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CONVENTION CLIMAT, DES CITOYENS DÉTERMINÉS MAIS SCEPTIQUES

Du 10 au 12 janvier 2020, à Paris, s’est déroulée la 4 e session de la Convention citoyenne pour le climat. CENT CINQUANTE CITOYENS TIRÉS AU SORT PLANCHENT DEPUIS OCTOBRE 2019 POUR TROUVER DES SOLUTIONS À LA RÉDUCTION DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE D’ICI À 2030. ARRIVÉS ENTHOUSIASTES ET INEXPÉRIMENTÉS, ILS SONT DEVENUS SPÉCIALISTES DE LEUR DOMAINE, MAIS DOUTENT DE L’AVENIR DE LEURS TRAVAUX.

[ PAR VICTORIA GEFFARD ET CHLOÉ REBAUDO ]

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teliers pédagogiques sur l’alimentation, réduction des panneaux publicitaires lumineux en ville, taxation des voitures les plus pol luantes ou limitation des vols aériens intérieurs, les citoyens ont avancé leurs premières pro positions lors de la quatrième session de la Convention citoyenne pour le climat qui s’est tenue du 10 au 12 janvier 2020. « Il y aura forcément des sacrifices à faire. Notre Convention est justifiée si elle change la vie des gens », lance un citoyen en plein débat sur le télétra vail. Certains ne voient pas comment les employeurs pourraient s’assurer du temps de travail effectif de leurs salariés ; d’autres pointent l’avantage de réduire le trafic aux heures de pointe. Autour des tables, face à la Tour Eiffel, les échanges continuent. En ce dimanche d’hiver, au palais d’Iéna, le siège du Conseil écono mique, social et environnemental (Cese), les membres de la Convention citoyenne pour le climat osent exprimer leurs doutes. Le gouvernement a confié à ces 150 Français tirés au sort une mission inédite en France : réduire de 40 % les gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990. Le compte rendu de leurs travaux est attendu. Et les attentes immenses.

Se déplacer, consommer, se loger, se nourrir et travailler, produire sont les thèmes qui leur ont été attribués. Ils ont appris, se sont renseignés, ont écouté les avis de chacun, ont donné le leur et formulé de premières propositions. Ces dernières seront affinées puis sélectionnées par les citoyens avant d’être présentées début avril au président de la République.

DE LA NECESSITE D’AGIR Quand elle a reçu l’appel l’informant qu’elle avait été tirée au sort, Amel, 25 ans, originaire de Nanterre, a d’abord cru à un canular. « J’ai véri fié auprès de ma sœur qui travaille au ministère de l’Intérieur si ça n’était pas une blague », raconte cette infirmière tout juste diplômée. Elle a rejoint le groupe « se déplacer » avec une tren taine de personnes. Que les débats aient lieu en petits groupes ou en plé nière, tous les participants sont placés sur un pied d’égalité. Des plus jeunes aux plus âgés, tous se sont impliqués. À l’instar de Jocelyn, 16 ans, élève en classe de 1 re en Alsace. Comme les autres adolescents de la Convention, il est convaincu de la nécessité d’agir. « Il faut créer un engouement pour faire pression sur l’État. On est la génération future, vers quel monde allons-nous ? », se demande Romane, 17 ans, en terminale dans un bac technologique gestion et management à Saint-Brieuc. Leurs propositions ont mûri au fil des mois. Grâce aux lectures et à leurs discus sions, ils ont évolué sur la manière de penser le climat. C’est l’un des bénéfices de l’exercice, s’instruire pour mieux comprendre les enjeux de l’urgence climatique. « Ma conscience écolo gique est plus pointue. J’ai compris que l’homme ne pouvait pas se passer de la nature pour vivre et que tout chan gement demandait du temps », décrit ainsi Amel. « On rencontre plein de gens, c’est un enrichissement perpé tuel », se réjouit de son côté Mélanie, 46 ans, originaire d’un village de la Sarthe. Cette auxiliaire de vie qui a grandi dans une famille où l’on parlait peu d’écolo gie a découvert les couches lavables à la naissance de sa fille il y a douze ans. Puis elle s’est mise progressivement au zéro déchet. À la Convention, elle a découvert d’autres bons gestes pour la planète et décidé de réduire sa consom mation de viande. Elle songe aussi à remplacer sa voiture par un vélo élec trique, lorsqu’elle se déplace seule sur des trajets courts. Si elle ne se définit pas comme « écolo », l’expérience l’a poussée à s’informer et à échanger avec son entourage. « J’ai passé des soirées entières avec mon mari à imaginer des solutions dont j’allais pouvoir parler à Paris », s’enthousiasme t-elle.

DES FRANÇAIS QUI PRENNENT GOÛT AUX DÉBATS POLITIQUES Au fil des mois, chacun est devenu expert du thème qui lui a été attribué. Mélanie prend souvent la parole devant les autres. « J’ai le verbe facile, je m’en sers ici » , admet-elle. Les médiateurs utilisent ces personnalités pour alimenter le débat. Des groupes d’appui, constitués d’experts, de chercheurs ou de philosophes, sont là aussi pour les aider ou répondre à leurs questions, notamment sur le cadre législatif déjà en place. Ou sur ce qui pourrait être mis en application. Hélène Landemore, professeure en sciences politiques et maître de conférences à l’université de Yale (États-Unis), est favorable à l’intégration d’animateurs pour structurer les débats. «Les experts, de par leur position, n’ont pas tant de pouvoir sur les citoyens, car ces derniers sont en position de force, au centre des débats », décrypte la chercheuse. L’espace de prise de parole est pensé pour faire émerger une diversité d’idées, potentiellement réalisables. Dans le groupe « produire », les idées fusent juste avant le déjeuner. Il précède la session plénière, qui doit clôturer les trois jours de travail. « Il y a quand même quelque chose qui me choque : on n’a pas écrit le mot “humain” dans nos propositions », lance quelqu’un au milieu du brouhaha. Un médiateur tente de ramener le calme : « Que ceux qui m’entendent lèvent la main ! » Première de ce type organisée en France, l’assemblée citoyenne néces site des ajustements. À la demande des participants, un groupe transver sal chargé des finances et de la communication, baptisé « l’Escouade», a été créé puis supprimé, car l’infor mation avait du mal à circuler entre les groupes de travail. Toujours à leur demande, une session supplémentaire de travail a été ajoutée d’ici à avril 2020. Mélanie plaidait en ce sens : « On n’arrête pas, on court tout le temps ! Une session supplémentaire sera bénéfique ». Ce tâtonnement pousse aussi les citoyens à s’interroger sur l’issue de leurs travaux. Certains doutent de la

Les propositions des 150 citoyens devraient aboutir à des « décisions fortes ».

Nicolas, Radja, Jocelyn et Romane. Ces mineurs ont été choisis pour débattre du climat.

volonté du gouvernement d’aller au bout de ses engagements et de mettre en place les mesures. Sylvain, responsable marketing, a rencontré le président de la République lors de cette session. « On a brièvement échangé sur le fait que la Convention faisait parler d’elle dans les médias. Il m’a dit qu’il allait tenir ses promesses », rapporte ce Parisien de 45 ans, encore impressionné. « Tout le monde est motivé : il faut qu’on réus sisse », ajoute Radja, 17 ans, en terminale scientifique à Argenteuil. D’autres participants sont beaucoup plus sceptiques. À l’instar d’Amel. « J’ai l’impression que les politiques se renvoient la balle, comme dans le dessin animé « Les douze travaux d’Astérix », lorsque les deux personnages sont obli

« Je ne vois pas comment on pourrait faire mieux que les chercheurs qui travaillent sur le climat depuis des années.»

Françoise, 72 ans, ancienne vendeuse. gés de faire des allers-retours entre les services », confie-t-elle. Françoise, 72 ans, remet en cause sa propre légi timité : « Je ne vois pas comment on pourrait faire mieux que les chercheurs qui travaillent sur le climat depuis des années.»

L’AVENIR RESTE INCERTAIN Leur objectif est clair : formuler des propositions les plus concrètes possibles pour convaincre ensuite les respon sables politiques puis les Français dans leur ensemble. Si leurs pistes sont assez détaillées et précises, elles seront sou mises in fine au Parlement ou par référendum à la population. Ou alors elles seront d’abord proposées en référen dum consultatif avant de passer entre les mains des parlementaires. Le 10 janvier 2020, Emmanuel Macron a répété que leurs propositions avaient vocation à être soumises « sans filtre ».

Mélanie défend l’idée d’un référendum, « idéal pour avoir l’approbation de la population », selon elle. Reste à affiner les choix et surtout trancher. Si l’ave nir de la Convention reste incertain, elle a déjà fait des petits. L’Angleterre s’en est inspirée pour sa première « as semblée citoyenne sur le climat » qui réunit 110 citoyens chargés de plancher sur les transports, l’agriculture, l’énergie et la consommation pour at teindre l’objectif zéro émission carbone en 2050 sur lequel le gouvernement britannique s’est engagé en juin 2019. À la différence de la France, cette initiative s’est prise indépendamment de l’exécutif. Qui n’aura donc aucune obligation lorsque les travaux s’achèveront. n

La Convention citoyenne pour le climat en chiffres

255 000 Les 150 citoyens ont été tirés au sort sur un échantillon représentatif de la population française, grâce à une base de 255000numéros de téléphones choisis par l’institut Harris Interactive.

1 % le pourcentage d’agriculteurs présents à la Convention. Toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées à hauteur de leur part dans la population française. On compte ainsi 9 % de cadres (soit 6personnes) ou encore 27% de retraités (soit 18 personnes).

1 462 EUROS le montant net de l’indemnité que perçoit chacun des citoyens. Elle est calculée sur la base d’une mission de juré d’assises, soit 86,04euros par jour. Le coût total de l’opération devrait s’élever à 5 millions d’euros.

40 % C’est l’objectif principal de cette grande assemblée citoyenne: réduire de 40% les gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990.

7 Le nombre de mois que les citoyens ont pour réfléchir à leurs propositions pour le climat. Ils ont commencé en octobre 2019 et devront les présenter au président de la République début avril 2020.

FAIT BIEN LES CHOSES LE HASARD

FACE À LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION DES RÉGIMES DÉMOCRATIQUES, LE TIRAGE AU SORT, DE PLUS EN PLUS UTILISÉ, APPARAÎT COMME UNE SOLUTION.

[ PAR SIMON PHILIPPE ET FRANÇOIS BLANCHARD ]

t si les idées de Michel Mercier, le personnage anti-système de la série Baron noir, prenaient vie? Le tirage au sort, un moyen de restaurer de la diversité dans les débats. La fiction pourrait bien rattra per la réalité. Déjà expérimenté par certains partis comme EELV, le tirage au sort, hérité de la démocratie athénienne inspire Cédric Villani, candidat à la mai rie de Paris. Le mathématicien a d’abord proposé de tirer au sort près de 10 % de ses colistiers [48 au total] pour « rendre le pouvoir aux Parisiens ». Puis, s’il est élu, de créer une « agora citoyenne », composée pour moitié de Pari siens tirés au sort et pour l’autre de représentants des corps intermé diaires (associations, syndicats…). L’agora compterait autant de citoyens sentativité parfaite, à moins de réunir, qu’il y a d’élus au conseil de Paris, soit comme le font les sondeurs, un panel 163 personnes. « Cette assemblée sera de 1000 personnes. Mais cette pratique le miroir du conseil de Paris. Organe peut créer une assemblée « diversi consultatif, elle pourra l’interpeller et fiée », selon l’expression du chercheur permettra de faire remonter les idées et Loïc Blondiaux. C’est-à-dire fidèle à les inquiétudes des Parisiens », explique ce qu’est la société française dans ses Zineb Mekouar, coresponsable du pôle grandes structures, en terme de ni démocratie citoyenne dans l’équipe du veaux d’éducation et de genres. candidat. Hélène Landemore, chercheuse à DES DÉCIDEURS ANCRÉS DANS LE RÉEL l’université de Yale, plaide aussi pour Une variable d’ajustement réside dans la une assemblée tirée au sort, dite « lo manière dont les citoyens sont tirés au tocratique », qui jouerait un rôle de sort: le processus peut être totalement contrepoids face aux élus. Mais un tel aléatoire ou bien le fruit d’une sélection bouleversement des institutions est en amont à partir d’échantillons repré difficile à imaginer aujourd’hui. « Cela sentatifs-c’est le cas pour la Convention demande un sacrifice de la part des citoyenne pour le climat-afin de refléter élus qui auront moins de pouvoir », au mieux la réalité de la population. Le admet la politologue. Les partisans tirage ausort permettrait aussi d’avoir des du tirage au sort mettent en avant décideurs ancrés dans le réel, et non des l’argument de la représentativité. On élites parfois « hors-sol » ou « déconnec l’a souvent dit, nos députés ne res tées ». Et avec un peu d’espoir, cela signesemblent pas à la société française. Les rait la fin des querelles de clochers entre trois quarts des sièges de l’Assemblée partis. On ne s’opposerait plus à une idée nationale sont occupés par des cadres d’un collègue uniquement parce qu’il ap ou des professions supérieures intellec partient au camp d’en face. tuelles, d’après l’Observatoire des inéQui plus est, les citoyens tirés au sort galités. Ils sont quatre fois plus présents n’auraient en tête que l’élaboration de la que dans la société française. Avec le loi et non leur popularité, au contraire tirage ausort on n’atteint pas une repré des politiciens toujours préoccupés par

leur réélection. Le hasard permettrait de moraliser la vie politique.

Certains universitaires posent néanmoins des limites aux vertus du hasard. Scott Page, sociologue américain, explique que les partici pants doivent rester indépendants, ne pas entrer encontact les uns avec les autres pour éviter de s’influencer.

Autre difficulté liée à cette pratique: l’implication des personnes tirées au sort. À l’occasion du Grand dé bat, des « conférences citoyennes »

François Blanchard/EPJT organisées à l’échelle régionale ont réuni des citoyens choisis au hasard. Mais moins de 2 % des personnes élues via cette méthode ont accepté de participer. « On ne se rend pas compte du travail fourni. Pour se faire bien, ce travail doit se faire à plein tempset nécessite donc deprendre des congés. Cela implique de repenser notre économie », insiste Hélène Lan demore, qui considère la rémunération des participants comme essentielle. Une ultime inconnue demeure : une assem blée tirée au sort peut-elle, par sa légitimité démocratique, faire passer des réformes douloureuses? L’accueil réservé aux propositions issues de la Conven tion citoyenne pour le climat sera un premier élément de réponse. n

« Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie. »

Montesquieu, De l’esprit des lois (1748)

AURÉLIA ROUSSEEUW

JEUNE POUSSE DE LA POLITIQUE

À 41 ANS, AURÉLIA ROUSSEEUW, PÉPINIÉRISTE, EST À LA TÊTE D’UNE LISTE CITOYENNE À AMFREVILLE-LA-MI-VOIE, UNE COMMUNE DE 3 500 HABITANTS PRÈS DE ROUEN. TRÈS IMPLIQUÉE DANS LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES, CETTE NÉOPHYTE DE LA POLITIQUE VEUT FAIRE REVIVRE LES PETITS COMMERCES ET PROMOUVOIR L’AUTOSUFFISANCE ALIMENTAIRE.

[ PAR VICTORIA GEFFARD ]

lle a mené mille et une vies. Gouvernante d’hôtel, artisanmaroquinière et maintenant pépiniériste. Aurélia Rousseeuw aurait pu passer à côté de sa vie politique. Et continuer à vivre sans se préoccuper des problèmes de sa com mune. Mais la colère des Gilets jaunes est passée par là. Les barrières ont sauté. Depuis, presque 200 listes composées de citoyens se sont formées partout en France pour les municipales, d’après le site d’Action commune, un programme d’accompagnement des listes citoyennes. Un chiffre sûrement sous-estimé, car certaines listes ne se manifestent pas auprès de la plate-forme. Ces candi dats veulent, comme Aurélia, renouveler la démocratie locale. Montpellier, Toulouse, Commercy, près de Nancy, ou encore Montjustin, petit village de Provence de 56 habitants: à toutes les échelles, les habitants s’activent. Certains préparent leur campagne depuis près de deux ans. C’est le cas de cette quadragénaire que l’on retrouve, à quelques semaines du premier scrutin, à Amfreville-la-MiVoie (Seine-Maritime), 3500 habi tants, à 7 kilomètres de Rouen, dans sa maison de briques rouges surplombant la Seine. Sur sa veste en laine grise, elle a épinglé un badge aux couleurs de sa liste. Une liste sur laquelle figurent vingt-deux autres habitants de la com mune. Dans son jardin, des centaines de petits pots de plantes vivaces sont posés sur des planches en bois ou à même le sol, à côté des deux cabanes où elle range ses outils. Elle sème, fait ses propres boutures et vend ses plants avec son mari, Steve. Lui aussi est sur la liste. Rien, ou presque, ne destinait Aurélia à entrer dans l’arène politique. Aujourd’hui, elle fait de son parcours une force. Et un argument contre ceux qui pointent son inexpérience. Auré lia regarde avec lucidité les difficultés auxquelles la ville est confrontée: dé parts de commerçants, exclusion sociale des habitants d’un quartier populaire, pénurie de médecins... Ses années de galère lui ont forgé un caractère de fer.

« MA CITOYENNETÉ EST NÉE AVEC LES GILETS JAUNES» Née dans le nord de la France, elle vit jusqu’à ses 11 ans en Martinique, seule avec sa mère. « J’allais rarement àl’école. Je passais mon temps à jouer dans la rivière et à attraper les écrevisses avec mes doigts », se souvient-elle. Aurélia grandit dans la nature. Sa sensibilité aux questions environnementales, dit-elle, lui vient de cette époque. Au cœur de son projet, l’idée d’un « Village des co mestibles » avec un verger municipal en

Aurélia Rousseeuw est devenue tête de liste participative « Amfreville citoyenne & populaire» pour proposer ses propres projets pour sa commune.

permaculture, « des ateliers bocaux » et l’ouverture d’une épicerie solidaire. Mère à 20 ans, Aurélia commence sa vie de femme dans la violence, sous les coups d’un compagnon toxique. Elle se retrouve vite seule pour élever Emma. Mais la jeune maman décide de reprendre ses études. À 25 ans, elle dé croche un bac pro en couture; à 34 ans, le permis de conduire. Ces années diffi ciles l’ont préparée àce combat politique. Au milieu de quelques-uns de ses colis tiers, lors d’une soirée de travail chez l’un d’eux, sa personnalité s’affirme. « Beaucoup veulent faire de la démo cratie participative, mais comment? Nous, nous avons la volonté et le groupe pour le faire », insiste Aurélia, qui se sent à l’aise à l’oral. « Ma citoyenneté est née avec les Gilets jaunes; je voulais dénoncer le système », raconte-t-elle. En novembre 2018, elle enfile un gilet jaune et descend dans la rue à Rouen. Pour la première fois de sa vie, elle manifeste. Aurélia, comme les autres, réclame plus de pouvoir d’achat, plus de va cances, plus de salaire. Elle en parle avec d’autres habitants d’Amfreville, dont elle entretient le jardin. Elle se rend sur le rond-point des Vaches à Rouen, puis « monte » à Paris pour la manifes tation des femmes du 5 janvier 2019. « J’ai eu le sentiment d’appartenir à un peuple. Nous étions unis dans un com bat pour le droit à une vie digne. » En février2019, elle raccroche son gilet jaune. Le mouvement peine à se structurer. Aurélia estime qu’il faut trouver autre chose. Et se tourne vers la politique. Pourtant, pendant longtemps, elle s’est tenue éloignée de ➜

Aurélia Rousseeuw en quelques dates

1979 Naissance à GrandeSynthe, dans le Nord (59). 2000 Naissance à 20 ans de sa première fille, Emma. 2017 Devient artisan-maroquinière chez Hermès. 2018 Manifeste pour la première fois avec les Gilets jaunes à Rouen.

2019 Tête de liste « citoyenne» pour l’élection municipale d’Amfreville-la-Mi-Voie.

Aurélia a enchaîné les boulots tout au long de sa vie jusqu’à devenir, aujourd’hui, pépiniériste.

➜ la chose publique. « Ma mère se entait d’abord appartenir à sa famille, pas à son pays. Elle ne m’a pas expliqué pourquoi il fallait aller voter », décritelle. Elle se rend aux urnes pour la première fois à l’élection présidentielle de 2002 et donne sa voix aux Verts. Elle votera ensuite toujours à gauche, tantôt pour Olivier Besancenot, tantôt pour Benoît Hamon. Elle échange beaucoup avec sa voisine de l’époque, Rose, qui travaille dans le social. Pour Aurélia, Emmanuel Macron agit comme « une marion nette des chefs d’entreprise influents ». Lors d’un grand débat, en novembre 2019, la députée locale La République en marche (LREM), promet un rendezvous à chaque habitant qui se plaint. Aurélia lève la main pour exprimer son ras-le-bol et lance « Vous allez proposer un rendez-vous à tout le monde comme ça? » La quadragénaire a l’impression que les problèmes sont mis sous le tapis, sans être résolus.

LA TÊTE DE LISTE PART EN CAMPAGNE Elle se convainc de constituer une liste pour l’élection municipale. Elle n’a pas eu à batailler en prendre la tête. Parmi les cinq Amfrevillais qui ont décidé de se lancer avec elle, elle était la seule à avoir le temps d’assumer ce rôle. Elle rédige l’ébauche d’un programme de campagne, il y a plus d’un an. Faire basculer la commune en autosuffi sance alimentaire avec des potagers municipaux et une épicerie solidaire, favoriser les énergies renouvelables en installant des éoliennes sur les bâti ments publics, ou encore développer le logement intergénérationnel, ses propositions convainquent. Le fac teur de la ville, un ancien journaliste à la retraite, une infirmière libérale et une mère célibataire rejoignent Aurélia. D’autres suivront. Épaulés par des connaissances, ils s’organisent par groupes de travail. Ensemble, ils partent à la rencontre des habitants pour écouter leurs avis et recueillir leurs propositions. Pour la premièrefois depuis longtemps, les Amfrevillais auront le choix entre trois listes. Face à Aurélia, Hugo Lan glois, l’actuel premier adjoint du village, se présente comme le successeur du maire socialiste qui laisse sa place. Karima Paris, une autre adjointe, a elle aussi constitué une liste. Aurélia aurait aimé travailler avec l’équipe en place à la mairie. Mais celle-ci n’a pas souhaité la rencontrer. « C’est léger de se pré senter sans connaître les rouages pour diriger une collectivité. Aurélia n’est pas assez populaire dans la commune pour être élue », lâche Karima Paris, une de ses adversaires. « On peut nous dire qu’on vit dans un monde de Bisou nours, rétorque avec un sourire celle que ses amis surnomment Mamoure. Mais c’est aussi ce qui nous permet de tenir ». Une carapace qui lui per met aussi de se protéger. « Je suis une femme de terrain », déclare-t-elle. Si la politique était un sport de combat, elle en serait une de ses combattantes. n

INTERVIEW

Avec son association « Action commune », Thomas Simon accompagne les listes citoyennes aux municipales comme celle d’Aurélia Rousseeuw. À quoi sert « Action commune»? Nous proposons aux listes qui le souhaitent de l’accompagnement à distance. Par exemple, à Aulnay-sous-Bois [Seine-Saint-Denis], nous avons préparé deux demi-journées de travail avec les 80 candidats pressentis qui devaient choisir leur ordre d’apparition sur la liste. Une question sensible qui alimente des jeux de pouvoir. Ils avaient besoin d’un animateur professionnel pour être le plus impartial possible.

Comment travaillez-vous? Tout se fait à distance. Nous organisons des réunions en ligne où on propose à plusieurs têtes de listes qui ont les mêmes problématiques d’échanger entre elles. Certaines débutent en politique. Elles ne connaissent pas les outils d’intelligence collective, ni les méthodes d’organisation ou de mobilisation des quartiers populaires. Il y a aussi les aspects juridiques et comptables à mettre en place.

Quel est le profil des listes que vous accompagnez? Nous suivons plus de 200 listes, mais ce chiffre devrait encore augmenter. Ces listes se créent dans les grandes villes, comme à Toulouse mais aussi dans de petites communes comme Montjustin, un village près d’Aix-en-Provence.

Le mouvement des Gilets jaunes a-t-il entraîné une augmentation du nombre de listes citoyennes? Les récentes contestations sociales et la demande de RIC [référendum d’initiative citoyenne] des Gilets jaunes posent la question de la démocratie au niveau local. Beaucoup de listes comptent des Gilets jaunes mais elles ne viennent pas des rondspoints directement. Mais j’en suis deux issues de ce mouvement, à Saint-Médard-en-Jalles [Gironde] et à Grenoble.

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