Innova n°13 - La Santé, miroir des inégalités

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ISSN 0291-4506

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MAGAZINE ANNÉE SPÉCIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS

Hors série Sésame - juin 2007 - n°13 - 2 euros

Obésité, la maladie du pauvre Carnet d’un médecin de campagne Infections nosocomiales : la Touraine sur le qui-vive Emprunt bancaire, l’autre combat des grands malades Petits et gros maux du boulot Rencontre avec Martin Hirsch

LA SANTÉ, MIROIR DES INÉGALITÉS



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Édito

Sommaire

LA SANTÉ, MIROIR DES INÉGALITÉS

P.4 Société BIEN SE SOIGNER, C’EST PAS DONNÉ… Les Français sont inégaux, jusque dans leur santé.

Faire attention à soi. Bien se soigner. Être en pleine forme, et le rester. Le plus longtemps possible.…Un style de vie qu’on devrait pouvoir choisir… Or en France, pays où l’on se targue d’avoir le meilleur système de santé au monde, l’accès aux soins et à la prévention est loin d’être une réalité pour tous. Médecine au top et prévention efficace ou risques de maladies professionnelles et remboursements insuffisants : la santé des Français dépend de la grosseur de leur porte-monnaie. Le fossé des inégalités entre riches et pauvres ne cesse de se creuser. Pour espérer souffler ses quatrevingt bougies en bonne santé, mieux vaut avoir travailler dans un bureau qu’à l’usine. C’est dans les familles modestes que la proportion d’enfants obèses est la plus forte. Les ennuis du quotidien, le manque d’argent, l’espoir en berne ne prédisposent pas au souci de soi. Etre malade, dans une société de la performance et de l’apparence, c’est être mis, voire se mettre soi-même en marge. C’est à la façon dont elle s’occupe des plus faibles de ses membres que l’on mesure l’humanité d’une société. A l’été 2003, plusieurs milliers de « vieux » sont morts de dix jours de canicule. Ce fut un choc. Pour rien. En France, « pays de la Sécurité sociale », l’accès aux soins de qualité n’est toujours pas un droit mais encore un privilège. La rédaction.

P.7 OBÉSITÉ DES ADOS AU CŒUR GROS Un adolescent sur cinq souffre d’obésité. Avec des conséquences psychologiques et professionnelles à l’âge adulte. P.10 SANS DOMICILE ET FRAGILE P.11 LE PÉRIL JEUNE P.12 RURALITÉ JOURNAL D’UN MÉDECIN DE CAMPAGNE Tournée en images dans un village de l’Indre, entre petits rhumes et grosses pathologies. P.16 HYGIÈNE LA TOURAINE TRAITE LES INFECTIONS DE L’HOPITAL Les hôpitaux tourangeaux luttent contre les maladies nosocomiales. P.18 MARIAGE D’ARGENT DES CLINIQUES TOURANGELLES P.19 UN JOB POUR UN NOUVEAU DÉPART P.20 EMPRUNT DOUBLE PEINE POUR LES GRANDS MALADES Enquête sur une nouvelle convention prévue pour faciliter les prêts aux personnes souffrant de maladies graves. P.22 COMPLÉMENTAIRES SANTÉ TOUS COUVERTS INÉGALEMENT GARANTIS P.24 SEXE, CONDOM ET FANTAISIE P.25 ATHLÈTES BICHONNÉS P.26 LES MAUX DU BOULOT P.28 ENTRETIEN « ON PARLE BEAUCOUP DE PRÉVENTION, MAIS ON AGIT PEU » Martin Hirsch, l’ex-président d’Emmaüs, spécialiste de l’exclusion, dénonce l’inefficacité de la sphère politique. P.30 COUP(S) DE BARRE

INNOVA Tours - N°13, juin 2007 - Licence professionnelle et Année spéciale de journalisme IUT de Tours - 29, rue du Pont-Volant, 37002 Tours cedex. Tél. : 02 47 36 75 63. ISSN n° 0291-4506. Directrice de la publication : Claudine Ducol. Coordination : Patricia Citaire, David Darrault, Patricia Lange, Frédéric Potet, Rédaction/secrétariat de rédaction/ maquette : Anissa Ammoura, Laure Anelli, Andy Barréjot, Christelle Bodin, Sarah Caillaud, Florent Clavel, Julie Cloarec, Hugues Derouard, Florian Etcheverry, Nicolas Ferrier, Julie Innato, Anthony Renaud, Céline Tarrin, Stéphanie

Thibault, Julien Thomas, Sandrine Vallard, Marie Varroud-Vial. Photos : Sarah Caillaud, Julie Innato, Anthony Renaud, Céline Tarrin, Sandrine Vallard. Publicité : Anissa Ammoura, Marie Varroud-Vial. Photo de couverture : Philippe Desmazes/AFP Imprimé sur papier recyclé par Alinéa 36-Châteauroux.

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Société

BIEN SE SOIGNER C’EST RAREMENT DONNÉ

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e système de santé français serait une référence dans le monde. Le classement établi en 2000 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), place l’Hexagone en haut de l’affiche. À première vue, il fait bon vivre en France. Pour preuve, l’espérance de vie augmente régulièrement : elle est actuellement de 84 ans pour les femmes et de 77 ans pour les hommes. Mais, derrière ces chiffres, se cache une réalité plus contrastée. Si, globalement, la santé des Français s’améliore, des disparités importantes persistent. C’est bien là le paradoxe français, comme le souligne Pierre Chauvin, épidémiologiste à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) : « L’idée que la France a un système de santé parfait, avec une Sécurité sociale coûteuse et par conséquent efficace, est un mythe. Les inégalités de santé prospèrent dans notre pays. » Des inégalités multiples

En France, 10 % du PIB sont consacrés aux dépenses de santé, soit l’équivalent du budget de l’enseignement. Malgré l’importance de ces dépenses, le pays est loin d’être un modèle d’équité en matière d’accès aux soins. Il suffit de lire les nombreuses études sur le sujet pour s’en convaincre. Un rapport du Haut comité de la santé publique soulignait ainsi, en 2002, que la mortalité ouvrière est près de trois fois supérieure à celle des cadres et professions libérales. Selon la même 4 INNOVA 2007

enquête, l’espérance de vie d’un ques. Plusieurs études ont montré ouvrier, à 35 ans, est inférieure de que l’on vit mieux et plus longtemps 6,5 ans à celle d’un cadre. Pour espé- dans le Sud que dans le Nord de la rer souffler ses 80 bougies en bonne France. Le soleil aurait-il des vertus santé, mieux vaut travailler dans un thérapeutiques ? « Il est difficile de bureau qu’à l’usine. tirer des conclusions Les Français ne sur les inégalités sont pas égaux territoriales de sandevant la mort, et té. Il est préférable ne le sont pas plus d’avoir une approdevant la maladie. sociale en se du PIB de la France che Diabète, patholopenchant sur les sont consacrés aux gies cardio-vascuconditions de vie des dépenses de santé. laires, dépression, Français », analyse cancers du col de Pierre Chauvin. l’utérus… Ces risques s’accroissent Telle est aussi l’opinion du socioloà mesure que l’on descend dans gue Pierre Aïach pour qui « les difl’échelle sociale. férences de santé entre individus sont Les inégalités de santé apparaissent intimement liées à leur statut sociotrès tôt : dès l’enfance. L’obésité, qui professionnel et à leurs conditions touche surtout les catégories popu- de vie ». D’après lui, nous serions laires, en est un parfait exemple. « La tous soumis, dans notre vie quotimaladie de la pauvreté », comme dienne, à des « facteurs de risques » l’appelle Pierre Chauvin, est ainsi indépendants du système de santé : dix fois plus fréquente chez les travail, chômage, habitat, transport… enfants d’ouvriers non qualifiés que S’il ne faut pas négliger la part de la chez ceux des cadres. Les fils et fil- génétique dans l’émergence d’une les d’agriculteurs ne sont pas logés maladie, l’environnement personnel à meilleure enseigne : ils ont, par et professionnel joue également un exemple, dix fois plus de dents rôle déterminant. Vivre dans un logecariées que les enfants des cols ment insalubre n’est pas sans conséblancs. À cette disparité sociale se quences. Il suffit, par exemple, de greffent des disparités géographi- penser aux nombreux cas de saturnisme dans certains quartiers délabrés des grandes villes. Autre Un manœuvre domaine, même constat : les conditions de travail. Les ouvriers sont a une probabilité davantage exposés aux produits chi2 fois et demie plus miques et donc susceptibles de déveélevée qu’un cadre lopper un cancer. Sans oublier l’hyde mourir entre giène de vie : l’alcoolisme, le 35 et 60 ans. tabagisme et la malnutrition sont des

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Naître, grandir et vieillir en bonne santé est une aspiration collective. Si l’espérance de vie augmente, les inégalités de santé, en France, n’ont jamais été aussi flagrantes. État des lieux. Le recours à un médecin spécialiste est 2 fois plus

fréquent chez les cadres que

AQUARELLE: SOPHIE MALFON

chez les ouvriers non qualifiés. pratiques plus courantes dans les milieux défavorisés que chez les classes moyennes et supérieures. Notre rapport à la santé, enfin, dépendrait aussi beaucoup de notre entourage et du réseau social. À en croire Pierre Chauvin, les mieux lotis seraient ceux qui partagent conseils et expériences de santé avec leurs amis… Un accès aux soins à améliorer

L’accès aux soins n’est pas non plus le même pour tout le monde. Alors que les catégories les plus favorisées peuvent se permettre de consulter différents spécialistes (ophtalmologues, gynécologues, cardiologues…), les moins aisées ont plutôt tendance à privilégier l’hospitalisation ou les visites chez un généraliste. La raison en est simple : elles n’ont pas les ressources suffisantes pour cotiser à une complémentaire santé. Si la création en 1999 de la Couverture maladie universelle

Lorsqu’un homme devient chômeur, 5 ans après, il a 3 fois plus

de risque de décéder qu’un homme actif.

(CMU) a permis de diminuer les renoncements aux soins chez les plus modestes, il n’en reste pas moins que de nombreux malades se privent du port de lunettes, prothèses dentaires ou encore semelles orthopédiques, des équipements onéreux et mal remboursés par la Sécurité sociale. En 2003, 22 % des ménages bénéficiant de la CMU depuis plus d’un an déclaraient ainsi avoir renoncé, pour des raisons financières, à au moins un soin au cours de l’année précédente. Dans un pays qui a élevé, en 2006, l’égalité des chances au rang de cause nationale, le tableau est donc encore loin d’être idyllique – en dépit d’un certain nombre d’avancées ces dernières années (couverture maladie à 100 %

Les femmes sans emploi ont 2 fois plus d’enfants trisomiques que celles des catégories supérieures. pour les RMIstes, création de la CMU, loi contre les exclusions…). Que faire alors ? « Mieux vaut prévenir que guérir », dit le proverbe… C’est précisément ce que pensent de plus en plus de spécialistes de la santé, pour qui le développement de la prévention est primordial. Pour que celle-ci soit vraiment efficace, un certain nombre de mesures lui font encore défaut (comme le dépistage systématique du cancer de l’utérus) ; ou ne sont 2007 INNOVA 5


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appliquées qu’au coup par coup (campagnes contre l’alcoolisme, développement de l’éducation nutritionnelle dans les écoles…). La France accuse, en matière de prévention, un

Le taux d’hospitalisation est 40 % plus faible chez les cadres

certain retard par rapport à ses voisins européens. « La politique de santé a longtemps été une politique de promotion de l’accès aux soins plutôt qu’une politique de promotion de la santé », écrivaient les enquêteurs du Haut comité de santé publique en 2002. Un avis partagé par Pierre Chauvin : « Pour les pouvoirs publics, se préoccuper de la santé des gens consiste à construire un hôpital. Les dépenses de santé sont orientées vers les soins curatifs, très peu vers les actions d’éducation à la santé. Ce n’est pas suffisant. » Adopter la culture de la prévention

Pour certains experts, il serait également nécessaire de sensibiliser à la prévention… le corps médical luimême ! « Aujourd’hui, les médecins traitants sont formés et payés pour faire du soin, souligne Monique Damoiseau, directrice de l’URCAM (Union régionale des caisses d’assurance des maladies) de la région 6 INNOVA 2007

FRANCIS COLIN

que chez les ouvriers non qualifiés.

Les enfants d’agriculteurs ont 10 fois plus

de dents cariées que les enfants de cadres. Centre. Ils n’ont pas la culture de la prévention, ils le reconnaissent euxmêmes. Ils ne savent pas comment aborder des thèmes comme le tabac, l’alcool, le sida, la nutrition, le dépistage… » Monique Damoiseau vise ici directement la formation des médecins. Pour elle, la santé publique et l’éducation thérapeutique sont

des sujets trop peu abordés sur les bancs des facultés. De leur côté, les futurs médecins semblent porter peu d’intérêt à la question des inégalités de santé. À l’université Paris XIII, le cours dispensé par l’épidémiologiste Pierre Chauvin sur ce thème ne fait pas salle comble : « Sur une promotion de 70 étudiants, une dizaine seulement sont présents chaque semaine ! » Les habitudes sont peut-être à changer. En effet, pour une majorité de praticiens, la responsabilité du médecin est d’abord de répondre aux demandes des patients et d’apaiser leurs souffrances. Doit-il, en plus, consacrer une partie de la consultation à l’éducation, l’information et la prévention ? Claude Neveur, président du Conseil de l’Ordre des médecins de l’Indre-etLoire, est sceptique : « Il est impossible que le médecin soit le seul acteur de la prévention. Celle-ci ne peut pas être abordée systématiquement dans un cabinet. C’est une affaire collective qui doit passer par des programmes nationaux. » Et quand bien même la France serait un modèle du genre, la prévention médicale serait-elle la solution ? Pas sûr. « Les inégalités de santé sont le résultat et la synthèse des autres inégalités sociales », insiste le sociologue Pierre Aïach. Des inégalités qui se déclinent en logement, travail, éducation…Le bien-être, donc, serait essentiel pour la santé. Un constat qui obscurcit l’avenir. Sarah Caillaud Anthony Renaud

Les chiffres et informations présentés en exergue proviennent de l’Observatoire des inégalités, de la Revue du praticien et du CREDES (enquête 2002).


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Obésité

DES ADOS AU CŒUR GROS En France, environ 15 % des moins de 18 ans souffrent d’obésité. L’égalité n’est pas de mise : un fils d’ouvrier a dix fois plus de risques de devenir obèse qu’un enfant de cadre.

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PHOTOS CÉLINE TARRIN

rois kilos neuf à la naissance. Alexandra était un beau bébé. Aujourd’hui, à 14 ans et demi, sa balance affiche 117 kg. Un poids « hors normes » pour une jeune fille. Mais un poids qui n’est plus rare aujourd’hui. En France, l’obésité concerne désormais un enfant sur six, d’après l’enquête ObEpi 2006. Cette proportion a plus que doublé en dix ans et ne cesse d’être revue à la hausse. Les autorités publiques parlent aujourd’hui d’épidémie, voire de pandémie. Le ministère de la Santé espère, avec son deuxième plan national « Nutrition-Santé » lancé en septembre 2006, lutter contre la « malbouffe » et ses conséquences pondérales. Mais le combat est loin d’être gagné. « Notre façon de manger a beaucoup changé, explique Serge Saffar, médecin-nutritionniste à Blois. On est passé d’une alimentation simple et équilibrée à une alimentation plus artificielle. Nous consommons des produits de plus en plus élaborés, souvent saturés de graisses et de sucres. De plus, l’activité physique, qu’elle soit sportive ou naturelle, a considérablement diminué. » Les enfants d’aujourd’hui, adeptes du régime canapé-chips-télé, auraient-ils perdu le chemin des terrains de sport ? « Nous avons assisté ces dernières décennies à une modification de notre environnement : il est devenu hautement “obésogène”, affirme Patrick Tounian, pédiatre spécialisé en nutrition à l’Hôpital suite page 9 2007 INNOVA 7


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Obésité Jean-François Amadieu, directeur de l'Observatoire des discriminations

LES CHIFFRES EN FRANCE

• L’obésité peut réduire en moyenne l’espérance de vie d’un adulte de 13 ans. • Les risques de complications cardiovasculaires sont multipliés par trois chez les enfants obèses et les risques de diabète par neuf. • Le Nord est la région la plus touchée par l’obésité infantile (18,1 %). • La prévalence de l’excès pondéral atteint 24,4 % chez les jeunes habitant dans une cité, contre 11 % chez ceux vivant dans un quartier pavillonnaire. • Si l’un des parents est obèse, le risque est multiplié par quatre pour l’enfant et par huit si les deux parents le sont. Plus de 61 % des enfants obèses vivent avec au moins un parent obèse ou en surcharge pondérale. • L’obésité est 1,7 fois plus fréquente dans l’enseignement public que dans l’enseignement privé.

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l y a en France plus de 5,9 millions d’adultes obèses… et un grand nombre d’entre eux sont en difficulté sur le marché de l’emploi. Le phénomène est récent : les candidatures des personnes à forte corpulence ont tendance à être écartées par certains employeurs. Une stigmatisation qui renforce le mal-être des obèses et qui reste particulièrement difficile à prouver. Pour montrer l’ampleur du phénomène, l’Observatoire des discriminations, dirigé par le sociologue JeanFrançois Amadieu, a réalisé un testing en avril 2005 : des candidats avec un physique standard ou avec une surcharge pondérale ont répondu à des offres d'emploi de commerciaux et de télévendeurs. Résultat : un obèse reçoit 70 % de réponses positives en moins pour un poste de commercial.

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• L’obésité concerne actuellement environ 10 % des adultes et 15 à 16 % des enfants. Quant au surpoids, il concerne 29,2 % des Français, soit 13,9 millions d’individus.

« L’APPARENCE A DE PLUS EN PLUS D’IMPORTANCE AU TRAVAI L »

Innova : Pourquoi une telle discrimination à l’encontre des personnes souffrant d’obésité ? J.F. Amadieu : Il y a un stéréotype sur la personnalité supposée de l’obèse. Celui-ci est perçu comme quelqu’un de faible, qui n’a pas fait d’efforts pour éviter de grossir, qui a une mauvaise estime de lui-même. Ce serait aussi une personne qui manquerait de dynamisme. Les employeurs craignent aussi les risques pour sa santé. Ils redoutent que cette personne ait des problèmes cardiaques, notamment, et veulent éviter des arrêts maladie à répétition. L’obèse est aussi perçu comme quelqu’un de moins intelligent, de moins compétent, qui ne séduit pas le client. Sur quoi est fondé cet amalgame ? Je pense qu’il s’appuie sur une part de réalité. Aujourd’hui, les téléspec-

tateurs sont influencés car ils baignent dans une représentation particulière du beau. Les employeurs utilisent cet attrait pour un certain type de beau sans discernement. Nous l’avons prouvé en réalisant un testing avec des centres d’appels. Bien qu'il n'y ait aucun contact physique avec le client dans ce genre d'entreprise, les personnes obèses y sont également discriminées. Quelle était l’ampleur de cette discrimination il y a dix ou vingt ans ? À cette époque, il n’y avait aucune étude réalisée sur le sujet, donc il est impossible d’en prendre la mesure. Cependant, nous savons que l’obésité a beaucoup progressé, c'est pourquoi il s'agit forcément d'un problème croissant. Ne serait-ce que parce que l’apparence a de plus en plus d’importance dans la vie professionnelle. La vente, le commerce sont devenus des secteurs importants et ils refusent beaucoup de travailler avec des personnes obèses. Etes-vous favorable aux CV sans photo ou même anonymes ? Oui. Mais pour l’instant, tous les partenaires sociaux y sont fortement hostiles. Je pense aussi qu’il faudrait compléter les entretiens d’embauche par des tests professionnels solides. Les procès pour discriminations racistes se multiplient, mais peu concernent l’obésité. Pourquoi ? Les personnes touchées n’osent pas attaquer en justice, ou bien elles ignorent qu’il est possible de le faire. Parfois, elles ne savent tout simplement pas que ces discriminations sont interdites, car on n’en parle pas autant que des problèmes de racisme. Céline Tarrin


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d’amies au collège. Avoir une grosse dans sa bande, ça craint ! »

cialiste. Elle a des conséquences sociales multiples, d’abord sur l’accès à l’éducation, puis à l’emploi, mais aussi sur l’élévation sociale. Un cercle vicieux La dernière enquête décennale de Une femme obèse a très peu de chanl’Insee sur la santé (2003) révèle aussi ces de séduire un homme d’une catéque c’est dans les familles d’ouvriers gorie socioprofessionnelle élevée, et se verra rarement confier un poste que la proportion d’enfants obèses est la plus forte : 15 à 17 %. À l’in- à responsabilités ». Alors, un cercle verse, dans les familles d’ingénieurs, vicieux s’installe insidieusement. de cadres ou d’enseignants, moins Quand on sait que 70 à 80 % des de 1,5 % des enfants souffrent d’obé- enfants obèses le restent à l’âge adulte, on mesure l’importance de la prise en charge de ces adolescents qui traînent leur poids comme un boulet. Des programmes comme Epode (Ensemble prévenons l’obésité des enfants) ont ainsi vu le jour, en particulier dans les régions les plus touchées. Objectif : pas plus d’enfants obèses dans cinq ans qu’il n’y en a actuellement. En instaurant des partenariats, notamment avec le milieu scolaire, le projet a pour but d’éviter une prise de poids excessive chez les 5-12 ans. Mais il ne fait pas l’unanimité. « On sait depuis longtemps que l’éducation nutritionnelle à l’école ne marche pas, souligne le pédiatre. sité sévère. Une autre tendance sem- L’obésité a un fonctionnement très ble donc se dégager : lieu de vie et complexe et une prévention efficace milieu social auraient un impact sur ne peut se faire que de manière indila prévalence de la pathologie. Gare viduelle. Chaque cas est différent toutefois aux « analyses simplistes », et nécessite un suivi particulier que met en garde Patrick Tounian. Les le milieu scolaire ne peut fournir. » personnes à faiAlexandra a bles revenus « Je ne fais plus attention décidé de partir dans un centre sont certes plus quand on me traite spécialisé dans le exposées aux traitement des problèmes de de “grosse vache”. » obésités lourdes. poids car elles n’ont pas toujours les moyens de Elle n’a rien dit à ses copines. Elle manger équilibré, mais un autre fac- va y rester au moins deux mois. Elle teur, plus pernicieux, doit être pris affiche une certaine pudeur et reste en compte : le fait d’être « gros » réservée sur l’avenir . « J’y vais enferme la personne dans une spi- parce que je ne peux pas continuer rale qui risque de précariser sa situa- à grossir, dit-elle. Même le regard tion. « La pauvreté seule ne rend pas de mes parents est devenu difficile obèse, mais l’obésité se concentre à supporter. » chez les plus pauvres, indique le spéStéphanie Thibaut CÉLINE TARRIN

suite de la page 7 pour enfants Armand-Trousseau à Paris. Le mode de vie sédentaire de nos sociétés modernes est poussé à l’extrême : tout est prévu pour qu’on ait à en faire le moins possible. » Si la France est encore loin des ÉtatsUnis ou de la Grande-Bretagne en matière d’obésité infantile, une rééducation alimentaire de la famille dans son ensemble paraît néanmoins nécessaire. La cellule familiale est

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Les Français engloutissent chaque année 34 kilos de sucre, 11 de plus qu’il y a cinq ans.

en effet le lieu privilégié où l’enfant trouve l’équilibre dont il a besoin. Or, c’est souvent là que les mauvaises habitudes sont prises, dès le plus jeune âge. « Manque de repères, fausses idées… Les parents ne savent pas toujours comment s’y prendre », poursuit Patrick Tounian. Mis à l’écart, moqués, ces ados développent alors un profond mal-être, que l’école, univers impitoyable pour ceux qui ne rentrent pas dans le moule, peut considérablement aggraver. « Je ne fais plus attention quand on me traite de “grosse vache” ou que l’on me dit que je suis difforme. En revanche, affronter le regard des autres est très difficile, raconte Alexandra. J’ai d’ailleurs très peu

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Précarité

SANS DOMICILE ET FRAGILE G

eorges a 48 ans. Cet hiver, à la suite d’une rupture conjugale, il s’est retrouvé à la rue. Trois mois passés à dormir sous un porche ont altéré la santé de cet ancien électricien. Il souffre de problèmes dentaires et musculaires. Il se déplace très lentement. « J’ai mal aux pieds à force de marcher avec les mêmes chaussures », confie-t-il. Quand on vit dans la rue comme lui, la santé est mise à rude épreuve et surtout, elle se dégrade rapidement. Les multiples pathologies sont aggravées par les conditions de vie et le manque de soins. « Dans la rue, le moindre problème de santé prend tout de suite des proportions énormes. Un simple rhume se complique, une blessure anodine peut s’infecter », constate Lucile JouauxNlandou, assistante sociale, membre du Collectif d’associations d’accueil et de soins d’urgence à Tours. Un manque de coordination

De nombreux sans-abri souffrent également de problèmes psychologiques, notamment d’angoisses et de troubles de la personnalité. Selon Guénoël Teinturier, chef du service santé de l’Entr’Aide Ouvrière de Tours, « un SDF a vingt fois plus de risques de contracter la tuberculose qu’une personne qui possède un toit ». Les conditions de vie difficiles entraînent aussi des problèmes digestifs, dermatologiques et respiratoires. Les femmes souffrent de troubles gynécologiques et les enfants de problèmes ORL. À cela 10 INNOVA 2007

Problèmes dentaires et musculaires, difficultés pour marcher dues aux mauvaises chaussures... Trois mois dans la rue ont suffi pour que la santé de Georges se dégrade.

gratuits que compte l’agglomération », déplore le docteur Teinturier. Ce problème de synergie mis à part, les associations font plutôt assaut d’initiatives. L’Entr’Aide Ouvrière dispose de tout un réseau sanitaire avec des partenaires qui proposent des soins gratuits. Ils effectuent des visites médicales et des bilans complets de santé. Le soir, des s’ajoutent les addictions à l’alcool et à la drogue. « Les sans-abri peu- médecins se rendent dans les foyers vent aller en cure de désintoxication d’hébergement. Le Samu social est mais de retour dans la rue, ils aussi fortement sollicité. Enfin, pour replongent rapidement », explique offrir une aide psychologique aux l’assistante sociale Lucile Jouaux- SDF, une structure de psychiatrie Nlandou. « Ce qui mobile est en projet à compte pour eux, En France, Tours. Celle-ci complètera les actions de c’est surtout manger, l’espérance boire et trouver un l’Entr’Aide Ouvrière h é b e rg e m e n t » , de vie d’un SDF qui envoie régulièreremarque Christèle ne dépasse pas ment un infirmier sur le Clément, assistante 50 ans. terrain. L’association sociale à l’hôpital insiste cependant pour Bretonneau. Depuis sept ans qu’elle ne dispenser qu’un minimum de collabore avec les associations, elle soins dans la rue. « Il faut inciter les va à la rencontre des sans-abri afin SDF à faire eux-mêmes les démard’identifier leurs problèmes et les ches nécessaires, pour les responamener à se soigner. Mais il est par- sabiliser, confie le docteur Teinturier. fois difficile d’intervenir car certains Même si ce n’est qu’un premier pas, refusent les soins. D’autres changent c’est important ». Julie Innato régulièrement de département, ce qui empêche le suivi médical. De plus, Entr’Aide Ouvrière de Tours : « il y a un manque de coordination Tél. : 02.47.31.87.00 entre les sept structures de soins Samu Social : 115 JULIE INNATO

Les SDF souffrent de nombreux problèmes de santé dus à leurs conditions de vie. Des associations tourangelles tentent d’inciter les sans-abri à se soigner.


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Étudiants

LE PÉRIL JEUNE S’ils se disent globalement bien portants, les étudiants ne vont pas si bien que cela. Hygiène de vie négligée, renoncement aux soins médicaux… Ils sont nombreux à faire fi de leur santé. Avant tout pour des raisons financières.

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n a coutume de dire que la factures (eau, élecvingtaine est une parenthèse tricité), sans oublier enchantée : « 20 ans, c’est le les transports, la bel âge », ou encore « quand on est nourriture, bien sûr, jeune, on a la forme »… 96 % des les vêtements, les étudiants prétendent ainsi être en loisirs… « Alors la bonne santé, selon une enquête santé, on verra plus menée par l’Union des sociétés étu- tard », avoue-t-il. diantes mutualistes (Usem). Et pour- Romain n’est pas tant… Le « bel âge » est également un cas isolé : plus celui des fêlures physiques et mora- d’un étudiant sur les. Mais rares sont ceux qui en font cinq avoue renoncer étalage. Tant qu’on n’est pas cloué aux soins par manau lit, la vie continue. Sous le ver- que de moyens. nis d’une apparente bonne santé, la Selon l’enquête de Parmi les étudiants, 13% de filles et 10 % de garçons déclarent réalité est bien différente. l’Usem, un tiers de Romain*, 23 ans, est étudiant en la population estu- avoir renoncé à des soins dentaires en 2005. communication à Tours. Il fait par- diantine estime ne pas se nourrir cor- Sa demi-heure de pause réglementie de ces 15 % de jeunes qui n’ont rectement. Quand on connaît les taire écoulée, l’étudiante repart pour pas les moyens de se payer une cou- dégâts qu’une mauvaise hygiène de deux heures d’anglais. Après les verture complémentaire santé. Pour vie peut provoquer sur la santé, il y cours, le rythme infernal se poursuit. les petits bobos sans conséquences, a sans doute de quoi s’inquiéter. Marie enfile son habit de guichetière il peut compter sur sa mère, « J’ai perdu 10 kg en trois mois. dans le cinéma où elle travaille 18 h employée dans une pharmacie, pour Aujourd’hui je pèse 44 kg pour par semaine. Ce n’est qu’à 23 h 30 lui procurer le nécessaire pour se soi- 1,63 mètres. Je fais des chutes de qu’elle rentrera chez elle… pour gner. Mais la comtension et suis amé- plancher sur ses cours. Elle finira bine a ses limites. Plus d’un étudiant norrhée, probable- tout de même par s’octroyer six petiment à cause d’une tes heures de sommeil, bien méri« Cela fait plusieurs sur dix n’est carence en fer », tées. Si « le moral tient le coup », mois que je laisse traîner une dent pas couvert par confie Marie, étu- dit-elle, sa santé fait les frais de ce diante en Langues mode de vie. Ce pari risqué, les étucariée. Je ne peux une mutuelle. étrangères appliquées diants sont nombreux à le faire. Sauf vraiment pas me permettre d’avancer plus de qua- à Tours. En cette journée de mars, qu’à long terme, l’addition pour le rante euros. D’autant que, sans la jeune femme s’est accordée une corps, comme pour le portefeuille, mutuelle, je ne serai pas remboursé demi-heure pour déjeuner entre deux peut s’avérer salée. Romain en fait à 100 %. » Le problème est là : se séances de travail intensif à la biblio- l’expérience : n’ayant pu soigner sa soigner coûte cher. Boursier à l’éche- thèque. Un bol de crudités, un yaourt carie à temps, il va devoir se faire lon maximum (400 euros mensuels et une orange : c’est tout ce que cette poser une couronne. Une procédure et 110 euros d’aide au logement), frêle jeune femme de 19 ans avalera. coûtant cinq fois plus cher… Romain a du mal à boucler ses fins Trop de stress ? Pas assez de temps ? Laure Anelli Florent Clavel de mois. Il lui faut d’abord payer le À l’instar de Marie, la moitié des loyer de son appartement qui s’élève étudiants déclare prendre un repas à 310 euros. À cela s’ajoutent les réduit le midi ou le soir. * Les prénoms ont été modifiés.


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La voiture de Sami Ayeb est un véritable cabinet médical ambulant. Il parcoure ainsi 30 000 km par an pour soigner une clientèle plutôt âgée.

Ruralité

JOURNAL D’UN MÉDECIN DE CAMPAGNE P Médecin généraliste à Éguzon-Chantôme dans l’Indre, Sami Ayeb fait partie des rares praticiens qui ont décidé de s’installer en milieu rural. Ce département est l’un des plus touchés par la désertification médicale. Un phénomène qui s’accélère en France, les vieux médecins partant à la retraite.

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ortable à l’oreille, le docteur Sami Ayeb circule à toute allure sur les routes étroites du Val de Creuse. Ce généraliste de 39 ans, installé à Éguzon-Chantôme depuis janvier 2004, effectue chaque jour des visites dans les hameaux les plus reculés des alentours, sur un rayon de vingt kilomètres. Cet aprèsmidi-là, il se rend à Cuzion chez des retraités. Le couple d’octogénaires n’a pas les moyens de se déplacer et se réjouit toujours de l’arrivée du médecin. Il prend leur tension,

renouvelle les ordonnances… La visite est brève mais indispensable. Mais pas le temps de souffler : quelques minutes plus tard, il est à Orsennes, dans un centre de réinsertion pour handicapés. Il y visite une trentaine d’accidentés de la route, qui viennent le consulter ou tout simplement parler. Un cabinet a même été aménagé spécialement pour lui dans l’un des bureaux du centre, où il effectue des vacations tous les après-midi « S’il n’était pas là, quel médecin viendrait par ici ?»


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Comme Marcel, 82 ans, ils sont nombreux, dans le pays, à attendre la visite du docteur. Situé en zone déficitaire, le sud de l’Indre compte moins d’un médecin pour 700 habitants quand la moyenne nationale est d’un médecin pour 295 habitants.

glisse la responsable. rugbyman pensait qu’il ne ferait que Éguzon-Chantôme, un bourg de passer à « Éguzon-Chantôme, vil1 500 habitants dans le sud de l’Indre, lage étape », comme l’indique le est classée en « zone déficitaire » : la panneau à l’entrée du bourg. « J’ai effectué des rempladensité de médecins y est inférieure de « J’ai l’impression cements ici pendant trois ans, raconte-tplus de 30 % à la d’exercer une moyenne nationale. il avec un accent qui rappelle ses oriEn raison de la pénu- médecine plus rie de praticiens, les humaine ! » gines tunisiennes. Le médecin titulaire journées de Sami Ayeb sont bien remplies. Dès 8 heu- a dû partir, il m’a demandé de le res, il est à son cabinet - un pavillon remplacer. J’ai longuement hésité, voisin d’une résidence pour retrai- car ma famille vit à Limoges, mais tés - et finit rarement ses consulta- je connaissais la clientèle, le contact tions avant 21 heures, « sans comp- passait bien… Et mon prédécesseur ter toutes les données à rentrer dans s’inquiétait pour ses patients. » l’ordinateur… Comme je n’ai pas de Même si sa femme et ses trois secrétaire, il ne me reste plus que la enfants restés à Limoges lui mannuit pour le faire ! », plaisante Sami quent, il ne regrette rien. « Ici, le Ayeb. Le praticien à la carrure de métier n’a rien à voir avec ce qu’on

fait en ville. J’ai l’impression d’exercer une médecine plus humaine ! », explique Sami Ayeb, qui connaît le nom de tous ses patients. Un médecin à la retraite pour remplaçant

Dans les rues du village, les gens l’arrêtent souvent pour le remercier ou lui demander un nouveau rendezvous. Une reconnaissance qui le touche mais qui est parfois pesante. Il se souvient notamment des débuts difficiles avec « ces coups de fil en pleine nuit pour un bébé qui avait 38 de température. Dès le moindre pépin, ils ne connaissent qu’un seul numéro : celui du docteur », remarque-t-il. L’inauguration d’une maison médicale de garde à Argentonsur-Creuse, à vingt kilomètres de là, 2007 INNOVA 13


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Le généraliste assure une trentaine de consultations par jour dans un rayon de vingt kilomètres. Il évite ainsi à ses patients âgés des déplacements trop fatigants.

lui a donné un peu de répit. « J’ai mon samedi après-midi et mon dimanche, ce qui me permet de rentrer à Limoges auprès de ma famille. Mais j’ai du mal à trouver un remplaçant quand je veux prendre quelques jours de repos, regrette-t-il. L’été, c’est un médecin retraité qui me remplace... » Il en faut cependant plus pour démoraliser cet opti14 INNOVA 2007

miste forcené. « Regardez ces paysages… C’est magnifique ! s’exclame-t-il en pointant son regard vers l’énorme barrage EDF sur la Creuse. Lorsque je suis en voiture et que je sillonne la campagne, je suis heureux… » Mais au fil de la conversation, il avoue déjà s’inquiéter du moment où ses confrères autour d’Éguzon partiront à la retraite. Peu

de candidats semblent vouloir assurer la relève. « Je connais les étudiants à l’université, et je sais qu’ils veulent s’installer en ville. » Le manque de praticiens risque donc de se faire d’autant plus criant qu’ici les médecins ont , pour la plupart d’entre eux, plus de 50 ans. Pour inciter les jeunes à venir s’installer dans ces endroits désertés, le


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Le docteur Ayeb débute sa journée à 8 heures et la termine rarement avant 21 heures. Malgré ses horaires à rallonge, il n’envisage pas de quitter Eguzon-Chantôme où il s’est installé il y a trois ans.

Conseil général de l’Indre propose, depuis juillet 2006, une bourse de 7 200 euros pendant trois ans aux étudiants de troisième cycle en médecine générale. En échange, les volontaires s’engagent à s’installer pour au moins cinq ans. Une profession à l’orée d’une profonde mutation ?

Pour mieux les séduire, le département vante également une campagne où il fait bon vivre, un environnement préservé ou encore un marché de l’immobilier stable... Las. Il en faut visiblement plus pour convaincre les futurs praticiens : en avril dernier, aucun contrat n’avait encore été signé. « Pour attirer les jeunes médecins à la campagne, peut-être faut-il offrir encore plus... », suggère Sami Ayeb, avant

d’ajouter : « Si ça ne marche pas, on nant en charge la délivrance des cerfera appel à des médecins étrangers. tificats ou la gestion des rhumes ? Un monde à mille lieues du docteur Comme dans les hôpitaux. » Le problème est récurrent bien au Ayeb. En une journée, il aura soidelà de la douce campagne berri- gné nombre de maladies et de petits chone. Tant que les jeunes praticiens bobos : crise d’asthme, hypertenpourront choisir de s’installer là où sion, plaies infectées, angines... « Au lieu d’aller voir, ils le veulent, la quand ils le peuvent, question restera « Pour attirer les spécialistes à entière. Remettre en jeunes médecins, des Châteauroux, les cause cette liberté patients viennent me d’installation serait peut-être faut-il sans effet, voire leur offrir plus... » voir. C’est ce qui me plaît ! Je suis parti contre-productif : une telle mesure orienterait les pra- pour rester ! », lance-t-il. Son porticiens vers le salariat dans les cli- table sonne. « Une urgence, lâche niques, lesquelles délaisseraient le médecin. Un problème pulmoainsi la médecine libérale de proxi- naire... » Et la Hyundai grise fonce mité. La profession est-elle à l’orée de plus belle sur les routes étroites d’une profonde mutation avec des et sinueuses du sud de l’Indre… médecins s’occupant des patholoHugues Derouard gies sérieuses et des auxiliaires preReportage photo : Julie Innato 2007 INNOVA 15


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maladies nosocomiales

LA TOURAINE TRAITE LES INFECTIONS DE L’HOPITAL A l’instar de tous les établissements hospitaliers de l’Hexagone, ceux d’Indreet-Loire n’échappent pas aux problèmes des maladies nosocomiales. Afin d’améliorer une situation préoccupante, des postes supplémentaires de praticiens hygiénistes ont été créés. Mais le risque zéro n’est pas d’actualité.

L

es maladies nosocomiales gagnent du terrain. Pas réellement dans les chiffres, mais plutôt dans les esprits sensibilisés par divers scandales qui ont émaillé l’actualité ces dix dernières années. Les infections contractées dans les établissements de santé – qui font aux environs de 4000 morts par an en France – se sont hissées, l’an dernier, au septième rang des maladies les plus craintes par les patients, selon l’Institut national de la prévention et de l’éducation à la santé (INPES). A première vue donc, plus de peur que de mal : selon la dernière étude du Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales, 4,36 personnes sur cent hospitalisées en 2006 en Indre-et-Loire ont été infectées. C’est moins que le résultat national qui plafonne à 4,97%, et moins que la région Centre (4,69%). Des chiffres qui peuvent encore s’améliorer : il semble que la lutte contre ces infections contractées en milieu hospitalier n’a pas toujours été la priorité des établissements de Touraine ces dernières années. Une enquête de L’Express réalisée en 16 INNOVA 2007

2006 avait d’ailleurs servi d’électrochoc, mettant en exergue les mauvais scores de certains hôpitaux du département, les positionnant à la 41e place sur 72 pour le Centre hospitalier régional universitaire de Tours, et à la 237e sur 241 pour l’hôpital de Chinon.

Une hausse des effectifs suffiraitelle pour autant à réduire la fracture ? Pas sûr : « Même les hôpitaux dans le vert nous disent qu’ils ont du mal à lutter contre les maladies nosocomiales. Si on mettait vraiment la théorie en pratique, il faudrait que le personnel passe deux fois plus de temps à se laver les mains qu’à Un risque de contamination s’occuper des patients... » difficile à maitriser Malgré la création d’un demi-poste Autre handicap auquel il faut faire de praticien hygiéniste en plus, face : la concentration hospitalière. immédiatement après un procès « Quand vous opérez tout le monde perdu il y a quelques années, sur seulement deux blocs opératoires, le CHRU de Tours demeure dans c’est sûr qu’il y a des germes qui peule collimateur de l’INPES, et vent traîner », poursuit Marc Lagier. pour cause : trois critères de Une situa tion peu encourageante, surveillance sur quatre sont dans qui nécessite une remise en quesle rouge. L’hôpital chinonnais fait tion du fonctionnement des établispire, ne remplissant aucun critère. sements, de la qualité des soins disMarc Lagier, docteur et délégué syn- pensés mais aussi des mentalités du dical FO à Chinon, avance une personnel médical. première explication : « A cause Selon Nathalie Van der Mee, « les du manque de lits, praticiens accepdu placement des 750000 tent difficilement patients dans des personnes sont l’idée qu’ils puisservices inapprocontaminer infectées chaque sent priés et de la baisse des patients ». Et des effectifs, on est année en France. de regretter le manen désorganisation que de suivi de ces chronique », explique-t-il. A Chinon, derniers. Dès lors, faut-il se résigner ? Certainement pas. le taux de personnes infectées atteiLe centre hospitalier de Chinon a gnait 5,40 % l’an passé. Les professionnels de la santé, commencé sa transformation : noucomme Nathalie Van der Mee, pra- veaux locaux et nouveau directeur. ticien responsable du Relais régio- Celui d’Amboise, qui se remet à nal d’hygiène hospitalière, avaient peine de la fusion avec Châteautrès souvent tiré la sonnette d’alarme. Renault, – pourtant ancienne de « Nous n’avons vraiment pas assez quinze ans – , affiche aujourd’hui de praticiens et d’infirmiers hygié- un taux d’infections en dessous de nistes, s’inquiète-elle. Nous som- la moyenne départementale. mes les seuls établissements de la Surprenant, quand des postes et des région à ne pas respecter le seuil services ont été supprimés, conduisant à une réorganisation drastique minimum requis.»


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Le Centre hospitalier régional universitaire de Tours a été classé 41e établissement sur 72 en France, en 2006, par une enquête de L’Express.

Le protocole est clair. Afin déviter tout risque d’infections nosocomiales, le personnel doit se laver les mains, six minutes avant de pénétrer dans un bloc chirurgical, et trois minutes avant d’effectuer les autres gestes de soins.

de l’établissement. « Nous sommes un petit hôpital, donc le risque est moindre », explique Maurice Chevalier, son directeur. Et si le budget – qui est d’environ 60 millions d’euros – « a plutôt tendance à diminuer », cela est compensé par « la volonté du personnel qui veut défendre son outil de travail ». Désormais davantage sensibles au problème, les établissements régionaux ont globalement réussi à améliorer la situation depuis cinq ans. Le corps médical ne s’attend toutefois pas à une baisse subite des chiffres ; une formation du personnel ne ferait diminuer le nombre de personnes infectées que sur le long terme. Les grands maux sont là. Mais les grands remèdes sont tout juste présents dans les têtes. Andy Barréjot

Relais Régional d'Hygiène Hospitalière du Centre Hôpital Bretonneau 2 boulevard Tonnellé 37044 Tours cedex 9 Tél : 02.47.47.82.90 Inpes : Institut national de la prévention et d’éducation pour la santé 42 boulevard de la Libération 93203 Saint-Denis cedex Tél. : 01.49.33.22.22 www.inpes.sante.fr

L’hôpital d’Amboise affiche aujourd’hui un taux d’infections nosocomiales endessous de la moyenne départementale.

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Économie

MARIAGE D’ARGENT DES CLINIQUES TOURANGELLES Cette année, six des sept cliniques privées de l’agglomération tourangelle déménagent. À Saint-Cyr-sur-Loire et Chambray-lès-Tours, deux pôles médicaux réuniront personnels et compétences dans un nouvel espace.

cales et de court séjour des cliniques Velpeau et Saint-Grégoire. Cependant, la capacité d’accueil de ces deux pôles ne dépassera pas celle de toutes les cliniques participantes cumulées : 400 lits pour Léonard-de-Vinci et 200 pour l’Alliance. L’Agence régionale de

la radiologie, aux scanners, et à la rééducation. Le pôle disposera aussi de son propre laboratoire d’analyses. Les résultats seront donnés plus rapidement. La clinique de l’Alliance, quant à elle, regroupera l’ensemble des spécialités chirurgicales, de médecine

Des chambres plus spacieuses

Le pôle Léonard-de-Vinci , au sud, réunira le personnel de quatre d’entre elles : le Parc, Fleming, les Dames-Blanches et SaintAugustin, tandis que le nouveau centre de l’Alliance , au nord, regroupera les activités chirurgi18 INNOVA 2007

CÉLINE TARRIN

A

près trois ans de travaux intensifs, les bâtiments de la future clinique de l’Alliance, à Saint-Cyr-sur-Loire, et du pôle de santé Léonard-deVinci, situé à Chambray-lès-Tours, prennent tournure. Des bâtiments neufs, résultats d’une fusion : celle de six des sept cliniques de l’agglomération tourangelle. Ce regroupement s’est imposé pour faire face aux difficultés financières révélées lors de mouvements sociaux en 2001 et 2003. Grâce à la mutualisation des équipements et du personnel, les cliniques réalisent les économies nécessaires à leur pérennité. Pour autant, cette « fusion tranquille » n’a pas entraîné de licenciements. Pour les patients, ces deux pôles augurent un tournant dans l’offre de soins départementale : la quasi disparition des cliniques privées du centre-ville. Seule la clinique Saint-Gatien s’y maintient.

La clinique de l’Alliance et le pôle Léonard-de-Vinci ont investi respectivement 39 et 76 millions d’euros dans les bâtiments.

l’hospitalisation (ARH) a néanmoins consenti à l’apport de trente lits supplémentaires destinés au service de rééducation fonctionnelle du centre de Vinci. Au final, les patients auront des chambres plus spacieuses et plus confortables. Les deux pôles se partageront les différents services. Le centre Léonard-de-Vinci sera divisé en quatre secteurs : une division « mère-enfant », avec l’obstétrique et la gynécologie, puis la cancérologie, la chirurgie et la médecine générale. Viendront s’y ajouter des bâtiments consacrés à

interne, et un département de radiologie. Un service d’urgences, ouvert depuis septembre 2004 à Saint-Grégoire, sera également intégré. Le chantier de la clinique de l'Alliance devrait être terminé le 15 août 2007, celui de Léonardde-Vinci début décembre. L’ouverture au public devrait se faire dans les semaines qui suivront. Reste à savoir si cette nouvelle vitrine médicale saura séduire de nouveaux patients tout en conservant une clientèle aux habitudes forcément chamboulées. Florian Etcheverry


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Patients psychiatriques

UN VRAI JOB, ENFIN !

À

30 ans, Michaël* souhaitait prendre un nouveau départ. Son objectif ? Trouver un travail, son premier. Avec un obstacle de taille : sa maladie psychiatrique Aux Studio, les malades travaillent au restaurant 20 heures par semaine avec un emploi du et son lot de handicaps – fatigue, diftemps adapté. Ils sont embauchés en contrat à durée déterminée de six mois renouvelable. ficultés de concentration, repli sur soi, perte d’autonomie et de motivation… Lors d’une séance, son Dissez. Ils perdent tout repère. La sinier, sorti des Studio il y a peu. Il a repris du service en milieu « ordi« psy » lui parle du restaurant des maladie survient souvent à l’adolesStudio, le cinéma d’art et d’essais cence, avec son lot d’hospitalisa- naire », au sein d’une association. de Tours. Service, plonge, cuisine, tions. Il est alors très difficile pour Et ça marche plutôt pas mal pour les malades s’occueux d’avoir une expé- lui : « J’ai retrouvé un emploi, je pent du restaurant. « Je me sens rience profession- gère bien. » La même année, un Michaël a ainsi plus sûre de moi, nelle. » Quand le autre malade a repris ses études après obtenu un CDD de malade se stabilise, son expérience aux Studio. plus souriante. six mois, renouveaprès quelques années, La solution aux problèmes d’inserlable. Vingt heures Je m’accepte... » « il n’y a pas de rai- tion de Michaël, Marie et d’autres hebdomadaires. son pour qu’il ne a-t-elle pour autant été trouvée ? C’est le contrat fixé pour tous, avec puisse pas aspirer à un travail en Charles Dissez insiste : « Le projet un emploi du temps adapté. Pour milieu non protégé », affirme le psy- n’a pas vocation à pallier un marCharles Dissez, psychiatre, ancien chiatre. ché du travail encore trop fermé pour chef de service du CHU de Tours, ces malades . C’est un marchepied, et chef du projet, l’autre condition Reprendre confiance en soi une période transitoire pour se réasine qua non est la poursuite du trai- Embauchée en octobre, Marie – en dapter aux lourdes contraintes du tement. Car si celui-ci est fatigant, soins depuis trois années – goûte aux milieu professionnel. » Et sans doute il n’en reste pas moins indispensa- premiers bénéfices d’un travail gra- aussi un tremplin pour changer le ble pour éviter la rechute. tifiant. « Je me sens plus sûre de moi. regard porté sur le malade. Michaël a décroché ce contrat après Plus souriante, plus aimable. J’ai Laure Anelli et Florent Clavel plusieurs années de galère : « Je vais aussi perdu du poids. Je m’accepte », *Tous les prénoms ont été changés. enfin pouvoir gérer mon argent, confie la jeune femme de 27 ans. avoir une véritable hygiène de vie : Mais, dans six mois, son contrat s’arme lever tôt, manger à des heures rête. L’avenir ? Cela ne l’angoisse Cinéma « Les Studio » régulières. » Des habitudes qu’il faut pas. Pour elle, dorénavant, il est impossible de ne plus travailler. réapprendre au quotidien. 2 rue des Ursulines « La situation de ces malades est La suite prendra peut-être la forme 37000 Tours parfois proche de celle des chômeurs d’un CAP cuisine. Pour, qui sait, Tel. : 02.47.20.27.00 de longue durée , explique Charles marcher dans les pas de Marc, cuihttp://www.studiocine.com 2007 INNOVA 19

JULIE INNATO

Au restaurant du cinéma « Les Studio », à Tours, six personnes soignées pour des troubles psychiatriques renouent avec une activité professionnelle. Un tremplin vers l’emploi pour ces malades souvent laissés pour compte.


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Emprunt bancaire

DOUBLE PEINE POUR LES GRANDS MALADES Lancée en janvier 2007, la convention Aeras (s’Assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) doit, en principe, faciliter l’accès aux crédits des personnes souffrant de pathologies graves. Mais son efficacité est déjà mise en doute.

blissements financiers se sont engagés à améliorer l’information, beaucoup de progrès restent encore à faire. Certaines banques possèdent des guides Aeras… dans leurs cartons. D’autres ont opté pour une information uniquement consultable en ligne. D’autres encore fournissent, certes, des exemplaires de

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SOPHIE MALFON

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éropositif depuis treize ans, Éric n’avait jamais songé à faire un emprunt, conscient des discriminations à l’encontre des porteurs du sida. Depuis que son conseiller du Crédit Agricole lui a parlé de la convention Aeras, cet habitant du Loir-et-Cher se veut optimiste : « Quand on est séropositif, le dossier est généralement refusé. Là au moins, on avance .» À 42 ans, Eric peut enfin envisager de changer de voiture en empruntant près de 5 000 euros. Comme lui, 11 millions de personnes sont susceptibles de bénéficier de la convention Aeras (s’Assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé). Lancée en tout début d’année, celle-ci a pour objectif de faciliter l’accès à un emprunt pour les personnes atteintes, ou ayant été atteintes, d’une affection à long terme telle que le sida, le cancer, le diabète... Elle succède à la convention Belorgey qui, en six ans d’existence, n’a jamais réussi à s’imposer auprès du public visé. Comme le souligne Patrick Ferrer, porte-parole du réseau des malades de la Ligue nationale contre le cancer, « personne n’en avait connaissance». La convention Aeras fera-t-elle son trou ? Difficile à dire, cinq mois seulement après sa mise en place. Seule certitude : si les assurances et les éta-

avantageux d’emprunter… sans passer par Aeras – à condition, bien sûr, de trouver une banque acceptant un prêt. À ce paradoxe s’ajoute un écueil fâcheux: aucune sanction n’est prévue en cas de pratiques discriminatoires. Très critique sur le sujet, l’association UFC-Que-Choisir a refusé de parapher Aeras alors qu’elle était signataire de la convention Belorgey. Afin de régler les éventuels litiges, le dispositif repose, comme auparavant, sur une commission de médiation. Son président, Emmanuel Constans , affirme que « deux cents dossiers ont été déposés au cours du premier trimestre », ce qui est plutôt un bon début. « En trois mois, la commission a reçu plus de dossiers qu’en un an sous Belorgey », constate-t-on au Collectif inter associatif sur la santé. La preuve que les personnes concernées sont mieux informées sur la nouvelle convention. Mais pas question de s’en féliciter pour autant. Cette recrudescence des réclamations montre, aussi, que l’accès au crédit demeure un parcours du combattant pour les malades. Malgré les garanties, les banques se montrent toujours d’une frilosité tenace. Là réside toute la difficulté que rencontrera Éric dans ses futurs projets, puisque le sida tue toujours. Sa solvabilité ne sera jamais totalement prise en compte, sa séropositivité primant sur tout. Une véritable « double peine » pour ces personnes malades.

la convention à leurs clients, mais sans explications – et ce, que les clients soient d’ailleurs « touchés ou non par une maladie », comme l’admet un banquier de Tours. Des emprunts qui coûtent cher

Autre obstacle, déjà existant dans la convention Belorgey : les surprimes. Exigées par les assurances chargées de définir le montant des primes décès et invalidité, celles-ci peuvent atteindre jusqu’à 100 euros par mois. Si le nouveau protocole permet aux bas salaires de faire appel à l’État pour prendre en charge une partie de ces suppléments, ceux-ci restent encore très élevés dans la plupart des cas. À tel point qu’il est parfois plus

Anissa Ammoura, Christelle Bodin et Nicolas Ferrier


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Nicolas, 33 ans, ingénieur en informatique à Arles, ancien malade atteint d’un cancer de la thyroïde.

D.R.

« UNE HYPOTHÈQUE SUR LA MAISON DE MES PARENTS »

« Trois ans après mon cancer de la thyroïde, je décide de construire une maison. Mon bilan de santé est plutôt bon. J’entreprends alors les

démarches pour faire un prêt immobilier. À l’arrivée, toutes les offres comprenaient une surprime. Une assurance a même accepté de me

couvrir dans le cadre de la convention Aeras, mais seulement sur le décès et avec une majoration de 80 euros par mois. Seul souci : la banque concernée ne voulait pas m’accorder un prêt sans assurance invalidité. Ou alors en prenant une hypothèque sur la maison de mes parents ! J’ai finalement choisi la première proposition qui m'avait été faite : le CIC a accepté le prêt avec

Sylvie, 40 ans, 2 enfants, conseillère en insertion, atteinte d’un cancer du sein depuis 2004.

CHRISTELLE BODIN

« LA PESTE POUR LES BANQUIERS »

« J’avais un projet depuis 2003 : construire ma maison. Pendant l’été 2004, j’ai appris que j’avais un cancer du sein. Je suis devenue propriétaire d’un terrain fin 2004 sans emprunter, mais pour construire, j’ai eu besoin d’un prêt. Je suis

retournée voir la banque. Célibataire et cancéreuse, je n’ai même pas eu le droit de répondre à un questionnaire de santé : j’étais la peste totale pour les banquiers. J’avais pourtant un dossier béton : un cautionnaire, plus une assurance décès et invalidité. Personne ne connaissait ni n’appliquait la loi Belorgey. J’ai vraiment galéré. Une banque a même voulu que je monte une société civile immobilière afin de pouvoir emprunter! Pour construire sa propre maison, cela me paraissait aberrant. À force, j’ai trouvé une assurance. Fallait-il encore qu’un organisme me prête de l’argent, ce qui s’est passé quelques mois après. Grâce au bouche-à-oreille, j’ai aujourd’hui une assurance à Rouen, un courtier à Strasbourg, et une banque à Reims. »

seulement une assurance décès, et une surcotisation de 37 euros par mois…. Tout cela sans convention Aeras. Je ne vois que deux raisons possibles à cette galère : soit commercialement je n’intéressais pas les banques, soit j’ai été discriminé en raison de ma maladie. Et tant que la convention Aeras ne sera pas obligatoire, il n’y a pas de raison que ça change. »

LES AVANCÉES DE LA CONVENTION Depuis le 6 janvier 2007, les personnes malades peuvent bénéficier des nouvelles mesures de la convention Aeras. Son champ d’application a été élargi par rapport à la convention Belorgey : l le temps de traitement des demandes ne doit pas excéder cinq semaines. l l’octroi d’un prêt à la consommation de moins de 15 000 euros n’est plus soumis à un questionnaire de santé. l un référent Aeras, aux coordonnées publiques,est nommé dans chaque établissement bancaire. Plus d’informations sur www.aerasinformations.org.

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Complémentaires santé

TOUS COUVERTS, INEGALEMENT La majorité de la population française bénéficie d’une complémentaire santé. Les disparités de remboursement demeurent pourtant très importantes.

S

Jean, 34 ans, cadre. Assurance Swiss Life à 545,50 €/an Prothèse auditive : 660€ Sécu* : 129,80 € Complémentaire : 299,50 € Jean : 230,70 € ,0? Paire de lunettes + lentilles : 220€

ouscrire une complémentaire santé : privilège ou formalité ? Sécu : 7,25 € Selon un sondage Tns-Sofres Complémentaire : 124,90 € de mai 2006, 92 % des Français en Jean : 87,85 € bénéficient. Pierre angulaire du parProthèse dentaire : 240€ cours de soins, une telle adhésion est jugée indispensable par 69 % d’enSécu : 75,25 € tre eux. Pourtant, tous ne sont pas Complémentaire : 164,75 € logés à la même enseigne. Si le sysJean : 0 tème de soins français permet une grande accessibilité aux mutuelles, 75?dépassement(1) : 80€ Michel : 164, PCart en ardiologue il n’en est pas pour autant équitable. Age, sexe, situation familiale et surSécu : 31,01€ tout montant de la cotisation sont Complémentaire : 48,99€ autant de facteurs influents. Deux Jean : 0 patients ayant souscrit la même comPart Michel : 48,99? Ostéopathe(1) (non remboursé par la S S) : 30 plémentaire santé, mais avec des contrats différents, n’obtiendront pas Sécu : 0 les mêmes garanties. Exemple : un Mutuelle: 27€ cadre de 34 ans, cotisant 45,66 euros Jean : 3 € par mois à Swiss Life, verra sa cham: 27? Part mutuelle bre particulière remboursée intégraForfait hospitalier de 3 jours(2) : 48€ lement lors d’une hospitalisation ; Sécu : 0 alors qu’un ouvrier de 20 ans, cotiEn tout, Jean a Mutuelle : 48 € sant 15,80 euros par mois à la même Jean : 0 assurance n’obtiendra aucune prise déboursé 867,05€ en charge pour la même prestation. Le patient a donc intérêt à souscrire chacun ne peut s’assurer qu’en fonc- moins bien remboursées par la Sécurité sociale : soins dentaires, une très bonne complémentaire tion de son porte-monnaie. Dans une santé. Et donc, payer une cotisation enquête de mai 2006, la Direction optique et dépassements d’honoraide la recherche des res, les secteurs les « plus discrimiplus onéreuse. Ce qui études de l’évalua- nants » pour la Dress. Alors que les n’est pas à la portée 63% des actifs de tous. ont une assurance tion et des statisti- contrats « entrée de gamme » ne couques (Dress) a vrent que très rarement les dépassePourtant, les contrats répertorié quatre ments d’honoraires, les meilleurs santé foisonnent et payée en partie grandes familles de remboursent jusqu’à deux ou trois proposent une multi- par l’employeur. contrats, de la plus fois le tarif de responsabilité de la tude de formules, Sécurité sociale. Concernant les protoutes plus personnalisées les unes chère à la plus économique. Leur que les autres. Mais l’égalité d’ac- différence tient principalement à la thèses dentaires et lunettes, les garancès aux soins n’est pas garantie car prise en charge des prestations les ties des contrats « haut de gamme » 22 INNOVA 2007


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POUR LES PLUS DÉMUNIS

MENT GARANTIS Michel, 34 ans, ouvrier. Sans complémentaire * Sécurité sociale (1) Consultation remboursée sur la base de 45,73 €. Certains spécialistes, comme les ostéopathes ne sont pas remboursés. (2) Le forfait hospitalier journalier ( lit et nourriture ) s’élève à 16 €.

Sécu : 129,80 € Michel : 530,20 €

80€

Sécu: 7,25 € Michel : 212,75 € Part Michel : 212,75?

Pour des soins classiques, Michel dépensera moins que Jean. Pour 5 consultations de généraliste à 21 € remboursées 20 €, 2 consultations de dentiste conventionné à 25 € remboursée 16,50 € et l’achat de lunettes à 120 €, Michel déboursera 142 € dans l’année ; alors que Jean dépensera 117,75 € + 545,50 € de souscription à sa mutuelle soit 663,25€.

Sécu : 75,25 € Michel : 164,75 € Part Jean : 0? Sécu : 31,01 € Michel : 48,99 €

ar la S S) : 30€ Sécu : 0 Michel : 30 €

8€ Sécu : 0 Michel : 48 €

En tout, Michel a déboursé 1034,69€

sont près de trois fois plus élevées que celles des contrats dits « intermédiaires »… Selon le même sondage Tns-Sofres, 63 % des actifs français détiennent une complémentaire santé via leur travail. Une solution avantageuse, puisque l’employeur participe au paiement de la cotisation à hauteur de 60 %, en moyenne. À l’autre extrémité de l’échelle sociale, les plus démunis ne sont pas oubliés. Ils peuvent, eux aussi, bénéficier d’aides pour sous-

crire une complémentaire santé (voir encadré). Contrairement aux idées reçues, bénéficier d’une mutuelle n’est donc pas l’apanage des plus riches.Mais les disparités dans la prise en charge des soins sont extrêmement importantes. Mieux vaut travailler dans une grande entreprise ou avoir de bons moyens pour cotiser... Sinon, la note finale risque de s’annoncer salée.

La Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) : gratuite et renouvelable, la CMUC est une mutuelle pour les plus défavorisés. Peuvent en bénéficier ceux qui sont en situation régulière, résident en France depuis plus de 3 mois et dont le revenu mensuel est inférieur à 598,23 euros. Les avantages sont nombreux : prise en charge du ticket modérateur, du forfait journalier et de certains dépassements (dans la limite d’un certain montant). L’Aide pour complémentaire santé (ACS) : elle est attribuée aux Français qui perçoivent des ressources supérieures à 20 % du plafond CMUC (soit 717,88 euros par mois). Il faut également être en situation régulière et résider en France depuis plus de 3 mois. L’ACS donne droit à une déduction sur le prix annuel de la complémentaire santé, choisie librement. Depuis 2006, s’ajoute la dispense d’avance de frais sur la part prise en charge par l’assurance maladie.

Julie Cloarec Marie Varroud-Vial

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Prévention

SEXE, CONDOM ET FANTAISIE

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se protéger. Je trouve scandaleux que le préservatif soit vendu aussi cher quand son coût de fabrication est de 5 centimes environ, s’emporte Hervé Antoine. Les marques qui ont refusé de participer à l’opération du préservatif à 20 centimes se font un fric fou sur la santé publique ! » Le fabricant français, très investi dans la lutte contre le sida, ne s’est pas fait que des amis chez ses

a première fois qu’Élodie, 23 ans, s’est rendue dans une pharmacie pour acheter des préservatifs, elle est tombée de haut : 7,50 euros la boîte de 12. « On nous rabâche sans arrêt qu’il faut se protéger, mais il faudrait que tout le monde y mette du sien! » s’insurge-t-elle. Le préservatif accessible à tous était l’un des souhaits de Jacques Chirac. À la veille de la Journée mondiale de lutte contre le sida, en 2005, le président de la République avait lancé un appel pour la diffusion du préservatif à 0,20 euro. Deux sociétés, Polidis et Antoine & associés, se sont lancées sur ce marché, en décembre dernier. La première en commer- «La fabrication concurrents, qui comcialisant ses préserva- d’un préservatif muniquent peu sur leurs tifs à l’unité dans les marges. Et pourtant, à officines, la seconde en coûte environ en croire plusieurs pharproposant des pochet- 5 centimes.» maciens, les ventes ne tes de cinq, disponibles pâtissent pas des prix chez 20 000 marchands de journaux cassés. « Ce n’est pas la même clienet buralistes. « Un succès colossal : tèle, commente Éric Néron, pharmaen un peu plus de deux mois, sept cien à Tours. Il est compréhensible millions de préservatifs se sont arra- que ceux qui ont les moyens veuilchés ! », se félicite aujourd’hui lent allier l’utile et l’agréable. » Un Hervé Antoine, PDG d’Antoine & tour dans les rayons concernés sufassociés, « père » des préservatifs fit à confirmer cette idée. « Make Love » dont 5 % des ventes reviennent à Aides, l’association de Coloré, perlé, parfumé... lutte contre le sida. Les fabricants se sont massivement « C’est une bonne initiative», com- orientés vers une gamme plaisir et mente Sébastien, 22 ans, utilisateur fantaisie, plus que vers la prévention : entre les préservatifs colorés, régulier. « Reste que si j’en ai besoin la nuit, je vais devoir dépenser deux parfumés ou encore perlés, on ne sait euros... », ajoute-t-il en faisant réfé- plus où donner de la tête. Hansaplast, rence au prix encore prohibitif des venu titiller les géants Durex et préservatifs vendus en distributeurs. Manix sur le marché, démédicalise lui aussi le latex. La marque de spa« Aujourd’hui, on ne peut pas ne pas 24 INNOVA 2007

JULIE INNATO

Lancé en décembre dernier, le préservatif à 20 centimes d’euros tente, non sans mal, de s’imposer sur le marché.

radraps a lancé le « Mutual pleasure », innovant avec son capuchon en double spirale, et « Plaisir G », « spécialement étudié pour stimuler le plaisir de la femme ». De son côté, Durex a osé transformer un produit de santé publique en sex toy : le « Pleasure max vibrations », un préservatif avec anneau vibrant vendu 9 euros environ. Une idée très rentable mais « aux antipodes de la vocation des préservatifs », selon Hervé Antoine. Bien que récentes, ces innovations marketing ne suffisent manifestement pas à rabibocher les Français avec la “capote”. « Ils y ont deux fois moins recours que les Britanniques ou les Italiens, constate Olivier Denoue, directeur de la communication d’Aides. C’est cruel, car le nombre de séropositifs est largement plus important en France qu’ailleurs en Europe. » En 2005, 93 millions de préservatifs ont été vendus en France alors que 6 700 personnes ont découvert leur séropositivité. D’où l’urgence de pérenniser cette opération... et d’éviter qu’elle ne tombe à l’eau comme celle, lancée en décembre 1993, du préservatif à 1 franc. Hugues Derouard

DISTRIBUTION GRATUITE En 2006, 5,5 millions de préservatifs masculins et un million de préservatifs féminins, ont été distribués par l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. Autant le seront en 2007. Depuis le 2 avril, la Maaf rembourse, dans le cadre de son forfait « prévention santé », les préservatifs à hauteur de 30 euros par an.


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Sports

ATHLÈTES BICHONNÉS Entourés d’un staff médical important, les sportifs professionnels sont véritablement choyés. Au Tours Volley-Ball (TVB), la santé et la condition physique des joueurs font l’objet d’une surveillance très poussée.

Des spécialistes à disposition

À proximité de la zone de tir, Pascal Foussard, le directeur sportif du Tours Volley-Ball observe « son » joueur, visiblement soulagé. « Quand on enchaîne les rencontres, il est indispensable d’avoir un suivi médical des joueurs même si ceux-ci sont aujourd’hui plus à l’écoute de leur corps… Un joueur qui ne peut pas jouer, c’est un résultat qui peut passer sous le nez du club. Alors, il est important de mettre tout le monde dans les meilleu-

GÉRARD MATHIEU/NR

I

nlassablement, le ballon, catapulté par le bras de Gérald HardyDessources, vient se briser sur le mur vétuste de la salle d’entraînement du complexe Grenon à Tours. Sous les coups répétés, la vieille peinture s’effrite. Le volleyeur tourangeau déroule mécaniquement ses frappes, bien droit dans ses baskets. La semaine dernière pourtant, le gaillard boîtait bas, souffrant d’une entorse à la cheville. À peine une dizaine de séances de kiné plus tard, ce n’est plus qu’un souvenir. « Quand tu reprends, tu as toujours peur de faire certains gestes, concède-t-il. Mais comme chaque fois on m’a bien guéri…Ici, le staff médical est très bon, mais quelque part c’est normal. Un joueur qui ne récupère pas bien, c’est comme un ordinateur sans ses logiciels. Ça ne fonctionne pas à fond. »

Le kiné Jérôme Piquet étire les 1,93 m. de l’international Loïc de Kergret.

res dispositions. » Le TVB a pour cela mis en place une logistique médicale particulière. Pas de salariés, ni de budget alloué à la santé, mais des spécialistes extérieurs, indemnisés pour le temps passé avec les joueurs. Un orthopédiste, un médecin du sport, un préparateur physique et deux kinésithérapeutes constituent le staff médical, auquel viennent s’ajouter des intervenants au cas par cas (cardiologue, podologue, nutritionniste et préparateur mental). Soit neuf spécialistes au chevet d’une quinzaine de joueurs. « Avec un match tous les trois jours, il y a de grosses contraintes physiques, explique Jérôme Piquet, kiné du club depuis onze ans. Être sportif de haut niveau n’est pas donné à tout le monde. Et la moindre blessure peut perturber ce potentiel. Il ne faut pas laisser la moindre place au hasard ». En moyenne, entre la prévention, la musculation et les soins, chaque joueur effectue une soixantaine de séances de kiné par saison. Principales préoccupations : les genoux, à cause de la répétition des sauts, et les muscles de l’épaule. Mais lorsque survient une grosse blessure, l’addition s’alourdit.

Transféré de Belgique cette année, le Roumain Sergiu Stancu a rapidement fait connaissance avec le staff médical. Victime d’une fissure d’un tendon de l’épaule, il a enduré cinq semaines de rééducation intense : deux séances quotidiennes, parfois longues de plus de quatre heures. « C’est dur quand tu ne joues pas glisse-t-il. Souvent, quand je n’avais pas trop le moral, Jérôme me parlait beaucoup, faisait des blagues. » Des joueurs dans leur bulle

Comme pour Sergiu, les spécialistes sont à la disposition des joueurs qui peuvent les consulter dès qu’ils le souhaitent. Les autres patients en pâtissent. Lors du Final Four européen en avril dernier, Jérôme Piquet, présent avec l’équipe à Moscou, a dû fermer son cabinet. « Les joueurs vivent dans leur bulle, se lamente-t-il. Ce sont des mecs bien, mais ils ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont. Pour eux, tout est naturel, normal. Venir au cabinet et voir des gens qui ont eu des accidents et sont en fauteuil roulant, quelque part, ça les aide à relativiser. » Andy Barréjot

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Travail

LES MAUX DU BOULOT Les mauvaises conditions de travail se répercutent sur la santé. Autrefois rares chez les employés et les cadres, les maladies professionnelles touchent désormais toutes les catégories de métiers.

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e travail, c’est la santé ! Ne devrait-on pas dire : le travail use la santé ? Les salariés souffrant de maladies d’origine professionnelle sont, en effet, de plus en plus nombreux. Entre 1997 et 2005, le nombre de cas reconnus est passé de 16 000 à 52 000. Mal de dos, tendinites, asthme, allergies, cancers... 112 affections liées au travail sont actuellement répertoriées par la Sécurité sociale. Si le milieu ouvrier était auparavant le plus concerné, les cols blancs et les cadres ne sont plus épargnés aujourd’hui. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) en sont un exemple typique. Cette pathologie qui touche les muscles, nerfs et tendons affectent de nos jours tous les secteurs d’activités. Vous effectuez chaque jour des gestes répétitifs ou vous travaillez dans une mauvaise posture? Vous faites peut-être partie des 31 000 per-

sonnes souffrant de cette maladie salariés encourent pourtant des risdirectement liée à la pénibilité du ques plus importants que d’autres. travail. Premier problème de santé Au hit parade des métiers les plus au travail en France, les TMS sont dangereux : les secteurs du BTP et même qualifiés d’épidémie par de la chimie. Des secteurs dans lesl’Institut de veille sanitaire. quels le salarié est en contact avec Plombiers, caissières de supermar- des produits toxiques cancérigènes. ché, infirmières, employés chargés Alors que l’amiante est responsable de saisie informatique, ouvriers de de plus de la moitié des cancers professionnels, d’autres manutention défilent ainsi 500 000 travailleurs substances, utilisées quotidienne- sont susceptibles quotidiennement, sont ment dans les tout aussi dangereucabinets des de développer ses. Des agents de médecins du un cancer en France. l’Equipement aux agriculteurs utilisant travail pour soigner des articulations mises à rude des pesticides, en passant par les épreuve. Tendinites de l’épaule ou agents d’entretien et les garagistes, syndrome du canal carpien (lésion environ 500 000 travailleurs seraient qui touche main et poignet) consti- ainsi susceptibles de développer un tuent les pathologies les plus fré- cancer à cause de leur activité. quentes. Mais aussi les plus diffici- Les fonctionnaires, cadres et autres les à prévenir. « Quand on utilise des employés du tertiaire auraient-ils des produits toxiques, il suffit de les conditions de travail moins dangechanger. Pour les TMS, ce n’est pas reuses ? Non. S’ils sont moins affecsi simple. Il faut analyser tout le tra- tés par les cancers, ils ne sont pas vail, les mouvements… », explique épargnés par le stress et les troubles Jacques Baugé, médecin à psychologiques : des maux invisil’Association interprofessionnelle bles ignorés par la Sécurité sociale. pour la médecine du travail (AIMT) « Quand j’ai commencé ma carrière, d’Indre-et-Loire. le stress existait dans des activités Si l’éventail des professions frap- particulières comme le travail à la pées par les maladies professionnel- chaîne, souligne le docteur Baugé. les est de plus en plus large, certains Depuis une quinzaine d’années, il

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PHOTOS : CÉLINE TARRIN

Les métiers du BTP ne sont pas les seuls à engendrer des maladies professionnelles. Au bureau, l’utilisation intensive d’un ordinateur n’est pas sans danger pour la santé. Tendinites et lésions nerveuses guettent les esclaves du clavier.


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SARAH CAILLAUD / ANTHONY RENAUD

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EVERITE : LE COMBAT DES VICTIMES DE L’AMIANTE CONTINUE Aujourd’hui laissée à l’abandon, l’usine Everite à Descartes (Indre-et-Loire) a pourtant fait la Une des journaux en 1997. Cette année-là, la France interdit l’utilisation et la commercialisation des produits à base d’amiante. Un coup fatal pour cette filiale de Saint-Gobain, spécialisée dans la fabrication de tôles et d’ardoises en fibrociment, un matériau à fort taux

touche de nouveaux secteurs comme la grande distribution, les centres d’appels téléphoniques. Mais aussi les ambulanciers, les forces de l’ordre. Il serait logique que les pathologies psychologiques soient elles aussi reconnues ». Un sujet qui fait aujourd’hui débat. Comment, en cas de suicide, distinguer l’influence de la vie personnelle et celle de l’activité professionnelle ? La polémique est relancée avec le décès de plusieurs salariés à l’usine Renault de Guyancourt et à la centrale nucléaire de Chinon. En mars, la Caisse primaire d’assurance maladie a classé la mort d’un employé de Chinon comme maladie professionnelle. Un cas qui pourrait faire jurisprudence. Sarah Caillaud Anthony Renaud

d’amiante. Désamiantage du site et tentative de reconversion n’ont pas suffi à sauver l’entreprise. Depuis 2001, Everite n’existe plus. Et l’effet médiatique est retombé. Si certains employés ont voulu tourner la page, d’autres ont entrepris un long combat juridique. Sur 28 dossiers, seulement neuf ont abouti à des indemnisations de 446 000 euros au total.

ANNIE THEBAUD-MONY, Sociologue*

« ÊTRE PLUS SÉVÈRE FACE AUX INFRACTIONS » Le nombre de maladies du travail augmente. Assiste-t-on à une dégradation générale de la santé des salariés ? Les conditions de travail se sont dégradées pour tout le monde. Les nouvelles formes d’organisation ont un réel impact sur la santé. La flexibilité, la soustraitance et le recours au travail temporaire ont conduit à en négliger les dangers. Le personnel des petites entreprises

n’est pas formé aux consignes de sécurité. Quelles sont les mesures urgentes à adopter ? Il faut insister sur la prévention des risques professionnels. La réglementation qui impose l’information des salariés est peu appliquée. L’État devrait permettre aux inspecteurs du travail d’être plus sévères face aux infractions. Il faut briser l’impunité.

Actuellement, en cas de maladie professionnelle, il n’existe aucune sanction pénale contre les employeurs qui connaissaient les risques encourus par les salariés. Laisser mourir un salarié d’une maladie professionnelle, j’appelle cela un homicide involontaire. * Directrice de recherches à l’Inserm, spécialiste des questions de santé au travail. Auteur de Travailler peut nuire gravement à votre santé (La Découverte, février 2007)

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Entretien

«ON PARLE BEAUCOUP DE PRÉ VE omment expliquer qu’en France, l’espérance de vie augmente régulièrement, mais que les inégalités de santé ne se réduisent pas ? La France est un pays dans lequel l’espérance de vie générale est très élevée. Mais les inégalités de santé entre les catégories sociales le sont également, et elles ont plutôt tendance à s’accroître qu’à se réduire. Le premier facteur est lié aux comportements (alcool, tabac et alimentation) pour lesquels les politiques de santé publique ont toujours été insuffisantes. Cela pénalise les catégories sociales les plus exposées à ces risques. La deuxième problématique concerne l’accès aux soins et aux programmes de prévention, qui est insuffisant pour les populations les plus défavorisées. Une récente étude de l’Institut de veille sanitaire a montré comment des programmes de prévention, spécialement conçus pour les plus démunis, pouvaient avoir un impact plus favorable. Enfin, les conditions de vie des plus défavorisés accroissent considérablement la mortalité prématurée. L’espérance de vie des plus pauvres est d’environ 45 ans en France. Elle est plus proche de celle d’un pays comme la Sierra Léone, qui est de 34 ans, que celle de l’ensemble de la population française.

C

La couverture maladie universelle (CMU) a-t-elle permis de réduire 28 INNOVA 2007

les difficultés d’accès aux soins des plus démunis ? Oui, mais pas suffisamment. D’abord, tous ceux qui auraient juridiquement droit à la CMU n’en bénéficient pas. Tous les allocataires du RMI devraient en être titulaires, mais il y a beaucoup de départements où la proportion de bénéficiaires est insuffisante. On constate également que certains patients, bien qu’ayant cette couverture, se voient fermer les portes des cabinets médicaux. Ils se retrouvent donc de nouveau dans des situations difficiles, sans suivi ni prévention. Quelles doivent être les priorités des politiques sociales pour lutter contre ces inégalités ? On constate que dans une politique de santé publique, lorsqu’on a fixé une centaine d’objectifs, il y en a un seul qui concerne les inégalités de santé. Qui plus est, on ne s’est pas assez donné les moyens de le concrétiser. En matière de sécurité routière, on a déroulé un plan à partir de l’idée qu’il fallait réduire les accidents de la route. On devrait faire de même pour les inégalités de santé. Cela suppose tout d’abord de renforcer la prévention, que ce soit pour le tabac, l’alcool ou l’alimentation. Sur ce point, on est toujours entre deux eaux en France. On parle beaucoup mais on agit relativement peu. Concernant la prévention de l’alcoolisme, on hésite à assouplir les lois qui ont été adoptées il y a 15 ans, et qui ne sont que partiellement appliquées. En matière de tabac, on a encore du mal à contrer la montée du tabagisme chez les jeunes et également chez les femmes. Je crois qu’il faudrait également mettre en place parallèlement des programmes locaux de réduction des inégalités de santé. Certains pays

étrangers le font avec succès, comme le Danemark. Ces programmes agissent directement sur les différents facteurs. On doit partir d’expériences locales qui fonctionnent pour pouvoir ensuite les généraliser. Pensez-vous que la France devrait mettre en place des objectifs quantifiés dans ce domaine ? Absolument. Ce n’est pas compliqué à mettre en place, on l’a bien fait dans le secteur de la sécurité routière. On pourrait, par exemple, avoir l’objectif que 100 % des RMIstes bénéficient de la CMU. Vous dites souvent que les politiques de prévention contre le tabac, l’alcool, ou les comportements aliAujourd’hui haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté dans le gouvernement Fillon, l’ex-président d’Emmaüs, Martin Hirsch a publié La pauvreté en héritage en 2006.

D.R.

Martin Hirsch, ex-président d’Emmaüs France, spécialiste des questions d'exclusion, insiste sur l’importance des mesures concrètes et simples à prendre pour sensibiliser les plus défavorisés à leur santé.


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RÉ VENTION, MAIS ON AGIT PEU» mentaires à risque ont davantage de telles recherches. Cela permet aux tendance à accroître les inégalités industriels d’affirmer que cette qu’à les réduire. Pourquoi ? influence n’est pas démontrée. C’est un phénomène difficile à comprendre et déroutant. Prenons Pensez-vous que les inégalités de l’exemple des politiques sur le tabac santé ont été assez prises en de ces dernières années. Le prix des compte dans la campagne présicigarettes a considentielle ? dérablement aug- « Les politiques Non. Les politiques menté, ce qui aurait ne savent pas ont beau penser que c’est un sujet dû toucher avant tout les populations comment aborder important, ils ne savent pas comles plus démunies. un tel sujet. » Or, on s’aperçoit ment l’aborder. que la consommation a diminué plus C’est pour cela qu’il faut faire la rapidement chez les cadres. Cela veut démonstration, sur un certain nomdire que les axes de communication bre de programmes, qu’on peut ne sont pas totalement adaptés. effectivement réduire les inégalités par une action jouant sur plusieurs En France, l’obésité est en aug- facteurs. Cela conduirait naturellementation chez les enfants… ment les décideurs à penser qu’ils Quelles politiques de prévention pourraient avoir une prise sur la généralisation de tels programmes. pourraient être efficaces ? L’obésité est un bon exemple pour illustrer les très grandes différences L’incurie des politiques sur le sujet entre les catégories sociales. Quand s’explique-t-elle par les difficultés j’étais directeur de l’Agence française à quantifier ces inégalités ? de sécurité sanitaire des aliments On a suffisamment d’éléments pour (Afssa), on avait fait beaucoup de lob- pouvoir agir. Il y a toujours des bying pour obtenir l’interdiction des domaines dans lesquels on fait distributeurs de boissons sucrées mieux, mais ce n’est pas la raison dans les établissements scolaires. qui explique que l’on soit si peu C’était une chose importante sym- volontariste. Pour la lutte contre le boliquement. Les réactions hostiles tabagisme ou pour la sécurité roususcitées avaient renforcé notre tière, de grandes campagnes médiadétermination. Les enseignants tiques sont mises en place. Est-ce s’épuisaient à expliquer qu’il fallait qu’il faudrait la même chose pour avoir de bonnes habitudes alimen- les inégalités de santé ? Tout dépend taires, alors qu’à la récréation les du type d’action. La communication enfants pouvaient prendre une can- ne suffit pas en soi. S’il y a effectinette de Coca-Cola. Cela n’avait vement des politiques offensives sur aucun sens. le sujet, elles peuvent être accomMalheureusement, très peu d’études pagnées d’une communication qui ont été conduites pour montrer l’in- le soit elle-même. Mais la commufluence des boissons sucrées sur nication ne se substitue pas à l’acl’obésité : les équipes de recherches tion politique. publiques n’ont pas, dans la plupart Propos recueillis par Julien Thomas et Sandrine Vallard des cas, les moyens d’entreprendre

D’ EMMAÜS AU GOUVERNEMENT Né en 1963, Martin Hirsch suit des études de neurobiologiste, avant d’ intégrer l’Ena. Il entre ensuite au Conseil d’Etat où il est encore aujourd’hui maître de requêtes. Après avoir pris la tête de la Pharmacie centrale des hôpitaux, il se tourne vers la politique en 1997 et devient chef de cabinet de Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé. Directeur de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) de 1999 à 2004, il s’engage dans la lutte contre la pauvreté et la précarité. Il coordonne l'Union centrale des communautés Emmaüs, dont il devient président après le départ de l’Abbé Pierre en 2002. Cofondateur de l'Agence nouvelle des solidarités actives (2006), il est aussi membre du comité consultatif de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Martin Hirsch a été récemment nommé haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté.

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Tentation

Coup(s) de barre Le grignotage est le mal du siècle. Destin tout tracé pour la barre de chocolat. Les quatre personnages, Quentin, Chiara, Bertrand et William, vont-ils craquer et la croquer ?

balance, qui, à n’en pas douter, affichera un bon 70 kg, demain matin. « Suis ton instinct, Quentin. » Qui aurait cru que la démarche de l’achat de 50 g de sucres rapides équivaudrait à un geste quasi-viscéral ? Une seule chose à faire...

« I Les doigts de Quentin se figent. l ne faut pas que je l’achète! »

❆❆❆❆

«P

AQUARELLES : SOPHIE MALFON

« C’est reparti, encore le coup de la bonne conscience », se reprend-t-il en souriant. Derrière lui, trois camarades de sixième B, sourire narquois,

appareils dentaires étincelants, lancent à un quatrième : « T’as pas dit bonjour à Cochonnou, ce matin ! » En entendant son surnom honni, Quentin esquisse une grimace de résignation.Finalement, peut-être que la bonne conscience mérite encore débat, pour au moins une barre de chocolat. Une de plus. Le pour ? Après tout, contrairement à ce que dit le médecin, on ne prend pas plus de calories avec une barre de chocolat qu’avec trois chewinggums. Quentin regarde sa montre, et trouve que 127 minutes et 20 secondes jusqu’à la pause déjeuner sont vraiment trop à supporter pour son estomac. Le contre ? Oh, juste le monde extérieur : les parents, qui n’hésiteront pas à faire une opération commando sur son porte-monnaie, les camarades qui se paieront sa tête en cours d’EPS cet après-midi, jusqu’à la 30 INNOVA 2007

rends-la, c’est pour ton bien ! » Chiara rit au nez de Latvia. Au rayon des conseils stupides, celui-ci emporte le pompon. Une barre de chocolat, et ce serait « bye-bye » à son pantalon taille 34. Oui, ses côtes sont apparentes depuis 2 semaines maintenant, mais après tout, c’est de famille, sa mère aussi, sur ses photos de jeunesse. Et elle touche presque au but : de concours de beauté en séances photo, elle va prochainement décrocher une place dans des collections automne-hiver pour ados. Au moins, elle, on ne la retrouvera pas dans les catalogues de vente par correspondance. Elle ne gâchera pas tout le marathon avec une stupide barre de chocolat.

sans dessert, c’était même devenu une blague avec la belle-famille, mais au moins, il se rattrapait sur le champagne et un rab d’apéro. Bertrand pense, en ricanant : « Au moins, pendant ce temps-là, elle me fiche la paix avec le cholestérol ! » Mais la barre est là, et comme la madeleine de Proust, rappelle les goûters d’école. L’avantage d’être un adulte d’âge avancé, c’est qu’il n’y a plus besoin de permission. ❆❆❆❆

«V

ous avez fini votre devoir ? » William décolle sa joue de la table. L’examinatrice se tient debout, souriante. Premier réflexe : regarder sa montre. Le temps de méditation s’est prolongé trop longtemps : il est midi. « Qu’est-ce que j’ai encore pu faire comme c... » se demande t-il. Soudain, un indice : sur ses papilles, le goût de sucre cacaoté, suave, enveloppant. Pourtant, une barre de chocolat dans le cartable en cas de fatigue passagère, il était persuadé que ce serait LA solu-

❆❆❆❆

«C

e n’est pas stupide, chéri, ce n’est juste pas sérieux ! » Bertrand baisse les yeux. Combien d’années de mariage à entendre ces élucubrations ? Ah, oui, 33 ans ! Constance et lui restaient là, un après-midi de grisaille, à fixer la barre de chocolat laissée par leur petit-fils après les vacances. Il en avait vu, des repas de famille, depuis qu’on avait décelé son diabète. Toujours

tion. Hélas, même avec une activité sportive récurrente et un régime alimentaire au poil, trop de révisions nocturnes et hop ! La dissertation n’a pas trouvé de terme. Un sacré coup de barre, en somme. Florian Etcheverry


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