqu’à 75% des récoltes. La baisse inquiétante des précipitations dans ces régions du sud était due au phénomène climatique El Niño. En février 2016 déjà, le gouvernement avait donné l’alerte nationale au vu du risque de famine et lancé un appel à l’aide internationale. L’EPER fournit depuis plusieurs mois une aide d’urgence dans le district de Matobo, au sud du pays. Avec ses partenaires locaux, elle distribue aux petits paysans des colis de vivres et des semences de céréales résistantes à la sécheresse. Destructions au passage du cyclone Dineo Après la grande sécheresse, le pays a connu d’importantes inondations en février. Le passage du cyclone tropical Dineo a, en très peu de temps, noyé des

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régions entières sous des trombes d’eau. De nouveau, les régions sud du pays ont été les plus touchées. Dans le district de Matobo, par exemple, quatre fleuves ont débordé de leur lit et tout détruit : maisons, routes, puits, latrines et cultures agricoles. Environ 300 familles, dont beaucoup de femmes avec enfants, ont été contraintes de quitter leur maison ; elles se retrouvent aujourd’hui sans foyer et sans protection. Quelques écoles ont également été durement endommagées par les inondations.

La population manque d’eau potable, tandis que les champs et les potagers ont été balayés par les flots

Eau potable et nourriture La population manque d’eau potable, tandis que les champs et les potagers ont été balayés par les flots. Il en résulte un risque de famine. Les victimes des inondations sont contraintes de vendre des outils de travail indispensables et des biens ménagers de base, sans pour autant parvenir à couvrir leurs besoins. Ce faisant, elles amoindrissent leurs chances de survivre de façon autonome.


Des villageois apportent de la nourriture aux personnes qui s’occupent de leur bétail à Tsholostho, au nord de Bulawayo.

Dans huit circonscriptions, l’EPER, en partenariat avec Fambidzanai Permaculture Centre et Moriti oa Sechaba, apporte une aide d’urgence à environ 3200 familles des régions inondées. L’aide humanitaire est étroitement coordonnée par le gouvernement, de sorte que les ONG se concentrent sur les activités dans lesquelles elles sont spécialisées. Des bons alimentaires sont distribués à 500 ménages pour leur permettre de se procurer de la nourriture sans complications et sans délai d’attente, ainsi que des semences pour pouvoir redémarrer des cultures. La distribution de bons au lieu de nourriture vise à soutenir l’économie locale. Par ailleurs, 40 familles dont les maisons ont été détruites reçoivent des matériaux pour les réparations. 92 latrines seront reconstruites, ainsi que neuf puits afin de garantir un approvisionnement en eau potable. Au total, 33 170 personnes bénéficient de cette aide d’urgence. Des comités locaux sont constitués – avec des formations adaptées – aussi bien pour s’assurer de pratiques agricoles durables que pour entretenir les puits et les latrines

nouvellement construits. Une continuité est ainsi assurée afin que l’aide d’urgence se répercute positivement sur le long terme.

L’EPER AU ZIMBABWE L’EPER est présente au Zimbabwe depuis de longues années. L’Etat est politiquement très instable et la population en souffre. Des sanctions internationales frappent le pays et l’économie peine à décoller. L’EPER axe ses activités sur l’agriculture durable, l’accès à l’eau et à l’éducation et le renforcement de la société civile qui s’engage pour la paix et la justice sociale.

LE ZIMBABWE A BESOIN DE NOTRE AIDE Je veux faire un don pour les ­victimes au Zimbabwe pour ­financer des bons alimentaires et fournir des semences. CP : 10-1390-5, mention « aide humanitaire Zimbabwe »


COLLABORATION AVEC LES ÉGLISES

TRANSFORMER LES REGARDS FACE AU HANDICAP La honte d’avoir un enfant en situation de handicap est encore terriblement présente en Ukraine. Les familles touchées préfèrent souvent garder leur enfant caché, confiné à la maison de peur d’être stigmatisées par la société. L’EPER soutient deux centres d’accueil que Nicole Tille, responsable des relations paroisse à l’EPER, a visité avec des pasteurs et des diacres romands.

Texte et photos : Nicole Tille-Poschung

La route qui mène de Beregszász, petite ville de 13 000 habitants, à Mesörvary est extrêmement défoncée. Il faut savoir anticiper les nids-de-poule dans l’asphalte et accepter les incursions sur la voie de circulation opposée pour éviter de trop grandes secousses, tant pour le bien-être des voyageurs que pour les amortisseurs ! Cela n’empêche pas notre chauffeur de rouler à vive allure sur les 16 kilomètres pour arriver à destination. Sortir de l’ombre Enfin, le centre « Nefelejcs » – Ne m’oublie pas – se dresse devant nous dans un écrin de verdure. Le bâtiment, qui accueille tous les jours des enfants en situation de handicap, a récemment été repeint et apporte un côté lumineux. L’évêque de l’Eglise réformée hongroise en Transcarpatie, Sandor Zan Fabjan, nous accueille pour la visite des lieux. Dès le pas de la porte, nous sentons une atmosphère agréable. Il y a une salle d’éveil individuel, une autre, plus grande, pour de multiples activités de stimulation, et une salle avec un petit bassin pour l’hydrothérapie. Les pièces sont lumineuses et décorées de portraits des enfants ou de bricolages créatifs.

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Un bâtiment secondaire héberge une grande cuisine avec une salle à manger attenante. Les jeunes qui le souhaitent aident à la confection des repas, dans la mesure de leurs capacités. Il s’agit d’une activité très stimulante, utile et gratifiante. L’ambiance est gaie, les jeunes rient. Condamnés à être cachés par honte Là, l’évêque Sandor nous évoque le point de départ de ce centre d’accueil pour les enfants en situation de handicap. « Un jour, l’un de mes voisins qui habite à cinq maisons de chez moi me demande si je peux faire le service funèbre de son fils. Très surpris, je lui dis avoir vu son fils en pleine forme pas plus tard que deux jours auparavant. Cet homme me dit alors qu’il s’agit de son « autre » fils, âgé de 16 ans, polyhandicapé, qui n’était jamais sorti de chez lui. Quel choc d’apprendre que, juste à côté de chez moi, vivait depuis toujours un enfant devenu jeune homme, confiné, caché chez lui, par la simple mais terrible pression sociale qui considère comme une honte le fait d’avoir un enfant « anormal » ! » Sandor nous dit avoir ressenti une révolte teintée de tristesse face à cette injustice. Il veut en savoir plus. Il se lance donc dans du porte-à-porte dans son quartier, puis

dans sa ville et les villages avoisinants pour enquêter et recenser tous les enfants touchés par le handicap et condamnés à rester enfermés pour la seule faute d’être différents. En près d’un mois, son équipe et lui-même ont dénombré pas moins de 56 enfants et jeunes avec des handicaps lourds ou légers, mentaux ou physiques dans ce petit périmètre. Une formidable détermination Cet homme volontaire doté d’un certain pouvoir a alors remué ciel et terre pour dénoncer cette réalité au grand jour et créer un lieu d’accueil adapté ; un lieu proposant des activités et des thérapies qui permettent de développer les capacités physiques, sociales et cognitives. En très peu de temps, il a réussi à rallier la communauté autour de ce projet et, avec le soutien financier de l’EPER entre autres, à trouver une première maison, puis une deuxième pour créer deux centres d’accueil de jour décents. Actuellement, 44 enfants et jeunes les fréquentent régulièrement et autant sont sur une liste d’attente. Grande défaillance du système de santé Le nombre particulièrement élevé d’enfants avec un handicap en Ukraine est en grande partie dû aux défaillances du sys-


tème de santé. « Ces handicaps ont par exemple pour origine un manque d’oxygène lors de l’accouchement, un vaccin périmé causant des dommages neurologiques irréversibles ou des encéphalites non diagnostiquées », explique Sandor. Le pays souffre aussi d’un manque évident de médecins et de personnel soignant, ainsi que d’une pénurie de médicaments. Sandor nous explique que les personnes ayant des ressources financières suffisantes vont accoucher, se faire soigner ou opérer de l’autre côté de la frontière toute proche, en Hongrie. Réaliser que l’on peut, si proche de chez nous, mourir par manque de soins appropriés ou subir des séquelles extrêmement graves et définitives par manque de moyens laisse le groupe pantois. Stimulation sensorielle avec des animaux Au sortir du bâtiment secondaire, nous découvrons encore un atelier de travail du bois où des nichoirs à oiseaux très colorés sont en train de sécher. Des chèvres,

des poules, des oies et un âne, paissant dans différents enclos, font le bonheur des pensionnaires. Ils sont même partie intégrante de la thérapie. Caresser un animal crée une stimulation sensorielle et permet d’optimiser le développement social et affectif des enfants et des jeunes en situation de handicap. A la fin de la visite, après avoir chaleureusement remercié et salué l’évêque Sandor Zan Fabjan, le groupe retourne en ville pour visiter un autre projet diaconal de distribution de soupe et de pain, de vêtements ainsi qu’un EMS et un foyer d’accueil pour des femmes victimes de violences domestiques ou des jeunes femmes ayant une grossesse précoce. Matthias Herren, chargé des projets de collaboration avec les Eglises à l’EPER, précise : « Il est précieux d’avoir un interlocuteur tel que l’évêque Sandor pour s’assurer de la bonne marche des projets. » L’Eglise réformée assume en effet une fonction sociale à différents endroits de Transcarpatie et pallie les manquements de l’Etat, qui n’est pas en mesure de remplir ses devoirs.

DES PASTEURS ET DES DIACRES SUR LE TERRAIN En mai dernier, sept pasteurs et diacres, animateurs régionaux de Terre Nouvelle, se sont rendus en Ukraine et en Roumanie pour visiter des projets de l’EPER. Ce voyage, proposé dans le cadre de la formation continue de l’EERV, a permis aux participants de découvrir le travail de terrain de l’EPER tout en rencontrant les principaux acteurs des projets de développement ainsi que les bénéficiaires. Une expérience riche qu’ils pourront relayer dans leur région.

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ANNONCER LA COULEUR

QUAND LA SOLIDARITÉ FAIT LA FÊTE ! Lausanne et Berne étaient en fête le 17 juin 2017 pour la Journée des réfugiés. Speed-meeting et choréoké pour « Solidaire en action » en terre romande, manifestation folklorique urbaine sur la place de la gare de la capitale fédérale, autant de manières de clore en beauté la campagne « Annoncer la couleur pour une Suisse humaine ».

Photos : EPER / Laurent Kobi

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Environ 150 personnes intéressées ou souhaitant faire du bénévolat ont pu découvrir les activités des vingt organisations vaudoises qui s’engagent auprès des personnes réfugiées, lors d’un speed-meeting.

Pour clore la fête, après un apéro dînatoire à la croisée des cultures helvétique et syrienne, quelques pas de danse avec un choréoké endiablé, au son des rythmes sri lankais, guinéens et éthiopiens.

VOUS AUSSI VOUS

« Avec 65,5 millions de personnes forcées à l’exil selon l’ONU, il est important que la Suisse s’engage avec solidarité pour une politique d’asile plus humaine » Magaly Hanselmann Secrétaire romande de l’EPER

VOULEZ VOUS ­E NGAGER POUR LES RÉFUGIÉS ? Vous trouverez de nombreux projets de la société civile recherchant des bénévoles sur www.plateforme-asile.ch Et des informations sur www.annoncerla-couleur.ch


ANNONCER LA COULEUR

TRADITIONS HUMANITAIRES ET FOLKLORIQUES : MÊME COMBAT ! Photos : EPER / Sabine Buri

Le 17 juin dernier, 700 personnes ont annoncé la couleur pour une Suisse humaine à Berne lors d’une fête folklo-urbaine. Il s’agissait de rappeler que les traditions suisses sont ancrées dans le patrimoine helvétique de la même manière que notre tradition humanitaire. Pendant six semaines, des personnalités et des réfugiés ont suivi des ateliers de lutte à la culotte, de yodel, de cor des Alpes et de lancer de drapeau : petite démonstration en direct des ponts créés entre différentes cultures. Le double champion de lutte suisse Ernst Schläpfer, la virtuose du cor des Alpes Eliana Burki et la chanteuse de yodel Barbara Berger étaient de la fête.

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FORUM SUR LA TERRE

PALABRES TERRIENS À BERNE ET BALADES À SCHWYZ Y a-t-il un point commun entre le système d’exploitation des terres adivasis en Inde, les territoires traditionnels du Brésil et la sylviculture alpestre à Schwyz ? En juin, l’EPER a organisé son premier Forum sur la terre, complété d’une visite à une corporation schwyzoise : surprenantes similitudes d’un bout à l’autre de la planète.

Texte : Corina Bosshard Photos : Marius Born, Annette Boutellier / EPER

Quelle n’a pas été la surprise des promeneurs en voyant apparaître, au détour d’un chemin forestier menant à un alpage schwytzois, un Amazonien et un homme tatoué et coiffé d’une somptueuse parure de plumes. L’apparence de cette équipée était pour le moins inhabituelle. La délégation réunissait des représentants de l’EPER et d’organisations brésiliennes partenaires, ainsi que des spécialistes du travail de la terre, pour un parcours au cœur de la Suisse. Il s’agissait de découvrir le fonctionnement d’une corporation locale aux racines plongées dans l’histoire : la Oberallmeindkorporation, qui gère l’utilisation des pâturages communaux schwyzois depuis plusieurs siècles. Droits fonciers communautaires Dans beaucoup de ses projets à l’étranger, l’EPER travaille avec des groupes de population qui font fructifier les terres en commun. Qu’il s’agisse de communautés de pêcheurs du Brésil ou d’éleveurs nomades du Niger (voir p. 19), les formes d’exploitation qu’ils appliquent sont souvent très évoluées et correspondent à du développement durable.

Or, les ressources mises en commun telles que forêts, pâturages, prairies ou cours d’eau, dont ces populations tirent leurs moyens de subsistance, ne sont généralement pas reconnues par les législations nationales. Il est à craindre que de nombreux peuples traditionnels d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine perdent leurs territoires – ce qui mettrait en péril non seulement leurs sources de subsistance, mais aussi leurs racines culturelles et leurs terres ancestrales. L’EPER s’engage dans plusieurs pays pour les droits fonciers de ces peuples, en les aidant à protéger des appétits extérieurs les terres exploitées en commun. Mais comment aider efficacement ces communautés à consolider leurs droits fonciers et à conserver leurs pratiques économiques traditionnelles, voire à les réinterpréter pour des perspectives d’avenir durables ? Premier Forum de l’EPER sur la terre Le 20 juin, à Berne, le premier Forum sur la terre organisé par l’EPER a été consacré à ces interrogations. Des spécialistes du sujet sont venus du monde entier pour en discuter avec le public dans des échanges passionnants. Le jour suivant, une délé-

gation de l’EPER se rendait en Suisse centrale afin d’explorer les formes helvétiques d’exploitation des terres. Car ici aussi, il existe depuis longtemps des formes traditionnelles de partage des ressources : les communaux, ces forêts ou prairies qui devaient être à la disposition de tous les membres d’un groupe de population donné et qui ont toujours fait partie intégrante de l’agriculture suisse. A partir du 18e siècle, quasiment partout en Europe, les communaux furent progressivement privatisés et clôturés. Ce système a cependant subsisté dans certaines régions de Suisse, en particulier dans l’espace alpin, où il existe encore des communaux. Oberallmeindkorporation Schwyz, qui gère les communaux dans ce canton, en est un bel exemple. Plus ancien que la Confédération L’histoire de la corporation schwyzoise remonte au 7e siècle, lorsque les Alamans s’installèrent dans la région et commencèrent à cultiver leurs terres en commun. Il a fallu instituer des règles, par exemple un système de gardes forestiers pour vérifier que personne ne prenait plus de bois de chauffage que les autres. Le premier acte dans lequel la corporation est citée

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date de 1114 : c’était dans le cadre d’un litige foncier entre l’abbaye d’Einsiedeln et les Schwyzois organisés sous une forme coopérative. Le conflit prit fin en 1350 en donnant ses frontières actuelles à la corporation. Depuis, un tissu de terres aussi vaste que coloré s’étend du Muotatal à Morgarten et de Ybrig au lac des Quatre-Cantons. Avec 24 000 hectares, la Oberallmeindkorporation gère à présent environ un quart de la surface du canton. Un bon tiers, soit 8000 hectares, est réservé aux pâturages, sur lesquels les paysans peuvent faire brouter dans les 12 500 bêtes. Un système de sylviculture moderne se déploie sur 9000 hectares de forêts. Le tout est exploité de manière durable par essence. Felix Lüscher, responsable de la section forestière de la Oberallmeindkorporation, fait une pause à côté d’un emplacement de grillade. Il montre aux visiteurs un plan décrivant les fonctions de la forêt, comme on en trouve un peu partout en Suisse. « Ici, la forêt a trois fonctions principales :

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la production de bois, la protection contre les dangers naturels tels que les chutes de pierre et les avalanches et enfin des fonctions telles que la détente ou la conservation de la biodiversité », explique Felix Lüscher en illustrant ses propos avec une carte de différentes couleurs qui se recoupent partiellement. La cueillette et la chasse sont-elles autorisées ? « En Suisse, la forêt est accessible à tout un chacun », poursuit Felix Lüscher. « Mais a-t-on le droit de cueillir des baies ? Et la chasse est-elle autorisée ? A-t-on le droit de tirer sur des animaux ? Et pour le reboisement, peut-on planter des espèces clonées ? » demande Carlos Dayrell en prenant des notes. Dayrell travaille pour le CAA, un centre d’agriculture écologique partenaire de l’EPER qui défend les communautés traditionnelles

« Nous avons des liens étroits avec la forêt et la nature, mais nous constatons que de nombreux jeunes s’en détournent. »


En haut : Hilário Correa Franco, chef de la tribu des Xakriaba, rencontre un paysan schwyzois. A gauche et en bas à droite : Les participants au Forum sur la terre ont comparé leurs pratiques en matière de gestion des terres communes.

du Cerrado brésilien dans leur lutte pour les territoires communautaires (lire l’encadré). Aux réponses de Lüscher, il s’étonne des nombreuses lois et règles que les propriétaires de forêts doivent observer en Suisse. « C’est une situation exemplaire, selon Dayrell. Au Brésil aussi, il y a beaucoup de lois, mais personne ne vérifie si elles sont respectées. » Hilário Correa Franco, l’homme à la parure de plumes, prend la parole : « Je suis chef de la tribu des Xakriabá, un peuple indigène du Cerrado. Nous avons des liens étroits avec la forêt et la nature, mais nous constatons que de nombreux jeunes s’en détournent. Il nous est difficile de leur transmettre notre mode de vie et nos traditions. Avez-vous les mêmes difficultés ici ? » Felix Lüscher n’est pas très surpris par la question : « Oui, ici aussi, nous nous

demandons que faire pour intéresser les jeunes à nos activités. Comment parvenir à ce qu’ils se sentent liés à « leur » corporation ? » La corporation compte aujourd’hui dans les 19 000 membres. Depuis 1894, le nom des familles des corporatistes avec un droit d’exploitation est consigné sur des registres. On ne peut pas acheter ce droit, il se transmet par héritage – pendant longtemps, par le père uniquement ; depuis 2006, il se transmet également par la mère, ce qui fait que la liste s’est allongée de noms qui ne sont pas typiquement schwyzois, tels que De Nardi ou Dudle. Quels sont les avantages à être membres de la corporation ? « Autrefois, c’était clair : les paysans pouvaient faire estiver leurs vaches sur les alpages et rece-

vaient des parts de bois, c’est-à-dire qu’ils avaient le droit de couper une quantité donnée de bois dans les forêts », explique Daniel von Euw, agronome et directeur de la corporation. Depuis 2003, il fallait aussi verser de l’argent. Mais aujourd’hui, avec 19 000 membres, il n’y a plus d’argent à payer. L’estivage est bien entendu toujours pratiqué sur ces alpages. Certains services, comme l’usage des trains de montagne, sont accessibles gratuitement aux membres de la corporation, qui peuvent aussi bénéficier de droits de superficie moins chers. Economie alpestre Daniel von Euw ajoute à ses fonctions celle de responsable du secteur des alpages. A ce titre, il guide le groupe vers le col de l’Ibergeregg, puis vers l’auberge d’alpage Zwäcken, pittoresque point de départ de

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randonnées sur le Grosser Mythen. Werni Ruhstaller, le tenancier actuel, accueille la délégation et montre les 25 vaches qui paissent tout l’été sur l’alpage sous la conduite d’un vacher. Il achète le lait d’alpage à la corporation et le transforme à la fromagerie pour en faire des « mutschlis », des fromages ronds, qui seront servis à l’auberge. La corporation est gérée de façon moderne, avec un conseil d’administration qui prend les décisions stratégiques et une direction qui les met à exécution. Mais ce sont les membres qui ont le dernier mot : ils se réunissent en assemblée une fois par année, près du dernier pont avant la localité d’Ibach, selon une tradition pluricentenaire, et votent à main levée sur les questions importantes concernant les communs. « Exploiter quelque chose en commun ne signifie pas que n’importe qui peut se servir selon son gré, ajoute Daniel von Euw. Il faut des règles pour éviter la surexploitation du site. Avant, c’était des accords oraux, maintenant ce sont

les statuts de la corporation qui fixent ces règles. Exploiter en commun suppose de faire attention aux autres et à la nature. » Autre pays, mêmes problèmes Carlos Dayrell est impressionné. «  La façon dont sont créées les chaînes de valeur ajoutée régionales et dont les gens prennent soin de la nature recoupe exactement nos propres valeurs et nos objectifs au Cerrado. » Il voit aussi des parallèles avec le rôle joué par la tradition dans ce système : « nous aussi sommes confrontés à la question de la transmission de ces valeurs aux générations suivantes et cherchons comment laisser de la marge au renouvellement afin d’être en phase avec la modernité ». Daniel von Euw ne peut que le confirmer. « La corporation a aussi dû évoluer constamment au cours de ses 900 ans d’existence. Il y a des divergences sur deux points. Il existe d’une part un débat entre ceux qui veulent rester fidèles aux traditions et ceux qui veulent le progrès. D’autre

part, la question de la conservation des ressources se pose fréquemment : certains membres veulent tirer le plus possible des forêts alors que d’autres s’opposent à tout abattage d’un bel épicéa. Les communs d’Oberallmeind ont toujours dû trouver un équilibre entre tradition et progrès, entre protection et exploitation. » Carlos Dayrell, de retour de cette excursion, estime que le Cerrado se rapproche bien plus de Schwyz que les distances géographiques ne le laissent paraître. « C’est beau et fascinant. Bien entendu, la corporation qui gère l’Oberallmeind jouit d’un contexte très différent de celui du Brésil : elle est reconnue par le gouvernement et peut gérer ses possessions en toute autonomie. Au Brésil, nous luttons toujours pour la reconnaissance de nos territoires communs. La corporation a remporté ce combat il y a des siècles et a réussi à garder cet héritage vivant jusqu’à nos jours. »

Au Brésil, il y a un grand nombre de conflits terriens avec les peuples indigènes.

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UTILISATION COMMUNE DES TERRES DANS LES PROJETS DE L’EPER

Obtenir des titres fonciers au Brésil Les peuples traditionnels du Brésil ne se définissent pas seulement par leur appartenance ethnique, mais aussi et surtout par le mode d’exploitation très particulier qu’ils pratiquent sur leurs territoires. Il existe par exemple une communauté d’exploitation des arbres à caoutchouc, une autre spécialisée dans la cueillette de fleurs, une autre encore qui récolte en commun les noix de coco. En 2007, le Brésil s’est doté d’un décret qui reconnaît à ces peuples un droit sur les territoires, qui représentent

BRÉSIL

Délimiter les zones de pâture sédentaires et nomades au Niger Au Niger, l’agriculture sédentaire coexiste avec l’élevage itinérant. Le Niger a adopté en 1993 un code rural qui garantit des zones de pâture également accessibles aux éleveurs nomades. Mais la mise en œuvre pose problème : avec les sécheresses récurrentes et la croissance démographique, les ressources naturelles se raréfient et les agriculteurs ont tendance à barrer les voies d’accès du bétail et les pâturages. L’EPER a donc mis en place avec la population

CHINE NÉPAL INDE PAKISTAN

rurale un projet intitulé Zamtapo afin d’aider à l’application du code rural : les agriculteurs sédentaires et les éleveurs nomades sont invités à négocier afin de délimiter clairement les pâturages et les couloirs d’accès des troupeaux. La constitution de commissions foncières est également encouragée, une mesure prévue par le code rural pour vérifier que les terres sont utilisées conformément aux prévisions et pour arbitrer les conflits. Par leurs fonctions, les commissions foncières permettent de consolider les droits des éleveurs nomades.

Obtenir des titres fonciers sur les forêts en Inde Les Adivasis sont les descendants des premiers peuples de l’Inde. Presque tous vivent au sein de leur tribu, généralement dans des régions reculées de forêts ou de montagnes où ils pratiquent l’agriculture et la cueillette. Les lois sylvicoles édictées autour de 1970 afin de protéger les forêts ont peu à peu dépouillé les Adivasis de leurs terres ancestrales, déclarées propriété de l’Etat. Mais l’Etat attribue ces terres à des projets d’envergure tels que des bar-

pour eux des « espaces de vie et de subsistance nécessaires ». Malheureusement, ces zones sont de plus en plus disputées par les monocultures et les pâturages intensifs, de même que par les grands projets d’exploitation minière ou de production d’énergie. L’organisation CAA (Centro de Agricultura Alternativa), partenaire de l’EPER, accompagne les peuples traditionnels du Cerrado dans leurs luttes pour obtenir des titres fonciers et les aide à élaborer des plans d’usage des terres exploitées en commun dans une optique de développement durable.

ALGÉRIE

MALI

NIGER

NIGÉRIA

rages hydrauliques, des exploitations minières, des industries ou des plantations où les Adivasis sont de trop. En 2006, le parlement indien a élaboré le « Forest Rights Act », une loi qui octroie aux Adivasis des titres fonciers sur les forêts dont ils tirent leur subsistance et sur lesquelles ils vivent. L’organisation Pragati, partenaire de l’EPER, aide les Adivasis à faire valoir leurs droits, puis les soutient dans l’exploitation des terres et la création de chaînes de valeur ajoutée.

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AGENDA

ACTUEL

« La Terre en partage » entre Bénin et Liban Conférences animées par DM-échange et mission et l’EPER

PIMENT EN VUE…

APPEL : NON À

CERTAINS L’AIMENT

L’APPLICATION AVEUGLE

CHAUD !

DE DUBLIN !

Le piment du Cambodge, qualitatif et savoureux, n’attend que votre commande pour assaisonner vos repas ! Cultivé sur les rives du fleuve Tonle Sap, il permet de diversifier les cultures des petits paysans et de générer des revenus au-delà des cultures nourricières de base. Le grand défi est de gérer sa culture par temps de sécheresse, tout comme lorsque les inondations sévissent.

Depuis 2009, 60 000 personnes ont été frappées d’une décision Dublin sans avoir été entendues sur leurs motifs d’asile, ce qui engendre parfois des situations dramatiques selon l’expérience de l’EPER. La Suisse invoque moins la clause de souveraineté que ses voisins alors qu’elle est au centre de l’Europe. Or, avec la clause de souveraineté, la Suisse a la possibilité d’examiner les motifs des personnes vulnérables, plus particulièrement quand elles sont renvoyées vers des Etats qui n’ont pas la possibilité de les accueillir dans la dignité. L’appel demande que la Suisse entre en matière sur les demandes d’asile des personnes vulnérables frappées d’un renvoi Dublin.

Dès que 500 personnes en Suisse auront passé commande, les condiments séchés, conditionnés par les petits paysans partenaires de l’EPER, seront acheminés en Suisse. En participant, vous soutenez le commerce équitable et contribuez à créer une chaîne de distribution sans intermédiaire. N’hésitez pas à donner du piment à votre vie ! www.eper.ch/piments

Signez maintenant l’appel pour demander au Conseil fédéral et aux gouvernements cantonaux de protéger les personnes réfugiées vulnérables : www.dublin-appell.ch/fr/

ENTRAIDE PROTESTANTE SUISSE Secrétariat romand Chemin de Bérée 4A Case postale 536 1001 Lausanne

Tél. +41 21 613 40 70 info@eper.ch www.eper.ch CP 10-1390-5

05 SEPTEMBRE, 19H Salle de la Maladière, Neuchâtel. 06 SEPTEMBRE, 19H30 Salle du Verger de la paroisse, Martigny. 07 SEPTEMBRE, 19H30 Maison de paroisse des Croisettes, Epalinges 12 SEPTEMBRE, 19H30 Maison de paroisse, Tramelan 13 SEPTEMBRE, 19H30 Salle sous le temple réformé, Fribourg 15 SEPTEMBRE, 18H30 Centre des unions chrétiennes, Forum Max Perrot, Genève


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