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L’Eperon dito
par Christelle Iraola-Maitre
Le prix du danger
Bouger les lignes, très bien, mais pour privilégier quelle vision, quelles valeurs du sport ?
Adieu, chasse, tournante et équipe de quatre en saut d'obstacles... Bien sûr ! Et pourquoi pas un Pas de deux déguisé pour disputer le titre olympique par équipes en dressage, ou un championnat du monde d'attelage à Quatre... avec un seul cheval ? Absurde ? Pas tant que ça. Les acteurs du quatrième Forum sportif de la FEI à Lausanne fin avril ont fait preuve d'une grande créativité dans leurs propositions, toutes disciplines confondues, pour répondre notamment à la pression du CIO (lire p. 93). L'objectif fixé : davantage de nations pour deux cents chevaux maximum, et une médiatisation accrue. Surprenantes, détonantes, certaines réflexions avancées cherchaient surtout à faire réagir. Bouger les lignes, très bien, mais pour privilégier quelle vision, quelles valeurs du sport ? Car au fond, les suggestions les plus loufoques monopolisent la lumière, quand les plus nocives cheminent en silence. L'équité, le bien-être des chevaux sont brandis haut et fort pour défendre le maintien des quatre équipiers en saut d'obstacles (pour trois résultats retenus), contre une proposition à trois où le droit à l'erreur serait donc supprimé, et la pression accrue sur chacun. Soit, mais est-ce sincèrement le fond de la question ? Car même à quatre au départ, la pression olympique pousse a des extrémités dommageables pour l'intégrité des chevaux, comme en témoigne Philippe Rozier (lire p. 40). Les pay-cards du saut d'obstacles ne sont-elles pas plus nocives, pour les chevaux comme pour l'olympisme, que la perspective de courir à trois cavaliers ? Car là aussi, il est bel bien question d'équité et de bien-être des chevaux. Aucune règle FEI ne limite, n'encadre la participation des chevaux, à défaut de pouvoir stopper l'inflation du calendrier. Dans la course à l'échalote d'un classement mondial, faussé par des circuits où la sélection est faite par l'argent, ce sont les chevaux qui en payent le tribut au fil de saisons sans fin. Pour entrer ou rester dans les trente meilleurs mondiaux, invités à concourir gracieusement, il ne faut jamais décrocher. Certaines écuries l'ont
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bien compris. Au lieu de se concentrer sur l'amélioration technique, physique de tel ou tel cheval, c'est désormais la quantité qui fait la différence... Peu importe combien on en casse, pourvu qu'il en reste un à l'heure de l'événement majeur ! Evidemment, il faut se garder de faire des généralités, mais le système est amorcé... Et peu contesté ! Ayons donc l'honnêteté intellectuelle d'évoquer les questions qui fâchent, plutôt que les arguments de surface. Sommes-nous prêts à assumer toute la dramaturgie du sport, au nom de l'olympisme, quitte à voir sombrer une équipe leader à la première contre-performance ? Dénaturer notre sport, si particulier, pour une quête télévisuelle où vingt-huit sports se disputent l'antenne pendant la quinzaine olympique, le jeu en vaut-il la chandelle ? L'enjeu est-il la médiatisation ou les redistributions des droits TV promises aux fédérations internationales ? Faut-il favoriser le saut d'obstacles, plus universel, comme l'avance Rodrigo Pessoa notamment (voir p. 94), pour satisfaire le CIO ? Les paramètres sont nombreux et épineux pour édicter une règle olympique qui permette à un sport coûteux de subsister dans un monde où l'éphémère, le buzz et le low-cost font loi. Alors, pourquoi, avant même d'avoir trouvé une formule pérenne, veut-on se précipiter à mettre tous les championnats dans le même moule en menaçant des spécificités comme la chasse et la tournante ? La facilité ? La volonté d'uniformisation ? Attention qu'à l'instar de la progression des « bacs à sable » entourés de tentes VIP, et de tribunes clairsemées, on ne tue pas l'essence même du sport : l'émotion ! Cette vibration capable de soulever un stade comble, de le voir debout reprendre d'une seule voix un hymne, ou de jouer, de répondre aux sollicitations d'un sportif ému aux larmes comme ce fut le cas à La Baule avec Patrice Delaveau et Steve Guerdat (lire p. 88). Seule l'émotion vraie témoigne qu'un sport est bien vivant.
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L’Eperon SOMMAIRE
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Juin 2015
Edito Tribune
Karim Lagouag
Jean-Loup Caplain
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Rencontre exclusive
L'actualité en images Reportage sport
Karim Laghouag, pour la joie des autres
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Portrait cheval
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Portrait cavalier
Olivier Robert, dans une nouvelle ère
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Homme de l'ombre
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La parole à
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Reportage élevage
Ph. G. Grégoire
Vagabond de la Pomme, les copains d'abord !
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Jean-Louis Leclerc, au chevet de l'endurance
P. Rozier : « J'ai l'impression d'avoir vingt ans »
La star de complet ouvre les portes de son magnifique domaine de la Ribaudière, en Eure-et-Loir. Il raconte sa carrière de compétiteur et ses ambitions. Mais surtout, il confie l'importance qu'ont ses amis et sa famille dans sa vie.
Elevage de Vains, l'appel de la Normandie
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Etude Cortes C, le génie de souche SF
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Enquête
L'équitation éthologique en France, vingt ans après
Ph. H. Delaroque
L'élevage de Vains
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Entre Alsace en Normandie
Technique Le cheval sous contrôle avec Jan Bemelmans et Thibaut Valette
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On connaît l’affixe « de Vains » des bons gagnants Sixtine, Quieva et Rio de Vains, parfois le nom de la SCEA « du Fougeray », leur naisseur officiel, régulièrement bien placé au Top 100 SHF-L’EPERON. Mais on connait peu la famille Bihl, à la tête cet élevage. Discrète, sa passion n’en est pas moins solidement inscrite dans la durée !
Découverte
Un cheval cabré dans le bestiaire de Richard Orlinski Photo de couverture : Karim Laghouag et Entebbe de Hus. Ph. E. Knoll
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98 100
112 119 129 130
La sélection de la rédaction
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Eco-Po Entreprises De Sutter et Seb La clôture en bois
Vagabond de la Pomme
Santé Vermifugeons de manière responsable
JACKPOT À VEGAS
Dossier
Révélation de la finale Coupe du monde à Las Vegas (2e), VAGABOND DE LA POMME arrive, à dix ans, au sommet de son art sous la selle de Pénélope Leprévost. Portrait d’un étalon sBs dont le talent est à la mesure de son caractère attachant.
Les membres du cheval : attention, fragiles !
Tour du monde CSIO5* de La Baule Forum sportif de la FEI à Lausanne CCI4* de Badminton CSIO-YG de Deauville CDI3* de Saumur
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Dans le viseur
BIP de Fontainebleau Cheval du mois : Rahotep de Toscane Adoption du règlement du stud-book AA international
Tour des régions Petites annonces
Infos pratiques Emission DCDH Adresses, calendrier
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Enquête
L'équitation éthologique, qu'en est-il aujourd'hui?
Depuis que l'éthologie, ou science du comportement des animaux, est arrivée en France, elle n'a cessé de se développer. Comment se traduit cette prise de conscience dans le milieu professionnel ?
C'était hier Halte au massacre, mort aux ficelles !
Entre les pp. 66-67 : Top 100 SHF-L'Eperon de saut d'obstacles Fiche étalons : Entebbe de Hus et Quartz Rouge
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Philippe Rozier Confidences
Ses trente ans de carrière sont loin d'avoir été faciles. Expérience traumatisante aux JO de Sydney en 2000, événements personnels terribles... Pourtant Philippe Rozier a tout fait pour rester dans le coup et il semblerait que cela paye. Son titre d'entraîneur national du Maroc et ses récents classements en GP5* le prouvent.
Tour de France
Annonces classées : chevaux, pensions, véhicules, stages, santé, équipements, emplois, immobilier
Ph. D. C Ph. D. Caremans
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Livres
Ph. Scoopdyga
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Karim Laghouag
Pour la joie De la joie qu’il lit dans le regard des autres, Karim Laghouag, a fait le moteur de sa carrière de compétiteur. Une approche singulière pour un cavalier, plus complexe que le permanent sourire qu’il affiche ne peut le laisser penser. N°1 mondial en 2006, médaillé par équipes aux championnats d’Europe en 2011 à Malmö (Sue), il est aujourd’hui sur le devant de la scène avec ENTEBBE DE HUSJO-JEM et s’est installé il y a un an à peine, au charmant domaine de la Ribaudière à Nogent-le-Rotrou (28).
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des autres
C
’est un coin de verdure, où ne chante pas une rivière mais où chevaux et humains se sentent bien. Une belle maison en pierre, quarante boxes, deux carrières, un manège, des paddocks, une piste de galop, seize hectares, des arbres, des fleurs... La Ribaudière est l’endroit qu’espéraient depuis plusieurs années Karim et sa compagne, Camille. Ils sont arrivés là en juillet 2014, avec leur fils Quentin, heureux d’avoir enfin trouvé le lieu où ils pourraient se projeter après sept années à sillonner l’Ilede-France. Beauvoir, Chevreuse, Saint Léger-en-Yvelines, Bazainville et Gambais les ont, tour à tour, vu passer avant qu’ils ne se fixent. « C’était la propriété du cavalier de saut d’obstacles, Steve Rousseau. Elle est divisée en deux parties et je me suis associé avec M. et Mme Pinchard, propriétaires de chevaux chez moi, qui ont investi dans une partie que je gère pour eux », explique Karim. A l’aube de la quarantaine, il a des projets plein la tête n’ayant rien perdu de l’énergie de ses vingt ans, mais avec une maturité chèrement acquise, au fil d’un parcours qui n’a rien d’un long fleuve tranquille.
TROIS ANNÉES HOSPITALISÉ Né à Roubaix, Karim-Florent qui a deux frères (Samy et Amaury) et trois sœurs (Sandra, Myriam et Delphine) a eu un grave accident quand il était enfant : « A deux ans je suis tombé dans les escaliers. Les vaisseaux nourriciers de ma
hanche étaient atteints et j’ai été immobilisé sur un lit roulant jusqu’à quatre ans avant de passer six mois en fauteuil puis d’entamer la rééducation. A ce moment-là, j’ai vécu à Berck-sur-Mer avec ma grande tante, Marguerite, car ma mère, sous-directrice d’un centre hospitalier, et mon père qui faisait du théâtre, habitant Roubaix, ne pouvaient pas être à mes cotés à plein temps. Ensuite, pour récupérer ma motricité, les médecins ont demandé à ce que je pratique plein de sports différents et complémentaires. Je devais changer d’activité tous les six mois : hand-ball, ping-pong, gymnastique, boxe... J’ai tout fait ! Je suis monté à cheval pour la première fois à huit ans chez mon oncle Pierre Defrance (le frère de ma mère), à Orléans. L’équitation est une passion familiale, tout le monde montait et ma sœur Sandra fait encore de la compétition. » Karim est resté vivre avec sa grand tante qui s’était attachée à lui jusqu’à l’âge de douze ans. Et ensuite « elle était trop âgée pour me garder. Mes parents m’ont offert le choix de retourner chez eux ou de partir chez Pierre et Suzanne (ma grand-mère maternelle). J’ai fait ma 3e là-bas, puis Pierre a pensé qu’il serait bien que j’aille au Haras du Pin. Pour lui, c’était une bonne école pour le cheval et cela calmerait peut-être mon côté turbulent ! » Au Pin, Karim passera trois années, noue des amitiés qui perdurent, décroche un CAP d’entraînement de chevaux de compétition, puis s’en ira à Compiègne passer son monitorat chez un ami de Pierre, Gildas Donou : « J’ai eu beaucoup d’atomes crochus avec
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REPORTAGE
SPORT
Karim Laghouag
Page de gauche, sur sa piste de galop avec Punch de l’Esques, partenaire de sa médaille européenne à Malmö et le reflet de lui même, déclare t-il. Ci-dessus, avec Camille et Quentin. La famille s’agrandira en décembre avec l’arrivée d’un deuxième enfant. Photos Florence Clot
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REPORTAGE
ELEVAGE
L’appel
Christian Bihl-Elevage de Vains
« De Vains », un affixe d’élevage qui a de plus en plus droit de cité dans le monde du jumping international, grâce entre autres à SIXTINE DE VAINS (Pius Schwizer, puis Ben Maher), QUOVA DE VAINS (Luca Maria Moneta) ou encore RIO DE VAINS (Damien Plume). Cet affixe est celui de Christian Bihl, pharmacien alsacien que le souffle de sa passion dévorante pour les chevaux pousse continuellement avec son épouse Véronique des collines du sud de l’Alsace vers celui des falaises de la Baie du Mont-Saint-Michel. Coutances
SAINT-LÔ
Villedieules-Poêles Bacilly
St-Malo
Dinan
Le Mt-StMichel Dol-deBretagne
RENNES
Falaise
Vire Avranches
Flers
ORNE 61
Domfront Fougères
ILLE-ETVILAINE 35
Mayenne
MAYENNE 53
Vitré
I
LAVAL
La passion des chevaux et de l’élevage a mené les Alsaciens Véronique et Christian Bihl vers la Normandie. Près d’Avranches, les terres qu’ils ont acquises pour leur élevage au Fougeray, et la maison qu’ils y ont fait bâtir, donnent directement sur la Baie du Mont-Saint-Michel. Photos Studio Delaroque A droite l’un de leurs meilleurs produits actuels, Sixtine de Vains (Calvaro), ici lors de sa 3e place dans le CSIW d’Helsinki l’an dernier avec Pius Schwizer. Elle avait seulement huit ans. Ph. coll.
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nstallé sur la commune de Bacilly (50), près d’Avranches, le pavillon en bois des Bihl offre une vue imprenable sur l’immense baie avec, en face, le Mont-Saint-Michel dans toute sa splendeur, et à droite le plus austère Rocher de Tombelaine. C’est ici que Christian Bihl et son fils JeanBaptiste, vingt ans, de passage pour 48 heures, se sont retrouvés en début de saison pour compulser les listes d’étalons qu’ils devaient choisir pour leur vingtaine de poulinières. Ils sont alors un peu comme des grands enfants qui préparent leur liste de cadeaux pour Noël. Il y a de la passion, presque de l’émerveillement dans ce moment. A ceci près que s’y mêle le souci, tout à fait sérieux, de produire des cracks, et qu’ils n’hésitent pas à y mettre le prix… ! C’est toutefois à Friesen, village de cinq cents habitants au sud de l’Alsace, que la famille Bihl a ses racines et continue de vivre. La langue maternelle de Christian, pourtant seulement âgé de cinquante-huit ans, est l’alsacien, et il raconte qu’avant de commencer l’école, ses parents l’avaient envoyé deux mois chez des amis pour apprendre le français. « Mon grand-père était agriculteur et bourrelier, raconte-t-il, et mon père Raymond était destiné à reprendre la ferme. Mais, Alsacien, il a été enrôlé dans l’armée allemande, il fut blessé et grand invalide de guerre et dut renoncer à être paysan. Il reprit alors des études de comptable et se lança ensuite dans la pisciculture. Il
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de la Normandie
y a beaucoup d’étangs dans cette région du Sundgau, et l’élevage des carpes y était développé. Mon père avait néanmoins gardé la terre du grand-père et y entretenait trois poulinières. Il élevait chaque année deux à trois poulains et achetait un 3 ans. J’en ai gardé une fibre rurale profonde. Quand j’étais gosse, je passais le jeudi et une bonne partie des vacances à la ferme de mon grand-père, que j’ai gardée. Quand on parle d’hectares, c’est un mot magique pour moi. J’ai commencé à monter à cheval vers quinze ans et cette passion ne m’a plus quitté », précise Christian Bihl. Et on le comprend, car la chance, ou le destin, est en outre venu pimenter l’affaire, comme le raconte notre homme : « Pour mon Second degré (équivalent aujourd’hui du Galop 7, ndlr), mon père m’a acheté un cheval proposé par un gars du coin à qui il ne convenait plus. Un cheval de rien, alezan toisant 1,56 m, fils d’un Pur-sang inconnu, SAMBO, et d’une mère Barbe, et répondant au nom de CLOTAIRE. On l’a essayé dans un champ, et pour 2000 F (une somme peu élevée, ndlr), nous sommes repartis avec, après avoir sauté quelques branches. CLOTAIRE m’a ainsi permis de faire mes premiers concours. Et comme cela arrive - c’est ce qu’on appelle la chance du débutant - tout est allé bien au-delà de nos espoirs et il nous a mis, à mon père et moi, le doigt dans l’engrenage. Au premier concours, à Vittel trois mois après son achat, il a fait une démonstration
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