L’EPERON
PREMIER MAGAZINE D’ACTUALITE DE L’ELEVAGE ET DES SPORTS EQUESTRES / N°340 / DEC. 2013 - JANV. 2014 / 7,80 €
MICHEL ROBERT : « CE QUE JE VOULAIS DIRE » • ENQUÊTE SUR LES DÉRIVES DE L'ENDURANCE • AU CŒUR DE LA TVA • MYRTILLE PAULOIS : SA GÉNÉALOGIE ET SA PRÉPARATION PAR BOSTY
Roger-Yves Bost, Homme de l’année 2013
THIERRY LHERMITTE « On ne joue pas la comédie avec un cheval »
ENQUÊTE ENDURANCE - MICHEL ROBERT - THIERRY LHERMITTE - JOSE LETARTRE - LES JSF - MYRTILLE PAULOIS
L’EPERON N°340 / DEC. 2013 - JANV. 2014 / 7,80 € - DOM : 8,10 € - TOM : 1400 CFP - CH : 14,80 FS - POR ET BEL : 9,20 € - ITA : 8,30 € - CAN : 12,50 $CAN - MAR : 85 DH
L’EPERON
Sport
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AMBASSADEUR MÉDIA
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EDITORIAL
Grand écart Par Xavier Libbrecht
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’est bien connu. Sur notre bonne vieille terre, selon le degré de longitude ou de latitude où l’on habite, d’où l’on émet, d’où l’on embrasse le monde, la perception de sa vitesse de rotation est bien différente. C’est ce que nous avons pu encore constater le 20 novembre dernier lors de la remise des prix aux meilleurs éleveurs de chevaux de la saison 2013, entendez ceux dont un cheval fut le meilleur, organisée conjointement par la WBFSH et Jaeger LeCoultre, à Doha. Coup de chapeau donc à l’élevage du Paulois et au stud-book Selle Français ! A cette occasion, Renaud Pretet, directeur régional (pays du Golfe) de la marque horlogère, installé depuis quelques années à Dubaï, faisait remarquer ce temps « d’expat » passé dans la région : « Sur le plan géopolitique, c’est passionnant. Le ressenti de l’évolution du monde, de ses enjeux, n’a rien à voir avec celui que nous avons en Europe ». Et pourtant, deux fuseaux horaires seulement ! Une remarque qui tombait vingt-quatre heures avant que les meilleurs cavaliers de la planète saut d’obstacles, de plus en plus solaire, n’entrent en piste pour la dernière étape du Longines Global Champions Tour, dans le futuriste complexe d’Al Shaqab. Un point de vue exprimé alors que l’on apprenait que le Qatar, qui investit massivement dans ce sport afin de tenter de concurrencer l’Arabie Saoudite laquelle a pris quelques podiums d’avance, venait de racheter Palloubet d’Halong, un autre Selle Français (Baloubet du Rouet) à Jan Tops. Comme si le promoteur-organisateur, mais néanmoins toujours marchand de chevaux de Valkenswaard, n’avait pu résister à une offre hors norme, pour l’ancien partenaire de Janika Sprunger, ex propriété du financier suisse Georg Kähni, élevé par Jean Nguyen, éleveur parisien, passionné sans sol, mais pas sans mérite et mis en valeur par Laurent Guillet, dans ses jeunes années…
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ne belle cascade, comme en permet ce sport passionnant qui procède avant tout du cheval, de la fascination qu’il exerce, des passions qu’il engendre sous toutes ses formes, de sa faculté à nous emporter audelà du réel. Emotions… Cette soirée d’automne bien pluvieuse, passée, comme chaque année, sous le chapiteau de la famille d’Alexis Gruss, Porte d’Auteuil, pour un spectacle en mémoire de sa rencontre décisive avec feu la comédienne Silvia Montfort, contemporaine de Jean Vilar et pour toujours associée à la création du festival d’Avignon en 1947. C’était il y a quarante ans et le patriarche saltimbanque n’a pas oublié qu’il lui doit tout ou presque… Le reste étant à mettre au crédit de son épouse Gipsy, ses enfants Maud, Firmin et Stephan l’aîné, qui assure la mise en scène et de ses petits enfants pour la plupart en piste… Rafraîchissant !
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t si l'on se faisait une expo après ça ! Ar(t) Saumur qui a passé le mur des vingt ans, mais pas ceux de la galerie Bouvet Ladubay qui accueille toujours avec autant de générosité les artistes ayant une inclinaison pour le thème « cheval » par exemple. Il paraît, à ce propos, qu’en la matière, la spécialisation serait de nature à contrarier la carrière de l’artiste ambitieux et sa «cote ». Un sous-genre en quelque sorte, nous expliquait Guy de la Bretoigne, président d’Ar(t) Saumur. Louis Jourdan, Grand Prix de l’édition 2013 et coup de cœur de L’Eperon, appréciera ! Tout comme Stubs, Toulouse Lautrec, de Dreux et nos contemporains qu’on aime bien et qu’on a plaisir à retrouver, chaque année, sur les bords de la Loire. Un Salon peut-être aussi ? Alors Equita'Lyon qui ne cesse de croître et embellir et, pour cette dernière édition, s’est comporté en rampe de lancement pour les finales de Coupe du monde Longines que les halls d’Eurexpo s’apprêtent à accueillir du 17 au 21 avril prochain. Equita'Lyon qui talonne Paris-Villepinte tant au plan du calendrier, de la fréquentation que de la réputation. Avec cette observation, mais dans le même temps cette question sous-jacente… La concurrence est salutaire. Soit ! Mais,
le secteur, ses entreprises, pour la plupart des PME, a-t-il les moyens de faire face aux exigences de représentation que l’exercice impose ?
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n coup d’œil en Italie où, Vérone et la plus que centenaire Fieracavalli, furent un temps bousculés par Milan. La tentative de déstabilisation a fait long feu. Fieracavalli demeure, mais comme nous le faisions remarquer au camarade Carlo Delaini, interlocuteur privilégié pour la presse, n’est-ce pas au prix d’un grand écart qui fait peur aux adducteurs ? Disparue cette « classe moyenne » motivée, investie, cultivée, « bourgeoise », mais ainsi garante d’un développement harmonieux et progressif par et pour le cheval ? Ecrasée à l’image de nos sociétés en Europe. D’un côté celui de Class Horse TV – tout un programme donc ! – les happy few du CSI Coupe du monde, à savoir une poignée de sportifs qui concentrent la plupart des moyens et, de l’autre, une foule bigarrée de badauds pigmentée de trois mille chevaux de toutes races, de toutes origines, montés ou en mains, aux harnachements sophistiqués, bariolés, improbables ou quasi à poils et d’autant de cavaliers, éleveurs, dresseurs et apparentés, bref doux dingues ! Au fond, le cheval en guise d’évasion, pour parader, palabrer peut-être ; pour s’en aller surtout !
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ais la réalité rattrape tôt ou tard le rêveur. Nous ne passerons donc pas sous silence ce qui s’annonce comme d’amers ou d’incongrus cadeaux de Noël. A commencer par l’augmentation du taux de TVA sur les activités équestres. Cette augmentation pèsera sur le coût de la pratique pour le licencié, le petit propriétaire ; impactera, c’est certain, le niveau de rentabilité des centres équestres et par ricochet celle des opérateurs de la filière. Qu’elle soit ou non dictée par Bruxelles, comme le ministre Stéphane Le Foll l’affirme et comme l’association Move, présidée par Hervé Godignon, le dénonce est une chose. Une autre est de voir que la mobilisation d’aujourd’hui, compréhensible, apparaît comme un combat d’arrière garde. On ne refera plus ce qui aurait dû être anticipé, à savoir l’union de toutes les composantes concernées en France (courses, équitation et élevage) et en Europe. La plupart de nos voisins et/ou concurrent sont passés par là et survivent. Différemment certes. Le modèle français construit sur la base de centres équestres gérés comme des entreprises et donc considérés comme telles, a été encouragé depuis des années par ce qui est une Fédération sportive via son satellite, le GHN. La confusion des genres, voire l’ambiguïté se paye. Il est d’ailleurs assez singulier de voir avec quelle prudence le président de la Fédération s’exprime – es qualité – sur un sujet qui nous soucie tout autant. Amertume donc et surprise d’un autre genre, mais qui concerne cette fois la Fédération des fédérations : la FEI. C’était lors de son Assemblée générale à Montreux, le 7 novembre, à laquelle n’assistait d’ailleurs pas Serge Lecomte. La session, précédant celle de l’année des Jeux équestres mondiaux Alltech FEI 2014 en Normandie, eut été pourtant une belle occasion de répondre, pour une fois, « présent ». Fabien Grobon, patron de ce cher projet de l’été, appuyé par Tim Hadaway directeur des Jeux et championnats à la FEI, firent donc face avec brio. Et ils purent assister à un joyeux numéro. Quelques semaines après avoir annoncé que, conformément à la « Disparue cette règle qu’elle s’était imposée et qu’elle avait fait voter en début du « classe moyenne » premier de ses deux mandats exercés, la présidente Haya de Jordanie motivée, investie, a accepté de se plier aux desiderata convenus de l’Assemblée. Sous forme de plébiscite, cette dernière a demandé et obtenu la convoca- cultivée, « bourgeoise », tion d'une Assemblée générale extraordinaire, modificatrice des sta- mais ainsi garante d’un tuts au printemps prochain, afin d’abroger la règle adoptée et per- développement mettre ainsi une réélection de l’élue sortante. On aurait préféré que harmonieux et la présidente prépare intelligemment sa succession et reste ferme progressif par et pour sur les principes auxquels elle croyait. Ce qui n’a rien à voir avec les le cheval ? » mérites, ou pas, de l’intéressée.
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L’EPERON SOMMAIRE N° 340 décembre 2013 - janvier 2014 Photo de couverture : Thierry Lhermitte à La Cense. Ph. Claude Bigeon Ci-contre, Michel Robert. Ph. J. Toffi
38 MICHEL ROBERT
48 THIERRY LHERMITTE
Le champion français a accepté de se confier à L'EPERON sur les raisons de son arrêt de la compétition et l'avenir qu'il envisage. Il revient surtout sur les moments forts, parfois sombres, de son passé.
Derrière le célèbre acteur aux millions d’entrées se cache un cavalier ultra passionné et avisé. Thierry Lhermitte s’intéresse à toutes les pratiques et même à l’enseignement. Une rencontre désarçonnante !
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32 ENQUÊTES
Ph. Les Garennes
L’EPERON lève le voile sur les sujets qui fâchent. L'endurance est au cœur d'un scandale alimenté par la corruption et le dopage de chevaux. La FEI, présidée par la princesse Haya, s'est trouvée dans une situation compliquée pour remédier au problème lors de son Assemblée générale. Pendant ce temps, les professionnels du cheval défilent dans les rues pour tenter de sauver leur métier face à la hausse de la TVA. Beaucoup moins polémique, la fin de la saison de concours est l'occasion de faire un bilan sur les circuits proposés par la Fédération : la réalité est-elle fidèle aux ambitions annoncées ?
94 MYRTILLE PAULOIS Ph. Scoopdyga
119 DOSSIER
Un dossier pour décrypter la complexité des formations de la branche professionnelle. Dans quel cursus s'engager ? Pour quel diplôme et quel métier ? Dans quelles conditions ? Enquête et témoignages.
3 EDITO 6 L'HOMME DE L'ANNÉE 10 TRIBUNE COURRIER 17 MODE 24 ACTUALITÉS 34 ENQUÊTE ENDURANCE
: L'INCENDIE SERAIT ENFIN
SOUS CONTRÔLE
48 REPORTAGE 54 ENTRETIEN
THIERRY LHERMITTE MICHEL ROBERT
SPORT
Pour la première fois dans l'histoire du complet, Thomas Carlile a réussi le doublé en 6 ans et en 7 ans au Lion d'Angers. Les autres disciplines avaient rendez-vous à Equita' Lyon, ultime répétition avant les finales Coupe du monde en avril.
61 SPORT
Huit pages retracent la généalogie de la championne d'Europe en titre et sa préparation avant cette échéance avec son cavalier, Roger-Yves Bost.
112 ECONOMIE 115 ENQUÊTE
EQUITA' LYON, LE LION D'ANGERS CCI4* DE PAU, LE GRAND NATIONAL 2013
CWD, UN CHALLENGE PERMANENT
86 JOURNÉES DU SELLE FRANÇAIS 94 ETUDE 119 DOSSIER 98 TECHNIQUE 127 PETITES ANNONCES 103 ENQUÊTE 147 GAZETTE 109 SANTÉ
LES CENT PREMIÈRES ENTREPRISES DE LA FILIÈRE
MYRTILLE PAULOIS CASTLE FORBES
FORMATIONS DE LA BRANCHE PROFESSIONNELLE
PRÉPARATION DE MYRTILLE PAULOIS LES CIRCUITS DE LA FFE
D'AUTRES INFORMATIONS, INTERNATIONALES
LES VÉTÉRINAIRES FRANÇAIS SE PRÉPARENT POUR LES JEUX MONDIAUX
NATIONALES, RÉGIONALES ET LE PROGRAMME
Les opinions émises dans la revue n’engagent que leurs auteurs. Les indications éventuelles de marques, les adresses, les prix figurant dans les pages rédactionnelles, sont soumis à titre d’information. La reproduction des textes et illustrations imprimés dans ce numéro est interdite pour tous pays. La rédaction n'est pas tenue de retourner manuscrits, illustrations et photos.
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enquete ENDURANCE
L’incendie serait enfin C ommençons par la fumée ! Celle du papier qui brûle ! Qui pue le cramé. Ce furent d’abord quelques publications spécialisées à commencer, ce printemps, par notre confrère hebdomadaire Horse & Hound. Pourquoi l’Angleterre ? Parce qu’elle était en première ligne. Parce qu’en avril 2013, le Gardian, l’un des quotidiens les plus sérieux de Londres, était le premier du genre à lâcher une bombe qui frappait le milieu du turf. La BRH (British Racing Authority) révélait que onze chevaux de courses de Godolphin (l’écurie à la casaque bleue de Mohammed bin Rashid Al Maktoum) avaient été testés positifs aux stéroïdes anabolisants (Stanosotol et Ethylestranol) lors d’une inspection des écuries de Mouton Park, proche du centre d’entraînement de Newmarket. Onze cas qui allaient bientôt devenir vingt-deux… Mais on ne va pas faire de comptes d’apothicaires !
Où tout part des courses
Il n'y a pas de fumée sans feu, sans incendie... Et l’espoir de l’éteindre. L’endurance, forte de son succès, de son développement, en pleine crise de croissance, de surchauffe, s’est finalement enflammée cette année. Et la FEI s’est trouvée dans une situation compliquée pour éteindre l’incendie. Elle a finalement trouvé la solution en créant un commando pompier : l’Endurance Stratégic Planning Group (ESPG). Si le brasier n’est pas totalement éteint, disons qu’il est sous contrôle… Positif donc, pour l’instant !
Le fautif, le responsable ? L’entraîneur de Godolphin, Mahmood Al Zaroni. Pris de court, il admettra « une erreur catastrophique » (sic). Oui une bombe, en plein printemps, pleine saison des « Classics » anglaises 1000 et 2000 Guinées, les Oaks et le Derby d’Epsom. Evidemment Zaroni sauta dans l’explosion ! L’affaire prit une ampleur considérable et Horse & Hound, vénérable publication qui traite aussi bien d’hippisme que d’équitation, en fit derechef ses choux gras. Il faut ici préciser que l’Angleterre est le seul pays où les courses et l’équitation sont considérées à parité comme des sports. Un passionné de courses est d’abord un « sportsman ». Ce préambule pour comprendre pourquoi notre confrère s’en empara le premier et en profita pour souffler sur l’incendie en abordant un autre dossier brûlant, celui des dérives de l’endurance. Cela fait deux-trois saisons au moins que les spécialistes de cette discipline alertent sur le sujet. Délicat toutefois… Comment critiquer sans preuves, sans prendre le risque de scier la branche sur laquelle on est assis… Derrière les Anglais, la revue allemande St Georg emboîta le pas, suivi par d’autres, notamment aux Pays-Bas. L’Eperon pour sa part publiait en octobre une tribune sévère signée par le président de la Fédération Suisse, Charles Trolliet. Et puis les quotidiens se mirent en branle. Quelques exemples : Le Monde, en France, dans ses éditions du 7 et du 8 octobre notamment avec quelques titres éloquents « Il y a
quelque chose de pourri au royaume du Pur-sang », ou encore mieux « La princesse Haya, le bourrin et le venin de vipère » ! Le Matin, en Suisse romande, y consacrait, lui, sa « Une » le 11 octobre. Le vétéran Urs Wenger « déballait » son sac sous un titre non moins ronflant « On achève trop de chevaux » ! De la fumée, on veut dire du cinéma frisant l’affabulation ? Que nenni. Il y a bien le feu en endurance. Mais pour que les langues se délient, il fallait, ce qui est devenu le « marqueur » de l’époque, que ça twitte, que ça « buzze » à partir de faits et d’événements tangibles, de tendances avérées et que les médias, enfin, en parlent… Quitte parfois à tout mélanger. C’est ainsi que les médicaments trouvés à Moorley Farm, lors d’un contrôle du VMD (Veterinary Medicines Directorate) dans l’écurie de l’Espagnol Jaume Punti, époux de la double championne du monde Maria Alvarez Ponton avec Noby (Malaisie 2008, Lexington 2010), lui-même champion d’Europe le 14 septembre 2013 à Most, et entraîneur de l’écurie de Sheikh Al Maktoum, n’ont rien de rare, sauf qu’ils n’étaient pas déclarés. Et, sauf à être utilisés dans des conditions irrégulières, ils sont plus soignants que dopants. Le problème derrière cela, car il y en a un quand même, c’est que de plus en plus de vétérinaires ne répondant pas de l’autorité du pays où ils exercent, interviennent dans les écuries qui sont visées… Ils sont souvent originaires d’Amérique du Sud ou Centrale. Idem pour la saisie de médicaments massive opérée à l’aéroport de Stansted, dans
un avion de la Dubai Royal Air Wing, à 30 km de Newmarket, à destination des établissements de Sheikh Al Maktoum (Darley stud et autres), au printemps dernier. Médicaments détruits en mai. Ces délits douaniers sont amalgamés aux dérives de l’endurance. Or, comme le note le vétérinaire suisse Frédéric Barrelet qui connaît bien le sujet puisque son cabinet opère à Newmarket et qu’il a travaillé et travaille encore avec les Maktoum (même s’il a été en procès avec eux, voir encadré), « les médicaments saisis, certes fraudés car soustraits aux autorisations douanières, certes en quantité industrielle et sans autorisation de mise sur le marché en GrandeBretagne, n’étaient pas inconnus. Des anesthésiques, anti-inflammatoires, sédatifs et évidemment de la “bute”. Les vétos en ont plein le coffre de leurs voitures ». Donc revenons aux faits litigieux en endurance ? Par dizaines, par centaines, selon les sources.
Tricher, c’est aussi un sport ! Corrompre, un jeu ! Tricheries avérées et comportements en course auxquels s’ajoute le dopage, pour lequel les contrôles positifs – et jugés – viennent abonder les statistiques officielles. Imparable. Les comportements contestables sont de plusieurs ordres. En voici un florilège. Il peut y avoir au départ comme à l’arrivée la tricherie sur le poids affiché, avec en général le changement de selle pour la pesée. En épreuve, le raccourci entre deux points d’une même boucle : voir la
A l’arrivée du test event d'endurance mi-août en Normandie, les grooms sont obligés de tenir la queue de Nikos, vainqueur avec Mohammed Al Maktoum (n°3), pour éviter qu'il ne s’écroule. Ph. E. F.
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enquete ENDURANCE
sous contrôle
polémique lors des précédents JEM de Lexington où des concurrents en tête de la course, pourtant suivis par GPS « disparurent des écrans » et ce, curieusement, alors qu’ils étaient poursuivis par d’autres… On invoqua la complexité du circuit et les boucles (ah, les épreuves en marguerites !) qui s’entrelaçaient et compliquaient le suivi satellite ! Pour mémoire, rappelons ce communiqué de Maria Mercedes Alvarez Ponton inscrite dans notre compte rendu du Mondial 2010 ou Sheikh Mohamed bin Rashid Al Maktoum devait se contenter de la médaille d’argent avec Ciel Oriental (L’Eperon 306, novembre 2010). L’Espagnole déclarait sans ambages – dans un communiqué FEI, c’est à noter – à propos de sa victoire : « C’est vraiment une drôle de sensation, parce que je voulais vraiment que Sheikh Mohammed (soixante et un ans alors, ndla) soit champion. Je pense qu’il le mérite. Il est la personne qui a fait le plus au monde pour ce sport. Ce sport est ce qu’il est aujourd’hui
Contrôles antidopage positifs en endurance 2008
2009
2010
2011
2012
Groupe I (Europe de l'Ouest)
Cas positifs
1
0
2
2
2
Groupe II (Europe de l'Ouest)
1
1
0
0
0
Groupe III (Europe de l'Est)
0
0
1
0
0
Groupe IV (Amérique du Nord)
0
0
0
0
0
Groupe V (Amérique Centrale)
0
0
1
0
0
Groupe VI (Amérique du Sud)
0
1
0
3
1
Groupe VII (Moyen Orient)
11
21
11
19
11*
Groupe VIII (Océanie et Asie)
0
0
2
0
0
Groupe IX (Afrique)
1 14
0 22
0 17
0 24
0 14
TOTAL
* Soit 73 contrôles positifs de 2008 à 2012
grâce à lui. Mais je ne pensais pas qu’il était derrière moi, je pensais que c’était l’Américaine ou le Français ». Qu’elle ne voulait pas voir gagner, on l’a compris, mais finalement l’Américaine fut disqualifiée au dernier vet check et Sheikh Hamdan Bin
Rashid Al Maktoum arriva sur les talons de son père (bronze avec SAS Alexis) ce qui donnait la médaille d’or par équipes aux Emirats Arabes Unis, et laissait Jean-Philippe Frances au pied du podium avec Hanaba. Seule consolation pour le Français
et sa jument de seize ans, le prix de la meilleure condition. ll y a eu aussi – moins aujourd’hui paraît-il – la négociation d’achat de gré à gré, du cheval rival entre deux vet-check sous la forme « tu me laisses gagner, je t’achète ton cheval à l’arrivée ». Une négociation qui peut durer quelques kilomètres… Tricherie ou pas ? On pourrait objecter qu’en cyclisme, le maillot à pois du meilleur grimpeur ou celui du meilleur sprinteur ont parfois fait l’objet de petits arrangements entre « amis ». D’ailleurs, globalement les dérives observées en endurance sont assez comparables à celles du cyclisme… Sport de selles ! Le vet-check est assurément le lieu de tous les débordements et égarements. Pourquoi ? Parce que le départ dépend des juges et vétérinaires patentés (cardiaque, boiteries, etc.). Et que, trop souvent, ces « opérateurs de contrôle » ont des relations professionnelles avec les concurrents, voire même sont employés par ces derniers. Ce
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Acteur et
Ph. Eric Knoll
Actuellement à l’affiche du dernier film de Bertrand Tavernier, Quai d’Orsay, et en tournée avec la pièce Inconnu à cette adresse, Thierry Lhermitte a pris le temps de nous parler de sa passion pour l’équitation en général, et pour l’éthologie et la randonnée en particulier. En permanente recherche de progression technique et d’une meilleure compréhension des chevaux, l’acteur observe, lit, expérimente, anime des stages et prépare même son BPJEPS ! Rencontre.
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Ph. Pathé films
L
a facilité à obtenir une interview malgré son emploi du temps de ministre (qu’il incarne à merveille dans le dernier film de Bertrand Tavernier) révélait déjà son réel intérêt pour les chevaux. Rendez-vous est donné lundi 18 novembre à 18 heures à Paris dans un café du très vivant quartier Bastille, dans lequel Thierry Lhermitte a élu domicile depuis une vingtaine d’années. Et l’artiste est ponctuel ! Une fois les cordialités d’usage échangées et son jus de pamplemousse commandé, le voilà parti à parler cheval. En quelques minutes à peine, le cavalier nous fait complètement oublier le célèbre acteur aux millions d’entrées (voir encadré p. 51). Il devient intarissable sur son apprentissage de l’éthologie et de l’équitation au sens large, joignant souvent les gestes à la parole – comme s'il avait un cheval avec lui – pour illustrer ses propos passionnés et avisés. Le tout avec beaucoup d’humilité et d’écoute. Thierry Lhermitte a débuté gamin (vers dix ans) à côté de chez lui au manège Debut de Roseville à Neuilly-surSeine, et s’est remis en selle un peu par hasard il y a une
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cavalier chercheur
Ph. Claude Bigeon
ENTRETIEN THIERRY LHERMITTE
Qu’il randonne en Corse (page de gauche en haut), anime un stage d’éthologie au Haras de la Cense (ci-dessus), ou peaufine les détails d’une scène de Quai d’Orsay avec Bertrand Tavernier et son partenaire, Raphaël Personnaz, (en bas) Thierry Lhermitte met beaucoup d’engagement dans tout ce qu’il fait.
vingtaine d’années après avoir pratiqué le karaté (ceinture marron), mais surtout intensément la voile (multiples compétitions et croisières, dont un an et demi de tour du monde) : « Ma dernière fille est née (marié, il a trois enfants, ndla) et comme elle était malade dans tous les moyens de transport, j’ai arrêté le bateau et j’ai repris le cheval. J’étais à un spectacle avec Alexandra Stewart et elle me dit que son compagnon avait un cheval qu’il ne montait pas. Je l’ai pris en demi-pension et, de fil en aiguille, ça m’a re-passionné. » C’est alors qu’il découvre l’éthologie grâce à une randonnée « cowboy » aux Etats-Unis, à travers l’Idaho, le Montana et le Wyoming (réalisée avec Cheval Pratique), puis grâce à des
stages avec de grands noms du spectacle, comme Frédéric Pignon et Magali Delgado ou encore Lorenzo, et avec des éthologues : Elisabeth de Corbigny, Andy Booth et quelques-uns des maîtres américains de la discipline. Aujourd’hui, quand l’acteur n’est pas en tournage ni en tournée, il s'occupe de ses chevaux tous les matins dans les écuries de Brice Pozzoli, en Seine-et-Marne. Un Camarguais et un cheval de selle « un croisement Carnute x Armitage », qui devrait commencer la compétition l’an prochain. Il montait aussi un Quarter-Horse, Wallas, qu’il a malheureusement perdu il y a quelques mois suite à un accident : « C’était un cheval savant. Je suis à la recherche du prochain. Un cheval pour moi, avec lequel je pourrai
« sautiller », « dressauter », faire de la rando et de la liberté. J’attends d’avoir le coup de cœur. » Pourquoi vous passionnez-vous tant pour l’éthologie ?
Le cheval n’est pas une mobylette, mais un être vivant dont le cerveau est en grande partie le même que le nôtre, sauf le cortexte préfrontal*. Donc, c’est intéressant de comprendre comment procéder pour qu’il ait envie de faire ce qu’on lui demande, et surtout comment il fonctionne. Et c’est vraiment agréable d’avoir un cheval qui vient se placer au montoir quand on l’appelle, qu’on peut lâcher, avec lequel on peut poser les rênes... C’est plaisant et n’importe quel cheval est capable de faire ça.
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REPORTAGE LHERMITTE P48-52.indd 49
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Ph. J.-L. Perrier
Les raisons d’une
Encore une interview de Michel Robert au lendemain de ses adieux à la scène internationale ! Inévitable, bien sûr, mais avec une autre ambition qu’une énième rétrospective sportive conclue par trois questions sur l’après. Au-delà de la carrière du cavalier, reconnue de tous, c’est sur le cheminement de l’homme, nettement plus controversé, que nous nous sommes penchés. Surpris par la démarche, Michel Robert s’est pourtant prêté au jeu de la vérité toute une matinée.
Ph. J.-L. Perrier
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ENTRETIEN MICHEL ROBERT
métamorphose
e
Ph. D. Caremans
Ph. Scoopdyga
Qui était Michel Robert enfant et adolescent ?
Un petit garçon sauvage qui aimait courir dans les champs, galoper dans la nature et dormir dans la paille avec les chevaux de son père. J’ai toujours été assez solitaire, je n’avais pas trop d’amis à l’école. A treize ans, il a fallu que je renonce à ne monter qu’à cru pour passer mes examens comme me le conseillait mon frère, Jacques. J’ai commencé la compétition à quatorze ans, mais je pratiquais le dressage, le complet, l’attelage, la rando comme le saut.
21 ans : le groom devient patron
Du CSI de Dinard en 1990 (en haut à gauche), à ses adieux sportifs à Lyon en novembre dernier (en bas à gauche et en haut à droite), en passant par sa victoire dans le Top 10 en 2008 (ci-dessus) et ses expérimentations éthologiques avec Koro d’Or (ci-contre), Michel Robert a changé de philosophie de vie.
Ph. J.-L. P.
Comment le cavalier professionnel est-il né ?
Les responsabilités sont venues brutalement par un coup du sort. J’étais groom, depuis deux ans dans l’Ain, chez Jean Sarrazin quand il s’est tué en voiture. A vingt-et-un ans, je me suis retrouvé responsable de la boutique avec soixante chevaux à gérer. C’est là que j’ai commencé la compétition internationale en complet. Quel est le moteur de ce jeune cavalier, devenu patron du jour au lendemain ?
La passion du cheval, l’envie de réussir, de voir jusqu’où je peux aller en prenant de l’expérience, en progressant et en
croyant en moi. Dès ce moment-là, il a fallu que je me fasse confiance à pied et à cheval pour orienter ma carrière. La première décision importante sera d’arrêter le complet après les JO de Munich (1972). Cet abandon du complet a surtout été motivé par l'amour des chevaux, car à l’époque il y avait un vrai manque de respect des chevaux même au niveau des JO. En toute honnêteté, le manque de rentabilité de la discipline est aussi entré en ligne de compte. Je l’ai touché du doigt en vendant mes deux chevaux de tête de l’époque, UT MAJEUR et VANDALE, je ne voyais pas comment vivre de ça.
30 à 40 ans : papa ivre de boulot et cavalier solitaire Quelle est la vie de Michel Robert entre trente ans et quarante ans ?
A l’époque, j’étais marié avec Elisabeth, rencontrée au moment des JO de Munich, et nous avons eu nos deux filles, Gaëlle (trente-huit ans, mariée quatre enfants, ndla) et Emilie (vingt-trois ans, en école de commerce, ndla). Moi je travaillais très dur dans la structure, tou-
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