MAGAZIN - MARS 2020 - N˚1 - 2 EUROS
MAGAZINE DE L’ÉCOLE PUBLIQUE DE JOURNALISME DE TOURS (EPJT)
LA DÉMOCRATIE
CHANGE DE MAINS
LA CONVENTION CLIMAT CÔTÉ COULISSES
150 CITOYENS PLANCHENT POUR TROUVER DES SOLUTIONS SENSÉES ATTÉNUER LES GAZ À EFFET DE SERRE DE LA FRANCE.
LES BONNES AFFAIRES DE LA PARTICIPATION DES ENTREPRISES DU NUMÉRIQUE SE SONT EMPARÉES DU MARCHÉ DE LA PARTICIPATION. ELLES EN TIRENT DES BÉNÉFICES. LES CITOYENS, EUX, PAS TOUJOURS.
PARTICIPER C’EST POUVOIR Dès l’école, la désignation des délégués de classe nous a initiés à la démocratie, à ses procédures et à ses cérémoniaux. C’était presque un jeu. Dans le monde des grands, voter n’a plus rien de ludique. Tous les cinq ans, la France entre en ébullition pour se choisir un chef. On se rue aux urnes – et encore, de moins en moins – et puis tout retombe. On élit aussi son député ou son maire, et puis on rentre chez soi. La démocratie, nous apprenait-on en cours d’éducation civique : c’est le gouvernement « du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Pourtant le peuple ne gouverne pas. Il choisit son représentant puis le regarde faire plus ou moins bien son travail. Plus ou moins efficacement. Plus ou moins moralement. « Lassitude », « morosité », « méfiance » sont les trois mots qui expriment le plus « l’état d’esprit actuel » des Français, d’après le baromètre du Cevipof de janvier 2019. Pire, pour 70 % d’entre eux, la démocratie ne fonctionne pas bien. Mais le système représentatif dans lequel nous vivons n’en est qu’une variante. Des alternatives existent. Moins accessibles, peut-être. Moins médiatiques, sans doute. Mais assurément plus proches des gens. Elles se regroupent derrière l’expression de « démocratie participative ». Du comité de quartier à la concertation nationale, la démocratie participative invite les citoyens à décider ensemble de leur avenir. À égalité. Ce premier numéro de Magazin, le magazine de l’École publique de journalisme de Tours, vous emmène à la découverte des initiatives qui font souffler un vent de fraîcheur sur notre vieille Ve République. Sans oublier celles qui n’ont pas pu aboutir. Magazin plonge au cœur des négociations de la Convention citoyenne pour le climat, voulue par le gouvernement. Là où 150 citoyens tirés au sort cogitent pour formuler des propositions concrètes destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce numéro vous guide aussi dans les ruelles de Vandoncourt, le « village aux 600 maires ». Pionnière de la démocratie locale, exemple de participation citoyenne, cette petite commune du Doubs porte en elle les contradictions de la démocratie participative : l’extrême droite s’y est, par exemple, imposée aux élections présidentielle et européennes de 2017. Au fil de ce numéro, on découvre combien l’idéal démocratique peut devenir un merveilleux terrain d’innovation… Autant qu’un juteux marché, prisé par de jeunes entreprises du numérique. À quelques semaines des élections municipales, Magazin explore toutes les facettes de la si prometteuse « démocratie participative », dans ses réussites comme dans ses échecs. De quoi inspirer les citoyens. Et inviter, aussi, les élus à partager le pouvoir. LA RÉDACTION
SOMMAIR
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ENQUÊTE
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GRAND ENTRETIEN
LE POLITOLOGUE LOÏC BLONDIAUX ANALYSE LE PHÉNOMÈNE PARTICIPATIF ET PLAIDE POUR PLUS D’ENGAGEMENT CITOYEN.
17 SECRETS D’HISTOIRE DE LA GRÈCE ANTIQUE À PORTO ALEGRE, COMPRENDRE L’ÉVOLUTION DE LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE EN CINQ DATES CLÉS.
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UN VILLAGE ÉPROUVETTE À L’HEURE DES COMPTES
À L’APPROCHE DES ÉLECTIONS, C’EST L’HEURE DU BILAN POUR L’ÉQUIPE MUNICIPALE DE SAILLANS, UN PETIT VILLAGE DE LA DRÔME. QUELQUES RÉUSSITES, DES ÉCHECS AUSSI.
MAGAZIN n°1. Mars 2020. Magazine de l’École publique de journalisme de Tours / Université - IUT de Tours, 29 rue du Pont-Volant, 37002 Tours Cedex. - Tél. 02 47 36 75 72. ISSN : (en cours). Directeur de publication : Laurent Bigot. Rédactrice en chef : Mariana Grépinet. Chef d’édition : Mathias Hosxe. Directeur artistique : Stéphan Cellier. Conseil éditorial : Laure Colmant. Rédaction (Master 2 Journalisme, spécialité Presse écrite) : François Blanchard, Barbara Gabel, Victoria Geffard, Tanguy Homery, Marine Langlois, Dorian Le Jeune, Emmanuelle Lescaudron, Margaux Masson, Juliette Moreau Alvarez, Simon Philippe, Chloé Rebaudo & Maïlis Rey-Bethbeder. Secrétariat de rédaction : François Blanchard, Emmanuelle Lescaudron, Simon Philippe et Maïlis Rey-Bethbeder. Maquette : Dorian Le Jeune, Marine Langlois, Margaux Masson et Juliette Moreau Alvarez. Iconographie : Margaux Masson. Illustrations (Édito et Histoire) : Dorian Le Jeune. Photo couverture : Victoria Geffard. Publicité : Margaux Masson et Simon Philippe. Imprimeur : Picsel, Tours.
AU CŒUR DU DÉMOCRATIE-BUSINESS DE NOMBREUX ACTEURS DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE S’EMPARENT DU MARCHÉ DE LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE. À TOUT PRIX ?
BUDGETS PARTICIPATIFS
LORSQUE LES COLLECTIVITÉS LAISSENT AUX CITOYENS LE CHOIX DE QUELQUES DÉPENSES, DES PROJETS ORIGINAUX VOIENT LE JOUR.
L’EUROPE RÉINVENTE LA DÉMOCRATIE
DU RÉFÉRENDUM AU G 1000, DES NATIONS MOBILISENT LEUR POPULATION.
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AUX RACINES DE LA PARTICIPATION REPORTAGE À VANDONCOURT, DANS LE DOUBS, LE « VILLAGE AUX 600 MAIRES » OÙ CHAQUE HABITANT A SON MOT À DIRE DEPUIS 1971.
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CONVENTION CLIMAT, DES CITOYENS DÉTERMINÉS MAIS SCEPTIQUES ILS SONT 150 INVITÉS À PLANCHER SUR LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE DU PAYS. AUJOURD’HUI, CERTAINS D’ENTRE EUX DOUTENT DE L’UTILITÉ DE LEUR TRAVAIL.
LE HASARD FAIT BIEN LES CHOSES LE TIRAGE AU SORT POURRAIT AMÉLIORER LA REPRÉSENTATIVITÉ DU PEUPLE. DES EXPERTS ANALYSENT LES ENJEUX DE LA « LOTOCRATIE ».
PORTRAIT
JEUNE POUSSE DE LA POLITIQUE
EX-GILET JAUNE, AURÉLIA ROUSSEEUW EST ENTRÉE EN POLITIQUE. PORTRAIT D’UNE NÉOPHYTE À LA TÊTE D’UNE LISTE CITOYENNE À AMFREVILLELA-MI-VOIE (76).
QUAND LES POUVOIRS PUBLICS S’EMMÊLENT
UNE INSTANCE PARTICIPATIVE ÇA VA… QUAND ELLES SE SUPERPOSENT :TOUT SE COMPLIQUE.
EN BREF
MORCEAUX CHOISIS, DOC, LECTURES, PLAYLIST ET REMERCIEMENTS À NOS CHERS DONATEURS.
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ENTRETIEN
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« LES CITOYENS ONT TOUJOURS DEMANDÉ
À ÊTRE ENTENDUS » ALORS QUE NOMBRE DE CANDIDATS AUX MUNICIPALES PROMETTENT DAVANTAGE DE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE, LE POLITOLOGUE LOÏC BLONDIAUX ESTIME QU’IL S’AGIT D’UN IMPÉRATIF POUR NOTRE RÉPUBLIQUE. [ PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PHILIPPE ET CHLOÉ REBAUDO ]
Comment définiriez-vous la démocratie participative ?
Dans sa définition la plus courante, la démocratie participative renvoie à la mise en place de dispositifs pour associer les citoyens au processus de décision, entre deux élections. On se situe là dans l’orbite de la démocratie représentative et non pas dans une configuration de démocratie directe. Une définition plus large inclut toutes les démarches qui se mettent en place à l’initiative des citoyens, tels que les budgets participatifs ou le mouvement des Gilets jaunes. Il faut alors distinguer la démocratie participative descendante, décidée par les pouvoirs publics, et l’ascendante, qui est plus informelle. On peut évoquer l’exemple de Nuit debout, des comités de citoyens ou bien d’une assemblée citoyenne. Vous étudiez ce thème depuis une quinzaine d’années. Avez-vous constaté une évolution de la demande de démocratie participative ?
Le terme de « démocratie participative » apparaît dans les années 1960 dans le vocabulaire politique anglo-saxon. On est alors dans le contexte des mouvements sociaux, de la lutte pour les droits civiques et des mobilisations étudiantes. En France, cette notion est utilisée depuis un peu plus d’une vingtaine d’années. Elle est liée à l’accroissement de la défiance des citoyens envers les autorités politiques et au sentiment que les élections deviennent de moins en
moins légitimes. On a cru pendant longtemps que cette demande sociale de participation n’existait pas. Ce fut le cas dans les années 1990 et 2000, alors que se développaient les premières politiques participatives et que des lois étaient votées pour exiger la participation. Mais en réalité, les citoyens ont toujours demandé à être entendus quand ils étaient directement concernés par un projet ou par une politique. Et encore plus aujourd’hui. De plus, la frange de la population la plus intégrée socialement et éduquée culturellement ne supporte plus qu’on ne prenne pas son avis en compte. Ces citoyens se considèrent légitimes pour contribuer au processus de décision et il faut désormais leur faire une place. Enfin, et on l’a vu avec les Gilets jaunes, il y a une demande de souveraineté politique et de pouvoir direct de la part d’une partie de la population.
Ces derniers réclamaient la création du RIC, le référendum d’initiative citoyenne…
Cette demande des Gilets jaunes est effectivement une forme de démocratie citoyenne ascendante. Cela leur permettrait de s’inscrire d’eux-mêmes dans le processus de décision, en imposant une forme d’ordre du jour. Pourquoi aurions-nous besoin que notre système soit plus représentatif ?
La question du « pourquoi » renvoie à l’idéal démocratique d’autogouvernement. Ce dernier doit faire en sorte que les citoyens puissent définir eux-mêmes les politiques qui les concernent. En France, c’est un peu plus compliqué qu’ailleurs, pour des raisons historiques et juridiques. Nous avons une vision du pouvoir
BIOGRAPHIE Professeur de science politique à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Loïc Blondiaux, 57 ans, travaille sur les enjeux de la démocratie participative depuis quinze ans. Ce diplômé de l’Institut d’édudes politiques (IEP) de Paris, auteur d’une thèse intitulée « La fabrique de l’opinion : une histoire sociale des sondages aux États-Unis et en France (1935-1965), a participé aux travaux sur le « RIC délibératif » [le fameux référendum d’initiative citoyenne] du think tank Terra Nova. Le politologue est également membre, depuis 2019, du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat.
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Katrin Baumann / Convention citoyenne pour le climat
CHRONOLOGIE ENTRETIEN
Loïc Blondiaux, lors de la Convention citoyenne pour le climat au Palais d’Iéna, à Paris, le 5 octobre 2019.
presque exclusivement fondée sur la représentativité et sur l’élection. Les élus disposent du monopole de la définition de l’intérêt général. Nous avons aussi établi une forme de sacralisation du pouvoir politique, en faisant de l’élection le moment exclusif de l’expression politique. Que ce soit à l’échelle locale ou nationale, le pouvoir est peu partagé ; il est entre les mains d’une poignée de personnalités politiques. De plus, les maires, les présidents d’exécutif locaux (conseils régionaux et départementaux) et le président de la République exercent une forme de contrôle du pouvoir législatif. Les réseaux sociaux auraient un rôle à jouer dans l’implication des citoyens. Qu’en pensez-vous ?
Il faut penser la croissance des réseaux sociaux en parallèle de la perte d’influence, d’emprise et de légitimation des structures qui, autrefois, assuraient un lien entre les citoyens et les pouvoirs politiques. Certaines des mobilisations les plus importantes de ces dernières années ont été lancées sur les réseaux sociaux. Ils ont contribué à l’abaissement du coût de l’expression politique en permettant à des citoyens de s’exprimer ou d’accéder à des formes de leadership d’influence. Certains sont même devenus des leaders de mouvements grâce aux
« Que ce soit à l’échelle locale ou nationale, le pouvoir est peu partagé ; il est entre les mains d’une poignée de personnalités politiques »
réseaux sociaux, même si leur légitimité a ensuite pu être contestée sur le terrain, comme on l’a vu avec les Gilets jaunes sur Facebook. Les réseaux sociaux occupent une place laissée libre par les structures qui encadrent le débat public. Sur la toile, il n’y a ni hiérarchisation apparente ni possibilité d’empêcher quiconque de participer au débat, à moins de l’exclure. Toutefois, les formes d’expressions politiques qui s’exercent sur ces plateformes n’ont pas de portée réelle sur le fonctionnement ordinaire des institutions. L’influence directe est donc assez faible. Et si le numérique facilite l’organisation, de rassemblements par exemple, on ne peut pas dire qu’il a transformé le pouvoir. Il existera toujours des
relais dans la rue, car il faut un ancrage concret dans la vie réelle pour qu’il y ait des changements d’importance. La seule prolifération de discours, ou leur juxtaposition, ne suffit pas à créer une délibération. Le fonctionnement des réseaux sociaux ne le permet pas, d’autant que des campagnes de haines peuvent investir les discussions, via des trolls. Il n’y a donc pas de possibilité qu’une vraie délibération, avec un mode contradictoire, se déploie sur Internet. La démocratie peut aussi être mise à l’épreuve par les réseaux sociaux. Comment limiter les effets pervers ?
La participation en ligne doit être pensée de plusieurs manières. D’abord via des régimes d’interdiction de certaines expressions ou prises de parole. C’est ce qu’on voit avec des propositions de loi comme celle sur les « Fake news ». On se retrouve donc dans une sorte de réactualisation de la censure, pour éviter qu’il y ait, via les réseaux sociaux, l’expression de discours venant déstabiliser la démocratie. Qu’apporte la Convention citoyenne pour le climat, initiée en octobre 2019 par le chef de l’État, avec 150 citoyens tirés au sort ?
Des dispositifs comme celui-là font consensus. D’abord grâce à la représentativité de ceux qui
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ENTRETIEN anticipé un certain nombre de problèmes. Nous ne sommes pas en terrain complètement connu mais pas non plus en terrain inconnu. Guillaume Gourgues* estime que la verticalité des politiques participatives pose problème. Qu’en pensez-vous ?
Didier Goupy/Signatures
Il a raison. Dès lors que l’autorité politique organise d’elle même des initiatives participatives, parce qu’elle est contrainte de le faire, il y a de très faibles probabilités pour qu’elle prenne des risques majeurs. Elle aura du mal à laisser ses citoyens contester ses politiques. Il y a des possibilités de cadrage et des tentations de verrouillage de la participation qui sont tentantes et possibles de la part des autorités politiques. La plupart des expériences de politiques participatives présentent des limites. Elles se heurtent toujours au monopole de la décision des élus et au fait qu’ils ne souhaitent pas partager leur pouvoir.
participent, c’est-à-dire, au fait qu’ils ressemblent, dans leur diversité, à la population. Puis grâce à la qualité du processus au travers duquel ils vont finir par faire des propositions. Cela implique une information. Des citoyens sont exposés à des discours d’experts qui leur permettent d’entrer dans la matière qu’ils ont vocation à traiter, non pas comme des professionnels mais comme des citoyens éclairés. Les échanges en petits groupes ou en assemblée plénière doivent être encadrés non pas par un élu ou un simple citoyen, mais par un tiers organisateur ou garant [personne caution de l’impartialité des débats]. La qualité de la démocratie participative repose beaucoup sur le professionnalisme de ce dernier. Il va s’efforcer de permettre à chacun de s’exprimer pour que le jugement soit produit seulement lorsque le tour des arguments disponibles aura été effectué. À la fin, comptent aussi les modalités mêmes du vote, et de celles de la prise de décision. Tout ça ne s’improvise pas. On a vu avec Nuit debout à quel point il était difficile pour ce type d’assemblée de produire des volontés politiques. Cela nécessite beaucoup de savoir-
faire et d’ingénierie démocratique. C’est finalement sur cela que repose la démocratie participative. De quels modèles étrangers la France s’est-elle inspirée pour mettre au point cette Convention citoyenne pour le climat ?
Nous avons pris plusieurs exemples. D’abord celui de l’Irlande, où des assemblées citoyennes ont produit des réformes constitutionnelles à partir de 2011 (voir carte p.18-19). Deux d’entre elles ont été soumises au référendum. Le comité en charge de la mise en place de la Convention s’est aussi écarté de ce modèle. La première assemblée irlandaise intégrait, par exemple, des élus. Et le gouvernement irlandais ne s’était pas engagé préalablement à soumettre ses décisions à référendum, comme Emmanuel Macron s’y est engagé. Les politiques étaient davantage à la manœuvre, ce qui n’est pas le cas pour nous. Le comité de pilotage de la Convention citoyenne pour le climat est indépendant. L’organisation de cette convention, même si elle est inédite en France, repose sur les connaissances acquises depuis une vingtaine d’années sur la démocratie délibérative. Les organisateurs avaient
Comment les choses pourraient-elles changer ?
Si des responsables se font élire sur cette promesse de politique participative… On l’a vu en Espagne avec des listes municipales issues de plateformes citoyennes ou du mouvement des Indignés, à Barcelone. Elles ont été, parce qu’elles promettaient un changement de paradigme politique, obligées de mettre en place de manière très sérieuse et ouverte des politiques participatives. En France, beaucoup de listes candidates aux municipales ont inclus dans leurs programmes le fait de gouverner autrement. On va peut-être voir les choses changer, puisque si ces listes arrivent au pouvoir et font de la politique comme avant, elles s’exposeront à une critique et une sanction forte de la part des citoyens. Mais encore faudrait-il que ces listes arrivent au pouvoir… n *Les politiques de démocratie participative, de Guillaume Gourgues (Presses universitaires de Grenoble, 2014).
À lire…
La Démocratie des émotions, de Loïc Blondiaux & Christophe Traïni, éd. SciencesPo Les Presses, 21 euros.
CHRONOLOGIE
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SECRETS D’HISTOIRE D’OÙ VIENT LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE ? DE LA GRÈCE ANTIQUE AU MOUVEMENT NUIT DEBOUT, SES RACINES SE LOGENT DANS LES MOUVEMENTS PROGRESSISTES ET CONTESTATAIRES. [ TEXTES : PAR FRANÇOIS BLANCHARD. ILLUSTRATIONS : PAR DORIAN LE JEUNE ]
594 av. J.-C. : Solon pose les bases de la démocratie athénienne Élu archonte, l’un des plus hauts magistrats à Athènes, Solon grave dans le marbre les grands principes du fonctionnement politique de la cité. L’Ecclésia, composée des 45 000 citoyens, est une assemblée qui débat et vote les lois. Les métèques [les étrangers], les esclaves et les femmes en sont exclus. Solon y ajoute l’Héliée, un tribunal populaire composé de citoyens volontaires tirés au sort, qu’ils soient pauvres ou fortunés. C’est une petite révolution alors que le niveau de richesse était jusqu’à présent le premier critère pour occuper des postes de pouvoir.
1962 : naissance de la « démocratie participative » En 1962, les « Students for a Democratic Society », un groupe d’étudiants américains de la mouvance New Left, signent le « manifeste de Port Huron ». Le texte appelle les citoyens à s’impliquer davantage dans la vie politique. Pour la première fois, le terme de « démocratie participative » (participatory democracy) est employé. Ce mouvement progressiste fait des émules et certains États, comme la Californie, instaurent une part de démocratie directe dans leurs institutions. Il faudra attendre les années 1990 pour que l’expression arrive en France.
1791 : la pétition légalisée par la constitution française Deux ans après la prise de la Bastille et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la France se dote enfin d’une constitution. Le roi reste sur le trône mais gouverne désormais au nom du peuple, de la Nation. Le texte laisse voir les prémices d’un lien direct entre les citoyens et leurs dirigeants. La constitution consacre « la liberté d’adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement ».
1989 : Porto Alegre invente le budget participatif À la fin des années 1980, le Brésil tourne la page d’une dictature militaire qui aura duré plus de vingt ans. Les Brésiliens ont soif de démocratie. À Porto Alegre, dixième ville du pays, le maire travailliste Olivio Dutra met en place le premier budget participatif au monde. Le principe : affecter une partie du budget de la collectivité à un projet choisi par les administrés. Le concept séduit et essaime en Amérique latine. En 1996, le budget participatif acquiert une renommée mondiale quand Porto Alegre reçoit, à Istanbul, le prix ONU de l’Habitat.
2016 : les espoirs déchus de Nuit debout En réaction à la loi Travail, dite « loi El Khomri », des manifestants parisiens se réunissent tous les soirs place de la République. Le mouvement gagne plusieurs grandes villes de France et s’élargit à une contestation plus globale de la classe politique. Nuit debout n’a pas de leader : l’autogestion est la règle. Un langage gestuel est adopté par les participants pour débattre et voter. Né à la fin du mois de mars 2016, Nuit debout s’éteint pendant l’été.
ENTRETIEN
MAGAZIN
VANDONCOURT,
Tanguy Homery /EPJT
AUX RACINES DE LA PARTICIPATION CE VILLAGE DU DOUBS FAIT DE SES HABITANTS LES ACTEURS DE LA VIE POLITIQUE LOCALE. LA CONCERTATION CONSTITUE UN ART DE VIVRE ET REDONNE LE POUVOIR AUX ADMINISTRES. [ PAR DORIAN LE JEUNE ]
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Dori
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/E PJT
Cette année-là, l’élection de Jean-Pierre Maillard-Salin (PS) bouleverse la vie du village. Revenu de M adagascar où il a passé plusieurs années, ce fonctionnaire de l’Éducation n ationale, déplore la léthargie de l’équipe municipale. L’exemple africain de l’autogestion l’inspire. Il évalue les besoins des habitants et monte une liste. Son slogan : « Voter pour nos candidats, c’est voter pour vous ». Il met en place des commissions thématiques sur sept sujets (éducation, environnement, urbanisme, culture, action sociale, etc.). Elles permettent à tous les participants de s’exprimer. Dans chacune d’elles, deux élus référents font remonter la synthèse des propositions faites par les habi-
tants au conseil municipal. Ce dernier les met en place, à condition bien sûr qu’elles soient rationnelles et économiquement réalisables. Ses commissions dites « extra-municipales » sont des incubateurs de bonnes idées. « Dans 98 % des cas le Conseil municipal suit leurs propositions », assure le maire en exercice, Patrice Vernier. En 1974, il a 20 ans lorsqu’il réclame, avec d’autres membres du Foyer jeune, une réunion d’urgence avec le Conseil municipal pour faire interdire l’utilisation dans la forêt communale d’un pesticide dangereux. « Les élus ont fini par rompre leur contrat avec l’Office national des forêts », se souvient-il. Au cours des quarante dernières années, de nombreux projets innovants ont vu le jour grâce à ces commissions. Les Damas, le nom des habitants [ hérité d’une prune historiquement cultivée dans le village ], ont acheté un camion-poubelle pour faciliter l’autogestion de la collecte des ordures ménagères, mis en place le tri-sélectif avant même qu’il devienne obligatoire, installé une chaufferie collective alimenté par du bois de la forêt déchiqueté dans le village. Autant de projets appuyés par les élus et les 28 associations du village. an L e je u
Longtemps appelé « village aux 600 maires », Vandoncourt (Doubs)en compte aujourd’hui 830. Ici, tout le monde s’implique dans la vie de la collectivité. Marie Jacquier, 45 ans, dépeint sa commune « où il y fait bon vivre » avec fierté. Ellemême inscrite dans l’association des parents d’élèves, elle raconte qu’ici tout le monde met la main à la pâte. Pourtant, à première vue, ce village ressemble à beaucoup d’autres : des pavillons à l’architecture comtoise typique dispersés ça et là, une école, une épicerie, un gite pour les amateurs de randonnée... Difficile de s’imaginer qu’il existe ici un modèle unique de démocratie directe. Si efficace, d’ailleurs, qu’il fonctionne ainsi depuis 1971.
J.P. Maillard-Salins «est encore dans toutes les discussions », selon les habitants. Des hommages lui sont faits à travers le village, comme ce médaillon dans un batiment voisin de l’école. ou bien cette stèle érigée à côté de la mairie.
ÉPICERIE DEMOCRATIQUE Dorian Le jeune/ EPJT
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La démocratie participative anime le village de Vandoncourt depuis 1971.
L’épicerie naît par ce processus démocratique en 2002. La moitié des D amas était pour son installation, l’autre était contre, par crainte que les impôts locaux ne soient augmentés. Cependant, un référendum donne le « oui » vainqueur. Laure, qui
REPORTAGE
SOCLE FRAGILE
Mais les temps changent. L’élection présidentielle de 2017 a remis en cause les principes défendus par Jean-Pierre Maillard-Salin à son époque et par les deux édiles qui l’ont suivi, J acques R edoutey et Patrice Vernier (Divers gauche). Au second tour des présidentielles, Marine Le P en a recueilli la majorité des voix (50,62 % contre 49,38 % pour Emmanuel Macron). L’abstention n’y est pour rien : 83 % des votants se sont exprimés. « Ce vote va à l’encontre des valeurs que l’on prône à Vandoncourt », regrette Patrice V ernier dans son minuscule bureau de maire. « Ça vient surtout des anciens du village. Ils me disent que ce n’est
Tanguy Homery /EPJT
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Patrice Vernier, maire de Vandoncourt est en route pour un nouveau mandat en vue des élections muncipales de 2020.
pas contre la commune ou contre moi, mais qu’ils ont peur pour leurs petits enfants. Tout ce qu’on voit à la télévision les effraie… » La question du vote RN ne se posera pas aux municipales. Aucune liste ne se présente face à celle de Vernier. Et les habitants sont si nombreux au village à vouloir la rejoindre qu’il a du en refuser. Néanmoins, quelle que soit la volonté du maire ou des habitants, une difficulté commune à la plupart des villages de France refait surface : le manque de moyens. « Avec 45 % de dotations en moins depuis 2014, ce n’est pas simple », déplore le maire. Pour palier à ce manque à gagner, l’ancien attaché territorial de P ays de Montbéliard Agglomération a réduit ses indemnités et celles de ses adjoints. Il pointe aussi l’essoufPiétro vient très régulièrement à l’épicerie du village, créée suite à un référendum.
Dorian Le jeune/ EPJT
a repris l’affaire à l’été 2019, assure que l’épicerie est importante pour les habitants : « C’est l’unique commerce du village, le premier supermarché est à 4 kilomètres. » Entre 100 à 150 personnes y viennent chaque jour. Et les impôts locaux n’ont pas bougé depuis 2003. P ietro, un client régulier de l’épicerie, évoque l’entraide, réputée ici. « Je me souviens d’un hiver où j’ai déblayé la neige à la main avec mes voisins tellement il en était tombé », raconte ce franco-italien de 83 ans devenu V andoncourtois en 1955. Participer à la vie politique du village était une nouveauté pour lui comme pour l’ensemble des habitants. Il regrette qu’aujourd’hui les jeunes soient moins impliqués, moins dynamiques, même s’il admet qu’il faut « que les vieux se retirent pour leur laisser la place ». « On essaie de mobiliser la jeunesse, mais elle n’a plus le même état d’esprit », confirme Véronique Fiers, enseignante et membre du Conseil municipal. Le Foyer des jeunes lance parfois des actions, mais le plus souvent, elles servent davantage à financer leurs activités qu’à participer à la vie du village. La faute aussi à l’époque. « Il y a des lycées à dix minutes de là, mais pour les études supérieures, les étudiants doivent aller jusqu’à Belfort (25 kilomètres), Besançon (80 kilomètres) ou même Lyon (330 kilomètres), explique-t-elle. La plupart ne rentre que de temps en temps le week-end, ce n’est donc pas facile de leurs demander de participer. » Devenue directrice de l’école depuis peu, elle transmet les valeurs chères à Vandoncourt à ses 26 élèves de moyenne et grande section. Chaque année, elle organise une élection dans sa classe pour décider du livre qui sera adapté en production plastique. « Il s’agit d’une véritable élection à bulletin secret, avec un isoloir, une urne, un président de bureau et deux assesseurs, détaille-t-elle. La démocratie est le cheval de bataille de toutes les écoles. Il faut leur expliquer que le vote est le moyen le plus juste de choisir quand on vit ensemble ».
MAGAZIN
flement de la participation. Jusqu’alors, les inscriptions aux différentes commissions n’étaient possibles que tous les six ans, au début de chaque mandat municipal. Certains inscrits sont de moins en moins assidus au fil des années : « Les parents d’élèves, par exemple, cessent de s’impliquer dès lors que leurs enfants grandissent et changent d’école. » Pour maintenir l’engagement des citoyens, l’équipe municipale a décidé de revoir son mode de fonctionnement en renouvelant les inscriptions aux commissions tous les deux ans. LE MODÈLE INSPIRE
« Des candidats aux élections municipales viennent nous voir pour comprendre comment nous fonctionnons », souligne Patrice Vernier. Beaucoup veulent « faire de la politique autrement » et en font un argument de campagne. Mais le maire réélu quatre fois depuis 2001 avertit : « On ne peut pas faire du copier coller. C’est un travail réalisé depuis cinquante ans. » Révolutionner des pratiques ne se décrète pas. Élu pour la première fois en 2001, Patrice Vernier a conservé son rôle sans discontinuer depuis, avec plus de 90 % des voix en 2014. Malgré cette popularité, il sait qu’il devra bientôt céder sa place. « Le prochain mandat servira à faire le tuilage entre mon remplaçant et moi, pour qu’il puisse prendre le pouls de la vie de Vandoncourt », explique-til. Reste à trouver celui qui saura, à son tour, « préserver l’esprit démocratique de Jean-Pierre Maillard-Salin » si précieux au village. n
LABORATOIRE
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Mairie de Saillans
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UN VILLAGE ÉPROUVETTE À L’HEURE DES
COMPTES EN PLACE DEPUIS 2014, L’ÉQUIPE MUNICIPALE DE SAILLANS, PETIT VILLAGE DE LA DRÔME, A PROMU LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE À L’ÉCHELLE LOCALE. À QUELQUES JOURS DES MUNICIPALES, MAGAZIN REVIENT SUR LES RÉUSSITES ET LES ÉCHECS DE CETTE LISTE CITOYENNE. [ PAR TANGUY HOMERY ]
Ne l’appelez pas « Monsieur le maire ». À Saillans (Drôme), Vincent Beillard refuse ce titre alors qu’il est pourtant l’édile de ce petit village de la Drôme. En 2014, les 1 300 habitants ont majoritairement voté pour sa liste. Avec ses colistiers, Vincent Belliard ne portait qu’une seule revendication : impliquer les Saillansons dans la vie politique locale. Pas de programme. Pas de tête de liste. Six ans plus tard, le système est encore debout… Comment ce village a-t-il pu en arriver là ? Historiquement ouvrier, Saillans s’est progressivement vidé de ses classes populaires avec la fermeture d’une usine de textile, principal employeur du village, en 1968, rappelle Mario Bilella, doctorant en sciences politiques à l’université Paris-1, dans « Prôner la participation, chercher la distinction » (revue Études rurales, 2019). En parallèle, de nombreuses boutiques et des galeries d’art ont ouvert, un festival de cirque et une compagnie de spectacle ont été créés. Ainsi, la vallée de Saillans est devenue « prisée par le monde artistique », explique l’universitaire. Puis vient l’élément déclencheur. UNE CAUSE COMMUNE
À la fin des années 2000, la population se fédère contre un projet de supermarché qui devait être installé en périphérie du village, avec l’accord du maire en place. Craignant la désertification du bourg, les habitants signent des pétitions, se regroupent et parviennent à faire annuler le projet. C’est en se basant sur ce réseau d’opposition qu’une liste émerge aux élections municipales de 2014 et l’emporte. Mario Bilella s’est intéressé aux profils de ceux qui ont mené le groupe de contestataires. « Quatre enseignants (dont une universitaire), quatre travailleurs sociaux,
24 %
des habitants majeurs prennent part aux décisions de leur ville.
un ingénieur, une architecte, un artiste, un géobiologue [on dit bien géobiologue et non géobiologiste], un médecin, un étudiant, une comptable, un employé d’imprimerie … », détaille-t-il. La proportion de cadres et de professions intellectuelles supérieures est plus forte que dans toutes les listes précédemment élues. Dès son élection, la liste met en place son unique promesse de campagne : instaurer une démocratie participative locale. L’équipe municipale rompt avec les habitudes en se répartissant les dossiers par binôme et en faisant quasiment disparaître la figure de maire. Pour participer, les habitants peuvent s’impliquer dans des commissions thématiques (environnement, travaux, etc.) ou dans desgroupes préparant des projets très précis. En 2015, plus de 70 réunions publiques ont eu lieu dans la ville. Les habitants sont constamment invités à participer. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir. « La plupart des villageois, qu’ils soient favorables ou non à la municipalité, évoquent un
Avec ses 1 300 habitants, Saillans est un modèle de démocratie participative.
renforcement des “ clivages ” après l’élection », assure Mario Bilella, qui a rencontré et observé les habitants pendant plus de cinq ans. Une réalité que décrit aussi Maud Dugrand, journaliste originaire de Saillans et auteure de La Petite République de Saillans (éd. Le Rouergue, 2020) : « Porter un point de vue et le défendre publiquement est extrêmement risqué si on ne veut pas se fâcher avec la moitié du village. » UNE POLITIQUE CLIVANTE
Tous deux dressent le même constat : seule une partie de la population participe aux débats. Un chiffre confirmé par la mairie de Saillans qui indique qu’en 2014, seuls 24 % des habitants majeurs ont pris part aux décisions de leur ville. Savoir prendre la parole en public, se forger un avis argumenté sont des compétences que tous les habitants n’ont pas. Rapidement, un autre lieu de débat s’impose : « si on voulait entendre parler […] les réfractaires, il fallait se rendre au café des Sports », raconte la journaliste. Dans son étude, Mario Bilella constate, lui, que des habitants regrettent une perte du capital « d’autochtonie », ces valeurs que portent les anciens du village. « Ce qui compte, ce n’est plus d’être dépositaire de l’histoire locale, mais d’être capable de discuter méthodes, dispositifs et démocraties », écrit l’universitaire. Aux élections municipales de mars 2020, les élus devront faire face à la critique de l’opposition. « Il n’y a pas de place pour la parole contradictoire dans [les] réunions. On est vampirisés par la méthode, avec des outils formatés, les gommettes, les petits groupes de travail … », a déclaré le candidat François Brocard, au Monde, le 7 février 2020, qui espère faire revenir un modèle traditionnel à Saillans. Même si l’utopie saillansonne venait à se conclure au bout de six ans, le petit village pourrait se targuer d’avoir été, le temps de ces quelques années, le laboratoire d’une démocratie locale fantasmée par beaucoup. ■
CHRONOLOGIE DOSSIER
MAGAZIN MAGAZIN
ENQUÊTE
AU COEUR du
DÉMOCRATIEBUSINESS
11 XX
ENQUÊTE
MAGAZIN
LA
DÉMOCRATIE
À TOUT PRIX DES ENTREPRISES NUMÉRIQUES SE SONT SPÉCIALISÉES DANS LA CONCEPTION ET LA COMMERCIALISATION D’OUTILS DESTINÉS À FAVORISER LE LIEN ENTRE CITOYENS ET POLITIQUES. ENQUÊTE SUR UN BUSINESS PAS TOUT À FAIT COMME LES AUTRES. [ PAR BARBARA GABEL, TANGUY HOMERY ET JULIETTE MOREAU ALVAREZ ]
uatre-vingt-dix-centimes par an. Une baguette de pain par personne et par an; voilà le prix de la démocratie participative. « Au-delà du coût du logiciel et de son utilisation, l’assistance de la civic tech nous est nécessaire », décrit Jean-Marc Bougon, directeur général des services de la ville de Figeac (Lot). Ces dernières années, des dizaines d’applications ont émergé sous forme de start-up de civic tech. Un concept large qui désigne tous les outils numériques favorisant l’engagement du citoyen. Experts de la participation citoyenne et jeunes start-up ont flairé un nouveau marché, un business de la démocratie. Jean-Marc Bougon travaille avec Vooter. Cette start-up lui loue depuis deux ans une plate-forme numérique clé en main pour 9 000 euros par an, sur laquelle
2500 €
C’est le coût maximum, par mois, que peut atteindre un package numérique pour une collectivité.
les citoyens sont invités à répondre aux interrogations du maire et à donner leur avis sur les politiques publiques. Un outil technologique qui se veut participatif, favorisant le dialogue entre élus et citoyens. La réunion publique d’hier est devenue la consultation numérique d’aujourd’hui. En cette année d’élections municipales, crowdfunding, applications citoyennes et autres plates-formes de réseaux sociaux numériques ont le vent en poupe. Les Français sont de plus en plus adeptes de la démocratie participative en ligne. Une solution qui permet de pallier le manque de temps des citoyens pour participer à la vie locale. À Toulouse, selon une enquête municipale, cette absence de temps empêche les habitants de participer aux politiques publiques. De même au Perray-en-Yvelines, où 70 % des habitants pointent du doigt ce problème. START-UP NATION
En 2019, l’application Neocity s’est classée dans le top 50 des start-up GovTech (technologies transformant les services publics) selon l’agence PUBLIC France [facilitateur de liens entre start-up et État]. La même année, sa concurrente Fluicity s’est placée au 77e rang dans le classement de Challenges des 100 startup où investir. « En France, la démocratie participative s’est développée dans une logique d’offre, explique C lément M abi, chercheur à l’université de Compiègne et spécialiste des questions d’expérimentation démocratique. Progressivement, un segment de la participation s’est spécialisé dans le numérique. » Dès lors, de nombreux outils ont vu le jour. Certaines initiatives sont complètement gratuites, comme
La démocratie a un coût : 4 millions d’euros pour la Convention citoyenne pour le climat.
Tanguy Homery/EPJT
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Communecter, un réseau social mettant en relation maires et habitants. Mais la plupart sont payantes. Les start-up se sont diversifiées : en plus de proposer une plate-forme de consultation, elles forment désormais les agents territoriaux, développent des logiciels spécifiques, et aident à la communication et à la création d’une communauté. Certaines facturent également l’accès à leurs données. Un « package » pouvant atteindre 2 500 euros par mois pour les grandes collectivités. Les entreprises adaptent leurs tarifs en fonction des besoins de leurs clients. « On fournit un outil mais aussi de l’accompagnement. La taille des territoires fait varier les prix ainsi que le nombre de problématiques de la collectivité », défend Dimitri Delattre, cofondateur de
MAGAZIN
Les start-up du numérique ont flairé le bon filon. Leurs outils de participation citoyenne se déclinentmaintenant sur smartphone.
Vooter. L’entreprise Decidim propose par exemple de porter une plate-forme propre à la collectivité territoriale. Dans le département de la Loire-Atlantique, le site participer.loire-atlantique.fr complète les réunions publiques, les ateliers et les enquêtes déjà mis en place. « Le retour des citoyens est très positif et on a prévu une évaluation cette année », note H ervé C orouge, vice-président chargé de la jeunesse et citoyenneté au département. Les villes sont prêtes à y mettre le prix. « Les collectivités ne disposent pas de ces compétences en interne. Une entreprise peut pratiquer des tarifs élevés pour des prestations de qualité », précise Clément Mabi. Marie-Noëlle Guyomard, responsable de gestion citoyenne à Lanester (Morbihan), raconte com ment sa ville de 22 600 habitants a été démarchée en 2015 par A ntoine Jestin, cofondateur d’ID City. « Comme on a été parmi les premiers à utiliser l’outil, il nous ont fait une sorte de “ prix d’ami ”. », s’explique-t-il. Soit, 7 500 euros par an. Pour Alice Mazeaud, coauteure, avec Magali Nonjon, du livre Le Marché de
la démocratie participative (éditions duC roquant, 2018), l’émergence des start-up a permis d’abaisser les coûts des dispositifs participatifs. « Avant, un budget participatif coûtait du temps et de l’argent. Aujourd’hui, le citoyen peut se prononcer en un clic », estime-t-elle. D’autres professionnels résistent à la démocratie participative numérique et misent sur la proximité avec les collectivités locales. C’est le cas de Marie-Catherine B ernard, directrice de Palabreo, une petite agence de concertation parisienne. Pour elle, « les civic tech ont occupé le devant de la scène avec l’idée magique que ça toucherait les jeunes. Mais la promesse n’est pas tenue, car on ne peut pas débattre via le numérique. » BUSINESS FLORISSANT
Combien coûte concrètement l’organisation d’un débat ? On peut mener une concertation sur moins d’un an en comptant la préparation, le débat et le compte-rendu pour moins de 25 000 euros hors taxe. Mais les tarifs avoisinent plutôt les 30 000 à 35 000 euros. Et encore, sans compter la com-
munication… Si les civic tech semblent favoriser l’émergence de la participation citoyenne, les collectivités font appel à d’autres entreprises depuis de nombreuses années, à l’instar de Palabreo. Elles proposent des conseils et outils en matière de démocratie participative. Cette professionnalisation a notamment donné naissance au master 2 « ingénierie de la concertation » à l’université P aris-1 Panthéon-Sorbonne. Son responsable, le politologue L oïc Blondiaux, reconnaît la logique marchande de ce domaine : « Qu’il y ait un business derrière les démocraties participatives est une évidence. Depuis une vingtaine d’années, des agences travaillent sur ces problématiques. » Deux d’entre elles se distinguent : Missions Publiques et Res publica. Elles ont été retenues pour organiser et accompagner les débats de la Convention citoyenne pour le climat. Difficile de savoir combien ces spécialistes de la participation touchent exactement. Sur un budget total de 4 millions d’euros, les organisateurs de la Convention affirment que 26,3 % sont dédiés à l’animation, soit plus de 1 million d’euros. ➜
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Tanguy Homery/EPJT
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LA CIVIC TECH
TOUT LE MONDE LES POUVOIRS PUBLICS CONSACRENT UNE PARTIE CROISSANTE DE LEUR BUDGET AUX OUTILS NUMÉRIQUES DE PARTICIPATION CITOYENNE. LE GRAND DÉBAT ET LA CONVENTION CITOYENNE POUR LE CLIMAT ONT AINSI GÉNÉRÉ DES DÉPENSES INÉDITES.
S’Y MET ! [ TEXTES ET INFOGRAPHIES PAR JULIETTE MOREAU ALVAREZ ]
100% 90%
RÉGIONS ET MÉTROPOLES PREMIÈRES CONVERTIES
80%
Bien que la civic tech soit de plus en plus utilisée par les collectivités territoriales, elle n’est pas encore présente dans tous les budgets. En 2018, sur 39 070 collectivités locales, seules 157 se sont dotées d’outils numériques de participation citoyenne, soit 0,4 % d’entre elles. Mais 81,8 % des métropoles et 71,4 % des Régions en sont équipées.
70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% RÉGIONS
INTERCOMMUNALITÉS MÉTROPOLES
DÉPARTEMENTS
VILLES de + 100 000 hab.
VILLES de - 5 000 hab.
VILLES entre 5 000 et 100 000 hab.
(Intercommunalités de + 400 000 habitants)
Source : Enquête OpenCitiz/Banque des territoires (2018)/Illustration : Freepik
4 MILLIONS D’EUROS POUR SAUVER LE CLIMAT
n Prise en charge des membres : 29,8 % n Animation de la convention : 26,3 % n Logistique et accueil
Les sept sessions de la Convention citoyenne pour le climat qui s’achèvera en avril coûteront au Conseil économique, social et environnemental (Cese) 4 millions d’euros. Soit 9,52 % du budget total annuel du Cese. Le défraiement et la prise en charge globale des 150 membres sont à l’origine de la majorité des coûts. Pour en savoir plus sur la Convention citoyenne pour le climat,
des membres : 18,3 %
n Communication : 9,8 % n Tirage au sort des membres : 7,0 % n Appui à la gouvernance : 6,1 % n Prise en charge des experts : 2,5 % n Compensation carbone : 0,2 %
rendez-vous page 20.
6 200 000 €
Source : Conseil économique, social et environnemental (Cese)
3 100 000 €
GROS BUDGET POUR UN GRAND DÉBAT
1 700 000 € 1 000 000 €
MINISTÈRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
SERVICES DU PREMIER MINISTRE
MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE
Source : Minstère de la Cohésion des territoires/Illustration : Freepik
AUTRES MINISTÈRES DONT CELUI DE L’INTÉRIEUR
Le Grand débat fait partie des projets de participation citoyenne les plus coûteux initiés en France. Douze millions d’euros ont été investis par le gouvernement, soit 0,17 euro par Français. C’est moins que ce que coûte en moyenne la démocratie participative à une commune (0,90 euro par habitant et par an). Mais comme seules 1,5 million de personnes ont participé au Grand débat, l’investissement revient à 8 euros par participant.
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Les élus des communes, des départements et des Régions sont les premiers clients des professionnels de la participation.
➜ « Cet
événement demande beaucoup d’investissement et de travail », justifie S ophie Guillain, directrice générale de l’agence Res publica. Elle ajoute : « Nous préparons chaque session minute par minute, organisons la venue des personnalités, animons les débats et échangeons à distance avec les citoyens entre les sessions. »Pour les experts de la participation citoyenne, pas question d’associer la démocratie participative à un business. « Nous répondons à un besoin crucial de démocratie dans les décisions publiques », appuie la consultante de Res publica. La plupart des acteurs croient en ce qu’ils proposent. Mais pas tous : « Dans les années 1970, les outils participatifs ont été développés par les franges de gauche pour défendre une vraie cause, explique Alice Mazeaud, auteure. Aujourd’hui, de nombreuses procédures participatives sont déconnectées d’un objectif politique et les professionnels ont intérêt à entretenir l’offre pour survivre. » UN RISQUE DE CONCENTRATION
Constamment à la recherche d’experts de la participation, les régions, départements ou communes jouent un rôle important dans la structuration des pratiques professionnelles. Ces collectivités représentent l’essentiel des marchés publics. Attention toutefois à ne pas surestimer l’ampleur de ce marché. Si les professionnels se multiplient, il s’agit bien souvent d’« acteurs spécialisés dans la communication publique ou de spécia-
listes en urbanisme qui ont étendu leurs compétences », selon Loïc Blondiaux, politologue (lire page 13). Désormais, la concertation fait partie de l’offre classique des bureaux d’études et des entreprises d’ingénierie. Parmi les quatre plus grands groupes d’audit financier au monde, deux d’entre eux ont même commencé à se positionner sur le marché : Ernst & Young et KPMG. « Quand KPMG a compris que le secteur public représentait 60 % du PIB, il a saisi un intérêt à participer au développement des politiques publiques », explique Erwan Keryer. Ce directeur-associé chez KPMG est le cofondateur de l’entreprise de conseil en secteur public Eneis, rachetée par le groupe KPMG en 2018. « Nous conseillons et accompagnons les collectivités de A à Z pour choisir la bonne plate-forme numérique et leur permettre d’organiser une concertation avec leurs citoyens : la moyenne tourne autour de 25 000 à 35 000 euros. » De la concertation publique à la réalisation du projet urbain, tous ces nouveaux prestataires voient la participation du citoyen comme un marché à conquérir. Mais le risque de concentration est grand. C’est déjà le cas mais ça va être encore plus flagrant. « Seules une ou deux sociétés vont finir par emporter tous les grands marchés », prédit C lément M abi. D’autres acteurs tentent malgré tout de se faire une place, comme FixMyStreet, une plate-forme qui permet aux citoyens de signaler des problèmes au sein de leur commune. Pour la chercheuse en
sciences politiques Alice Mazeaud, ces outils relèvent bien de la démocratie participative : « On peut mettre tout ce que l’on veut derrière ce terme, dès lors qu’il est entendu comme “ la volonté d’associer les citoyens à la prise de décision publique ”. Du signalement des dégradations dans votre rue, en passant par un projet urbain de votre quartier en 2030 jusqu’à l’atelier citoyen sur la politique climatique de votre ville, tout relève de la procédure participative. » ALIBI DÉMOCRATIQUE
Face à cette mode, les professionnels de la participation cherchent à asseoir leur légitimité. C’est auprès des collectivités locales, leurs principaux clients, que les professionnels exercent leur lobbying. Créé au début des années 2000, l’Institut de la concertation et de la participation citoyenne (ICPC) rassemble des agences de concertation, praticiens et commanditaires. Parmi ses missions, l’ICPC affiche sur son site Internet la volonté d’« améliorer la visibilité du champ de la participation aux yeux des décideurs publics ». Les professionnels de la participation se présentent comme des intermédiaires indispensables entre les élus et les citoyens et mettent en avant leurs compétences. « Certes, on s’éloigne de l’idéal de base si vous considérez la participation des citoyens comme quelque chose de spontané. Mais la démocratie participative est beaucoup plus puissante quand elle est organisée par des professionnels », ➜
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Maïlis Rey-Bethbeder/EPJT
CHRONOLOGIE
ENQUÊTE
MAGAZIN Claire Jouanneault, ➜ veut croire consultante indépendante et coorganisatrice du groupe local Loire-Atlantique de l’ICPC. La demande de participation tend désormais à devenir l’alibi d’un mar ché de la démocratie participative, ce qui pousse les professionnels vers une logique d’offre. « Les collectivités ne demandent par leur avis aux citoyens pour développer des outils participatifs, elles font le pari de répondre à une demande », analyse le chercheur C lément Mabi. CIVIC TECH OU CIVIC BUSINESS ?
Après le mouvement des Gilets jaunes, le Grand débat, initié par le le président Macron et lancé en janvier 2019, s’est imposé comme un modèle de démocratie participative. Plus de 10 000 réunions locales ont été organisées et près de 2 millions de contributions en ligne ont été recueillies. Sébastien Lecornu, l’un des ministres coordinateurs de l’événement, a indiqué avoir récupéré un total de 12 millions d’euros. Dont quelques 10 % pour la seule plate-forme développée par Cap Collectif. Avec un chiffre d’affaires qui a doublé chaque année depuis sa création pour frôler les 1,5 million, en 2018, cette start-up fondée en 2014 est l’une des civic tech les plus en vue. L’entreprise, qui emploie une trentaine de salariés, a fondé sa notoriété sur la réalisation de plates-formes de budgets participatifs utilisées par de nombreuses mairies. « Cet outil a incontestablement joué un rôle dans le développement des budgets participatifs », prétend Cyril Lage, le fondateur de Cap Collectif. Mais l’entreprise ne collabore pas seulement avec des institutions politiques publiques. Un tiers de son chiffre d’affaires provient de contrats avec des acteurs privés ou associatifs. « On ne devrait pas pouvoir travailler de la même manière avec des collectivités qu’avec des entreprises », dénonce Quitterie de Villepin, fondatrice du mouvement citoyen #MaVoix et auteure d’une virulente tribune parue dans Médiapart contre le fonctionnement de Cap Collectif en 2019. AVEC OU SANS ÉLUS
Avec d’autres défenseurs du logiciel libre, elle regrette la décision de Cap Collectif de ne pas ouvrir son code source, qui permet de faire fonctionner la plate-forme. « N’importe quel outil au service des citoyens, doit pouvoir être transparent pour être utilisé », poursuit-elle. Cyril Lage rejette en bloc cette critique. « Je n’ai jamais entendu un citoyen dans ma vie refuser de participer parce que la plate-forme n’était pas open source », assène le chef d’entreprise, qui rappelle que peu de citoyens sont
« Qu’il y ait un business derrière les démocraties participatives est une évidence », selon Loïc Blondiaux.
capables de déchiffrer un code informatique. Cap Collectif tient à défendre son modèle. « Le fait d’être maître de notre logiciel nous permet de ne pas céder à un politique qui voudrait supprimer des fonctionnalités à son avantage, pour éviter de voter contre certains projets par exemple », se justifie le fondateur de Cap collectif. Il nous assure avoir reçu à plusieurs reprises des demandes de ce type. Cette position dérange Valentin Chaput, cofondateur d’Open Source Politics, entreprise concurrente de Cap Collectif. « Je refuse de m’en remettre aux décisions d’une entreprise qui déciderait, pour les autres, des règles du jeu», argumente-t-il, préférant la légitimité des élus pour fixer le fonctionnement d’une consultation. De son côté, Open Source Politics propose aux collectivités un logiciel libre et adaptable en fonction des besoins. Concrètement, cela signifie que toutes
Tanguy Homery/EPJT
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les collectivités participent au développement d’un même logiciel. Lorsqu’une fonctionnalité est créée pour une mairie, toutes les autres peuvent l’utiliser. Malgré leurs différences, Cap Collectif et Open Source Politics partagent un point commun : leurs tarifs, d’environ 12 000 euros par an pour une collectivité. « La démocratie participative a un coût dérisoire comparé à celui de l’Assemblée, des élections, ou même du référendum », rappelle Loïc Blondiaux. Une élection présidentielle coûte en effet 250 millions d’euros à l’État et le référendum de 2005 a été évalué à 130,6 millions d’euros. « Critiquer le coût revient à dire que les dispositifs participatifs sont accessoires voire inutiles, conclut le politologue. Il faut investir dans ces outils pour permettre à la démocratie de fonctionner. » Parce que tout a un prix, même la démocratie. n
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INITIATIVES
BUDGETS PARTICIPATIFS
Pascal Clouaire
ET LEURS ENVIES
PRENNENT VIE
DE PLUS EN PLUS DE COLLECTIVITÉS ALLOUENT UN BUDGET À DES PROJETS PENSÉS ET VOTÉS PAR LES HABITANTS. ÉQUIPEMENT MANQUANT, CHANTIER ÉCOLO : LES CITOYENS ONT DE L’IMAGINATION. À Grenoble, le projet « un pas vers l’eau » invite les passant à investir les bords de l’Isère.
[ PAR EMMANUELLE LESCAUDRON ]
ue peuvent bien avoir en commun le cabinet de curiosité brestois, le parc en mosaïque de Rennes ou la bricothèque de Saint-Jean-de-Braye (Loiret) ? Tous ont été financés grâce à un budget participatif. Après, Porto Alegre, au Brésil, première ville au monde à réserver, en 1989, une partie de son budget pour réaliser des projets proposés et votés par des citoyens ; après Saint-Denis en 1997,
projets sont proposés par les habitants. Pour être éligibles, « ils doivent s’inscrire dans les domaines de compétences de la collectivité territoriale et être réalisables techniquement », précise Stéphane Lenfant, responsable de la démocratie locale à la Ville de Rennes, où des bancs publics ont été financés en 2018. « Le budget participatif permet aussi de tisser des liens de solidarité en dehors des urnes », poursuit l’élu rennais.
À Rennes, une association de citoyens gère un four à pain tranditionnel.
pionnière du budget participatif en France, Grenoble et Paris se sont lancées en 2014. Puis, d’autres ont suivi. D’après le communicant Antoine Bézard, fondateur du site lesbudgetsparticipatifs.fr, quelque 140 municipalités ont mis en place des budgets participatifs. Des grandes communes mais aussi des petites, à l’instar de Capestang (Hérault), 3 000 habitants, ou Lognes (Seine-etMarne), 14 000 habitants. « Les projets des budgets participatifs offrent des résultats concrets et un pouvoir d’agir. Les habitants s’organisent pour mettre en place des actions en réponse aux problèmes qu’ils identifient », explique Antoine Bézard. Le vote du budget participatif intervient en dehors du temps électoral. Tous les
La participation aux votes des budgets participatifs reste faible mais progresse. À Grenoble, elle est passée de 2 % lors de la première édition en 2015, à 6 % aujourd’hui. À Paris, où le budget participatif est le plus élevé au monde (45 euros par Parisien), 7 % des habitants, soit 210 000 personnes, ont voté pour un projet en 2019. À titre de comparaison, à San Antonio, au Chili, un quart de la population se déplace à chaque vote. Après les villes, d’autres collectivités ont décidé de dupliquer ce modèle. Le Gers est premier département français à mettre en place ce dispositif en 2018. Cette année-là, plus de 35 000 personnes ont voté pour un projet citoyen. Il faut dire que les élus ont soigné la communication en débloquant pour cela
Alain Fischer
Mairie de Rennes
LES DÉPARTEMENTS S’Y METTENT AUSSI
La Dragonne est l’aire de jeux choisie par les Grenoblois pour aménager le square Saint-Bruno.
150 000 euros sur quatre ans. « Il faut faire des efforts de communication pour promouvoir le budget participatif », estime Sandra Ferrero, cheffe du service Dynamiques et animations citoyennes. Le département consacre 1 million d’euros chaque année aux projets désignés par les habitants. Le plus emblématique ? Un camping-car connecté qui sillonne les routes à la rencontre des habitants les plus âgés, « un moyen innovant de proposer du service public pour tous », précise Sandra Ferrero. Une fois le projet retenu, le département s’appuie sur des filières de citoyens. Pour la pêche à l’aimant visant à dépolluer les eaux du Gers, il a travaillé en partenariat avec des collèges. Mais le département n’a pas la compétence sur tous les projets proposés. Pour ceux qui relèvent des communes, il signe des conventions avec les mairies. Ce fut le cas en 2019 du défibrillateur du Brouilh-Monbert, village de 223 habitants, dont la municipalité a pris en charge 30 % du coût. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE AU CŒUR DES PRÉOCCUPATIONS
Les projets liés au cadre de vie sont les plus couramment proposés (cités par 87 % des collectivités ayant participé à l’enquête 2018 d’Antoine Bézard). Les projets liés à l’environnement arrivent en seconde position (56 % des répondants). « Les budgets participatifs font émerger de nombreuses suggestions de développement durable », explique Antoine Bézard. Plantations d’arbres, vergers, composteurs collectifs, nichoirs à oiseaux ou à chauve-souris se multiplient. La biodiversité est au cœur des préoccupations citoyennes, tout comme les projets de mobilité où le vélo est roi. La Ville de Paris a par exemple, adapté sa voirie aux liaisons douces, en 2018, pour un coût de 6 500 000 euros. n
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MAGAZIN
INTERNATIONAL
L’EUROPE RÉINVE
LES DISPOSITIFS DE DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE SÉDUISENT PARTOUT DANS LE MONDE. ZOOM SUR 7 INITIATIVES, AVEC LEURS LOTS D’ÉCHECS ET DE RÉUSSITES. [ PAR MARINE LANGLOIS ]
2010 ISLANDE RÉÉCRIRE LA CONSTITUTION En 2010, 522 Islandais se portent candidats pour écrire une nouvelle constitution. Un vote désigne 25 d’entre eux (des universitaires, journalistes, chefs d’entreprise et même un pasteur) pour plancher pendant quatre mois sur ce projet. Rendu au Parlement en 2011, il est enterré en 2013 après la victoire aux élections législatives de la droite, opposée aux réformes proposées.
2016 IRLANDE UNE ASSEMBLÉE POUR TOUT CHANGER L’Irlande est admirée pour l’efficacité de ses assemblées citoyennes. Depuis 2011, elles se sont réunies trois fois (une première fois en test et une deuxième fois en 2014 pour légaliser le mariage homosexuel). En 2016, elles reviennent sur l’avortement, interdit depuis 1983. Après avoir rencontré des experts, 99 citoyens tirés au sort votent avec 64 % des voix la légalisation. Deux ans plus tard, un référendum conforte ce choix.
2015 ESPAGNE UNE PLATE-FORME POUR VOTER Tout est dans le nom : « Decide Madrid ». Créée en 2015 par la mairie de la capitale espagnole, cette plate-forme en ligne permet aux citoyens de lancer des débats, de faire des propositions et de voter. En février 2017, les Madrilènes ont ainsi sélectionné leur projet architectural préféré parmi les 72 proposés pour la rénovation de la place d’Espagne. Les travaux ont commencé en mai 2019.
INTERNATIONAL
MAGAZIN
NTE LA DÉMOCRATIE BELGIQUE
2011
LE G1000 : UN ANTI G7 En juin 2011, les Belges, privés de gouvernement depuis un an, veulent reprendre le pouvoir. Le G1000 voit le jour en pleine crise p olitique. Ce sommet citoyen, regroupant 1 000 p ersonnes tirées au sort, débat de diverses questions comme l’immigration, la sécurité sociale ou la répartition des richesses en temps de crise. Des pays voisins, comme les Pays-Bas, ont repris ce dispositif. Mais ses recommandations, données à la Chambre des représentants belge, ne sont pas suivies. Le G1000 étant une initiative citoyenne, le gouvernement n’est pas obligé d’y donner suite.
POLOGNE
2009
DES SONDAGES DÉLIBÉRATIFS RÉMUNÉRÉS
SUISSE
2020
LES PROS DU RÉFÉRENDUM Le Référendum d’initiative populaire (RIP) a une place importante dans la vie politique suisse. L’une des manières de l’enclencher consiste à recueillir 50 000 signatures en cent jours pour valider ou infirmer une décision des deux chambres. À noter que depuis 1848, 80 % des initiatives ont été rejetées. Le 9 février 2020, 57,1 % des électeurs ont dit « non » au texte de l’Association suisse des locataires qui exigeait 10 % de logements d’utilité p ublique dans le parc immobilier. Le même jour ils ont dit « oui » à 63 % à une loi interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
Que faire des stades de l’Euro 2012 en Pologne ? À Poznan, en novembre 2009, 148 citoyens tirés au sort (et indemnisés) parmi 880 volontaires débattent du sort de leur installation sportive. Ils proposent de la transformer ponctuellement en salle de concert. Une idée retenue par la ville.
CORÉE DU SUD
2017
Ailleurs dans le monde
UNE VAGUE DE PÉTITIONS 200 000 signatures suffisent pour obliger le gouvernement sud-coréen à répondre sous trente jours aux citoyens qui le sollicitent via une pétition. Le site de la présidence héberge les pétitions depuis le lancement de l’initiative en 2017. En deux ans, 420 000 requêtes ont été enregistrées. Une centaine a atteint les signatures requises. L’une d’elles exigeait notamment que le coach de patinage Cho Jae-Beom, accusé d’agressions sexuelles, soit condamné à plus de dix ans de prison. Le gouvernement a répondu « avoir déjà annoncé des mesures pour irradier la corruption et les violences sexuelles dans l’industrie du sport ».
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ENTRETIEN
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CONVENTION CLIMAT
DES CITOYENS DÉTERMINÉS MAIS SCEPTIQUES CENT CINQUANTE CITOYENS TIRÉS AU SORT PLANCHENT DEPUIS OCTOBRE 2019 POUR TROUVER DES SOLUTIONS À LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE D’ICI À 2030. ARRIVÉS ENTHOUSIASTES ET INEXPÉRIMENTÉS, ILS SONT DEVENUS SPÉCIALISTES DE LEUR DOMAINE, MAIS DOUTENT DE L’AVENIR DE LEURS TRAVAUX. [ PAR VICTORIA GEFFARD ET CHLOÉ REBAUDO]
Du 10 au 12 janvier 2020, à Paris, s’est déroulée la 4e session de la Convention citoyenne pour le climat.
teliers pédagogiques sur l’alimentation, réduction des panneaux publicitaires lumineux en ville, taxation des voitures les plus polluantes ou limitation des vols aériens intérieurs, les citoyens ont avancé leurs premières propositions lors de la quatrième session de la Convention citoyenne pour le climat qui s’est tenue du 10 au 12 janvier 2020. « Il y aura forcément des sacrifices à faire. Notre Convention est justifiée si elle change la vie des gens », lance un citoyen en plein débat sur le télétravail. Certains ne voient pas comment
les employeurs pourraient s’assurer du temps de travail effectif de leurs salariés ; d’autres pointent l’avantage de réduire le trafic aux heures de pointe. Autour des tables, face à la T our E iffel, les échanges continuent. En ce dimanche d’hiver, au palais d’Iéna, le siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese), les membres de la Convention citoyenne pour le climat osent exprimer leurs doutes. Le gouvernement a confié à ces 150 Français tirés au sort une mission inédite en France : réduire de 40 % les gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990. Le compte rendu de leurs travaux est attendu. Et les attentes immenses.
Chloé Rebaudo /EPJT
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ACTU
DE LA NECESSITE D’AGIR
Quand elle a reçu l’appel l’informant qu’elle avait été tirée au sort, Amel, 25 ans, originaire de Nanterre, a d’abord cru à un canular. « J’ai vérifié auprès de ma sœur qui travaille au ministère de l’Intérieur si ça n’était pas une blague », raconte cette infirmière tout juste diplômée. Elle a rejoint le groupe « se déplacer » avec une trentaine de personnes. Que les débats aient lieu en petits groupes ou en plénière, tous les participants sont placés sur un pied d’égalité. Des plus jeunes aux plus âgés, tous se sont impliqués. À l’instar de Jocelyn, 16 ans, élève en Alsace. Comme les classe de 1re en autres adolescents de la Convention, il est convaincu de la nécessité d’agir. « Il faut créer un engouement pour faire pression sur l’État. On est la génération future, vers quel monde allons-nous ? », se demande Romane, 17 ans, en terminale dans un bac technologique gestion et management à Saint-Brieuc. Leurs propositions ont mûri au fil des mois. Grâce aux lectures et à leurs discussions, ils ont évolué sur la manière de penser le climat. C’est l’un des bénéfices de l’exercice, s’instruire pour mieux comprendre les enjeux de l’urgence climatique. « Ma conscience écologique est plus pointue. J’ai compris que l’homme ne pouvait pas se passer de la nature pour vivre et que tout changement demandait du temps », décrit ainsi Amel. « On rencontre plein de gens, c’est un enrichissement perpétuel », se réjouit de son côté M élanie, 46 ans, originaire d’un village de la Sarthe. Cette auxiliaire de vie qui a grandi dans une famille où l’on parlait peu d’écologie a découvert les couches lavables à la naissance de sa fille il y a douze ans. Puis elle s’est mise progressivement au zéro déchet. À la Convention, elle a découvert d’autres bons gestes pour la planète et décidé de réduire sa consommation de viande. Elle songe aussi à remplacer sa voiture par un vélo électrique, lorsqu’elle se déplace seule sur des trajets courts. Si elle ne se définit pas comme « écolo », l’expérience l’a poussée à s’informer et à échanger avec son entourage. « J’ai passé des soirées entières avec mon mari à imaginer des
solutions dont j’allais pouvoir parler à Paris », s’enthousiasme t-elle.
DES FRANÇAIS QUI PRENNENT GOÛT AUX DÉBATS POLITIQUES
Au fil des mois, chacun est devenu expert du thème qui lui a été attribué. Mélanie prend souvent la parole devant les autres. « J’ai le verbe facile, je m’en sers ici » , admet-elle. Les médiateurs utilisent ces personnalités pour alimenter le débat. Des groupes d’appui, constitués d’experts, de chercheurs ou de philosophes, sont là aussi pour les aider ou répondre à leurs questions, notamment sur le cadre législatif déjà en place. Ou sur ce qui pourrait être mis en application. Hélène L andemore, professeure en sciences politiques et maître de conférences à l’université de Yale (États-Unis), est favorable à l’intégration d’animateurs pour structurer les débats. « Les experts, de par leur position, n’ont pas tant de pouvoir sur les citoyens, car ces derniers sont en position de force, au centre des débats », décrypte la chercheuse. L’espace de prise de parole est pensé pour
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faire émerger une diversité d’idées, potentiellement réalisables. Dans le groupe « produire », les idées fusent juste avant le déjeuner. Il précède la session plénière, qui doit clôturer les trois jours de travail. « Il y a quand même quelque chose qui me choque : on n’a pas écrit le mot “humain” dans nos propositions », lance quelqu’un au milieu du brouhaha. Un médiateur tente de ramener le calme : « Que ceux qui m’entendent lèvent la main ! » Première de ce type organisée en France, l’assemblée citoyenne néces site des ajustements. À la demande des participants, un groupe transversal chargé des finances et de la communication, baptisé « l’ Escouade», a été créé puis supprimé, car l’information avait du mal à circuler entre les groupes de travail. Toujours à leur demande, une session supplémentaire de travail a été ajoutée d’ici à avril 2020. Mélanie plaidait en ce sens : « On n’arrête pas, on court tout le temps ! Une session supplémentaire sera bénéfique ». Ce tâtonnement pousse aussi les citoyens à s’interroger sur l’issue de leurs travaux. Certains doutent de la
Les propositions des 150 citoyens devraient aboutir à des « décisions fortes ».
Chloé Rebaudo /EPJT
Se déplacer, consommer, se loger, se nourrir et travailler, produire sont les thèmes qui leur ont été attribués. Ils ont appris, se sont renseignés, ont écouté les avis de chacun, ont donné le leur et formulé de premières propositions. Ces dernières seront affinées puis sélectionnées par les citoyens avant d’être présentées début avril au président de la République.
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ACTU
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Nicolas, Radja, Jocelyn et Romane. Ces mineurs ont été choisis pour débattre du climat.
volonté du gouvernement d’aller au bout de ses engagements et de mettre en place les mesures. Sylvain, responsable marketing, a rencontré le président de la R épublique lors de cette session. « On a brièvement échangé sur le fait que la Convention faisait parler d’elle dans les médias. Il m’a dit qu’il allait tenir ses promesses », rapporte ce P arisien de 45 ans, encore impressionné. « Tout le monde est motivé : il faut qu’on réussisse », ajoute Radja, 17 ans, en terminale scientifique à Argenteuil. D’autres participants sont beaucoup plus sceptiques. À l’instar d’ Amel. « J’ai l’impression que les politiques se renvoient la balle, comme dans le dessin animé « Les douze travaux d’Astérix », lorsque les deux personnages sont obli-
« Je ne vois pas comment on pourrait faire mieux que les chercheurs qui travaillent sur le climat depuis des années.» Françoise, 72 ans, ancienne vendeuse.
gés de faire des allers-retours entre les services », confie-t-elle. F rançoise, 72 ans, remet en cause sa propre légitimité : « Je ne vois pas comment on pourrait faire mieux que les chercheurs qui travaillent sur le climat depuis des années.» L’AVENIR RESTE INCERTAIN
Leur objectif est clair : formuler des propositions les plus concrètes possibles pour convaincre ensuite les responsables politiques puis les Français dans leur ensemble. Si leurs pistes sont assez détaillées et précises, elles seront soumises in fine au Parlement ou par référendum à la population. Ou alors elles seront d’abord proposées en référendum consultatif avant de passer entre les mains des parlementaires. Le 10 janvier 2020, Emmanuel Macron a répété que leurs propositions avaient vocation à être soumises « sans filtre ». Mélanie défend l’idée d’un référendum, « idéal pour avoir l’approbation de la population », selon elle. Reste à affiner les choix et surtout trancher. Si l’avenir de la Convention reste incertain, elle a déjà fait des petits. L’Angleterre s’en est inspirée pour sa première « assemblée citoyenne sur le climat » qui réunit 110 citoyens chargés de plancher sur les transports, l’agriculture, l’énergie et la consommation pour atteindre l’objectif zéro émission carbone en 2050 sur lequel le gouvernement britannique s’est engagé en juin 2019. À la différence de la France, cette initiative s’est prise indépendamment de l’exécutif. Qui n’aura donc aucune obligation lorsque les travaux s’achèveront. n
La Convention citoyenne pour le climat en chiffres 255 000 Les 150 citoyens ont été tirés au sort sur un échantillon représentatif de la population française, grâce à une base de 255 000 numéros de téléphones choisis par l’institut Harris Interactive. 1 % le pourcentage d’agriculteurs présents à la Convention. Toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées à hauteur de leur part dans la population française. On compte ainsi 9 % de cadres (soit 6 personnes) ou encore 27 % de retraités (soit 18 personnes). 1 462 EUROS le montant net de l’indemnité que perçoit chacun des citoyens. Elle est calculée sur la base d’une mission de juré d’assises, soit 86,04 euros par jour. Le coût total de l ’opération devrait s’élever à 5 millions d’euros. 40 % C’est l’objectif principal de cette grande assemblée citoyenne : réduire de 40 % les gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990. 7 Le nombre de mois que les citoyens ont pour réfléchir à leurs propositions pour le climat. Ils ont commencé en octobre 2019 et devront les présenter au président de la République début avril 2020.
IDÉE
LE HASARD FAIT BIEN LES CHOSES
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FACE À LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION DES RÉGIMES DÉMOCRATIQUES, LE TIRAGE AU SORT, DE PLUS EN PLUS UTILISÉ, APPARAÎT COMME UNE SOLUTION.
[ PAR SIMON PHILIPPE ET FRANÇOIS BLANCHARD ]
leur réélection. Le hasard permettrait de moraliser la vie politique. Certains universitaires posent néanmoins des limites aux vertus du hasard. Scott Page, sociologue américain, explique que les participants doivent rester indépendants, ne pas entrer en contact les uns avec les autres pour éviter de s’influencer. Autre difficulté liée à cette pratique : l’implication des personnes tirées au sort. À l’occasion du Grand débat, des « conférences citoyennes » organisées à l’échelle régionale ont réuni des citoyens choisis au hasard. Mais moins de 2 % des personnes élues via cette méthode ont accepté de participer. « On ne se rend pas compte du travail fourni. Pour se faire bien, ce travail doit se faire à plein temps et nécessite donc de prendre des congés. Cela implique de repenser notre économie », insiste Hélène Landemore, qui considère la rémunération des participants comme essentielle. Une ultime inconnue demeure : une assemblée tirée au sort peut-elle, par sa légitimité démocratique, faire passer des réformes douloureuses ? L’accueil réservé aux propositions issues de la Convention citoyenne pour le climat sera un premier élément de réponse. n François Blanchard/EPJT
Le tirage au sort, t si les idées de Michel un moyen Mercier, le personnage de restaurer anti-système de la série de la diversité Baron noir, prenaient vie ? dans les débats. La fiction pourrait bien rattraper la réalité. Déjà expérimenté par certains partis comme EELV, le tirage au sort, hérité de la démocratie athénienne inspire Cédric Villani, candidat à la mairie de Paris. Le mathématicien a d’abord proposé de tirer au sort près de 10 % de ses colistiers [48 au total] pour « rendre le pouvoir aux Parisiens ». Puis, s’il est élu, de créer une « agora citoyenne », composée pour moitié de Parisiens tirés au sort et pour l’autre de représentants des corps intermédiaires (associations, syndicats…). sentativité parfaite, à moins de réunir, L’agora compterait autant de citoyens comme le font les sondeurs, un panel qu’il y a d’élus au conseil de Paris, soit de 1 000 personnes. Mais cette pratique 163 personnes. « Cette assemblée sera peut créer une assemblée « diversile miroir du conseil de Paris. Organe fiée », selon l’expression du chercheur consultatif, elle pourra l’interpeller et Loïc Blondiaux. C’est-à-dire fidèle à permettra de faire remonter les idées et ce qu’est la société française dans ses les inquiétudes des Parisiens », explique grandes structures, en terme de niZineb Mekouar, coresponsable du pôle démocratie citoyenne dans l’équipe du veaux d’éducation et de genres. candidat. DES DÉCIDEURS ANCRÉS DANS LE RÉEL Hélène Landemore, chercheuse à Une variable d’ajustement réside dans la l’université de Yale, plaide aussi pour manière dont les citoyens sont tirés au une assemblée tirée au sort, dite « lotocratique », qui jouerait un rôle de sort : le processus peut être totalement contrepoids face aux élus. Mais un tel aléatoire ou bien le fruit d’une sélection bouleversement des institutions est en amont à partir d’échantillons représentatifs - c’est le cas pour la Convention difficile à imaginer aujourd’hui. « Cela citoyenne pour le climat - afin de refléter demande un sacrifice de la part des au mieux la réalité de la population. Le élus qui auront moins de pouvoir », tirage au sort permettrait aussi d’avoir des admet la politologue. Les partisans décideurs ancrés dans le réel, et non des du tirage au sort mettent en avant élites parfois « hors-sol » ou « déconnecl’argument de la représentativité. On tées ». Et avec un peu d’espoir, cela signel’a souvent dit, nos députés ne ressemblent pas à la société française. Les rait la fin des querelles de clochers entre trois quarts des sièges de l’Assemblée partis. On ne s’opposerait plus à une idée nationale sont occupés par des cadres d’un collègue uniquement parce qu’il appartient au camp d’en face. ou des professions supérieures intellectuelles, d’après l’Observatoire des inéQui plus est, les citoyens tirés au sort galités. Ils sont quatre fois plus présents n’auraient en tête que l’élaboration de la que dans la société française. Avec le loi et non leur popularité, au contraire tirage au sort on n’atteint pas une reprédes politiciens toujours préoccupés par
« Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. » Montesquieu, De l’esprit des lois (1748)
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ENTRETIEN
AURÉLIA ROUSSEEUW
JEUNE POUSSE DE LA POLITIQUE À 41 ANS, AURÉLIA ROUSSEEUW, PÉPINIÉRISTE, EST À LA TÊTE D’UNE LISTE CITOYENNE À AMFREVILLE-LA-MI-VOIE, UNE COMMUNE DE 3 500 HABITANTS PRÈS DE ROUEN. TRÈS IMPLIQUÉE DANS LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES, CETTE NÉOPHYTE DE LA POLITIQUE VEUT FAIRE REVIVRE LES PETITS COMMERCES ET PROMOUVOIR L’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE.
Photos : Victoria Geffard/EPJT
[ PAR VICTORIA GEFFARD ]
PORTRAIT
lle a mené mille et une vies. Gouvernante d’hôtel, artisanmaroquinière et maintenant pépiniériste. Aurélia Rousseeuw aurait pu passer à côté de sa vie politique. Et continuer à vivre sans se préoccuper des problèmes de sa commune. Mais la colère des Gilets jaunes est passée par là. Les barrières ont sauté. Depuis, presque 200 listes composées de citoyens se sont formées partout en France pour les municipales, d’après le site d’Action commune, un programme d’accompagnement des listes citoyennes. Un chiffre sûrement sous-estimé, car certaines listes ne se manifestent pas auprès de la plate-forme. Ces candidats veulent, comme Aurélia, renouveler la démocratie locale. Montpellier, Toulouse, Commercy, près de Nancy, ou encore Montjustin, petit village de Provence de 56 habitants : à toutes les échelles, les habitants s’activent. Certains préparent leur campagne depuis près de deux ans. C’est le cas de cette quadragénaire que l’on retrouve, à quelques semaines du premier scrutin, à Amfreville-la-MiVoie (Seine-Maritime), 3 500 habitants, à 7 kilomètres de Rouen, dans sa maison de briques rouges surplombant la Seine. Sur sa veste en laine grise, elle a épinglé un badge aux couleurs de sa liste. Une liste sur laquelle figurent vingt-deux autres habitants de la commune. Dans son jardin, des centaines de petits pots de plantes vivaces sont posés sur des planches en bois ou à même le sol, à côté des deux cabanes où elle range ses outils. Elle sème, fait ses propres boutures et vend ses plants avec son mari, Steve. Lui aussi est sur la liste. Rien, ou presque, ne destinait Aurélia à entrer dans l’arène politique. Aujourd’hui, elle fait de son parcours une force. Et un argument contre ceux qui pointent son inexpérience. Aurélia regarde avec lucidité les difficultés auxquelles la ville est confrontée : départs de commerçants, exclusion sociale des habitants d’un quartier populaire, pénurie de médecins... Ses années de galère lui ont forgé un caractère de fer. « MA CITOYENNETÉ EST NÉE AVEC LES GILETS JAUNES »
Née dans le nord de la France, elle vit jusqu’à ses 11 ans en Martinique, seule avec sa mère. « J’allais rarement à l’école. Je passais mon temps à jouer dans la rivière et à attraper les écrevisses avec mes doigts », se souvient-elle. Aurélia grandit dans la nature. Sa sensibilité aux questions environnementales, dit-elle, lui vient de cette époque. Au cœur de son projet, l’idée d’un « Village des comestibles » avec un verger municipal en
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Aurélia Rousseeuw est devenue tête de liste participative « Amfreville citoyenne & populaire » pour proposer ses propres projets pour sa commune.
permaculture, « des ateliers bocaux » et l’ouverture d’une épicerie solidaire. Mère à 20 ans, Aurélia commence sa vie de femme dans la violence, sous les coups d’un compagnon toxique. Elle se retrouve vite seule pour élever Emma. Mais la jeune maman décide de reprendre ses études. À 25 ans, elle décroche un bac pro en couture ; à 34 ans, le permis de conduire. Ces années difficiles l’ont préparée à ce combat politique. Au milieu de quelques-uns de ses colistiers, lors d’une soirée de travail chez l’un d’eux, sa personnalité s’affirme. « Beaucoup veulent faire de la démocratie participative, mais comment ? Nous, nous avons la volonté et le groupe pour le faire », insiste Aurélia, qui se sent à l’aise à l’oral. « Ma citoyenneté est née avec les Gilets jaunes ; je voulais dénoncer le système », raconte-t-elle. En novembre 2018, elle enfile un gilet jaune et descend dans la rue à Rouen. Pour la première fois de sa vie, elle manifeste. Aurélia, comme les autres, réclame plus de pouvoir d’achat, plus de vacances, plus de salaire. Elle en parle avec d’autres habitants d’Amfreville, dont elle entretient le jardin. Elle se rend sur le rond-point des Vaches à Rouen, puis « monte » à Paris pour la manifestation des femmes du 5 janvier 2019. « J’ai eu le sentiment d’appartenir à un
peuple. Nous étions unis dans un combat pour le droit à une vie digne. » En février2019, elle raccroche son gilet jaune. Le mouvement peine à se structurer. Aurélia estime qu’il faut trouver autre chose. Et se tourne vers la politique. Pourtant, pendant longtemps, elle s’est tenue éloignée de ➜
Aurélia Rousseeuw en quelques dates 1979
aissance à GrandeN Synthe, dans le Nord (59).
2000 Naissance à 20 ans de
sa première fille, Emma.
2017 Devient artisan-maroquinière chez Hermès.
2018 2019
anifeste pour la preM mière fois avec les Gilets jaunes à Rouen. ête de liste « citoyenne » T pour l’élection municipale d’Amfreville-la-Mi-Voie.
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Aurélia a enchaîné les boulots tout au long de sa vie jusqu’à devenir, aujourd’hui, pépiniériste.
➜ la chose publique. « Ma mère se entait d’abord appartenir à sa famille, pas à son pays. Elle ne m’a pas expliqué pourquoi il fallait aller voter », décritelle. Elle se rend aux urnes pour la première fois à l’élection présidentielle de 2002 et donne sa voix aux Verts. Elle votera ensuite toujours à gauche, tantôt pour Olivier Besancenot, tantôt pour Benoît Hamon. Elle échange beaucoup avec sa voisine de l’époque, Rose, qui travaille dans le social. Pour Aurélia, Emmanuel Macron agit comme « une marionnette des chefs d’entreprise influents ». Lors d’un grand débat, en novembre 2019, la députée locale La République en marche (LREM), promet un rendezvous à chaque habitant qui se plaint. Aurélia lève la main pour exprimer son ras-le-bol et lance « Vous allez proposer un rendez-vous à tout le monde comme ça ? » La quadragénaire a l’impression que les problèmes sont mis sous le tapis, sans être résolus. LA TÊTE DE LISTE PART EN CAMPAGNE
Elle se convainc de constituer une liste pour l’élection municipale. Elle n’a pas eu à batailler en prendre la tête. Parmi les cinq Amfrevillais qui ont décidé de se lancer avec elle, elle était la seule à avoir le temps d’assumer ce rôle. Elle rédige l’ébauche d’un programme de campagne, il y a plus d’un an. Faire basculer la commune en autosuffisance alimentaire avec des potagers municipaux et une épicerie solidaire, favoriser les énergies renouvelables en installant des éoliennes sur les bâtiments publics, ou encore développer le logement intergénérationnel, ses propositions convainquent. Le fac-
teur de la ville, un ancien journaliste à la retraite, une infirmière libérale et une mère célibataire rejoignent Aurélia. D’autres suivront. Épaulés
par des connaissances, ils s’organisent par groupes de travail. Ensemble, ils partent à la rencontre des habitants pour écouter leurs avis et recueillir leurs propositions. Pour la première fois depuis longtemps, les Amfrevillais auront le choix entre trois listes. Face à Aurélia, Hugo Langlois, l’actuel premier adjoint du village, se présente comme le successeur du maire socialiste qui laisse sa place. Karima Paris, une autre adjointe, a elle aussi constitué une liste. Aurélia aurait aimé travailler avec l’équipe en place à la mairie. Mais celle-ci n’a pas souhaité la rencontrer. « C’est léger de se présenter sans connaître les rouages pour diriger une collectivité. Aurélia n’est pas assez populaire dans la commune pour être élue », lâche Karima Paris, une de ses adversaires. « On peut nous dire qu’on vit dans un monde de Bisounours, rétorque avec un sourire celle que ses amis surnomment Mamoure. Mais c’est aussi ce qui nous permet de tenir ». Une carapace qui lui permet aussi de se protéger. « Je suis une femme de terrain », déclare-t-elle. Si la politique était un sport de combat, elle en serait une de ses combattantes. n
INTERVIEW Avec son association « Action commune », Thomas Simon accompagne les listes citoyennes aux municipales comme celle d’Aurélia Rousseeuw. À quoi sert « Action commune » ? Nous proposons aux listes qui le souhaitent de l’accompagnement à distance. Par exemple, à Aulnay-sous-Bois [Seine-Saint-Denis], nous avons préparé deux demi-journées de travail avec les 80 candidats pressentis qui devaient choisir leur ordre d’apparition sur la liste. Une question sensible qui alimente des jeux de pouvoir. Ils avaient besoin d’un animateur professionnel pour être le plus impartial possible. Comment travaillez-vous ? Tout se fait à distance. Nous organisons des réunions en ligne où on propose à plusieurs têtes de listes qui ont les mêmes problématiques d’échanger entre elles. Certaines débutent en politique. Elles ne connaissent pas les outils d’intelligence collective, ni les méthodes d’organisation ou de mobilisation des quartiers populaires. Il y a aussi les aspects juridiques et comptables à mettre en place. Quel est le profil des listes que vous accompagnez ? Nous suivons plus de 200 listes, mais ce chiffre devrait encore augmenter. Ces listes se créent dans les grandes villes, comme à Toulouse mais aussi dans de petites communes comme Montjustin, un village près d’Aix-en-Provence. Le mouvement des Gilets jaunes a-t-il entraîné une augmentation du nombre de listes citoyennes ? Les récentes contestations sociales et la demande de RIC [référendum d’initiative citoyenne] des Gilets jaunes posent la question de la démocratie au niveau local. Beaucoup de listes comptent des Gilets jaunes mais elles ne viennent pas des rondspoints directement. Mais j’en suis deux issues de ce mouvement, à Saint-Médard-en-Jalles [Gironde] et à Grenoble.
Action commune
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Les membres du conseil municipal des jeunes (CMJ), parés de l’écharpe tricolore, avant d’aller travailler dans l’imposante salle de l’Hôtel de Ville.
LES OUTILS DE PARTICIPATION MIS À DISPOSITION DES CITOYENS SONT SOUVENT LIMITÉS, SE SUPERPOSENT, DISPARAISSENT OU NE FONCTIONNENT PAS TOUJOURS TRÈS BIEN. REVUE DE DÉTAIL D’UN MILLE-FEUILLE PARTICIPATIF.
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[ PAR MARINE LANGLOIS, MAÏLIS REY-BETHBEDER ET CHLOÉ REBAUDO ]
DES CONSEILS QUI SE TÉLÉSCOPENT
Les mécanismes mis en place par l’État pour faire participer les citoyens sont nombreux. Au point de se confondre ? En 2002, la loi Vaillant relative à la démocratie de proximité rend obligatoires les conseils de quartiers dans les villes de plus de 80 000 habitants. Charge aux conseils municipaux de déterminer qui en fait partie, comment ils fonctionnent et quel est leur budget. Les conseils de quartier sont consultés par la mairie sur des questions d’urbanisme, de sécurité ou d’environnement. En 2014, la loi Lamy rend quant à elle obligatoires les conseils citoyens dans les quartiers dits prioritaires. Ces derniers sont composés d’habitants tirés au sort, d’associations et d’acteurs locaux, mais pas d’élus, comme dans les conseils de quartier. Indépendants vis-à-vis des pouvoirs publics, ils participent à la coconstruction de divers projets comme un garage social et solidaire à Fameck, en Moselle. La loi prévoit même qu’ils puissent se substituer aux conseils de quartiers.
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DERRIÈRE CES ASSEMBLÉES, LA NOTION D’EMPOWERMENT
Les citoyens s’impliquent de plus en plus et reprennent le pouvoir. C’est en tout cas l’objectif de tous les dispositifs mis en place par l’État. Si les citoyens n’ont pas attendu les années 2000 pour s’emparer de l’espace et du débat public, la notion d’empowerment apparaît à cette époque, comme l’explique la sociologue et urbaniste Marie-Hélène Bacqué dans son article « L’empowerment, un nouveau vocabulaire pour parler de participation ». L’empowerment renvoie au processus par lequel les individus développent leur capacité d’action afin d’agir sur leurs conditions sociales, économiques et politiques. Le concept se développe en réaction aux institutions bureaucratiques hiérarchisées et aux élites politiques cloisonnées. La participation des individus en tant qu’acteurs de projets est valorisée.
LES ÉLUS RESTENT SOUVENT LES DERNIERS DÉCISIONNAIRES
Les dispositifs de participation citoyenne sont souvent encadrés par les collectivités (mairies, conseils départementaux, conseils régionaux). Dans les conseils de quartiers, les élus présents peuvent prendre le pouls de la population. Pour Alain Guion, responsable d’un conseil citoyen à Tours, les conseillers municipaux « apportent des réponses mais ne doivent pas prendre la place des citoyens ». Les conseils citoyens, où les élus sont absents, font remonter par voie démocratique les désirs de leurs participants. À Tours, ils ont par exemple ont permis la création d’un pied de vigne dans le parc Balzac. Mais les projets doivent être validés en bout de chaîne par les préfectures ou les collectivités, qui détiennent les clés des budgets. Certains prennent du retard quand d’autres ne sont pas menés à bien. Quartier Rochepinard, l’idée d’un jardin partagé s’est heurtée à la construction d’un parking et d’une mosquée.
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LES PLUS PRÉCAIRES LAISSÉS DE CÔTÉ
Si les dispositifs mis en place par l’État ont pour but de permettre à tous les citoyens de participer, la réalité est parfois tout autre. Il ne suffit pas d’ouvrir des espaces pour qu’ils soient occupés, surtout par ceux qui ont l’habitude d’être exclus des processus de participation. « Le dernier bilan avant la Loi Lamy 2014 disait que la politique de la ville se faisait de manière un peu trop lointaine par rapport aux habitants, qu’elle avait été pensée entre professionnels et élus et pas assez en lien avec le terrain », explique Hélène Delpeyroux, chef de projet de l’association de coaching territorial Villes au carré. Manque de motivation, difficulté à prendre la parole, horaires de réunion contraignants… Une fois de plus, les freins à l’intégration, notamment des plus précaires, sont nombreux.
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L ES CONSEILS DE DÉVELOPPEMENT MENACÉS PUIS LIMITÉS
En octobre 2019, le Sénat a failli mettre un coup d’arrêt à la démocratie des territoires en votant une modification de la loi « Engagement et proximité » qui prévoyait de supprimer toute mention des conseils de développement. Obligatoires dans les regroupements de communes depuis la loi NOTRe de 2015, ils se composent de citoyens, experts bénévoles ou représentants des associations. L’objectif est de favoriser la démocratie participative dans les intercommunalités de plus de 20 000 habitants. Les élus intercommunaux n’ont pas le droit d’y siéger et la parité est exigée. Mais beaucoup sont laissés à l’abandon. « La démocratie participative ne se décrète pas dans la loi », estime Françoise Gatel, la sénatrice (UDI) rapporteuse du texte. L’existence des conseils de développement était menacée, l’Assemblée nationale a finalement opté pour un compromis. Ils restent obligatoires dans les intercommunalités de plus de 50 000 habitants.
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LES JEUNES ONT LA PAROLE
Des écharpes de maires… sur des épaules d’adolescents. Ce 8 février 2020, une quarantaine d’élèves de 4e et de 3e, participent pour la dernière fois du mandat au conseil municipal des jeunes (CMJ) de Tours. Élus pour une période de deux ans, des binômes (un garçon, une fille) représentent chaque collège de la ville. « Vous n’êtes pas là en votre nom mais en celui de votre établissement. Il faudra revenir vers ceux qui vous ont élus », énonce le maire, Christophe Boucher. « On veut donner nos idées, que nos projets se réalisent », explique Aude, 13 ans. Créé en 2016, ce conseil permet aux jeunes de « s’éduquer à la citoyenneté, de travailler dans des commissions et de découvrir des lieux institutionnels », selon Gauthier Martiny, l’élu en charge du CMJ. n
Photo : Ville de Tours - G. Le Baube
LES POUVOIRS PUBLICS S’EMMÊLENT
CHRONOLOGIE
ENTRETIEN
MAGAZIN
À L’ASSAUT DU SÉNAT
Le droit de semer. Le 4 juin 2015, Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso lancent une pétition en ligne pour inscrire ce droit dans la loi. Cette revendication mène les deux jeunes hommes aux portes du Sénat. Dans leur documentaire Des clics de conscience, ils retracent leur parcours. On y apprend ainsi qu’une simple pétition permet de saisir l’Assemblée nationale ainsi que le Conseil économique social et environnemental (Cese) à condition d’obtenir plus de 500 000 signatures. De quoi donner aux citoyens le pouvoir de redevenir acteurs de la vie politique.
EN BREF [ PAR MARINE LANGLOIS, MARGAUX MASSON, MAÏLIS REY-BETHBEDER ]
Un doc qui redonne du sens
Des clics de conscience, de Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso (2017), en DVD (16 euros).
Démocratie(s) ?, de #datagueule, sur YouTube.
Politique live
Accropolis
DES MÉGOTS POUR VOTER
L’initiative existait déjà dans plusieurs villes mais elle s’est implantée à Rennes grâce à l’édition 2018 du budget participatif. Au lieu de jeter leurs mégots par terre, les fumeurs sont invités à les déposer dans des cendriers interactifs. Des questions culturelles, locales ou drôles (« Vous êtes plutôt Bretagne ou Pays de la Loire ? Thé ou café ? ») sont affichées sur les cendriers et les citoyens peuvent y répondre en jetant leur mégot dans le compartiment de gauche ou de droite. L’objectif : faire disparaître les mégots des trottoirs de la ville.
« La démocratie, cet idéal, semble demander du temps, du courage, de la persévérance, et, peut-être, un grain de folie. » C’est l’un des constats de Datagueule, une équipe de journalistes qui a lancé en 2014 une émission diffusée sur France.tv Slash et sur YouTube consacrée au décryptage de phénomènes de société. Dans ce documentaire d’une heure et demie, la démocratie participative se concrétise. De Kingersheim, près de Mulhouse, à Angers en passant par Barcelone, les visages défilent. Les voix de ceux qui veulent redonner du sens à la démocratie s’élèvent et questionnent l’investissement citoyen de chacun.
Décrypter les questions aux gouvernements, analyser les discours et dresser le bilan des actualités politiques : voilà la mission que s’est donnée la « chaîne citoyenne » Accropolis. Elle diffuse des émissions hebdomadaires destinées aux 16-30 ans. Jean Massiet, ancien collaborateur d’élus à la Ville de Paris, a créé cette chaîne sur la plateforme de streaming en direct Twitch, en 2015, et veut ainsi « favoriser la réappropriation citoyenne de la politique en décryptant l’actualité en direct ». www.twitch.tv/accropolis
Labo citoyen
Situé dans le Pavillon du parc de Belleville, ce lieu est porté par un collectif d’associations, d’entreprises, d’entrepreneurs sociaux et d’institutions avec le soutien de la Ville de Paris. Dédiée aux acteurs de la participation citoyenne et de l’innovation démocratique, La Halle Civique vise à renforcer le pouvoir des citoyens via des ateliers comme « construire la fiche du candidat idéal ». On y trouve aussi un incubateur spécialisé dans l’accompagnement des innovations démocratiques ainsi que des débats et des expériences participatives. https://hallesciviques.org
Halles civiques
Boire son café sur une place de parking… Une drôle d’idée expérimentée à Paris dans le cadre du projet « Urban Folies » du budget participatif de la ville. Depuis fin juillet 2019, quatre parklets, ou « petits parcs », ont vu le jour à Paris, portés par l’association Dédale. Le premier s’est installé rue de la Bourse dans le 2e arrondissement. Une aire de repos en pleine ville avec un peu de verdure.
Dédale - Urban Folies
UNE PLACE DE CAFÉ
Datagueule
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BRÈVES
MAGAZIN
FAITES VOS JEUX
LES CITÉS D’OR
Chaque année, depuis 2001, 187 pays se réunissent pour participer à la conférence annuelle de l’Observatoire international de la démocratie participative (OIDP). Après une réunion en 2019, à Iztapalapa au Mexique, autour du thème « des villes participatives en plein droit », l’OIDP se réunira à l’été 2020, à Cocody en Côte d’Ivoire. Pour un retour en France, il faudra attendre 2022 à Grenoble.
Les conseils citoyens sont obligatoires depuis 2014, mais quel est leur rôle ? Qui les finance ? Qui en est bénéficiaire ? Le coffret jeux « Avec nous » répond à toutes ces questions et bien d’autres encore. Créé par l’association de coaching territorial Villes au carré à la demande de Toursmétropole, il comprend trois jeux : « Qui fait quoi ? », « Trouve ta place » et « Dans la boucle », téléchargeables gratuitement sur le site de l’association. L’idée est de créer un outil pour aider d’une manière agréable à comprendre les rôles de chacun.
Villes au carré
www.villesaucarre.org
TOMMY, ROBOT À VOTRE ÉCOUTE
Une réclamation ? Rencontrez Tommy, le robot de la démocratie participative ! Réalisé par le plasticien Thierry Raynaud, il a été lancé en 2017 par l’association Vision Strasbourg. Si vous tombez sur l’un des robots présents dans les rues strasbourgeoises, il suffit d’appuyer sur un bouton et de parler pour enregistrer votre déclaration. Tommy est la représentation physique de la plateforme numérique Vision Strasbourg qui recueille depuis janvier 2018 les idées des habitants de la métropole strasbourgeoise sur l’environnement, l’aménagement, etc.
Vision Strasbourg
PROPOSEZ VOS LOIS
Le Sénat veut impliquer plus directement le citoyen dans le processus de décision. Son président Gérard Larcher a annoncé lors de ses vœux du 14 janvier 2019 la mise en place d’un système de pétition, « plus performant » et « plus proche du citoyen ». Une plateforme recueillera les pétitions, qui devront réunir au moins 100 000 signatures dans un délai de six mois avant d’être examinées en séance publique sous forme de proposition de loi. Quelques 31 pétitions ont déjà été déposées. La plus plébiscitée, avec 4 499 signatures au 18 février 2020, vise à dresser le bilan de l’Euro et évaluer ses effets sur la société française. www.petitions.senat.fr
RETOUR VERS LE FUTUR « En 431, à l’apogée de la démocratie athénienne, la Pnyx [...] dédiée au rassemblement des citoyens, pouvait contenir 6 000 personnes. Or il y avait 60 000 citoyens ! », s’exclame Vincent Azoulay, directeur d’études de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Au micro d’Emmanuel Laurentin, il déconstruit le mythe participatif grec dans La Fabrique de l’Histoire sur France Culture. En 2019, la radio a consacré quatre épisodes de cinquante minutes à la question de la participation citoyenne à travers le temps.
LE CHIFFRE :
1 048 130 C’est le nombre de personnes (à l’heure où nous bouclons, le 21 février) qui ont signé la pétition pour la tenue d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP) lancée en juin 2019. Plus de 4,7 millions de signatures, soit 10 % du corps électoral français, sont nécessaires pour que ce type de référendum d’initiative partagé aboutisse. La campagne prendra fin le 12 mars 2020.
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BRÈVES
MAGAZIN
LIVRES 2019, ANNÉE CHARNIÈRE
TIERS-LIEUX : NOUVEAUX QG DE LA CITOYENNETÉ
Le Grand Écart, chronique d’une démocratie fragmentée, de Pascal Perrineau, Plon (2019), 19 euros.
LA DÉMOCRATIE POUR LES PETITS
À L’ÉCOUTE DES OUBLIÉS
Comment les minorités peuvent-elles reprendre le pouvoir ? Doivent-elles participer pour être représentées ? C’est à cette thématique que s’intéresse le 25e numéro de la revue scientifique Participations, paru en décembre 2019. Des indigènes en Amazonie aux militants palestiniens contre l’occupation israélienne, en passant par les gays et lesbiennes des années 1980 à Boston, elle offre un large tour d’horizon de la question en 200 pages. Revue Participations, « Catégoriser les publics minorés » (N° 25,2019/3), 25 euros, www.revue-participations.fr/numeros
La conciergerie à Nantes est un laboratoire de quartier.
Pas une semaine ne se passe sans la création d’un tiers-lieu. Il y aurait en France plus de 1 800 espaces de travail, atelier partagés, fablabs, lieux de services hybrides comme des « ressourceries » ou même des jardins partagés. Les tiers-
lieux sont multiformes, mais leur point commun : être des zones d’entrepreneuriat collectif qui produisent de l’utilité sociale. Et ça marche ! L’État a dégagé 45 millions d’euros entre 2020 et 2022 pour soutenir la dynamique.
LES SONS DE LA RÉDAC’
PLAY LIST
Éditions Casterman
À 18 ans, tout adolescent devient citoyen à part entière. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Sylvie Baussier répond à cette large question dans Bientôt citoyen !, illustré par Bruno Heitz et destiné aux enfants à partir de 8 ans. Les auteurs expliquent comment fonctionne un pays comme la France, qui décide et qui fait les lois. Ils proposent aussi des arguments « pour » et « contre » sur des questions qui peuvent toucher les citoyens en herbe pour les aider à commencer à réfléchir et exercer leur esprit critique. Bientôt citoyen !, de Sylvie Baussier, Bruno Heitz, Casterman (2017), 15,90 euros.
Emmanuelle Lescaudront/EPJT
Éditions Plon
L’année 2019 a fait cohabiter trois registres de la démocratie : la démocratie directe, celle des Gilets jaunes, celle dite participative via le Grand débat national (dont les propositions ont été sous-utilisées) et enfin, au travers des élections européennes, la démocratie représentative. Dans Le grand écart : Chronique d’une démocratie fragmentée, le politologue Pascal Perrineau montre à quel point ces trois démocraties ont de plus en plus de mal à s’entendre. Il plaide pour que la démocratie dite « consultative » puisse éclairer davantage la démocratie représentative.
Éditions De Boeck Supérieur
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Un peu de démocratie en musique.
• The Times They Are A-Changin’ Bob Dylan (1964) • For What It’s Worth - Buffalo Springfield (1966) • D for Democracy - Spirit Of The West (1991) • Democracy - Leonard Cohen (1992) • Electioneering - Radiohead (1997) • Aux armes citoyennes - Zazie (2001) • Waiting On the World to Change John Mayer (2006) • Écoute Ma Plaidoirie - Sixième sens (Bouchées doubles, Larsen, Dany Boss, Orelsan, Kalash l’afro, 20syl, Prince d’arabee, Dawa o Mic) (2011)
REMERCIEMENTS Un grand merci à nos généreux donateurs :
Paul Abran, Sonia Alvarez, Lorane Berna, François Blanchard, Lucas Bouguet, François Breton, Thibault Bruck, Alice Callegarin, Élodie Cerqueira, Marine Chaplain, Nathalie Chaplain, Lucas Chopin, Laure Colmant, Guilhem Dedoyard, Romain Delacroix, Jean Delterme, Tanguy Demange, Margot Douétil, Charlotte Duménil, Tiffany Fillon, Caroline Frühauf, Dominique Frühauf, Clara Geffard, Maxime Gil, Colin Gruel, Océane Guédon, Véronique Hummel, Ingmar, Léo Juanole, Baptiste Langlois, Laëtitia Langlois, Édouard Marchal, Daniel Mariaud, Paco le chat, Julie Petitfrère, JeanBaptiste Reiland, Éric Rey-Bethbeder, Laurène Rocheteau, Pascal Sainz, Quentin Saison, Nicolas Sourisce, Sylvie Teulé, Manon Van Overbeck, François Ventéjou, Sarah Ventéjou.
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