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LE COSPLAY, BIEN PLUS QU’UN JEU
RENCONTRE AVEC QUATRE PASSIONNÉS. POUR EUX, C’EST LE MOYEN DE S’ÉVADER, DE S’AFFIRMER, DE TISSER DU LIEN.
L’ALCHIMIE DES JEUX VIDÉO
INGRÉDIENTS SAVANTS, LOGICIELS ESPIONS, RENFORT DES SCIENTIFIQUES : LES RECETTES DES CONCEPTEURS POUR CHARMER NOS CERVEAUX.
JUIN 2019 - N° 28 - 2 EUROS
MAGAZINE DES ÉTUDIANTS EN ANNÉE SPÉCIALE ET EN LICENCE DE JOURNALISME – EPJT – IUT DE TOURS
JEU
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Juin 2019 - N°28 - 2 EUROS Magazine de l’Année spéciale et de la Licence en journalisme – EPJT – IUT DE TOURS
ÉDITO Des châteaux de la Loire, qui furent le décor pendant des siècles de longues parties de colin-maillard, aux écrans toujours plus grands, perchés en haut des gratte-ciels de Séoul, en passant par les cours d’école où l’on saute à pieds joints genoux écorchés, le jeu est partout. À travers les âges, les époques et l’espace, il rapproche les hommes : ceux qui se retrouvent autour d’un Monopoly, un soir de Noël, d’une partie de tarot au bistrot du coin à la sortie du lycée ou ceux qui s’aiment au creux des draps froissés… Aujourd’hui, peut-être encore plus qu’avant, il crée des ponts entre ceux qui ne se sont jamais rencontrés. Les amitiés qui commencent sur des plateformes virtuelles sont monnaie courante. Et StarCraft, célèbre jeu de stratégie en temps réel, est devenu une pépinière d’amoureux. Désormais la plus grosse industrie culturelle au monde, le jeu a pris une place prépondérante au cœur de nombreux débats sociétaux. Michael Moore, dans son film Bowling for Columbine, se demandait déjà si les jeux vidéo étaient responsables de cette tuerie, qui ne serait malheureusement pas la dernière. Récemment, dans la région toulousaine, une jeune adolescente s’est défenestrée pour avoir dépensé 400 euros en jeux vidéo avec la carte bancaire de ses parents. Les cabinets de psychologues sont plein de parents désarmés face à leurs enfants qui s’enferment dans une réalité virtuelle. Le paradoxe est grand… Celui qui nous sert de liant est souvent accusé de nous séparer. Innova a voulu aller au-delà de ces critiques. Dans ce numéro, les femmes reprennent la main sur une industrie perçue comme machiste ; on trouve de nouvelles étoiles car participer à la recherche devient un jeu d’enfant ; le cerveau délivre quelques uns de ses secrets les mieux cachés ; les grandes énigmes de l’histoire attendent d’être résolues derrière les portes des monuments de la Loire ; les ingrédients de doux filtres d’amour se révèlent parfois électroniques. Enfin, ces pages regorgent de passionnés. Ils programment, conçoivent, dessinent, écrivent et, pour ce magazine, se racontent. Car oui, il y a des hommes derrière les jeux. Rien d’étonnant alors à ce qu’ils soient le reflet de notre société, un peu égarée et complexe. À une époque où les politiques en appellent à la sagesse du peuple, nous répondons : « JOUEZ ! » Car, comme disait le dramaturge Samuel Beckett, jouer à être, c’est déjà exister un peu. LA RÉDACTION
P.S. Dans ce magazine, vous trouverez des QR codes que vous pourrez flasher avec votre Smartphone ou votre tablette. Vous accéderez ainsi à des contenus, textes ou musiques qui enrichiront votre réflexion et votre expérience de lecture.
dOssIER 23¬ COMMENT LES JEUX VIDÉOS Pixabay
NOUS SÉDUISENT
CONCEPTEURS DE JEUX VIDÉOS ET SCIENTIFIQUES COLLABORENT POUR DÉCUPLER LE PLAISIR DES JOUEURS.
INDex
GRAND ENTRETIEN 4¬
LE SOCIOLOGUE AURÉLIEN FOUILLET DÉCRYPTE LA PLACE DU JEU DANS LA SOCIÉTÉ D’AUJOURD’HUI
JEU DU SORT 6 ¬ ESCAPE GAME, MISSION COHÉSION 20 ¬
PRISÉE DES ENTREPRISES, CETTE ACTIVITÉ EST CENSÉE AMÉLIORER LES RELATIONS ENTRE LES SALARIÉS.
DÉTOX 22¬
STOP ! LE JEU VIDÉO VÉHICULE TROP D’IDÉES REÇUES.
JBX, JOUEUR DANS L’ÂME 8¬
CET AGENT IMMOBILIER EST LE CRÉATEUR D’UNE SAGA SONORE DÉJANTÉE SUR L’UNIVERS DU JEU DE RÔLE.
BOÎTES À FRIC NUMÉRIQUES 31¬
LA LOOT BOX PROPOSE UN ÉQUIPEMENT CONTRE DE L’ARGENT. UN JEU DE HASARD ?
DRESSEURS IRRÉDUCTIBLES 9¬ DEUX ANS APRÈS LA SORTIE DE POKEMON GO, LES CHASSEURS COURENT TOUJOURS.
PETITS CLICS, GRANDES DÉCOUVERTES 32¬ LES GAMERS ONT DES COMPÉTENCES QUI PEUVENT SE RÉVÉLER UTILES ET FAIRE AVANCER LA RECHERCHE.
MICMAC AU CHÂTEAU 10¬
LE JEU INVESTIT LE PATRIMOINE. MAIS LA CULTURE EN SORT-ELLE GAGNANTE ?
RAS-LE-BOL DES CRÉATURES HYPERSEXUÉES ! LES FEMMES PARTENT À L’ASSAULT D’UNE INDUSTRIE D’HOMMES.
JOUER, BOUGER, RÉÉDUQUER 34¬ 2018 Nintendo
#BALANCETONJEU 12¬
Jordan Nord
Ana Rougier/EPJT
LES BARS À JEUX FONT FUREUR. REPORTAGE UN SOIR DE PLEINE LUNE, LORS D’UNE PARTIE DE LOUP-GAROU, À TOURS.
FOOT AUX FRONTIÈRES DU RÉEL 15¬
JEUX VIDÉO ET RÉALITÉ VIRTUELLE SONT MIS À PROFIT DANS LA RÉÉDUCATION.
ARRANGEMENTS AVEC L’HISTOIRE 35¬
PAS FACILE D’ÊTRE FIDÈLE AU PASSÉ QUAND IL FAUT PRÉSERVER LE PLAISIR LUDIQUE.
PETITS JEUX ENTRE NOUS 36¬
L’APPLI MON PETIT GAZON FAIT UN CARTON EN MIXANT ÉQUIPES VIRTUELLES ET RÉSULTATS RÉELS.
LES PROS DE LA CONSOLE DOIVENT TROUVER UN TERRAIN D’ENTENTE AVEC LEUR MOITIÉ. ET CE N’EST PAS PARTIE GAGNÉE.
PORTFOLIO 16¬
PC BANG
TRÈS LOIN DU DÉGUISEMENT, LE COSPLAY EST BIEN PLUS QU’UN JEU POUR SES ADEPTES.
38¬
ET EN FRANCE
Théo Lebouvier/EPJT
Eloïse Bajou/EPJT
EN CORÉE DU SUD, CES CYBERCAFÉS ONT CONTRIBUÉ À FAIRE DU JEU VIDÉO LA PREMIÈRE INDUSTRIE CULTURELLE DU PAYS. OÙ EN EST L’E-SPORT, CE SPORT ISSU DES PC BANG ?
PAGES PRATIQUES 41¬ BRÈVES, PEOPLE ET PLAYLIST.
Innova Tours n°28. Juin 2019. Journal des étudiants en Année spéciale de journalisme et en licence, École publique de journalisme de Tours/IUT de Tours, 29, rue du PontVolant, 37002 Tours Cedex. Tél. 02 47 36 75 63, ISSN n° 02191-4506. Directrice de publication : Laure Colmant. Coordination éditoriale : David Michaud (rédacteur en chef), Laure Colmant (SR) et Frédéric Pla (DA). Rédaction : Éloïse Bajou, Mathilde Bienvenu, Flore Caron, Élodie Cerqueira, Oumy Diallo, Anaïs Draux, Isabelle Hautefeuille, Marine Jamet, Aiman Kacem, Théo Lebouvier, Clélie Louiset, Léo Le Calvez, Amaury Lelu, Ana Rougier, Anne-Laure Thadée, Léa Tramontin et Ousmane Yansane. Secrétariat de rédaction : Mathilde Bienvenu, Flore Caron, Élodie Cerqueira, Isabelle Hautefeuille, Aiman Kacem, Léo Le Calvez, Amaury Lelu, Ana Rougier, Léa Tramontin et Ousmane Yansane. Maquette : Oumy Diallo, Anaïs Draux, Marine Jamet, Clélie Louiset et Anne-Laure Thadée. Iconographie : Éloïse Bajou. Photo couverture : Éloïse Bajou. Publicité : Mathilde Bienvenu et Anaïs Draux. Imprimeur : Picsel, Tours.
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ENTRETIEN
« LE JEU EST UN SYMPTÔME DU BESOIN
DE CHANGEMENT » Selon vous, l’homme est poussé à jouer par amour du risque et pour échapper à l’ennui. Pourquoi ?
LE SOCIOLOGUE AURÉLIEN FOUILLET EXPLIQUE COMMENT LE JEU FABRIQUE LA SOCIÉTÉ D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN. TRAVAIL, LOISIRS, VIE PRIVÉE, IL ANALYSE CE NOUVEAU MÉDIUM, OMNIPRÉSENT DANS NOTRE QUOTIDIEN. POUR LUI, LE JEU PRÉFIGURE UNE NOUVELLE FAÇON DE VIVRE ENSEMBLE. [ PAR AMAURY LELU ET LEA TRAMONTIN ]
On associe souvent le jeu à l’isolement et à l’addiction mais c’est aussi une source de socialisation. Qu’en pensez-vous ?
Photos : Amaury Lelu/EPJT
Le jeu est un espace de culture, il est donc difficile de l’envisager comme une pratique solitaire qui mène à l’enfermement. Associer le jeu vidéo à la caricature de l’adolescent boutonneux et obèse devant son ordinateur est devenu trivial. En ce qui concerne l’addiction, le problème n’est pas le produit mais le comportement. Pour sortir du problème, l’important est de cristalliser son attention sur autre chose.
Nos sociétés ont produit de l’ennui en promettant une vie plus facile. On n’a, par exemple, plus besoin de chasser pour se nourrir. Tout ce qui était du mystère, de la magie, de l’inconnu et de l’étrangeté a été mis de côté. Le divertissement est donc une réponse à cet ennui. On cherche de l’aventure, du risque ou de la fiction pour se détourner de la peur et de l’angoisse de ne rien faire et éviter de créer des sociétés dépressives. Par ailleurs, on peut retrouver du lien avec les objets et comprendre comment ils fonctionnent autour d’une communauté. On ne fabrique jamais rien seul, c’est ce qui a été expérimenté dans le numérique au travers du jeu vidéo. Comment expliquer l’évolution du statut du jeu vidéo qui est devenu la première industrie culturelle mondiale ?
Les jeux vidéo on permis de créer de nouveaux espaces sociaux. Ils ont désormais un statut proche d’une œuvre d’art, d’une production cinématographique ou d’un album musical. C’est grâce à ce médium technologique et culturel que les individus peuvent vivre des expériences communes. Nous aspirons à vivre en société. Donc, évidemment, si un moyen nous le permet, nous l’utilisons. Travail, loisirs, culture, intimité, santé, aujourd’hui le jeu s’immisce dans toutes les sphères de notre quotidien. Comment analysez-vous cette « gamification » ?
En arrivant ici, je suis passé devant un coworking café. Les gens préfèrent parfois travailler dans ce type d’environnement plutôt que d’être seuls chez eux ou d’aller
à la bibliothèque. C’est une pratique plus ludique. Le jeu est un symptôme du besoin de changement, la société arrive à un point de saturation et doit se renouveler. Les cartes sont rebattues car les valeurs sociétales du XVIe siècle ne fonctionnent plus aujourd’hui. La « gamification » est la suite de l’imprimerie et du numérique. L’une a permis de diffuser la Bible en allemand et de rendre accessible le savoir à tous, l’autre a été le réceptacle d’une transformation culturelle. Tout cela est un enchevêtrement qui a influencé notre identité. Nous sommes donc à un moment charnière. Une nouvelle culture est en train de se constituer. Les nouvelles technologies accélèrentelles l’expansion des jeux ?
L’utilisation de la réalité augmentée dans Pokémon Go, par exemple, n’invente pas un comportement mais le facilite. Cette nouvelle technologie fait entrer IRL [In Real Life, dans la vraie vie, NDRL] le jeu en tant que tel. Le numérique a permis de tester des systèmes sociétaux virtuels car il est un espace indépendant des codes culturels, des lois, des institutions, des normes qui sont ceux de la vie de tous les jours. On assiste, alors, au développement accéléré d’expérimentations et peut-être que cela va continuer ainsi. Au XIXe siècle déjà, l’invention du roman avait permis aux individus de s’exprimer et de mieux se comprendre. Notre société parle d’innovation et de rupture mais on gagnerait à comprendre ces phénomènes présents et futurs si on analysait ce qui s’est passé auparavant. Aujourd’hui, un individu peut, à la fois, être connecté à un jeu en ligne, discuter
BIOGRAPHIE Aurélien Fouillet est né le 7 avril 1982 à Paris où il a grandi. En 2006, il obtient un master de philosophie à la Sorbonne. Six ans plus tard, après avoir bifurqué vers la sociologie, il réalise sa thèse « L’esprit du jeu dans les sociétés post-modernes ». En 2014, il publie l’ouvrage « L’Empire ludique : comment le monde devient (enfin) un jeu ». Aujourd’hui, il enseigne la sociologie à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (Ensci).
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ENTRETIEN
Aurélien Fouillet est l’un des spécialistes de la sociologie du jeu. Du fait de sa double fonction de philosophe et de sociologue, il aborde ce thème avec un nouveau regard.
sur les réseaux sociaux et sur un forum. Comment expliquer la multiplicité de notre identité virtuelle ?
Le réseau social vient manifester ce besoin de retrouver du lien avec la communauté. Je ne sais pas si le monde vers lequel on va est plus compliqué ou plus simple mais nous vivons actuellement un moment inconfortable et incertain. Aujourd’hui, ce qui prime est l’aliénation, au sens de faire du lien. Les identités sont donc multiples et s’actualisent en fonction de chaque communauté avec laquelle on interagit. Un père de famille peut jouer à la fois sur son portable à Pokémon Go, discuter avec quelqu’un sur AdopteUnMec et parler à son patron sur LinkedIn. Ces applications ont redéfini la manière dont nous tissons des liens. De nouvelles règles de vie apparaissent et deviendront peut-être les futures normes sociales.
Les comportements ludiques façonnent notre quotidien. On les retrouve dans l’art, à l’école ou encore dans les jeux de séduction. De quelle manière influencentils la société contemporaine ?
Ces comportements se détectent grâce aux signaux faibles. Ce sont les courants marginaux qui influent les dominants et transforment la société. Ils introduisent une démarche différente dans un monde qui était très bien organisé. Par exemple, le mouvement punk est au départ underground et inconnu du grand public.
Ces applications ont redéfini la manière dont nous tissons des liens. De nouvelles règles de vie apparaissent et deviendront peut-être les futures normes sociales »
Ensuite, il se démocratise, s’immisce dans le courant dominant et participe à la culture mainstream.
Facebook, Instagram, Snapchat ou Tinder introduisent des mécaniques de jeu dans notre vie intime. Il en est de même pour les compteurs de likes ou de partages. Où se situent les limites du jeu ?
Il n’y a pas de limites, c’est aussi le problème. En Chine, le gouvernement a développé une application destinée aux citoyens. Ceux-ci disposent maintenant d’un système de points à entretenir en fonction de leur comportement civique. Ils doivent en maintenir un certain nombre, sinon ils risquent de ne plus pouvoir aller dans certains lieux ou prendre le train. À
partir du moment où on bascule dans une pratique normative sans discontinuité, on n’est plus dans le jeu. Et cela ne me surprend pas vraiment. La Chine a passé un cap mais nous avons déjà un pied dedans, avec les commentaires sur les sites internet. S’ils sont mauvais, le profil de la personne perd de sa crédibilité. Est-il possible qu’un nouveau modèle de société vienne du jeu ?
Christian Duverger considère que le jeu n’a plus d’extérieur. Je pense qu’il a raison. c’est peut-être la vraie nouveauté de notre époque, le jeu est partout. Au début de mes recherches, je voulais comprendre l’intérêt de jouer dans une société qui parle tout le temps de travail. Le jeu est un prétexte pour étudier la vie de l’homme. Les mécaniques du jeu permettent de déplacer la perception qu’on a du monde dans lequel on vit. C’est une sorte de remise en question. Ma réflexion part de celle de Mikhaïl Bakhtin, spécialiste de la littérature, qui a travaillé sur les œuvres de Rabelais. Il explique comment la société du Moyen-Âge a pu envisager la Renaissance à partir du carnaval. À cette époque, les règles de la vie quotidienne ont changé à travers ces festivités : le roi devenait bouffon. Il ne s’agit pas de dire que nous allons vivre dans World of Warcraft mais les mécaniques de relations qui ont été expérimentées pour créer une société ont tendance à s’incarner. ◊
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Photos : Ana Rougier/EPJT
DOSSIER
Au Jeu du sort, Dudu s’improvise maître de la partie, le temps d’une soirée.
LE JEU DU SORT
UN BAR SANS PRESSION
DE PARIS À MARSEILLE, LES BARS À JEUX FONT FUREUR. LEUR SUCCÈS DÉCRYPTÉ UN SOIR DE PLEINE LUNE, LORS D’UNE PARTIE DE LOUP-GAROU. [ PAR FLORE CARON ET ANA ROUGIER ]
Passé la porte du Jeu du sort, l’endroit ressemble à ce qu’il est : une taverne traditionnelle avec des tonneaux en guise de table. À un détail près. Dans le fond, une étagère croule sous des jeux de toute sorte : Trivial pursuit, tarot, Bandito, Jungle Speed… Aux murs, des cartes du Seigneur des anneaux et des drapeaux sortis tout droit de Harry Potter. Devant le comptoir, dans des vitrines, des miniatures représentent des scènes cultes telles que Frodon pris dans la toile d’araignée. En regardant de près, on s’y croirait presque. « On commence quand ? » s’impatientent les clients. Il est 21 heures et la partie de
loup-garou va bientôt débuter. Ce soir-là, une vingtaine de personnes est venue. La buée recouvre les vitres et il n’y a presque plus de place. Arthur, un des barmen, est débordé de commandes. Sur les tables, quelques cervoises et des victuailles sont déposées. Alexandre, alias Dudu, se proclame maître du jeu le temps d’une soirée. Tous les mardis, cette réunion fait fureur. Une grande table en bois au centre de la salle permet aux adeptes de se réunir. Ils sont serrés les uns contre les autres mais le manque de place n’affecte pas la convivia lité, bien au contraire. « Qui n’a jamais joué au loup-garou ? » crie Alexandre. Le maître du jeu, MJ pour les connaisseurs, rappelle brièvement les règles.
Il distribue les cartes. Les joueurs découvrent leur rôle respectif. En aucun cas ils ne devront le révéler. Deux camps se profilent : d’un côté les villageois, de l’autre les loups-garous. Le but est de tuer tous les membres de l’équipe adverse. Mais à l’aveugle car ils ne connaissent que leur propre identité. Dudu est le seul à avoir un Smartphone car il lui permet de piloter les lumières de la salle. Les lanternes en acier noir fixées au mur passent du bleu au vert. Jours et nuits se succèdent. Les joueurs sont concentrés. Qu’ils soient voyante, sorcière, cupidon, petite fille ou chasseur, ils prennent leur rôle très au s érieux. « Le village s’endort », dit calmement Dudu. La pièce s’assombrit. Tout le monde ferme
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FOCUS les yeux. D’un coup, le bar baigne dans la lumière rouge. « Que les loups-garous se réveillent. » Discrètement, ces derniers désignent leur victime en la pointant du doigt. Ce ne sont pas les Dragibus et les cacahuètes disposés sur la table qui feront affaire de repas. Un villageois doit mourir. Jérémy, le patron du bar, observe la scène de loin. C’est un ancien ambulancier. Un jour, alors qu’il traînait dans les rues de Paris, il est passé devant Le dernier bar avant la fin du monde, un drôle d’endroit qui mêlait bistrot et jeux. Ça a été le déclic. Il décide de changer de vie et imagine un lieu un peu geek avec un univers médiéval. C’est à Tours qu’il se lance. Dans son bar, reproduit sa propre tanière et y apporte ses propres jeux. AMITIÉS INSTANTANÉES
« Que les loups-garous se rendorment. » Leurs yeux se ferment à nouveau. Privé d’un sens, il faut être d’autant plus aux aguets. Malgré le brouhaha, le moindre souffle, pouffement ou mouvement peut déclencher des soupçons. Dudu appelle Cupidon. Celui-ci désigne deux amoureux. Il touche la tête de Garance et de sa promise pour leur faire comprendre qu’elles vont être liées jusqu’à la fin du jeu. Garance, qui ne connaissait pas sa partenaire il y a encore quelques minutes, l’appelle désormais « ma femme ». « Le village se réveille. Cette nuit, quelqu’un est mort. » La victime est exclue du jeu. L’heure de la réunion a sonné. Qui sont les loups-garous ? Tout le monde participe. Chacun donne son avis. On se désigne du doigt et on râle : « Non ! Je te dis que c’est elle le loup-garou. Elle a fait du bruit à côté de moi. » Une jeune fille aux cheveux bouclés est accusée. C’est elle le loup. Tout le monde en est convaincu. Le village vote son exécution. Son identité est dévoilée. Dommage, c’était la sorcière. Un personnage clé puisqu’elle a le pouvoir de ressusciter qui elle veut. On dirait une vraie bande de potes. La plupart, pourtant, ne se connaissaient pas. Là est toute la force du jeu : créer du lien aisément. C’est comme ça que Pierrick, Léa, Thomas, Antoine, Louise et Léo se sont rencontrés. Léo, ingénieur informatique, est fan de jeu, il appartient également au Geek Chœur, une chorale qui reprend les grands thèmes musicaux de jeux vidéo. Il se souvient d’ailleurs très bien du premier jour où il est venu au Jeu du sort. Il était seul. « De fil en aiguille, on s’est lié d’amitié. » Désormais, le petit groupe se rencontre régulièrement. Via Messenger, ils se donnent rendez-vous dans ce qu’ils appellent tous leur QG. « C’est mon deuxième salon », reconnaît Léo en riant. Léa est agent de service hospitalier et vient tous les soirs après le boulot. « Je suis LE pilier de comptoir », ironise-t-elle. Avec
son petit nœud jaune dans ses cheveux bouclés, elle est du genre discrète. Mais prise dans le jeu, elle n’hésite pas à hausser le ton. En temps normal, aucun ne se serait sans doute adressé la parole. Mais ici, « quand quelqu’un est seul, on l’interpelle. Ça se fait naturellement », explique Léa. 22 h 30. La partie est terminée. L’occasion pour les joueurs, non pas de se tirer la bourre entre gagnants et perdants, mais au
Tout une vie sociale se développe autour du jeu » Joël Guibert, sociologue spécialiste des loisirs.
contraire d’aller faire une pause tous ensemble. L’atmosphère n’est pas la même que dans un bar traditionnel. On se désinhibe plus par le jeu que par l’alcool. « Tout une vie sociale se développe autour du jeu, explique Joël Guibert, sociologue spécialiste des loisirs. Dans un café, jouer amène une ambiance particulière avec des commentaires sur les parties : les tactiques, les résultats, la chance ou la malchance. On se félicite, on se congratule. » Les clients viennent avant tout chercher du lien social. Mehdi, vendeur de canapés, est venu avec son cousin. Tous deux ont une trentaine d’années et ce n’est pas la première fois que ces deux jeunes actifs viennent jouer au loup-garou : « Dans notre famille, on jouait tout le temps quand on La glace se brise. « Ici, quand quelqu’un est seul, on l’interpelle », dit Léa.
était petit, se rappellent-ils. Ce genre de soirée nous permet de nous replonger dans cet univers et de faire une pause avec le quotidien. » Le bar à jeu est un défouloir, un endroit où il est possible d’être soi-même. Loin des idées préconçues que l’on peut s’en faire, il ne s’agit pas d’un repère de geeks mais plutôt d’un lieu dans lequel les milieux sociaux se mélangent : une étudiante, un employé de la SNCF, un travailleur social… Les différences qui peuvent poser problème dans le monde extérieur sont gommées. Dans une société où la performance et la surproduction sont mises en avant comme gage de réussite sociale, le bar à jeu est un ovni. Car, à part boire et jouer, ce qui se fait dans ce bar n’a pas d’utilité particulière et peut être considéré comme une perte de temps. C’est une sorte de troquet amélioré qui permet de se vider la tête pour rompre avec un quotidien, parfois morose. « C’est mon repère. J’ai tous mes potes ici, dit Lilith, une des clientes du bar. Je rencontre des gens tous les soirs. » Lilith est « genderphile » : elle a l’apparence d’un homme mais se considère comme une femme. Un aspect qui ne lui a jamais posé de problème au Jeu du sort. « Au début, j’appréhendais un peu les réactions. Mais ici, personne n’a jamais été désagréable avec moi. Les gens sont ouverts d’esprit. » La jeune femme a arrêté le lycée pour diverses raisons qu’elle balaye d’un revers de la main. Elle passe ici une grande partie de son temps. Elle anime des parties. Une activité bénévole qu’elle considère comme un vrai travail. Très attachée à ce lieu, elle a transmis la fièvre du jeu à des proches. « J’ai des amis qui ne s’intéressent pas du tout à l’univers du jeu mais qui reviennent souvent depuis qu’ils ont découvert le bar, raconte-t-elle. Ils aiment beaucoup ce mélange : un mix entre la taverne traditionnelle, l’univers geek, les jeux de plateau et le jeu vidéo. » Lilith, à l’instar de nombreux autres clients, se sent bien ici. Pour une simple et bonne raison : « Le bar à jeu, ça facilite les relations humaines. » ◊
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JBX DANS L’ÂME
RENCONTRE
JOUEUR
[ ANNE-LAURE THADÉE ]
Jérome Bondix est un homme tout à fait discret. Mais seulement dans la vie réelle car, sur les réseaux, c’est une légende. Celui qui préfère être appelé JBX est surtout connu pour avoir créé Reflets d’acide. Un récit sonore qui parodie les jeux de rôles. Il embarque l’auditeur dans un univers médiéval et fantastique peuplé de démons et de héros. Dans cette saga, le narrateur est un personnage à part entière. Il tente de créer une aventure épique avec des baltringues en guise de héros. Cela fait bientôt quinze ans qu’il publie les épisodes de cette histoire épique et déjantée. JBX est toujours à la recherche de nouvelles façons de jouer : avec les mots mais aussi avec les autres. Brun, les yeux vert foncé, l’homme de 45 ans affiche un sourire chaleureux. Lui qui travaille dans l’immobilier, dans la région de Biarritz, a conquis des milliers de personnes. Un succès auquel il ne s’attendait pas et qui lui a donné envie d’aller plus loin. Il a promis un jeu de plateau pour septembre 2019 qui reprendra l’univers de la série. Les fans sont à chaque fois au rendez-vous. Le seizième épisode de la saga, paru en avril 2018 sur le site éponyme refletsdacides.com, a été téléchargé plus d’un million de fois en une nuit. Il a fallu cinq ans pour le finaliser. Les épisodes, qui durent jusqu’à deux heures, sortent dès qu’ils sont prêts, à intervalles irréguliers.
Adapté de la saga sonore, le jeu de plateau sortira à la rentrée 2019.
Reflets d’acide est une référence dans le domaine des sagas sonores. L’histoire est foisonnante. Les cinq héros poursuivent une quête qui n’a même pas de nom, accompagnés par un narrateur qui raconte des récits légendaires. Le groupe d’aventuriers va, sans le vouloir, sauver le monde. Très riche en références cultuJBX, créateur de relles (musique, cinéma, la saga Reflets d’acide, littérature), la saga est la est suivi par seule fiction sonore écrite un million de fans. entièrement en vers. Un bijou d’écriture. Très drôle, elle est remplie de messages cachés, hebdomadaires. L’épisode se répand ces easter-eggs dont raffolent les fans. ensuite sur Internet. Une communauté se forme en l’espace de quelques mois. En son AUTEUR ET INTERPRÈTE sein se trouve Pétulia qui devient l’amour « Pourquoi faire simple quand on peut faire de sa vie, « son demi » comme elle se définit autrement », se défend-il. Pendant une elle-même. Ils ont, en 2015, une petite fille dizaine d’heures, l’auteur explore toutes les qu’ils nomment Alia-Aenor. Ce prénom, subtilités de la langue française. Il incor- c’est celui d’un des personnages de son pore volontiers des chansons qu’il compose récit sonore. Une dragonne forte et déteret interprète lui-même. Pour les voix, il uti- minée, sans doute l’un de ses préférés. lise un simple micro et un logiciel de Pour JBX, Reflets d’acide est une « véritable mixage. « Je suis le seul acteur que j’avais thérapie contre la timidité ». Le soutien des sous la main », explique-t-il modestement. fans le pousse à aller toujours plus loin. Il Car l’auteur interprète tous les person- n’a pas peur d’explorer de nouvelles pistes, nages : nains, elfes, humains, fées et dra- toujours guidé par sa créativité. gons. « Tout seul, devant mon micro, c’est Cette année, nouvelle course contre la plus facile de faire l’andouille », raconte-t-il. montre : il s’attaque à la finalisation du jeu JBX a toujours inventé des jeux. Ado, il de plateau qu’il a promis. Le but du jeu est conçoit un Monopoly farfelu où il s’agit de de créer ses propres aventures, en coopéraperdre son argent. Puis, il crée des jeux tion ou en compétition avec les autres qu’il code à l’aide de logiciels simplifiés et joueurs. Un projet qui a récolté plus de des minifilms qu’il monte sur le PC familial. 300 000 euros sur la plateforme de financeDes profs de français lui transmettent le ment participatif Ulule. goût de « la musicalité des mots ». Jusqu’à JBX souhaite que le jeu porte ses messages l’obsession. « Ça devient catastrophique au-delà des fans de la saga. Les personquand je dois écrire une simple lettre. Il ne nages luttent contre leur destinée, ce n’est faut pas forcément que cela rime. Mais pas anodin. À travers eux, il souhaite même pour un courrier administratif, il dénoncer le poids que la culture familiale faut qu’il y ait un certain rythme. » Après peut faire peser sur un individu et l’imporavoir fait, sans conviction, des études d’éco- tance de pouvoir choisir sa voie. Comme nomie, JBX crée, en 2002, le premier épi- l’a fait le héros de l’histoire, fils d’un démon sode de Reflets d’acide comme une blague qui se rebelle contre son père. « C’est bien destinée à ses amis. Il se met en scène et d’avoir des racines, mais c’est mieux d’avoir caricature leurs sessions de jeux de rôle des ailes. » ◊
Photos : Anne-Laure Thadée/EPJT
CET AGENT IMMOBILIER EST LE CRÉATEUR D’UNE SAGA SONORE DÉJANTÉE SUR L’UNIVERS DU JEU DE RÔLE.
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Dans ce parc tourangeau les joueurs chassent ou s’échangent des Pokémons via leur portable.
Aiman Kacem/EPJT
TENDANCE
DRESSEURS IRRÉDUCTIBLES [ PAR AIMAN KACEM ET LÉA TRAMONTIN ]
DR
Armés de leurs portables, ils forment une ronde dans un parc de la banlieue chic de Tours (Indre-et-Loire). Une quinzaine de joueurs de Pokémon Go se sont donnés rendez-vous. Sur leurs écrans, des petites bêtes prennent vie. La carte GPS sur laquelle leur avatar se déplace indique qu’un raid va bientôt commencer. Les joueurs vont s’unir pour combattre et capturer un Pokémon légendaire, rare, disponible pour une durée limitée. Aujourd’hui, il s’agit de Rayquaza. Ce serpent vert aux ailes rouges est convoité de tous. Les joueurs tapotent frénétiquement sur leurs écrans. Ils envoient sur la créature des baies framby, sorte de grappes de raisins, pour l’attendrir et la capturer plus facilement. Deux ans après la sortie du jeu Pokémon Go, l’engouement est toujours vif. À Tours, 6 200 personnes suivent assidûment la page Facebook Pokémon Go – Tours – 37. Mais les fans tourangeaux ne sont pas les seuls à continuer l’aventure. À Marseille, ils sont 4 200 et plus de 11 000 à Paris. Des chiffres qui montrent l’enthousiasme des fans, même si l’hystérie générale est passée.
À sa sortie, l’argument phare du jeu était la réalité augmentée. Le chasseur peut voir le Pokémon se matérialiser dans le décor qu’il visualise à travers son écran et l’animal s’agiter dans le parc, les rues, les maisons voire les WC. Il lui envoie des pokéballs, pièges virtuels pour l’attraper. Le terrain de jeu est sans limite. RENDEZ-VOUS EN LIGNE
Mais la vraie force du jeu, c’est le lien social. À Tours, 1 500 joueurs sont actifs sur Discord, la plateforme de messagerie en ligne réservée aux jeux vidéo. Les chasseurs y échangent bons plans, lieux de rendezvous et actualités. Les modérateurs de Discord développent leurs propres événements. Samedi dernier, un tournoi était organisé dans un bar à jeux de Tours. Des initiatives qui soudent et font grandir la communauté. Quentin, administrateur de la messagerie, explique que le jeu permet de faire sortir des personnes qui pourraient être en situation d’isolement. « Ça m’a permis de rencontrer des gens avec qui je fais des barbecues maintenant », se réjouit Fatima, aide-soignante de 53 ans. « Je vois aussi de plus en plus d’ados rejouer à Pokémon Go », ajoute-t-elle. Ce lien social est sans frontière : certains joueurs tourangeaux sont en contact avec des dresseurs du monde entier. Ils
DEUX ANS APRÈS LA SORTIE DE POKÉMON GO, LES CHASSEURS DES PETITES BÊTES DE PIXELS COURENT TOUJOURS. UNE LONGÉVITÉ QUI S’EXPLIQUE PAR LES LIENS TISSÉS ENTRE LES JOUEURS.
s ’échangent des Pokémons, ce qui leur permet d’acquérir des créatures qui ne sont pas disponibles en Europe. Antoine, 25 ans, est atteint de cette « collectionnite » virale qui l’a poussé à tricher. Il a été banni temporairement du jeu : « J’ai utilisé un faux GPS afin de pouvoir capturer des Pokémons au Canada ou en Australie. » Pokémon Go peut aussi se faire guide touristique grâce aux Pokéstops. Comme on récolte des objets du jeu partout, dans les commerces, les églises… « c’est un bon moyen de visiter une ville. Surtout quand on ne connaît personne sur place », relève Johnny, 42 ans. Lui, c’est ainsi qu’il a découvert Rennes. Niantic, éditeur du jeu, rassemble les joueurs autour de nombreux événements : des Journées communauté et des « heures de déjeuner légendaires ». De 12 à 13 heu res, les dresseurs profitent de raids spéciaux. « Un concept sympa pour moi qui joue quasiment tous les midis pendant ma pause», révèle une employée de la faculté des Tanneurs à Tours. Niantic ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. L’éditeur va surfer sur une autre vague, celle de Harry Potter : Wizards Unite sortira courant 2019. Si le jeu connaît le même succès que Pokémon Go, dresseurs et sorciers devraient se retrouver à l’unisson dans le parc près de Tours. ◊
10 Innova
CULTURE
MICMAC AU
CHÂTEAU L’ESCAPE GAME S’INVITE DANS LES CHÂTEAUX DE LA LOIRE. LA CULTURE EN SORT-ELLE GAGNANTE ? Une suite d’énigmes articulées autour de l’histoire des lieux, rien de tel pour booster le visites.
[ PAR MATHILDE BIENVENU ET MARINE JAMET ]
sont déjà à leur troisième Cluedo géant : « Nous ne serions pas venus ici s’il n’y avait pas eu cette animation », reconnaissent-ils Leur attente a été comblée. Ici, le divertissement prime sur l’histoire. Bien que le jeu se situe sous la IIIe République, on trouve des photos de Charles de Gaulle et une bouteille de vin de 1980. Ces anachronismes n’ont en rien gâché le plaisir du couple. « Si nous avions voulu faire une visite complètement historique, nous serions allés à Chambord », affirment-ils. Pour 16 euros par personne, ils repartiront, sans trop d’informations sur l’histoire du lieu, mais avec le souvenir d’un moment convivial.
Forteresse de Chinon
PIONNIÈRE, LA FORTERESSE DE CHINON
Forteresse de Chinon
otre servante Rose a été retrouvée morte sur le perron hier matin… » annonce, lugubre, Gontrand le majordome du château. Françoise et Bernard, un couple de retraités tout juste débarqué de sa Bretagne, se voient confier une mission de la plus haute importance. Retrouver le meurtrier de Rose. Nous sommes au château de la FertéSaint-Aubin (Loiret), une demeure de style classique du XVIe siècle. Pendant deux heures le couple se glisse dans la peau de Miss Marple et d’Hercule Poirot. Ils vont déambuler d’une pièce à l’autre pour trouver et interroger les quatre suspects incarnés par des comédiens. Ils frissonnent à l’idée de résoudre ce Cluédo géant et de démasquer l’assassin. Meurtre au château, Parcours des poisons, Le Sceptre de Richard, ces expériences ludiques grandeur nature s’invitent depuis trois ans dans les hauts lieux du patrimoine de la région Centre-Val-de-Loire. Elles s’inspirent le plus souvent de la littérature d’heroic fantasy comme Donjons et Dragons car ce genre reprend beaucoup de codes de l’histoire médiévale et moderne. Mais aussi de l’histoire du passé des châteaux eux-mêmes. Dans l’orangerie – l’ancienne écurie du château – Bernard et Françoise arrivent au terme du jeu. Ils doivent résoudre la dernière énigme avec un groupe de jeunes Orléanaises rencontré sur place. Ensemble, ils décodent une lettre que la servante a reçue juste avant sa mort. Ils ne sont pas d’accord sur l’identité du meurtrier et chacun défend sa version des faits. Les retraités en
Le premier monument en France à avoir misé sur le concept du jeu grandeur nature est la forteresse de Chinon. La direction a choisi l’escape game. Ici, les joueurs sont plongés en pleine guerre de Cent Ans. Le but est de décrypter un grimoire en moins de soixante minutes. Les participants doivent résoudre des énigmes en groupe pour découvrir le trésor qui se trouve dans la chapelle oubliée. Une fois la partie finie, la plupart d’entre eux visitent le monument. Sébastien Rautureau, directeur adjoint de la forteresse, ne conçoit pas de vendre un ticket pour l’escape game sans y inclure une entrée pour la visite du château. « C’est un formidable outil de promotion pour la
Innova 11
DOSSIER
Forteresse de Chinon
Les comédiens en habits d’époque, donnent un réalisme suplémentaire à l’enquête.
et la danse. Plus tard, lors de la visite, les enfants se précipitent vers le gisant du roi d’Angleterre pour vérifier que le sceptre est bien manquant. TRANSMISSION DE CONNAISSANCES
Une intrigue bien ficelée, élaborée en partie par Joceran Bordery, game designer (concepteur de jeu). Il utilise l’histoire comme « terreau créatif pour inventer un jeu sympa et intelligent ». Lors de ses recherches, il a fait appel aux connaissances d’une thésarde, spécialisée dans la figure d’Aliénor d’Aquitaine. « Qui aurait été mieux placé pour nous fournir des anecdotes sur sa vie quotidienne ? » Pour lui, le jeu est un outil de transmission de connaissance. Mais lors d’un escape game, les joueurs sont souvent obnubilés par l’horloge et la résolution de l’énigme. Au
Château La Ferté-Saint-Aubin
culture, dit-il. Mais nous restons un lieu du patrimoine et ne voulons pas devenir Disneyland. » Une stratégie gagnante : pas moins de 4 000 joueurs se sont précipités dans la tour chinonaise pour jouer contre la montre. Le succès ne se dément pas : la fréquentation globale du site a augmenté de 20 % depuis l’ouverture du jeu en 2016. Pour expliquer leur démarche, les organisateurs de jeux grandeur nature mettent en avant les nombreuses qualités de l’exercice. Les jeux renforcent l’attractivité des châteaux, font revivre des lieux délaissés et mixent culture et divertissement. Si le concept a des avantages indéniables, sa capacité à apporter culture et connaissances aux joueurs est plus sujette à caution. « De toute façon, les jeux ne remplaceront jamais une visite », dit Sébastien Rautureau. Pourtant, à l’abbaye royale de Fontevraud, les participants de l’escape game ressortent la tête bien pleine. Dans ce monument, situé à quelques kilomètres de Chinon, ils en apprennent un peu plus sur les personnages historiques d’Aliénor d’Aquitaine et de son fils préféré Richard Cœur de Lion. Les joueurs sont enfermés dans la chambre de la reine, petite pièce où trône un large lit à baldaquin. Ils doivent retrouver le sceptre disparu de Richard Cœur de Lion. Au fil des épreuves, ils découvrent les us et coutumes de l’époque. Toute la mécanique du jeu est nouée autour de l’étude des blasons, la conception de vitraux, la poésie
final, ils n’apprennent que très peu de l’histoire des lieux. Pionnière dans les escape games en France, l’entreprise Escape Yourself est en charge du décor du jeu de l’abbaye. Bertille Debiais-Thibaud, responsable de développement, trouve les détails qui vont parfaire les lieux de jeu. Elle crée des décors immersifs qui laissent transparaître l’histoire du monument. Bertille raconte qu’il lui a fallu trois jours de recherches pour savoir quel genre de peintures et de tapisseries étaient utilisées au XIIe siècle. Si les historiens voient d’un bon œil ces jeux – qui prennent parfois des libertés avec l’histoire – c’est parce qu’ils ouvrent les portes d’un patrimoine souvent privé. Les propriétaires y voient un autre avantage. À la Ferté-Saint-Aubin, Lancelot Guyot, le châtelain, a fondé la société Tous au château. Chaque week-end, des centaines de visiteurs affluent dans son domaine pour vivre une expérience hors-norme : parcours dans les jardins, murder party et escape game. Les fonds récoltés permettent de rénover le château. Lancelot Guyot ne touche aucune subvention publique. Il est d’ailleurs persuadé que les aides de l’État viendront à disparaître dans les années à venir. Il ne croit pas non plus dans l’autre grand jeu venu au secours des monuments. Ce n’est pas le fameux loto du patrimoine qui lui aurait permis de restaurer les kilomètres de toiture de son château. ◊
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BALANCE
TON JEU
RAS-LE-BOL DES CRÉATURES HYPERSEXUÉES ! AUJOURD’HUI, LES FEMMES VEULENT PROMOUVOIR DANS LES JEUX VIDÉO UNE IMAGE PLUS CONFORME À LA RÉALITÉ. ELLES PARTENT À L’ASSAULT D’UNE INDUSTRIE DOMINÉE PAR LES HOMMES OU RÈGLENT LEURS COMPTES AVEC DES JEUX MILITANTS. [ PAR ANAÏS DRAUX, MARINE JAMET ET CLÉLIE LOUISET ]
Square Enix
Première version de Lara Croft en 1996. Depuis, sa silhouette est moins stéréotypée.
PLUS D.I.Y.KE
n petit personnage de pixels déambule dans la rue. Il s’arrête devant des tags sexistes. Sous sa bombe « pute » se transforme en « pute si je veux » et « PD » devient « fier d’être PD ». Dykie Street est un jeu vidéo inventé par Hélène et Alice, deux membres du collectif D.I.Y.KE. La première est étudiante en sciences politiques, la seconde est graphiste. Lassées par les discriminations omniprésentes, elles ont mis au point ce jeu pour reprendre le pouvoir dans la rue. Tout a commencé lors d’un atelier Queer Games (jeux par et pour les minorités sexuelles et de genre), proposé une fois par mois à La Mutinerie, un bar parisien. Dans ce lieu féministe et engagé, le codage est rendu accessible à tou(te)s et le jeu devient une arme supplémentaire. C’est ici que les deux jeunes femmes ont donné vie à leur personnage à la peau violette. Une centaine d’heures de codage plus tard, en avril 2018, Dykie Street est né. Le principe est simple : Dykie se rend à une fête et a pour mission de remplacer tous les affichages sexistes et homophobes sur son chemin. Un
Le jeu Dykie Street propose d’effacer les tags sexistes dans les rue d’une ville.
bjectif qui n’est pas expliqué. Le joueur o doit le d écouvrir par lui-même. Aucune des deux créatrices de Dykie ne travaillent dans le domaine des jeux vidéo. Elles ont pourtant créé une borne mobile. En février, elles l’ont mise à disposition des joueurs lors d’un tournoi de roller derby. « Les hommes se sont rués sur la borne d’arcade. Ils déplaçaient Dykie sans voir ce qui posait problème. » Elles expliquent que, souvent, ils ne comprennent pas le jeu : « Ils voient bien les insultes : PD, pute, le dessin d’un pénis… Ils essaient juste d’entrer dans les portes et dans les voitures avant d’abandonner, énervés de ne pas comprendre. » Si les hommes ne voient pas le problème, c’est peut-être parce qu’ils sont habitués aux discriminations dans les jeux mainstream (dit de culture populaire). Par exemple, les personnages féminins sont en sous-nombre. C’est ce que prouve le test de Bechdel, du nom de la dessinatrice féministe Alison Bechdel. Pour le réussir, il faut que le jeu propose au minimum deux personnages féminins qui discutent ensemble d’un sujet sans rapport avec les hommes. Rares sont les jeux qui répondent aux critères de ce test. C’est pourquoi les femmes de l’industrie du jeu vidéo veulent modifier une représentation de la femme souvent trop sexiste.
Innova 13
FEMMES
nue une combattante, aussi forte que les autres personnages (tout en gardant une tenue et un look d’écervelée). Dans deux de ses opus, Assasin’s Creed propose de jouer avec une femme ou un homme. L’épouse de Nate, le héros d’Uncharted, est une journaliste aventurière qui n’a pas froid aux yeux et qui vient régulièrement au secours de son homme. Mais ces cas de figure restent rares. Peu de jeux proposent d’incarner un person nage féminin fort sans qu’il soit représenté de façon sexiste. Yves Van Gheem, auteur de Lara Croft ou Barbie : le jeu vidéo au féminin, montre que la représentation change en fonction de la localisation des studios. « Au Japon, la mentalité est très différente par rapport au féminisme », explique-t-il. Bayonetta montre bien le sexisme dans les jeux d’action japonais. L’héroïne éponyme est une femme volontairement hypersexualisée et vue comme une dominatrice.
Dream. “BEYOND: Two Souls” is a trademark or a registered trademark of Sony Computer Entertainment Europe. All rights reserved.
BEYOND: Two Souls™ ©2013 Sony Computer Entertainment Europe. Published by Sony Computer Entertainment Europe. Developed by Quantic
Une fois n’est pas coutume : Beyond : Two Souls, jeu vidéo mainstream, l’héroîne a les traits d’une jeune femme « normale ».
Vêtements très courts et corps hypersexualisés, elles correspondent au fantasme d’un type de joueur précis : le jeune homme blanc hétérosexuel. Pourquoi ? C’est le profil type du concepteur de jeux vidéo. Inconsciemment, la plupart créent des jeux selon les stéréotypes qu’ils connaissent déjà. Mais ils ne sont pas les seuls responsables. Les créateurs veulent mettre en avant ces personnages sexy pour donner envie aux joueurs de les choisir au cours des parties. Les personnages de Lara Croft et de la princesse Peach ont tout de même été améliorés avec le temps. Pour la première, fini le minishort, le haut moulant et les holsters qui ressemblent à des porte-jarretelles. Désormais, l’aventurière a des muscles apparents qui légitiment ses prouesses physiques et une tenue d’aventurière adéquate. Princesse Peach, quant à elle, a vu son rôle évoluer dans Super Smash Bros. Ultimate ou Mario Kart. Présentée comme une demoiselle en détresse dans les jeux précédents, elle est deve-
LES FEMMES AUX MANETTES
14 %
C’est le pourcentage de femmes employées dans l’industrie du jeu vidéo en France, selon le baromètre 2018 du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV).
Pour faire changer les choses, une des solutions serait peut-être d’avoir plus de femmes dans cette industrie culturelle. Dans les années quatre-vingt-dix, les jeux à destination du genre féminin se sont démocratisés. Yves Van Gheem explique qu’à cette époque, les industriels ont pensé que si ces produits avaient un franc succès, les femmes allaient se lancer dans le développement. Cependant, près de trente ans après, en France, seul 14 % de leurs employés sont des femmes. Parmi les 170 personnes du projet de jeu Beyond Good and Evil 2 d’Ubisoft, on ne compte que 7 femmes. En plus de subir une sous-représentation numérique, les professionnelles de ce domaine n’échappent pas au sexisme. Chloé, chef de projet dans un grand studio de jeux vidéo, confie qu’elle doit régulièrement supporter des remarques sexistes. « Ils ne s’en rendent même pas compte, explique-t-elle. Au travail, on est plusieurs à être féministes. On essaye de changer les choses. Dès qu’il y a un problème, on lève le drapeau rouge. » L’association Women in Games, fondée par Julie Chalmette et Audrey Leprince, regroupe des femmes qui travaillent dans le domaine des jeux vidéo. Elles s’encouragent quand la pression devient trop forte et échangent informations, offres d’emplois… Certaines vont à la rencontre d’adolescentes afin de les
FEMMES
Innova
Dimpes/Capcom
Si les personnages féminins gardent des formes appétissantes, elles sont toutefois capables d’exploits et de battre les hommes sur leur propre terrain.
s ensibiliser à leur métier. Elles expliquent alors que ce n’est pas un monde réservé aux hommes. Une démarche qui fonctionne, puisqu’elles ont parfois des nouvelles d’anciennes élèves qui ont choisi de poursuivre leurs études dans l’univers du jeux. De plus, « parler de ce sujet avec une femme va à l’encontre des clichés des garçons », souligne Julie Chalmette. Selon elle, beaucoup pensent que les filles ne jouent pas. Ils sont loin d’imaginer que certaines conçoivent des jeux vidéo. Malgré leur expérience, les femmes de l’association sont victimes de ce qu’on nomme le syndrome de l’imposteur : elles ont du mal à se reconnaître comme étant expertes. Au fil de leurs interventions, elles apprennent à se sentir plus légitimes. Shani Graner Ray a travaillé, entre autres, chez EA, Sony Online et Cartoon Network. Elle a théorisé ce qu’elle appelle la « pyramide du pouvoir ». Pour elle, une femme qui rejoint une entreprise dominée par les hommes ne se sentira pas à l’aise pour prendre des initiatives, notamment concernant la représentation des femmes dans les jeux créés. Nintendo
En 2008, Jehanne Rousseau était chargée de projet sur le jeu de rôle Silverfall. Après avoir supervisé le développement du jeu, elle a découvert le visuel retenu pour la jaquette : une elfe, plutôt dévêtue, tenant une longue épée pour aller au combat. Elle a tenté d’en discuter avec le directeur marketing du studio Monte Cristo, qui ne l’a pas écoutée. La jeune femme a alors choisi de donner sa démission. Cinq mois après avoir quitté Monte Cristo, Jehanne Rousseau a cofondé un studio indépendant, Spiders. Elle en est la directrice créative. Elle peut donc influer sur les représentations des femmes. Mais pour elle, la marge d’évolution reste étroite : « On peut imposer des personnages aux rôles très variés, qui répondent sans problème au test de Bechdel. Mais c’est plus difficile de leur donner des courbes moins caricaturales. » Certaines choisissent de faire carrière dans des studios indépendants et engagés. Accidental Queens est de ceux-là. Fondé par deux femmes et un homme, leurs jeux permettent d’aborder des thématiques encore tabou. Dans A Normal Lost Phone, le premier qu’ils ont créé, le joueur explore le téléphone égaré d’une inconnue et découvre, à travers ses SMS et ses réseaux sociaux, l’homophobie qu’elle subit. L’objectif est que D.I.Y.KE
2018 Nintendo
LA NAISSANCE DE STUDIOS INDÉPENDANTS
PLUS
Le jeu « Bayonnetta » place les femmes au centre de la narration et accumule les cliché physiques pour mieux s’en moquer.
le joueur prenne conscience de la gravité de ces répressions. Cependant, comme l’explique Yves Van Gheem, « les jeux vidéo féministes restent très marginaux et ont très peu de visibilité ». Souvent méconnus du grand public, ils ont des difficultés à se faire une place dans les consoles. Peu de jeux mainstream sont réellement considérés comme féministes par la communauté. Life is Strange, créé par le studio Dontnod, met en scène Maxine et Chloé, deux adolescentes qui voyagent dans le temps pour enquêter sur le meurtre d’une amie. Pour le publier, de nombreux éditeurs ont exigé de transformer le personnage de Maxine en garçon. Seul Square Enix a accepté de l’éditer tel quel. Pour éviter les dérives, le système d’évaluation européen Pegi appose des logos et une limite d’âge sur les jaquettes. Un logo existe pour désigner les jeux qui comportent de la discrimination, mais uniquement raciale. Selon Fanny Lignon, enseignante chercheuse sur les genres dans les jeux vidéo à l’université de Lyon, il faudrait un logo spécifique pour dénoncer les jeux sexistes. Les problèmes de représentativité ne concernent pas que les femmes. Les identités sexuelles et les ethnies sont souvent lésées au profit des femmes blanches et hétérosexuelles. The Last of Us : Left Behind est une exception. Les personnages principaux sont Ellie et Riley, deux adolescentes. Une des scènes les montre en train de s’embrasser. Voir une jeune fille, blanche, ouvertement homosexuelle, en embrasser une autre, métisse elle, reste une avancée encore marginale au sein de cette industrie. À dessein, D.I.Y.KE a décidé de ne pas assigner de genre ni de couleur réaliste à son héros. Dykie Street est présenté dans les lycées à des adolescents pour les sensibiliser à la discrimination. À la question « qui est Dykie ? », chaque lycéen a une idée bien précise, qui souvent lui ressemble. Il n’y a pas de mauvaises réponses car Dykie peut-être tout cela à la fois. ◊
Innova 15
SPORT
LE FOOT AUX FRONTIÈRES DU RÉEL
« MON PETIT GAZON » FAIT UN CARTON. CETTE APPLICATION GRATUITE EST LE JEU DE SIMULATION PRÉFÉRÉ DES AMOUREUX DU BALLON ROND. ILS COMPOSENT LEUR ÉQUIPE DE RÊVE VIRTUELLEMENT ET SE MESURENT ENTRE EUX VIA LES RÉSULTATS DU VRAI CHAMPIONNAT. UN JEU QUI BROUILLE LES LIMITES ENTRE VIRTUEL ET RÉEL.
C’est devenu le rituel du lundi matin. Les lendemains des journées de championnat de foot, Paul et Marc, employés d’une agence de publicité, se retrouvent devant la machine à café. Portable à la main, ils se chambrent. La veille, l’OGC Nice s’est inclinée lourdement sur le terrain. Marc, originaire et supporter de Nice, s’agace. Il risque encore d’être dernier de sa ligue. En effet, les performances de son équipe favorite viennent nourrir ses résultats virtuels dans Mon Petit Gazon (MPG). UN MILLION D’UTILISATEURS
Lancé en 2011, MPG est un jeu de simulation gratuit créé par Martin Jaglin, Benjamin Fouquet et Grégory Rota. En 2016, les trois compères, alors employés en digital marketing, développent l’application pour Smartphone. Au départ, c’est pour eux un simple passe‑temps. L’application cartonne en France. Ils quittent alors leur emploi pour se consacrer à ce projet commun qui deviendra, plus tard, un phénomène avec plus d’un million d’utilisateurs actifs. Dans MPG, les joueurs se mettent dans la peau d’un manager. Ils composent eux‑mêmes leurs propres équipes virtuelles. Un budget fictif de 500 millions d’euros est octroyé à chaque nouveau joueur. Il est possible de recruter n’importe quelle star de Ligue 1 telle que Neymar, Mbappé ou encore Payet. Les
exploits ou les maladresses de ces footballeurs, lors des matchs du week-end, influencent la réussite des équipes MPG. Le principal succès du jeu réside dans son caractère social. La création d’une ligue se fait généralement entre amis. Mais pas plus de dix maximum. Ceux-ci peuvent ensuite converser via le chat. Les interactions entre les joueurs rythment le jeu. « C’est beaucoup moins fun lorsqu’on joue avec des inconnus parce que le but, c’est quand même de chambrer », confie Paul. Après le foot, le sport principal de MPG, c’est la vanne. Cet esprit second degré fait partie de la communication du site, à commencer par le nom de l’application. Un petit jeu de mot qui va à l’encontre de la tendance des marques actuelles, selon Martin Jaglin. « Le logo est une chèvre, un animal loin d’être performant comme le lion », précise-t-il. « J’ai l’impression que les gars de MPG sont dans le délire des soirées pizza‑foot », reconnaît Marc. Le concept séduit avant tout parce qu’il se calque sur la réalité. Le modèle du fantasy league (ou fantasy gaming), est importé des États-Unis. L’idée : acheter des joueurs, constituer son équipe et jouer contre ses amis. Que ce soit le foot, le basket ou même le hockey sur glace, le concept se décline à toutes les sauces. Même les joueurs professionnels sont à fond. Récemment, Nicolas Benezet (En Avant Guingamp) suggérait sur Twitter à un utilisateur de MPG de le
vendre car il était mécontent de ses prestations. Renaud Ripart (Nîmes Olympique), quant à lui, a perdu un match sur MPG à cause d’un but marqué par lui‑même. UN TALK DÉDIÉ SUR L’ÉQUIPE TV
MPG ne cesse de franchir les étapes grâce à ses partenariats. Les créateurs se sont associés avec le quotidien sportif de référence L’Équipe. Le journal prête ses studios TV et permet au jeu de bénéficier de son audience sur les réseaux sociaux (entre 4 et 5 millions de personnes). À l’origine, l’émission de MPG durait une dizaine de minutes et était diffusée sur Youtube. En 2019, le format se raccourcit et devient une pastille de cinq minutes. « Nous devons nous adapter aux réseaux sociaux et à l’immédiateté », concède Martin Jaglin. La chaîne en ligne MPG diffuse les performances des joueurs du moment, leurs cotes dans le jeu et des interviews de personnalités qui y jouent. Les trois copains ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin et ont créé une version anglaise et espagnole. Ils réfléchissent à de nouvelles idées comme la création de ligues avec des divisions afin de se rapprocher toujours plus de la réalité et d’intégrer davantage de joueurs. Ils souhaitent également féminiser la communauté des « jardiniers », qui compte déjà 10 % de femmes. Autant de projets que les trois potes comptent entretenir, comme leur pelouse. ◊
De gauche à droite, Benjamin Fouquet, Martin Jaglin et Grégory Rota.
Photos : Isabelle Hautefeuille/EPJT
[ ISABELLE HAUTEFEUILLE ET AIMAN KACEM ]
COSPLAY
POUR HÉLOÏSE, CLÉMENT ET LES DEUX LUCIE, LE COSPLAY EST LE MOYEN DE RENFORCER LEUR ESTIME.
JEU
BIEN PLUS
Q’UN
[ ELOÏSE BAJOU ET ANA ROUGIER (TEXTES ET PHOTOS) ]
S’ÉVADER Le travail en entreprise, Lucie l’a quitté. Styliste de formation, elle fabrique ses cosplays et prévoit d’étendre ses créations au prêt-à-porter. La jeune elfe est auto-entrepreneuse depuis peu. Son personnage, Andaliaka, semble sortir tout droit de l’univers de Tolkien. Pourtant, c’est elle qui l’a imaginé. « Quand on fait un cosplay, il faut rendre hommage au personnage. » Soutenue par sa communauté, elle raconte ses aventures elfiques en ligne.
DOSSIER
SE RECENTRER Héloïse voit le cosplay comme un défi. Hyperactive, cela lui permet de se concentrer lors d’activités minutieuses. Pour réaliser ses tenues, elle est aidée chaque mercredi par Cécile, professeure de couture. Fan de Shaolin Li issu de Sakura chasseuse de cartes, elle trouve cependant les personnages féminins caricaturaux. Aussi est-elle adepte du crossplay, pratique qui consiste à incarner des héros du genre opposé.
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XX Innova
S’IMPOSER
PORTFOLIO
Clément s’est mis au cosplay il y a un an. Avec l’association Cos’Castle, il a découvert un univers de solidarité et de partage de techniques de bricolage. Timide, le joueur de World of Warcraft était admiratif de l’armure d’Argos. Il l’a choisie pour son premier projet. Il élabore depuis peu une épée enflammée pour le cosplay d’Harold, héro du film Dragons. Prochain objectif : monter sur scène avec une amie lors du Japan Tours Festival. Une vie sociale qui lui donne le sourire.
Innova XX
DOSSIER
S’AIMER
Lucie alias Lily Ikari se transforme régulièrement. Son cosplay le plus élaboré, Phylalli, un Pokémon, fait partie de son identité. Sensible et malicieuse, la jeune femme utilise cette seconde peau pour se rapprocher des gens. Véritable exutoire, le cosplay lui permet de s’évader. Après trois ans d’études en sociologie et huit ans de création de cosplay, Lucie se lance dans sa première commande.
20 Innova
ENTREPRISE
MISSION
COHÉSION
L’ESCAPE GAME EST TRÈS PRISÉ DES ENTREPRISES. CE JEU EST CENSÉ AMÉLIORER LA COHÉSION ET LA PERFORMANCE DES SALARIÉS. NOUS AVONS EMBARQUÉ AVEC EUX DANS L’AVENTURE.
[ LEO LE CALVEZ, ISABELLE HAUTEFEUILLE, ET LÉA TRAMONTIN ]
aris, 3e arrondissement. 15 h 30. Les employés de General Electric, un poids lourd du marché mondial de l’énergie, franchissent les portes de l’escape game HintHunt. Sourire aux lèvres, ils scrutent les lieux, curieux d’en apprendre un peu plus sur le déroulement de leur après-midi. Ils sont une trentaine. Par tirage au sort, ils se séparent en six groupes de cinq et se répartissent sur les différentes salles. La société a offert une après-midi détente à ses employés. L’escape game leur permettra de se découvrir en dehors du travail et de se rapprocher. Un premier groupe se forme. Il est accueilli par Arthur, un game master qui va les suivre tout au long du jeu. Les salariés se présentent les uns après les autres. Thomas, quadragénaire décontracté, est vêtu d’une chemise rouge et d’un jean foncé. À ses côtés, deux femmes, Sarah et Marine affichent un petit air complice. Suit Garyé. Elle enchaîne les plaisanteries. Le dernier, Benjamin, est visiblement plus jeune. Fondée en 2012 par deux Hongrois, Hint Hunt est la première enseigne à arriver en
HintHunt
Le bureau du capitaine d’un navire fait partie des nombreuses pièces du parcours.
Europe de l’Ouest. En 2013, ce nouveau loisir émerge à Paris. « Une alternative au bar », s’amuse le directeur Alexandre Soltani. Des appartements parisiens de 30 mètres carrés sont rénovés pour accueillir les jeux aux décors immersifs et originaux. L’escape game propose quatre aventures dans quatre salles différentes. Chez HintHunt, l’objectif est de s’amuser. Mais cette activité attire aussi les entreprises. En moyenne, quatre groupes de salariés viennent chaque jour sur demande du directeur des ressources humaines (DRH). Les escape game permettent de développer la cohésion et la communication et améliorer les performances au travail. UN CONCEPT VENU DES ÉTATS-UNIS
Cette pratique, considérée comme du team building, s’est développée aux États-Unis dans les années quatre-vingt. Elle a pris racine en France sous forme d’activités insolites telles que le paintball ou le saut à l’élastique. Il arrive même que le jeu prenne une autre dimension. « Environ une fois tous les deux mois, des managers effectuent des analyses comportementales de leurs salariés en les observant depuis la salle de contrôle », raconte Alexandre. Mais pour lui, il ne faut pas mélanger les escape
game et le monde réel. Une des collègues d’Arthur a déjà eu affaire à des exigences inattendues de la part de certains directeurs d’entreprise. Par exemple, on leur a demandé de faire gagner la partie aux employés. Dans l’antichambre, les protagonistes prennent place sur des bancs. Thomas n’en est pas à son premier escape game. Il est à l’aise, sûr de lui. Garyé, elle, n’aime pas être le centre de l’attention. D’ailleurs, elle ne souhaite pas être le leader. Une place dont ne veulent pas non plus ni Sarah ni Marine, peu bavardes. Quant à Benjamin, il se tient un peu à l’écart. Arthur, le game master, débute l’histoire. Selon la légende, le pirate Henry Every aurait enlevé une princesse et volé des pierres précieuses lors du pillage du bateau. La mission : retrouver le saphir qui libérera l’équipage maudit. Arthur leur donne des conseils dignes d’un manager : se compléter, s’écouter et réfléchir. Armés de leur lampe frontale, les employés montent les trois marches du perron. Ils entrent dans la pièce. Le stress monte. Le décor est très réaliste. La pièce est constituée de bois du sol au plafond. On entend le bruit des vagues. Dans la salle, les yeux des aventuriers s’habituent à l’obscurité et
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ENTREPRISE
SE COORDONNER ET S’ÉCOUTER
Le chrono défile. Casque greffé sur la tête, Arthur observe son petit groupe. Il s’inquiète : « J’espère qu’ils n’ont pas caché l’écran de la tablette, sinon ils ne pourront pas lire mes indications. » Dans la salle étroite, le désordre est inévitable. Mais les employés ne sont pas tombés dans le piège. La tablette est bien visible et ils se rendent compte que, sans les indices, ils n’y arriveront pas. Garyé revient vers le bureau et en lit un à haute voix : « Avez-vous regardé sous le bureau ? » C’est reparti, les aventuriers s’affairent de nouveau. Marine interpelle ses camarades : « J’ai trouvé un objet bizarre. » Dans ses mains, un cylindre avec des anneaux qui coulissent. « Un “cryptex” ! s’exclame Benjamin. Il faut l’ouvrir grâce à un code fait de lettres. » Chacun s’active, il faut trouver tous les papiers susceptibles de leur donner des indices. « Le plus important, c’est de se coordonner et de s’écouter. Le travail en équipe est primordial pour réussir un escape game », explique Arthur. Les joueurs ouvrent le “cryptex”, trouvent une clé et passent dans la seconde salle. Les cinq collègues se trouvent sur une passerelle et, sous leurs pieds, de l’eau ruisselle. D’abord perturbés par le décor, ils se reprennent vite. L’équipe doit résoudre une nouvelle énigme qui lui permettra de déverrouiller la porte. Arthur explique : « Le papier qu’ils viennent de trouver leur indique quel est le mécanisme de la porte. C’est un processus long et complexe. » Les joueurs perdent pied, cherchent les réponses ailleurs. Ils n’écoutent pas Sarah qui est pourtant sur la bonne voie. Elle essaie de les rappeler à l’ordre mais le bruit ambiant couvre sa voix. Le temps passe. Dans la salle de contrôle, Arthur s’impatiente : « Jusque-là c’était bien. Mais ils ont complètement arrêté de coopérer. » Cinq minutes et un indice plus tard, les aventuriers font basculer la tête d’un des squelettes pendus au mur. L’équipe a enfin accès à la troisième salle. L’énigme, pourtant essentielle, sur laquelle s’est penchée Sarah n’est toujours pas résolue. Le timing est serré. Mais ils sortent finalement victorieux. Ils déboulent dans le couloir quarante-sept secondes avant la fin du temps imparti. Ce n’était pourtant pas gagné, le taux de réussite sur cette salle est de seulement 40 %. L’ambiance est électrique. Encore excités par l’aventure qu’ils viennent de vivre, ils forment une ronde et se remémorent la partie. Tout le monde y va de sa petite remarque : « C’était super cool ! On la refait ? » lance Manu encore agité.
Arthur commence le debrief. Il explique aux employés les points positifs et négatifs qu’il a pu observer dans la salle de contrôle. Il comence par les compliments sur leur fouille. « On insiste toujours sur les bons points pour qu’ils reviennent », reconnaît le game master. Par contre, celui-ci pointe du doigt le manque de communication et l’envie d’aller trop vite qui les a perdus à plusieurs reprises. « C’est mieux de se poser deux minutes et de faire le point sur là où vous en êtes », conseille-t-il. En effet, la réussite dépend beaucoup du travail d’équipe. La recette du team building semble avoir fonctionné sur le petit groupe. Les employés sont décontractés et plus soudés qu’à leur arrivée. Garyé confirme : « J’ai appris à mieux connaître mes coéquipiers. Ça permet de créer des liens. » L’aventure est aussi assez révélatrice des lacunes de chacun. Thomas en est conscient : « On est parti bille en tête. On aurait dû se coordonner et mieux s’organiser. » Le groupe se dirige vers l’étage inférieur pour un cocktail en attendant la seconde partie. « En réunion, on sera plus détendus, dit Thomas. Maintenant on se connaît, ça facilite l’approche au travail. Et, surtout, on se souviendra de nos erreurs pour ne pas les reproduire. » ◊
INTERVIEW
Didier Bille
commencent à distinguer les objets : un bureau ancien, une étagère recouverte de bibelots, des cadres remplis de nœuds marins. Ils se trouvent dans le bureau du capitaine situé dans la cale. C’est parti ! Les explorateurs commencent à chercher des pistes. Méticuleux, ils retournent tout sur leur passage et observent les moindres recoins. Le game master scrute les faits et gestes des employés dans une salle adjacente. Cette pièce, réservée au personnel, est composée d’écrans reliés à des caméras installées sur tout le parcours. Arthur communique avec eux à l’aide d’une tablette numérique qui ressemble à un grimoire. Malgré leur avancée, il leur envoie déjà des indices.
Didier Bille, auteur de DRH, la machine à broyer est ancien DRH de la filiale française d’un groupe de pétrochimie. Il est très critique visà-vis de l’utilisation des escape games comme ciment d’une équipe.
Pensez-vous que l’escape game en entreprise soit une pratique efficace de renforcement des liens entre les employés par le biais d’activités, ce qu’on appelle le team building ?
Didier Bille. En entreprise, le team building est devenu un marché dans lequel tout type de jeu peut être vendu comme vecteur de cohésion d’équipe. Je n’y crois pas. Ils ne peuvent être bénéfiques que lorsque les personnes ne se connaissent pas. Pour briser la glace. N’y a-t-il pas une meilleure solution pour améliorer la cohésion de groupe ?
D. B. Le travail est le meilleur des team building. Sous la pression, vous devez communiquer pour trouver des solutions. Si le travail est fait dans de bonnes conditions, il doit permettre de souder l’équipe. Le reste, c’est une mascarade. L’escape game ne serait donc pas utile comme pratique managériale. Même s’il est paramétré par un game designer qui est aussi psychologue du travail ?
D. B. Non car ce n’est pas la réalité. Les conditions mêmes des escape games desservent certains profils. Les introvertis mais aussi les femmes qui se mettent plus souvent en retrait.
Depuis son poste de contrôle, le game master veille au bon déroulement de la partie.
Léo Le Calvez / EPJT
Dans ce cas, pourquoi continuer à faire des escape games ?
D.B. Lorsqu’il y a un problème dans une équipe, c’est plus facile de proposer une solution simpliste. Vous ne savez pas sur quoi vous allez tomber et ça risque d’être la faute du manager. L’escape game ne résoudra probablement rien mais, au moins vous n’aurez pas d’ennemis. Vous pourrez toujours dire que vous avez agi et proposé quelque chose. ◊
22 Innova
DÉCRYPTAGE
DÉTOX Les jeux vidéo font perdre le contact avec le réel.
Nitend
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Bien au contraire, dans le jeu vidéo on cherche à maîtriser la machine pour mieux maîtriser sa vie. Son usage répondrait à une recherche de sensations et un besoin de contrôle. La pratique serait donc une quête de réalité plutôt qu’une fuite. C’est en tout cas la conclusion à laquelle ont abouti trois sociologues de l’Institut Mines-Télécom et de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne dans une étude de 2013. Dans le même sens, Delphine Grellier, docteur en sociologie à l’université de Montpellier, mon tre que l’épreuve de la mort dans les jeux vidéo permet d’atténuer l’angoisse qu’on peut avoir face à celle‑ci. Dans L’Imaginaire face à l’angoisse publié en 2008, elle analyse les différents types de gestion de la mort dans les jeux de rôles (game over, résurrection, vieillissement) et la manière dont ils contribuent à mettre en jeu des mécanismes psychiques pour l’utilisateur.
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Les jeux vidéo ne sont pas un sport.
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Perdre du poids en jouant à un jeu vidéo, c’est possible. Carrie Swidecki, la détentrice du record du monde du plus long marathon à Just Dance, a perdu plus de 35 kilos depuis qu’elle a commencé l’exergaming ou jeu vidéo actif. Elle organise désormais des événements afin de convertir les enfants à sa passion. Une passerelle vers le sport : les enfants qui jouent souvent aux jeux vidéo sont aussi ceux qui font le plus de sport, d’après la thèse de Christophe Peter, docteur en sciences sociales et intervenant auprès du ministère de la Culture. Avec ses compétitions internationales, ses joueurs professionnels et même son comité antidopage, le e-sport est probablement en passe de devenir un sport comme les autres.
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Le jeu vidéo entraîne des difficultés scolaires.
À moins de sécher les cours et de passer ses journées entières à jouer, il n’y a pas de risque. Jouer permettrait au contraire d’atténuer les problèmes de lecture et de dyslexie de certains enfants, selon une étude menée en Italie par cinq chercheurs de l’université de Bergame, publiée en 2013 dans Current Biology. Par contre, mieux vaut ne pas jouer tous les jours : les élèves qui jouent de temps en temps ont de meilleures moyennes en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences que ceux qui jouent quotidiennement. C’est en tout cas la conclusion d’une enquête de l’OCDE intitulée Connectés pour apprendre ? et publiée en 2015. À consommer avec modération donc.
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Le jeu vidéo rend idiot.
Non, jouer aux Lapins crétins ne rend pas crétin. La pratique de Super Mario accroît le volume de notre matière grise. Et jouer avec le plus célèbre des plombiers, une demi-heure par jour, développe les zones de la réflexion stratégique. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés des chercheurs de l’université de médecine de Berlin en 2013, confirmée notamment par l’étude de Daphné Bavelier, professeure de sciences cérébrales à l’université de Genève. Le jeu vidéo améliorerait la mémoire de travail, la concentration ou encore la vitesse d’analyse. Les recherches sont en cours pour déterminer les applications thérapeutiques possibles de cette pratique ludique.
DR
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Les jeux vidéo violents rendent violent.
C’est un cliché tenace : les jeux de shoot sont souvent incriminés dans les tueries de masse. En Norvège, le jeu Call of Duty a même été retiré des ventes en 2011 après le massacre d’Utøya qui avait fait 87 victimes. Cependant, le Pr Ferguson, président du département de psychologie à l’université Stetson, en Floride, a conclu à l’absence d’influence des jeux vidéo sur le taux de criminalité des joueurs. À partir d’une centaine d’études scientifiques, il démontre que si la violence dans les jeux vidéo a une influence non négligeable sur l’agressivité, les joueurs ne passent pas à l’acte pour autant. Les théories qui ont longtemps eu cours sur les jeux video ne sont plus d’actualité.
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ision
[ PAR ELOÏSE BAJOU ET ANNE-LAURE THADEE ]
Activ
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STOP ! LE JEU VIDÉO VÉHICULE TROP D’IDÉES REÇUES. ELLES NE RÉSISTENT PAS À L’ÉPREUVE DES ÉTUDES SCIENTIFIQUES.
Le jeu vidéo est chronophage.
En 1991, dans la publicité du jeu d’aventure Zelda 3 figurait le squelette d’un gamer mort en tentant de finir le jeu. Pourtant, en 2018, la durée moyenne d’une partie de jeu vidéo est seulement de vingt-sept minutes. Si les jeux à monde ouvert se sont généralisés, on reste loin des sessions qui durent des jours entiers. Selon l’enquête Ifop Les Français et le jeu vidéo, les 1824 ans jouent environ trente-trois minutes par session contre vingt-six minutes chez les plus de 65 ans. Les étudiants sont ceux qui jouent le plus longtemps, avec quatre minutes de plus que la moyenne. Certains battent des records : la Californienne Carrie Swidecki est la championne du monde du plus long marathon sur un jeu de danse homologuée par le Guinness book. En juillet 2015, elle a joué à Just Dance pendant cent-trente-huit heures et trentequatre secondes, soit plus de cinq jours et dix-huit heures d’affilée. Crevant ! ◊
DOSSIER
COMMENT LES
JEUXNOUS VIDÉO
DR
SÉDUISENT
JEUX
VIDÉO
POURQUOI NOTRE
CERVEAU ADORE LES CONCEPTEURS DÉVELOPPENT DES PROCÉDÉS DE PLUS EN PLUS SOPHISTIQUÉS POUR SÉDUIRE LES JOUEURS. ILS N’HÉSITENT PLUS DÉSORMAIS À FAIRE APPEL À DES SCIENTIFIQUES. [ PAR ÉLOÏSE BAJOU, ÉLODIE CERQUEIRA, CLÉLIE LOUISET, ANNE-LAURE THADÉE ET OUSMANE YANSANE ]
ix ans plus tôt, personne n’aurait imaginé voir un retraité jouer à Candy Crush dans le bus, un enfant en bas âge le nez rivé sur un jeu éducatif ou un homme d’affaires décompresser le soir sur sa console. Il est bien loin le temps des graphismes en bâtons. Désormais, les animations spectaculaires se bousculent dans les blockbusters actuels. Aujourd’hui, les jeux ont conquis les deux tiers des Français, dont plus de 50 % jouent de façon régulière. Ces joueurs ont en moyenne 39 ans et les femmes sont presque aussi nombreuses que les hommes. Entre consoles, ordinateurs, Smartphones et tablettes, les supports pour jouer se sont multipliés et l’offre a explosé. Le jeu vidéo est devenu la première industrie culturelle au monde avec 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017, selon le baromètre annuel du syndicat national du
67 %
C’est le pourcentage des Français qui jouent aux jeux vidéo. Parmi eux, plus de 50 % le font de façon de façon régulière
secteur. Ce n’est pas vraiment une surprise : les producteurs développent des procédés savants pour accrocher les joueurs et les garder rivés à leurs écrans. Ils n’hésitent plus à faire appel à des spécialistes en sciences cognitives. L’objectif : décupler les plaisirs et charmer les cerveaux. Le game designer est aux manettes de ce jeu de séduction. Il intervient dès la création dans la chaîne de production. C’est lui qui définit la trame du jeu, établit les règles et décide des possibilités d’interaction avec le joueur. Il travaille sur les petites mécaniques de jeu comme l’allure du héros ou la puissance des armes. Dans les aventures de Mario, le créateur a, par exemple, accéléré le mouvement des jambes du héros. Ce qui donne l’illusion que le petit plombier moustachu court plus vite. « Ce sont des choses indécelables qui rendent la partie plus attrayante. La société évolue et le jeu évolue avec elle », explique Dimitri Darsch, game designer indépendant de 32 ans. « Au-delà du graphisme, si le joueur s’amuse avec le prototype, on sait que le jeu sera fun », dit Yannick Jouneau, professeur de développement à e-Artsup Bordeaux, école de création numérique. DOSER PLAISIR ET SURPRISE
Au fil de leurs créations, le savoir-faire des game designers s’est perfectionné. Ils sont devenus experts dans la façon de maintenir le suspens dans un jeu. « Il faut un mélange bien dosé entre plaisir et surprise, détaille Yannick Jouneau. Avec des twists placés au bon endroit. » Le twist ? C’est un ingrédient bien connu des professionnels. Il s’agit d’un élément de scénario auquel le joueur ne s’attend pas même lorsqu’il est à un niveau avancé. Dans Pokémon, le joueur doit capturer des créatures de pixels dans un décor coloré. Il est installé dans une forme
de routine, la musique, joyeuse, tourne en boucle. Mais, d’un coup, elle change. Une créature rare apparaît. L’effet de surprise engendre une motivation supplémentaire. D’une recette à l’autre, Dimitri Darsch éprouve les limites de ce savoir-faire empirique. « J’ai ressenti le besoin de comprendre comment les joueurs se comportent. » À l’instar des autres game designers, il est un neuroscientifique qui s’ignore. Le jeu est une combinaison de stimuli sensoriels et intellectuels qui agissent sur le cerveau et boostent la matière grise. Plus les actions sont répétées, plus les connexions se font rapidement. Le joueur acquiert donc des automatismes.
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Photos : Clélie Louiset/EPJT
DOSSIER
Quand le joueur ressent du plaisir, son cerveau fabrique de la dopamine. Sécrétée au niveau du tronc cérébral, elle est la première brique du système de récompense impliqué dans la motivation. Et lorsqu’il reçoit une récompense – un bonus de vitesse pour Mario, une nouvelle arme pour Lara Croft – le joueur est encouragé à continuer. « Il y a des récompenses intrinsèques, présentées par des objets ou des points de vie. Mais le sentiment de progression aussi peut être satisfaisant. C’est une récompense extrinsèque », développe Svetlana Meyer, chercheuse au laboratoire de psychologie et de neurocognition du CNRS. Gagner un combat dans le jeu de baston Street Fighter procurerait autant de plaisir que d’étendre son territoire dans le jeu de simulation Sim City. La dopamine participe également à l’apprentissage. Elle pousse le joueur à reproduire les comportements à l’origine de sa sensation de plaisir. Dans le jeu de combat League of Legends, celui qui parvient à tuer le dragon permet à son équipe d’obtenir un bonus temporaire. Un exploit qu’il voudra reproduire. Les game designers sont parfois amenés à faire appel à des prestataires extérieurs pour renforcer leurs connaissances sur le fonctionnement du cerveau.
Rythme cardiaque, température corporelle, direction du regard, les réactions du joueur sont scrutées en détail pour optimiser l’expérience de jeu. Ici, le e-lab, l’espace dédié au jeu vidéo de la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris.
Depuis une dizaine d’années, le laboratoire des usages en technologies d’information numériques (Lutin) collabore avec des éditeurs européens afin de rendre les jeux plus agréables à manipuler. « La psychologie cognitive s’intéresse au jeu vidéo parce qu’il consiste en une succession de problèmes à résoudre », explique Hamid Bessaa chercheur au laboratoire. APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE
L’interface doit être intuitive et les règles du jeu parfaitement comprises. Les scientifiques s’en assurent en effectuant des tests en labo où les joueurs sont régulièrement interrompus durant leur partie et questionnés. Des grilles d’évaluation sont élaborées pour perfectionner l’ergonomie du jeu. Les studios sollicitent aussi des joueurs pour tester les productions avant leur sortie. Ces bêta-testeurs traquent les bugs et les moments de latence pour rendre le jeu le plus divertissant possible. Cette romance entre chercheurs et concepteurs remonte à environ quarante ans. Dans les années quatre-vingt, des psychologues sont recrutés pour créer des jeux de simulation destinés à l’entraînement des soldats de l’armée américaine. Puis, ils intègrent peu à peu les studios de production.
Aujourd’hui, les éditeurs n’hésitent pas à aller plus loin. En septembre 2013, pour concevoir le jeu en ligne Fortnite, Epic Games, précurseur en la matière, recrute Célia Hodent. Docteur en psychologie cognitive, cette Française quadragénaire dirige l’expérience utilisateur pendant quatre ans avec une équipe de psychologues, de statisticiens, d’analystes et de coordinateurs. En août 2018, le jeu comptabilisait plus de 78 millions de joueurs. Depuis sa sortie, les scientifiques raffinent les expériences de jeux pour les rendre plus passionnantes. La phase de récolte des matériaux de construction, auparavant ennuyeuse, devient intéressante. Plus besoin de répéter des clics sur une pierre. Aujourd’hui, cette récolte est un minijeu en soi qui consiste à dégommer des cibles pour obtenir le maximum de matériaux, le tout accompagné d’une petite animation et d’une mélodie. Cette interaction encourage le joueur dans sa récolte. Certains studios n’hésitent pas à installer un logiciel de tracking dans les jeux pour espionner les comportements des joueurs en cours de partie. Déplacements, actions, temps écoulé, tout est gardé en mémoire. Ces données sont ensuite analysées par les éditeurs. Ils cartographient les déplace-
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Sergueï Galyonkin
DOSSIER
Certains éditeurs insèrent des logiciels espions dans leurs jeux pour récolter de précieuses statistiques.
ments des joueurs et les clics souris. Si le gamer explore toujours les mêmes zones de jeu, les concepteurs essaient de le pousser ailleurs. Ainsi, dans Fortnite, la carte rétrécit pour inciter le joueur à changer de zone. Parfois, un système d’eye tracking, qui permet de suivre l’activité oculaire d’un individu, est utilisé pour définir l’endroit où le regard du joueur s’attarde le plus. Mais force est de constater que, souvent, seuls les grands studios peuvent s’offrir ce type de matériel coûteux.
Sveltana Meyer, chercheuse au laboratoire de psychologie et de neurocognition au CNRS, explique aux concepteurs les mécanismes de base du cerveau d’un joueur.
Melissa Canseliet a été conseillère en neurosciences cognitives et en expérience utilisateur chez Ubisoft pendant près de sept ans. La pétillante jeune femme y a formé des réalisateurs de jeux et des game designers. Ses apports ont permis à l’équipe de comprendre les aspects cérébraux de mécanismes sur lesquels ils travaillaient déjà. Une action et une récompense doivent être obligatoirement simultanées pour impacter davantage le joueur. Cette « synchronicité » s’explique car « les neurones créent des connexions lorsqu’ils sont activés en même temps », dit-t-elle. Pavlov l’avait expérimenté sur des chiens : une stimulation suivie d’une récompense produit un conditionnement sur les animaux. Le jeu Candy Crush récompense
François Henry/UGA
JOUEUR CONDITIONNÉ
ses joueurs par des jingles et des animations. Ils leur apportent un feedback (retour) positif dès qu’ils accomplissent une bonne action – un combo – et les entraînent à poursuivre le jeu.
Les outils d’imagerie médicale tels que les IRM sont même mis à profit pour observer les circuits cérébraux impliqués lors des processus de jeux. Les neuroscientifiques découvrent ainsi l’importance du flow dans la conception. Cet état de bien-être intense est ressenti par un individu totalement engagé dans une activité. Cela explique pourquoi certains peuvent jouer pendant des heures. Pour atteindre ce flow, l’enchaînement des expériences est essentiel. Melissa Canseliet explique que « pour que l’expérience du gamer soit agréable, il faut que l’effort mental soit contrôlé dans le temps ». Grâce à des objectifs bien répartis dans le temps et les récompenses qui y sont associées, le joueur perçoit alors son but final comme réalisable. Dans la série de jeux Tomb Raider, Lara Croft explore plusieurs endroits dans le monde et doit trouver des trésors. À la fin d’un chapitre, le jeu change de localisation.
Innova 27
Le passage d’une carte à une autre est accompagné d’une cinématique : une pause et une récompense pour le joueur. Ce dernier en apprend plus sur l’histoire de l’héroïne. « Il faut toujours prendre en compte la perception du joueur », confirme Carlos Bohorquez, conseiller en neurosciences cognitives chez My Serious Game. Les connaissances scientifiques permettent de définir certaines compétences comme prioritaires pour inciter le joueur à continuer. « Pour que son engagement dure, poursuit le chercheur, la motivation doit être renforcée par la présentation d’informations qui lui permettent de situer sa progression dans le jeu. » C’est ce qu’on appelle le feedback permanent. Pour Melissa Canseliet cela permet au joueur « de se tester, de se réévaluer et de progresser au cours de l’action. » Si le joueur ne peut pas identifier ses erreurs, il se confronte à l’échec. Elle prend alors l’exemple d’un jeu de snowboard. « Une des difficultés est de rectifier la position de son personnage lorsqu’il est dans l’air afin de réaliser une figure. » Introduire un indicateur de position permet de maîtriser le geste et de l’associer à la sensation de récompense. Un travail de précision selon la chercheuse. Elle précise que la complexité de la tâche peut alors être contrebalancée par des aspects graphiques ou auditifs qui vont donner aux joueurs l’impression d’une expérience de jeu accessible. Ainsi, des jeux comme Les Lapins crétins ou Mario Super Run, qui reposent pourtant sur des mécaniques complexes, sont devenus des succès commerciaux grâce à leur savant dosage.
Philippe Levy
DOSSIER
Le jeu est une combinaison de stimuli sensoriels et intellectuels qui agissent sur le cerveau. Difficile de prédire les comportements d’un joueur dans les moindres détails : de nombreux aléas subsistent.
Un modèle qui a cependant ses limites. « Certains laissent leur cœur à l’entrée du bâtiment le matin et le récupèrent le soir en partant », s’insurge Yannick Jouneau qui ne veut plus travailler pour les grands studios. Il déplore que ceux-ci développent des mécaniques de jeu élaborées pour soutirer de l’argent aux joueurs en cours de partie.Il fait référence au micropaiements qui leur proposent d’acheter des équipements. Les éditeurs iraient-ils trop loin ? « Jusqu’à il y a quelques années, on expérimentait des tonnes d’outils, dit Dimitri Darsch. Puis, on a commencé à se rendre compte des problèmes d’addiction. » Reste qu’il est très difficile d’évaluer l’efficacité de tous ces ingrédients savants sur le joueur. Les game designers ont bien compris que la sensation de plaisir est un enjeu majeur à ne pas négliger. Mais le cerveau est une machinerie complexe dont les rouages restent difficiles à comprendre. Ainsi, un électroencéphalogramme peut être utilisé pour observer une émotion à un instant donné mais ne peut pas anticiper un comportement. Face à une action complexe, certains joueurs tirent leur
Philippe Levy
TOUT SAUF UNE SCIENCE EXACTE
s atisfaction de l’effort investi. Mais d’autres « n’auront ni le temps, ni l’expérience, ni l’envie de se lancer dans le jeu », confirme Melissa Canseliet. Les recettes mises au point en laboratoire sont utiles, mais ne fonctionnent pas toujours. « Il existe en effet de gros écarts entre les recherches théoriques et leurs applications », rappelle Svetlana Meyer. L’une des limites de la recherche est qu’elle n’est pas en mesure de prendre en compte le vécu d’un gamer et son expérience. Un joueur expérimenté anticipera les bonus et les récompenses. De plus, le plaisir est influencé par l’état émotionnel de la personne. Sa satisfaction sera plus ou moins forte en fonction de son humeur. Enfin, la
motivation serait renforcée par des processus de socialisation. « Si je fais jouer deux enfants issus d’un contexte complètement différent, je n’obtiendrai pas le même résultat », note Carlos Bohorquez. Il insiste sur l’importance de l’environnement culturel du joueur. Ainsi, la contribution des neuroscientifiques dans l’industrie du jeu vidéo est un vrai plus Mais elle n’est pas indispensable pour faire un hit. « C’est une science très précise, mais ce n’est pas une science exacte, résume Carlos Bohorquez. Je sais comment le cerveau fonctionne mais je ne peux pas créer de règle générale. Les sentiments restent difficiles à mesurer. Nous ne sommes pas des machines. » ◊
LE COCKTA DOSSIER
NOUS AVONS PASSÉ AU CRIBLE LES INGRÉDIENTS DU HIT ACTUEL, PARTICULIÈREMENT ADDICTIF [ PAR ANNE-LAURE THADÉE ]
Si Fortnite est le jeu du moment et séduit plus de 200 millions de joueurs, ce n’est pas par hasard. Sorti en septembre 2017, le jeu est basé sur un subtil mélange de phases de combat, d’exploration, de construction et d’artisanat. Ces périodes s’enchaînent pour optimiser l’expérience de jeu. Une recette qui a été mise au point par Epic Games. L’éditeur du jeu a fait appel à des psychologues pour doser précisément trois ingrédients ludiques essentiels. Le premier est la possibilité de développer des compétences de jeu : plus rapide, plus efficace, le joueur a la satisfaction de maîtriser de mieux en
mieux la partie. Le second est de solliciter son sens de l’autonomie : sous pression, il fait des choix capitaux pour emporter la victoire. Il peut aussi customiser son avatar pour le rendre unique et exprimer sa personnalité par une danse de la victoire. Enfin, le dernier ingrédient, c’est l’interaction sociale. Le joueur parle avec ses alliés ou tue ses ennemis. Il progresse dans le classement et s’en vante dans la vraie vie. Ces ingrédients sont utilisés savamment dans toutes les phases du jeu, pour décupler le plaisir. Revue de détail d’une alchimie qui rend tout le monde accro.
FO
EXPLORATION Tous les mois, le jeu propose une nouvelle carte à explorer. Tout est exploitable : les roches, les arbres, les bâtiments et les voitures. Chaque élément donne des ressources qui seront les ingrédients futurs servants à fabriquer des abris ou des munitions. Sachant que les recettes les plus complexes donnent les meilleurs résultats, les joueurs peuvent les mémoriser pour aller plus vite et pour construire rapidement les bâtiments. Ils raffolent aussi des coffres cachés dont le contenu aléatoire peut être d’une grande aide. Ou pas. Parfois ils ne rapportent que des ressources. Le cerveau des joueurs en tout cas est friand de ces petites récompenses qui produisent à intervalle régulier des décharges d’hormones.
Le jeu est une course contre la montre. Plus la partie progresse, plus la zone de combat rétrécit. La fréquence des affrontements augmente progressivement et génère de l’excitation et du stress. Le joueur peut suivre le nombre de ses adversaires encore vivants en temps réel. Il est ainsi au courant de l’intensité des combats et de l’avancement de la partie. L’envie de gagner déclenche la production de testostérone qui booste la fierté des combattants. La satisfaction d’abattre un ennemi libère de la dopamine, l’hormone du bonheur. Victorieux, le joueur retrouve son calme et son cerveau produit de la sérotonine qui fait redescendre son rythme cardiaque.
Epic Games
COMPTEURS
AVATAR Le joueur customise son personnage mais aussi la palette d’interactions qu’il aura avec ses concurrents. À tout moment, il peut faire une danse pour narguer l’ennemi ou fêter une victoire. Pour se distinguer des autres joueurs, il est possible d’acquérir des éléments de décoration pour les armes, des vêtements ou des coupes de cheveux. Une méthode idéale pour exprimer sa vraie personnalité et rendre son avatar unique, à condition de sortir sa carte bleue. En jeu, les choix sont stratégiques car les équipements (armes, potions, parachutes, fusées) peuvent être utilisés à tout moment. Le joueur est également libre de détourner ces objets de leur sens premier. Par exemple, il peut utiliser la fusée pour changer de zone plutôt que pour attaquer une cible ennemie.
AIL SAVANT
FORTNITE DE
CARTOON
Une arme en forme de licorne, pourquoi pas ? Dans le jeu, les couleurs sont flashy et il n’y a pas une goutte de sang. Quand un personnage meurt, il explose en un feu d’artifice de pixels. Son équipement devient alors accessible aux autres joueurs. C’est une double récompense pour le cerveau de ces derniers : les aires de la vision et de l’ouïe sont ultrasollicitées par l’animation sonore et les bruitages. Ensuite, ils récupèrent le butin de l’ennemi vaincu. À chaque récompense, le cerveau produit une décharge d’ocytocine, l’hormone du plaisir.
ARÈNE
CONSTRUCTION Une tour géante, un bunker… il n’y a aucune limite à ce que le joueur peut construire ou détruire. Cet exercice, inspiré du jeu de construction Meccano, invite l’utilisateur à apprendre de ses erreurs et à développer ses compétences. Il entraîne également sa mémoire en reproduisant les édifices qui ont fait leurs preuves d’une partie à l’autre. Le joueur peut même aller jusqu’à rechercher des infos en ligne sur des tutoriels créés par des joueurs plus expérimentés. Enfin, la recherche de l’optimisation passe par le partage de connaissances, grâce aux conseils aux amis. Ce paramètre est l’une des clefs de la victoire et du plaisir. À chaque construction réussie, le cerveau déclenche le système de récompense et produit une nouvelle dose d’ocytocine.
Fortnite se joue en mode Battle royale : un maximum de 100 joueurs s’affrontent dans un combat à mort. Le dernier debout gagne la partie. Les plus faibles sont éliminés rapidement. Plus la compétition avance, plus le joueur se trouve confronté à des adversaires redoutables. Heureusement, il est possible de coopérer avec ses amis ou temporairement avec des inconnus. Toutes ces interactions de plaisir et de souffrance liées à la victoire ou à la défaite font réagir le cerveau. Celui-ci libère des endorphines, hormones du plaisir et antidouleurs naturels.
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DOSSIER
LES PARENTS DOIVENT GARDER
LE CONTRÔLE
CE PSYCHOLOGUE SPÉCIALISÉ NOUS DONNE LES CLÉS POUR ANTICIPER LA PRATIQUE EXCESSIVE DES JEUX VIDEO CHEZ LES 8-12 ANS. [ PAR ELODIE CERQUEIRA ]
B. B. Quand ils n’arrivent pas à prendre
Bruno Berthier est psychologue clinicien et passionné de jeux vidéo. Il est membre de La guilde de Marmottan, un réseau de cliniciens de l’hôpital parisien éponyme. Depuis 2011, il fait partie des rares praticiens qui soignent les enfants avec les jeux vidéo. Leur utilisation dans la population des 8-12 ans peut devenir addictive. Fort de son expérience, il explique en quoi la pratique du jeu peut devenir problématique et comment les parents peuvent y remédier, voire l’éviter.
BIO
Quels sont les comportements révélateurs d’une pratique excessive que doivent détecter les parents ? Bruno Berthier. On parle d’excès quand les parents n’arrivent plus à
obtenir quoi que ce soit de leur enfant. Quand il ne veut plus travailler ou quand il répond mal. Il peut même décrocher scolairement. Il faut regarder l’enfant jouer et repérer quand il a du mal à gérer ses émotions. Autour de 13 ans, on note que le jeune adolescent se distancie de ses parents de façon plus importante qu’avant. C’est à ce moment-là qu’il faut être vigilant. S’il privilégie la pratique du jeu au point de ne plus vouloir faire d’autres activités, l’usage en devient excessif. Il faut donc agir.
DR
Depuis 2011, Bruno Berthier psychologue clinicien, utilise le jeu vidéo comme médiateur thérapeutique.
Comment faire pour anticiper ? B. B. Les parents doivent observer leur enfant quand il joue,
se mettre en interaction avec lui et détecter à quel moment le jeu a pris le contrôle sur lui. Seul un tiers des parents s’intéresse à la norme Pegi alors que les enfants ne sont pas calibrés pour supporter la tension de certains jeux. Ils doivent contrôler le temps de jeu. Il est important également de filtrer l’accès aux réseaux sociaux. Les parents ne doivent pas rester à distance de leur enfant. Il ne s’agit pas de jouer mais de s’intéresser à ce qui l’intéresse.
Pour quelles raisons les enfants peuvent-ils tomber dans l’excès ? B. B. Le point qu’on retrouve chez tous les enfants qui sont dans
Les parents oublient trop souvent de limiter l’accès aux jeux, souligne le praticien.
une pratique excessive au minimum, pathologique au pire, c’est une faille parentale et éducative nette. Souvent, je constate qu’aucun cadre, qu’aucune règle n’ont été mis en place quant à l’accès au jeu. Moi je préfère parler de pratique excessive. En disant que c’est une addiction, on incrimine le jeu vidéo. On ne va pas chercher les causes. Étudier le symptôme ne sert à rien.
ajuster le nouveau cadre avec la pratique du jeu vidéo parce qu’ils auront pris conscience que quelque chose leur a échappé. Donc que le jeune n’est pas entièrement fautif ni le jeu vidéo en lui-même. Mais dans une situation instable, quand les parents se sentent dépassés, qu’ils ont trop de questions sans réponses, il est nécessaire qu’ils soient aidés par un psychologue familier des mondes numériques et vidéoludiques. Que peuvent faire les parents quand l’enfant repousse toujours plus loin les limites parentales ?
Photos : DR
Comment les parents peuvent-ils lui venir en aide lorsque la pratique du jeu est devenue excessive ? B. B. Si l’environnement familial est stable, les parents sauront
la main sur une activité qu’ils n’ont jamais contrôlée, leur seul moyen d’agir est de couper brutalement la console et Internet. Ça ne peut pas bien se passer. C’est un aveu d’impuissance. Cela va aggraver la situation. C’est comme lorsque papa regarde un match de foot à la télé et que l’enfant éteint le poste. Que se passe-t-il ? Papa explose. Le recours à un tiers, comme un psychologue, est nécessaire pour aider parents et enfants à se remettre dans une bonne dynamique. Vous traitez la pratique excessive du jeu vidéo par le jeu, c’est paradoxal. B. B. Non car le jeu est un point de
contact. Cela montre que je n’ai pas peur du jeu, que je le maîtrise. Proposer de jouer aux jeux vidéo dans l’espace thérapeutique est une opportunité pour le patient de se rendre compte que les émotions associées à sa pratique ne sont pas toutes positives. Elles cachent des pensées, des angoisses et des situations enfouies. Le travail thérapeutique avec le jeu vidéo permet de se rebrancher avec des émotions conformes à la situation vécue et d’apprendre à pouvoir les verbaliser, les reconnaître et les accepter. Compétences nécessaires pour identifier celles qui entourent la pratique excessive. ◊
Blizzard Entertainment
Sorte de pochette surprise virtuelle, la lootbox confère un avantage indéniable dans la partie.
BOÎTES À FRIC
NUMÉRIQUES
[ PAR LÉO LE CALVEZ ET AMAURY LELU ]
Acheter une pochette surprise, l’ouvrir et constater que l’objet convoité n’est pas à l’intérieur. Prendre une nouvelle fois sa carte bleue et retenter sa chance… C’est le cercle vicieux auquel certains joueurs de jeux vidéo sont confrontés. Les loot box, caisses à butin en français, sont des boîtes payantes qui peuvent renfermer un avantage pour avancer plus rapidement dans le jeu ou un accessoire pour personnaliser son avatar. Le contenu varie d’une caisse à l’autre et la chance de tomber sur ce que l’on veut est infime. D’où la tentation de payer jusqu’à obtenir l’objet convoité, avec la même frénésie que les tickets à gratter. Alors, jeux d’argent les loot box ? Certains n’hésitent pas à les qualifier ainsi. Au début de l’année, aux États-Unis, le père d’un jeune joueur a déposé plainte contre l’éditeur américain Epic Games. Il dénonce le système aléatoire des loot box qui peut rendre accro les personnes vulnérables comme les enfants. Depuis, Epic Games est contraint d’indiquer aux joueurs le contenu de ces boîtes. INTERDITES EN BELGIQUE EN 2018
La loot box fait son apparition au milieu des années deux mille dans les free-to-play (jeux vidéo gratuits). Le boom économique de ce modèle intervient en 2017 avec le lancement du jeu en ligne Fortnite. Face au phénomène, la Belgique interdit l’utilisation des loot box en 2018. En France, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) ne considère pas les loot box comme un jeu d’argent : le joueur ne peut pas remporter un gain financier après avoir ouvert une boîte. Pourtant, selon Matthieu Ivorra,
auteur d’un mémoire sur l’économie des loot box, « cela peut être assimilé à un jeu d’argent. Les objets récupérés dans les boîtes sont revendus par certains joueurs via des marchés virtuels. De plus, l’ouverture d’une boîte produit de l’endorphine. Un effet comparable à celui produit par l’utilisation d’une machine à sous ». L’Arjel rétorque que les marchés spéculatifs qui entourent les loot box ne sont pas le fait des éditeurs de jeux vidéo, ils ne peuvent donc pas être sanctionnés. Nombreux sont les joueurs qui achètent des boîtes pour soutenir le développement de leur partie. À l’inverse, il y a ceux qui ne souhaitent pas dépenser plus que l’achat
2,53 %
C’est la probabilité d’avoir le contenu espéré à l’achat d’une loot box dans Fortnite
initial. Comme Adam : « Je n’ai jamais acheté de loot box et je boycotte les jeux vidéo où elles donnent un avantage par rapport aux autres. Les éditeurs utilisent le système de la carotte pour que les joueurs restent. » En 2017, Battlefront, un jeu de guerre, accentue ce phénomène. Les achats sont
AU PAYS DES PIXELS, LA LOOT BOX FAIT POLÉMIQUE. ELLE PROPOSE UN ÉQUIPEMENT CONTRE DE L’ARGENT DE FAÇON ALÉATOIRE. UN JEU DE HASARD ?
indispensables pour équiper les personnages et prendre l’ascendant sur ses adversaires. Selon le site Star Wars Strategy, pour acquérir un équipement, un joueur avait le choix de dépenser jusqu’à 2 100 dollars (environ 1 850 euros) ou jouer six heures par jour, pendant deux ans. Les gamers se rebiffent. L’éditeur a dû faire marche arrière et – temporairement – enlever les loot box. FILON EN OR POUR LES ÉDITEURS
Depuis, la polémique autour de Battlefront et la décision de la justice belge, l’utilisation des loot box devrait diminuer. « Les joueurs sont de plus en plus méfiants vis-à-vis de ces boîtes », confirme Dimitri Darsh, game designer. Mais les éditeurs ne sont pas prêts à lâcher cette manne financière. Des études montrent qu’en 2022, la part des achats réalisés dans les jeux vidéo devrait représenter 75 milliards de dollars (environ 66 milliards d’euros). Les éditeurs de jeux vidéo réfléchissent à des modèles alternatifs comme celui du battlepass. Vendu dans les jeux vidéo Fornite et Apex Legends, il permet aux joueurs d’obtenir des équipements supplémentaires après avoir remporté des défis. Certains jeux ouvrent pendant vingt-quatre heures des boutiques virtuelles dans lesquelles les joueurs peuvent acquérir de nouveaux accessoires. En Chine, il est désormais obligatoire d’inscrire sur le boitier du jeu les taux de probabilité de remporter un objet dans une loot box. Dans l’Hexagone, le pictogramme « achat intégré » figure sur la jaquette mais les caisses à butin restent autorisées. Les joueurs, et notamment les plus jeunes, sont donc toujours au contact d’un jeu d’argent qui ne dit pas son nom. ◊
DOSSIER La chercheuse Adina D. Feinstein, et son équipe de 22 000 joueurs et 26 chercheurs ont découvert une nouvelle planète.
GRANDES DÉCOUVERTES
Nasa
PETITS CLICS,
LES GAMERS EN RÉSEAU CONSTITUENT UNE FORCE DE FRAPPE SCIENTIFIQUE INCOMPARABLE. LEUR AISANCE AVEC LA TECHNOLOGIE ET LEUR CAPACITÉ D’OBSERVATION SONT DES COMPÉTENCES PRÉCIEUSES POUR LA SCIENCE. UN PETIT JEU POUR EUX, UN GRAND PAS POUR L’HUMANITÉ. contrôle de l’épidémie qui se répand partout. Certains joueurs se rendent dans les zones contaminées pour observer ou aider les victimes. D’autres s’amusent à diffuser la maladie dans les grandes villes, ce qui cause la mort de milliers de personnages. Suite à cet incident, la chercheuse en épidémiologie Nina H. Fefferman publie un article dans la revue Lancet Infectious Disease. Elle démontre pour la première fois l’opportunité que sont les jeux vidéo pour observer les mécanismes épidémiques. En effet, le facteur humain est difficile à prendre en compte dans les simulations mathématiques. Blizzard n’a cependant pas souhaité collaborer avec la communauté des chercheurs, estimant que ce n’était pas son rôle. Ces derniers ont donc décidé de s’adresser directement aux gamers : ils leur ont demandé de contribuer à la recherche sur des plateformes de traitement ludique des données, en mettant toutes leurs compétences individuelles au service de la science.
[ MATHILDE BIENVENU ET ANNE-LAURE THADÉE ]
UNE QUESTION DE SURVIE
Zooniverse
Les internautes ont trouvé une nouvelle planète. Encore faudra-t-il y aller. Elle se situe dans la zone habitable autour d’une étoile de la constellation du Taureau, à environ 226 années lumière de la Terre. En février, la chercheuse Adina D. Feinstein annonce officiellement sa découverte dans la revue académique Astronomical Journal. Son équipe, composée de 26 chercheurs et d’environ 22 000 joueurs, travaille sur Exoplanet Hunters, une plateforme ludique de science participative. En une semaine, les chasseurs de planètes analysent plus d’un million de graphiques. Ils y cherchent des anomalies dans la luminosité des étoiles. Ce sont des indices du passage d’une planète entre les astres et le télescope. Ce jeu de sciences a déjà permis de détecter plus de 100 exoplanètes. Celles-ci se situent en dehors du système solaire. Aujourd’hui, la communauté scientifique n’hésite plus à solliciter les joueurs via le crowdsourcing. Ce travail collaboratif fait appel à l’intelligence et aux savoir-faire d’un grand nombre de personnes pour mener à bien des projets de recherche. Astronomie, sciences humaines, littérature, biologie, tous les domaines scientifiques se saisissent de ce nouvel outil. Les gamers, sans formation scientifique particulière, apparaissent parfois plus efficaces que les méthodes traditionnelles de traitement des données. Tout commence en 2005. Une épidémie se déclare dans le jeu de rôle multijoueurs en ligne World of Warcraft (WoW). Ce jeu est à l’époque un phénomène mondial. Environ 5 millions d’utilisateurs y vivent une autre vie parmi les elfes et les morts- vivants. Dans un donjon, un mal appelé « sang corrompu » entraîne la mort rapide du joueur si aucun allié ne vient le soigner. Cette maladie aurait dû rester dans la zone de combat. Mais suite à un problème technique, Blizzard, l’éditeur de WoW, perd le
Sur la plateforme Zooniverse, les joueurs peuvent contribuer aux recherches dans différents domaines scientifiques.
Les yeux humains sont spécialisés dans la détection des formes et des silhouettes. Une question de survie pour nos ancêtres qui devaient détecter rapidement les prédateurs. Une capacité d’observation, issue de notre évolution, que de nombreux jeux de sciences utilisent. Après un rapide tutoriel, lors duquel les chercheurs expliquent au joueur le contexte de l’étude, le jeu peut commencer. Penguin Watch, un projet de science participative très populaire, a pour but de suivre l’évolution des populations de pingouins dans un but de préservation de l’espèce. Il est proposé aux joueurs de compter les oiseaux sur la banquise à partir de photographies prises par des caméras fixes. Un curseur en forme d’objectif photo permet d’identifier un par un les animaux : les adultes, les poussins et les œufs. Le traitement d’image n’est pas encore automatisé et les gamers rendent de grands services à la recherche. Leurs
Innova 33
SCIENCE c apacités d’observation sont parfois combinées à leurs capacités de déduction. Dans EyeWire, l’observation flirte avec la résolution de puzzles en 3D. Pour aider les chercheurs à mieux comprendre les interactions entre le cerveau et les yeux, le joueur observe des tissus cellulaires. Il déduit où passe le neurone et colorie les cellules associées pour reconstituer sa forme 3D. Les participants sont des habitués, ils peuvent passer des heures à tracer des neurones tout en dialoguant avec les membres de la communauté. SpookyGrowly* est en dernière année de lycée. Il se destine à la biochimie médicale. Cet amateur de jeux vidéo a rejoint la communauté il y a deux ans après avoir vu la conférence TED de la directrice d’Eyewire.
Penguin Watch est un jeu de science participatif qui contribue à la préservation des pingouins. Le joueur doit compter les oiseaux pour surveiller l’évolution de l’espèce.
En dix ans, près de 2 millions de galaxies ont été observées par plus de 23 000 volontaires. Ce succès lui donnera l’idée de créer une plateforme pour regrouper les jeux de science : Zooniverse. Chaque jour quelque 25 000 « scientifiques citoyens », produisent sur Zooniverse l’équivalent de 625 journées de travail d’un chercheur. Le tout en ne passant que quinze minutes en moyenne par personne sur le site. Zooniverse permet de mettre en avant gratuitement tout projet de sciences participatives. Après avoir été testés par des bénévoles, les jeux sont soumis à la communauté des gamers. La plateforme héberge 89 projets qui couvrent un large champ de recherches. Les scientifiques font parfois appel directement aux talents des joueurs, comme le dessin. Pour monter le projet The Hieroglyphics Initiative, Ubisoft (créateur de la série de jeux Assassin’s Creed) s’est associé
Ubisoft
Mais les jeux de sciences n’attirent pas que les jeunes. DragonTurtle*, technicien aéronautique à la retraite, et Susy*, ancienne biologiste, participent pour rester connectés avec le milieu de la recherche. « Je veux que les scientifiques de demain soient capables d’imprimer des cellules souches », témoigne également l’artiste Faunheart. « Cela permettrait de soigner les aveugles », précise-t-il. Preuve que certains s’approprient tellement le sujet qu’ils envisagent des débouchés au long terme. Autre atout des joueurs, leur puissance de calcul. Chris Lintott leur en est d’ailleurs reconnaissant. En 2007, alors doctorant en astronomie, il doit, pour sa thèse, observer et classer plus d’un million de galaxies. Il en fera 5 % avant de demander l’aide de ses amis gamers, puis de la communauté internationale grâce au jeu G alaxy Zoo. Il s’agissait d’observer les images des galaxies et d’en déduire leur forme : spirale ou ellipse. « Le premier jour, à ma grande surprise, l’ensemble des participants a étudié plus de 70 000 galaxies par heure. » Les contributions des internautes sont recoupées entre elles et, grâce au grand nombre d’entrées, on peut dégager la réponse la plus probable.
Eloïse Bajou/EPJT
BÉNÉVOLES EN ASTRONOMIE
au laboratoire de recherche du Google Cloud. L’objectif était de mettre au point un outil de traduction instantanée des caractères égyptiens avec autant de facilité que l’on peut traduire l’anglais ou le français. Cela aurait permis aux touristes de prendre en photo un texte du temple de Louxor et d’en avoir la traduction instantanée sur leur Smartphone. Mais pour cela, il faut pouvoir distinguer les caractères les uns des autres. Or ceux-ci sont des dessins d’oiseaux ou d’animaux et les intelligences artificielles peinent à les reconnaître. D’où la nécessité de nourrir une base de données avec des dessins d’internautes. Les joueurs sont donc invités à venir tracer les contours des hiéroglyphes sur une plateforme dédiée. En une soirée, près de 80 000 symboles ont été dessinés. Néanmoins, l’outil de traduction n’est toujours pas disponible aujourd’hui. « La science est quelque chose à laquelle tout le monde peut participer », soutient Chris Lintott, docteur en astrophysique et professeur à Oxford. Les chercheurs courent après les gamers pour toutes leurs compétences et aussi pour leur bonne volonté. Ces milliers de personnes, grâce aux sciences participatives ludiques, peuvent donner quotidiennement et gratuitement de leur temps à la recherche et ainsi faire progresser la science. Aujourd’hui, l’exploration de notre monde ne passe plus par la découverte de l’univers, l’exploration c’est repousser les limites du savoir. ◊ https://www.zooniverse.org/ (*) Pseudonymes des joueurs. Pour le projet The Hieroglyphics Initiative, les gamers ont répertorié des hiéroglyphes afin de créer un outil de traduction.
34 Innova
JOUER,
BOUGER,
SANTÉ
RÉÉDUQUER
[ PAR ELODIE CERQUEIRA ET CLÉLIE LOUISET ]
LES JEUX VIDÉO ET LA RÉALITÉ VIRTUELLE SONT DÉSORMAIS MIS À PROFIT DANS LA RÉEDUCATION DES PATIENTS ATTEINTS DE TROUBLES MOTEURS Les jeux de la plateforme Curapy encourage les patients à bouger.
CoBTek
David est atteint d’une hémiplégie depuis ses 5 ans. En clair, il ne peut bouger ni son bras ni sa jambe du côté droit. Mais le jeu vidéo Fruit Ninja est là pour l’aider. Malgré son handicap, il est capable de tenir les deux manettes. Il bouge ses bras pour actionner son arme fictive. Pastèques, ananas, cucurbitacées… rien ne résiste aux coups de lame qu’il assène virtuellement. Pour se stimuler et limiter l’atrophie de ses muscles, il doit suivre une rééducation lourde. Mais douze ans à lancer des ballons ou à tenir en équilibre sur un plateau finissent par le lasser. Il abandonne. Heureusement, à 18 ans, il est pris en charge par un kiné pas comme les autres, Patrick Couny. Masseur-kinésithérapeute à Gennes (Maine-et-Loire), celui-ci est un des rares en France à associer les méthodes de rééducation traditionnelles aux jeux vidéo et à la réalité virtuelle (VR). Ces technologies permettent à David d’être plus assidu et plus investi dans ses exercices. « Sans la VR, je ne sais pas si j’aurais obtenu les mêmes résultats », reconnaît le kiné. L’idée n’est pas de remplacer les méthodes traditionnelles. Il souhaite varier les sup ports notamment dans le cadre de la prise en charge des malades atteints de troubles neurologiques et qui ont besoin d’une rééducation sur le long terme. Comme pour David, le jeu vidéo leur permet de maintenir leur motivation. LUTTER CONTRE L’ATROPHIE
Les neuroscientifiques misent aussi sur ces outils high tech pour la prise en charge des patients atteints de maladies neurodégénératives. Créé en 2013, le laboratoire Brain e-Novation regroupe l’Institut du cerveau et de la moelle épinière et l’entreprise Genious Healthcare. Les patients atteints de la maladie d’Alzheimer stimulent leurs capacités cognitives et font de l’exercice. Jean, 72 ans, teste ce nouveau procédé. Face à la télévision, équipé d’un détecteur de mouvement Kinect, il pilote un navire de combat. Pour déplacer son embarcation, il piétine en veillant à lever bien haut les genoux. Jean réalise ce mouvement, parfois difficile pour lui, sans même s’en rendre compte et évite ainsi que ses muscles s’atrophient. Le jeu lui permet aussi d’améliorer la coordination de ses membres, son attention et sa mémoire visuelle et de lutter contre l’apathie. Un accompagnement à distance est proposé via la plateforme Curapy. Les patients, équipés du dispositif, peuvent jouer chez eux tout en étant suivis par leur praticien. « À domicile, ils peuvent partager ce moment de jeu avec leur famille et retrouver une forme de vie sociale », explique Marie-Laure Welter, neurologue et neurophysiologiste, directrice exécutive du laboratoire. Ces techniques prometteuses sont encore en étude clinique. « Il faut que la démonstration soit solide. Elle doit être testée comme un médicament et sa commercialisation contrôlée, explique Stéphane Thobois, chef de service de neurologie des Hospices civils de
Sans ces technologies, je ne sais pas si j’aurais obtenu les mêmes résultats » Patrick Couny, kinésithérapeute
Lyon. Par exemple, les malades atteints de Parkinson ne sont pas capables d’effectuer plusieurs tâches à la fois. Le jeu doit alors être adapté. Si on met à leur disposition un système avec trop d’outils, on va annihiler le bénéfice. » Les chercheurs pensent déjà à un procédé pour rééduquer par la pensée. Le projet ReMinAry, actuellement en phase expérimentale, est basé sur l’imagerie motrice. Il est destiné aux personnes souffrant d’immobilisation temporaire ou permanente. Une dizaine d’électrodes placées sur son crâne, le patient doit se représenter mentalement les mouvements prescrits par son thérapeute. En temps réel, une interface cerveau-ordinateur permet de décoder les signaux enregistrés. Dans le jeu vidéo, les actions réalisées mentalement sont reproduites par un avatar. Le cerveau envoie simultanément un signal électrique en direction des muscles qui se contractent. Le prototype, qui éviterait l’atrophie, est actuellement testé sur dix sujets sains et devrait l’être avant l’été sur des patients malades. ◊
Innova 35
CIVILISATION
PETITS
ARRANGEMENTS AVEC
L’HISTOIRE
Assassin’s Creed Unity/Ubisoft
L’HISTOIRE EST UN RÉSERVOIR INÉPUISABLE D’UNIVERS POUR LES CONCEPTEURS DE JEUX VIDÉO. MAIS IL N’EST PAS FACILE D’ÊTRE FIDÈLE AU PASSÉ TOUT EN RESTANT UN JEU.
[ PAR ANAÏS DRAUX ET AMAURY LELU ]
Vingt mille hommes, 6 millions de tonnes de pierre et vingt ans ont été nécessaires à la construction de la première merveille du monde, la pyramide de Kheops. Un tombeau que le joueur peut explorer sur l’extension Discovery Tour Assassin’s Creed Origin. Soixante-quinze visites qui permettent de s’instruire sur l’Égypte antique : une immersion dans la vie quotidienne et culturelle de l’époque. Ici, le jeu se transforme en musée interactif. Les jeux vidéo inspirés par l’histoire ne sont pas nouveaux. « Le récit historique fournit un environnement clef en main », explique Marc Marti, enseignant- chercheur à l’université de Nice. Le studio français Ubisoft collabore avec des historiens pour légitimer la véracité de ses jeux. Mais le Discovery Tour pose une question : où est le divertissement quand la seule action du joueur est de suivre une visite guidée ? L’histoire est une succession de faits tandis qu’un jeu vidéo doit prendre en compte les actions du joueur. Tout l’enjeu des créateurs est de trouver une harmonie entre le ludique et l’histoire. Vêtements, manières de parler, tout est mis en place pour plonger le joueur dans un
Dans la série Assassin’s Creed, le réalisme des lieux est époustouflant.
contexte historique. Les concepteurs du jeu vidéo Kingdom Com Deliverance l’ont bien compris. Le héros est le fils d’un forgeron du royaume de Bohême au XVe siècle. Pour plus de réalisme, les concepteurs ont reproduit la gestuelle des maîtres d’armes et d’amateurs pour les scènes de combat. Le joueur est alors confronté à des adversaires de différents niveaux. Mais, le respect de l’histoire peut altérer le gameplay. Des fiches de l’histoire médiévale sont accessibles au cours de la partie. Le jeu est moins ludique et donc moins attrayant. LE RÈGNE DE L’HISTOTAINMENT
« Si on reproduit exactement les actions de l’histoire, ça n’a aucun intérêt, il n’y a plus de jeu », admet Marc Marti. En effet, dans les serious games – jeux sérieux qui combine intention pédagogique et environnement ludique du jeu vidéo –, l’utilisateur est plus souvent spectateur que joueur. Pour l’historien Thomas Rebino, les représentations de l’histoire dans les jeux vidéo s’orientent plutôt vers l’histotainment. Une contraction d’history, histoire, et entertainment, divertissement. En général, l’histoire n’est qu’un décor au service du jeu. Les deux grandes guerres mondiales arrivent sur le podium des contextes histo-
riques favoris des joueurs. Pas étonnant donc que l’éditeur du jeu Battlefield 1 ait choisi la période de 1914-1918. Mais les concepteurs ont pris quelques libertés et les anachronismes s’accumulent. Ici, pas de tranchées, les plaines et les villes sont favorisées pour éviter une guerre statique. Les soldats portent des armes automatiques alors qu’elles n’étaient encore que des prototypes à l’époque. « Le respect du détail peut aller à l’encontre de ce qui serait un plaisir ludique », précise Marc Marti. Plus le jeu vidéo est spectaculaire, plus l’utilisateur prend du plaisir. Animé par les souvenirs du front de son arrière-grand-père, Yoan Fanise a développé 11-11 Memories retold. À sa sortie en 2018, la critique fait les louanges de son réalisme malgré quelques pas de côté historiques. Des vidéos sur le travail des historiens sont disponibles dans le jeu. Pour accéder à ces making-of, le joueur doit récupérer tous les documents d’archives. « Ces informations ne sont pas imposées comme dans un cours d’histoire mais sont vues comme des récompenses que le joueur va chercher », explique Yoan Fanise. Un pari réussi pour 11-11 Memory retold qui respecte les grandes lignes de l’histoire tout en proposant un gameplay attractif. ◊
36 Innova
JNOUS
PETITS ENTRE
EUX
PSYCHO
LE JEU VIDÉO S’IMMISCE DANS LE QUOTIDIEN DES AMOUREUX. SI SA PRATIQUE NE TOMBE PAS DANS L’EXCÈS, IL PEUT SE RÉVÉLER COMME UN NOUVEAU TERRAIN DE JEU.
Le jeu vidéo est entré dans sa vie malgré elle. C’était il y a quatre ans et demi, au moment de sa rencontre avec Ivan. À l’époque, celui-ci vit à Paris. « Même quand il rentrait de la capitale, on ne se voyait jamais vraiment parce qu’il jouait tout le temps », confie Théa, 25 ans, étudiante en diététique. Elle vit désormais à Lyon avec lui. Il n’est pas rare que ce dernier passe la soirée sur sa console et la rejoigne au lit à 4 heures du matin. Le fautif dans l’histoire ? Le jeu vidéo League of Legends. Des batailles épiques qui se jouent en réseau sur une planète lointaine. Au début, Théa avait du mal à comprendre qu’Ivan passe tout ce temps avec ses compagnons d’armes virtuels. Elle a fini par l’accepter. Des témoignages comme celui-ci, il en existe beaucoup. D’après une étude Ifop réalisée en 2018, 70 % des personnes qui vivent en couple jouent à des jeux vidéo contre 64 % de célibataires. Lorsque la pratique devient trop excessive, le jeu vidéo se fait au détriment d’autres moments passés à deux. Heureusement, la partie n’est jamais jouée d’avance. Tout est question d’atomes crochus et de dosage. À force d’écoute et de dialogue, il est possible pour les amoureux de trouver des terrains d’entente. Voire même de découvrir de nouveaux terrains de jeu. Comprendre la passion de l’autre, c’est aujourd’hui la démarche de Théa. « Maintenant, je regarde et comprends le jeu. D’une certaine manière, je me dis que League of Legend, c’est son sport, comme j’ai le mien », dit-elle. Être en couple suppose d’accepter l’autre dans son entièreté. Or, pour de nombreuses personnes, le jeu vidéo fait partie de leur identité. « Le choix amoureux est souvent névrotique, ce n’est pas parfait, explique Michael Stora, psychanalyste et président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences
Photos : Ana Rougier/EPJT
[ PAR FLORE CARON, ANA ROUGIER ET OUSMANE YANSANE ]
Parmi les personnes en couple, 70 % jouent à des jeux video. Mais parmis les célibataires, les joueurs ne sont que 64 %. C’est le résultat d’une étude Ifop réalisée en 2018.
umaines. L’accordage est lié à des difféh rences qui peuvent se compléter tel un puzzle. » Charlotte, agent immobilier, et Kevin, maçon, semblent être parvenus à s’accorder. Mariés et parents de deux enfants, ils ont réussi à trouver le bon équilibre entre leur vie de famille et le jeu vidéo. Kevin est un amateur de jeux, ce n’est pas le cas de sa femme. Voir son mari les mains vissées aux manettes le week-end n’a pas été chose facile. Mais Kevin n’est pas resté sourd face aux plaintes de Charlotte. Il a remis son couple au cœur de ses priorités et a décidé de ne plus jouer tous les soirs. Dans la famille, Kevin partage sa passion avec son fils aîné, 7 ans. Le jeu vidéo est de-
venu un plaisir partagé. Un rendez-vous entre générations. Kevin fait découvrir à son fils des jeux qui ont bercé son enfance. Crash Bandicoot, par exemple, un jeu de plateforme dans lequel ils endossent l’un après l’autre le rôle du héros. Leur mission : éradiquer la pollution, sauver la petiteamie du héro et le monde. Une aventure sur mesure pour un parent et son enfant. Charlotte aime observer leurs parties complices. À une condition : « Ne jouer qu’à des jeux non-violents. » D’un certain côté, elle se sent rassurée quand son fils joue avec son père. « Cela nous permet d’avoir un regard sur ce qu’il fait. » Elle participe parfois. Et leur fait facilement comprendre à quel moment il faut arrêter.
Innova 37
DOSSIER
Contrairement aux idées reçues, le jeu n’a pas forcément un impact négatif sur la vie conjugale. Équilibre et partage sont des éléments essentiels.
Le jeu n’a pas forcément un impact négatif sur la vie conjugale. Il peut même parfois être le ciment du couple. À condition qu’il soit une passion commune comme pour Yann et Ophélie. Ils sont mariés et passionnés par le jeu sous toutes ses formes : cosplay, jeux vidéo, jeux de plateau, etc. « Avec ma femme, on joue tous les jours au moins deux heures. Et le week-end, on y passe quatre heures minimum. » Yann est même en train de créer son propre jeu. Ophélie l’aide à faire le design. Il a eu plusieurs relations avant elle, mais aucune n’a fonctionné. Ses anciennes partenaires ne comprenaient pas sa passion, du « temps perdu », selon elles. Désormais, avec sa femme, c’est un amour mais aussi une amitié très forte qui s’est nouée grâce au jeu. Les moments entre amis n’y échappent pas : ces derniers sont tous gameurs et viennent aux soirées avec leur ordinateur pour passer un bon moment. Écrans, jeux et manettes font partie du paysage quotidien des deux Stéphanois. Et pour Yann, « dès lors que l’on joue sur la même machine, ça rapproche », explique-t-il. Selon le psychanalyste Michael Stora, « le jeu vidéo est capable de consolider le couple et sert de médiateur ». Il permet même de faire des rencontres. Un de ses patients a rencontré toutes ses partenaires de cette manière. « C’est parce qu’il a une certaine aura, c’est souvent le cas des très bons joueurs. Les filles sont impressionnées », analyse-t-il. Le jeu permet plus simplement de partager des moments complices : « Dans certains jeux en ligne, il
existe des guildes, des regroupements de joueurs. Certains couples appartiennent à la même et jouent ensemble avec d’autres pendant quelques heures. Cela renforce leur complicité », détaille Michael Stora. Betty et Nicolas, se sont connus il y a neuf ans sur un forum de rencontre. Comme Yann et Ophélie, ils sont fans de jeux en tout genre. À Luzillé (Indre-et-Loire), ils en possèdent une trentaine, jeux de plateaux comme de société. « Heureusement, la maison est grande », s’amuse Betty. Cette passion doit se concilier avec les emplois
Le couple fusionnel en soi, où le plaisir serait finalement d’être tout le temps à deux, je n’y crois pas. Accepter que l’autre puisse avoir des espaces à lui, c’est primordial. Comme sortir entre potes ou entre copines » Michael Stora Psychanalyste
du temps de chacun. Betty est enseignante. Son métier lui prend du temps et la fatigue. Yann est dessinateur industriel. Il est fan de rétrogaming, des jeux vidéo sortis entre les années soixante-dix et quatre-vingt-dix. Le couple se retrouve quelques heures par mois autour de ce loisir. Lorsqu’ils jouent ensemble, le temps passe très vite. « Pendant les vacances de février, on a joué trois jours à un jeu de plateau sans s’arrêter », raconte-t-elle. Même quand il prend une place importante dans la vie de couple, le jeu n’est pas nécessairement la seule activité des amoureux. Par exemple, Betty et Nicolas partagent de nombreux goûts musicaux et cinématographiques. Néanmoins, ils ont aussi des moments personnels où ils jouent seuls. « Le couple fusionnel en soi, où le seul plaisir serait finalement d’être tout le temps à deux, je n’y crois pas, déclare le psychanalyste. Accepter que l’autre puisse avoir des espaces à lui, c’est primordial. Comme sortir entre potes ou entre copines. Il faut se nourrir soi-même. » Les plus joueurs de tous ont transformé leurs soirées jeu en veillées érotiques. Rez est apparu dans les années deux mille. Il est livré avec une souris rectangle – le Trans Vibrator – qui vibre lorsqu’une récompense est attribuée. Créé par Tetsuya Mizuguchi, ce jeu musical et psychédélique n’avait pas, à l’origine, de visée érotique. Mais certains ont décidé de faire de cette souris un sextoy. Le Trans Vibrator permet donc de combiner plaisir sexuel et virtuel. Un partage à ne pas négliger. ◊
BANG PC
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NOUILLES, SODAS ET PC DERNIÈRE GÉNÉRATION. EN CORÉE DU SUD, CES CYBERCAFÉS, TRÈS PRISÉS DES JEUNES, OFFRENT DES CONDITIONS OPTIMALES POUR JOUER ET DÉCOMPRESSER. LEUR HISTOIRE EST INDISSOCIABLE DE CELLE DES JEUX VIDÉOS. [ PAR THÉO LEBOUVIER, À SÉOUL ]
elles-là sont mes préférées ! » se réjouit Hyewon Baik face à un impressionnant bol de nouilles rougeâtres. Large sweat-shirt, fines lunettes rondes et masque antipollution baissé pour pouvoir manger, l’heure est à la détente. Enfoncée dans une chaise trop grande pour elle, l’étudiante de 21 ans n’est pas seulement venue pour manger. À côté du bol, sa main droite est posée sur une souris d’ordinateur et sa main gauche tape sur un clavier lumineux. En face, l’écran, à moitié caché par un verre de soda, affiche le lancement d’une partie du jeu vidéo League of Legends. Installée dans une sorte de petit box, la jeune femme est entourée par plus de 160 ordinateurs. Nous sommes au Mr. 5, l’un des nombreux PC bangs d’Anam, quartier de l’est de Séoul. Ces cybercafés façon coréenne sont extrêmement populaires chez les jeunes. Ouverts vingt-quatre heures sur vingtquatre, ils permettent de jouer dans des conditions optimales (connexion stable et puissante, chaises de gaming, écran dernière génération) pour seulement 70 centimes d’euros de l’heure. « Dès que j’ai un moment, je vais au PC Bang pour jouer à League of Legends et manger. C’est parfait pour retrouver ses amis », explique Hyewon Baik. Devenus de véritables institutions en Corée du Sud, ces lieux ont contribué à la popularité du jeu vidéo dans le pays. On en compte des dizaines dans les rues de Séoul. Leur origine est pourtant le fruit d’un improbable concours de circonstances. Dès le début des années quatre-vingt-dix, le gouvernement coréen prend un pari risqué : Internet. L’État espère que l’industrie high-tech sera une solution à la crise économique qui menace alors le pays. Les premiers PC bars ouvrent leurs portes. Ce sont de simples cafés qui mettent à disposition quelques ordinateurs. Leur nom, Jusik-Bang’s (salle d’échange d’actions), est trompeur : on y travaille plus qu’on y spécule sur les marchés financiers. Mais en 1997, la Corée du Sud subit de plein fouet la crise financière. Des milliers
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THEORY
Véritable emblème d’un pays qui a pris le pari du numérique, les PC bangs illuminent, jour et nuit, les rues de Séoul. Ils ont contribué à l’explosion du jeu vidéo dans le pays et au développement du e-sport.
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Photos : Théo Lebouvier/EPJT
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Hyewon Baik, étudiante, profite de sa pause déjeuner pour se rendre dans son PC bang préféré et jouer à Leagues of Legends.
de jeunes travailleurs perdent leur emploi. L’année suivante, Starcraft, un jeu de stratégie en temps réel arrive sur les écrans de la péninsule. Pour tous ces jeunes chômeurs, il devient un moyen idéal de s’évader de l’atmosphère morose de l’époque. Seulement, pour en profiter, une connexion stable est nécessaire. Ils prennent donc le chemin des PC cafés. Ceux-ci, souvent fondés par des chômeurs, changent alors de formule pour se consacrer principalement à Starcraft. Ils prennent le nom de PC bangs. En moins d’un an, plusieurs milliers d’entre eux ouvrent leurs portes. « À l’inverse d’autres petits business qui nécessitent des compétences spéciales, gérer un PC bang ne requiert aucune qualification. Et la demande était si forte qu’y investir s’avérait très vite rentable », se souvient Inkyu Kang, professeur à l’université d’État de Pennsylvanie (ÉtatsUnis) et spécialiste des PC Bangs. Cet engouement pour Starcraft est à l’origine du développement du e-sport (sport électronique) en Corée du Sud. « À l’époque, le concept d’e-sport est encore flou et les structures instables. Les seuls endroits où l’on peut jouer de manière vraiment compétitive sont les PC bangs. Les éditeurs de jeux y organisent donc des compétitions », explique Samha Choi, professeur à l’université de Sogang et spécialiste de l’e-sport. Au début des années deux mille, l’explosion de Lineage, jeu de rôle coréen en ligne, provoque une effervescence d’un genre nouveau. Il pousse les joueurs à se regrouper en
guilde afin de s’entraider. Le succès est tel que certains PC bangs commencent à s’affilier aux principales communautés de joueurs. En échange de leur fidélité, ils offrent des réductions et des privatisations ponctuelles. La frontière entre in game (dans le jeu) et in real life (dans la vie) n’a alors jamais été aussi mince. Aujourd’hui, les PC bangs servent toujours de terrain d’entraînement pour les professionnels. « Les cybercafés coréens sont des endroits où un très grand nombre d’amateurs s’entraînent dans l’objectif de devenir pro, analyse Samha Choi. Bien sûr, certaines équipes ont leur propre salle, mais la LégendeNatio. Unt a dolorunt as nonet aut pliqui dolorpos quam nonest eos volupta speria
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C’est la somme modique,en euro, qu’il en coûte par heure pour profiter d’un connexion puissante, de chaises de gaming et d’écrans haut de gamme.
majorité s’en tient toujours aux PC bangs. » Sous l’impulsion des communautés de joueurs, les PC bangs sont devenus, au fil des années, des lieux qui vont au-delà du gaming pour la jeunesse coréenne. Les premiers étaient majoritairement des espaces sombres, bruyants, noyés dans des nuages de fumée de tabac. « À l’époque, l’odeur de cigarette, omniprésente, était si forte que les parents s’en servaient pour vérifier si leur enfant était allé s’amuser en secret, se rappelle Jin Woo Yu, un habitué des lieux. Les salles ont alors mis à disposition des jeunes des bombes de Febreze pour masquer l’odeur. » Mais en 2012, le gouvernement interdit de fumer dans les lieux publics. Les PC bangs sont obligés de faire peau neuve et en profitent pour attirer une nouvelle clientèle, notamment les femmes et les couples. Au Mr. 5, Song Dong Ho déambule entre les rangées de PC. À seulement 26 ans, il en est le gérant. « Aujourd’hui, il y a très peu de différences en terme d’équipement entre les PC bangs. C’est au niveau des services qu’il faut se démarquer pour faire marcher son affaire. » Pour cela, le jeune entrepreneur ne lésine pas sur les moyens : son établissement offre une cuisine haut de gamme, un étage privatif, une « salle de repoudrage » pour la gent féminine. Il y a même des « espaces couple » destinés aux tourtereaux en quête d’intimité. Ces petits box, de plus en plus répandus, rencontrent un franc succès. « C’est un bon endroit pour un rencard, affirme Hyewon Baik. Ça m’arrive de venir avec mon petit ami. Jouer
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Photos : Théo Lebouvier/EPJT
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Après la crise économique de 1997, des chômeurs ont su saisir l’opportunité et se convertir au commerce florissant des cybercafés. Mais la concurrence est rude. Pour se différencier, les jeunes entrepreneurs développent des services annexes : restauration, hôtellerie, espaces couples…
aux jeux vidéo ensemble est un bon moyen de se connaître. Lorsqu’on joue, on montre son vrai visage. » Grâce à tous ces nouveaux services, on ne va plus au PC bang seulement pour jouer. On y vient aussi pour manger et se socialiser. « Au lycée, quand tu es un garçon, si tu ne vas pas au PC bang, tu finis sans amis, résume Jin Woo Yu. Mais de toute manière, c’est un peu la seule alternative pour s’amuser. Tout le reste est soit trop cher, soit inaccessible. » La société coréenne est indirectement responsable du succès fulgurant des cybercafés. La pression scolaire en est la cause. « C’est vraiment difficile de trouver de la
satisfaction dans les études. Cela demande beaucoup d’efforts pour pas grand chose. Du coup, mes résultats, j’ai tendance à les chercher dans les jeux vidéo », explique Jin Woo Yu. La pression du Suneung (examen national d’entrée dans les universités) est particulièrement forte sur les lycéens. Ils sont dans l’obligation d’alterner école et cours du soir. Les PC bangs sont leur seule échappatoire. Ils viennent souvent à l’insu de leurs parents. « Quand tu es à la maison, tu as toujours ta mère ou ton père qui te demande d’arrêter de jouer, poursuit Jin
Les PC bangs ne sont pas responsables des problèmes de dépendance, assure Inkyu Kang, spécialiste du sujet (à droite). Ce sont avant tout des lieux de vie pour jouer et se restaurer.
Woo Yu. Au PC bang, tu es libre, personne ne te surveille… Par contre on voit parfois des parents débarquer furieux pour venir récupérer leur enfant. » Les PC bangs sont parfois aussi le théâtre de toutes les dérives. « J’ai déjà eu affaire à un couple qui passait ses journées à jouer, au point qu’il ne prenait même plus soin de son enfant, se rappelle le gérant du Mr. 5. Le gamin nous appelait pour savoir si ses parents étaient là. Eux refusaient de lui répondre. » Pour Tae-Jin Yoon, professeur à l’université de Yonsei et spécialiste de la cyberdépendance, les PC bangs ne sont pourtant pas à blâmer : « Ce sont avant tout des endroits où les gens se rencontrent. Bien sûr, il y a des personnes souffrant d’addiction qui jouent dans les PC bangs mais ces derniers ne créent pas de dépendance chez les utilisateurs. » Au Mr. 5, la question de l’addiction n’est pas centrale. La clientèle est majoritairement étudiante. Les temps de jeux sont donc relativement courts : une heure pendant la pause déjeuner, deux ou trois entre le lycée et les cours du soir. C’est le cas de Hyewon Baik pour qui le PC bang reste un plaisir occasionnel. Alors qu’elle quitte son poste pour retourner en cours, elle conclut en souriant : « Au final, les PC bangs n’ont rien de spécial. Ce sont juste des endroits où l’on se sent bien. » ◊
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Guardians of Legends
UNE CHASSE MONDIALE
PRATIQUE [ PAR MATHILDE BIENVENU, ISABELLE HAUTEFEUILLE, LÉO LE CALVEZ, ANNE-LAURE THADÉE ET OUSMANE YANSANE ]
Mourir est une routine
Sekiro. Disponible sur Xbox, PS4 et PC – 60 euros (prix indicatif). https://www.sekirothegame.com/fr/
FromSoftware
Cette nouvelle réalisation du japonais Hidetaka Miyazaki est un exploit. Plongez dans le Japon de la fin du XVIe siècle, à l’époque Sengoku. Une période où l’empire du Soleil-Levant était en proie au chaos, aux querelles politiques et aux conflits militaires. Sans armure, le héro meurt facilement.
Une odyssée fascinante
DU RIFIFI CHEZ LES GAFAM Les géants du Web se positionnent sur un nouveau créneau. Leur projet ? Créer leurs propres plateformes de jeux vidéo en ligne en s’inspirant de Netflix. Le must ? Les abonnés auront accès, via une manette connectée au Wi-Fi, à une multitude de jeux. Plus besoin de console. Stadia (Google) et Apple Arcade (Apple) sortiront courant 2019. Ces plateformes seront suivies de près par Project xCloud (Microsoft) Le service d’Amazon, lui, ne devrait arriver qu’en 2020.
Abzû. Disponible sur PS4, Xbox, Nintendo Switch – 20 euros. http://www.abzugame.com/
© 2019 Home Box Office, Inc. All Rights Reserved. Hbo ® And All Related Programs Are The Property Of Home Box Office, Inc.
Giant Squid
Vous serez émerveillés par Abzû, jeu vidéo accessible sur plusieurs consoles. Le joueur incarne un plongeur qui explore les profondeurs océaniques pour résoudre des énigmes. Réalisé par Matt Nava, Abzû est une véritable ode à la méditation. Nager dans des décors somptueux avec les baleines et contempler des coraux multicolores sont unes des missions du jeu.
Le jeu de société Guardians of Legends lance une chasse au trésor mondiale. Au cours d’une partie, les joueurs peuvent chercher des indices afin de déterminer où se trouve le butin. Les créateurs font miroiter une œuvre d’art d’une valeur de 210 000 euros. Une tactique qui semble fonctionner puisqu’avant même sa mise sur le marcher 8 000 exemplaires avaient déjà été précommandés. Disponible en magasin ou à commander sur : https://www. guardiansoflegends.com/
JEU X GRANDEUR NATURE NOUS IRONS TOUS AU BOIS
Trouverez-vous le trésor dans la forêt de l’Oise ? L’Escape Forest est un escape game en pleine nature. Pendant deux jours et une nuit, il vous faudra résoudre des énigmes et suivre un jeu de piste. Vous logerez dans une cabane hantée ou dans une tente. Jusqu’à 24 aventuriers peuvent participer à l’aventure. L’occasion de se reconnecter avec la nature.
À partir de 149 euros par personne, Le bois de Rosoy. https://www.leboisderosoy.com/ escape-forest/
SUR LE TRÔNE
Pour fêter l’arrivée de l’ultime saison de Game of Thrones, rien de mieux qu’une chasse au trésor. De mi-mars à miavril, la chaîne américaine HBO a proposé aux fans de retrouver six répliques du trône de fer cachées dans le monde entier. Une tâche particulièrement difficile puisque les planques étaient perdues au milieu de la nature. Visibles sur des vidéos à 360°, leur emplacement a été dévoilé au fur et à mesure. À chacun sa solution pour arriver le premier. C’est un drône qui a permis à un photographe et sa compagne de découvrir le trône du nord en Suède. La récompense : une couronne et, surtout, la satisfaction de s’asseoir sur LE trône de fer. Game of Thrones, l’intégrale des saisons 1 à 8 est disponible en exclusivité à la demande sur OCS.
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PRATIQUE JOUER À L’HÔTEL
COMMONSPOLY : VICTOIRE PAR CHAOS SOLIDAIRE
Le Monopoly est le jeu capitaliste par excellence : s’enrichir au maximum et sans état d’âme. Par opposition, le collectif espagnol Zemo98 a décidé de créer un jeu du nom de Commonspoly. Le but est de collaborer pour accéder à la victoire. Par exemple, au lieu de tomber rue de la Paix, vous pouvez atterrir sur une coopérative ou un FabLab. Le collectif veut revenir à l’esprit de base du jeu originel de 1904 : alerter sur les risques du monopole. Ce n’est en fait que depuis son rachat par Parker Brothers en 1936 que le Monpoly fait l’apologie du profit. Avec Commonspoly, Zemo98 espère sensibiliser les joueurs à l’importance du bien commun. A imprimer sur le site https://commonspoly.cc/ ou de le commander pour 39,99 euros.
NOUVELLES RÈGLES
Period Game
Aux États-Unis, deux designers ont mis au point un jeu éducatif pour lever le tabou sur les menstruations féminines. The Period Game s’adresse aux filles comme aux garçons sous la forme d’un jeu de plateau. Il s’efforce de transformer cette situation en une expérience d’apprentissage amusante. Cartes en main, les joueurs apprennent ce qui se passe dans le corps, à éviter le syndrome prémenstruel ou à choisir leurs protections en fonction de l’abondance des règles. Pour décrocher le titre de « Period Pro », il faut terminer avec une carte de protection d’avance. Le jeu sortira en février 2020.
GLOSSAIRE EXERGAMING Jeux vidéo qui incluent de l’exercice physique. Ces technologies utilisent des détecteurs de mouvements.
39 dollars (environ 35 euros). En précommande sur https://www.periodgame.com/.
GAME DESIGNER Concepteur du jeu, chargé de créer la mécanique, la jouabilité, le scénario… EASTER EGGS Référence culturelle cachée dans une œuvre (livre, film, jeux vidéo…). Dans les jeux vidéo, il s’agit d’un secret à découvrir.
FILM
UN DÎNER PRESQUE JOUEUR
Peut-on perdre ses amis lorsque l’on joue avec eux ? C’est le sujet du film Le Jeu de Fred Cavayé. Lors d’un repas entre amis, tout le monde doit déposer son téléphone sur la table. Dès que quelqu’un appelle les propriétaires des Smartphones, ils mettent le haut-parleur. Le repas se transforme en règlement de compte avec révélations et scènes humaines touchantes.
JEU DE CARTE
THE MOON PROJECT
Topla
Zemo98
Près de Moscou, un hôtel éphémère va s’installer à partir de fin mai. Au premier abord rien de très original : trois chambres, sauna, cheminée, etc. En fait, pas du tout. Le concept s’inspire du Trivial Pursuit. L’hôtel est gratuit et le confort du séjour dépend du niveau de culture générale des voyageurs. Ces derniers doivent d’abord répondre à des questions. En fonction des réponses, ils se verront attribuer un lit king size ou un lit de camps. L’occasion, dans ce cas, de développer une âme d’aventurier.
L’objectif de cet ensemble de jeu (il y en a trois) est de déconstruire les stéréotypes de genre. Il sensibilise les jeunes au principe d’égalité. Dans un mémo sur le thème des métiers, chaque profession est représentée par une femme et par un homme. Dans le jeu des 7 familles, les personnages ne sont que des femmes célèbres. Quant à la bataille, elle met le roi et la reine sur un pied d’égalité. Topla, 38 euros. À commander sur https://playtopla.com/.
JEU DE PLATEFORME Le héros évolue dans un environnement où il doit sauter et grimper pour éviter des obstacles. BÊTA-TESTEUR Individu qui essaie un logiciel avant sa commercialisation pour en détecter les éventuels défauts.
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PRATIQUE
Patrick Kovarik/AFP
... Une fois où il a été mauvais joueur « Cela m’est arrivé en apprenant le tennis à mon fils. Le problème, c’est que je ne suis pas très pédagogue et que j’ai tendance à m’énerver. Avec mon fils cadet, ça s’est mieux passé et je me suis appliqué. A l’âge de 10 ans, il a commencé à me battre et je ne l’ai plus jamais battu. Mais bon ! c’est la vie, ce n’est jamais que du jeu. Je n’ai jamais vraiment été mauvais joueur. Par contre, j’en ai vu beaucoup. Un jour, j’ai assisté à un match de tennis invraisemblable entre François Mitterrand et Jacques Attali. Mitterrand, président de la République, met une balle 2 mètres dehors et dit à Attali qui était son conseiller : « Non ! Non ! Elle est très bonne. » Incroyable ! Quel dommage ! Quand vous jouez face au souverain, c’est difficile d’être naturel. Dans la vie aussi, j’espère être bon joueur. Bon, quand on me pousse dehors comme ça m’est arrivé à TF1 il y a dix ans, je ne le vis pas forcément bien et je couine (rires). »
PLAY LIST
My Game – Deluxe Viva Las Vegas – Elvis Presley BlackJack – Ray Charles Poker Face – Lady Gaga Waking up in Vegas – Katy Perry Tumbing Dice – The Rolling Stones Ace of Spades – Motörhead Jeu – L’Or du Commun Play the Game – Queen La Française des jeux – Fatals Picard Why you Hate the Game – The Game feat Nas Triviale Poursuite – Renaud La partie d’échecs – Jacques Douai Les Échecs – Camille Bazbaz This Game – Parov Stelar Win – Jay Rock Maîtres du jeu – K2R Riddim Jeux Interdits – Narciso Yepes Le Jeu – Eddy Mitchell The Gambler – Kenny Rogers Pedorazu (Tetris) – Tokyo Ska Paradise Orchestra Jouer le jeu – The Pirouettes Losing – H.E.R Jacques a dit – Odezenne The Game of Love – Daft Punk
GAMEPLAY La construction, la maniabilité et la fluidité dans un jeu.
ESCAPE GAME Salle de jeu dans laquelle les participants sont enfermés. Ils doivent sortir en résolvant des énigmes.
COMBO Enchaînement d’actions correctement exécuté dans un temps précis.
UN GRAND MERCI À NOS GÉNÉREUX DONATEURS
Emilie Aguiton, Daniel Arcos, Maël Arcos, Josette Aubin, Cindy Baddi, Pierre Bienvenu, Simon Bolle, Marielle Bruneau, Hadrien C, Marc Caron, Romain Caron, Céline Cer queira, F. Cerqueira, Inès Cerqueira, Amaury Cherchour, Laure Colmant, Pierre-Edouard Deldique, Laurence Draux, Thomas Dupleix, Nathalie Faugeras, Vincent Faure, Lüan Fëa, Camille Fillon, Corinne Guillois, Michelle Hateau, Myriam Hautefeuille, Jean-Luc Le Calvez, Jeanne Le Calvez, Jean-Claude Lelu, LeValeyard, François-Joseph Louiset, Pierre Louiset, Corinne Malbec, Raymond Malbec, Renée Masson, Véronique Masson Thadée, Mama 1874, Mc Nguy, Emilie Mette, Julienne Neuhaus, NessU, Dominique Peyraud, Ka Rim, Genevieve Rouault, Pascal Rougier, Isabelle Roussel, Marie-Françoise Séné,Céline Tramontin, Enzo Tramontin, Brigitte Travers, Rémi Vachon
TWISTS Élément du jeu auquel le joueur ne s’attend pas qui surgit au cours du jeu.
SERIOUS GAME Pratique ludique associant le jeu et la pédagogie.
À travers ce livre, vous assistez à la naissance des jeux vidéos. Un voyage à la rencontre des précurseurs qui ont marqué cette industrie par la création des toutes premières consoles. Préhistoire du jeu vidéo – Damien Djaouti – Éditions Ludoscience (janvier 2019).
Dans cet essai, Socrate rencontre Mario Bros pour réfléchir à ce qu’est un jeu vidéo. Le philosophe Mathieu Triclot décortique l’histoire et la place de cette pratique dans notre société. Philosophie des jeux vidéos – Mathieu Triclot– Éditions Zones (mai 2015).
ONISEP
…Une fois où il a été bon joueur « Je pratique le tennis et, dans ce domaine, je pense être bon joueur. En revanche, je ne joue pas très bien (rires). De façon générale, je suis plutôt fairplay, c’est du moins ce qu’on me dit autour de moi. Je n’ai pas toujours été comme ça. Au tout début j’étais un peu nerveux. »
Éditions LudoScience
[ PAR OUMY DIALLO ET ÉLODIE CERQUEIRA ]
Éditions Zones
PPDA RACONTE…
LIVRES
À l’attention des jeunes qui souhaitent s’orienter professionnellement dans les jeux vidéos mais aussi à leur parents (inquiets) qui pensent qu’un joystick ne sert qu’à piloter des avions. Les Métiers du Jeu Vidéo – Ouvrage collectif aux éditions de l’Onisep (2015).
#SOFRESH*
*TROP FRAIS !
INSCRIS-TOI SUR AIDES YEPS.FR INFOS BONS PLANS ... Plus qu’une Région, une chance pour les jeunes
Création : Région Centre-Val de Loire - 07/2018
LA RÉGION CENTRE-VAL DE LOIRE CRÉE YEP’S, LE PASS DES JEUNES !