Innova n°16 : Citoyen mine de rien

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TOURS

MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS

HORS SÉRIE SÉSAME - MAI 2009 - N°16 - 2 EUROS

L’Europe en chantiers Une identité à construire

Monde Rêve d’une autre planète

Tours Histoires de quartier, le Sanitas

Portfolio Portraits de Français venus d’ailleurs

ISSN 0291-4506

Dossier • Prisons et centres de rétention, zones de non droits • Steenvoorde, un village à l’heure des clandestins

Citoyen, mine de rien


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Inventée en Grèce antique… La citoyenneté ne cesse jamais d’évoluer. Entretien …elle se cherche en Europe… avec l’historien Maurice

A l’heure d’une nouvelle élection, où en est l’identité européenne ? Pages 6 à 10

Sartre. Pages 4 et 5

…et se rêve sur toute la planète.

La citoyenneté se fabrique… La vie quotidienne au Sanitas, quartier populaire du centre de Tours : un réseau solidaire intra-muros. Pages 16 à 19

Ils sont des millions à se vouloir citoyens du monde. Pour les Palestiniens, les Sahraouis et les Kurdes, c’est d’abord l’espérance d’avoir un pays. Pages 11 à 15

…par-delà les idéaux gravés dans le marbre. Entre les deux déclarations des Droits de l’homme, de 1789 à 1948, un long combat pour l’égalité et la liberté. Page 20

Si certains en ont changé…

Italienne, Chilien ou Afghan… ils sont aujourd’hui français. Pages 21 à 24

…d’autres s’efforcent de lui donner sens.

Des citoyens ordinaires … Né à Tours, l’Observatoire des inégalités est devenu une référence. Zoom sur une initiative d’utilité publique. Page 37

Droits refusés en prison, déniés en Guadeloupe, sans-papiers pourchassés… Comme à Steenvoorde (Nord), des citoyens agissent pour le respect de la dignité humaine bafouée. Pages 25 à 36

… aux “people” encartés… Quand politiques et célébrités font bon ménage. Page 38

suivez le guide…

Sélection de livres, initiatives insolites, agenda... L.Lecat / Assemblée nationale

Pages 39 à 41

…et votre intuition. Cap ou pas cap ? Page 42

INNOVA Tours n°16 Hors série Sésame, mai 2009, Année spéciale et Licence de journalisme, Institut universitaire de technologie de Tours, 29, rue du Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n°0291-4506 Directrice de la publication Claudine Ducol. Coordination Laure Colmant, David Darrault, Hélène Lafarie. Rédaction Pauline André, Paulin Aubard, Paul Basse, Timothée Blit, Cécile Carton, Béatrice Catanese, Cécilie Cordier, Jonas Cuénin, Julien Desfrene, Marion Deslandes, Léa Froment, Aurore Gayod, Margaux Girard, Myriam Goulette, Julien Le Blévec, Romain Lecompte, Nicolas Loisel, Mathilde Macé, Sarah Masson, Makiko Morel, Céline Mounié, Sacha Nokovitch, Lucile Torregrossa. Secrétaire générale de la rédaction Cécilie Cordier. Secrétariat de rédaction Béatrice Catanese, Léa Froment, Aurore Gayod, Myriam Goulette, Julien Le Blévec, Sarah Masson, Lucile Torregrossa.

Maquette Pauline André, Julien Desfrene, Marion Deslandes, Nicolas Loisel, Sacha Nokovitch. Photos Timothée Blit, Cécilie Cordier, Jonas Cuénin, Aurore Gayod, Myriam Goulette, Romain Lecompte, Mathilde Macé, Sarah Masson, Céline Mounié. Photo couverture Laure Colmant. Illustrations Cécile Carton, Marion Deslandes Publicité Julien Desfrene, Julien Le Blévec, Mathilde Macé. Imprimeur Alinea 36, Châteauroux. Remerciements Michel Blanchet, Le Collectif des désobéissants, Damien Defrance, Bertrand Desprez, Frédéric Gircour, Didier Gosselin, Laurent Jacqua, François Lafite, La Nouvelle République, Xavier Merckx, Isabelle Mire, Plantu, Olivier Sanmartin, Klavdij Sluban, Alan Soon, Olivier Sulmon. 2009 Innova 3


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Entretien

“Un héritage de la civilisation grecque”

Comment est née la citoyenneté ? A-t-elle évolué dans le temps ? Que signifie-t-elle aujourd’hui ? Réponse de l’historien Maurice Sartre .

Innova. Il est communément admis que la citoyenneté vient de la Grèce antique. Est-ce un mythe ou une réalité ?

JONAS CUENIN

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Historien français, Maurice Sartre est spécialiste de l’histoire des mondes grec et romain. Il œuvre plus largement à la diffusion de la culture historique universitaire auprès du grand public. Il a activement participé à la création des Rendez-vous de l’Histoire de Blois en tant que premier président du conseil scientifique. Il est aussi membre du comité de rédaction du magazine L’Histoire et collaborateur régulier du supplément livres du Monde. Il exerce par ailleurs la fonction de président de l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA), dont le siège est à Tours. Parmi ses ouvrages : L’Anatolie hellénistique de l’Égée au Caucase (334-31 av. JC), éd. Armand Colin, Paris ; 2e éd., 2004 ; The Middle East Under Rome, éd. Harvard University Press, Cambridge (Mass.), 2005 (édition américaine de L’Orient Romain…) ou encore Histoires grecques, éd. Le Seuil, Paris, 2006.

Maurice Sartre. L’opinion commune est exacte. La notion de citoyen est un héritage de la civilisation et de la cité grecques. Les Grecs sont les premiers à avoir élaboré une théorie politique. Les historiens ont du mal à dater précisément l’avènement de la cité et donc de la citoyenneté car il s’agit d’un long processus qui s’étend du IXe au VIe siècle avant JC. Innova. Le citoyen de l’époque est-il comparable avec celui d’aujourd’hui ?

M. S. Deux mille cinq cents ans nous séparent, il faut prendre la mesure du temps qui passe. Il est inutile de faire des rapprochements à tout prix. Être citoyen dans les cités grecques, comme le conçoit Périclès1, c’est participer à l’exercice de la justice et au pouvoir de décision : « Nous ne jugeons pas qu’un citoyen qui ne s’occupe pas de politique est un citoyen tranquille mais un citoyen inutile. » Aujourd’hui, les choses sont différentes, on peut être citoyen sans s’impliquer. Innova. Comment s’explique cette évolution ?

M. S. C’est une question d’échelle. Les cités grecques étaient de petites unités, de la taille d’un canton français, souvent de moins de mille citoyens, des hommes libres 4 Innova 2009

et majeurs qui s’exprimaient lors des assemblées populaires. À Athènes, l’assemblée se réunissait quarante fois par an. L’homme politique devait donc convaincre ses concitoyens en permanence et non tous les cinq ans, comme aujourd’hui. Maintenant, l’Etat est plus vaste et le corps civique plus large. La proximité entre gouvernants et gouvernés s’est distendue dans notre système de démocratie représentative. Chaque citoyen grec devenait un jour ou l’autre magistrat2 . Quand il avait été tiré au sort, il ne pouvait plus refuser. Mais si sa loi ou son décret se révélait injuste pour l’ensemble de la cité, il pouvait alors être poursuivi en justice. Innova. Sur 300 000 habitants, Athènes ne dénombrait que 40 000 citoyens. Cette proportion reste relativement faible.

M. S. C’était un privilège qui n’était accordé ni aux femmes, ni aux esclaves, ni aux métèques (étrangers résidents). A partir de la loi de 451 avant JC, le système exclusif s’est renforcé. Il fallait alors être fils de père et de mère athéniens. Innova. Concurrencé par la citoyenneté romaine, le modèle grec a été mis entre parenthèses pendant près de treize siècles. Comment pouvez-vous expliquer qu’il ait été abandonné pendant si longtemps ?

M. S. Rome a progressivement donné la citoyenneté à l’ensemble des habitants libres de son empire. Plus la citoyenneté s’éten-


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Entretien dait, plus elle se vidait de son contenu politique. Petit à petit, les citoyens sont devenus des sujets. Il fallut attendre la Renaissance et surtout le XVIIIe siècle pour voir réapparaître la notion de citoyenneté. Montesquieu, Rousseau ou encore Voltaire sont repartis des idées de Platon, d’Aristote ou de Plutarque, c’est-à-dire de philosophes qui critiquaient vivement le modèle démocratique athénien. Cela explique que les hommes des Lumières , en quelque sorte la

Innova. Quelles améliorations le citoyen a pu ou peut-il encore apporter à ce modèle ?

“Etre citoyen dans les cités grecques […] c’est participer à l’exercice de la justice et au pouvoir de décision. Aujourd’hui […] on peut être citoyen sans s’impliquer.”

M. S. Elles passent par le combat politique. Tout ne vient pas d’en haut et c’est aux citoyens de s’organiser. Les syndicats, la presse libre par exemple, ont eu un rôle fondamental en créant des contrepouvoirs. L’expression politique ne passe pas que par les urnes. On le voit bien aujourd’hui où les citoyens s’expriment en battant le pavé. Défendre la démocratie, c’est

M . S . Au - d e l à d u d é s i n t é r ê t et de l’égoïsme, son pire ennemi est l’ignorance. Elle empêche de comprendre ce qu’elle est, ses rouages et ses enjeux. Innova. Comment combattre cette ignorance ?

M. S. Le seul moyen est de privilégier le niveau d’instruction de la population. Seule l’éducation est à même de développer l’esprit critique qui évite de tomber dans le piège des discours. L’instruction est une condition à la démocratie. Bien sûr, elle coûte cher, mais elle ne doit pas être négligée, surtout en temps de crise. L’éducation n’est pas une marchandise rentable, elle est une nécessité vitale.

JONAS CUENIN

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Devant la stèle L’Exaltation de la fleur, découverte entre 470 et 460 avant JC, Maurice Sartre rappelle que les femmes, en Grèce, étaient exclues de la citoyenneté.

frange intellectuelle du TiersEtat, lui aient préféré le modèle oligarchique de Sparte ou de la République romaine. Innova. La démocratie est-elle une réalité ou un système en construction ?

M. S. Les deux. Il n’y aura jamais de forme parfaite de démocratie. Des citoyens lui tourneront toujours le dos. Sa défense est un combat de tous les jours. Les sociétés changent et le système politique doit s’adapter. C’est par conséquent un système en construction permanente.

empêcher les retours en arrière, les restrictions aux libertés. La désignation du président de France Télévision par Nicolas Sarkozy en est un exemple. En déclarant que puisque l’Etat paie, il est normal que le président nomme, il se conduit comme Louis XIV déclarant « l’Etat c’est moi ». Il est grave pour la démocratie que les Français ne voient pas la différence entre l’Etat et ceux qui en ont la charge temporaire. Innova. Quel est alors le principal ennemi de la démocratie ?

Innova. A quelques mois des élections européennes, peut-on parler de citoyens dans des structures de plus en plus grandes telle que l’Europe ?

M. S. Une démocratie européenne reste encore à inventer. Dans la crise violente qu’on subit, sans l’Union européenne, on serait dans une situation bien pire encore. Il faut trouver le moyen d’impliquer les gens qui ont des intérêts divergents. Des progrès ont déjà été faits : l’élection du parlement européen au suffrage universel par exemple. Quoi qu’il arrive, il faudra de l’imagination et du temps. Propos recueillis par Julien Desfrene, Mathilde Macé et Sacha Nokovitch

(1) Homme d’Etat et stratège athénien qui a imposé des réformes et développé la démocratie (495 – 429 avant JC). (2) Les magistrats, représentants du peuple, détiennent pour un an une parcelle d’autorité déléguée par l’ensemble des citoyens. Ils sont élus ou tirés au sort. 2009 Innova 5


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L’Europe en chantiers

GÉNÉRATION PRÉCAIRE

Pétition au Parlement européen

Emploi

Génération Précaire a dénoncé le statut des stagiaires.

Pierre-Edouard, Français, travaille au Luxembourg.

Le réseau européen Génération Précaire a adressé en septembre 2008 une pétition au Parlement pour réclamer une réglementation européenne sur le statut des stagiaires. Lancée en France, la pétition a recueilli environ vingt mille signatures à travers l’Europe. Le Parlement a répondu qu'il n'était pas compétent en la matière. D’autres pétitions ont, elles, abouti. En 2006, des citoyens espagnols ont obtenu gain de cause dans leur lutte contre l’urbanisation excessive des côtes méditerranéennes.

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ous les cinq ans, c’est le même scénario. Au moment des élections européennes, les bureaux de vote restent déserts. Pour beaucoup de ses citoyens, l’Europe se résume à des bâtiments froids, des piles de dossiers et des bureaucrates suffisants. Pas concernés, les Européens ? L’Union leur a pourtant donné quelques droits en 1992. La citoyenneté européenne venait officiellement de naître. Quinze ans plus tard, elle reste largement ignorée des cinq cents millions d’habitants. La faute à qui ? A des sentiments nationaux tenaces ? A l’histoire d’une Europe avant tout économique ? A des institutions

peu démocratiques et lointaines ? (voir page 8). Dommage, les droits des citoyens européens peuvent être utiles dans la vie de tous les jours. Voyager librement, trouver un emploi dans un autre Etat membre, s’y installer et y voter, rien de plus simple. Faire appel à la Cour européenne des droits de l’homme, au médiateur ou lancer une pétition auprès du Parlement, etc., c’est certes un peu plus compliqué, mais cela reste à la portée de tous (voir ci-contre). Construire une Europe proche des gens, un défi à relever à vingt-sept. Un espoir aussi pour les derniers entrants, la Roumanie et la Bulgarie (voir page 10).

SERVICE DESSIN DE LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE

DOSSIER REALISE PAR BEATRICE CATANESE, CECILIE CORDIER, AURORE GAYOD, MYRIAM GOULETTE ET LUCILE TORREGROSSA

Diplômé d’une école d’ingénieur à Angers, Pierre-Edouard Bodereau est consultant informatique au Luxembourg depuis huit mois. Il s’épanouit dans ce pays où de multiples nationalités cohabitent. Confronté à toutes ces différentes cultures, il dit avoir découvert la richesse du continent. L’Europe, il y a pris goût : « Je veux continuer à vivre et à voyager dans d'autres pays. »


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Cour européenne des droits de l’homme Anne-Marie a obtenu gain de cause après sept ans de procédure.

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« On ira peut-être à Strasbourg avec une canne, mais on ira ! » Anne-Marie Boutiflat, Orléanaise de 58 ans, l’a fait : elle est allée jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, avec vingt-cinq autres de ses collègues, tous éducateurs spécialisés dans un internat pour jeunes en difficulté. Ils ont eu gain de cause le 9 janvier 2007. Depuis 2000, ils demandaient le juste paiement de leurs heures de nuit. Aucun tribunal français ne leur avait donné raison.

Libre circulation Claude apprécie de voyager en Europe sans avoir besoin de visa.

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Pour Claude Hortion, 74 ans, circuler en Europe avec une simple carte d’identité, cela change tout. Il avait 12 ans, en 1947, quand il a voyagé pour la première fois en Norvège. A 20 ans, il a remis ça : Allemagne, Autriche, Espagne… A cette époque, il devait demander son visa six mois à l’avance. « La libre circulation, c’est une révolution. » Aujourd’hui, membre de l’association France-Bulgarie, il a une petite pensée pour les Européens de l’Est qui peuvent enfin se déplacer librement.

Plainte auprès du médiateur européen En 2007, l'Association des anciens élèves du service civil polonais (Saksap) a porté plainte auprès du médiateur. Elle accusait l’Office européen de sélection du personnel de discrimination linguistique dans les épreuves de recrutement. L’Office a officiellement été blâmé pour avoir privilégié l'anglais, le français et l’allemand aux examens d'entrée entre 2004 et 2006.

PAKEC

Une association polonaise pointe une discrimination linguistique.

Vote Election Mark, Anglais, est membre du conseil municipal d’Epeigné-les-bois. Entre Londres, une des plus grandes villes européennes, et un petit village d’Indre-etLoire de quatre cents habitants, il y a un gouffre. Et pourtant, Mark Robertson a franchi le pas. Voilà sept ans, il s’est installé à Epeigné-les-Bois. Il a été élu au conseil municipal aux dernières élections. Dans cette commune, c’est la première fois qu’un citoyen étranger accède à cette fonction. 2009 Innova

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Jean-Louis Boscher s’est installé en Allemagne après avoir rencontré Maria, il y a bientôt quarante ans. Depuis, ils vivent dans une petite commune du sud-ouest du pays, Wiesenbach, où Jean-Louis vote aux municipales. Il a souhaité garder sa nationalité. A chaque présidentielle, il se rend au consulat français. Il est breton, français, allemand, mais se définit avant tout comme européen. L’Europe, il l’a vue se construire et elle l’enthousiasme toujours autant.

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Jean-Louis, Français, vote en Allemagne.

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Europe

Les Européens en quête d’eux-mêmes

DESSIN PLANTU, PARU DANS LE MONDE

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Malgré une Europe de plus en plus présente dans leur vie, les habitants du Vieux Continent restent peu intéressés par les scrutins européens . Jugeant le fonctionnement de l’Union trop bureaucratique, les citoyens préfèrent s’investir dans des initiatives ponctuelles pour se faire entendre.

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rintemps 2009, période d’élections européennes. Trois cent soixante-quinze millions de personnes élisent sept cent trente-six députés pour cinq ans. Pourtant, depuis que ceux-ci sont élus au suffrage universel direct (à partir de 1979), leur campagne électorale n’a pas coutume d’intéresser l’ensemble des votants. Les électeurs européens, qui ont eu la possibilité de s’exprimer par référendum, ont d’ailleurs majoritairement refusé de ratifier le projet de Constitution proposé par leurs dirigeants, celui-ci étant considéré comme trop libéral. Le texte a cependant été réécrit presque à l’identique sous le nom de traité de Lisbonne et a été signé le 13 décembre 2007, par les chefs de gouvernement.

Selon un sondage réalisé par LH23 en février 2009, plus de 50 % des personnes inscrites sur les listes électorales avouent qu’ils choisiront leur député européen en se fiant aux enjeux nationaux et 69 % estiment que cette élection ne changera rien à la situation de la France. Du coup, il est peu étonnant que les européennes ne provoquent pas l’enthousiasme. Mais peut-on vraiment blâmer les gens de ce désintérêt ? Dès le

Il faut attendre la signature du traité de Maastricht, en 1992, pour voir apparaître une ébauche de citoyenneté européenne

Des habitudes nationales En France, le texte a été rejeté par le référendum du 29 mai 2005. S’il a suscité des débats, notamment sur Internet avec des blogs comme celui d’Etienne Chouard1, le scrutin a surtout révélé des habitudes de vote très nationales. Un sondage de sortie des urnes réalisé par Ipsos2, indique que parmi les votants qui ont choisi le « non », la moitié l’a fait pour manifester son mécontentement face à la situation économique et sociale française tandis qu’un quart y voyait l’occasion de s’opposer au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

début, après la Seconde Guerre mondiale les constructeurs de l’Europe n’avaient en tête qu’une vision économique et non citoyenne. L’Europe politique… on pourrait dire qu’elle date d’hier. Retour en 1950 : le premier avatar européen est purement économique et s’appelle Communauté européenne du charbon et de l’acier. D’autres suivront qui auront pour noms Marché commun (1957), Communauté économique européenne (1993), Marché unique. Ce dernier, lancé en 1986 par la signature de l’Acte unique et achevé en 1993, définit quatre libertés : celles de la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. Il faut attendre 1992 et le traité de Maastricht pour voir apparaître, pour la première fois, une ébauche


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Europe Alain Lamassoure, 65 ans, membre du Parti populaire européen (PPE) et de l’UMP, est député européen depuis 1989. En juin 2008, il a remis à Nicolas Sarkozy un rapport contenant soixante et une propositions qui portent sur la vie quotidienne des Européens.

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de citoyenneté européenne. Encore qu’il ne s’agisse là, selon Alain Lamassoure, député européen, que d’un « concept juridique avec, notamment, le droit pour chaque Européen de voter aux élections locales et européennes, quel que soit l’Etat membre dans lequel il réside ». L’Europe et son catalogue de traités reste donc une entité vague pour ses habitants. D’autant qu’elle s’est dotée d’un fonctionnement qui semble bureaucratique à beaucoup d’entre eux. Ils ont l’impression que les décisions viennent « d’en haut » et ne comprennent pas toujours le rôle des élus. Ils peuvent ainsi observer que, sur les problèmes agricoles par exemple, les parlementaires n’ont aucune latitude. Ils donnent un avis mais rien n’oblige le Conseil des ministres à en tenir compte. Dans certaines commissions, notamment celles qui sont liées à

« Nous devons définir la citoyenneté européenne de la vie quotidienne » Innova. Parmi vos propositions, certaines portent sur la création d’un vingt-huitième régime, notamment pour les droits sociaux. Il primerait sur les régimes des vingt-sept pays membres. Prônezvous une Europe fédérale ? Alain Lamassoure. Un système fédéral n’est pas indispensable, si on ne le veut pas. Il s’agit seulement de savoir quel droit s’applique à chaque Européen, où qu’il soit. Par exemple, si un Français vit et travaille en Allemagne, quelle est sa protection sociale ? Au niveau de l’Europe, la question n’est pas tranchée, tout est au cas par cas. Nous devons tous nous mettre autour d’une table pour définir cette citoyenneté européenne de la vie quotidienne. C’est une étape essentielle pour que les Européens se sentent citoyens de l’Union. Je propose, entre autres, un contrat de travail européen, qui ne serait signé que par les salariés volontaires qui savent qu’ils seront mobiles. Innova. Comment le contenu de ce contrat de travail européen serait-il établi, compte tenu des différences qui existent entre la France et les derniers adhérents, par exemple ? A. L. Il ne porterait pas sur la rémunération de l’employé, qui serait fixée par l’entreprise. Un contrat européen établirait des règles unifiées relatives aux droits des salariés et permettrait de faciliter la vie de ceux des entreprises implantées dans plusieurs Etats de l’Union européenne. Notamment quand ils sont mutés dans un autre pays. En fait, beaucoup de choses restent à définir. Innova. Votre rapport a précédé la présidence européenne de Nicolas Sarkozy, au deuxième semestre 2008. A-t-il été pris en compte par ce dernier ? A. L. Durant cette présidence française, mon rapport n’a pas eu de suites. À cause de la crise financière mondiale, les priorités étaient logiquement ailleurs. Mais la Suède, qui prendra la présidence de l’Union européenne de juillet prochain, semble intéressée par ce document. Elle pourrait alors s’en servir pour ouvrir le débat et proposer des avancées. Nous verrons bien.

LILIAN LEMONNIER

Propos recueillis par C. C.

(1) http://etienne.chouard.free.fr/. (2) Sondage réalisé le 29 mai 2005 sur un échantillon de 3 555 personnes âgées d’au moins 18 ans et inscrites sur les listes électorales, selon la méthode des quotas. (3) Sondage réalisé les 27 et 28 février 2009, sur un échantillon de 997 personnes âgées d’au moins 18 ans et inscrites sur les listes électorales, selon la méthode des quotas. (4) Alliance de partis politiques régionalistes et minoritaires en Europe, fondée en 1981, traditionnellement alliée au parti Vert européen au sein du Parlement.

l’environnement, le mode décisionnel le plus courant est la co-décision (pour laquelle le Parlement partage le pouvoir législatif avec le Conseil, sur une base de stricte égalité). « Cela explique que les politiques sont assez avancées dans ce domaine, précise Marie-Hélène Aubert, députée européenne Verts, membre de l ’A l l i a n ce l i b re e u ro p é e n n e 4 . Quand il y a co-décision, trouver un compromis avec le conseil des ministres est une obligation. » Le traité de Lisbonne prévoit d’éten-

dre cette procédure à toutes les commissions, c’est-à-dire de donner plus de poids au parlement. « Une réforme institutionnelle est indispensable pour un fonctionnement plus simple et plus démocratique », ajoute la députée. Autre évolution nécessaire prévue par le traité : celle de donner à l’Union européenne un président pour deux ans et demi. De Bucarest à Paris, en passant par Helsinki et Athènes, les citoyens ont besoin de mettre un visage commun sur l’Europe. 2009 Innova 9


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Europe

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Corina Cretu, 42 ans, membre du Parti social démocrate, est l’un des trente-cinq récents élus roumains au Parlement. Après des études en économie et une carrière de journaliste, elle s’est lancée en politique en 1992. Pour elle, l’Europe c’est d’abord la solidarité.

« Je me suis sentie européenne quand Ceaucescu a été renversé » Innova. Après une demande d’adhésion en 1995 et une période probatoire de dix ans, la Roumanie est entrée dans l’Union européenne le 1er janvier 2007. Quelles avancées cela a-t-il apporté au pays ? Corina Cretu. Les Roumains ont maintenant la possibilité de voyager dans tous les Etats membres sans avoir besoin de passeport ni de visa. Ils peuvent aussi y travailler . Malheureusement, dans certains pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Irlande et la France, le marché de l’emploi impose encore des restrictions aux Roumains. Innova. Seuls 29,5 % des Roumains ont participé aux premières élections européennes en 2007. Pourquoi ? C. C. Bruxelles est trop loin pour que la politique européenne intéresse la majorité des gens. Dans ce domaine, la Roumanie connaît exactement le même problème que les autres Etats membres. Innova.Vous étiez étudiante de 1985 à 1989 à Bucarest, avant la chute du bloc communiste. Vous sentiez-vous déjà citoyenne européenne à ce moment-là ? C. C. Je me suis sentie européenne quand Ceaucescu a été renversé. La vague de solidarité à travers l’Europe pendant les événements de décembre 1989 était, pour nous, un signe qu’on ne nous avait pas oubliés, malgré les années d’isolement derrière le Rideau de fer. Innova. Dans un contexte de crise économique, qu’attendez-vous de l’Europe dans les années à venir ? C. C. La crise sera, sans aucun doute, le problème le plus sérieux que nous devrons traiter et il ne pourra pas être résolu si nos pays choisissent d’y faire face individuellement. Il y a un risque d’accroissement des inégalités sociales et d’un fossé de plus en plus important entre les anciens et les nouveaux Etats membres. Nous devons donc agir collectivement.

CONFEDERATION EUROPEENNE DES SYNDICATS

Propos recueillis par B. C., A. G. et L. T.

À Strasbourg, en décembre 2008, les syndicats se sont rassemblés contre une directive de l’UE.

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Même si les institutions ont besoin de nouvelles règles, derrière les murs du Parlement la démocratie fonctionne. Chaque parlementaire a un rôle complet. Marie-Hélène Aubert, par exemple, était rapporteuse pour le nouveau règlement européen de l’agriculture biologique. Elle a dû se spécialiser sur la question. Pour cela, elle a parcouru sa région à la rencontre des professionnels de la filière, profité des heures de train jusqu’à Bruxelles pour lire des rapports, bref tout faire pour devenir

une interlocutrice crédible. Elle a ensuite animé les débats au sein de sa commission pour aboutir à un texte qui convient à tous ses membres. « Quand j’étais élue à l’Assemblée nationale, je n’ai jamais effectué ce type de travail », regrette-t-elle décidément épanouie dans sa fonction. Les péripéties de la construction européenne ne tarissent pas le désir d’Europe, qui s’est forgé au XIXe siècle. En 1848, des révolutions populaires éclatent au même moment dans plusieurs pays, révélant des aspirations démocratiques simultanées. « Dès le Congrès de Paris, en 1856, le continent européen adopte le multilatéralisme, qu’il appelle le concert européen », explique Georges-Henri Soutou, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, dans l’émission « Un Jour dans l’histoire » (Canal académie). Le but : favoriser la coopération économique et politique entre les Etats.

Une meilleure organisation Dans l’Europe d’aujourd’hui, ce sont les individus qui s’organisent pour se faire entendre. En témoignent les manifestations syndicales coordonnées simultanément sur tout le continent. Le 16 décembre 2008, par exemple, la Confédération européenne des syndicats a organisé un rassemblement contre une révision de la directive limitant le temps de travail hebdomadaire dans l’UE. Le lendemain, le Parlement rejetait la proposition du Conseil. « Les citoyens ont une meilleure capacité d’organisation. Des réseaux se sont formés, autour de personnes responsables du lobbying européen – dans le bon sens du terme, estime Marie-Hélène Aubert. Ils sont au courant des textes qui passent dans les tuyaux et arrivent au bon moment pour voir le bon rapporteur. » C’est plutôt bon signe pour l’Europe. C. C. et M. G.


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La planète des peuples

Cent trente-cinq mille personnes venues des cinq continents, toutes réunies pour rêver d’u n a u t r e m o n d e . La Tourangelle Marie Teinturier est revenue enthousiaste du Forum social mondial q u i s ’e s t t e n u , f i n janvier, à B élem au Bré sil. Ré c i t d’u n e expérience.

L

’Amazon star n’avait probablement jamais vu autant de nationalités différentes fouler ses ponts. Ce traditionnel bateau-hamac qui, d’ordinaire, remonte le fleuve Amazone, est resté à quai à Belém (Brésil), du 27 janvier au 1er février derniers. Lui qui peut contenir jusqu’à six cents hamacs a servi de dortoir à des participants à ce huitième Forum social mondial. Pour l’occasion, les hamacs ont laissé

place à des lits en bois. « Le confort restait très sommaire », témoigne Marie Teinturier. Mère de quatre enfants, cette énergique quinquagénaire est bénévole au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD). Habitante de SaintPierre-des-Corps (Indre-et-Loire), elle participait à cet événement pour la première fois, au sein de la délégation du Centre de recherche et d'informations pour le développement (Crid). Elle est allée rêver d’un autre monde au milieu de 2009 Innova 11

DIDIER GOSSELIN

Monde


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“Il n’y a pas un droit de vote mondial, mais nous pouvons faire pression en nous unissant” cent trente-cinq mille personnes, originaires des cinq continents. Le plus jeune locataire du bateau avait 19 ans. Le plus vieux, un Indien engagé aux côtés des paysans sans terre, comptait déjà 8 3 p r i nte mp s . D i x G u y a n a i s étaient également présents pour dénoncer les « liens colonialistes » entretenus par la métropole française. Le soir, dans le dortoir de deux cents lits, chacun racontait sa journée à ses voisins. Un moment indispensable, car il était impossible de tout voir. La barrière de la langue et surtout le nombre d’ateliers empêchaient de participer à tout : « La première fois, le Forum social déconcerte par tout ce qu’il propose en si peu de temps. » Moyennant une inscription au montant variable (15 euros pour les ressortissants des pays pauvres, le double pour ceux des pays riches), les participants ont eu accès à deux mille débats. Pendant que les puissants de l’économie mondiale se réunissaient à Davos (Suisse) pour parler finances, les inscrits à Belém refaisaient le monde. Dans cette ville pauvre d’un million et demi d’habitants, l’université a vu « des tentes pousser partout », raconte Marie. A l’intérieur, des débats sur « la libération du monde de la domination du capital », de « la défense de la nature » ou encore de « la construction 12 Innova 2009

d’un ordre mondial basé sur la souveraineté ». Le tout, « en autogestion et sans personne, pour prendre la parole au nom de tous ». Un fonctionnement qui place chacun à égalité et dont le symbole aura été l’impessionnante manifestation d’ouverture. « Nous étions quatrevingt mille à défiler dans les rues de Belém, un ballon géant au-dessus de nos têtes. » En tête de cortège, deux mille représentants des peuples d’Amazonie. Habillés et maquillés de façon traditionnelle, ils n’étaient pas là pour amener « du folklore » mais bien pour discuter de la déforestation du « poumon de la planète », des biocarburants, du commerce équitable ou encore du respect des traditions. « Un exemple simple : l’Union européenne s’est fixé pour objectif d’atteindre les 10 % de biocarburants d’ici 2020. Mais jamais l’Europe ne sera capable d’en produire autant, affirme Marie Teinturier. Elle devra aller les chercher en Amérique latine et contribuera donc à cette catastrophe écologique. » Loin de s’opposer à la mondialisation, qu’elle considère comme « faisant partie de l’évolu-

tion de l’humanité », Marie aimerait qu’elle se construise autrement et demeure convaincue que c’est possible. Car si la faiblesse du Forum social est de refuser de s’associer aux détenteurs du pouvoir, sa force est de réunir des personnes qui entendent peser sur les décisions des dirigeants. « Il n’y a pas un droit de vote mondial, mais nous pouvons faire pression en nous unissant », explique-t-elle.

Femmes entreprenantes Confronter les idées pour construire, c’est toute l’ambition du Forum social. « Je suis allée sur l’île de Cotijuba, à une heure et demie de bateau sur l’Amazone, rapporte Marie Teinturier. J’y ai visité une coopérative fondée par un mouvement de femmes. Elles fabriquent des biobijoux et cultivent des plantes pour les cosmétiques. » Ces femmes des îles de Belém travaillent en autogestion. Pas de grands champs, mais une cueillette au fil des promenades dans la végétation luxuriante. Elles en tirent des « revenus bas, mais suffisants pour vivre. Je les ai senties épanouies par leur activité qui respecte parfaitement la nature et

DIDIER GOSSELIN

JONAS CUÉNIN

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Deux mille représentants des peuples d’Amazonie étaient présents


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Cécilie Cordier

Résidents de nulle part Lutter pour exister, c’est le quotidien des citoyens sans pays, comme les Kurdes, les Sahraouis et les Transnistriens. Les Palestiniens, eux aussi, forgent leur identité dans un Etat fantôme.

J

e suis kurde et je le resterai. » Une évidence pour Hasan Yildiz. Pourtant, cet enseignant français de 43 ans a possédé pendant trente ans la nationalité turque. Si vous cherchez le Kurdistan sur une carte, vous ne le trouverez pas. Ce pays n’existe pas, sauf dans l’esprit et le cœur de la plupart de ses habitants. Le Kur-distan est une région partagée entre quatre Etats : la Turquie, l’Iran, la Syrie et l’Irak. La discrimination, Hasan s’en souvient : « Quand j’étais petit, à l’école, les enseignants désignaient des enfants pour espion-

ner les autres chez eux. Ceux qui parlaient kurde étaient punis. » Au Liban, quatre cent mille Palestiniens vivent dans des camps gérés par l’Office des nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). Ils ne possèdent que des documents de voyage qui restreignent leur liberté de mouvement. Ils sont victimes de discrimination pour accéder à l’éducation, aux soins médicaux et au travail. Parmi eux, trois mille à cinq mille ne sont même pas enregistrés auprès de l’Unrwa. Ils vivent dans des camps non officiels et n’ont pas accès aux services dispensés par les Nations unies. Leur avenir se

ALAN SOON

leurs traditions ». En dix ans, ce mouvement a permis l’émergence d’une politique sociale qui organise le travail dans des conditions sereines. Une petite bibliothèque a même été ouverte. L’engagement de ces femmes a surpris Marie. Tout comme la présence en nombre de celles qui investissent dans une activité grâce aux microcrédits. Au point de changer son regard sur la Journée internationale des femmes, célébrée chaque 8 mars. « Avant, je ne la supportais pas. J’estimais que nous n’étions pas un bien commun qu’il faut fêter une fois par an. Maintenant, je vois cette journée comme une manière de lutter pour les droits de toutes les femmes. » Et lorsqu’on lui demande si la caricature de l’altermondialiste fantaisiste a croisé son chemin, Marie Teinturier assure : « Les gens qui vont là-bas connaissent bien la cause qu’ils défendent, certains sont formés à l’économie ou aux sciences politiques. Ce ne sont pas des rigolos. » Elle confie cependant avoir souri à deux reprises. « Des défenseurs de la décroissance avaient installé une sorte d’enclos dans lequel ils interdisaient, pêle-mêle, l’alcool, le sexe, les produits industriels. » La seconde fois, c’était à l’occasion d’un débat « au sujet des droits des citoyens qui n’ont pas de pays. Au milieu des Palestiniens et des Ti b é t a i n s , s e t ro u v a i e nt d e s Bretons et des Corses… Les problématiques ne sont tout de même pas identiques ». De telles incohérences sont inévitables, selon Marie. Si elle cultive l’optimisme, notre militante catholique se refuse à la candeur : « La Cité idéale n’existera pas. Nous ne pourrons que tendre vers une meilleure citoyenneté mondiale. Je ne crois pas en une solution unique à tous les problèmes, mais en l’action quotidienne de chacun. »

Les réfugiés palestiniens représentent presque 10 % de la population du Liban.

Transnistrie, le trou noir « Depuis seize ans, je dois passer au poste de contrôle entre la Moldavie et la Transnistrie plusieurs fois par jour », témoigne Wladimir Ponomarjow, chauffeur de taxi*. De Tiraspol, capitale de la Transnistrie, où il travaille, à la Moldavie, il n’y a qu’un fleuve à traverser. Et si cet Etat autoproclamé n’est pas reconnu par la communauté internationale, sa frontière moldave est pourtant bien gardée par des soldats russes. Il a fait sécession de la Moldavie en 1991, déclenchant une guerre de plusieurs mois. Depuis dix-huit ans, la majorité des Transnistriens, russophones, attendent leur rattachement à la Russie. Ce qu’elle refuse car la Transnistrie est une zone grise bien trop profitable : la contrebande (armes, voitures, essence…) rapporterait presque 1 milliard d’euros par an. Dans ce pays de nulle part, surnommé « le trou noir », tout semble factice. Wladimir possède bien un passeport transnistrien. Mais il ne permet pas de voyager. Il possède bien des roubles transnistriens. Mais ils ne sont échangeables avec aucune autre devise. Ceux qui sont parvenus, après de longs mois d’attente, Béatrice Catanese à obtenir un passeport russe s’expatrient alors en Russie ou en Ukraine. (*) Témoignage tiré du reportage Transnistrien de la chaîne allemande ZDF, novembre 2007. 2009 Innova 13


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colonie espagnole a été cédée en 1975 au Maroc et à la Mauritanie qui se partagent le territoire sans consulter les Sahraouis, le peuple autochtone. En 1976, le Front polisario, mouvement indépendantiste, proclame la République arabe sahraouie démocratique (Rasd). Il s’engage alors dans un conflit armé avec le Maroc. Pour échapper aux combats, des dizaines de milliers de Sahraouis fuient vers les camps de réfugiés de Tindouf, en Algérie. Le Sahara occidental, considéré comme territoire non autonome par l’ONU, est toujours occupé par le Maroc. Ce dernier a érigé un mur long de 2 000 kilomètres pour se protéger des incursions armées du Front polisario. Pour les Sahraouis, le temps de l’autodétermination n’est pas encore venu. Avec le temps la situation des Kurdes évolue. En Turquie, leur assimilation se fait progressivement . L e rê ve d’un g rand Kurdistan s’éloigne pour Hasan : « Est-ce qu’un jour on pourra vivre tous ensemble ? J’en doute. » Les questions de la Palestine et du Sahara occidental, elles, semblent dans l’impasse. Reste ce déchirement d’être de nulle part. « Si un jour je dois quitter la France, explique Hasan, je ne sais pas où j’irai, je n’ai pas de pays. » Lucile Torregrossa

Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France Innova. Vous venez de participer à la deuxième Conférence internationale sur le droit au retour des réfugiés. Quelle conclusion tirez-vous de cette rencontre ? Cette conférence est importante car des représentants de tous les camps de réfugiés, habituellement isolés les uns des autres, ont pu venir débattre ensemble de la question palestinienne. Le droit individuel au retour doit donner aux réfugiés le choix de revenir en Palestine ou de vivre dans les pays d’accueil. Mais jusqu’à aujourd’hui, Israël refuse d’aborder le problème. En France et dans d’autres pays, des mouvements civils soutiennent le droit au retour. A ce jour, soixante-sept villes françaises sont jumelées avec des camps. Elles apportent un soutien politique, culturel et économique, mais aussi humain. Cela offre des perspectives aux réfugiés, qui souffrent de l’enfermement. Avoir des contacts avec une communauté qui mène une vie normale leur procure une certaine liberté. Innova. Comment les jeunes générations parviennent-elles à construire leur identité face à un conflit qui dure depuis la création d’Israël, en 1948 ? Toutes les générations palestiniennes depuis soixante ans ont vécu l’occupation, l’expulsion, la dépossession. L’identité palestinienne précède pourtant la création d’Israël. Nous avions une véritable civilisation, une vie culturelle importante (journaux, littérature, cinéma). Aujourd’hui, notre identité est très forte, mais elle se construit en résistance à une politique qui cherche à nous détruire. J’aurais préféré qu’elle se développe de façon naturelle, par la culture, le savoir-faire. La majorité des Palestiniens garde par miracle ses valeurs car c’est un peuple très enraciné dans sa terre, sa civilisation.

BÉATRICE CATANESE

Pour les Sahraouis, toujours des camps de réfugiés

La Résistance en guise d’identité

Propos recueillis par Béatrice Catanese et Lucile Torregrossa

Israélien et Palestinien à la fois Daniel Barenboim, fondateur d’un orchestre transnational Pianiste et chef d’orchestre de réputation internationale, Daniel Barenboim est le fondateur, avec Edward Saïd, intellectuel américain d’origine palestinienne, du WestEastern Divan Orchestra. Composée de musiciens venus de tous les pays du Moyen-Orient – notamment israéliens et palestiniens – cette formation promeut la musique comme lien universel. Quand on demande à Daniel Barenboim s’il anime un « orchestre pour la paix », il répond : « Non, pas du tout ! Cela voudrait dire que nous nous réunissons pour oublier nos différences. Or, au contraire, nous essayons de vivre avec nos dissemblances, en acceptant la légitimité du point de vue de l’autre1. » Il précise : « Si le WestEastern Divan Orchestra est évidemment incapable d’apporter la paix, il peut cependant créer les conditions d’une compréhension sans laquelle il est impossible de parler de paix. » Le musicien possède lui-même quatre passeports : argentin, espagnol, israélien et, depuis peu, palestinien2. Il est le seul au monde à avoir la double citoyenneté israélienne et palestinienne. « Certains s’en sont ouvertement réjoui. D’autres ont pensé que j’avais vendu mon âme à l’ennemi. Pourtant, je ne suis pas un traître : j’ai accepté pour montrer l’exemple », précise le chef d’orchestre. Une initiative engagée pour celui qui considère que « la musique peut être beaucoup plus qu’un agréable élément ornemental ». EUROARTS

cantonne aux limites de leur camp. Madji vit dans celui de Shatila, au sud de Beyrouth : « J’ai l’impression que je n’existe pas. » Son fils de 14 ans a hérité de son statut d’apatride. Faute d’être autorisé à passer les examens, il devra quitter l’école l’an prochain. Les camps de réfugiés, les habitants du Sahara occidental les connaissent aussi. Cette ancienne

Cécile Carton

(1) La musique éveille le temps, Daniel Barenboim, éd. Fayard. (2) Les passeports palestiniens ont une valeur symbolique. Comme l’Autorité palestinienne, qui les distribue, n’est pas un Etat reconnu, ils ne permettent pas de voyager. Aux frontières, les Palestiniens doivent être munis des documents délivrés par l’Unrwa. Et pour ceux qui en disposent, du passeport du pays dans lequel ils vivent (la Jordanie leur en fournit un, mais pas la Syrie ni l’Egypte). 2009 Innova 15


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Le Sanitas à cœur CÉLINE MOUNIÉ

battant

Quartier populaire au cœur de Tours, le Sanitas a mauvaise réputation. Qu’importe, ses dix mille habitants inventent, au quotidien, une manière de vivre ensemble. Les initiatives se multiplient, mais souvent en marge des institutions et du reste de la ville.

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our aller au Sanitas, il faut traverser une frontière, celle des voies ferrées. Une passerelle blanche permet de passer de la zone résidentielle de Velpeau à ce quartier populaire enclavé au milieu de Tours (Indreet-Loire). C’est l’une des rares portes d’entrée à l’est de cette zone urbaine sensible (ZUS) qui abrite dix mille personnes. D’un côté, des pavillons aux jardins coquets ; de l’autre, une masse grise, du béton, quelques arbres et du linge aux fenêtres. En bas des marches, un jardinet de forme triangulaire et quatre bacs en bois, à l’ombre des immeubles. Quelques enfants, arrosoir à la main, s’occupent de leur semis de radis. Installée sur l’unique banc, l’une des mamans confie : « Quand ils ont su qu’on venait au

jardin, ils ont sauté de joie. » L’Office public d’aménagement et de construction (Opac) prête ce lopin de terre à deux associations qui s’occupent de le cultiver, Karma et Au’Tours de la famille. Le but ? S’approprier son quartier et favoriser les rencontres. « Nous en avions assez que les gens restent devant leur télé », affirment Marie-Agnès et Pasca-line, habitantes du quartier depuis vingt ans et membres de Au’Tours de la famille. Chaque mercredi après-midi ensoleillé, parents et enfants ont rendez-vous pour un atelier jardinage. Ici, la récolte n’est pas une fin en soi : « Nous n’avons mangé que deux fraises et personne n’a vu la couleur des citrouilles ! » témoigne Sylvie, la jardinière professionnelle qui encadre l’activité. Le terrain n’étant pas clôturé, des chapardeurs en ont profité pour remplir leur panier de légumes. Juste en face, de l’autre côté du boulevard de-Lattre-de-Tassigny, est implanté le Centre municipal des sports. La gigantesque carcasse grise, construite dans les années soixante, a été récemment relookée. S’y tiennent toutes les rencontres sportives importantes de la ville. A l’origine, l’objectif était de permettre aux gens venus de quartiers différents de s’y


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Focus

CÉLINE MOUNIÉ

Des difficultés à s’ouvrir Au Sanitas, on préfère pratiquer les sports dans les structures de quartier, entre voisins. Coincé entre quatre barres d’immeubles, le City stade ne désemplit pas. Sur ce petit terrain ouvert à tous, une quinzaine de gamins improvisent une partie de football. « Les ados préfèrent jouer entre eux plutôt que d’adhérer à un club », remarque Belkacem Meziani. Les clubs essaient parfois de recruter les meilleurs, mais ces derniers ont du mal à quitter le quartier. Autre moyen de mêler les populations et de désenclaver le Sanitas, le Centre de vie de Tours, qui y est implanté. Relais entre la mairie et la

On préfère pratiquer les sports dans les structures de quartier, entre voisins qui concentre le plus de difficultés, mais aussi le plus de liens entre habitants », affirme Mohamed Moulay, référent de la politique de la ville au Sanitas. Le tissu associatif y est donc plus dense ici qu’aileurs. Pourtant, les obstacles ne manquent pas. La mairie ne prête des locaux qu’à huit associations. Et si certaines parviennent à payer un loyer, la plupart occupe à tour de rôle les salles du centre social.

MYRIAM GOULETTE

population tourangelle, la structure propose plusieurs salles à louer et des permanences régulières : « C’est une plate-forme de services pour tous les habitants. On y trouve le Planning familial, un service juridique, un centre d’information sur les droits des femmes et des familles… détaille Anne Boundaoui, coordinatrice de l’accueil. Nous ne recevons pas plus d’habitants du Sanitas que des autres quartiers. » Le choix de cette localisation n’était pas anodin. Un taux de chômage de 32 %, près d’un tiers de

côtoyer. Malgré les bonnes intentions, c’est loin d’être le cas. Les soirs de matchs de volley ou de hockey, les voitures prennent d’assaut les trottoirs. Deux heures plus tard, les rues se vident. Les habitants du Sanitas ne vont pas à ce type de compétitions. « Question de culture », affirme Belkacem Meziani, responsable des infrastructures de la municipalité. Selon lui, il y a dix fois plus de jeunes du quartier pour la « Nuit des titans », une rencontre de kick boxing, que pour un match du Tours Volley-Ball, qui évolue pourtant en première division.

Au jardin partagé près de la ligne de chemin de fer (à dr.), les enfants récoltent leurs épinards. Un moment de convivialité comme il y en a aussi devant le centre social (à g.)

familles monoparentales, 82 % de locataires HLM, un revenu mensuel moyen de 620 euros : des chiffres deux fois plus élevés que dans le reste de la ville. « C’est la zone

A l’école, les limites de la mixité A l’ombre des tours, à quelques dizaines de mètres de la voie ferrée, Louis-Pasteur est un collège Ambition réussite, nouvelle appellation des Zones d’éducation prioritaire (ZEP). Ce petit établissement est l’un des deux, avec Michelet, à accueillir les adolescents du quartier du Sanitas. La totalité de ses cent soixante-quinze élèves vit dans les barres d’immeubles. Leur lycée de référence est Descartes, institution d’excellence située en plein centre-ville, mais la plupart préfèrent aller ailleurs. Sur les trois cents élèves de seconde, seuls cinq sont des anciens de Pasteur. « Il y a une crainte de nos collégiens, admet Michelle Rousset, la principale. Ils ont des préjugés et ne se donnent pas le droit d’aller là-bas. Ils s’autolimitent. » Un peu plus au nord, le collège Michelet accueille, lui, quatre cent vingt élèves. A la différence de Pasteur, seulement 40 % d’entre eux viennent du Sanitas, les autres sont issus de quartiers aisés de la ville (Velpeau et Les Prébendes). « La cohabitation se fait relativement bien, même si les modes de vie sont différents », confie Annie de Assençao, la principale. L’année dernière, 55 % des élèves sont partis à Descartes. La principale estime qu’une vingtaine d’entre eux venaient du Sanitas. «La mixité sociale, c’est une chance pour nous », admet-elle. Mais à Pasteur, Michelle Rousset, se référant à ses expériences Nicolas Loisel passées, ne considère pas que cela soit « une solution miracle ».

« Nous proposons des fonds d’initiatives citoyennes pour financer des projets. Nous en distribuons essentiellement au Sanitas, mais encore trop peu de structures nous en font la demande », précise Mohamed Moulay. Le même schéma se répète chez les habitants. Les associations, en effet, pointent du doigt le manque de bénévoles. Si une poignée de volontaires s’investit fortement, le reste de la population ne se sent pas concerné. Selon Fabrice Tardy, directeur de l’association Sam’ira, qui gère le Centre social du Sanitas, « les habitants ne s’impliquent pas assez et parlent peu de leurs attentes ». Anthony Cosnard, membre de Diversité 37 qui organise des actions de sensibilisations au vote, renchérit : « Ici, les gens 2009 Innova 17


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Focus quartier », affirme Jackie Barrault, la présidente. Chalak, réfugié irakien qui a perdu son emploi de chef cuisinier après un accident, fait la tournée des encombrants au volant de son camion-benne couvert de tags. Départ à 8 h 30. Son premier rendez-vous est au quinzième étage d’une tour HLM : venu chercher un vieux vélo, il repart avec un matelas. « Le travail est pénible, et les habitants ne sont pas très reconnaissants », constate-t-il. Entre deux squats à vider, les salariés de Régie Plus s’arrêtent pour discuter avec des pas-

Le Sanitas, ce n’est pas que des immeubles. C’est aussi un endroit animé avec ses lieux de vie, comme le marché SaintPaul (à g,), et de nombreuses initiatives des jeunes. Leur exposition Divers-Cités (à dr.) donne une autre image du quartier.

transition après une longue période d’inactivité. « Arriver à l’heure, être poli et bien habillé, c’est déjà beaucoup pour ceux qui ont perdu l’habitude du contact », explique le moniteur, Pierre-Yves Ruiz, ancien policier responsable du quartier, aujourd’hui reconverti dans le social. Les élèves doivent

“Ce sont des gens d’ici qui contribuent à l’amélioration de la vie du quartier” s’organiser pour la garde des enfants, le déjeuner, justifier les absences, comme s’ils se trouvaient en situation d’embauche. Code le matin, conduite l’aprèsmidi et une intervenante qui dispense des cours de français. L’ambiance est bon enfant malgré 18 Innova 2009

ses élèves après la formation. Mais bien souvent, les gens vont d’un contrat de réinsertion à l’autre. Un problème récurrent qui ne facilite pas l’insertion. « Il y a des personnes qui sont passées chez nous il y a dix ans, qui reviennent aujourd’hui et que je retrouverai sans doute dans dix ans », déplore Yvon Alban, un des responsables de Régie Plus. Devant le hangar de son association, une quarantaine de travailleurs se rassemble chaque matin autour d’un « café-clope ». Ils trouvent ici des contrats de courte durée, dans trois secteurs : entretien des espaces verts, réhabilitation de logements sociaux ou aménagement du cadre de vie. « Ainsi, ce sont des gens du Sanitas qui contribuent à l’amélioration de la vie du

DIVERSITÉ 37

quelques altercations verbales. La moyenne d’âge est de 35 ans, avec une majorité de femmes et beaucoup d’étrangers – ces derniers représentent 12 % de la population du quartier, contre 4,4 % sur l’ensemble de la ville. « Avant de venir ici, j’avais la tête vide et je ne faisais rien. J’étais seule, c’était difficile pour apprendre la langue », témoigne, dictionnaire sous le bras, Aché, originaire du Togo. L’obtention du permis prend généralement un an. Comme beaucoup d’associations de réinsertion, Mobilité 37 aimerait pouvoir suivre

CÉLINE MOUNIÉ

NICOLAS LOISEL

n’ont plus l’impression d’avoir des droits, ils manifestent rarement. Ils ont d’autres soucis, la démarche citoyenne passe après. » Place Anne-de-Bretagne, un appartement anonyme au rez-dechaussée d’un HLM, abrite Mobilité 37. Depuis dix ans, cette « auto-école sociale » offre à ceux qui en ont besoin – demandeurs d’emplois, étrangers en difficulté ou jeunes sortis du système scolaire – de se rapprocher un peu du monde du travail. Le permis de conduire sert de marche-pied, mais ce n’est qu’un prétexte, une

sants : « Vous pouvez passer demain ? J’ai un vieux canapé, faudrait m’en débarrasser. » La tournée continue et l’équipe emprunte l’allée des GrangesSaint-Martin. Une cinquantaine de personnes s’est réunie au milieu du parking pour jouer à la pétanque. Dès que le soleil fait son apparition, pas d’heure de rendez-vous, « on vient et on joue », confie Hamed, chaussures vernies et chemise impeccable. Il a quitté le quartier, mais revient régulièrement retrouver les copains. Comme lui, la plupart des boulistes n’habitent pas au Sanitas, mais n’hésitent pas à prendre leur voiture pour rejoindre « le meilleur terrain de la ville ». Le camion-benne reprend sa route. Au détour d’une rue, un gar-


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Focus dien d’immeuble moustachu fait signe au chauffeur : « Il y a des chariots qui encombrent les soussols. Je sais que ce n’est pas le jour mais est-ce que vous pouvez venir ? » Trois caves plus loin, Chalak repart avec quinze chariots qu’il ramène au supermarché. A la fin de la tournée, le groupe traverse l’avenue pour aller boire un café au bar associatif du centre social. La vocation de ce lieu est de faciliter les rencontres, mais il est assez peu fréquenté, à peine cent vingt personnes par semaine, selon Fabrice Tardy, son directeur. Pourtant, les activités ne manquent pas. On y trouve une demi-douzaine d’ordinateurs reliés à Internet ; un écrivain public apporte son aide pour les démarches administratives (voir encadré) ; et des salles sont à disposition pour des activités diverses. Ainsi, tous les lundis, l’association Mali Deni y donne des cours de danse africaine. Paradoxalement, « aucun des participants ne réside dans le

« Professeur » de citoyenneté française Un courrier incompris, des factures à payer, des demandes d’allocation à remplir… Dans son bureau emcombré de livres, de plantes vertes, et tapissé de posters, Abderrahmane Marzouki, écrivain public de 55 ans, voit défiler des personnes tourmentées. Ses usagers l’appellent Abdou. Son rôle est de « régler leur problème », il en va parfois de leur avenir. L’écrivain accompagne actuellement plusieurs étrangers dans leur démarche de naturalisation. Parmi les nombreuses pièces exigées, une lettre de motivation qui peut être déterminante. « Nous en discutons beaucoup car ils font des erreurs. Ils évoquent trop leurs racines, le passé, et pas assez leur volonté, leurs projets, raconte Abderrahmane. Je leur parle également de la laïcité, de l’égalité homme-femme ou même de la liberté d’expression dans notre pays. Ce sont des notions qu’ils ne connaissent pas toujours. » Lors de leur futur entretien, en préfecture Margaux Girard ou dans un commissariat, ils devront montrer qu’ils maîtrisent et respectent ces principes.

pales de 2008 a été d’environ 46,5 % dans les bureaux de vote du Sanitas contre 56 % pour l’ensemble de la ville. De même, lors de la présidentielle de 2007, l’abstention a été plus élevée (23 %) que la moyenne nationale (16,1 %). Pour mobiliser les électeurs, l’association Diversité 37 organise une campagne de sensibilisation à l’approche de chaque scrutin. En vue des élections européennes du 4 au 7 juin prochains,

tion de photographies. Elles sont toutes accompagnées d’enregistrements sonores et ont été réalisées par des jeunes du Sanitas au printemps 2008. Ces derniers ont voulu montrer au reste de la ville une autre image de leur quartier, de ses barres d’immeuble, de ses jardins, de ses rues et de ses habitants. Les adolescents tourbillonnent au milieu de la foule. Les visiteurs, enthousiastes, se presse sous

quartier », indique le percussionniste. Une fois de plus, les habitants du Sanitas préfèrent les rencontres informelles plutôt que de se réunir dans les structures officielles. En témoigne le semi-échec des conseils consultatifs de quartier. Au lieu du dialogue espéré entre population et institutions, on assiste plutôt à des discours d’information. Au milieu des présidents d’association, de rares habitants, tous retraités. Lors de la dernière réunion en février, un seul a pris la parole pour réclamer des doubles vitrages, car son logement jouxte la voie ferrée. Dans ce quartier à part, force est aussi de constater que les élections n’ont guère de succès : le taux de participation aux élections munici-

CÉLINE MOUNIÉ

Il subsiste malgré tout un fossé entre la population et les institutions

L’équipe de l’association Régie Plus récupère les encombrants dans le quartier.

une exposition sur l’Union européenne a été présentée lors de la fête du quartier, le 18 avril. Au sein du quartier, des initiatives fourmillent, mais les passerelles vers l’extérieur sont rares. Le 21 mars dernier, des familles du quartier avaient rendez-vous en centre-ville, aux celliers SaintJulien. Dans ce haut lieu de l’art à Tours, est inaugurée une exposi-

les voûtes moyenâgeuses de la salle d’exposition. Un garçon distribue aux curieux les cartes de visite de l’association Karma. Une fille se désole, le son ne marche pas . Kaoutar, 16 ans , questionne : « C’est vrai, vous avez aimé ? » Elle a l’air d’en douter. Marion Deslandes, Margaux Girard, Myriam Goulette, Julien Le Blevec, Nicolas Loisel et Céline Mounié 2009 Innova 19


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Histoire

Le combat citoyen

En décembre dernier était célébré le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Inspirée de celle de 1789, elle a été nourrie par cent cinquante ans de luttes. et reconnu. Il va être un socle inaliénable pour la reconnaissance des droits du citoyen.

MUSÉE CARNAVALET

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Les citoyens s’affichent et se reconnaissent grâce à leurs vêtements, la cocarde et le pantalon rayé. Dans cette gouache de Lesueur, ils chantent l’hymne des Marseillais.

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août 1789.

Il aura fallu six jours et six propositions pour aboutir à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, issue du mouvement des Lumières. Cette première pierre du droit constitutionnel moderne est également inspirée de la Déclaration américaine de 1776. Le général La Fayette, héros de la guerre d’indépendance des EtatsUnis, a d’ailleurs participé à l’élaboration du projet définitif français. Celui-ci est basé essentiellement sur les libertés que l’homme doit pouvoir faire valoir comme la sûreté, la propriété et l’égalité. « Les hommes naissent libres et égaux en droit… », « naissent » et non pas « sont ». Un droit naturel qui, pour la première fois, est posé 20 Innova 2009

1848. C’est sous la pression du peuple que la IIe République est proclamée. La Ire République, marquée par la Terreur, n’avait pas particulièrement mis en valeur les droits du citoyen. L’Empire et la Restauration n’en feront pas davantage. Cependant, la révolution de 1848 est l’occasion d’inscrire dans les faits ce que la Déclaration énonce dans les textes depuis près de soixante ans. Tout va alors très vite : le droit au travail est déclaré, l’esclavage dans les colonies est aboli et, pour la première fois, le suffrage universel est adopté. Malgré cela, il faudra attendre 1944 pour que les femmes puissent voter. Un droit obtenu, en partie, grâce à leur rôle dans la Résistance. 1881. C’est à cette époque charnière que naissent les lois sur la liberté de la presse. Un texte destiné à perdurer puisqu’il reste à la base de la législation actuelle. C’est cette même année que l’instruction publique laïque et obligatoire est défendue par Jules Ferry. Ses idées entraînent un important mouvement de scolarisation dans les campagnes. Les filles sont pour la première fois concernées. Les parents sont obligés d’envoyer leurs enfants à l'école alors qu'ils préfèreraient les voir participer aux tâches ménagères ou aux travaux des champs. Dans la foulée sont adoptées les lois sur les syndicats de 1884 et sur

les associations de 1901 qui ont permis de renforcer les droits du citoyen. Vingt ans de lutte acharnée pour pouvoir se réunir et revendiquer. Pourtant, le 1er mai 1891, rien ne semble vraiment acquis. Les différentes composantes syndicales s’unissent pour la première fois et réclament la journée de huit heures. Une fête grandiose qui vire au tragique puisque, à Fourmies, les gendarmes chargent les ouvriers. Neuf morts sont à déplorer, dont deux enfants.

1948. Cent cinquante ans ont passé depuis 1789, le monde a changé et la Déclaration doit évoluer. Le 10 décembre, la première Déclaration universelle des droits de l’homme est adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies à Paris. Sur les cinquantehuit Etats, aucun ne se prononce contre. Huit s’abstiennent dont l'Afrique du Sud de l’apartheid, qui refuse le droit à l'égalité sans distinction de naissance ou de race, et l’Arabie Saoudite, qui conteste l’égalité entre les hommes et les femmes. Le Yémen et le Honduras n’ont, quant à eux, pas voté. Depuis 1992, le traité de Maastricht introduit la notion de citoyen de l’Union européenne. Plus que des droits et des devoirs, il est aujourd’hui nécessaire de se construire ensemble une identité commune. Toutes ces années de lutte sont le signe que la citoyenneté ne peut évoluer que dans une société en perpétuelle recherche démocratique. Julien Desfrene, Mathilde Macé et Sacha Nokovitch


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Portfolio Lucie Moulu, 77 ans. Italienne, venue pour la première fois en France en 1949. Naturalisée en 1956.

CÉCILIE CORDIER

« J’ai commencé à faire les saisons dans les champs, en France, à 17 ans. » Quand, six ans plus tard, la jeune Italienne rencontre Michel, elle s’appelle encore Fiorinda. Elle rentre en Italie, ils s’envoient des lettres. Elle ne sait ni lire ni écrire : « Je les dictais à un copain », souritelle. Au bout de quelques mois, l’amoureux n’y tient plus et file à moto en Italie. Là-bas, il affronte la jalousie de l’ancien petit ami de Fiorinda, ils en viennent aux mains… et au couteau. Après la saison aux champs de 1956, le couple se marie. Fiorinda francise son deuxième prénom, Lucia, pour mieux s’intégrer. Elle devient Lucie. Discrète sur cette partie de sa vie, elle se souvient : « Parce que j’étais étrangère, on refusait parfois de me vendre du lait, même si je payais. » Mireille, l’aînée des huit enfants du couple, se rappelle surtout une mère qui se privait de manger pour nourrir la fratrie. Depuis, la xénophobie a changé de cible. La petite-fille de Lucie, Capucine, 22 ans, ne se souvient pas d’avoir jamais été « traitée de sale Ritale ». Mais assume avoir hérité du fort tempérament des Italiennes. C. C.

Français venus d’ailleurs 2009 Innova 21


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Portfolio Nés ailleurs, deux millions de Français le sont par naturalisation. Terre d’asile, terre d’accueil historique, la France accorde ainsi chaque année la nationalité à cent cinquante mille immigrés, arrivés pour la plupart de l’Union européenne ou de l’Afrique. A l’origine de leur vail ou la fuite, qu’elle soit économique ou politique. Mais ce qui les différencie des trois

CÉLINE MOUNIÉ

exil, l’amour, le regroupement familial, le tra-

millions d’étrangers qui vivent ici, c’est qu’ils ont décidé d’officialiser leur « adoption ». séjour, à la pénibilité des démarches administratives et à la peur de l’expulsion ? Pour avoir les mêmes droits, à l’emploi comme à la sécurité sociale ? Quoi qu’il en soit, tous ont été attirés par la promesse d’une vie plus confortable, moins incertaine, par le besoin de se sentir chez soi quelque part. Lucie, Bernardo, Stavros, Chantal, Najib. Cinq points de départs, cinq histoires. Un seul point commun : celui d’être devenu français. 22 Innova 2009

Stavros Hadjiyianni, 50 ans. Chypriote arrivé en France en 1981. Naturalisé en 1985. « La combinaison de mes deux nationalités m’a aidé à avancer ; ça a été ma chance. » L’histoire de Stavros commence pourtant par la fuite, lorsque la Turquie envahit le nord de Chypre en 1974. Heureusement, l’insouciance de ses 15 ans le sauvera de la douleur de l’exil, lorsque les jeunes sont évacués de Chypre vers la Grèce : « J’ai vécu cela comme une aventure. Imaginez-vous partir sur un bateau avec deux mille jeunes de votre âge… » Un seul mauvais souvenir dû à ses origines : lors de sa demande de naturalisation, quatre ans après son arrivée, le policier conclut qu’il ne parle pas correctement français, alors que le jeune homme est déjà en DEA. Aujourd’hui professeur de droit, Stavros n’a pas gardé beaucoup de traces de sa culture d’origine : « J’aurais sans doute complètement oublié ce pays si le nord de Chypre n’était pas toujours occupé. Mais ce qui s’y passe m’oblige à me sentir solidaire. » C. M. MATHILDE MACÉ

Pour échapper aux échéances des cartes de


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Portfolio Bernardo Mella-Duran, 55 ans. Chilien, arrivé en France en 1973. Naturalisé en 1988.

MATHILDE MACÉ

« Je ne changerai jamais mon nom ni ne serai propriétaire. J’ai même du mal à percer des trous dans mes murs. » Quand Pinochet a pris le pouvoir, en 1973, Bernardo était prêt à se battre, mais il a fallu partir. L’exil en Europe ne devait être que provisoire. Pourtant, le répit s’est éternisé. Il a eu deux enfants. « Quand des liens commencent à se nouer, il est trop tard. Mais je ne veux pas m’enraciner. » Etudiant en sociologie au Chili, il choisit de devenir intérimaire à son arrivée en France. Soudeur, mécanicien, peintre… Le plus important est de ne rien entamer. Bernardo ne se sent ni vraiment Chilien ni vraiment Français, mais Mapuche. Comme tous les membres de cette ethnie amérindienne opprimée, il ne se dit pas encore vaincu, car « personne ne l’a jamais mis à genoux ». Toujours dans l’attente de rentrer, Bernardo est encore là. « Il y a trop de traces de la dictature au Chili. » Et d’icônes d’Amérique latine sur les murs de M. M. son appartement.

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Portfolio Chantal Polunyo, 39 ans. Congolaise arrivée en France en 2003. Naturalisée en 2008.

CÉLINE MOUNIÉ

« C’est difficile de se justifier, il faut prouver que tu es menacé et on ne te croit pas. » Originaires du Congo, les Polunyo mettront trois ans pour être reconnus comme réfugiés politiques. Parce qu’ils appartiennent à deux ethnies devenues ennemies – Chantal est hema et Pierre lendu – leur couple est persécuté. Avec leurs enfants, ils fuient leur pays en 2003. Ils rejoignent Paris, puis Tours, où un passeur leur a promis un hébergement. Mais personne ne les attend. Démunis, désemparés, ils sont recueillis par la Croix-Rouge. Aujourd’hui, Pierre est chauffeur de poids lourds, Chantal auxiliaire de vie dans une maison de retraite. Elle ne se résout pas à se détacher de son pays d’origine. « Je veux y emmener mes enfants, pour qu’ils puissent A. G. voir d’où ils viennent. »

Textes et photos: Cécilie Cordier, Jonas Cuénin, Aurore Gayod, Mathilde Macé, Céline Mounié

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« Elle m’a dit : “Si tu m’aimes, tu dois partir”. » Aujourd’hui encore, Najib rend grâce à sa mère. Ils avaient déjà fui les talibans et leur petite ville de Wardak pour se réfugier dans la capitale. Ils pensaient qu’à Kaboul, tout irait mieux. Un soir, son jeune frère n’est pas rentré de l’école, sûrement emmené de force dans une école coranique intégriste. Pour Najib, ce sera un déchirant voyage d’un mois avec des passeurs, à travers l’Iran, la Turquie et l’Europe. A son arrivée à Paris, il n’a que 15 ans. Il est recueilli par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et placé dans un foyer du 17e arrondissement. Aujourd’hui, il prépare son bac pro comptabilité au lycée Erik-Satie (Paris, 14e). Il essaie de « bien refaire sa vie », aime-t-il à dire. Mais il n’a plus jamais eu de J. C. nouvelles de sa mère.

JONAS CUÉNIN

Najib Ablizadah, 18 ans. Afghan arrivé en France en 2005. Naturalisé en 2009.


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’allume la machine à laver et j’étends le linge. On va me mettre en prison pour ça ? » Céline s’étonne. Cette factrice risque cinq ans de prison. Un délit d’humanité : comme deux cents habitants de Steenvoorde, une bourgade du Nord, elle participe à l’accueil de clandestins en transit pour l’Angleterre. Que des hommes et des femmes puissent vivre terrés comme des bêtes sauvages lui est tout simplement devenu insupportable. Transgresser la loi au nom d’une morale personnelle, les « désobéissants », qu’ils soient profs, faucheurs d’OGM ou antinucléaires,en font un art de vivre. Par des actions non violentes et spectaculaires, ils contestent les lois qu’ils jugent injustes. Des lieux d’indignité, où les droits les plus élémentaires de la personne humaine sont bafoués, la France en recèle. En 2008, la Cour européenne des droits de l’homme l’a condamnée pour « traitements inhumains et dégradants » dans ses prisons. Derrière les hauts murs des maisons d’arrêt, « tous les besoins essentiels sont niés », témoigne Hélène Castel qui a connu les régimes pénitentiaires français et mexicain. La France s’est longtemps enorgueillie de « sa » révolution qui exporta les Droits de l’homme et du citoyen et fit d’elle une terre d’asile. Aujourd’hui, des sans papiers sont retenus derrière des barbelés, privés de liberté. Et en Guadeloupe, département français, cinq semaines de révolte ont été nécessaires pour faire appliquer… le droit français !

PHOTOS : ROMAIN LECOMPTE - JBB/ARTICLE11 - KLAVIDJ SLUBAN - XAVIER MERCKX - FREDERIC GIRCOUR

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La République

des mal-aimés

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Mon village à l’heure des clandestins Ils lavent du linge, prodiguent des soins… Céline, Lucienne, Olivier et deux-cents autres habitants de Steenvoorde, dans le nord de la France, accueillent vingt-cinq clandestins en transit pour l’Angleterre.

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e dos voûté, Ibrahim marche le long de la route qui serpente à travers la Flandre. Cet Erythréen sanspapiers a passé la nuit à tenter de se glisser dans un camion pour traverser la Manche. En vain. Il retourne à pied à Steenvoorde (59). L’abattement se lit sur son visage. Il croise Olivier qui rentre d’Hazebrouck. « Courage, ce sera pour la prochaine fois », lui dit-il en le faisant monter dans sa voiture. Comme Ibrahim, des milliers de 26 Innova 2009

migrants afghans, irakiens, érythréens tentent chaque soir de gagner leur Eldorado : l’Angleterre. Le Royaume-Uni leur offre des

Deux grandes tentes où s’entassent matelas et couvertures. Une troisième fait office de cuisine. L’endroit, à l’écart du village, est entouré d’une toile qui protège des regards indiscrets. A l’extérieur siègent un robinet, un baby-foot en plastique et quelques chaises. Depuis la fermeture, en 2002, du centre de Sangatte, le camp de Steenvoorde fait partie des rares refuges décents du Nord. Des îlots de solidarité où de simples citoyens, pour offrir le minimum vital, bravent la loi. Et particulièrement l’article L622-1 qui sanctionne l’« aide au séjour à personne en situation irrégulière » de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Ce

“Un jour, j’ai trouvé un gamin de 10 ans sous un duvet raidi par le gel” aides financières et ils y trouvent rapidement du travail. Loin des troubles politiques de leur pays. Ibrahim, lui, dormira toute la journée au camp de Steenvoorde.


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Dossier même article a valu, fin février, à Monique Pouille, bénévole de l’antenne de Terre d’errance à NorrentFontes (62), huit heures de garde-àvue pour avoir rechargé les téléphones mobiles de sans-papiers. Les associations craignent que ce genre de situation se multiplie. Le 31 mars, Eric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale, a reçu une lettre de mission du président Nicolas Sarkozy et du Premier ministre François Fillon lui fixant un objectif de cinq mille personnes à interpeller dans ce cadre pour l’année 2009. A Steenvoorde aussi, on aide les migrants à recharger leurs portables. « Nous n’avons jamais pensé faire quelque chose d’illégal », confie Myriam, aide-soignante et responsable du service alimentaire. « J’allume la machine à laver et j’étends le linge. On va me mettre en prison pour ça ? » raille Céline, la factrice. « Je n’ai pas peur de la justice, tranche Olivier. Ce que nous faisons n’est pas légal, mais c’est légitime. Un jour, je suis allé dans un de leurs camps et j’ai trouvé un gamin de 10 ans sous un duvet raidi par le gel. Quand tu vois ça, il peut y en avoir deux cents, tu les accueilles sans problème. »

Une solidarité spontanée Dans cette commune de quatre mille habitants, ils sont deux cents, tous bénévoles de Terre d’errance à se mobiliser depuis décembre pour accueillir vingt-cinq Erythréens. « Steenvoorde, c’est un peu le quatre étoiles des camps d’accueil », s’amuse Olivier. « Les gens sont très gentils », reconnaît Sauel, 27 ans. « Ils font preuve de beaucoup d’humanité », ajoute Haile qui aimerait rejoindre son frère et sa sœur à Londres. Ils sont étudiants pour la plupart, et déterminés. Eseyas, 27 ans, ancien infirmier dans l’armée érythréenne, en est à sa vingt-cinquième tentative de traversée de la Manche.

Lucienne (page de gauche) administre à un clandestin une lotion pour les yeux. « Je viens tous les jours, explique cette infirmière à la retraite, car ils ne prennent pas leurs médicaments spontanément. » Deux fois par semaine, Eliane (ci-dessus) et

Olivier (ci-dessous) proposent, eux, des cours de français. Des notions de base : les jours de la semaine, les chiffres, les mots usuels. L’une des tentes est consacrée à la cuisine. Salam (ci-contre) prépare ici un plat traditionnel érythréen.

C’est en suivant l’autoroute A25 que des migrants ont commencé à affluer. Près du parking où stationnent les camions, le bosquet où ils se cachaient s’est transformé en repaire, en « jungle ». Un campement de fortune parsemé de détritus où trois planches font un cercle autour d’un foyer maintenant éteint. « En juillet dernier, la gendarmerie a procédé à des arres-

tations, se souvient Damien, retraité et président de l’antenne de Terre d’errance de Steenvoorde. Le lendemain, nous avons découvert que soixante-trois Erythréens vivaient dans cette jungle. » Puis vient l’hiver. Olivier, steward à la British Airways s’inquiète pour ces hôtes discrets. Il leur ouvre sa maison occasionnellement, pour qu’ils mangent ou dorment à l’abri. 2009 Innova 27


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Spontanément, d’autres habitants se préoccupent de leur sort. Une réunion publique est organisée le 14 novembre. Une centaine de personnes y participe. L’association est créée et le conseil municipal o ctroie un terrain p our construire un camp. L’accueil des Erythréens est réglé comme une horloge. Dans la maison paroissiale, une première pièce est consacrée au stockage de la nourriture. Les denrées viennent de dons de par ticuliers , d’achats à la Banque alimentaire. Le boulanger de Boeschepe fournit du pain et un fermier offre le surplus de sa production, 15 litres de lait par jour. Deux autres salles sont consacrées au tri et au lavage des vêtements. Deux fois par semaine, les migrants peuvent prendre une douche dans les vestiaires du club de foot. Une ancienne infirmière, deux médecins et un dentiste leur dispensent des soins médicaux. Eliane, elle, assure des cours de français, « pour leur rendre leur dignité intellectuelle », explique cette enseignante à la retraite.

« Le Nord est connu pour son action catholique, souligne Bertrand, le curé de la paroisse. La doctrine sociale de l’Eglise est en toile de fond. » Néanmoins , « notre association n’est ni confessionnelle ni politique », précise Damien. Un principe fondateur partagé par Jean-Pierre Bataille, maire de Steenvoorde : « Le fait que je sois membre de l’UMP n’entre pas en ligne de compte, balaiet-il. Devant n’importe quel cas de détresse humaine, je ne vais pas appeler mon parti d’abord pour savoir quoi faire ! »

Depuis novembre, Olivier rend régulièrement visite aux migrants dans leur « jungle » (ci-dessus). Le camp a été installé par les bénévoles de Terre d’errance près des jardins ouvriers (ci-dessous).

OLIVIER SULMAN

“Finalement, je crois que les forces de l’ordre sont soulagées par notre action : elles n’ont plus à leur courir après.”

Depuis l’installation des tentes au mois de décembre, les bénévoles de Terre d’errance ont largement franchi la ligne rouge fixée par l’article L622-1. La gendarmerie passe plusieurs fois par jour à proximité du camp. « Nous nous sommes entendus avec eux pour les accueillir, explique Damien. Finalement, je crois que les forces de l’ordre sont soulagées par notre action : elles n’ont plus à leur courir après. »

Faire mieux que l’Etat Un arrangement défendu par Jean-Pierre Bataille : « Nous mettons l’Etat face à ses contradictions, explique-t-il. Si demain le préfet me demande de fermer le camp, je m’exécuterai. Mais est-ce que les autorités peuvent faire mieux que nous ? » s’interroge l’élu, avant de confier qu’« il se susurre déjà qu’il (Eric Besson, NDLR) pourrait régulariser l’action d’associations comme Terre d’errance ». Globalement, l’accueil réservé aux migrants par l’association est bien perçu par les habitants. « Ces gens ont droit au minimum vital, lance Stéphane, adossé au comptoir de la brasserie A l’épi de blé. Mais j’ai tout de même un peu peur que cela incite d’autres migrants à venir, ajoute le retraité. je regrette que l’Etat n’ait pas un discours clair. » Rémi, étudiant, renchérit : « Des associations, il y en aura toujours, mais il faut une solution au-dessus. » Combien de clandestins ont-ils bénéficié de l’accueil de ces citoyens ordinaires avant de gagner l’Angleterre ? Impossible de le savoir. Olivier reçoit parfois un appel au milieu de la nuit. Ils sont arrivés. D’autres n’essaient plus. Un migrant va demander l’asile en France : il est tombé amoureux, d’une habitante de Steenvoorde. Timothée Blit et Romain Lecompte (texte et photos)


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Les désobéissants se rebiffent

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PHOTOS KRISTO, JOSEPH COLLIN, ERIC BAISSON, FRANÇOIS LAFITE, KRISTO

n conscience, nous refusons d'obéir. » Le 27 janvier dernier, plus de cent cinquante professeurs des écoles adressaient une lettre au ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos. Ils sont aujourd’hui plus de deux mille six cents « résistants pédagogiques » à refuser d’appliquer les nouveaux programmes, les deux heures d’aide personnalisée aux élèves en difficulté, et à ne pas accepter la suppression annoncée des Rased (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté). Pour eux, manifestations, grèves et pétitions ne suffisent plus. La désobéissance civile paraît plus efficace.

Légitimité contre légalité Ces nouvelles façons de protester séduisent de plus en plus de citoyens : les faucheurs volontaires détruisent des champs de maïs OGM, les collectifs antipub gribouillent des panneaux de réclame, le DAL (Droit au logement) investit illégalement des appartements inhabités… « Ils considèrent que les autorités sont moins à l’écoute des formes de revendications classiques et légales », indique François Roux, avocat des faucheurs volontaires. Transgresser une loi que l’on juge injuste permet de rester en accord avec ses principes. Guy Groux, professeur de lettres et sciences humaines à Sciences Po Paris, spécialisé dans les mouvements sociaux et syndicaux, rappelle que la désobéissance à une loi illégitime

Faucheurs d’OGM, barbouilleurs de pubs, anti-nucléaires… De façon non-violente, ils s’opposent à une loi qu’ils trouvent injuste. est même « un devoir ». Pour les tenants de cette école, cela découle du droit de résistance à l’oppression proclamé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Jean-Marie Muller, écrivain, philosophe spécialiste de la non-violence, ajoute qu’un « individu qui obéit à une loi injuste ruine la démocratie ». L’acte est donc purement citoyen. Mais qui peut décider de la légitimité d’une loi ? « On se réfère à notre conscience personnelle », répondent les désobéissants. Anna Massina est faucheuse volontaire. « Dans l’action nonviolente il est nécessaire d’évaluer les risques et de les accepter. L’enthousiasme et la conviction d’être dans le “juste” se mêlent à la peur de la répression. Mais il faut faire avec. » Certains actes de désobéissance, dont celui pratiqué par Anna, sont plus exposés que d’autres aux sanctions. Maître Roux précise que « pour les OGM, les intérêts sont considérables et les pressions des industriels très fortes (…) L es f auche urs cherchent aujourd’hui à se reconvertir dans d’autres formes d’actions comme les semeurs volontaires ». L’objectif

est d’encourager les échanges de semences non brevetées (par les grandes firmes agroalimentaires) et donc non autorisées. Une démarche qui pourrait garantir un allègement des sanctions pénales. Sylvie Espagnolle, syndicaliste CGT du Pôle emploi de MidiPyrénées, refuse, elle, de se plier aux dernières directives qui lui demandent de signaler aux autorités les chômeurs dont les papiers ne sont pas en règle. Elle est suivie par tous ses collègues, qu’ils soient syndiqués ou non. « Désobéir collectivement et de façon visible dissuade un peu plus la direction de nous sanctionner. » La persévérance paie parfois. Dans le Lot, la SNCF a dû rétablir sept des quinze arrêts de la ligne Paris-Toulouse qu’elle avait supprimés à l’automne 2007. Depuis un an et demi, des habitants et des élus de Souillac et Gourdon descendaient sur les voies pour stopper les trains pendant deux minutes. Poursuivis en justice pour « entrave à la circulation », six habitants et trois élus encouraient théoriquement six mois de prison et 3 750 euros d'amende. Mais le 20 mars dernier, les sommes requises à leur encontre n’étaient que de 400 à 500 euros. Le conflit continue pour rétablir les autres arrêts. Dans la logique de la désobéissance, il faut aller jusqu’au bout, résume Jean-Marie Muller : « La sagesse commence lorsque la peur des gendarmes disparaît. » Marion Deslandes et Margaux Girard 2009 Innova 29


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PHOTOS KLAVIDJ SLUBAN ET BERTRAND DESPREZ

KLAVDIJ SLUBAN

Promiscuité, surpopulation, traitements dégradants… l’état des prisons françaises est alarmant. Des conditions de vie contre lesquelles s’élèvent anciens détenus et associations. Pour que le droit ne s’arrête pas aux portes des cellules.

Prisons françaises, zones de non

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a réalité de la prison, je ne la supporte plus. Le seul moyen qu’il me reste, c’est la grève de la faim. Je sais qu’ils me laisseront crever, mais je m’en fiche totalement. » Incarcéré à la centrale de L annemez an (Hautes-Pyrénées), Franck Astier entame cette action parce qu’on lui interdit de téléphoner à sa compagne au prétexte qu’ils ne sont pas mariés. Décisions arbitraires, humiliations, privations… 30 Innova 2009

Le Conseil de l’Europe (COE) et le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) ont épinglé à plusieurs reprises la France pour ses conditions de détention. Le 15 octobre 2008, celle-ci était condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour le « traitement inhumain et dégradant » de ses détenus. Vendredi 13 mars 2009, selon le journal Libération, sept détenus de la maison d’arrêt de Valenciennes (Nord) déposaient une plainte pour « mauvais traitements et violen-

ces » infligés par des surveillants. Les prisonniers auraient été battus, puis laissés nus au mitard, cette cellule du quartier disciplinaire, sans fenêtre, avec un lit en béton. Ceux qui y sont enfermés n’ont droit qu’à une heure de sortie quotidienne. Ils peuvent y rester jusqu’à quarantecinq jours, durée qui sera peut-être ramenée à trente jours avec le projet de loi pénitentiaire. Elle est en moyenne de quinze jours dans le reste de l’Europe. Derrière les barreaux, la communication avec l’extérieur est

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(Essonne). Comment les aider avec seulement trois jours de cours de psychologie sur six mois de formation ? »

Une perte d’identité Derrière les murs, c’est la passivité qui prime. Pourtant, de nombreux détenus souhaitent travailler. Certes, le projet de loi pénitentiaire prévoit l’obligation d’activités pour l’ensemble des détenus mais il y a pénurie d’offres et de moyens. Du coup, ils ne sont que 30 % à en bénéficier. Les quelques chanceux gagnent un tiers du Smic. Sans contrat de travail. Autrement dit, à leur sortie, pas de protection sociale, pas d’Assedic ni de droit à la formation. En entrant en détention, on perd son identité pour devenir un

Neuf mètres carrés pour trois détenus, c’est la moyenne dans les maisons d’arrêt françaises

n droits extrêmement réglementée. Lorsqu’on leur permet d’utiliser le téléphone, les détenus sont sur écoute et disposent d’une liste de numéros autorisés. Les portables sont interdits. Seules sept des deux cents prisons françaises disposent de parloirs intimes destinés aux visites des familles. Pour en bénéficier, il faut souvent attendre trois mois. Depuis 1994, être condamné ne signifie plus perdre ses droits civiques. Les détenus peuvent voter par procuration, mais les démarches sont complexes. Mal infor-

més, ils sont moins de 10 % à jouir de cette possibilité. Etre citoyen, c’est aussi pouvoir protester. En prison, pas de syndicat, pas de pétition, pas d’association. Seules contestations possibles : refuser d’entrer dans sa cellule ou de participer aux activités sportives. Mais le risque est grand : mitard, isolement, retrait de remise de peine. « Etre citoyen est répréhensible, tout le pouvoir réside dans les mains des surveillants », confie Yaz id Kher f i, anc ien dé tenu, aujourd’hui consultant en prévention urbaine. Certains surveillants déplorent un manque de moyens. « Il est impossible de travailler correctement avec un seul gardien pour cent prisonniers, déplore l’un d’eux, employé à Fleury-Mérogis

numéro. Lors d’une conférence en juillet 2007, Betty Brahmy, psychiatre en milieu pénitentiaire, raconte la vie en prison : la personne incarcérée devient anonyme, elle est presque systématiquement tutoyée par le personnel. Dans une lettre adressée en 2001 à la ministre de la Justice, Marylise Lebranchu, les femmes de la maison d’arrêt de Fresnes (Val-deMarne) donnent un aperçu de cette atteinte à la dignité. « Pourquoi tant de provocations, de méchanceté gratuite, de sadisme et de vexations ? Pourquoi tant d’attentes, de fouilles et de palpations dégradantes ? Pourquoi ne pas remplacer le classique “Fermez-la !”, trop souvent utilisé, par “Taisez-vous s’il vous plaît” ? » Betty Brahmy déplore également l’inhumanité en matière de santé. Près de 30 % des détenus sont atteints de troubles pathologiques, vingt fois plus que dans le 2009 Innova 31


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PHOTOS BERTRAND DESPREZ / VU

Tours. Leur quotidien, c’est la violence, les bruits incessants, la puanteur. » Entassés comme du bétail, ils sont 62 252 détenus pour 50 600 places1. Un maigre kit d’hygiène est distribué chaque mois : trois rouleaux de papier toilette, une brosse à dents, un tube de dentifrice et un flacon de gel douche. Pour améliorer l’ordinaire, ils cantinent (achètent) des produits sur une liste fournie par l’administration. Tous ne le peuvent pas car la vie est chère : les pâtes et les sauces tomates sont deux fois plus coûteuses qu’au supermarché. Or, près d’un tiers des détenus sont indigents et vivent avec moins de 45 euros par mois. Un sur quatre se réfugie dans les médicaments, « les fioles ». Certains les revendent aux suicidaires ou aux accros car tout se monnaie. Le 13 mars, un mineur de 17 ans s’étranglait avec sa ceinture à la maison d’arrêt de MoulinsYzeure (Allier). Déjà vingt-huit détenus se sont donnés la mort, en France, depuis le début de l’année, selon l’Obser-vatoire international des prisons (OIP)2. Le 2 avril, un rapport controversé sur les suici-

des en prison a été remis à la ministre de la Justice. En 2008, il y en a eu cent quinze contre quatrevingt en 2007. « On est des sous-citoyens, à peine des hommes, conclut un ancien détenu de Fleury. On nous désapprend la vie. La mission de la prison est aussi de réinsérer. Mais c’est tout le contraire qu’elle fait. » Yazid Kherfi souligne : « Depuis la mise en place d’une politique sécuritaire en 2002, l’Etat privilégie la logique carcérale plutôt que les mesures sociales. » Le nombre de détenus a en effet augmenté de 25 % depuis 2002, avec plus de 85 000 incarcérés par an. Parmi eux, de plus en plus de pauvres, d’étrangers et de jeunes. Faut-il construire plus de prisons ? C’est ce que prévoit le projet de loi pénitentiaire. Yazid Kherfi n’est pourtant pas le seul à penser qu’il faudrait miser plus sur la prévention. Afin que la prison reste l’ultime recours. Pauline André, Sarah Masson et Makiko Morel

(1) Au 1er janvier, selon le ministère de la Justice. (2) www.oip.org

Parcours d’un aristaulard reste de la population. Le manque récurrent de personnel contraint les malades à attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant d’être soignés. Neuf mètres carrés pour trois détenus, c’est la moyenne dans les maisons d’arrêt, dont le taux d’occupation avoisine les 200 %. Elles rassemblent les prévenus et les condamnés à de courtes peines. En cellule, les sanitaires ne sont séparés par aucune cloison, il n’y a pas de douche, juste un lavabo. « Ils vivent un calvaire, raconte Georges, visiteur de prison à la maison d’arrêt de 32 Innova 2009

Son nom est la seule chose qu’il ait gardé de ses origines aristocratiques. Jacques Lesage de La Haye a 70 ans, les cheveux blancs, mais toujours une veste en cuir et du bagou. Il parle crûment dès qu’il s’agit de la « taule », mais avec la maîtrise du psychologue, son métier. Chaque semaine, il redonne la parole aux détenus dans « Ras les murs » sur Radio libertaire. Cette année, l’émission fête ses 30 ans, un véritable mythe derrière les barreaux. Un lieu qu’il connaît bien pour y avoir passé onze ans. Cambriolages. Il est incarcéré avec son frère à la maison centrale de Caen. « Lorsque Jean-Paul a commencé à se prendre pour l’Antéchrist, j’ai décidé de consacrer ma vie à aider les gens qui deviennent fous. En prison, c’est trop souvent le cas. » Dès lors, montrer ce que la société refuse de voir devient son cheval de bataille. A sa sortie, il

écrit notamment La Guillotine du sexe1, qui dénonce les folies de la sexualité en prison. Il devient aussi président extérieur du premier syndicat national de prisonniers à Fleury2. Pendant dix ans, il enchaîne les actions. Il va jusqu’à accueillir chez lui, avec sa femme et son fils, d’anciens détenus et des malades mentaux. Sur les soixante-dix qu’il a reçus, seuls sept ont récidivé. « J’ai mis dix-huit ans à me sentir vraiment sorti de prison. Mais moi, j’ai eu la chance de l’instruction et de la psychanalyse. » Chercher des alternatives à ce qu’il appelle « les camps de concentration carcéraux », voilà sa conviction. Le combat d’une vie. Makiko Morel e

(1) Ed. de L’atelier, 3 éd., 1998, Paris. (2) Le syndicat est dissous après un an d’existence en 1985. Les quelque mille cinq cent détenus syndiqués ont été transférés ou mis à l’isolement.


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Dossier Hélène Castel, un an en prison au Mexique et en France

“Au nom de la sécurité, nos besoins essentiels sont niés”

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abillée simplement, foulard coloré et longues boucles d’oreilles, Hélène Castel sirote un café. Rayonnante et chaleureuse, elle reste cependant en retrait quand il s’agit de parler de son histoire. Elle a passé plus d’un an en prison, à Mexico et à Fleury-Mérogis. A 20 ans, elle appartient à cette génération post soixante-huitarde, révoltée par la société des années quatre-vingt. Elle se marginalise et le 30 mars 1980, elle participe au braquage raté de la BNP, rue Lafayette à Paris. Elle s’enfuit au Mexique où elle refait sa vie et devient psychothérapeute. Le 12 mai 2004, quatre jours avant la prescription, elle est arrêtée, puis extradée vers la France. Elle est libérée en juillet 2005. Elle vient de publier Retour d’exil d’une femme recherchée, un livre dans lequel elle raconte son expérience carcérale. Innova. Vous avez été incarcérée trois mois au Mexique – deux mois en maison d’arrêt et un mois en prison centrale – avant d’être extradée. Comment avez-vous vécu ces moments ?

Hélène Castel. Au Mexique plus qu’en France, les maisons d’arrêt sont surpeuplées. En préventive, nous étions près de deux cents détenues pour une quarantaine de places. Les locaux de la maison d’arrêt sont vétustes et la promiscuité est difficile à supporter. Dans chaque cellule, une dizaine de femmes se partagent trois couches

en béton. Chaque pièce dispose d’une douche, mais l’eau est rare et toujours froide. De 7 heures à 21 h 30, les grilles des cellules sont ouvertes. Nous préparons les repas, lavons le linge et faisons la vaisselle toutes ensemble. C’est la vie en collectivité avec ses arnaques, ses abus de pouvoir, ses moments de détente : un cocktail épicé. Les visites ont lieu trois fois par semaine dans le parloir collectif, où l’effervescence règne. Des familles pique-niquent, des amoureux échangent des baisers… Bien que les conditions matérielles soient rudes, le système mexicain apparaît plus humain qu’en France. Les détenues doivent faire des efforts pour se côtoyer, c’est une humanité sauvage, dure, mais c’est de l’humanité. La solidarité s’établit en même temps que les petits trafics. Les rapports de force sont fréquents, mais les filles s’organisent pour vivre ensemble. Innova. En quoi le système estil plus rigoureux en France ?

H. C. Ici, au nom de la sécurité, tous nos besoins essentiels sont niés. L’absence de contact avec l’extérieur, la lecture des lettres, la fouille à nu systématique… Le quotidien est inhumain. Après 16 h 30, on ne sort plus de sa cellule. Ce qui est insupportable, c’est que la détention soit un temps d’attente sans aucun sens. Il faut avoir la capacité de se construire un monde, de trouver une direction sinon on devient fou. J’ai suivi des études de psychologie par correspondance. J’ai préparé ma défense, écrit beaucoup de lettres… Le contact avec les autres

SARAH MASSON

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est systématiquement banni et même considéré comme un délit, sauf dans un espace très circonscrit [le parloir, NDLR]. Au Mexique, il serait impensable d’isoler les personnes de leurs proches. Dans la prison centrale, lors des visites, les familles peuvent passer une journée entière avec les détenues. Une fois par semaine, elles peuvent se retrouver pendant vingt-quatre heures dans des cellules aménagées à l’extérieur de la prison. La vie, tout simplement...

“Bien que les conditions matérielles soient rudes, le système mexicain apparaît plus humain qu’en France” Innova. Vous avez repris votre métier de psychothérapeute à Paris. Aujourd’hui, quels sont vos projets ?

H. C. Parallèlement à mon activité, je souhaite travailler avec des associations pour permettre aux détenus de mieux préparer leur défense. On ne se rend pas compte à quel point un procès est inégalitaire. Il faut que le détenu ait un espace pour raconter son histoire et réfléchir à son parcours. Construire un fil rouge, trouver les mots pour parler de soi. Propos recueillis par Léa Froment et Sarah Masson 2009 Innova 33


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Derrière Dossier Dans les vingt-six centres de rétention administrative sont enfermés trentecinq mille étrangers en situation irrégulière. Ils ne sont pas en prison, mais ça y ressemble drôlement. Reportage au CRA de Metz. Photos : Xavier Merckx

La France des déboutés O

n ne voit d’abord que la prison, immense. En s’approchant, un autre bâtiment, un peu à l’écart, se dessine. Flambant neuf. De hauts murs, des barbelés qui en dépassent et des miradors aux quatre coins de l’enceinte : rien ne le distingue du centre pénitentiaire. Pourtant, ceux qui y sont enfermés ne sont pas des prisonniers comme les autres. Ouvert le 12 janvier 2009, le centre de rétention administrative 34 Innova 2009

(CRA) de Metz fait partie des vingt-six qui existent en France. A l’intérieur, se trouvent des « étrangers en situation irrégulière retenus en attente de leur éloignement du territoire ». J’ai rendez-vous avec Isabelle Mire, de l’association RESF 57, dont les militants rendent régulièrement visite aux personnes retenues. Pour franchir le barrage de l’accueil, il faut être en mesure de donner des noms précis. Seules peuvent donc entrer les familles et les associations. Les

visites se font au compte-gouttes. Je commence déjà à comprendre qu’il faut être patient pour pénétrer dans un centre de rétention. Tout ce que je vois pour le moment, ce sont des murs. Comment est-ce derrière ? Nous restons un bon quart d’heure avant de le savoir. J’échange ma carte d’identité contre un badge estampillé « visiteur », je vois enfin la grille s’entrebâiller devant moi. Puis une porte. Un gendarme nous y attend. Il ne nous


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Dossier quittera plus d’une semelle. Je tente de briser la glace en demandant combien de personnes se trouvent actuellement dans le centre. Il ne semble pas bien au courant : « Une cinquantaine, je crois. » Les forces de l’ordre ne parlent pas aux personnes en rétention, si ce n’est par haut-parleurs. Nous passons le contrôle d’un détecteur de métaux. Rien ne doit entrer dans le centre. Encore vingt minutes à attendre. Une table et des tabourets de métal bleu fixés au sol, des murs nus. Entourée de deux gendarmes, une petite femme enveloppée dans un grand manteau gris pénètre dans la salle où nous nous sommes installées. Elle annonce la bonne nouvelle avec un sourire : elle doit être libérée dans quelques jours. Elle va pouvoir fêter ses 33 ans en famille. Et puis, il n’y a plus que des hommes dans le centre, elle commence à se sentir seule. Originaire de Macédoine, elle vit tout à fait légalement en Belgique avec son mari et leurs deux enfants. Pourtant, elle a été arrêtée à la frontière. Pas de passeport, donc pas le droit de sortir de Belgique. Résultat : la rétention.

L’ennui qui plane Le plus dur a été de se faire arrêter devant ses enfants de 7 et 8 ans. « Je suis une gentille personne, je n’ai jamais fait de bêtises, vous comprenez ? » Alors, être menottée comme une délinquante, c’était incompréhensible. Elle parle de son quotidien dans le centre. La nourriture n’est pas bonne, mais elle s’en satisfait. « Comme ça, je

L’exposition itinérante Ceci n’est pas une prison, organisée depuis 2006 par le Comité inter mouvements auprès des évacués (Cimade), présente, parmi d’autres, ces photos de Xavier Merckx prises dans les centres de Nice, de Toulouse et d’Hendaye.

mincis ! » plaisante-t-elle. Ses journées sont remplies de bric et de broc. L’ennui qui plane, le distributeur de boissons situé dans le quartier des hommes, la télévision, les fleurs de son mari pour la Journée de la femme, ses enfants qui pleurent à chaque visite, les magazines qu’elle lit… Les vingt minutes du temps de visite réglementaire déjà écoulées, la jeune femme nous embrasse. Dans deux jours, elle sera reconduite à la frontière, où l’attend sa famille. Mais pour le jeune homme de 23 ans qui entre ensuite, l’avenir est plus sombre. Kurde de Turquie, il est arrivé chez nous en 2002. Sa vie est en France désormais. Il va se marier à la fin du mois. Il espère être libéré d’ici là. Prêt à tout, il a entamé une grève de la faim, suivi par quatre autres jeunes hommes du centre de rétention. Cela fait maintenant une semaine. « Les

gendarmes me disent de manger. Je leur réponds que je ne veux pas manger, je veux me marier. » Il a l’air fatigué, les joues creuses, mais le regard déterminé. Le jeune Kurde est bien décidé à ne pas baisser les bras. Même s’il a l’impression d’être de moins en moins libre. « Avant, j’avais droit à cinq visites par jour. Maintenant, c’est deux, sans vraie raison », constate-t-il. Sa future femme et la sœur de celle-ci viennent chaque jour. Cette dernière est déterminée à se battre : « Je n’ai

Etre menottés comme des délinquants, c’est incompréhensible pour les retenus pas peur, je suis Française. Tout ce que je risque, moi, c’est la garde-àvue. » Mais le dernier recours qu’elle a déposé à la préfecture pour son futur beau-frère a été rejeté. Le jeune homme repart, encadré par les gendarmes, dans la partie du centre invisible au public. Sur le chemin de la sortie, je l’entraperçois, derrière le grillage de la cour centrale. De loin, il nous fait un signe de la main. Cécile Carton

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Dossier

Légitime révolte

La crise qui a ébranlé la Guadeloupe a révélé le malaise de ses habitants. Attachés à la France, ceux-ci veulent être considérés comme des citoyens à part entière.

C

e sont des Français, comme les autres. Pourtant, au début de l’année, il aura fallu cinq semaines de grèves et l’assassinat du syndicaliste Jacques Bino pour que l’Etat tente enfin de contenir l’embrasement guadeloupéen. En aurait-il été de même si ces troubles avaient éclaté en Ile-de-France ? Cette crise est celle d’un peuple à l’histoire complexe, douloureuse. Un peuple qui vit, au jour le jour, dans un climat social et professionnel tendu, où aucune place n’est laissée au dialogue entre patrons et salariés. Où une minorité, ceux qu’on appelle « békés », descendants de colons blancs, contrôle la quasi-totalité de l’agroalimentaire et des marchés commerciaux. En ne respectant pas les lois sur la concurrence, leur mono-

pole crée un clivage racial et exacerbe les tensions sociales. Les Guadeloupéens réclament respect, dignité et égalité. Bien que située à plus de 7 000 kilomètres de la Métropole, leur île est un département français et devrait être administrée comme tel. C’est le cas aussi des autres DOM. Les conflits qui les ont traversés montrent que ce n’est pas toujours le cas. Pourtant, l’attachement de ces populations à la France est certain et même historique. Dans une interview pour Libération, Michel Giraud explique : « Les peuples antillais sont arrivés à l’existence civique dans le contexte de la Révolution française. La Révolution, c’est la coïncidence entre la lutte contre l’esclavage et la Déclaration des droits de l’homme. Quand les troupes révolutionnaires sont arrivées de France, les soldats et les esclaves insurgés se saluaient d’un “Bonjour citoyen !” C’est pour cela que la Guadeloupe et la Martinique sont profondément attachées à la France et à la République. Le drame, c’est que la République n’a pas tenu ses promesses. » Et c’est bien de ce drame dont les Métropolitains n’ont pas conscience. Jonas Cuénin Le mouvement de grève guadeloupéen était mené par un collectif de syndicats et d’associations, le LKP.

PHOTOS : FRÉDÉRIC GIRCOUR

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3 questions à Michel Giraud Le sociologue, chercheur au CNRS à Paris est membre du Centre de recherche sur les pouvoirs locaux de la Caraïbe (CRPLC), implanté à la faculté de droit et d’économie de la Martinique. Pourquoi la France a-t-elle délaissé les départements d’outre-mer (DOM) ? Au-delà du désintérêt, il y a eu une certaine forme de convergence entre les politiques de l’Etat français et les stratégies de reconduction de leurs pouvoirs par les élites blanches créoles [les békés, NDLR]. Avec la départementalisation, l’apport massif d’aides publiques a permis à ce système d’alliance de fonctionner. Le problème est qu’il existe une profonde inégalité. D’un côté, il y a ceux qui sont dans les secteurs protégés et qui bénéficient des avantages économiques. De l’autre, ceux qui en sont exclus et dont les conditions de vie sont précaires. Cela explique pour beaucoup les événements qui viennent de se produire. Comment les Antillais voient-ils leur avenir : rester français ou devenir indépendant ? Question très compliquée. Les responsables du LKP ne cachent pas leurs revendications nationalistes et indépendantistes. Durant les événements, on pouvait les entendre crier : « La Guadeloupe est à nous. » Mais la population n’est pas favorable, pour l’instant, à l’idée d’une indépendance nationale. Ne pas avoir de traditions antecoloniales auxquelles s’accrocher et à partir desquelles reconstruire une société autonome rend la situation complexe. Consciente de sa propre identité, la population a, dans le même temps, une volonté très déterminée de garder les bénéfices de la citoyenneté française. Peut-on dire pour autant qu’ils sont considérés comme des sous-citoyens ? Dans le vécu des gens, c’est très vrai. Le côté dé-sinvolte des politiques français est sûrement la dernière forme du mépris colonial. Il subsiste des ratés dans l’assimilation politique qui font que, aux Antilles, tout ne se passe pas conformément à la loi commune républicaine. Et puis, il existe des discriminations importantes à l’embauche et un sentiment de dépossession des postes à responsabilité où on retrouve souvent des Métropolitains. Propos recueillis par J. C.


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Petit

Success story

observatoire

Six ans d’existence : deux salariés et demi dont Louis Maurin et Valérie Schneider.

PHOTOS : CÉLINE MOUNIÉ

devenu grand ODI

Lancé en 2003 par le journaliste Louis Maurin, l’Observatoire des inégalités a réussi son pari : diffusées sur Internet des statistiques jamais publiées.

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ous ne sommes pas une grosse machine dépendante d’un ministère. » Pour tant la dire ctr ice administrative, Valérie Schneider, reçoit chaque semaine des appels de journalistes qui, pensant s’adresser à un organisme gouvernemental, réclament le service de presse. Mais non, l’Observatoire des inégalités est une microstructure indépendante, coincée dans un local de 20 mètres carrés prêté par le Secours catholique d’Indreet-Loire, à Tours.

Statistiques essentielles Lancé en octobre 2003, avec seulement trois pages de données statistiques, le site inegalites.fr prend son envol quelques mois plus tard, suite à un article du Monde. En 2005, grâce à un contrat Cap’Asso* avec la région Centre, un premier salarié est embauché et l’administration se met en place. Depuis, l’Observatoire des inégalités a recruté deux autres employés et a été cité par Ouest-France, Marianne et la presse féminine. A l’origine du projet, le journaliste Louis Maurin et le philosophe Patrick Savidan. Les deux hommes habitent Tours et débattent régulièrement du problème des inéga-

lités sur les trottoirs du quartier Velpeau. La présence de JeanMarie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002 est un électrochoc. « Ce jour-là, la France a découvert la vérité sur la situation sociale, analyse Louis Maurin. Il existait un décalage entre la réalité et ce que montraient les médias, notamment à cause d’un manque de données et de chiffres. » L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) est ici indirectement mis en cause : le journaliste a le sentiment que « l’Insee n’est pas à la hauteur, il y a une absence de volonté politique et une faible productivité. Que ce soient les politiques, les chercheurs ou les journalistes, personne ne lui demande des statistiques pourtant essentielles, comme celles sur les revenus ». Contacté, le service de presse de l’Insee n’a, lui, « rien à dire sur l’Observatoire des inégalités ». L’internaute peut d’ailleurs confondre les deux sites s’il ne s’arrête qu’à la forme : design épuré, couleurs froides, tableaux et graphiques à profusion, même courbe symbolique dans le logo… Louis Maurin l’admet : « Nous jouons sur cette ambiguïté, le choix du mot “observatoire” n’est pas anodin. » Plutôt de gauche, les créateurs d’inegalites.fr mettent en revanche

un point d’honneur à ne pas être militants. Aujourd’hui, l’Observatoire des inégalités est devenu une source fiable et reconnue. « Nous avons réussi à faire progresser les idées reçues sur les revenus. Il y a deux ans, Nicolas Sarkozy plaçait la classe moyenne française à 5 000 euros par mois. Dans son dernier discours, elle était descendue à 1 500 euros », sourit Louis Maurin. Avec trois mille visiteurs par jour, le site fonctionne bien. Mais le rédacteur en chef ne voit pas forcément plus grand : « L’Observatoire se stabilise depuis quelques mois. L’expansion n’est pas le plus important , nous recherchons avant tout une autonomie budgé-

“Il existait un décalage entre la réalité et ce que montraient les médias, à cause d’un manque de données” taire. » L’Observatoire des inégalités est financé à 70 % par les régions Centre et Ile-de-France, la Fondation Abbé Pierre et les dons de particuliers. De l’argent obtenu avec beaucoup d’huile de coude. Et il en faudra davantage pour devenir autosuffisant, c’est-à-dire encore un peu plus indépendant. Julien Le Blévec et Nicolas Loisel

(*) Les contrats Cap’Asso soutiennent des projets mis en place par des associations. 2009 Innova 37


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Célébrités

La classe politique vote people

Les partis n’hésitent plus à faire appel aux personnalités au sein de leurs équipes. Phénomène nouveau : ils leur confient des postes à responsabilités.

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ier simples soutiens des partis politiques, les personnalités qui font la une des médias prennent aujourd’hui du galon. Au début du mois de mars, Gilbert Montagné et David Douillet ont eu le privilège de faire leur entrée à l’UMP. Le premier, chanteur des années quatre-vingt qui a soutenu Nicolas Sarkozy pendant l’élection présidentielle de 2007, a été nommé secrétaire national au handicap. Le second a pris en charge le sport. Les grands partis l’ont bien compris : avoir une célébrité dans son équipe apporte une dose de glamour. Mais pour quel résultat ? « Cela se fait dans un souci d’ouverture », répond Patrick Bloche, maire PS du XIe arrondissement de Paris et ancien directeur de campagne de Bertrand Delanoë. Emmanuel Rivière, directeur du département stratégie et opinion chez TNS-Sofres, prolonge : « Les people sont une denrée recherchée. Ils créent de la sympathie, ce

qui est compliqué pour les politiques . Cependant, l’impact est assez relatif. Il y a surtout un effet sur les militants et les journalistes, plus que sur les électeurs. »

“Une alchimie compliquée” Lors des dernières municipales, des candidatures de stars ont éclos partout en France. L’ancienne speakerine Denise Fabre a fait son entrée à la mairie de Nice, au côté de Christian Estrosi, et a obtenu la charge de l’énigmatique Rayonnement de la ville. La réalisatrice Yamina Benguigui a été choisie par Bertrand Delanoë comme adjointe aux Droits de l’homme et à la Lutte contre les discriminations. Quant à Philippe Torreton, il est conseiller délégué à la Citoyenneté dans le IX e arrondissement. « C’est une alchimie compliquée, difficile à mettre en musique. Mais le procès en décrédibilisation est injuste. Les people sont avant tout engagés dans une démarche citoyenne », souligne Patrick Bloche.

Le nouveau nid de Douillet

MARCO PIRRONE

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Ici, avec Rama Yade et Xavier Bertrand.

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David Douillet, le plus people des sportifs, a été nommé secrétaire national de l’UMP aux Sports. « C’est le président Sarkozy qui a pensé à moi. Cela prolonge ce que je faisais à la commission des athlètes du Comité national olympique », revendique l’ancien chiraquien devenu sarkocompatible. Mais s’engager est risqué. D’une image estampillée Pièces jaunes, Douillet a perdu en consensualité. « Plus il s’est politisé, plus sa popularité s’est effritée », explique Stéphane Rozès de l’institut CSA.

Adelaïde Zulfikarpasic, directrice du département opinion au sein de l’institut de sondages LH2, n’est pas aussi catégorique : « On peut distinguer trois types d’engagement. Premièrement, les people qui n’ont aucun intérêt personnel à en retirer. Ils sont guidés par leur conviction et mettent leur notoriété au service d’une cause. On a ensuite les moins “bankable”, qui veulent revenir sur le devant de la scène et se servent de la politique pour y arriver. Enfin, les sportifs, eux, sont à part. Leur carrière étant très courte, ils ont plus tendance à se recycler, souvent au service de la jeunesse et des sports, leur domaine de compétences. »

Citoyenne d’abord Firmine Richard entre dans la première catégorie. L a comédienne guadeloupéenne, révélée par le film Romuald et Juliette de Coline Serreau, est membre du parti socialiste depuis 2005. Elue à Paris, dans le XIXe arrondissement, elle est conseillère municipale chargée de la Culture et des Relations interculturelles. Quand elle entend parler de pipolisation de la fonction politique, elle se fâche : « Je ne comprends pas qu’on puisse dire que l’entrée des non-politiques décrédibilise la fonction. C’est faire injure à l’intellect des gens. Je ne vois pas pourquoi ce serait réservé à une certaine élite. On ne naît pas politique, on le devient. Avant d’être comédienne, je suis citoyenne, électrice et donc éligible. » Si aujourd’hui les people prennent de plus en plus de responsabilités, les portefeuilles majeurs leur échappent encore. Paulin Aubard et Paul Basse


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Agenda 12 mai L’Europe vue de Turquie Et eux, qu’en pensent-ils ? L’Université du temps libre du pays de Rennes s’intéresse aux points de vue turcs sur l’Union européenne. Mardi 12 mai à 14 h 30. Espace Ouest-France, 38, rue Pré-Botté, Rennes. 02 99 29 69 00. 16 mai L’engagement célébré Pour sa sixième édition, la Fête des solidarités célèbre l’engagement solidaire dans 40 villes de France, dont Le Mans et Orléans. Des manifestations sous l’égide de l’ONU et de l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev). Renseignements : www.fetedessolidarites.org.

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Pratique L.LECAT/ASSEMBLÉE NATIONALE

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Tout le monde veut gouverner, personne ne veut être citoyen. Où est donc la cité ? SAINT-JUST

Un coup de main pour monter votre projet en Europe L’association Civisme et démocratie est là pour vous accompagner : conseils pratiques, contacts, recherche de subventions… Son objectif : faire émerger une citoyenneté européenne à travers l’échange. C’est ainsi qu’elle propose ses services dans le cadre du Point national d’information sur le programme « l’Europe pour les citoyens » de la Commission européenne. Contact. Mme Alina Chisliac, 01 43 14 39 40 ou http://www.cidem.org/.

Les inégalités sous les yeux des jeunes lecteurs Et si la population mondiale tenait dans un village ? C’est la projection de David Smith dans

16 mai Nuit des Musées Une fois n’est pas coutume, l’Europe joue la carte de la culture, avec la cinquième Nuit des Musées. Le temps d’un crépuscule, ils seront plus de 2 000 à ouvrir leurs portes gratuitement. La plupart des 1 100 établissements français partenaires veilleront jusqu’à minuit. Rens. : http://nuitdesmusees.culture.fr/.

l’album Le monde est un village. L’auteur réduit les 6 milliards d’êtres humains à une communauté de 100 habitants, tout en respectant les proportions. Ainsi, 61 d’entre eux sont asiatiques, 60 souffrent de la faim et 32 respirent un air pollué. Un livre jeunesse richement illustré pour sensibiliser les enfants aux inégalités démographiques. Le monde est un village, David Smith, éditions

26 au 28 juin Onze ans que le festival Solidays mobilise contre le sida. Pour 2009, cette grand-messe de la solidarité réunit des artistes prestigieux comme Emir Kusturica & The No Smoking Orchestra, Suprême NTM, Groundation, Bénabar ou Keziah Jones. Du vendredi 26 au dimanche 28 juin. Hippodrome de Longchamp, Paris. Pass 3 jours : 35 €, pass 2 jours : 40 €, pass jour : 30 €. http://www.solidays.org/ .

LE SAVIEZ-VOUS

Urne en

orbite

Circonflexe, 2002. A partir de 7 ans. 13,50 €.

Comment saisir la cour européenne des Droits de l’homme R ALLE POUR SUR… N I LO

PLUS

…l’Europe

A lire : • Elections municipales et citoyenneté européenne, Christophe Geslot, L’Harmattan, 2003. • La Citoyenneté européenne, Catherine Wihtol de Wenden, Presses de Sciences-Po, 1997. • L'Europe sociale, Brigitte Favarel-Dapas et Odile Quintin, La documentation Française, 2007.

(pages 6 à 10)

• Nous, citoyens d’Europe ? Les frontières, l’Etat, le peuple, Etienne Balibar, La Découverte, 2001. • La Vie démocratique de l’Union européenne, sous la direction de Céline Belot et Bruno Cautres, La Documentation française, 2006.

Le 4 novembre 2008, deux astronautes ont participé à l’élection présidentielle américaine depuis la Station spatiale internationale (ISS), à 354 kilomètres d’altitude. Jusqu’à présent, six spationautes ont accompli leur devoir

LÉONE NAIGRE

16 mai et 20 juin Citoyen autour d’un café Débattre de la citoyenneté en terrasse ou au comptoir, c’est ce que propose l’association La Nouvelle Arcadie, déjà présente dans neuf villes de France. Prochain rendez-vous à Bourges : samedi 16 mai et samedi 20 juin à 15 heures. Café-théâtre de la maison de la culture. Contact. www.cafes-citoyens.fr/arcadies.

Pourquoi ? Vous êtes victime d’une violation de droit (tel qu’énoncé dans la Convention européenne des droits de l’homme) par un Etat signataire et vous avez épuisé tous les recours devant les tribunaux internes. Il vous reste cette instance supranationale, si vous êtes citoyens d’un Etat signataire de la Convention. Comment ? Vous devez adresser une lettre à la Cour européenne. Vous recevrez ensuite un formulaire de requête à remplir et à renvoyer. Si votre demande est jugée recevable et que la cour se prononce en votre faveur, vous pouvez recevoir des dommages et intérêts et l’Etat est condamné, une pression politique et diplomatique de taille. Où : Monsieur le Greffier de la Cour européenne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, F67075 Strasbourg Cedex.

de citoyen sans avoir les pieds sur terre. Le premier, David Wolf, a voté alors qu'il était à bord de Mir. 2009 Innova 39


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Pratique

Je ne suis ni athénien ni grec, mais un citoyen du monde. SOCRATE

Cafebabel,

Comment saisir le médiateur français

magazine

Pourquoi ? Vous avez tenté, en vain, de régler un litige avec un service de l'administration : pratique inéquitable, refus d’information, lenteur excessive… Le médiateur de la République peut vous aider. Autorité indépendante, il ne reçoit d’ordre ni du gouvernement ni de l’administration. Comment ? Tous les particuliers, sans critère de nationalité, peuvent le solliciter. Mais sa saisine n’est pas directe. Il faut transmettre son dossier à un député, à un sénateur, ou se rapprocher d’un de ses délégués (dans tous les départements). Où : Le médiateur de la République : 7, rue Saint-Florentin, 75008 Paris. Tél. 01 55 35 24 24 ; www.mediateurrepublique.fr

européen

« Citoyens, prenez la parole ! » lance le magazine Cafebabel à l’occasion des élections européennes de juin. Le webzine invite la société civile européenne à débattre en ligne. Les citoyens se retrouvent dans ce café virtuel en six langues pour interpeller les candidats, commenter les blogs des leaders d’opinion et des

Le Sanitas sur le Web

DR

militants politiques, etc. Ils peuvent également lire des dossiers sur les enjeux des élections ou suivre l’actualité de la campagne électorale.

A l’occasion des 50 ans du Sanitas, douze

http://www.eudebate2009.eu/fre/elec-

étudiants en journalisme de l’IUT de Tours

tions-europeennes-2009.html.

ont consacré à ce quartier tourangeau un site internet et un blog. Société, sport, histoire, monde associatif, école, religion, vie

LE SAVIEZ-VOUS

Le vote ou

l’amende

En Belgique, une convocation portant la mention

quotidienne, panorama d’une cité populaire,

« le vote est obligatoire » est envoyée quinze jours

située au cœur de la ville. Retrouvez tous les

avant le scrutin. Sans excuse valable, l’électeur qui ne

articles, les vidéos et les reportages photos sur http://journalisme.univ-tours.fr/innova.

se sera pas déplacé encourt une amende de 25 à 30

euros. Et jusqu’à 125 euros en cas de récidive. Résultat : le taux de participation atteint en moyenne 90 %. En pratique, les abstentionnistes sont rarement sanctionnés. L’obligation serait donc plus morale que légale.

LER R AL POU LOIN S PLU … SUR

…le Monde

(p. 11 à 15)

un documentaire de Djemaï Cheikh,

…les Antilles

Générique Productions, 2008.

• L’Ecole aux antilles, Michel

• Une république en exil,

Chien créole

(p. 36)

• « Forum social mondial 2009.

Giraud, Karthala.

Qui doit gouverner la planète ? »

• Eloge de la créolité, Jean

Développement

Bernabé, Patrick Chamoiseau et

magazine, CCFD, n° 238,

Raphaël Confiant. Gallimard.

l’intérieur, la crise sociale en Guadeloupe. Au menu de son

mars 2009.

• Société post-esclavagiste et

blog, version journalisme-citoyen, des témoignages, des

• Géopolitique du

management endogène, le

récits et des interviews de leaders du mouvement.

peuple kurde, Philippe

cas de la Guadeloupe, Patricia

http://chien-creole.blogspot.com/.

Boulanger, Ellipses, 2006.

Broffan-Trobo. L’Harmattan.

Pendant

cinq

semaines,

Frédéric Gircour a suivi, de

RETROUVEZ L’ACTUALITÉ LOCALE ET DES DOSSIERS THÉMATIQUES SUR LES BLOGS DES ÉTUDIANTS EN JOURNALISME DE L’IUT DE TOURS http://journalisme.univ-tours.fr/blog

http://journalisme.univ-tours.fr/innova

Pour suivre en direct le travail des rédacteurs d’Innova, rendez-vous sur le blog des étudiants en année spéciale de journalisme (http://journalisme.univtours.fr/blog) et sur celui des étudiants en licence presse écrite (http://journalisme.univtours.fr/innova). De nombreux articles vous y attendent.


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LE SAVIEZ-VOUS

Etre électeur

en E-stonie

Pionnière du vote par Internet dès 2005, l’Estonie a choisi d’aller encore plus loin : en 2011, ses ressortissants pourront voter via leur téléphone mobile. E-stonie, un surnom bien porté pour l’un des pays les

plus avancés dans l’utilisation au quotidien des nouvelles technologies. Les Estoniens suivront-ils ? Seuls 3,1 % des électeurs avaient opté pour le vote

J.FAIZANT/ASSEMBLÉE NATIONALE

Pratique

Qu'est-ce qu'un citoyen qui doit faire la preuve, à chaque instant, de sa citoyenneté ? P. BOURDIEU

Comment saisir le médiateur européen Pourquoi ? Vous avez un litige avec une institution européenne. Vous pouvez vous faire entendre si vous êtes citoyens de l’UE ou résidant d’un Etat membre. Comment ? Adresser une réclamation détaillée au médiateur par email, courrier ou fax. Vous accédez ensuite, sur le site internet, à un guide et à un formulaire de plainte. Où : Médiateur européen, 1, av du Président-Robert-Schuman, 67001 Strasbourg. Tél. 03 88 17 23 13. http://www.ombudsman.europa.eu.

L’enfermement des sans-papiers, une exposition photo à diffuser En 1984, pour la première fois, une association, la Cimade, a reçu l’autorisation d’immortaliser le quotidien des centres de rétention français. Cette expérience unique s’est concrétisée, en 2006, par

Une fois de plus,

une exposition photographique intitulée : Ceci

le

redécoupage

n’est pas une prison – L’enfermement des immi-

électoral déchaîne

grés sans-papiers. Cette exposition est disponible

les passions poli-

pour ceux (associations, collectivités locales, insti-

tiques en France.

tutions, particuliers…) qui le désirent.

Mais l'Hexagone

Contact. Cimade, 64, rue Clisson, 75013 Paris.

n'est pas le seul pays concerné. Aux

01 44 18 60 50 ou infos@cimade.org

Etats-Unis, le débat fait rage… sur Internet. Pour sensibiliser les électeurs à l'importance de la carte électorale, des citoyens ont inventé un jeu très amusant. The Redistricting Game permet de créer des circonscriptions de

http://www.redistrictinggame.org/.

LE SAVIEZ-VOUS

PAGES REALISEES PAR L’ENSEMBLE

pour 15 €, t’as le monde

XAVIER MERCKX

façon équitable ou de manière à favori-

res complètement tordues.

(p. 16)

quartier de Tours, Rolande Collas, Lorisse, 2004. • La Force des quartiers, Michel

…Histoire

(page 20)

• Initiation à la citoyenneté, de l’Antiquité à nos jours, Sophie Asquenoph, Ellipses, 2000. • Libertés publiques et Droits de l’homme, Gilles Lebreton. Dalloz-Sirey, 2008. • Nous les maîtres d'école, autobiographies d’instituteurs de la Belle Epoque, présentées par Jacques Ozouf. Folio Histoire, Gallimard, 1993.

Dessine-moi une circonscription

révèle immanquablement des frontiè-

…le Sanitas

• Le Sanitas, histoire d’un

Kokoreff, Payot, 2003.

électronique lors des élections législatives de 2007.

ser son parti. La carte qui s'affiche

LER R AL POU LOIN S U PL … SUR

La carte d’identité de citoyen du monde, valable à vie, coûte 15 euros. L’association éponyme, fondée en 1949, la délivre en différentes langues et, bien sûr, en esperanto, la langue universelle. Onze élections transnationales ont déjà élu les 45 délégués du

DE LA

Congrès des peuples, l’instance représentative des citoyens du monde. Il y aurait

REDACTION

actuellement 100 000 électeurs repartis sur 142 pays. http://www.recim.org.

…les naturalisés

(p. 21) • Gens d'ici venus d'ailleurs, Gérard Noiriel, Ed. du Chêne, 2004. L'immigration en France, de 1900 à nos jours. 300 photos noir et blanc • La France et ses étrangers, l’aventure d’une politique de l’immigration de 1938 à nos jours, Patrick Weil, Gallimard, 2005. • Dernière solution : fuir ! Etre réfugié politique aujourd’hui, Marilu Zamora, Syros, 2006.

…les prisons

(p. 30) • Dedans Dehors, revue bimestrielle de l’Observatoire international des prisons. • Le Troisième Œil dehors, paroles et créations de détenues, L’Œil Electrique, 2004. • 10 ans de photographies en prisons, Klavdij Sluban, entretiens. Avec un DVD, L’Œil électrique, 2005. ET AUSSI

http://prison.eu.org L’association Ban Public œuvre pour la communication sur les prisons et l’incarcération en Europe. http://laurentjacqua.blogs.nouvelobs.com Laurent Jacqua écrit depuis sa cellule de la centrale de Poissy. http://lejournalenvolee.free.fr L’Envolée, un biannuel qui recueille des témoignages de détenus et informe sur l’actualité des prisons. 2009 Innova 41


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Cap ou pas cap ?

Billet

A

u début, on se dit : « Mais qu’est-ce qu’elle a, elle, à m’observer comme ça ? M a i s qu ’e s t- ce qu ’el l e veut ? Et où va-t-elle ? » Et puis finalement, on se rend compte qu’on ne le sait jamais vraiment. Il faut dire qu’elle est mystérieuse et plutôt difficile à cerner, Mademoiselle la Citoyenneté. Elle a la démarche majestueuse, la demoiselle. Elle se prend souvent pour un modèle. Plutôt frimeuse, en plus. Mais c’est vrai, et qui peut s’en cacher, on lui trouve un côté séduisant. Quand on la regarde dans les yeux, on ne sait plus trop où se mettre. Elle a ce regard dévastateur qui vous fait vous sentir confus. Cette propension toute particulière à vous embrouiller le cerveau. Vous ne savez plus trop où donner de la tête ni ce que vous devez faire ou ne pas faire. Aller voter ? Ou peut-être aider cette mamie rabougrie, près de vous, qui s’accroche à son cabas,

42 Innova 2009

essayant d’attraper, en vain, les tisanes verveine tout en haut du rayon petit déjeuner. Être membre d’une association, faire des dons au Téléthon, au Sidaction, acheter le CD des Enfoirés, donner des cours en prison. Intervenir si vous êtes témoin d’une agression. Aller faire la guerre en cas d’attaque militaire. Dénoncer son voisin. Faire un massage cardiaque à une personne inconnue, au risque de lui casser une côte. Lui faire du bouche-àbouche, même si vous trouvez ça gênant. Sauter par-dessus la rambarde du pont, pour aller secourir celui qui se noie dans les remous de la Loire. Alors, cap ou pas cap ? De créer votre parti politique. D’aller manifester alors que vous êtes agoraphobe. D’aller vous inscrire sur les listes électorales. De donner de votre temps. Ou de votre argent, même si vous en avez peu, à ceux qui n’en ont pas. De faire grève pendant une semaine, même si vous avez déjà du mal à boucler les fins de mois. D’avoir cinq poubelles différentes dans votre cuisine de 5 mètres carrés pour mieux trier vos déchets et ainsi préserver l’environnement. De faire des enfants. Alors, cap ou pas cap ? De donner votre sang tous les cinquante-six jours, selon l’intervalle réglementaire. De donner votre sang, même si ça vous effraie et que votre tête va tourner. D’être

donneur de moelle osseuse, même si tout le monde vous a dit que c’est douloureux. D’apprendre les gestes qui sauvent, sans qu’on l’exige de vous. D’utiliser Google dark, sans savoir si c’est vraiment écologique. D’être donneur d’organes. De laisser passer l’homme au pull bleu, juste derrière vous, à la caisse. Il n’a dans ses bras qu’un tube de dentifrice, alors que vous poussez votre chariot familial d’une valeur de 200 euros. Et si vous étiez un pigeon, ramasseriezvous vos fientes tombées en bas du fil électrique, duquel vous observez le monde ? Mais que faut-il faire, au juste, pour correspondre à l’idéal de la jolie demoiselle ? Et qui est-elle, dans le fond ? Qu’y a-t-il dedans ? Et juste avant ? Juste après ? Elle a beau nous séduire, on ne sait pas vraiment ce qu’elle attend. La c itoyenne té, elle a b e aucoup d’amants, mais peu lui sont fidèles. Alors allez-y, essayez-vous ou retournez-y. Vous pouvez l’embrasser. Ce geste ne vous engage à rien. Aucune alliance. Elle n’est pas jalouse. Vous pouvez aller et venir, l’abandonner. Mais méfiez-vous, elle est un peu rebelle. Laissez-la vivre, ça lui va bien. Mais ne la quittez pas des yeux, elle est encore jeune. Mathilde Macé, avec les suggestions de Timothée Blit, Julien Desfrene, Margaux Girard, Romain Lecompte et Céline Mounié ILLUSTRATIONS CÉCILE CARTON ET MARION DESLANDES


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I L Y A TA N T D E C H O S E S À FA I R E AV E C U N P E U D E F I L B L E U.

Nos vies évoluent, le bus aussi.


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