L’Eperon dito
par Xavier Libbrecht
Mes amis En fait, quoi qu’ils en pensent, j’ai toujours aimé Saumur. Oui, moi le pt’it gars du Nord. Et j’ai, enfin, cru comprendre pourquoi les 16 et 17 octobre dernier, lors du premier colloque consacré à l’équitation de tradition française auquel j’ai assisté, de loin… Préférant les murs (qui ont des oreilles) de la galerie d’art Bouvet Ladubay qui accueillait la vingt-deuxième édition d’Ar(t) Cheval, ou « les Musicales » du Cadre Noir qui se terminèrent par la passation de pouvoir, symbolisée par la remise de la cravache, entre le trente-sixième écuyer en chef et son successeur, à savoir les colonels Jean-Michel Faure et Patrick Teisserenc. Assistaient côte à côte, à cette belle soirée, ceux qui avaient eu en leur temps, la lourde tâche de cultiver la tradition et d’embrasser l’avenir: Beauregard, Carde, La Porte du Theil. Non loin d’eux, Durand l’aîné. Oui, Pierre, le général, écuyer en chef (1975-1984) qui était l’ami de Roger-Louis (Thomas), lequel à l’Information Hippique, fut mon écuyer professeur à moi lorsque je débutais dans ce beau métier de journaliste et que je côtoyais, dans le bureau attenant au mien où dans l’encrier il écrasait minutieusement ses maïs, Jean-Claude (Racinet). Mais il y avait eu aussi feu les commandants Luc Montagné et Roland Massué. C’était avant… Dans de sombres manèges où la pluie claquait sur les tôles eternit : La Planche Epinoy, Le Croisé Laroche. Maîtres et sous-maîtres m’avaient mis à cheval sur les Barbes et Pur-sang de réforme de l’époque, sans prendre garde à la suite !
Une France du cheval qui dispose d'atouts inouïs pour « main-tenir », ce qui rime en l'occurrence avec réussir.
L’Equitation de Tradition Française, inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, c'est d’abord des hommes ; du sang et de l’engagement ; de la vie à la mesure des talents, des sensibilités, qui vont de la main, à la jambe où se profile… l’éperon. C’est un état d’esprit. Donc, oui, Saumur, le Cadre et le reste, j’aime. Et sa région aussi. On a beaucoup parlé de Normandie, ces derniers mois, à l’aune des Jeux équestres mondiaux. Incontournable. Mais qu’il était bon, peu après, de se retrouver au Lion d’Angers sous un soleil de rêve pour le Mondial de concours complet. Les Pays de Loire et le cheval ? De La Baule à Craon en passant par Saint Clément de la Place ou Senonnes : pleins et déliés ! Qui valent au fond, également, pour cette France du cheval que les Haras nationaux avaient façonnée trois siècles durant. N’est-ce pas l’an prochain que devrait se fêter l’anniversaire de la construction du premier Haras royal, celui du Pin, décidé par un arrêt remontant à 1665 ? Une France du cheval, à l’image de la société – comment pourrait-il en être autrement – qui souffre et se cherche. Mais qui – permettez que j’affirme, après toutes ces années passées à me balader sur ses routes et ses chemins, à arpenter ses prés, à traîner mes guêtres dans ses paddocks, écuries et terrains de concours – dispose plus qu’aucun autre pays sur cette bonne vieille terre, d’atouts inouïs pour
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« main-tenir », ce qui rime en l’occurrence avec : réussir. Que l’on quitte les Pays de Loire et c’est, à l’ouest, la Bretagne, ses cobs, Lamballe et le Val Porée à Dinard, mais au sud la Vendée, son célèbre Beaudet du Poitou, puis bientôt la Gascogne. L’angloarabie qui se dessine de Pompadour à l’Adour en passant par le jumping de Bordeaux et les dépôts de Tarbes ou de Pau, laquelle demeure une belle active en matière d’équitation anglaise comme l’on disait hier, mêlant tout ce qui galope un peu, du drag au steeple en passant par le complet ! J’adore les Anglos. Ma petite Carmen du Bois (par Casoar) ne me quittera jamais. Retour en enfance ? Cap à l’est ou, de la Camargue à Uzès, les chevaux perdent en taille ce qu’ils gagnent en cœur et en fantaisie, comme le témoigne chaque année Cheval Passion en Avignon, ce qui ne veut pas dire pour autant que nous snobions les jumping de Cannes, Monaco ou plus récemment Saint-Tropez ! Sans oublier les autres. Remontons le canal rhodanien jusqu’à Lyon où Equita, en vingt ans, est devenu l’une des plus belles vitrines de ce que l’équitation a à offrir et pas seulement pour la Suisse et ses Franches Montagnes, si proche de la rugueuse Auvergne, ses dénivelés, ses gorges et ses causses, de Florac à Montcuq, qui font d’elle, n’ayons pas peur des mots, le berceau de race du cheval d’endurance français. On remonte ? En passant par la forêt solognote ? Lamotte-Beuvron ? Vive la jeunesse, l’attelage… Et la chasse à courre. Et ce sera bientôt Fontainebleau ! Un cantique pour le Grand Parquet ? Des Jeux de remplacement, en 1980, en concours complet, à ces merveilleux championnats de France des années 90, en passant par la Grande Semaine de l’élevage et le reste, il s’agit de la capitale ! Que l’on n’opposera pas à Chantilly, dite, cette fois, la cité du cheval, qui le dispute avec Compiègne. Paris, le Grand Palais, le Bois de Boulogne, ses clubs, l’Etrier, le Touring, le polo de Bagatelle, ses hippodromes Longchamp, Auteuil et, à l’est, pour le trot Vincennes. Sans eux, sans les courses, les enjeux, où en serait la filière ? Il est bien là le cœur du réacteur, comme pour le Jockey Club ou le Diane sur l’hippodrome des Condés qui jouxte le Musée Vivant du Cheval. A l’Est, on est plus réservé, ce qui ne veut pas dire qu’on est moins passionné à Reims à Nancy ou Rosières aux Salines où l’Ardennais fait de la résistance, comme le Boulonnais plus haut. Non, je n’ai pas perdu le Nord ! Et ce tour de France, comme un tour de cadran remonté à l’envers de la marche des aiguilles, pour y revenir. Des brumes de Roubaix, Marcq, Bondues, Linselles ou Bousbecque où le rêve prit forme, jusqu’aux merveilleuses plages et terrains du Touquet ou d’Hardelot, ce ne fut qu’un tour de piste. Un galop long, tendu et joyeux, tout en sensations et suspensions… Pas tout seul. Mes amis se seront reconnus, leurs chevaux aussi !
L’Eperon
n°351 décembre 2014 - janvier 2015
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L’Eperon SOMMAIRE
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Actus
Les livres et les cadeaux pour Noël
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Edito
L'homme de l'année
à Alain Navet
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Tribune
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Reportage sport
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Hommage
Jeroen Dubbeldam
de Jean-Louis Gouraud
La force tranquille Deux mois après son double sacre mondial, Jeroen Dubbeldam nous a reçus dans ses écuries à Weerselo, aux Pays-Bas. Une rencontre exclusive lors de laquelle le Néerlandais s’est livré sans détours sur son parcours, son approche des chevaux, son organisation de travail et ses ambitions.
Jeroen Dubbeldam
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Les 30 ans de Cheval Passion
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Portrait cheval Makara de Montiège
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Reportage élevage
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La parole à...
Elevage des Monceaux
Alain Francqueville
77
Marc Spalart
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Homme de l'ombre
Ph. J.-L. P.
Ph. D. Caremans
Décembre 2014 - janvier 2015
Anniversaire
Les 30 ans de Cheval Passion
Enquête
Les guêtres postérieures
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Comment Cheval Passion est-il devenu le premier rendez-vous européen de la création équestre ? Réponses avec son créateur, Maurice Galle, et son fils, Fabien, qui travaille désormais à ses côtés. Puis retour en images sur les numéros qui ont marqué les Crinières d’Or depuis trente ans.
Journées Selle Français 5
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L’Eperon
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L’EPERON SOMMAIRE
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Mettre l'hiver à profit (2) : les maintenir en forme
Tour du monde Coupe du monde de Vérone Rob Hoeskra démissionne Kannan, étalon n°1 à la WBFSH
Dans le viseur
Elevage
Tour de France
Le Haras des Monceaux
Le Haras de Hus Interview de Xavier Marie CCI4* de Pau Le Mondial du Lion d'Angers Equita'Lyon La 22e édition d'Ar(t) Cheval Zirocco cheval du mois
Sa nomination dans la catégorie élevage de « l'Homme de l'année » de L'EPERON conclut une année mémorable pour ce sympathique éleveur. Naisseur du champion des 5 ans VERBOIS DES MONCEAUX et du phénomène QUABAR DES MONCEAUX, premier poney français champion d'Europe, André Magdelaine nous invite à partager un bon bol d'air à la Pointe de la Hague.
Tour des régions
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Economie Les 100 entreprises Eurofers à l'honneur
Dossier Formation
Alain Francqueville
Le bilan d'une décennie
A la fois homme de dossier et de terrain, méthodique, patient, opiniâtre, l’ancien militaire et écuyer du Cadre Noir, a pacifié l’ambiance du dressage et lui a donné l’ambition qui lui manquait. La courbe de l’évolution est plutôt à la hausse, mais on sent la discipline encore fragile au moment où la fin de carrière a sonné pour Alain Francqueville.
Les nouveaux DE et DES Jeps
Petites annonces Annonces classées : chevaux, pensions, véhicules, stages, santé, équipements, emplois, immobilier
C’ETAIT HIER
Infos pratiques
IL Y A 50 ANS
Une politique volontariste en faveur du cheval
C'était il y a quarante-neuf ans. A l'occasion du tricentenaire des Haras, L'EpEron de décembre 1965 dressait un tableau de la politique gouvernementale. A cette époque, « la mise à disposition de l'élevage des étalons de l'Etat constitue une action directe de première importance »... Il faut dire que « la production du cheval de selle ne suffit pas à la demande ». Les sports équestres sont alors en plein développement et « des pourparlers sont en cours » pour la création de l'Ecole naationale d'équitation. Tout cela participe à « la réalisation d'un plan d'ensemble » accompagné d'importantes aides financières qui a porté ses fruits, mais qui appartient à une époque révolue.
Une sélection de concours, Adresses, calendrier
G
râce au Pari-Mutuel, les courses de chevaux connaissent aujourd’hui en France un essor qui était indispensable pour les situer au niveau de la compétition mondiale en ce domaine. Une part très minime du prélèvement sur les sommes engagées est affectée à l’élevage : elle est utilisée pour l’entretien et le renouvellement des étalons nationaux, pour le paiement des primes aux éleveurs de chevaux de courses, pour subventionner les sociétés de courses de province et encourager la production et l’utilisation du cheval dans toutes ses aptitudes. Le bureau des courses au ministère, dirigé par un officier des Haras, assure la réglementation et participe au contrôle du Pari-Mutuel. Le service des Haras agit en liaison avec les fédération régionales qui coordonnent l’action des sociétés de courses de province. (...) L’administration des Haras se doit d’entretenir quelques étalons de pur sang bien choisis, les services des meilleurs étant tirés au sort pour les juments les plus qualifiées. Par contre, les Haras nationaux possèdent une grand proportion des étalons Trotteur Français. (...)
C'était hier
En haut, le jour des courses au Pin, une foule inouïe se presse à l'hippodrome du haras pour le défilé des attelages et la présentation des étalons. Ph. Y. de la Fosse-David Au centre, M. Pisani, avec à sa droite M. de Poncins, directeur du haras du Pin, se fait présenter le personnel du Dépôt. « Tous ces hommes, paysans d'origine, qui consacrent toutes leurs heures aux soins, à l'entretien, à la conduite des chevaux... », devait dire le ministre au cours de son allocution. Ci-contre, l'un des Pur-sang du Haras du Pin, Le Tyrol utilisé en race pure et en croisement.
Photo de couverture : Jeroen Dubbeldam aux JEM. Ph. J. Toffi
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La mise à la disposition de l’élevage des étalons de l’Etat constitue une action directe de première importance. Chaque année, le renouvellement de l’effectif, à environ 10 %, permet le maintien de la qualité et l’adaptation progressive aux besoins changeants de l’utilisation. Un effort de modernisation est en cours pour mieux assurer le service des stations de monte. La production du cheval de selle ne suffit pas actuellement à la demande. Des crédits importants sont consacrés à l’acquisition d’étalons Pur-sang de croisement, Selle Français et Anglo-arabes, à la sélection de la jumenterie, aux concours de chevaux de selle de trois ans, au financement (par l’intermédiaire de la Société hippique française et de la Fédération française des sports équestres) des épreuves de jeunes chevaux et des compétitions de divers niveaux (dressage, concours hippique et concours complet d’équitation). La qualité des chevaux français s’affirme dans les épreuves nationales et internationales, non seulement sous la monte de nos cavaliers, mais surtout, et très fréquemment, avec les succès remportés par les cavaliers étrangers acheteurs de chevaux français. Il convient d’aider le perfectionnement des cavaliers les plus doués, actuellement contrarié par le manque d’instructeurs. Des pourparlers sont en cours pour l’organisation sous la triple tutelle des ministres des Armées et de l’Agriculture et du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, d’un Institut national d’équitation, établissement public qui prendrait la suite du Cadre noir de Saumur et du Centre des sports équestres militaires de Fontainebleau. Un de ses principaux objectifs sera la formation d’écuyers-professeurs. Les cavaliers capables d’aborder les compétitions les plus élevées ne pourront se révéler que s’il existe un grand nombre de jeunes gens initiés à l’équitation. La marque cavalière, autrefois donnée par le service militaire dans les armes montées, doit aujourd’hui être conférée par les Sociétés hippiques rurales ou urbaines. Un travail considérable est à la charge des Haras nationaux pour contribuer à l’installation matérielle et au fonctionnement de groupements sérieusement gérés. Les chevaux militaires ont été, pour la plupart, pris en charge par le ministère de l’Agriculture depuis janvier 1964. Les moyens d’instruction équestre à l’Ecole militaire de Paris, Saint-Maixent, Châlons, Tours, Lyon, etc., ont été maintenus par l’organisation de sociétés hippiques nationales. Des associations de même type ont été créées dans les dépôts d’étalons et les lycées agricoles. La réalisation de ce plan d’ensemble se traduit sur tout le territoire par l’inspection et l’animation de plusieurs centaines de sociétés, par l’aide financière (dans la limite de crédits mesurés) à la création et au développement de leurs installations (manèges, carrières, écuries…). Chaque société doit être incitée, par le moyen d’épreuves d’entraînement, à cultiver ses propres tendances, soit vers le tourisme et toujours vers la formation d’un grand nombre de jeunes et le perfectionnement des meilleurs. Un des obstacles à la réalisation de ce plan d’équipement est la prolifération actuelle d’établissements à caractère commercial, qui ne présentent aucune garantie de qualité et risquent de donner à leur clientèle une fausse idée de l’équitation. Les chevaux de trait constituent la très grande majorité dans le total du cheptel. Nos races, sévèrement sélectionnées au cours de la première moitié du siècle, maintiennent leur réputation mondiale puisque bien des missions étrangères viennent, parfois de très loin, acquérir des reproducteurs de Trait Breton, Percheron, Ardennais et Boulonnais. A côté de cette œuvre de sélection qui doit être poursuivie, il y a nécessité d’une action de masse, car la production ne suffit plus à la consommation, ce qui nous oblige à d’importantes importations de chevaux de boucherie. Des études économiques ont été entreprises pour vérifier la rentabilité de l’élevage des chevaux de Trait et lutter contre le déclin trop raide de cette spéculation agricole.
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Technique
Ph. Studio Delaroque
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C'était hier
Dans son numéro de décembre 1965, L'EPERON faisait le point sur la politique gouvernementale en faveur de l'élevage et de l'utilisation du cheval. Quarante-neuf ans ont passé...
L’EPERON
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HOMME DE L'ANNÉE
Patrice Delaveau
Toujours plus haut !
Ph. E. Knoll
L’impact des Jeux équestres mondiaux a été d’autant plus fort cet été qu’ils se sont déroulés à domicile, à Caen. Naturellement donc, notre homme de l’année est un de leurs héros, Patrice Delaveau, médaillé d’argent par équipes et en individuel avec Orient ExpressHDC. Mais comment ne pas mettre également à l’honneur Jacques Ferrari, nouveau champion du monde de voltige ? C’est pourquoi nous lui avons décerné un prix spécial.
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HOMME DE L'ANNÉE
L
es années qui passent ne semblent pas avoir d’emprise sur la motivation sportive de ce compétiteur hors norme bien accroché au Top 10. Il y est redouté. Avec Patrice Delaveau, un cheval peut en cacher un autre et se révéler au zénith en une saison. Surtout depuis cette collaboration entamée en 2010 avec le Haras des Coudrettes. Plus de sérénité, un cadre professionnel digne de son talent, Patrice a désormais toutes les cartes en mains pour sublimer cette envie de gagner qu’il a chevillée au corps. Ses priorités ont évolué, les perspectives sportives ont pris une nouvelle dimension. Avait-il besoin d’être rassuré, sécurisé, confirmé dans son expertise pour percer encore davantage et se maintenir durablement parmi l’élite mondiale ? Patrice sourit bien plus, il blague même et relativise, cela n’a échappé à personne. On le perçoit nettement plus zen, avec du recul sur les événements comme lors de la finale de Coupe du monde à Lyon qui lui a échappé à cause d’une blessure de Lacrimoso-HDC (Landjunge) alors qu’il était en tête avant la dernière épreuve. Et cette foulée de trop lors de la Tournante des Jeux équestres mondiaux qui lui coûte l’or. La déception a disparu. Le n°6 mondial sait que d’autres échéances majeures pointent, comme les JO de Rio en 2016. Digérer, rebondir, renouer avec la motivation et se projeter au-delà de l’instant présent. N’est-ce pas la trajectoire de tout champion ? Rappelons que le Normand a toujours gagné dès ses débuts en Juniors avec son Trotteur Etendard du Nord. Puis, le jeune homme de bientôt cinquante ans, n’a cessé d’honorer avec brio ses engagements en équipe de France lors des grandes échéances jusqu’à ses deux médailles d’argent acquises cet été à Caen avec Orient ExpressHDC (Quick Star). Son capital sympathie était déjà fort, il s’est encore renforcé, car les observateurs ont noté sa capacité à se transcender dans les moments déterminants. C’est le sport tel que Patrice le conçoit. Le genre de gars qui tente l’option spectaculaire dans un barrage et qui ne lâche jamais rien. Avec lui, l’expression « aller chercher la victoire avec les dents prend tout son sens». Un cadre plus serein a donc greffé des ailes de plus grande envergure sur les épaules bien élargies et dorénavant très solides d’un champion unanimement reconnu. Qui n’a pas frissonné de joie lors des parcours de Patrice Delaveau aux Jeux mondiaux n’est pas Français. 2014 fut une année intense pour lui, notamment au plan personnel avec la disparition brutale de son frère Stéphane, mais son entourage a permis au triple vice-champion du monde
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Ph. Eric Knoll
de traverser les épreuves sans dévier de la trajectoire qu’il s’était fixée. Eric Fournier
Prix spécial Jacques Ferrari,
le discret
Remarqué en chapelier fou, un ange est passé en 2013 lors de ses prestations aux championnats de France et d’Europe, avant que Jacques Ferrari ne prenne son envol à Caen grâce à ses ailes de cygne ! Ce garçon est perché me direz-vous ? Sans doute un peu ! Tout le monde n’est pas candidat à un voyage sans retour sur Mars ! Mais il est surtout perché sur le toit du monde, auréolé de la seule médaille d’or française individuelle glanée aux Jeux équestres mondiaux avec ses deux complices de longue date, Poivre Vert et François Athimon, son longeur et propriétaire. Une performance d’une intensité incroyable partagée par quatre mille personnes, scellée par le fair-play de son principal rival, Nicolas Andreani, médaillé d’argent, qui l’a porté en triomphe sur ses épaules à travers la foule ! Un grand moment qui méritait un Prix Spécial… Pour un champion du monde spécial ! Sa dis-
crétion n’a d’égale que sa détermination. Sous l’artiste hyper sensible, le Charentais cache un perfectionnisme aussi énergique que créatif. Les projets fusent, et à vingt-six ans, il conquiert ses rêves un à un. Moins d’un mois après les Jeux, sa compagnie Noroc, dans laquelle s’est embarqué Nicolas Andreéani, reprenait la route avec un nouveau spectacle, « Voyage dans le temps », pour le salon d’El Jadida au Maroc, avant trois dates au Boulerie Jump au Mans du 19 au 21 décembre, et Cheval Passion du 21 au 25 janvier. Pour autant : « Je n’arrête pas ma carrière, souligne t-il. J’arrête la compétition en individuel, mais j’ai envie de créer une équipe, et pourquoi pas un pas de deux ! » A suivre ! Christelle Iraola-Maitre
Eleveur André Magdelaine : la consécration de l’élevage des
Monceaux
Notre homme de l’année 2011, Patrice Boureau, naisseur du Selle Français médaille d’argent à Caen, Orient Express, aurait pu postuler, de même
L’Eperon
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Jeroen Dubbeldam
Quatorze ans après son titre olympique, Jeroen Dubbeldam a été sacré champion du monde avec Zenith SFN (à droite) devant les 22 000 spectateurs du stade d’Ornano à Caen (ph. E. Knoll). Le comble pour un passionné du ballon rond qui, gamin, rêvait de devenir footballeur professionnel ! Ph. D Caremans Ph. E. Knoll
A l’heure où les meilleurs mondiaux enchaînent les Grands Prix à un rythme effréné et cherchent à étoffer leur piquet de chevaux, Jeroen Dubbeldam, lui, préfère se concentrer sur un ou deux cracks et choisir ses concours pour préparer ce qui le motive avant tout : les grands championnats. Disparaître du devant de la scène pour mieux y resurgir ne lui fait pas peur, et ses huit médailles européennes, mondiales et olympiques – glanées en onze sélections depuis 1998 – lui donnent jusque-là raison. Rencontre exclusive chez le nouveau double champion du monde, atypique. 36
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reportage sport
Jeroen Dubbeldam
La force tranquille
J
e vais manger un steak et me reposer. » La réponse de Jeroen Dubbeldam aux journalistes désireux de connaître le programme de sa soirée précédant la Tournante des Jeux équestres mondiaux en avait fait sourire plus d’un, mais elle illustre assez bien le personnage. Calme et pragmatique en toutes circonstances. Deux traits de caractère qui, couplés à son feeling et à son sang-froid en piste, participent grandement à ses performances. « Ces chevaux étaient tous très bons, dans une forme optimale, et en plus on les connaît à force de les voir en concours, donc ça ne servait à rien de décortiquer leurs vidéos. Le plus important était d’essayer, une fois en selle, de ressentir le plus justement possible quoi faire pour s’adapter au mieux à eux afin qu’ils puissent exprimer leur talent », précise le Néerlandais de quarante-et-un ans, en nous servant un café dans le chaleureux club-house, qui surplombe son manège
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Ph. Scoopdyga
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Le berceau du spectacle Comment un rassemblement taurin hivernal a-t-il pu devenir le premier rendez-vous européen de la création équestre ? Industrie, sellerie, événementiel, le parcours de Maurice Galle (soixante-six ans), et, dans sa trace, celui de Fabien (quarante-deux ans), sont aussi atypiques que la manifestation, dont ils sont devenus les piliers. Le charisme, le parler haut et clair du père ; l’énergie, la force créative du fils, avec en commun la passion du cheval, la convivialité et l’accent chantant du Midi, sont autant de caractéristiques qui collent à la peau de Cheval Passion depuis trente ans. Retour sur les temps forts de cette métamorphose, avec ce tandem qui promet aux Crinières d’Or, et au spectacle équestre français, de nombreuses années très inspirées !
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Q
uel est au départ votre lien au cheval et au spectacle équestre ? Maurice Galle. Je suis né dans le delta de la Camargue à Salin-de-Giraud ! Le cheval, c’est culturel chez nous. J’ai d’abord travaillé chez Péchiney à Cannes, puis j’en ai eu ras-le-bol et je me suis installé comme sellier à Saint-Etienne-du-Grès, puis à Tarascon. Contrairement à Fabien qui a pris la relève à l’atelier après une formation au Haras du Pin, je suis un autodidacte. J’étais très proche de Nuno Oliveira et de son fils Joa. Je me suis donc spécialisé dans les selles de travail portugaises et camargues, puis d’amazone, ainsi que les harnais de cirque. Nous avons eu jusqu’à neuf personnes à l’atelier, mais c’est toujours par le bouche à oreille que l’on nous commande les produits (sous la marque Le sellier, ndla). C’est à force de discussions, d’échanges avec les clients, qu’il nous est apparu que l’on manquait de lieux d’expression. Alors progressivement, je me suis investi dans la création de manifestations locales à Nîmes, Tarbes, Méjanes, Mausanne puis la Féria aux Saintes Marie-de-la-Mer. Comment vous êtes-vous retrouvé embarqué dans l’aventure de ce qui deviendra Cheval Passion ? La manifestation est née autour d’un apéro à la Civette, place de l’Horloge, en Avignon ! Le maire de l’époque, Jean-Pierre Roux, souhaitait créer une animation en janvier pendant la saison creuse… Le comité d’organisation (la Régie municipale de gestion à l’époque, puis Avignon Organisation et aujourd’hui Avignon Tourisme, ndla) s’est donc tourné naturellement vers des personnes déjà impliquées dans ce type de manifestation pour les aider. Et c’est comme ça qu’en 1986 naissait dans
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REPORTAGE CHEVAL PASSION
Les trente ans
équestre depuis trente ans
des arènes mobiles une corrida portugaise (à cheval et sans mise à mort publique, ndla) avec des courses camarguaises, agrémentées d’un spectacle de l’Académie de Guyenne dont Carlos et Daniel Pinto faisaient partie, et d’« un paseo » (le premier des trois actes d’une corrida portugaise où les trois rejoneadores montrent leur habileté à cheval sans la présence du taureau, ndla). Le premier à mettre en scène était l’un des co-fondateurs, Pierre Lapouge, un dentiste. Il a longtemps fait l’ouverture à cheval des Crinières d’Or. Dans un contexte culturel où chaque village a ses arènes et son club taurin, comment le cheval a-t-il pris le pas ? Un mouvement anti-tauromachique a fait pression sur la municipalité qui a donc voulu changer de cap. La culture taurine est intimement liée au cheval, et tous les protagonistes y étaient évidemment sensibles. La partie spectacle, où l’on a retrouvé souvent des chorégraphies tauromachiques, a donc commencé à vivre en parallèle du Salon… une trentaine d’exposants au départ ! Comment la création équestre a-t-elle progressivement émergé aux côtés des équitations de tradition ? Cela a donné lieu à une opposition (légère !) dans le comité d’organisation qu’a longtemps présidé l’un des membres fondateurs, Jean-Claude Jourdan (décédé en 2010, ndla) ! Je faisais partie de ceux qui estimaient qu’il fallait choisir une direction qui corresponde à notre identité culturelle, mais qui crée l’événement. En tant que cavalier, sellier, dans une région méridionale festive, un lieu tel qu’un cabaret s’est imposé avec l’idée qu’il faut prendre, mais rendre au cheval en le mettant au cœur de la création. En fait, ici, le spectacle est en
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nous. Entre cirque et tradition, il y avait une voie à explorer. Au début, nous avons beaucoup travaillé avec des personnages de l’imaginaire, comme le tableau Cro-Magnon de Jean-François Pignon et Gazelle. Mais il reste fondamental de revenir aux racines pour aller vers la modernité. Et vous, Fabien, comment avez-vous débuté cette aventure ? Fabien Galle. La première année, j’avais douze ans… et je courais dans les couloirs ! L’année suivante, je présentais de la doma vaquera au cabaret avec un cheval, cadeau de mon père, nommé FLIRTEO… mais c’était plus du Botero que de la vaquera ! (rires) Après, j’ai fait quatre fois les Crinières d’Or avec SABOR CAMPERO avec notamment Robert Rosière, l’éleveur d’HÉLIOS, Armand Serre, le père d’Arnaud, Raymond Andréani, et ma sœur aînée
En haut, l'un des défis de Maurice Galle : que JeanFrançois Pignon vole ! Ci-contre, Bodega et Cabaret permettent aux artistes de tester leurs numéros. Page de gauche En bas, le site de Cheval Passion au début. En haut, Claudine Ayme entourée de Maurice Galle (à gauche) et de son fils Fabien. Au centre, l'acteur Thierry Lhermitte aime venir en Avignon. Ici aux côtés de Maurice Galle. Photos J.-L. P.
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La réussite d’André ORNE
CherbourgOcteville Valognes Ste-MèreEglise Carentan
Diélette
Bayeux
MANCHE 50 Coutances
CAEN
SAINT-LÔ
Villedieules-Poêles
Vire Le-Mt-StMichel
Avranches
Flers
Ph. Delaroque
St-Malo
Tréauville, Diélette, nous voilà partis une nouvelle fois pour un voyage en Nord Cotentin, dans ces superbes paysages de type irlandais, au bord de la mer. C’est ici qu’André Magdelaine a fait prospérer son élevage des Monceaux à l’origine de gagnants tels ROMÉO (CSI), ou le tout récent champion des 5 ans VERBOIS DES MONCEAUX, ou encore QUABAR, récent champion d’Europe de saut d’obstacles poney à Millstreet.
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ndré Magdelaine, soixante-sept ans, à l’image de nombreux éleveurs manchois (bovins, équins), connaisseur, observateur, féru d’origines, est à la tête d’un élevage qui a produit de bons chevaux depuis plus de trente ans. Pas forcément de grands cracks hormis un certain ROMÉO DES MONCEAUX (LE PLANTÉRO), ISO 163 et gagnant international sous la selle de l’Italien Giorgio Nuti, mais beaucoup de jeunes chevaux indicés entre 125 et 145 en saut d’obstacles et concours complet. Car, André met ses bons chevaux en exploitation. « Il faut faire le tri, les médiocres je ne les débourre même pas. » Cependant, depuis quelque temps les choses se sont accélérées, PICSOU DU CHÊNE (LETOT DE SEMILLY), issu d’une de ses poulinières, a défrayé la chronique sous la selle du Suisse Pius Schwizer, avant de poursuivre sous celle de Martin Fuchs. Le beau VERBOIS DES MONCEAUX (LANDO, dwb)
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n°351 décembre 2014 - janvier 2015
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REPORTAGE
ELEVAGE
Elevage des Monceaux
Magdelaine
gagne le championnat de France des 5 ans mâles SF à la dernière Grande Semaine. Enfin, le ravissant Quabar des Monceaux (1,46 m) remporte en août avec la jeune Ninon Castex, le championnat d’Europe individuel (une première pour un poney français) et par équipes de saut d’obstacles poneys. Une diversification assez surprenante alors que d’autres éleveurs investissent dans les trotteurs ou les galopeurs, mais lui, en bon Normand, n’a pas dépensé un sou et a puisé dans son élevage familial. Les poulinières Selle Français des Monceaux choisies et acquises il y a une trentaine d’années ont toujours été recherchées pour leur sang. Mais qui disait sang signifiait souvent à cette époque gabarit un peu réduit. La première pouliche achetée chez un voisin en 1965 à un an, Urgence par le Pursang Valesco, toisait 1,60 m, mais était bourrée de sang. « J’adorais le sang et si j’avais été dans le sud Manche, je crois
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que j’aurais opté pour les AQPS, et les courses de steeple. Je n’avais guère monté auparavant que des chevaux de trait chez mes parents, mais j’ai appris avec elle, en la débourrant. Elle n’était pas facile, mais j’y suis parvenu. Après j’ai toujours débourré mes 3 ans et je les présentais au concours modèle et allures. Mais je n’ai jamais fait de compétitions officielles », précise notre homme. Lorsqu’en 1969, André choisit Rosire pour Epatante (un petit mètre soixante), fille d’Urgence par Quirinal, il ne s’attend pas l’année suivante à voir naître une si petite pouliche (elle fera 1,55m à trois ans), Gina des Monceaux. Qu’à cela ne tienne, elle n’est pas facile à vendre alors elle ira en concours à quatre ans, sans résultat très probant. Elle est saillie les années suivantes par de grands Selle Français, Emir Platière, First de Launay, Grenat de Grez. Avec ce dernier, elle donne Océane des Monceaux qui fait une carrière régulière et sérieuse (ISO 147
Le SF Verbois des Monceaux, champion des 5 ans, et le champion d'Europe Quabar des Monceaux (page de gauche), premier poney français ainsi titré en saut d'obstacles individuel couronnent trente années dédiées aux chevaux pour André Magdelaine. Photos Studio Delaroque et G. Levesque
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