Innova
TOURS
MAGAZINE ANNéE SPéCIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - IUT DE TOURS
Hors série Sésame - mai 2010 - n°17 - 2 euros
Mixité
La nouvelle querelle
Monde
une belle histoire au sénégal
Portfolio
générations d’instit’
People
ISSN 0291-4506
souvenirs d’enfance
Dossier
Le blog s’invite en classe Le dur emploi du temps des écoliers les huit sujets qui fâchent
L’école, c’est trop la classe ! 2010 Innova
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REUSSIR VOTRE ANNEE
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éDITO
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François Dubet
Page 6 « L’école est un match inégalitaire »
Questions de genre Page 10 Les maîtresses en force
Les parents en classe
Page 12
Handicap et scolarité Page 14 L’école du goût Page 16 L’exemple d’une cantine bio
Une belle aventure page 17 Au Sénégal, l’école de la réussite
Portfolio Page 21
Dossier
Lire compter apprendre
Internet Page 26 à la rescousse de la lecture
Controverses Page 29
Lire à 4 ans, cap ou pas cap Page 31
Photos : magali lagrange - victor tribot laspière
Lee, devant son écran holographique, laisse échapper un bâillement. Le trajet en aéronef de la maison à l’école a été ennuyeux. Et ce n’est pas le cours d’histoire récité machinalement par le robot-professeur qui va le sortir de sa torpeur. Au programme de la leçon d’aujourd’hui : la vie au début du XXIe siècle. « Quel intérêt d’étudier le quotidien de ces arriérés ? » se lamente Kara, sa voisine de table. Au fond de la classe, près du radiateur thermonucléaire, Rick amuse la galerie avec ses blagues. Ses camarades commencent à s’agiter dans tous les sens. « Taisez-vous et reprenez vos claviers, lance agacé le professeur. Contrôle surprise de calcul binaire ! » Vision du futur ou pure (science) fiction, qui peut dire à quoi ressemblera l’école dans l’avenir ? Longtemps coincée dans une bulle temporelle, elle semble imperméable aux années qui passent. Mais le cours de l’histoire s’accélère, pas sûr que l’institution scolaire telle que nous la connaissons persiste. Pour le meilleur ou pour le pire, l’école change, inexorablement. Un constat que vous ressentirez peut-être à la lecture de ces pages.
Quoi de neuf à la récré ?
Rythmes scolaires Page 35 Un emploi du temps de ministre Mon école à moi Page 38 Les souvenirs de Mona Ozouf, Philippe Caubère, Yasmina Khadra, Yves Chauvin L’école pratique Page 41
LA RéDACTION
INNOVA Tours n°17 Hors série Sésame, mai 2010, Année spéciale et Licence de journalisme, école publique de journalisme de Tours (IUT), 29, rue du Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n° 0291-4506 Directrice de la publication Claudine Ducol. Rédacteur en chef Frédéric Potet Coordination Laure Colmant, David Darrault, Hélène Lafarie. Rédaction Charlotte Bahuon, Kévin Bertrand, Matthieu Chaumet, Margaux Chevalier, Véronique De Sa, Thomas Dusseau, Nicolas François, Clémentine Hillairet, Leïla Kaddour-Boudadi, Magali Lagrange, Jeanne La Prairie, Julien Pépinot, Margot Perrier, Marion Poupart, Léna Randoulet, Victor Tribot Laspière, Caroline Venaille. Secrétariat de rédaction Charlotte Bahuon, Kévin Bertrand, Matthieu Chaumet, Véronique De Sa, Clémentine Hillairet, Leïla Kaddour-Boudadi, Magali Lagrange, Julien Pépinot, Margot Perrier, Léna
andoulet. Maquette Margaux Chevalier, Nicolas François, Jeanne La R Prairie, Marion Poupart, Caroline Venaille. Création graphique Marion Poupart. Photos Thomas Dusseau, Victor Tribot Laspière. Photo couverture Thomas Dusseau. Illustration Aurélie Gerbault. Publicité Kévin Bertrand, Julien Pépinot. Imprimeur Alinea 36, Châteauroux. Remerciements Les équipes pédagogiques des écoles Anzouer-en- Touraine, Lucie-Aubrac, Lupantia, Paul-Bert, Pierre-Semard, Velpeau, JulesVerne. Et à Maryline Baumard, Dominique Demay, Blandine Devouge, Maïté Dudé, Pierre Grossmann, émilie Perche, Christophe Percher, Sandrine Pérou, élisabeth Sacco, Ramatou Sow.
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Quoi de neuf à la récré Tour d’horizon des activités en vogue dans les cours d’école
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réalisé par Matthieu Chaumet, Nicolas François, Clémentine hillairet et Victor Tribot Laspière 4 Innova dossier 2010
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Face au maître, le langage soutenu, courant, est oblig voire a toire. M dans la c ais une our, les e fois nfants se langage relâchen le plus p t. Le risé : le Dans ce parler ba mélange nlieue. d’argot, d mots ara e verlan bes, on tr et de ouve pêle (merci), b -mêle : c elek (atte imer ntion), ze Ce voca rmi (misè bulaire re )… n’est plu milieux d s réserv éfavorisé é a ux s mais e dans les st aussi classes m u ti li s é oyennes Ne pas et bourge le parler oises. marginali constamm se. Interd ent reno ite et uvelée, la n’en est q grossière ue plus a té ttrayante .
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Entretien
« L’école favorise les favorisés » L’école est une compétition. à l’issue de cette course, gagnants et perdants n’occupent pas les mêmes places dans la société. Pour François Dubet, le match est truqué.
Sociologue, François Dubet, 63 ans, enseigne à l’université Victor-Segalen de Bordeaux. Il est également directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ses recherches s’articulent notamment autour de l’éducation et de la jeunesse. C’est à travers ces thèmes qu’il s’interroge sur les inégalités à l’école. Dans son dernier ouvrage, Les Places et les chances1, paru en 2010, il dénonce une école arbitraire. Un travail qui s’inscrit dans la continuité de L’école des chances2.
L’école française repose sur différents principes de justice, dont celui de l’égalité des chances. Quelle définition donnez-vous de ce concept républicain ? François Dubet. C’est l’un des prin-
cipes fondateurs de la République. Il suppose que chaque individu puisse atteindre toutes les positions sociales, indépendamment de son origine. Mais les places les plus hautes sont aussi les plus rares. Alors, pour les atteindre, il faut les mériter. L’école aurait la capacité d’effacer les inégalités liées à l’ori-
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gine sociale. Ce principe supposerait que, dans une société où il y a 30 % d’ouvriers et 50 % de femmes, on retrouve ces proportions dans les grandes écoles, au Parlement ou dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Ce n’est pas le cas. L’égalité des chances reste une fiction. Non seulement les individus ne sont pas égaux au départ mais, en plus, les conditions de la compétition ne sont pas équitables. Imaginez une équipe professionnelle de football et une équipe d’amateurs sur un terrain, avec un arbitrage en faveur des premiers. L’école, c’est un peu ce match inégalitaire. Pouvons-nous observer, dès le primaire, des inégalités entre les enfants ? F. D. On observe très tôt des écarts.
Le sexe et la catégorie sociale de l’enfant influent sur son avenir scolaire. Pour réussir, il vaut mieux être fille de cadre que fils d’ouvrier. Mais les différences au sein de la même famille sont oubliées. Les conditions d’éducation des enfants ne sont pas identiques et leurs capacités non plus. La nature des exercices scolaires creuse un fossé entre les élèves. Au fil du parcours, on sème les moins bons. Le taux de redoublement en France est bien supérieur à ceux de nos voisins : un jeune sur deux âgé de 18 ans a redoublé au moins une fois. Il faudrait abandonner toute sélection scolaire avant 16 ans car dès qu’on privilégie certains, les inégalités progressent. L’école ne crée pas les injustices mais elle les
a ccentue. Elle favorise les plus favorisés. Pour réduire ces écarts, Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale, a instauré un soutien scolaire en 2007. F. D. Une demi-heure par jour de
rattrapage pour des élèves désignés comme faibles, c’est de la rigolade. Ces cours ont lieu à la pause de midi pour que les enseignants partent à 16 h 30. C’est invraisemblable ! Les gamins sont déjà épuisés après trois heures de classe. Les bons peuvent se détendre alors que les moins bons remettent le couvert. Le rendement est quasiment nul dans ces conditions. Les enseignants ne prennent pas en compte les particularismes. Il faudrait individualiser l’enseignement, comme le font certains pays. Mais c’est un autre métier, plus compliqué et plus lourd. De toute façon, la réforme Darcos est mauvaise. La semaine de quatre jours est un cadeau fait aux enseignants. Le rythme est trop soutenu. Les enfants ne font plus que des dictées et du calcul. à la fac, avec cent quarante jours de travail par an, j’aurais terminé mon année à Pâques.
Le mérite prend une place importante. Il est, selon vous, indissociable de l’égalité des chances. Pourtant, vous le remettez en cause. F. D. Le problème, c’est que nous
ignorons ce qu’est le mérite. Le meilleur élève de la classe a-t-il vraiment du mérite ? Peut-être qu’il est né au bon endroit, ou qu’il est doué. Si vous dites que la compéti-
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elle forme ni quel modèle social elle transmet. Face au principe d’égalité des chances, la principale préoccupation reste le niveau des élèves. à part une minorité d’enseignants scrupuleux, personne ne se demande si ces enfants deviendront des citoyens intelligents, vertueux et créatifs. Le rôle de l’école s’est affaibli. C’est la conception française de l’enseignement qui en est responsable. Les professeurs ne sont pas concernés par tout ce qui se passe en dehors de leurs heures de cours. D’ailleurs, l’école est fermée lorsqu’il n’y a pas de cours.
tion méritocratique est juste, il n’y a aucune raison pour que ceux qui ont gagné soient privés du bénéfice de leur victoire. Les vaincus, eux, subissent les conséquences de leur échec. L’élève s’en voit attribuer la responsabilité. Parce qu’il a participé à la même course que ses camarades, il ne peut pas rejeter la faute sur le maître. Le mérite est en contradiction avec l’idée d’égalité sociale. Et les perdants sont de plus en plus nombreux : un enfant sur trois entre au collège sans maîtriser la lecture et l’écriture. Avec un discours aussi sévère sur l’école, on se demande finalement quel rôle elle joue. F. D. Le souci, c’est que l’école ne se
L’école ne remplit donc plus toutes ses fonctions. Pourquoi la situation n’évolue-t-elle pas ? F. D. Le système scolaire français
demande pas quel type d’individu
s’enfonce et a perdu la capacité à se regarder en face. Les enseignants affichent une souffrance permanente. Citez-moi une réforme, dans les trente dernières années, qui ait été acceptée par le corps enseignant sans provoquer de nombreuses grèves. Ce monde est figé car l’école républicaine est sacralisée, idéalisée. Dès que nous rencontrons une difficulté, nous réaffirmons qu’il ne faut pas toucher à l’école, au risque d’empirer
Les inégalités en chiffres
113 700 élèves sont entrés en s ixième avec au moins un an de retard à la rentrée 2008-2009. Ils représentent 15,3 % de l’ensemble des écoliers. 18 % des garçons ont redoublé en élémentaire, le chiffre n’est que de 15 % chez les filles, selon une enquête menée en 2007 par le ministère de l’éducation nationale. Les statistiques indiquent par ailleurs que les enfants d’ouvriers redoublent davantage (21 % de filles et 26 % de garçons) que ceux dont les parents sont cadres (4 % de filles et 5 % de garçons).
les problèmes. Paradoxalement, les pays qui s’en sortent mieux sont ceux qui perçoivent moins l’école comme une institution intouchable. Je suis persuadé qu’en France, il y a plus de religieux dans les écoles que dans les églises. Comment notre société perçoitelle l’institution aujourd’hui ? F. D. L’école souffre d’une mau-
vaise image. Il existe d’abord une violence antiscolaire : certains élè ves ne se reconnaissent pas dans l’école et sont donc violents envers elle. Si nous leur répétons qu’ils ne sont pas bons, il y a peu de chance que cela cesse. Les taux de décrochage scolaire et d’absentéisme sont par ailleurs extrêmement élevés. Lors d’une enquête, j’ai rencontré un collégien qui m’a expliqué qu’il pouvait rater les cours pendant des mois sans qu’il ne se passe rien. Si l’école publique déçoit, des systèmes alternatifs vont se développer. Prenez les étudiants, par exemple. Aujourd’hui,
« Le système scolaire français s’enfonce »
11,2 % C’est le pourcentage
0,4 Sur une échelle représentant les niveaux de lecture, et dont les valeurs sont situées entre –1,4 et 0,6, les enfants de cadres se trouvent à 0,4. Ceux dont les parents sont inactifs se situent sur la valeur –1.
photos : Thomas Dusseau
d’élèves de CM2 qui, en 2009, ne maîtrisaient pas encore les compétences de base en français. Ils sont 8,7 % à n’avoir pas acquis celles des mathématiques.
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les défavorisés préfèrent intégrer de petites écoles privées plutôt que de faire cinq années d’études à l’université. Pour en revenir à l’école, je suis choqué par le comportement de nombreux enseignants. Ils disent : « Je n’ai pas pu mettre mes enfants dans le public chic, donc je les ai mis dans le privé. » Tout le monde se comporte de cette manière. Sauf les pauvres, qui n’ont pas le choix.
En route pour la mixité sociale Pour lutter contre les inégalités, il faut scolariser les enfants défavorisés en centre-ville. C’est ce qu’on pense à Courcouronnes, dans l’Essonne.
les catégories sociales qui échouent à l’école s’autorisent à en parler un jour. Quand vous observez les gagnants et les perdants, vous n’avez pas de clivage politique. Il y a, chez les uns et les autres, autant de classes supérieures et d’électorat populaire de gauche ou de droite. Mais tous ceux qui ont échoué à l’école se sentent humiliés. Le débat ne donne la parole qu’aux vainqueurs et ne présente que les récits glorieux. Un individu humilié par l’école ou considéré comme un cancre a peu de chances d’écrire un livre un jour. A contrario, le fils de paysan qui, grâce à elle, intègre une grande école, puis devient ministre, écrira dans son livre combien elle est magnifique. Pour
« Il faut s’intéresser aux élèves »
mieux résoudre ces problèmes, il faut d’abord s’intéresser aux élèves. Pensons l’institution du point de vue des écoliers, et pas seulement de celui des enseignants. Notre société est trop indifférente à la parole des jeunes. RECUEILLI PAR THOMAS DUSSEAU ET MARGOT PERRIER
(1) Les Places et les chances, coll. La République des idées, Seuil, 2010, 128 p., 11,50 €. (2) L’école des chances : qu’est-ce qu’une école juste, Coll. la République des idées, Seuil, 2004, 95 p., 10,50 €.
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uand le gouvernement souhaite favoriser la mixité sociale à l’école, c’est aux états-Unis qu’il cherche des idées. Ainsi, en 2008, le plan banlieue préconisait l’instauration du « busing », le transport par bus d’élèves issus d’un quartier difficile pour les scolariser dans une zone mieux lotie. Cinquante villes devaient participer au projet. Finalement, neuf seulement ont répondu à l’appel, dont Courcouronnes. Les élèves de CM2 de l’école Jacques-Tati – située dans le quartier du Canal, majoritairement composé de logements sociaux – ont été scolarisés avec ceux de l’établissement Paul-Bert, en centre-ville. Ils ont été répartis en deux classes. Les coûts de transport et de restauration scolaire des nouveaux venus ont été pris en charge par la mairie. En 2009, le projet fait l’objet d’un documentaire, L’école d’en face, une expérience de busing. Laurent Savariaud et Sandrine Frentz, journalistes à Télessonne,
injam production
Peut-on rester optimiste quant à l’avenir de cette école ? F. D. Oui, à condition que toutes
L’expérience a fait l’objet d’un documentaire, diffusé sur Public Sénat et sur Téléssonne.
ont suivi l’évolution de l’une de ces classes. La mixité semble avoir fonctionné, les enfants se sont découverts des points communs. Les élèves du quartier du Canal, considérés comme perturbateurs dans leur ancienne école, ont progressé sur le plan du comportement et des performances scolaires. Pourtant, le bilan reste mitigé. « Il y a eu des rapprochements entre des élèves de quartiers différents, mais la plupart sont restés avec leurs amis d’avant » souligne Sandrine Frentz. Aux états-Unis, le projet avait d’ailleurs été progressivement abandonné, faute de résultat concluant. à Courcouronnes, pourtant, l’expérience se poursuit avec des classes de CM1. Le but est de permettre aux élèves de mieux se connaître et de créer des liens le plus tôt possible pour installer la mixité sociale sur le long terme. Kévin Bertrand
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Focus Comment aider son enfant à réussir quand on se perd dans les rouages du système scolaire ? Des parents immigrés retournent sur les bancs de l’école pour mieux le comprendre. Reportage à Nantes.
parents d’AILLEUrs
L
’Hexagone, qu’est-ce que c’est ? », demande l’enseignante à ses élèves devant un tableau blanc. Aucune réaction. Une situation familière pour Dominique Demay, directrice et enseignante à l’école Jean-Moulin de Nantes. Mais qui prend une autre dimension à cet instant : face à elle, trois femmes algériennes entre 20 et 40 ans. Le silence persiste. Dominique Demay, feutre à la main, dessine le schéma d’une France à six côtés. La France, Fatima, Naouel et Saliha l’ont découverte il y a plus de cinq ans. Toutes ont étudié notre langue dans leur pays d’origine, mais les mots ont encore du mal à sortir. Alors, depuis le mois d’octobre, chaque lundi et vendredi, après avoir confié leurs enfants à la garderie ou à leur mari, elles investissent les salles de classe. Le programme s’appelle « Ouvrir l’école aux parents pour favoriser
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l’intégration ». Expérimenté en 2008 dans dix académies par le ministère de l’éducation nationale et le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, le projet pilote s’est généralisé cette année dans trente et un départements. Les parents immigrés sont donc invités à l’école pour apprendre « le fonctionnement de l’institution scolaire, la parentalité en France, la société française et des valeurs de la République. » L’objectif : proposer des outils nécessaires à l’intégration de l’enfant et de sa famille.
« Ma fille me demande souvent si j’ai eu des notes » « Je commence ? propose timidement Fatima. Un habitant sur cinq réside en île-de-France… » Assises côte à côte, Naouel et Saliha, coiffées d’un voile, suivent patiemment la lecture. Chacune reprend au paragraphe suivant, le doigt sur la ligne, la pronon-
ciation mal assurée. « Artère, métropole, sillonner… » Une fois le texte déchiffré, l’enseignante revient sur chaque mot compliqué. Les mères posent de nombreuses questions, prenant manifestement plaisir à la découverte. Ce qui ne les empêche pas de bavarder dès que la directrice a le dos tourné. à croire que, comme leurs enfants, elles ont adopté cette école. Et après quelques mois de travail, les premiers progrès se font sentir. « Ma fille me demande souvent si j’ai eu des “ notes ” et comment s’est passée ma “ leçon” , raconte Fatima. Elle trouve que je progresse et je sens qu’elle est fière de moi. » Des progrès qui ne sont toutefois pas synonymes d’abandon de leur culture. « Les mamans tiennent à continuer à parler dans leur langue avec leurs enfants, c’est important pour elles », confie Dominique Demay. Située en zone d’éducation prioritaire, flambant neuve avec ses murs orangés, l’école Jean-Moulin accueille plus de 350 élèves. « L’établissement est un lieu familier, près de la maison, où la parole est libre », rapporte Dominique Demay qui s’est portée volontaire dès le départ pour tenter l’expérience. En tout, une dizaine de mamans, la plupart d’origine maghrébine, ont répondu présent. « Il est important qu’elles établissent un lien étroit avec l’école, explique la directrice. C’est
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Focus
Photos : Clementine hillairet - Jeanne La Prairie
dans ce climat de confiance que leurs enfants s’abandonneront à l’apprentissage. » Pour cela, la priorité est de s’approprier les codes du pays. Ce qui n’est pas évident pour ces mères, souvent femmes au foyer. Pour elles, l’école est une des seules fenêtres sur la société. Elles ont donc sauté sur l’occasion lorsqu’on les y a invitées. Surtout qu’ici, il s’agit de travailler sur du concret. Pas comme dans les cours d’alphabétisation surchargés proposés par les foyers d’accueil et les associations où, selon Saliha, « le niveau est plus bas et l’enseignement moins intéressant ». Ici, elles apprennent, par exemple, à se servir d’un annuaire pour comprendre les différentes catégories de médecins spécialistes et le système de santé en France. « On a également travaillé sur une carte de Nantes, sur les lignes de bus, les
tramways. » Même approche au-
« L’école est une des seules fenêtres sur la société »
jourd’hui avec un cours sur « Comment se déplacer en France ? » La directrice en profite pour leur faire raconter leur voyage annuel vers l’Algérie : « On prend le bateau à Marseille ou à Alicante en Espagne. » Les leçons sont avant tout des conversations au cours desquelles l’enseignante comme les élèves échangent sur leur culture. « La prochaine fois, j’aimerais écrire pour exprimer ce que je ressens », propose Saliha. Grâce à cette formation, les mères sont moins timides et abordent plus facilement les pro-
fesseurs pour parler de leurs enfants. « Mes collègues me racontent qu’elles commencent à entrer dans la conversation, se félicite Dominique Demay. Avant, elles n’osaient pas du tout. » Cet intérêt se retrouve ici où, entre elles, les discussions sur la vie de l’école sont animées. Les langues se délient et Saliha, sourire en coin, ose une question faussement naïve : « Il y a un remplaçant qui dit des gros mots, est-ce qu’il a le droit ? » à la fin du cours, satisfaites, certaines rangent soigneusement les polycopiés dans un classeur. D’autres, plus négligemment, plient leurs feuilles en quatre pour les glisser dans leur sac à main. Retour à la réalité et aux obligations familiales. Pas toujours évident de cumuler rôle de mère au foyer et retour sur les bancs de l’école.
Clémentine Hillairet et Jeanne La prairie
Naouel, Saliha et Fatima consolident les bases d’un français encore trop fragile sur les bancs de l’école de leurs enfants.
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Société
l’école aux mains des maîtresses, tabou français
AFP/ Patrick valasseris
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La mixité, vecteur d’inégalités ? Certains la remettent en cause pour favoriser l’égalité des chances, d’autres la défendent bec et ongles pour les mêmes raisons. Le point sur un débat animé.
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evant le tableau noir, forcément une femme. Dans notre imaginaire collectif, nous percevons davantage l’institutrice que l’instituteur. Et pour cause. La France recense 81,3 % de femmes dans les écoles maternelles et élémentaires publiques. Le chiffre grimpe jusqu’à 90,9 % dans le privé. Quelles sont les conséquences sur les enfants ? Chez nous, le sujet est tabou. Pas au Québec. éditorialiste à La Presse, deuxième quotidien québécois, Mario Roy établit un lien direct entre « l’écrasante majorité de femmes dans l’école et le taux anormalement élevé de décrochage scolaire chez les garçons ». Dans l’Hexagone, le genre des enseignants n’est pas retenu pour expliquer la différence de niveau entre les sexes. L’instituteur transmet le savoir et les valeurs républicaines. La fonction l’emporterait sur l’individu. Pour Marie Duru-
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es filles seraient-elles plus douées que les garçons ? Largement répandue dans l’opinion, cette assertion est confortée par les chiffres du ministère de l’éducation nationale, révélés dans l’étude Filles, garçons sur le chemin de l’égalité publiée en mars 2010. Les différences s’accentuent avec l’âge et le niveau d’étude. Ainsi, dès l’école élémentaire, on observe une disparité entre les sexes. à la sortie du CM2, 15 % des garçons ne maîtrisent pas les bases en français contre 9 % des filles. à la sortie du collège, l’écart se creuse (24 % et 14 %). Les filles ont un meilleur taux de réussite dans tous
Bellat, sociologue, aborder la différence serait malvenu. La France se voilerait la face derrière le concept d’une république égalitariste. Pourtant, dès 1988, la question était au cœur d’un colloque, « Le féminisme et ses enjeux à l’horizon 2000 » organisé par la Fédération de l’éducation nationale. Si, dans certains métiers, la représentation minoritaire des
La féminisation pèserait sur les enfants femmes pose problème, celle des hommes dans les écoles est moins critiquée. Les femmes y sont majoritaires depuis la dernière guerre mondiale. Selon Marlaine Cacouault-Bitaud, sociologue et professeur de sciences de l’édu cation, avant la mixité des années
les baccalauréats et une avance de trois points en moyenne sur leurs camarades masculins. Marie Duru-Bellat, sociologue spécialiste des inégalités sociales et sexuelles dans l’enseignement, considère tout de même que la mixité accentue les différences entre les deux sexes. Le phénomène qui débute en primaire a des répercussions sur l’ensemble du parcours scolaire. Les enseignants participent à la construction du genre de l’enfant en lui transmettant des codes et des normes. Les enfants apprennent à se comporter en écolier ou en écolière. à chacun son rôle : aux filles, les matières
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Société Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le corps enseignant, en primaire, s’est largement féminisé. Une situation qui pèserait sur les enfants, notamment sur les garçons. Mais peu d’études se penchent sur la question.
littéraires; aux garçons, les matières scientifiques ou techniques. Cette répartition des compétences diviserait la classe. Les enfants se construiraient en opposition à l’autre sexe. Et la mixité freinerait l’entrée des filles dans les filières scientifiques. Mais trois élèves sur quatre qui présentent le baccalauréat littéraire sont des filles. De là à abroger la mixité… Michel Fize, sociologue et auteur de l’ouvrage Les Pièges de la mixité, se prononce pour un retour à la non-mixité, mais seulement dans certaines situations : « Dans la plupart des cas, ces difficultés apparaissent après la puberté.
de Tours, considère que la féminisation a d’abord des conséquences sur l’équipe pédagogique : « J’ai déjà travaillé uniquement avec des femmes. L’ambiance était infernale. Avec seulement des hommes, ce serait pareil. Il faut un équilibre entre les deux. » Dans son établissement, quatre hommes et deux femmes exercent. Résultat : une bonne entente qui rejaillit sur le bien-être des enfants. Pour Pascal de Zarauz, hommes et femmes n’enseignent pas de la même manière. « Cette situation influence l’orientation des enfants. Les garçons n’imaginent pas enseigner alors que l’effet d’identification fonctionne pour les filles. » Pour la sociologue Marie DuruBellat, la féminisation pèse sur les enfants. Certains enseignants masculins agiraient inconsciemment en faveur du développement des capacités scientifiques des garçons, qu’ils croient meilleurs dans ces
« Libérer les enfants des stéréotypes » La mixité dans l’élémentaire n’est donc pas foncièrement remise en cause. » Marie Duru-Bellat considère qu’il est possible de retourner à la non-mixité dans certaines circonstances : « Sans que ce soit une régression, il faudrait permettre aux enfants de se libérer des stéréotypes attachés à leur genre. » Le parlement a adopté la loi pour l’égalité des chances le 15 mai 2008. Elle laisse la possibilité d’or-
matières. De leur côté, les institutrices seraient plus vigilantes avec les garçons, considérés comme plus turbulents. Les professeurs projettent donc sur les élèves des stéréotypes sexuels. Pourtant, selon la sociologue, les talents naturels en fonction du sexe ne sont pas fondés. Mais peu d’études sur cette question ont été menées. Seule une poignée de chercheurs se penchent sur la féminisation. Ils se retrouveront du 22 au 24 juin 2010, lors d’un colloque international, « Genre, égalité et mixité », organisé par l’IUFM de Lyon. Le premier du genre en France. Matthieu Chaumet et Margot Perrier
D. R.
soixante-dix, certains villages ne pouvaient pas financer deux écoles. La mixité était donc de fait. Mais elle fut aussi instaurée sous la poussée des revendications des mouvements laïques, féministes et de parents d’élèves. En matière de pédagogie, ce n’était pas si simple : on formait les institutrices à enseigner la couture, les hommes instituteurs le bricolage. De plus, on attribuait aux premières les petites et moyennes sections, aux seconds les grandes. Il a fallu attendre les années soixante-dix pour que le partage des tâches s’accroisse. Et aujourd’hui, le concours de recrutement serait plus favorable aux femmes. Pour Marlaine Cacouault-Bitaud, il valoriserait peu les matières scientifiques, dites de prédilection pour les hommes. Pourtant, aucun observateur ne crie au scandale. Pascal de Zarauz, directeur de l’école élémentaire Jules-Verne
ganiser des cours non-mixtes. Cette réforme, pilotée par Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale, a provoqué une levée de boucliers. Selon les syndicats et les associations de parents d’élèves, séparer filles et garçons favoriserait le sexisme. Mais Michel Fize s’inscrit en faux : « Ce qui compte, c’est l’égalité des chances. Là où la mixité n’assure pas la parité, la non-mixité pourrait y parvenir. » M. C. et M. P.
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Différence
handicap : quelle place ? La trisomie de Célia et l’autisme de Ludovic ne les empêchent pas de suivre les cours dans l’école du quartier. Un droit garanti par la loi pour l’égalité des chances. Mais au quotidien, leur scolarisation ressemble à un parcours du combattant.
Célia,
P
6 ans
enchée sur sa feuille, Célia s’active à la construction d’une phrase avec des mots écrits sur des bouts de papier. La fillette souffre de trisomie 21. « Malgré ses difficultés de langage, Célia a un bon niveau pour une enfant handicapée de 6 ans. Elle est très autonome », indique Laurence Pochet, sa maîtresse. Depuis ses 3 ans, Célia fréquente l’école Lupantia, de Louans (Indre-et-Loire) et s’y est très bien intégrée. Elle mange à la cantine tous les midis et boude lorsque son père vient la chercher le soir à la garderie. Une intégration mise en péril en février dernier : le contrat de l’auxiliaire de vie scolaire ou AVS (voir p. 15) qui s’occupait d’elle depuis trois ans est arrivé à échéance.
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ucun remplaçant n’a été trouvé. A L’académie a demandé à Sandrine Pérou, la mère de Célia, d’en chercher un elle-même. « Personne ne veut travailler en milieu rural », déplore-t-elle. Maria Trezeux, employée de vie scolaire (EVS), a pris le relais. « J’étais paniquée à l’idée de faire ce remplacement au pied levé. En plus, Célia a eu du mal à s’adapter au départ de son AVS. Elle l’a cherchée pendant plusieurs semaines. » D’un auxiliaire, Célia en a besoin. Maria n’est pas disponible à plein temps. L’après-midi, elle doit en effet retourner travailler au secrétariat. Pour la maîtresse, il est alors impossible d’encadrer correctement sa classe : « C’est une élève qui est obligée d’accompagner Célia aux toilettes. Je ne peux ni la laisser y aller seule ni abandonner les autres. » Il est 11 h 30. L’heure n’est plus au travail mais à la danse. Les enfants préparent le spectacle de fin d’année sur le thème du Brésil. Les pas sont parfois difficiles à retenir : Célia se perd dans les mouvements et son attention décline. En charge de la chorégraphie, Marjorie Moysan, l’institutrice des CE2-CM1, la prend alors par la main pour la faire danser. Au final, la fillette s’amuse, comme les autres enfants. La fin de l’année s’annonce favorablement puisqu’un AVS va s’occuper de Célia douze heures par semaine pendant le troisième trimestre. Mais après le CP, tout
risque de se compliquer. à la rentrée 2010, l’école ajoutera un troisième niveau à une classe qui en comporte déjà deux. Avec un CE1-CE2-CM1, l’enseignante ne sera plus en mesure de répondre aux besoins de Célia, même avec l’aide d’un AVS. Celle-ci devra donc être scolarisée dans une classe d’intégration scolaire (CLIS) dans une autre primaire. Alors que pour Anne-Marie Darrault, la directrice de l’établissement, « Célia fait partie intégrante de cette école, même si elle est différente des autres élèves. »
Ludovic,
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13 ans
eul, assis au fond de la classe, Ludovic n’est pas un mauvais élève. Âgé de 13 ans, il est atteint d’un autisme léger. Il partage sa table avec Katia, son AVS. Grâce à ce soutien, Ludovic suit quatre demi-journées par semaine les cours de la classe à double niveau (CE2-CM1) de l’école d’Auzouer-en-Touraine. « J’aide Ludovic. Je lui réexplique
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Kevin Bertrand et Margaux Chevalier
photos : Margaux Chevalier
les consignes et je le calme quand il fait des crises », explique Katia. Pour l’instant, il délaisse les problèmes mathématiques que ses camarades tentent de résoudre. Il préfère étaler avec minutie le contenu de sa trousse sur le sol. Élisabeth, sa mère, explique que c’est devenu plus difficile ces derniers temps : « Son corps change beaucoup. » En effet, Ludovic est plus grand et plus fort que les autres élèves de CE2-CM1. à 13 ans, il est devenu trop âgé pour continuer à suivre des cours en primaire. Mais il n’a ni le niveau ni la maturité pour entrer au collège. Lorsque le médecin a diagnostiqué Ludovic comme « autiste léger » à l’âge de 4 ans, sa mère n’a pas baissé les bras. Bien avant la loi de 2005, elle bataillait déjà pour que son fils soit scolarisé comme les autres. D’ailleurs, ce n’est pas le niveau scolaire qui lui importe le plus. Pour elle, l’intégration scolaire est, avant tout, un outil de socialisation. Et de ce côté-là, le pari est plutôt réussi. « à l’école, il connaît tout le monde et ses camarades l’apprécient beaucoup, raconte Michèle Berthet, sa maîtresse. La petite Léa va le chercher chaque matin au portail de l’école pour le mener jusqu’à la classe. » Tout ce travail accompli en primaire devra être recommencé au collège. En prévision, Ludovic a suivi deux après-midi par semaine les cours de l’unité pédagogique d’intégration (UPI) du collège local. L’expérience a été peu concluante et s’est arrêtée avant son terme. « Le collège était trop grand pour lui, il était ingérable, raconte son AVS. En classe, il n’arrivait pas à suivre. Il faisait des crises, et il a fallu appeler sa mère. » Exclu du primaire, pas encore prêt pour le collège, la prochainerentrée est semée d’incertitudes pour Ludovic.
Auxiliaires de vie scolaire,
précaires confirmés Indispensables auprès des enfants handicapés, les AVS ne sont pas reconnus à leur juste valeur.
V
ous les avez peut-être vus à la sortie de l’école. Ils portent les cartables, poussent les fauteuils roulants. Mais le rôle des auxiliaires de vie scolaire ne s’arrête pas là. En classe, ils prennent des notes, réexpliquent les consignes, etc. En bref, ce sont eux qui permettent aux enfants handicapés de suivre les cours et de s’intégrer. Piliers de la loi de 2005, cela ne les empêche pourtant pas d’être les champions de la précarité. Retour en arrière. Depuis les années quatre-vingt-dix, la formation et l’emploi des AVS revenaient aux associations de soutien aux handicapés. En 2003, l’état décidait de reprendre cet emploi à sa charge. émilie, 26 ans, a vu la différence : « En 2002, je travaillais à temps plein et j’avais un CDI. L’année suivante, l’éducation nationale m’a demandé de rompre ce contrat pour un CDD avec moins d’heures à la clé. » D’après la loi, les AVS ne peuvent occuper leur fonction plus de six ans. Ils sont uniquement embauchés en CDD d’une durée d’un à trois ans renouvelable. La raison est simple : travailler pour l’éducation nationale au-delà de cette durée obligerait l’état à créer un nouveau statut de fonctionnaire. Pour se faire recruter, il
suffit d’avoir un baccalauréat et une courte formation théorique sur les handicaps. Insuffisant aux yeux des associations qui militent pour la professionnalisation de l’activité.
Second emploi obligatoire François, 27 ans, a troqué son emploi de téléopérateur pour celui d’AVS en octobre 2009. Depuis, il s’occupe d’Océane, malvoyante, et de Paolo, hyperactif. Pour vingt-six heures travaillées par semaine, il touche 820 euros par mois. Grâce au RSA, il n’a pas besoin d’un autre travail. Sur les vingt mille auxiliaires de vie scolaire, rares sont ceux qui ont la chance de François. La majorité peine à obtenir plus d’un temps partiel et n’a d’autre choix que de prendre un deuxième emploi. Pas de quoi les inciter à persévérer. Depuis 2009, la loi accorde à certains, arrivés au terme de leurs CDD successifs, le droit d’être réembauchés en CDI par des associations. Ils peuvent ainsi assurer le suivi des enfants dont ils avaient la charge lorsqu’ils étaient employés par l’Éducation nationale. Seule une soixantaine d’entre eux ont bénéficié de cette mesure. Pour les autres, c’est souvent retour à la case chômage.
K. B. et M. C.
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Initiative
Les légumes de la cantine, les enfants de Reugny en raffolent. Depuis leur plus jeune âge, ils ont été éduqués au goût des produits frais et bio.
Thomas Dusseau
Le goût, ça s’apprend
Avec l’aide de Nadia, Geneviève Bloch (à droite), prépare environ 140 repas par jour.
A
u menu de la cantine aujourd’hui : taboulé, œufs durs et épinards sauce béchamel. Tom et Chloé, élèves de CE1, ont composé la carte des repas avec leur institutrice, Alicia Franco. Depuis un mois, ils étudient l’équilibre nutritionnel et les origines des aliments. Pour initier les écoliers aux saveurs, la maîtresse leur a fait découvrir les galettes de riz, la purée d’amande et les yaourts au soja. À Reugny, l’expérience gustative se poursuit toute l’année dans les assiettes de la cantine. C’est Geneviève Bloch qui la dirige. Depuis la crise de la vache folle en 1996, elle a choisi, sous l’égide de la mairie, de privilégier les producteurs locaux et la culture biologique. Mais la municipalité a été obligée de faire des concessions. « Nous avons dû nous priver d’une Atsem (dame de service en maternelle, NDLR) pour privilégier le restaurant scolaire », assume Bernard Bardin, le maire de la commune « franchement à gauche » mais pas encarté.
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Trois employés sont nécessaires chaque midi pour préparer et servir les cent quarante repas. Plus que dans les cantines fournies par des industriels. Ici, les salariés font les courses eux-mêmes. Ils sélectionnent les produits et les cuisinent. Chaque légume du potage est lavé, épluché, coupé, mijoté. Un processus long et coûteux mais qui profite aux acteurs économiques locaux. Des fermes alentours aux fournisseurs de produits biologiques, en passant par la boulangerie du village, tous sont mis à contribution. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), les repas scolaires bio en-
« J’espère que les enfants garderont cette envie de bien manger » gendrent un surcoût de 10 à 15 % du prix des repas pour les municipalités. Pourtant, à Reugny, comme dans la plupart des écoles du département le déjeuner ne coûte que 3 euros. À cela, trois explications. Premièrement tout n’est pas bio. La production issue de l’agriculture biologique en Indre-etLoire n’est pas suffisante. En région Centre, quelque 20 000 hectares lui sont consacrés sur les 2,4 millions d’hectares de surface agricole.
« Mais certains producteurs locaux, qui n’ont pas le label, offrent tout de même des produits de qualité », précise le maire, Bernard Bardin. Deuxièmement, le gaspillage, fortement réduit grâce à un contrôle strict des quantités. À la cantine, pas d’assiette remplie à ras bord. Mais pas question non plus d’avoir faim après le repas. Si les enfants veulent se resservir, ils le peuvent. Et, au final, les restes représentent à peine un seau de nourriture chaque jour.
Des gâteaux faits maison Troisièmement, l’implication du personnel est totale. Geneviève Bloch, la gérante du réfectoire, travaille de 6 h 30 à 17 h 30. Une fois par mois, elle confectionne des gâteaux maison pour les enfants. Fière de son travail, elle croit en l’aspect éducatif des repas : « J’espère que nous laisserons des traces, explique-t-elle. Et qu’en grandissant, les enfants garderont cette envie de bien manger. » Le bio pourrait se généraliser. Le Grenelle de l’environnement exige que d’ici 2020, 20 % de nourriture bio soit intégrés dans les repas scolaires. Pour le moment, la plupart des municipalités préfèrent s’en remettre aux entreprises de restauration collective alors que le Code des marchés leur permet d’imposer une part de bio à leurs fournisseurs. Aujourd’hui, à peine 1 % des cantines françaises en servent dans leurs assiettes. Charlotte Bahuon et Nicolas Francois
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Les enfants ont proposé le port de la blouse. Elle est fournie gratuitement par l’école.
Une école de la réussite au Sénégal Dans la ville de Dagana , au nord du pays, une école a été financée par l’association nantaise Morgane. Elle fait la fierté des habitants, des enseignants et des enfants grâce à d’excellents résultats.
Photos : Pierre Grossmann
A
perte de vue, du sable et des baobabs. Dans les eaux paisibles du fleuve Sénégal, qui marque la frontière nord avec la Mauritanie, les enfants se baignent ou rafraîchissent leurs bêtes. à l’entrée de la ville de Dagana, au bord de la route, une imposante bâtisse de couleur ocre domine la vallée. Sur la façade, un panneau annonce le centre de formation des maîtres Morgane-Grossmann. Derrière ce bâtiment, situé dans le quartier Diamaguène, trois autres constructions sont alignées en parallèle. C’est le groupe scolaire
Célestin- Freinet. Entre ces murs, plus de trois cents enfants sont scolarisés. Réunis en un même lieu, le centre Morgane et l’école Freinet sont nés de l’union entre une association nantaise et un groupe d’enseignants sénégalais. En France, un couple cherche à réaliser le rêve de Morgane, sa fille trop tôt disparue ; au Sénégal, un homme dynamique souhaite relever le niveau de l’éducation dans son pays en appliquant une méthode d’enseignement particulière. Le projet se concrétise en 2005. Le directeur de l’école, Papa Meïssa Hanne, également prési2010 Innova
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« On apprend aux enfants à être plus autonomes » dent de l’Association sénégalaise de l’école moderne (Asem), ne cache pas sa fierté : « Nos élèves ont eu 100 % de réussite à l’obtention de leur certificat de fin d’études élémentaires en 2009. » Même succès pour les examens d’entrée au collège. Le ministre de l’Enseignement, Kalidou Diallo, a même écrit une lettre de félicitations adressée à M. Hanne. « C’est bien, mais nous voudrions plutôt des aides financières de la part du ministère », répond Papa Meïssa Hanne. À Dagana, une ville de 35 000 habitants, l’établissement scolaire est atypique. D’abord à cause de son architecture. Ici, les après-midi sont chauds : jusqu’à 45 °C, ce qui peut empêcher les élèves de se concentrer. Des doubles murs ont donc été construits pour éviter que la chaleur ne pénètre dans les salles de classe. Une école hors-norme aussi pour l’enseignement qu’on y dispense, basé sur la méthode Freinet. Cette pédagogie moderne française prône l’autonomie et la
En souvenir de Morgane
Morgane Grossmann voulait devenir enseignante et rêvait d’Afrique. Le 30 décembre 2001, elle disparaît dans une avalanche à tout juste 20 ans. Ses parents, Pierre et Blandine, ne peuvent
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responsabilisation des élèves. « L’adulte ne joue plus un rôle d’autorité absolue, explique Jean Le Gal, spécialiste de l’École moderne, qui défend la pédagogie Freinet en France. Les écoliers participent activement en cours. On leur apprend à être plus autonomes et à s’organiser. » Ils règlent euxmêmes leurs différends. Leur lieu de réunion privilégié : la case à palabres. C’est le premier bâtiment sorti de terre. Un symbole.
Un système éducatif basé sur l’entraide Chaque enfant est responsable de quelque chose : d’un arbre, d’une commission, du ménage, de la corvée d’eau… Cette méthode rencontre un certain succès au Sénégal où l’organisation de la vie en communauté est une évidence. « Quand on apporte un système fondé sur la coopération et l’entraide, ce n’est pas un dépaysement pour nous », pointe Papa Meïssa. Dans les années quatre-vingt, il n’était qu’un jeune instituteur à Diawar, au sud de Dagana. C’est là qu’il a expérimenté, sans le savoir, la méthode Freinet : correspondance scolaire, conseils d’enfants et écriture de textes libres. à cette époque, il rencontre le fils de Jean se résigner à une disparition aussi brutale. Aux obsèques de leur fille, ils collectent 10 000 euros auprès de leurs nombreux amis. Un projet d’école en Afrique ? Pourquoi pas. Pendant un an, ils réfléchissent et multiplient les rencontres. Jean Le Gal, spécialiste nantais de l’École moderne en France, les met en contact avec des instituteurs pratiquant la méthode Freinet au Sénégal. Les échanges se multiplient entre le couple et les enseignants. En janvier 2003, l’Association Morgane voit le jour avec peu de moyens. Le couple fait fonctionner son réseau et récolte plus de
L’école a la chance de disposer de l’eau courante et de sanitaires. Une modernité qui n’efface pas la corvée d’eau. Les élèves fabriquent le journal de l’école, préparent les fêtes et se partagent les tâches lors des conseils de classe. La pédagogie Freinet s’appuie sur le quotidien des enfants. Les instituteurs proposent ici un atelier pratique de teinture. Le transport scolaire est assuré par certains parents. Petits et grands s’entassent alors dans le pick-up dans un joyeux chahut. Un terrain de sport complète l’ensemble scolaire. Les enfants y disputent des matchs de foot acharnés.
23 000 euros de dons. « Nous avions suffisamment d’argent pour construire un bâtiment. Alors, on s’est dit qu’on pouvait y aller », confie Blandine. Deux mois plus tard, le couple s’envole pour le Sénégal. à Dakar, il rencontre un membre de l’Association sénégalaise de l’école moderne (Asem), qui lui expose un projet de centre de formation des instituteurs. « Pour nous, Européens, la priorité en Afrique, ce sont les écoles. Pourquoi un centre de formation ? On ne comprenait pas », raconte Blandine. Après de nombreuses réunions infructueuses, la rencontre a lieu. Papa Meïssa Hanne leur prouve la nécessité
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Le Gal qui découvre avec enthousiasme des méthodes similaires à celles que prône son père en France. Très vite, il met les deux hommes en contact et inscrit définitivement l’instituteur sénégalais dans le mouvement de l’école moderne. La méthode Freinet fait alors tache d’huile au Sénégal. Papa Meïssa rapproche les enseignants intéressés par cette pédagogie. En 1987, ils créent ensemble l’Asem.
de ce centre. La construction d’un premier bâtiment commence très vite. Après l’inauguration du centre en 2005, la coopération avec l’Asem se poursuit grâce aux donateurs privés qui restent majoritaires. Deux entreprises, ainsi que la région des Pays de la Loire, contribuent également au financement. L’association compte aujourd’hui environ sept cents membres, dont beaucoup hors du cercle des amis du couple. Le budget pour l’année 2009 s’élevait à près de 45 000 euros.
C. B. et v. de s.
Un centre de formation doublé d’une école En 2003, la rencontre avec Pierre Grossmann et sa femme Blandine Devouge, présidents de l’association nantaise Morgane, permet à l’Asem d’obtenir les moyens financiers pour concrétiser son projet : construire un centre de formation pour les instituteurs. Au Sénégal, une telle structure n’existe pas. Les professeurs sont recrutés après le brevet ou, plus rarement, le bac. à l’issue d’une formation d’à peine six mois, ils se retrouvent lâchés dans des écoles de brousse. Seuls la plupart du temps, ils doivent gérer des classes pouvant atteindre les cent vingt élèves à qui ils transmettent leurs fautes de langage et de grammaire. À ce jour, environ cent cinquante enseignants ont bénéficié 2010 Innova
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« Un enfant à l’école Freinet est un honneur »
L’école est située au cœur du quartier. Les enfants ont moins de kilomètres à marcher et peuvent donc concilier travaux domestiques et études. Les mères de famille préparent les repas scolaires à tour de rôle. Une activité qui leur assure un petit revenu. Les anciens élèves reviennent souvent rendre visite à leurs professeurs pour leur montrer leurs bulletins de notes de collège.
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de la formation au centre Morgane. Grâce à elle, les professeurs peuvent appliquer leurs nouvelles connaissances aux huit écoles élémentaires associées. « Dès la création du centre, on s’est dit qu’il serait bien de construire une école », raconte Pierre Grossmann. Pour soutenir leur démarche, la mairie de Dagana leur a cédé un terrain. Une condition : y construire aussi une école maternelle, l’unique groupe scolaire de la ville étant trop petit pour accueillir tous les enfants. En octobre prochain, la classe de maternelle recevra ses premiers élèves. Un programme alimentaire doit également être mis en place. Les enfants arrivent très souvent à l’école sans avoir mangé. L’association envisage donc de collaborer avec une ONG américaine, USAID-Counterpart. Celle-ci fournit déjà des collations ultra-protéinées dans l’académie de SaintLouis, la grande ville la plus proche.
Un établissement adapté au quotidien africain Deux autres classes de maternelle pourraient voir le jour en 2011 « si les financements suivent », précise Pierre. En tout cas, les deman des affluent déjà. « Certains parents se préoccupent de la date d’ouverture des inscriptions alors que la première pierre est tout juste posée », s’amuse Iba Gaye, instituteur à l’école Freinet. Dans ce quartier composé majoritairement de Peuls et de Maures récemment arrivés, les enfants sont mis à contribution très tôt et l’école passe souvent à la trappe. Aujourd’hui, la donne change. Un enfant qui accède à l’école Freinet est un honneur pour
sa famille. Certains portent des vêtements déchirés ou abîmés. Pour masquer ces inégalités, les enfants ont spontanément proposé de porter des blouses ce qui a vite été accepté par les enseignants. Le centre a été doté d’une bibliothèque et d’un cyber-espace qui sont ouverts aux élèves. Un des projets de l’association pour l’année à venir est d’étoffer les étagères de la bibliothèque en y introduisant de la littérature africaine. L’association Morgane n’est pas arrivée avec des idées préconçues. Juste l’envie de bien faire. « Au début, les architectes que nous avions sollicités souhaitaient un parking et une cantine. Mais en Afrique, posséder un vélo est déjà un luxe et les repas se prennent dehors », raconte Pierre.
« Morgane serait fière de nous » Objets de curiosité, les locaux reçoivent les visites de touristes, d’étudiants français et d’experts pédagogiques envoyés par le ministère de l’Enseignement du Sénégal. Le lieu est devenu un centre de vie. « Les cours terminés, les élèves jardinent ou nettoient l’école. C’est un lieu d’échanges et une communauté », rapporte Blandine. « On sait bien que tout n’est pas parfait mais on pense que Morgane serait fière. C’est elle qui nous porte », conclut Blandine. Symbole de ce partenariat inédit, les Sénégalais ont choisi de modifier le nom du centre. Au prénom de Morgane, ils ont ajouté son nom de famille. « Vous avez bien une bibliothèque François-Mitterrand, pourquoi n’aurions pas, nous, le centre Morgane-Grossmann », avait rétorqué Papa Meïssa aux parents de Morgane. Prochaine étape : apporter de nouveaux financements aux formations de maître et achever la construction du groupe scolaire.
Charlotte Bahuon et veronique de sa
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Portfolio Derrière chaque jeune enseignant, il y a souvent le souvenir d’un maître apprécié. à chaque rentrée, les équipes se renouvellent. Jeunes et anciens souhaitent partager leur passion. Caroline, Nicolas et Sandra font partie des 7 500 professeurs qui ont débuté en septembre dernier. Ils vont prendre la relève de Dominique, Patrick et Claude qui partiront à la retraite à la fin de l’année. Si tous exercent la même profession, chacun de leur parcours reste singulier.
Générations D’INSTIT’
« Voir un gamin
heureux de venir à l’école »
Nicolas Rouet, 33 ans. D’ingénieur en électronique à instituteur, il y a un grand pas. Un pas que Nicolas Rouet, enseignant à l’école primaire de Monnaie, a franchi cette année. « Mon métier ne m’avait jamais passionné. Après un licenciement économique, j’ai réfléchi à ce que je voulais vraiment faire. » C’est en enseignant qu’il se sent utile. Un travail moins bien payé que son ancien job. Mais pour lui, l’essentiel est ailleurs : « Ma satisfaction, c’est de voir un gamin heureux de venir à l’école. » N. F. 2010 Innova
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Portfolio Patrick Bourbon, 58 ans. Enseignant depuis 1973, Patrick Bourbon, en poste à l’école PierreSémard à Saint-Pierre-des-Corps, quittera l’éducation nationale cette année « amer », dit-il. Sanctionné par sa hiérarchie après avoir refusé de faire passer les évaluations de CM2, il a perdu l’envie d’enseigner et a décidé de prendre sa retraite. « J’ai toujours fait mon boulot avec plaisir mais, ces dernières temps, l’enseignement s’est trop dégradé. » Patrick Bourbon rêvait d’une école qui place l’enfant au centre des préoccupations. C’est, selon lui, l’inverse qui se produit. « Aujourd’hui, on fait la semaine de quatre jours, on supprime des postes… » En près de quarante ans de carrière, il a vu le statut d’enseignant changer. « Avec la montée du chômage à la fin des années soixante-dix, la pression sur l’école s’est accentuée. Dans le même temps, la confiance envers les professeurs s’est effritée et nous avons perdu une part de notre autorité. » N. F.
« Ces dernières années, l’enseignement s’est dégradé » Sandra Boyer, 25 ans. Bien qu’étant remplaçante à l’école Pierre-Sémard pour sa première année d’enseignement, Sandra Boyer est d’ores et déjà consciente de la réalité du terrain. « Il y a une baisse d’intérêt de la part des élèves pour l’école. » La jeune femme regrette le temps où elle était elle-même élève dans l’établissement où elle enseigne aujourd’hui. « à l’époque, les enfants étaient enthousiastes à l’idée d’aller en cours. Les jeunes ne comprennent plus autant l’importance de l’école. » Sandra Boyer constate pourtant une attente de plus en plus importante de la part des élèves. « Certains auraient besoin d’avoir l’enseignant pour eux seul, ce qui n’est pas possible. » Frustrée de ne pouvoir s’investir plus personnellement auprès d’eux, elle souhaite intégrer des réseaux où le suivi serait plus individuel pour pouvoir « se consacrer totalement à l’élève. » M. P.
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« L’essentiel, c’est de penser
en priorité aux enfants »
Dominique Brunet, 55 ans.
« les jeunes ne comprennent plus autant l’importance de l’école »
Pour cette femme énergique, concilier son poste de directrice d’école à Marcilly-sur-Vienne et son mandat de maire de Pussigny est devenu trop exigeant. « Diriger une école demande un travail administratif énorme. J’arrive le matin à 7 h 30 et je repars vers 19 heures. On ne fait plus le même métier que lorsque j’ai commencé. » à 55 ans, Dominique Brunet a donc décidé de prendre sa retraite à la fin de l’année scolaire. Enseignante depuis 1976, elle a fait ce choix pour pouvoir se consacrer entièrement à sa commune, où elle a été élue en 2008. à la personne qui la remplacera, elle recommande « de ne pas oublier l’essentiel : penser d’abord aux enfants ». Malgré son départ, Dominique Brunet promet déjà de revenir, « pour passer le relais et donner un coup de main aux collègues. » T. D.
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« Je souhaite laisser un bon souvenir aux élèves » Caroline Martin, 24 ans.
Depuis le CP, Caroline Martin souhaite devenir institutrice. Aujourd’hui, elle enseigne chaque vendredi dans la classe de CE2 de l’école Velpeau. Le reste du temps, elle termine sa deuxième année d’IUFM. « Mon institutrice de CM2 m’a beaucoup marquée. Elle m’a transmis sa passion artistique. » Persuadée que
le rôle d’un professeur des écoles va au-delà des mathématiques et du français, Caroline aime se sentir utile. « Je souhaite à mon tour laisser un bon souvenir à mes élèves. » La jeune institutrice a déjà hâte d’avoir sa propre classe, même si elle ne se fait pas d’illusions. « Dans un premier temps, je devrai sans doute me contenter de remplacements. » M. L. et C. V.
« Le métier change très vite » Claude Charbonnier, 60 ans.
Après quarante-deux années d’enseignement, le directeur de l’école Velpeau avait annoncé qu’il prendrait sa retraite à la fin de l’année tout en regrettant déjà « le côté social de la profession ». Claude Charbonnier est resté en contact avec bon nombre d’anciens élèves. à ses successeurs, il recommande de « varier les plaisirs au cours de leur carrière ». Il a lui-même enseigné en milieu rural, en ville et s’est engagé dans des associations. « Le métier change vite, notamment à cause de la multiplication des réformes. » Un métier qui continue pourtant de l’enthousiasmer puisqu’il a finalement décidé de rester une année supplémentaire. M. L. et C. V.
Textes et Photos : Thomas Dusseau, Magali Lagrange, Nicolas François, Marion Poupart, Caroline Venaille.
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Magali Lagrange - caroline venaille
Ouvrir un blog pour donner le goût de la lecture aux enfants, leur faire travailler l’écriture et l’orthographe. à l’école Saint-Louis, dans le 18e arrondissement de Paris, l’équipe pédagogique a décidé de faire passer l’enseignement à l’heure d’Internet. L’expérience, exemple d’adaptation de l’école à son époque, séduit déjà bien d’autres établissements. L’école et ses apprentissages animent perpétuellement le débat public. Le niveau scolaire est-il vraiment en baisse ? Les langues étrangères sont-elles réellement mal enseignées ? Les évaluations de CM2 n’arrivent-elles pas trop tôt dans l’année ? Est-il utile d’apprendre à lire très jeune ? Questions et sujets de préoccupation ne manquent pas.
Pouvoirs publics, enseignants, parents d’élèves… Chacun veut s’exprimer. Au gré des réformes, le contenu et l’organisation des cours ont été modifiés. Ce pourrait bien être le cas, aussi, de la semaine de quatre jours, aujourd’hui sur la sellette. Des spécialistes, tel que le psychologue François Testu, pointent notamment du doigt des journées trop chargées et une coupure du mercredi qui casse le rythme des enfants. Passionnel, le débat sur l’école est plus que jamais d’actualité. Baisse des moyens et suppressions de postes sont dans l’air du temps. Déterminante pour l’avenir des enfants, leur intégration sociale et leur vie d’adulte, l’élémentaire est aujourd’hui au centre de toutes les attentions.
Lire compter apprendre
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Frederic bisson
Internet, dernier rempart contre les fautes de français ? Un pari lancé par une institutrice de l’école Saint-Louis, à Paris. L’expérience est séduisante et encouragée par l’éducation nationale. Elle reste néanmoins difficile à mettre en place pour les enseignants.
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je Tu ils bloguent à l’école
ur les murs : de petites histoires écrites en bleu, un poème de Blaise Cendrars en orange et, dessinées maladroitement, des îles paradisiaques… On pourrait se croire dans une salle de classe si on n’était pas sur Internet. Près de cinquante mille internautes ont déjà visité le blog des élèves de CM1-CM2 d’Ostiane Mathon, institutrice. Avec ses dix-huit mois d’existence, le Culturo-blog* de l’école SaintLouis, à Paris, remporte un franc succès. « Mes élèves sont très fiers de publier des articles, se félicite Ostiane. Ils ont pris conscience que leur production était pour le grand public et pas seulement pour la maîtresse. »
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L’enseignante a décidé d’ouvrir ce blog pour leur redonner le goût de la lecture. Le principe : publier le résumé des livres sélectionnés dans le mois. Une recette qui a tout de suite plu aux enfants. Il faut créer du contenu et commenter celui des autres. Cette initiative leur permet également de travailler
«Mes élèves sont très fiers de publier des articles. »
l’orthographe. Car, comme souvent dans les dictées, les publications sont truffées de fautes. Pour les leur montrer, Ostiane corrige les erreurs en lettres capitales, « de façon à ne pas déranger la conversation en cours ». Ainsi, quand Manel, 10 ans, écrit sur le blog : « Medame et messieu nous somme en salle d informatique! », Ostiane reprend : « MesdameS (pluriel+ majuscule) et MessieurS (pluriel+ majuscule), nous sommeS (Oh, Manel !) en salle d’informatique ! » Les articles qui contiennent des erreurs deviennent donc des supports pour des exercices de grammaire. « Tout ce que vous apprenez en classe n’est pas fait pour rester dans un cahier, rappelle-t-elle à ses
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Des moyens insuffisants Le ministère de l’éducation nationale exige des professeurs des écoles de se servir davantage des technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (Tice). Mais, pour Ostiane, des barrières persistent : « J’ai un créneau de quarante-cinq minutes toutes les deux semaines et en demi-groupe… » Le rapport Fourgous, publié en février 2010 par l’éducation nationale, a mis en lumière une absence de moyens techniques dans les écoles. Selon Jean-Michel Fourgous, député UMP qui a dirigé cette étude sur le numérique dans l’enseignement, « les nouvelles technologies offrent l’opportunité historique à l’école d’être en phase avec la société ». En lançant un projet d’équipement des établissements ruraux et de formation des professeurs, il espère rattraper le retard français. En attendant les investissements, chaque enseignant doit s’engager individuellement. « Pourtant, les professeurs ne sont pas les plus audacieux, alors que c’est leur devoir, regrette Ostiane. Les élèves
OSTHIANE MATHON
élèves. On doit aussi s’en servir pour s’exprimer. » Cette expérience ne tient pas du simple divertissement. Elle allie différents pôles clefs de l’apprentissage en primaire, dont l’éducation à Internet. En sortant du CM2, chaque élève est censé savoir envoyer un e-mail, respecter les droits d’auteur et, surtout, reconnaître les bonnes sources d’information. Des compétences attestées par le brevet informatique et internet (B2i), mis en place en 2002 par l’éducation nationale. « C’est un vaste programme pour les enfants. Il est d’autant plus difficile à appliquer que nous n’avons que deux vieux ordinateurs par classe », s’amuse Claude Charb onnier, directeur de l’école Velpeau à Tours. Les élèves de CM1-CM2 d’Osthiane Mathon découvrent notamment le principe du droit d’auteur et le respect de règles de sécurité sur Internet.
Quand Microsoft s’invite en classe
En 2007, l’école Châteaudun d’Amiens s’ouvre aux nouvelles technologies. Comme douze autres établissements étrangers, elle intègre le programme mondial écoles innovantes, chapeauté par Microsoft. Le projet, d’une durée de deux ans, a pour but d’initier et de former les élèves et leurs enseignants à ces nouvelles technologies. Il ouvre alors une réflexion autour de la place des outils informatiques dans les méthodes éducatives. Financés par la ville d’Amiens, l’agglomération et le rectorat, des ordinateurs portables et un tableau numérique sont mis à disposition des adultes et des enfants. Le géant de l’informatique, pour sa part, ne débourse rien, si ce n’est pour les quelques déplacements des directeurs d’école. Ces derniers se sont retrouvés fréquemment pour échanger leurs impressions sur le projet. Même si l’école Châteaudun ne participe plus au programme depuis 2009, elle a gardé le matériel acquis à l’époque. Le
directeur de l’école, Bruno Nibas, tire un bilan positif de l’expérience : « Il y a eu un réel engouement, notamment de la part de nos enseignants. Désormais, ils me sollicitent pour acheter plus de matériel. Mais c’est ce que recherchait Microsoft, qui développe ainsi son marché. » Pour les élèves, le bilan est plus mitigé : « Ils ne travaillent pas forcément mieux, mais différemment. » L’école a récemment mené une action solidaire pour Haïti. De leur propre chef, les élèves ont réalisé des affiches par traitement de texte, un message grâce à Audacity (logiciel de montage audio) et une présentation vidéo avec Windows Movie Maker. Ce travail était visible sur la toile. Avec le programme mis en place par Microsoft, les enfants ont surtout découvert de nouvelles manières d’apprendre. Pour Bruno Nibas : « La multiplicité des supports leur permet de trouver la méthode la plus appropriée pour apprendre. »
MARION POUPART
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de cette génération sont des “digital natives”. Ils sont nés avec Internet. L’école ne peut donc pas mettre à l’écart ces nouveaux outils. » Les enfants apprivoisent l’instrument, mais sont loin de maîtriser entièrement ses subtilités. « Google n’est pas un grand supermarché où l’on prend ce que l’on veut », explique Ostiane à ses élèves au sujet des droits d’auteur. Elle est persuadée que c’est en devenant créateur de contenu que les enfants comprennent l’enjeu : ils ne souhaitent pas qu’on leur « pique » leur texte, à l’aide d’un « copier-coller ». Une formation d’autant plus nécessaire que, selon l’association Familles de France, 30 % des élèves de CM2 tiennent un blog personnel. Julien Billaudeau, illustrateur tourangeau, partage l’engouement p o u r l e n u m é r i q u e . L’a n n é e
des photos. » Il tient lui-même un site personnel sur le football depuis trois ans : « J’ai fais croire que j’avais 18 ans », avoue-t-il. Des sottises qui, comme toute chose à cet âge, méritent d’être contrôlée. « La plupart des adultes ne se préoccupent pas de ce que font leurs enfants sur Internet. Ils les laissent sans surveillance », déplore Christine Epailly, la maîtresse de Slimen. Pour présenter le blog aux parents, elle a récemment organisé une soirée débat sur le thème « Internet et les enfants ». Une invitation à laquelle personne, ou presque, n’a répondu. JEANNE LA PRAIRIE ET
VICTOR TRIBOT LASPIERE
(*) http://lewebpedagogique.com/bbbpostiane
Des podcasts éducatifs Apprendre à lire grâce aux podcasts, l’idée peut paraître étonnante. La méthode a pourtant été adoptée par Annie Girard, enseignante en CP-CE1 à l’école d’Orthevielle (Landes) et instigatrice du projet Lecture Nomade. Son but : permettre aux enfants issus de la communauté des gens du voyage de progresser en français. Lors de séances de lecture en classe, elle a en efet remarqué qu’ils butaient sur certains mots « Ils ont des difficultés
spécifiques liées à leur culture, beaucoup plus tournée vers l’oral que l’écrit », explique-t-elle. Chaque semaine, elle leur demande de préparer l’exercice de lecture en emmenant chez eux un baladeur numérique vidéo. Ils s’entraînent donc à lire en s’enregistrant et peuvent donc recommencer autant de fois que nécessaire. « Le lendemain, lorsqu’ils arrivent avec leur production, ces élèves se sentent écoutés par les autres et valorisés », indique la directrice. Les familles, « fières qu’on leur prête du matériel qu’elles ne peuvent pas toujours s’offrir », se sentent davantage impliquées dans la scolarité de leurs enfants. Les baladeurs étant dotés d’écrans couleur, elles peuvent également suivre les cours de CE1 préalabrement enregistrés et diffusés sur le site internet* de l’établissement. Avec ce projet , Annie Girard affiche clairement son ambition : « Ne laisser personne au bord du chemin. »
THOMAS DUSSEAU
(*) http://ecole.orthevielle.free.fr
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photos : D. R. – photomontage : Jeanne La prairie
« Google n’est pas un grand supermaché gratuit »
ernière, il a lancé un projet alliant d arts plastiques et nouvelles technologies. Avec Christine Epailly, enseignante à l’école Raspail de Tours, ils ont alors fait travailler les élèves sur le thème de la violence. Chaque enfant a publié les photos de son œuvre accompagnée d’une légende. On pouvait y lire : « On a dessiné une valise et on a enfermé la violence de toute la planète dedans. Puis on a tracé un coup de pied pour l’envoyer très loin. » Cet atelier a permis aux enfants de comprendre les dangers et les atouts des blogs. Slimen, 9 ans, a participé à l’expérience : « On a appris qu’il ne fallait pas parler avec des inconnus et qu’il fallait des autorisations pour publier
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controverses Le niveau scolaire baisse
Vrai ux et fa
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édagogues, parents, élus, enseignants…, ils sont nombreux à estimer que le niveau scolaire recule et à tirer le signal d’alarme, pointant notamment de moindres résultats dans les matières importantes. Ils s’appuient entre autres sur une enquête de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), réalisée en 2007. Cette étude,
qui se focalise sur les savoirs fondamentaux (la lecture, le calcul et l’orthographe), compare les performances d’élèves de CM2 de 1987 et d’aujourd’hui. En lecture, 66 % des élèves de 2007 obtiennent un score inférieur à celui de l’élève moyen de 1987. En mathématiques, ce taux atteint 80 %. Pour Denis Meuret, professeur à l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu) et auteur de Gouverner l’école (Pres ses Universitaires) « ces évaluations confirment la baisse du niveau à l’école pri-
maire ». Toujours en 2007, une autre enquête révélait qu’en vingt ans, le niveau orthographique avait pris un retard de deux classes. Mais d’autres travaux tempèrent cet alarmisme. En 2004, l’Insee notait que les 60-65 ans sont bien plus nombreux (34 %) à éprouver des difficultés dans l’un des domaines fondamentaux de l’écrit que les 18-29 ans (14 %). Par ailleurs, nombre de spécialistes ne croient pas à l’affaiblissement dénoncé. C’est le cas de Louis Maurin, fondateur de l’Observatoire
L’école primaire est épargnée par la violence
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ême si on n’y observe pas les mêmes faits graves que dans les lycées et les collèges, la violence concerne aussi le primaire. Mais si elle fait l’objet de nombreux recherches et plans gouvernementaux depuis vingt ans, les données concernant l’école élémentaire manquent. Pourtant, selon un sondage réalisé par l’institut Ipsos au mois de mars 2010, 18 % des parents estiment que leurs enfants ne sont pas en sécurité à l’école. Le ministère a donc décidé de recenser les incidents survenus dans les établissements du premier et du second degré. Pour ce faire, il a lancé en 2001 le logiciel Signa, remplacé en 2007 par le Système d’information et
des inégalités et auteur de Déchiffrer la société française (La Découverte). Pour lui, il s’agit « d’un raccourci ». En réalité, le niveau scolaire a évolué. Avec le temps, les élèves ont assimilé de nouveaux savoirs comme les langues vivantes. Reste que les critères de réussite n’ont pas vraiment changé. « L’orthographe est encore trop pris en compte dans l’évaluation », ajoute-t-il. Une matière souvent tenue pour principale responsable de l’échec scolaire.
Kevin Bertrand
Faux
de vigilance sur la sécurité scolaire (Sivis). En 2005-2006, Signa avait recensé 4 161 actes de violence dans le premier degré (1 incident pour 1 376 élèves) et 82 064 dans le second degré (1 incident pour 66,8 élèves). Les insultes et menaces graves demeurent plus importantes dans le premier degré, contrairement aux violences physiques sans armes, qui concernent davantage collèges et lycées. Si ces données institutionnelles permettent d’appréhender une part du phénomène, les spécialistes ont souvent pointé les insuffisances de ce type d’instruments de mesure. Ils plaident en faveur d’enquêtes de victimation. L’Observatoire international de la violence à l’école, présidé par le sociolo-
gue Éric Debarbieux, a lancé une grande enquête au mois de mars 2010. En partenariat avec l’Unicef, il va interroger entre 8 000 et 12 000 élèves. Les résultats ne seront connus qu’à l’automne 2010, mais les travaux d’autres chercheurs apportent déjà des éclairages. Entre 2004 et 2006, la sociologue Cécile Carra a observé 2 000 écoliers du département du Nord. Elle a constaté que 28,3 % d’entre eux auraient eu un comportement violent au cours de l’année, et 41,3 % en auraient été victimes au moins une fois. Pour l’anthropologue Julie Delalande, « la violence des enfants n’a rien d’anarchique. Elle est régie par un code d’honneur ». Elle peut apparaître comme une réponse à une insulte.
Thomas Dusseau
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controverses
Vrai
L’État ne donne plus à l’école les moyens d’assurer sa mission
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a France investit dans son école plus d’argent que la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et que la majorité des membres de l’Union européenne. Sa dépense intérieure d’éducation (DIE) représente 6,6 % de son produit intérieur brut (PIB), soit 129,7 milliards d’euros, dont 37,8 milliards (l’équivalent du PIB du Sri Lanka) sont destinés au premier degré. Pourtant, contrairement à ses voisins, comme l’Allemagne, qui essaient de réinjecter de l’argent dans l’éduca-
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70 enfants supplémentaires, rapporte Christophe Percher, secrétaire départemental du syndicat Snuipp-FSU. Le taux d’encadrement se dégrade. Pourtant, il s’était amélioré entre 1980 à 1992 et l’échec scolaire avait alors diminué. » Avec 19,7 élèves par enseignant en moyenne, les classes françaises sont les plus chargées de l’Union européenne. En Italie, par exemple, un professeur gère en moyenne 10,5 enfants. Enfin, la France dépensait 6 850 euros par écolier en 2006, contre 8 050 pour ses voisins de l’OCDE. Ce sont les États-Unis qui dépensent le plus avec 12 000 euros par élève.
Vrai et faux
Clémentine Hillairet
Le redoublement est inutile
vec 38 % des élèves de 15 ans ayant déjà redoublé, la France détient un record en Europe. Mais ces vingt dernières années, la tendance est à la baisse, notamment dans le primaire. En fin de CM2, le taux d’élèves ayant une année de retard est passé de 25 % en 1991 à 15 % en 2008. Ces chiffres masquent cependant une réalité : plus le redoublement intervient tôt, plus il est associé à une faible réussite scolaire. Déjà en 1983, Claude Seibel, ancien chef du service des études informatiques et statistiques du ministère de l’Éducation nationale, dé-
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tion, la France régresse dans le domaine. Depuis 1995, le pourcentage du PIB consacré à l’éducation nationale a chuté d’un point. Et les enseignants sont victimes, comme l’ensemble de la fonction publique, d’une baisse drastique de leurs effectifs. Moins 11 200 postes en 2008, 13 500 en 2009 et 16 000 prévus en 2010. Ils sont aujourd’hui 368 000 à enseigner dans le premier degré pour 6,65 millions d’enfants scolarisés. En 1980, on comptait 7 millions d’élèves sur les bancs de l’école. Mais depuis 2000, le nombre d’enfants en âge d’être scolarisés augmente. « En Indre-etLoire, on crée seulement 1 poste pour
montrait que le redoublement précoce avait des effets contre-productifs. « Les élèves qui redoublent le CP le répètent en général à l’identique et ne s’améliorent pas, à la différence de leurs camarades passés en CE1 de justesse. » Dans sa thèse menée en 2004 avec l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu), Thierry Troncin, professeur à l’IUFM de Bourgogne, indiquait que « l’année supplémentaire n’apporte pas les bénéfices escomptés sur le plan scolaire ». En redoublant, l’élève se sent incompris, sévèrement jugé et l’idée de retravailler le même programme l’ennuie. « Mais
chaque cas est particulier », précise Vincent Martinez, professeur des écoles à Joué-lès-Tours. Parfois, le redoublement peut être bénéfique. » À condition, bien sûr, qu’il soit compris et accepté par l’enfant et sa famille. Par ailleurs, le redoublement coûte cher : 2 milliards d’euros par an selon l’OCDE. Enseignants et experts imaginent donc des solutions alternatives. Pour Claude Seibel, il est impératif de « former les enseignants pour qu’ils sachent prendre en charge individuellement chaque enfant ». Vincent
Martinez, lui, souhaite « le renforcement des Rased (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficultés, NDLR) dans l’établissement, du fait de leur rapport privilégié avec les élèves et leur famille. » Mais, pour ce genre de postes, la tendance est plutôt à la baisse. Le milieu éducatif ne prône pas pour autant la fin du redoublement. Il doit être « réservé à des cas exceptionnels et accompagné d’une réflexion sur ses causes », précise Thierry Troncin. En attendant, les parents ont toujours la possibilité de faire appel de la décision des conseils de maîtres.
Véronique DE SA
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illustratioN : Aurélie gerbault
Dossier
Nombreux sont les parents qui souhaitent que leurs enfants apprennent à lire dès la maternelle. Mais c’est oublier que tout apprentissage doit se faire à son rythme.
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homas, 4 ans, sait déjà lire alors que ses camarades peinent à déchiffrer l’alphabet. Il n’est pourtant pas surdoué, juste curieux. Soucieux de sa réussite, ses parents l’ont incité à débuter la lecture à la maison. Son instituteur, Denis Moisy, a pris le
lire à 4 ans cap’ ou pas cap’ ? relais en classe. « Je n‘y vois pas d’inconvénient tant que la pression n’est pas mise sur les enfants. Mais je constate que c’est devenu un enjeu qui préoccupe les parents », observe cet enseignant de l’école maternelle Robert-Desnos de Montlouis-sur-Loire (37). Bruno Germain, chargé de mission à l’Observatoire national de la lecture (ONL) a lui aussi observé cette pression des parents : « Lors des réunions avec les professeurs à la maternelle, les questions sur l’apprentissage de la lecture se mul-
tiplient. » De peur que leur enfant ne prenne du retard, certaines familles s’immiscent dans les programmes et tentent de bousculer les rythmes d’apprentissage. Mais tous les foyers n’ont pas cette exigence ni forcément les moyens d’y répondre. Une inégalité qui se traduit en classe. C’est pourquoi l’éducation nationale a décidé d’anticiper. Depuis 2006, le ministère demande de préparer le terrain pour le cours préparatoire (CP). Les enseignants sont invités à proposer aux petits des activités 2010 Innova
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L’enseignement artistique a disparu des classes
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’année scolaire 2009-2010 est placée sous le signe d’un retour aux apprentissages fondamentaux. Le ministère de l’Éducation nationale a donc augmenté le volume horaire de ces matières. Le français, les mathématiques, le sport et la langue vivante occupent plus de vingt heures par semaine. Il reste donc à peine quatre heures pour caser les sciences, l’histoire-géographie, les arts plastiques, l’initiation à l’informatique et l’instruction civique et morale. L’enseignement artistique reste obligatoire avec soixante-dix heures prévues par an. De plus, vingt heures d’histoire de l’art font leur apparition. Pas
vraiment de quoi rassurer les professionnels, selon Alain Desseigne, directeur du Centre de formation des musiciens intervenants (CFMI) de Lyon et auteur d’une lettre ouverte, très critique, publiée sur Internet (On connaît la chanson : demandez l’programme !). « Il ne faut pas se leurrer avec l’histoire de l’art. Elle n’a pas de créneau horaire, elle est donc à enseigner sur le temps des autres matières, explique-t-il. C’est une décision idéologique. » La crainte des intervenants dans les matières artistiques est aussi que la théorie ne remplace la pratique. En effet, cette dernière dépend des écoles
qui peuvent éventuellement créer des partenariats avec les conservatoires et les centres culturels. Or, le ministère souhaite que les cours soient donnés par les seuls instituteurs et privilégie ainsi les enseignements théoriques. « L’État se désengage progressivement et ce sont les collectivités territoriales qui maintiennent l’art en classe. Par conséquent, les inégalités de territoire se transmettent dans les écoles », remarque Alain Desseigne. Et si le ministère insiste sur l’importance de l’apprentissage artistique « dans les zones défavorisées et géographiquement isolée», l’inquiétude demeure.
Julien Pépinot
Les enseignants rechignent à devenir Directeur d’école
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es années passent et les candidats ne se bousculent pas pour occuper la fonction de directeur d’école. En 2010, environ trois mille pos tes sur quarante-cinq mille seraient vacants. Faute de titulaire, un enseignant doit assurer l’intérim pendant un an, en attendant de trouver un volontaire. Autre conséquence : de jeunes professeurs sont propulsés à des postes de direction sans avoir l’expérience nécessaire. Diriger une école, c’est être chef d’orchestre. Les tâches se sont peu à peu multipliées. Le travail administratif occupe une bonne partie des journées : rentrer
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les notes dans les dossiers informatiques, répondre aux courriers électroniques, au téléphone, organiser les évaluations. C’est aussi gérer le périscolaire, être en bonne relation avec la mairie, rendre des comptes à l’inspection académique, tatil lonne sur les règlements qui s’empilent au gré des réformes. Sans oublier de gérer les exigences des parents qui contestent l’autorité des professeurs. Du coup, le temps manque pour s’investir pleinement dans le pédagogique et le suivi des enfants. Pour alléger l’emploi du temps des directeurs, les décharges administratives
Vrai
o nt vu le jour. Les intéressés sont libérés de leur temps d’enseignement pour dix heures, vingt heures ou la totalité de la semaine suivant la taille de l’école. Cela ne concerne que quatre directeurs sur dix. Pour les autres, il faut jongler entre toutes les missions. Pour assister les directeurs dans leurs tâches administratives, il existe également les emplois de vie scolaire (EVS). Souvent à temps partiel, ce personnel d i s p o s e r a r e m e n t d e s compétences nécessaires au secrétariat. Les directeurs sont de plus en plus nombreux à militer pour la création d’un sta-
tut spécifique. Cette idée est pourtant rejetée par une partie des syndicats et du corps enseignant qui estime que le directeur doit garder un pied dans le pédagogique et ne pas devenir un simple chef d’établissement, coupé de l’équipe enseignante et des élèves. D’autres préféreraient voir apparaître des postes administratifs péren nes, à la hauteur des besoins. Faute de prise en compte de leurs difficultés, certains directeurs en place demandent à redevenir adjoints, dégoûtés par une fonction écrasante. à l’heure actuelle, aucun projet de loi n’est programmé.
Matthieu Chaumet
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« Les parents qui veulent que leurs enfants sachent lire tôt répondent à une pression sociale » orales destinées à enrichir leur vocabulaire. Toutefois l’association de l’oral et de l’écrit ne se fait pas à ce niveau, elle reste réservée au CP. Ce qui n’empêche pas certains enseignants d’aller plus loin en utilisant, par exemple, la méthode de Françoise Boulanger qui préconise de faire de la lecture un jeu dès 2 ou 3 ans. Cette démarche permet aux enfants d’apprendre progressivement et d’être tous mis sur un pied d’égalité.
Le rythme scolaire n’est pas forcément adapté Selon Rachel Cohen, auteur de L’Apprentissage précoce de la lecture1, les enfants peuvent apprendre très tôt : « Dès 3 ou 4 ans, ils sont capables d’assimiler beaucoup de choses. Mais les cadres de l’école sont trop rigides. Il n’y a pas de moment idéal pour l’apprentissage de la lecture. » En fait, chaque enfant a son propre tempo, exactement comme pour faire ses dents ou apprendre à parler. En ce sens, le rythme scolaire n’est pas forcément adapté. Les élèves en retard sont mis en échec. On fait sauter une classe à ceux en avance, qui se retrouvent désorientés. Léo en est l’exemple type. Cet élève qui sait lire depuis la maternelle a sauté le CP. Mais arrivé en CE1, il ne sait toujours pas boutonner son manteau. Un manque de sens pratique qui l’handicape dans ses rapports avec les autres. De plus, ce n’est pas parce qu’un enfant lit qu’il possède la motricité
école et BD, un duo insolite
De la bande dessinée en classe ? L’idée peut surprendre. Objet associé au loisir, la BD a longtemps été considérée comme une littérature au rabais. Mais les mentalités changent. Depuis 2002, l’Éducation nationale l’a introduite dans les programmes de français, avec une sélection d‘albums qui mettent à l’honneur des auteurs comme Franquin (Spirou) ou Fred (Philémon). La circonscription de Tours nord propose à des classes volontaires des activités littéraires centrées sur le neuvième art. Patrice Gentilhomme, conseiller pédagogique à l’origine du projet, explique : « Certains parents se sont montrés réticents au départ. Pour eux, la bande dessinée, c’est du divertissement. » Pourtant, elle peut être exploitée de multiples façons et faciliter l’acquisition des compétences exigées par les programmes, notamment la lecture. «L’association entre l’écrit et l’image facilite le déchiffrage des mots, assure Julie Bentley, enseignante à l’école Camus-Maurois de Tours (37), qui s’est prêtée au jeu avec sa classe de CE2. Cette méthode passe
fine qui lui permet d’écrire. « Les parents qui veulent que leurs enfants sachent lire tôt répondent à une pression sociale. C’est leur façon de répondre à l’inquiétude générale sur la réussite », observe Hélène Dujardin, membre de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) d’Indre-et-Loire. Mais pour elle, le rôle des parents est avant tout celui de l’accompagnement. La famille doit donner envie à l’enfant d’apprendre à lire, mais pas remplacer l’instituteur. Pousser son enfant trop tôt est souvent contre-productif : 75 % des passages anticipés se solderaient par un redoublement. Pourquoi, alors, ne pas prendre exemple sur un des modèles les plus performants au monde, la Finlande. Classé deuxième par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa)2 en 2003, ce pays a adopté un rythme
d’autant mieux que les écoliers appartiennent à une génération très visuelle, sensible à l’image. Ainsi je parviens à intéresser des élèves – qui d’habitude ne lisent jamais – aux textes de Jules Verne en étudiant leur adaptation en BD. » Faut-il croire pour autant les pédagogues pour qui la BD apparaît comme le dernier rempart contre l’analphabétisme ? Seule certitude : les critiques qui lui étaient adressées naguère se portent aujourd’hui sur la télé et les jeux vidéo. Le temps où elle était vilipendée par les bons esprits et interdite dans les bibliothèques est bien révolu. J. P.
scolaire bien particulier. L’école obligatoire ne commence qu’à 7 ans, même si 96 % des familles font suivre un CP optionnel à leur enfant. Un élève qui n’est pas prêt à lire peut rester au jardin d’enfants jusqu’à 8 ans. Ce modèle – qui consiste à laisser le temps avant l’apprentissage de la lecture – séduit de plus en plus d’ enseignants en France. C’est le cas de Sandra Boyer, institutrice remplaçante à l’école Pierre-Sémart de Saint-Pierre-des-Corps (37) : « Les petits sont capables d’assimiler tôt, mais il faut les laisser profiter de leur enfance. La lecture a sa place au CP et il y a le CE1 pour la consolider si nécessaire. Pas besoin de presser les choses. » Julien Pépinot et Marion Poupart
(1) PUF, 1992, 256 p., 20 €. (2) Enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les trente pays membres de l’OCDE. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire.
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controverses
Vrai Les langues vivantes et faux sont mal enseignées
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n apprend les langues de plus en plus tôt. Pourtant, une étude européenne réalisée en 2002 montrait que nos lycéens étaient largement à la traîne en anglais par rapport à leurs voisins. Depuis 2008, une initiation doit être dispensée dès le CP. « Sur le papier, ce dispositif est cohérent, reconnaît Christophe Percher, enseignant de CM2 à l’école de Tauxigny (37). Mais le plus souvent, ils ne débutent qu’au CE2. » Selon une enquête de la Direction générale de l’enseignement scolaire, la situation n’est pas si critique : 72 % des
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ette année encore des instituteurs dits désobéissants ont refusé de réaliser les évaluations nationales obligatoires de mathéma tiques et de français, les estimant inadéquates. Ces épreuves ne datent pourtant pas d’hier. Leur but est d’établir un bilan des acquis et de repérer les faiblesses des élèves « à un moment clé de leur scolarité ». Avant 2008, elles se déroulaient en début de cycle (CE2 et 6e), au mois d’octobre et permettaient d’évaluer les connaissances des enfants acquises lors du cycle précédent. Depuis la rentrée 2008, ils ont lieu
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élèves de CE1 ont bénéficié de cet enseignement en 2008-2009. Le principal problème reste la constance de l’enseignement. Le nom bre d’instituteurs capables d’enseigner les langues est souvent insuffisant. Tous ne sont pas habilités à le faire et ils ne le sont pas tous dans la même langue. Ainsi, dans une même école, et suivant l’habilitation de l’enseignant, un enfant peut avoir des cours d’espagnol, d’anglais, d’italien ou d’allemand. Quant aux intervenants extérieurs, ils ne peuvent pas toujours assurer les cours une année entière.
Autre grief : les habilitations données sans réel niveau. « Je peux tout juste apprendre des comptines aux enfants », reconnaît cette institutrice d’une école parisienne, habilitée à enseigner l’anglais. Ce que tempère Juliette Dubois, professeure d’anglais au collège Georges-de-la-Tour, à Nantes : « Les évaluations de 6e permettent de faire le point sur les acquis, c’est une bonne base de travail. Au primaire, l’apprentissage des langues est axé sur l’oral. Arrivés au collège, les élèves participent davantage. » Léna Randoulet
Les évaluations de CM2 i et ne servent à rien
Vra faux
sur trois jours, fin janvier, et concernent les enfants de CE1 et CM2. Ce déplacement du moment clé est l’un des premiers problèmes dénoncés par les syndicats. Le mois de janvier est au milieu de l’année scolaire. Or les classes n’avancent pas au même rythme dans le programme imposé. Il serait donc plus approprié de les réaliser en fin d’année ou, comme avant, au début de l’année suivante. Pour les huit cent mille élèves de CM2, les tests ne seraient pas pertinents,
poursuivent les détracteurs, et traumatiseraient les enfants qui pensent ne pas être à la hauteur. Le système de notation serait en effet trop manichéen. «Il prend en compte les erreurs plutôt que les réussites », déplore un enseignant. En mathématiques, par exemple, si l’élève ne réussit que huit opérations sur dix, il est considéré comme étant en échec. L’an dernier, entre 7 % et 15 % des élèves de CM2 ont été jugés en grande difficulté. Du point de vue du ministère, les résultats servent d’abord de grand indicateur national de niveau des élèves et d’adapter les moyens afin
de « favoriser l’égalité des chances ». Pour les plus sceptiques, ces évaluations riment plutôt avec « école de la performance ». Les enseignants ont d’ailleurs craint la concurrence entre établissements, les résultats étant publiés par école. Depuis, le ministère a décidé de les établir par département. Autre crainte : le recours au bachotage inutile ou à la tricherie. Le ministère réfléchit aujourd’hui à une alternative : des sondages auprès de groupes d’élèves réduits. Reste à savoir s’ils seront significatifs à l’échelle nationale. JEANNE LA PRAIRIE
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Dossier
Caroline Venaille
« Des journées moins longues en primaire » En organisant une conférence sur les rythmes scolaires fin juin, le gouvernement remet en cause la semaine des quatre jours. Pour François Testu, spécialiste de la question, une meilleure organisation du travail à l’école s’impose.
Dans une circulaire publiée le 20 mars dernier, le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, encourage la scolarité le mercredi matin. Que pensez-vous de cette volte-face ? François Testu. Ce n’est pas un re
virement total puisque le gouver nement souhaite maintenir la sup pression des cours le samedi matin. Il s’agit plutôt d’une reconnais sance implicite des résultats de nos recherches et de ce que nous pré conisons. Maintenant, il ne reste plus qu’à convaincre les parents et les enseignants.
Un rapport de l’Académie de médecine, publié fin janvier, confirme votre thèse sur les effets néfastes de la semaine de quatre jours chez les écoliers. Que reprochez-vous à cette organisation du temps scolaire ? F. T. Tous les scientifiques sont
unanimes : elle casse le rythme de l’enfant. Alors qu’il commence à se mettre en route en début de semaine, la pause du mercredi arrive. Puis c’est reparti pour deux jours de classes, avant le week-end. Ces coupures sont terribles.
Quelle serait la structure idéale ?
F. T. Des journées moins longues et plus adaptées à l’âge de l’enfant. Je trouve ridicule qu’un petit de 6 ans accumule autant d’heures de cours qu’un enfant de 11 ans. Les aprèsmidis devraient être consacrés aux activités sportives et culturelles, dispensées par des éducateurs spé cialisés, comme c’est le cas en Fin lande. Enfin, le rythme scolaire an nuel doit être plus régulier. Les vacances de la Toussaint ne durent que dix jours. Or le premier tri mestre est très long, avec plus de quatorze semaines de classe. L’idéal serait d’alterner sept se maines de cours et deux semaines de vacances, tout en conservant juillet et août. Certaines mesures que vous préconisez sont-elles applicables dès aujourd’hui ? F. T. On peut privilégier des me
sures simples. Les activités intellec tuelles devraient avoir lieu en fin de matinée ou en début d’après-midi, au moment où la concentration des enfants est maximale. L’architecture intérieure joue également un rôle important Par exemple, des sols qui amortissent les chocs ou une am
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rofesseur émérite de psy chologie à l’université de Tours, François Testu est un spécialiste des rythmes scolaires. Connu pour ses recher ches sur la fatigue des écoliers, il défend la semaine de cinq jours.
biance feutrée dans les salles facili tent le calme pendant les cours. Mais, surtout, les parents devraient se montrer plus disponibles afin de ne pas laisser leurs enfants livrés à eux-mêmes. En fonction de leurs plannings, ils peuvent s’organiser pour que l’un d’eux accompagne les enfants à l’école le matin et que l’autre les récupère le soir. Cela paraît plus simple pour certaines catégories socioprofessionnelles. Considérez-vous que la semaine de quatre jours renforce les inégalités sociales ? F. T. Bien sûr car, selon l’origine
sociale des enfants, le temps libre ne sera pas du tout occupé de la même manière. Le plus souvent, les élèves des milieux aisés crou lent sous les activités le mercredi alors que les autres s’ennuient ferme toute la journée. Partisan du temps libre, j’estime que l’enfant doit avoir un moment où il fait ce qu’il veut. Il a le droit de s’ennuyer de temps en temps, mais cela ne doit pas être la règle. recueilli par Clémentine Hillairet, Magali Lagrange et Caroline Venaille
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Dossier Depuis la suppression, en 2008, des classes le samedi matin, les écoliers ont un véritable agenda de ministre. Entre les cours, la cantine, la garderie et l’étude du soir, leurs quatre jours de scolarité frôlent les quarante heures. Et
écolier, un job à temps plein
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rès d’un enfant sur cinq reste à l’accueil périscolaire chaque soir après l’école. C’est le cas d’Emma, 10 ans, et de son petit frère Pablo, 6 ans. Chaque jour, les enfants Morais passent près de dix heures entre les murs de l’école Velpeau, à Tours, de 8 h 30 à 18 h 30. Leurs parents ne peuvent pas venir les chercher à 16 h 30. Les journées sont donc bien remplies.
LUNDI, compte à rebours avant la récré
Cheveux noués en queue de cheval et chemisier rose à carreaux, Emma dessine sur une feuille. À ses côtés, Fanny lit une page d’un roman sur la traite négrière, Deux graines de cacao. Mais autour d’elles, les vingt-trois élèves de CM2 peinent à se concentrer. Certains se balancent sur leur chaise, d’autres pouffent de rire. Déjà six heures à l’école. Claude Charbonnier, le maître et le directeur de l’école, les reprend et envoie un élève au coin. « En début d’après-midi, ils sont surexcités. J’essaie donc de les ramener au calme avec des activités comme la poésie ou la lecture », explique-t-il. Au-dessus du tableau blanc, la pendule indique 14 h 44. Emma et Fanny comptent les secondes qui les séparent encore de la récréation : « 10, 9, 8… »
7 h 15. Réveil des enfants Morais. Ils ont une heure pour la toilette et le petit- déjeuner. Cinq minutes de trajet en voiture pour arriver à l’école Velpeau à 8 h 20.
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MARDI, dispensés de corvée de devoirs
16 h 30 : la cloche sonne. Soulagés, les enfants se ruent vers la sortie, place Velpeau, pour rejoindre leurs parents. Mais pour Emma et Pablo, ainsi que pour une soixantaine d’autres écoliers, la journée n’est pas encore finie. « Nombreux sont les parents qui sont en déplacement ou qui travaillent loin, ou très tard », explique Mathilde, animatrice de l’association Courteline qui est chargée de l’accueil périscolaire. Au programme : un goûter composé de pain et de chocolat et une récré de dix minutes. Ensuite, ceux qui restent à l’étude rejoindront leur salle de classe. Les autres, comme Pablo et Emma, resteront jouer sous la surveillance des animateurs. à 18 heures, Ramatou Sow se gare sur le parking de l’école. Pablo fait demi-tour dès qu’il voit arriver sa mère. Même si la journée est longue, les enfants apprécient de rester après les cours pour jouer avec leurs copains. C’est l’occasion de se défouler. Ce soir, pas besoin de faire les devoirs car demain, c’est mercredi. Un vrai soulagement alors que le lundi et le jeudi la corvée dure entre dix et trente minutes. Une charge partagée par les parents : « Ce n’est pas évident de garder son sang-froid après une journée de travail. »
10 h 30. Fin de la récré pour Emma. Place au cours de maths. 11 h 30. Premier service de cantine pour Pablo. Le repas avalé, il jouera dans la cour avant la reprise, à 14 heures.
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Dossier c’est sans prendre en compte les temps de transport ni les activités du mercredi. Nous avons suivi Emma, 10 ans, et Pablo, 6 ans, pendant une semaine, du matin jusqu’au soir. Nous en sommes revenus épuisés.
Ce matin, le réveil n’a pas sonné à 7 h 15. Dans son grand lit recouvert de peluches, Emma dort à poings fermés. Pablo, lui, profite de la matinée pour jouer aux petites voitures. Mais le mercredi n’est pas synonyme de repos. Début du marathon à 11 heures pour Emma. Elle fonce dans le quartier du Sanitas pour son cours de cirque. à 14 heures, Pablo file au basket à Tours Nord. « Les enfants sont demandeurs de ces activités malgré les journées à rallonge et leur fatigue », souligne Ramatou.
JEUDI, du brouhaha à la cantine
C’est l’heure du déjeuner à l’école Velpeau. Une centaine d’enfants sont répartis dans les deux réfectoires. Le premier service commence à 11 h 30. Dans les salles, deux animateurs tentent de faire régner l’ordre. Le niveau sonore ne baisse pas et le revêtement antibruit des tables n’y change rien. Un quart d’heure plus tard, Pablo avale sa première bouchée de dinde. Chacun s’occupe à sa façon. Les uns échangent leur yaourt contre une moitié de pêche au sirop. D’autres se tirent la langue. Sous le préau, deux équipes s’affrontent dans une partie mi-hand, mi-foot. « Les enfants sont restés inactifs toute la matinée, assis sur leur chaise, explique Jean-Pierre Minaret, employé par la ville de Tours pour gérer les équipes d’animateurs du midi. Ils ont donc besoin de se défouler, même dans la salle de restauration. » Emma, elle, devra attendre dans la cour le deuxième service de 12 h 30.
12 h 30. Emma a attendu quarante-cinq minutes pour m anger. Enfin !
14 h 55. Dans cinq minutes, c’est la récré pour Pablo. 16 h 30. Fin des classes mais lui et sa sœur restent à la garderie. Au programme : basket, foot, jeux divers… en attendant la venue des parents, à 18 h 30.
VENDREDI, encore un dernier effort
Réveil difficile pour Pablo qui n’a pas eu ses douze heures de sommeil. Les enfants Morais arrivent à l’école à 8 h 20. Déjà, la cloche sonne. Les CM2 à peine installés, le maître annonce une évaluation sur les divisions. Malgré la fatigue accumulée au cours de la semaine, il faut se concentrer. Plus un bruit dans la salle. Arrive le cours d’anglais. Pas le temps de relâcher le rythme. « Sit down, stand up. Repeat ! » scande Crystal, l’étudiante américaine venue donner la leçon. Le petit groupe peine à répéter. Certains lisent un manga ou confectionnent des animaux en papier. La jeune assistante menace d’une évaluation. Puis propose un jeu. à la fin de la partie, tous les élèves se dirigent vers la cour de récréation, sauf deux camarades d’Emma. Le maître les encadre pour une demi-heure de soutien en mathématiques. Le chahut de la cour arrive jusque dans leur salle, ils perdent patience. Il leur faudra encore tenir l’après-midi.
WEEK-END, recharger les batteries
En CP, la maîtresse regrette la suppression des cours le samedi matin : « Cette matinée permettait de clore la semaine, de moins charger les journées et de rencontrer les parents. » Un avis que ne partagent ni Ramatou ni Dani. Même s’ils constatent une compression des programmes, ils peuvent enfin profiter de leurs week-ends en famille et recharger les batteries de tout le monde avant d’entamer une autre semaine de quarante heures. Magali Lagrange et Caroline Venaille
photos : m. lagrange et c. venaille
MERCREDI, pas de répit
19 h 30. Fini les devoirs. Avant le dîner, Emma et Pablo jouent aux petites v oitures. Comme chaque soir, ils seront couchés vers 20 heures.
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« La classe est comme une république miniature »
Clude Stéfan/Ouest France
Témoignage
Mona Ozouf Pour cette historienne et écrivaine, l’école n’a pas de secret. Se sentant aussi bien bretonne que française, c’est là qu’elle a forgé ses deux identités.
Ils sont scientifique, historien, écrivain ou artiste. Ils ont en commun d’avoir été profondément marqués par leur expérience de l’école. Tous racontent ce lieu d’instruction, de socialisation, berceau des premiers émois, qui leur a laissé un souvenir tenace teinté de tendresse ou d’amertume.
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r éhabilitation de la culture bretonne dans les années trente, lui a transmis son amour pour la tradition celtique. Ce qui ne l’empêche pas de se voir aussi comme une fille d’instituteurs de « l’école de la France ». « Nous avons tous différentes identités. Elles sont feuilletées, étagées », indique celle qui, ces derniers mois, a refusé plusieurs invitations à participer au débat sur l’identité nationale.
« Une instruction très politiquement correcte » à presque 80 ans, Mona Ozouf se considère plus que jamais comme le fruit de cette double tradition, cristallisée à l’école, lieu d’apprentissage et de vie. L’enseignement de l’histoire a toujours eu une place particulière dans son éducation : « En classe, nous recevions une instruction très politiquement correcte. L’histoire de France nous était racontée comme un geste commun, avec irénisme (vision pacifiée du passé,
Thomas Dusseau
Mon École À moi
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’est dans un appartement lumineux au cinquième étage avec vue sur les toits parisiens que Mona Ozouf reçoit, souriante. Les livres attirent immédiatement le regard. Ils sont partout, ils recouvrent les murs. Certains sont dissimulés dans les foyers de cheminées condamnées. « à Plouha, dans le Finistère, où j’ai grandi, les livres ont été la ressource de mon enfance. La seule. » Jetant un œil gourmand aux nouvelles parutions entassées sur sa table basse, elle confie même lire avec une sorte de boulimie et ce depuis son plus jeune âge. Son enfance bretonne, cette historienne, réputée pour ses travaux sur la Révolution française, y consacre justement un ouvrage. Sorti il y a un an, Composition française est un récit dominé par une absence omniprésente, celle de son père, Yann Sohier, disparu alors qu’elle n’avait que 4 ans. Cette figure paternelle, qui a milité pour la
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Témoignage
« Comble du luxe, je pouvais m’asseoir au bureau de la maîtresse. »
« C’était pour moi un moment d’émancipation. » L’enfant rêvait aussi devant les cartes de géographie. Elle qui ne sortait jamais du village de Plouha, observait les routes qui sillonnaient l’Hexagone. Aujourd’hui encore, elle reste émerveillée à l’idée de voyager, d’emprunter un itinéraire inconnu. Du chemin, elle en parcourt régulièrement pour intervenir dans des colloques aux quatre coins du monde. Pourtant, elle n’a jamais vraiment réussi à quitter l’école. Elle enseigne au Collège de France et a mené de nombreuses recherches sur l’institution scolaire avec son époux, Jacques Ozouf, également historien. L’école primaire de Plouha a d’ailleurs rendu hommage au travail mené par le couple : leur nom figure à présent sur le fronton de l’établissement, rebaptisé Jacques-et-Mona-Ozouf. Un geste symbolique qui va droit au cœur de celle qui a perdu son mari, il y a deux ans.
Chacun sa place C’est dans cette même école qu’il y a sept décennies, dans le bruit des sabots, son institutrice changeait les élèves de place en fonction de leurs résultats : les meilleurs occupaient les pupitres situés devant le bureau, les cancres étaient relégués au fond de la classe. « Ce rituel illustre parfaitement l’enseignement républicain, souligne t-elle. Il n’y a pas de place attitrée dans notre république. Même le chef de l’état n’est pas sûr de conserver la sienne. Seul le mérite peut décider de la place de chacun. Pour moi, la classe est une république miniature. » Quant à savoir où Mona Ozouf était assise quand elle était élève, elle répond en riant aux éclats : « Devant ! »
Leïla KADDOUR-BOUDADI et
Margot PERRIER
Philippe caubère
L’homme de théâtre retrace avec truculence son e nfance méridionale.
« Les charmes de la maîtresse »
Georges Gobet/AFP ou Anne-Christine Poujoulat
NDLR). Aujourd’hui, on a plutôt tendance à donner la parole aux dominés, aux ouvriers, aux femmes et aux groupes d’exclus en général. En tout cas, je savais que l’histoire enseignée à l’école était différente de celle racontée à la maison. J’avais le sentiment qu’il y avait deux histoires, sans pour autant qu’elles se contredisent. » Plouha, fin des années trente. Entre les fenêtres de sa chambre et celles de sa classe, il n’y a que la cour de récréation. Mona vit seule avec sa mère, Anne, et sa grandmère. Anne corrige les cahiers des écoliers sur la toile cirée de la cuisine. L’école s’immisce dans la maison, il n’y a plus de frontière entre ces deux mondes. Les jeudis et les dimanches, l’unique distraction de la mère de Mona est de préparer le programme de la semaine à venir. La petite fille la suit dans la classe avec sa poupée : « Comble du luxe , je pouvais m’asseoir au bureau de la maîtresse et manier l’encre rouge. » Mona Ozouf ne regrette pas l’école d’antan. Le suivi des normes allait de pair avec un dessein individualisant. L’institution scolaire avait alors pour but de former un citoyen éclairé et critique et ce grâce à une pédagogie autoritaire. Pourtant, malgré la dureté des institutrices, Mona Ozouf, bonne élève, prenait plaisir à s’y rendre. Elle oubliait pour un temps la tristesse du foyer :
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arseille est une ville dure, surtout pour un enfant. Mon école à moi, c’était l’inverse. J’étais à Sainte-Marthe, un établissement religieux (rires). L’uniforme n’était pas obligatoire et la discipline n’était pas si stricte. Cela reste un souvenir de bonheur absolu. à travers la fenêtre, je voyais un décor bucolique. J’y suis retourné lors du tournage du Château de ma mère. Rien n’avait changé. Toutes ces terres appartiennent encore au clergé. Elles sont restées sauvages, même si ça tombe un peu en ruine. Mais l’école, ça a surtout été ma première maîtresse. Elle avait tous les charmes imaginables et inavouables. Je suis monté sur scène pour la première fois, en CM1. On jouait une pastorale pour la kermesse. Elle m’a désigné pour incarner la poissonnière. Autour de moi, une tempête de ricanements. J’étais très fier. C’était un bouleversement érotique, un aveu. Elle me trouvait « mignonne ». Je lui plaisais. En fait, quand j’y repense, l’école résume ma vie : les femmes, le théâtre et l’érotisme. » Recueilli par L. K.-B.
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Membre de l’Académie des sciences, il a obtenu le prix Nobel de chimie en 2005. Yves chauvin
E. Robert Espalieu
« Une île coupée du monde »
« Le maître avait de l’humour »
Mohammed Moulessehoul de son vrai nom est un écrivain algérien de langue française. Engagé dans l’armée pendant trente-six ans, il a intégré une école militaire alors qu’il n’avait que 9 ans.
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on école n’était pas comme la vôtre. Mon père avait choisi pour moi un destin de militaire. Il m’a donc envoyé dans une sorte d’orphelinat à Tlemcen (au Nord-Ouest de l’Algérie) où nous étions internés et encadrés par des soldats. Je suis né le jour où le grand portail de cet établissement s’est refermé sur moi. Avant cela, je n’ai aucun souvenir d’une autre école. Quand je pense à cette époque, je ne vois pas un monde en couleurs, mais en noir et blanc, même les jours de grand soleil. Les classes étaient sinistres, les tables rudimentaires, les professeurs fantomatiques. C’était un monde impitoyable pour des enfants, un pays de brume et de froidure. Je garde l’image d’une sorte d’île coupée du monde. Une forteresse m é d i é v a l e a v e c d e h a u t e s murailles, où nous étions enfermés comme des poussins d’élevage. Un enfant a besoin de sa famille, pas d’être confié à d’autres. La plupart de mes enseignants, dont beaucoup ne sont plus de ce monde, étaient finalement de braves gens. Mais
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à la sortie des classes, nous passions entre les mains de militaires qui n’avaient aucun sens pédagogique. à partir de là, tout l’univers de l’enfant s’émiette. Il doit faire face à des responsabilités d’adulte et être sanctionné comme tel. J’ai gardé contact avec d’autres élèves. Ce sont toujours mes meilleurs amis. Nous avons partagé beaucoup de choses et je ne suis à l’aise que parmi eux. Mais je n’aime pas retourner sur les lieux. Je m’y suis tout de même rendu, il y a une dizaine d’années. Je voulais interroger les pierres, le portail, la cour et la mosquée. Mais je n’ai reçu aucune réponse à mes questionnements. La forteresse avait tellement honte de ce qu’elle nous avait fait subir qu’elle se cachait derrière ses pavés. Aujourd’hui, il n’existe plus d’école comme celle-ci. » Recueilli par Magali Lagrange
« Nous étions enfermés comme des poussins d’élevage »
Damien Meyer/AFP
Yasmina khadra
J
e suis arrivé à Tours en 1939, à l’âge de 9 ans. Mon père était prisonnier en Allemagne. Je vivais chez ma tante et j’étais scolarisé dans l’établissement public Sainte-Ursuline. C’était une école de filles, mais j’étais évidemment dans une classe de garçons. Malgré les restrictions de la guerre, je garde un bon souvenir de mon passage dans cette belle école, avec sa grande cour et son haut bâtiment lumineux. Le maître portait une blouse noire et m’appelait « Monsieur ». Il aimait plaisanter. Je me rappelle par exemple que nous étions tous enrhumés en hiver. Nous arrivions avec la goutte au nez. Il craquait alors une allumette et l’approchait de nous pour, disait-il, allumer les chandelles. C’était plus drôle quand cela s’adressait au voisin. Enfant, j’aimais l’histoire, la géographie… Les matières où on vous raconte des histoires, en somme. Il y avait aussi la musique, quand nous lisions des notes en les chantant. Mon père était plutôt technicien. C’est pour cela que je me suis dirigé vers les sciences. Pendant la guerre, mes amis et moi fabriquions des pétards. Nous nous intéressions aussi aux explosifs. C’est cela qui m’a attiré vers la chimie. » Recueilli par M. L.
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Pratique
« à l’école, en algèbre, j’étais du genre Einstein. Mais plutôt Franck qu’Albert » Philippe Geluck
Sur la toile
Le carapatte
«Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison » Victor Hugo La classe est un magazine sur l’enseignement à l’école élémentaire. Les enseignants et les animateurs y trouvent des articles sur les débats d’actualité, mais aussi des comptines ou des idées de sorties scolaires. Dans la même collection : La classe maternelle. Mensuel disponible en kiosque pour 4,90 €.
6 643 592 C’est le nombre d’écoliers inscrits dans le public et le privé en 2008
Pages réalisées par Charlotte Bahuon, Matthieu Chaumet, Jeanne La Prairie, Julien Pépinot, Caroline Venaille
D. R.
Presse spécialisée
Rien à voir avec une chaîne de montagnes. Comprenez plutôt « car à pattes ». Ce système de transport en commun écologique n’utilise que la marche à pied. Le public visé par ce ramassage d’un nouveau genre : les écoliers. En 2006, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a lancé ce concept en s’inspirant des pays d’Europe du nord. En France, plus de 1 500 initiatives d’écomobilité telles que le carapatte ou le caracyle, la version deux-roues, ont vu le jour en 2008. Se carapater de la maison pour rejoindre la cour de récré en toute sécurité, voilà l’esprit. Les parents y trouvent de nombreux avantages : éviter de prendre la voiture, d’encombrer les abords de l’école et de polluer. Les enfants aussi y sont gagnants. Conduits par des bénévoles, ils font ainsi de l’exercice physique. Le trajet, qui ne doit pas excéder vingt minutes, les sensibilise aux dangers de la route. Comme le bus, le parcours est matérialisé par différents arrêts associés à des horaires fixes. Ce ramassage scolaire écolo a de plus en plus la côte et pourrait bien faire école.
François Malaussene
http://lewebpedagogique.com
Leila Kadour-Boudadi
Cantine verte
Afin que les assiettes de l’école se mettent au vert, WWF-France lancera un appel le 18 juin 2010. Objectif : impliquer les municipalités dans une gestion bio des cantines. L’association invite les parents à prendre rendez-vous avec le maire de leur ville.
Thomas dusseau
caroline venaille
webpédagogique.com est destiné aux enseignants. Fiches pratiques, conseils pour organiser un voyage de classe sont autant d’outils partagés sur la plateforme. Une réussite pour son créateur – Vincent Olivier (ancien professeur d’économie) – avec 1 million de visites en cinq ans et 15 000 blogs hébergés.
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Pratique
« De toutes les écoles que j’ai fréquentées, c’est l’école buissonnière qui m’a paru la meilleure » Anatole France
ECOLIERS INDIENs
le xav’
En avril 2010, l’école primaire est devenue obligatoire en Inde. La loi, votée par le parlement indien, s’appliquera à 10 millions d’enfants issus de milieux défavorisés. L’enseignement sera gratuit et obligatoire de 6 à 14 ans. « Le matin, je marchais longtemps pour aller en classe, et le soir je lisais sous la lampe à pétrole. Je dois tout à l’école», a déclaré le Premier
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C’est le nombre d’écoles en France
5 680 $ Dépense moyenne pour un élève du primaire en 2008, selon le ministère de l’éducation nationale
ministre Manmohan Singh, né dans une famille modeste. Avancée indiscutable, cette réforme estimée à 4,2 milliards d’euros reste néanmoins inapplicable, le nombre d’instituteurs et d’écoles étant insuffisant. Selon des associations indiennes, 85 millions d’enfants ne sont toujours pas scolarisés dans le pays. Une majorité sera donc toujours privée d’école.
« Pour l’élève, une année de scolarité fichue c’est l’éternité dans un bocal » Daniel Pennac Sourires
http://copainsdavant.linternaute.com.
magali lagrange
Copains d’avant
Vous souvenez-vous de Marc, votre copain de CM1, avec qui vous avez fait les quatre cents coups ? Et de Lucie, votre amoureuse en maternelle ? Vous pouvez les retrouver sur Copains d’Avant. Créé en 2001, le site web français propose aux internautes de retrouver leurs anciens camarades perdus de vue et de reprendre contact. Partages de photos, échanges d’anecdotes… L’occasion de revenir sur les traces qu’on a laissées à l’école.
d’écoliers Un tour du monde à la rencontre des écoliers. Julie est professeure des écoles, Baptiste photographe. En tandem, ils pédalent d’école en école et croisent des enfants fascinés par leur deux-roues insolite. Plus de 17 000 kilomètres pour un récit photos rempli de sourires. www.souriresdecoliers.com.
D. R
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L’école en livres
42 Innova ••41-42.indd 42
Julie Delalande, La cour de récréation. Ethnologue, l’auteure s’est penchée sur la construction de cet espace, son organisation, ses règles. édité chez PUR, 2001, 18 €. Christian Baudelot, Roger Establet, Allez les filles! Elles seraient les plus douées en classe. Et pourtant, sur le marché du travail, elles sont loin d’être les mieux placées. Les deux sociologues expliquent, dans un langage accessible, ce paradoxe. éditions Points, 2006, 7 €. Philippe Meirieu, Célestin Freinet : Comment susciter le désir d’apprendre. Cet ouvrage offre un nouveau regard sur la pédagogie du XXe siècle. éditions PEMF, coll. L’éducation en question, 2001, 6,50 €.
2010
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AVEC CE RECTANGLE, PLUS BESOIN D’AVOIR UN ROND EN POCHE.
Agenda
21
Bâtir un avenir durable et solidaire Val Touraine Habitat, Office Public de l’Habitat d’Indre-et-Loire
s’engage pour préserver les grands équilibres de notre planète et pour mieux répondre aux attentes de ses locataires !
Agenda 1 Offrir des espaces de vie
21 : 21 mesures pour agir
diversifiés, propres et de qualité
7 Inciter aux énergies renouvelables
> Equiper, chaque année, 500 à 1000 logements
> Améliorer les espaces extérieurs
et la propreté générale.
avec des énergies renouvelables.
8 Limiter l’effet de serre
> Réaliser un diagnostic de performance énergétique (DPE) pour la totalité du patrimoine et engager les travaux d’amélioration prioritaires.
9 S’engager dans la construction de logements sociaux basse consommation
15 Développer l’accessibilité des loge-
ments, afin de répondre aux besoins liés au vieillissement et au handicap
> Apporter une offre de logements ‘‘adaptables’’ et des démarches simplifiées.
16 Informer, sensibiliser
et impliquer les habitants
> Organiser une réunion annuelle « Forum des locataires », s’inscrivant dans une démarche de dialogue, puis d’action avec les habitants.
> Programmer 100 % de constructions à basse consommation d’énergie à l’horizon 2011.
2 Améliorer l’accueil et le confort des locataires
> Personnaliser l’accueil du nouveau locataire et lui remettre un kit d’accueil incluant notamment une lampe basse consommation.
17 Intégrer mieux les jeunes dans la société
3 Contribuer à la dynamique
> Engager systématiquement la concertation avec les locataires, impliquer le plus possible les habitants dans les décisions.
4 Favoriser les démarches
participatives et collectives
> Mettre en place des budgets participatifs
avec les locataires pour encourager les initiatives en faveur de l’environnement.
5 S’inscrire dans la politique
d’aménagement du territoire en partenariat avec le Conseil général d’Indre-et-Loire et les collectivités
> Privilégier la mixité sociale et les transports collectifs, éviter l’étalement urbain.
6 Economiser les ressources
> Installer des systèmes d’économie
> Lancer, chaque année, un chantier «jeunes» pour favoriser l’accès à une meilleure formation.
10 Prévenir la santé des habitants
> Eliminer l’utilisation de produits chimiques pour
l’entretien des parties communes des immeubles et pour les espaces verts.
11 Maîtriser les charges
> Réduire les consommations électriques
des parties communes.
12 Favoriser le lien social
> Inviter les locataires à participer à certaines grandes manifestations de la Touraine.
13 S’engager vers la réduction
des inégalités et la solidarité > Recruter des Conseillères Sociales.
14 Renforcer la proximité de VTH
et de récupération de l’eau.
> Lancer, chaque année, une opération pédago-
gique de sensibilisation à l’environnement.
« Le développement durable est une occasion unique de refonder nos relations sociales, environnementales et économiques, en les rendant plus humaines, plus équitables. Ce défi, nous devons le relever ensemble ! » François CORNUZ Directeur Général de Val Touraine Habitat
> www.valtourainehabitat.fr
18 Permettre au personnel de VTH de se former aux enjeux
> Prévoir un plan de formation ‘‘développement
durable’’ pour le personnel de Val Touraine Habitat.
19 Être moteur du changement
et s’adresser à tous les acteurs
> Instaurer des conventions d’objectifs et de partenariat.
20 Répondre mieux aux attentes des
locataires et améliorer les procédures
> S’engager dans une procédure « Contrat de confiance ».
21 Engager une démarche
d’exemplarité et d’expérimentation
> Adapter progressivement les bâtiments adminis-
tratifs de VTH (siège et agences) aux économies et proposer aux agences de devenir pilote.
Renseignements / contact :
Eric THOMAS
Chargé de mission Développement Durable Tél. : 02 47 87 15 08 eric.thomas@valtourainehabitat.fr
Création : Mille-et-une.fr
des quartiers et à la responsabilisation des locataires