Innova n°19 : Femmes et politique, encore un effort

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Hors série Sésame - mai 2012 - n° 19 - 2 euros

MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - école publique de journalisme de tours/IUT

TOURS

Femmes et politique & politique

ISSN 0291-4506

encore un effort citoyennes

Dossier

elles témoignent de leur époque /p.16

de nombreuses contraintes ralentissent la carrière des femmes /p.25

de 1945 à nos jours

parcours de combattante(s)

rouen

cité de parité

la municipalité lutte contre le sexisme /p.16


TOURS MAGAZINE ANNEE SPECIALE ET LICENCE EN JOURNALISME - école publique de journalisme de tours/IUT

Hors série Sésame - mai 2012 - n° 19 - 2 euros

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édito femmes d’hier, femmes d’aujourd’hui Femmes et politique. Une alliance qui prête à controverse. De discussions en désaccords, les dissensions au sein de la rédaction ont davantage été une question de générations que de genre. Entre la rédaction en chef et les étudiants, les visions divergent. La première, féminine, féministe et imprégnée d’un esprit soixante-huitard, pense que l’accession au pouvoir est pour les femmes une véritable croisade. Trop d’obstacles à surmonter : vie de famille, travail, tâches ménagères, etc. Pour nous, étudiant(e)s de 25 ans, la situation n’est pas si radicale. De nos rencontres avec les actrices de ce magazine, nous dressons un constat plus optimiste. Certes, les inégalités persistent mais les avancées ont été nombreuses. Et les mentalités changent. Petit à petit, l’égalité ­s’impose d’elle-même. Au lieu d’un constat « Nous dressons amer qui incrimine une un constat plus organisation masculine optimiste » de la société, pourquoi ne pas être attentif aux petites inégalités quotidiennes et invisibles ? Et lutter contre. Ensemble. Faut-il absolument vivre soi-même une inégalité pour mieux la comprendre ? Vaste sujet. L’équipe rédaction d’innova


sommaire

Innova - mai 2012 - n°19 - Femmes et politique, encore un effort

[4] Michelle Perrot

portfolio [21]

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l’historienne analyse l’avancée des femmes en politique.

[6] Vote des femmes

Elles ont une vie bien remplie et veulent donner une autre image de la politique. Plongée dans le quotidien de femmes maires en milieu rural.

[10] tunisie

Le printemps arabe n’y a pas apporté la parité. Et les femmes sont aujourd’hui partagées entre crainte et espoir.

[13] tourangelles Trois femmes de pouvoir : marisol Touraine, Claude greff et Marie-France beaufils.

[16] rouen

Là bas, le maire est une femme. Et la parité de mise.

Style [38]

Quand ça freine...

Le look est une affaire de candidat(e)s. Décryptage en images.

pratique [41] billet [43]

Stéréotypes p/26

Des livres aux publicités, des jouets aux vêtements, la vie quotidienne regorge de stéréotypes. Quand ils deviennent des réflexes, difficile de sortir du carcan de ces idées reçues.

Quand les magazines féminins parlent de sexualité à leur façon.

travail p/29

Emplois précaires, temps partiel, maladies professionnelles, écarts de salaire… Le monde du travail ne connaît toujours pas l’égalité des genres. Tour d’horizon des obstacles rencontrés par les femmes.

tâches domestiques p/33

Jérémie Fulleringer

De l’obtention du droit de vote à la présidentielle de 2007, les femmes racontent l’histoire de leur citoyenneté.

Laure Colmant

Laure Colmant

médias [36]

Petite incursion dans un couple particulier, celui des femmes journalistes et des hommes politiques. Entre connivence et professionalisme.

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à la maison, même si l’écart s’est réduit, les femmes travaillent toujours plus que les hommes. Surtout, les tâches qui leur sont dévolues sont les moins valorisées. p/34

Michèle Barzach, édith Cresson, Françoise Giroud, et Yvette Roudy… Passages éclairs ou longues carrières, quatre anciennes ministres témoignent de la difficulté d’être une femme au pouvoir.

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Rémi Canali

Pauline Lefrançois

VERbatim

INNOVA Tours n°19 Hors série Sésame, mai 2012, Année spéciale et Licence de journalisme, école publique de journalisme de Tours/IUT, 29, rue du Pont-volant, 37002 Tours Cedex, Tél. 02 47 36 75 63 ISSN n° 0291-4506 Directrice de la publication Claudine Ducol. Rédactrice en chef Laure Colmant. Coordination Hélène Lafarie, Frédéric Pla. Rédaction Margaux Baralon, Anthony Bonnet, Rémi Canali, Thibaut Cojean, Romain Delacroix, Anthony Fillet, Jérémie Fulleringer, Frédérik Hufnagel, Benoît Jacquelin, Pauline Lefrançois, Gwendal Le Ménahèze, Leïla Marchand, Olivia Mongin, Roxane Nicolas, Léo Potier, Xavier Ridon, Pierre-Alain Trochu. Secrétariat de rédaction Anthony Bonnet, Romain Delacroix, Anthony Fillet, Frédérik Hufnagel, Gwendal Le Ménahèze, Pauline Lefrançois, Olivia Mongin, Léo Potier, Pierre-Alain Trochu. Maquette Margaux Baralon, Rémi Canali, Thibaut Cojean, Roxane Nicolas, Xavier Ridon Iconographie Jérémie Fulleringer, Gwendal Le Ménahèze. Photo ­couverture Jérémie Fulleringer. Publicité Romain Delacroix, Léo Potier. Imprimeur Alinea 36, Châteauroux. R­ emerciements Alain Bachellier, Virginie Caillé de « C’est vous », Elisabeth Lambert, Michel Monteaux et Plantu.

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eNTRETIEN

«  l’arrivée des femmes en politique dérange mais ne choque plus » femmes et politique, une histoire qui a mis du temps à entrer dans les mœurs. Il y a eu des symboles, comme Simone Veil et Ségolène Royal. si beaucoup de chemin a été parcouru, la route est encore longue. Analyse avec Michelle Perrot, historienne et féministe française. Après avoir été laissées dans l’ombre de l’histoire pendant des siècles, les femmes sortent-elles du silence aujourd’hui ?

Le mot « histoire » désigne à la fois ce qui s’est passé et le récit qui en est fait. Si les femmes ont toujours été présentes au cours de l’histoire, elles ont été complètement absentes des récits. Tout l’effort des historiens contemporains a été de les faire apparaître, en se posant de nouvelles questions. C’est dans les années soixante-dix que s’opère ce tournant. L’histoire des femmes est alors devenue l’histoire des genres, c’est-à-dire de la différence entre les sexes. Les

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hommes et les femmes doivent être considérés ensemble. Pour parler des femmes en politique, par exemple, il faut aussi parler des hommes. Sinon cela n’a pas de sens. Les femmes ont rencontré de nombreuses difficultés pour participer à la vie politique française depuis 1789. Quand cela a-t-il commencé à évoluer ?

Au XIXe siècle, le temps n’était pas à l’égalité politique, mais à l’égalité civile. Cependant, on ne peut pas séparer les droits civils et politiques, les premiers menant souvent aux seconds. Le droit à l’éducation par

exemple, devait permettre aux femmes de s’émanciper de l’influence de l’église et, à terme, d’acquérir le droit de vote. Avant, en France, l’idée que les femmes n’étaient pas autonomes mais soumises à leur confesseur prévalait. Le droit de vote en 1945 était donc aussi la reconnaissance de l’individualité des femmes. Et la clef de nombreux progrès. Pourquoi, après avoir acquis le droit de vote, les Françaises ont-elles mis si longtemps à s’engager véritablement dans l’exercice du pouvoir ?

Dans les années soixante-dix, les femmes n’étaient pas attirées par


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entretien

Ces femmes qui s’engagent en politique font-elles peur ?

La politique est un domaine viril, comme le sport ou la finance. Ces secteurs sont les derniers bastions du pouvoir masculin. Lorsqu’on y voit apparaître des femmes, cela suscite des réactions de défense. Cependant, l’arrivée des femmes en politique dérange mais ne choque plus. Et certaines ont contribué à revaloriser l’image de la femme politique, comme Ségolène Royal ou Rachida Dati, qui sont belles mais sans concession. Des femmes qui assument leur ambition. Les femmes n’ont-elles pas justement manqué d’ambition dans le domaine politique ?

Avant subsistait l’idée que les femmes n’étaient pas faites pour la politique, que c’était bien trop violent pour elles. Lorsqu’on ne va pas vers quelque chose, on a tendance à le minorer. C’est ce qui s’est passé pour les femmes vis-à-vis de la

Michèle perrot

la vie politique est souvent nocturne. Ce n’est pas commode pour des femmes jeunes avec des enfants.

Les femmes ont plus de liberté, elles s’affirment, sont conscientes d’elles-mêmes, libres et ­revendicatrices

L’histoire de l’entrée des femmes en politique est émaillée d’avancées et de reculs. Aujourd’hui, est-on dans une phase de progrès ?

Nous sommes dans une phase difficile pour les femmes, pour ne pas dire régressive. Mais il faut éviter l’idée du complot contre les femmes. Ce ne sont pas que des victimes, mais aussi des actrices. La question du consentement est au cœur de la problématique des genres. Est-ce que l’on consent à la dévalorisation ? Certaines femmes n’ont simplement pas envie de se battre et préfèrent le rôle de protégées. Cette résignation des femmes peut les empêcher d’être revendicatives.

politique. Encore aujourd’hui, beaucoup de femmes se disent qu’elles ont mieux à faire, que cela ne vaut pas le coup. De plus, s’il est admis que les femmes aient de l’ambition professionnelle, l’ambition politique n’est pas si bien vue. Parce que la politique garde une connotation masculine. On assiste donc à un désinvestissement, mais seulement au niveau de l’exercice du pouvoir. Car les femmes, en tant que citoyennes, sont très investies. C’est au niveau de la représentation que cela bloque, avec une différence notable entre le niveau national et le niveau local, où elles sont davantage présentes.

Finalement, ne faut-il pas « pousser » les femmes vers la politique en prenant des mesures, comme la loi sur la parité ?

Comment expliquer ce plus fort engagement au niveau local ?

C’est une politique de proximité, plus proche de la vie, plus concrète. De plus, la conciliation des rôles est au cœur de la pratique féminine du pouvoir. Il est plus facile pour les femmes de concilier leur vie professionnelle et leur vie privée en étant au niveau local. Si on s’engage au niveau national, il faut quasiment s’installer à Paris. Les séances à l’Assemblée nationale n’en finissent pas, photos : Jérémie Fulleringer

la politique. Elles avaient d’autres priorités, se concentraient sur le privé, l’autonomie du corps. Certes, il y a eu des femmes au pouvoir sous Valéry Giscard d’Estaing, comme Françoise Giroud ou Simone Veil. Mais si ces premiers pas ont été utiles pour ces femmes, elles n’en étaient pas à l’origine. De plus, elles n’étaient chargées que de ministères « pour femmes » comme celui de la Santé ou de la condition féminine. Ce n’est qu’à partir des années quatre-vingt qu’elles vont s’avancer de manière plus résolue.

Les mesures incitatives sont importantes, mais c’est dans l’évolution des mentalités que s’opérera vraiment un changement. Quand les femmes seront égales aux hommes en politique, la loi sur la parité disparaîtra. Aujourd’hui, les règles mises en place ne suffisent pas puisque certains partis préfèrent encore payer une amende plutôt que respecter la parité. Malgré tout, il ne faut pas être catastrophiste, beaucoup de chemin a été parcouru. Les femmes ont plus de liberté, elles s’affirment, sont conscientes d’elles-mêmes, libres et revendicatrices, y compris sur le plan politique. Les évolutions se font plus par petites touches que par des mesures incitatives. La parité en politique n’est pas le stade ultime de l’égalité homme-femme. Il existe un domaine encore plus difficile à conquérir pour les femmes que celui de la politique : le pouvoir économique et financier. La politique ne fait pas tout. Finalement, réfléchir à la place des femmes en politique, c’est réfléchir à leur place au sein du système économique et social. propos recueillis par Margaux Baralon

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histoire

vote des femmes

de l’isoloir à l’élysée Le 29 avril 1945, les françaises votent pour la première fois, près d’un siècle après les hommes. Trente ans plus tard, leurs filles arracheront le droit à l’avortement. Et il faudra encore plus d’une génération pour que les électeurs puissent voter pour une femme au second tour d’une election présidentielle. Des avancées fondamentales qui ne font pas l’égalité. « Enfin, les femmes vont pouvoir ­voter. » Solange Ducol a 22 ans et elle se réjouit d’exercer un droit ­obtenu de haute lutte, un quart de siècle après les Américaines et bien plus tard que la plupart des Européennes. Cette ­enseignante d’un village tourangeau vivait jusque-là une situation paradoxale : en cours d’instruction ­civique, elle devait ­enseigner aux ­enfants une citoyenneté qui lui était refusée. « Une femme comme Marie Curie n’avait pas le droit de vote, alors que le gars du coin, qui passait un peu trop de temps au bistrot, pouvait, lui, ­s’exprimer. » Aujourd’hui, à 89 ans, la vieille dame s’indigne encore de cette « grande ­injustice ». Pour ce premier vote, elle se souvient que les choses se sont faites ­naturellement. Ni remarque ni regard désapprobateur de la part des hommes. Et ce nouveau droit, elle l’a vécu comme « un grand soulage-

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ment ». Mais avoir le droit de vote ne signifie pas pour autant être l’égale de l’homme. « On était habitué à vivre avec les inégalités, se souvient Marinette Canali, 90 ans. La femme était à la maison mais ça ne posait pas de problème. » à cette époque, peu de femmes travaillaient et leurs études étaient courtes. Dans cette France plutôt rurale, il était difficile d’atteindre l’égalité. « Dans l’agriculture, les hommes ont toujours un peu ­dominé. Ils étaient les patrons », ­explique Marie-Thérèse Legendre, 86 ans et femme de ­cultivateur. Encore largement cantonnées chez elles, les femmes sont plus ­naturellement conservatrices et trouvent souvent refuge dans la ­religion. Un milieu qui influence leurs premiers suffrages. « Le vote féminin est ­décalé vers la droite, plus globalement conservateur que le vote masculin. Et les femmes s’abstiennent

ce badge était porté en 1944 par les ­militantes réclamant le droit de vote pour les ­citoyennes françaises.

davantage », note Louisette Blanquart*. Aux ­législatives de 1946, 53 % des femmes votent pour la gauche contre 65 % des hommes. Elles sont également plus nombreuses à s’abstenir. Ce décalage s’explique en partie par le manque de formation politique. Il fallait s’occuper des enfants, des tâches ménagères, on avait moins le temps de s’intéresser à tout ça », se rappelle Marinette Canali. Trente ans plus tard, leur intérêt pour la politique a bien grandi. ­élisabeth Maugars, 58 ans, fait ­partie d’une génération qui éprouve un ­besoin viscéral d’émancipation. « En 1968, nous ­habitions à Tours. Mon père et mes frères étaient en grève. L’école était fermée et nous passions beaucoup de temps devant la télévision. Ça m’a permis de réfléchir au monde qui m’entourait. J’avais 14 ans. Mes idées politiques étaient définies bien avant que je puisse les exprimer


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histoire dans les urnes. » Si les femmes des années soixante-dix ont pu s’émanciper, leurs mères n’y étaient souvent pas étrangères. « Par les études et le travail, maman m’a toujours poussée à être indépendante financièrement, explique Marie-Christine Médina, retraitée de 63 ans. Elle voulait que j’aie une meilleure vie qu’elle. » Les femmes accèdent massivement au monde du travail. Une véritable ­révolution qui leur permet enfin de sortir de chez elles et ainsi participer à la vie de la cité.

Ces années voient apparaître la deuxième vague de féminisme. Le droit à la contraception en 1967, ­l’autorité parentale conjointe en 1970, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et le divorce par consentement mutuel en 1975, des avancées qui ­offrent à la femme la maîtrise de son corps ainsi qu’une plus grande reconnaissance juridique et familiale. Le combat pour l’IVG a profondément marqué la vie de Michelle ­Hufnagel, 65 ans. D’abord enseignante, puis secrétaire dans une usine et enfin journaliste à La Montagne, elle se souvient d’une période où les avortements clandestins étaient fréquents. « à l’usine, des collègues perdaient leur gosse dans les toilettes. Elles s’injectaient un mélange d’eau savonneuse et de soude.

En 1945, solange ducol vote pour la première fois. Une citoyenneté longtemps désirée Et qu’elle a concrétisée en étant élue municipale pendant près de vingt-cinq ans.

Gwendal le menaheze

Les femmes s’émancipent

Nous en aidions d’autres à partir en siques inférieures, cerveau plus petit Suisse pour se faire avorter. D’autres que celui des hommes. » L’influence encore arrivaient à l’hôpital l’appareil des discours marxistes repousse génital mutilé par une tentative ­aussi le débat. Pour eux, l’égalité d’avortement. » n’est pas une ­urgence Autre révolution pour puisque la femme sera ces jeunes femmes qui libérée ­naturellement, ­rêvent de liberté : la ­pilule avec la libération du Michelle hufnagel contraceptive. « J’ai eu une prolétariat. « à l’usine, jeunesse en or, raconte Un niveau scolaire des collègues plus élevé, une indépenMarie-Christine Médina, jeune infirmière dans les perdaient leur dance acquise grâce au années soixante-dix. On gosse dans les ­travail, une société miliprenait la pilule et le Sida toilettes. Elles tante où tous les n’était pas encore là. Nous é b a t s  s o n t  p e r m i s . ­s’injectaient ­d« Personne pouvions faire toutes les n’était en deun ­mélange hors du coup », ­assure ­expériences possibles et d’eau élisabeth Maugars. Et imaginables. » Malgré d’indéniables ­savonneuse et d’ajouter : « Dans ma avancées, l’égalité n’arrive de soude » jeunesse, on allait beaupas à s’imposer. Michelle coup à l’église, mais à Hufnagel s’est longtemps force de discussions et battue pour l’égalité des salaires dans de ­réflexion, on a fini par s’en éloil’usine d’embouteillage où elle tra- gner. » Ces mutations ont plongé les vaillait. « Mais les syndicats étaient femmes dans un nouveau rapport à la dirigés par les mecs, les partis aussi. vie de la cité. « Ma mère a vu ses deux Et l’égalité à ce niveau n’était pas leur filles vivre pleinement leurs droits priorité. » Pour justifier cette diffé- alors que la droite ­menait des camrence de salaire, les ­explications sont pagnes très dures contre ça. Cela l’a peu convaincantes : « Capacités phy- sûrement beaucoup ­influencée et elle

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HISTOIRE s’est mise à voter à gauche », explique ­élisabeth Maugars. à partir de la présidentielle de 1974, les femmes se ­déplacent aux urnes autant que les hommes. L’écart entre les votes masculin et féminin se réduit rapidement. Il disparaît même chez les moins de 35 ans : 59 % des hommes votent à gauche, contre 58 % des femmes. Cette même année, Arlette Laguiller devient la première candidate à la présidence.

LE 6 octobre 1979, à paris, plus de 50 000 femmes manifestent en famille pour le maintien de La loi veil. celle-ci sera définitivement adoptée le 30 novembre 1979.

dans les cabinets ministériels sont occupés par des femmes en 1992, contre 15 % en 1981. Une stratégie gagnante puisque le vote ­féminin se tourne de plus en plus vers la gauche. En 1981, Patricia Dumont travaille auprès d’une mission locale pour les jeunes. « C’était mon premier vote. Je

Gwendal le menaheze

Valéry Giscard d’Estaing, élu de justesse président de la République, souhaite séduire un électorat féminin qu’il voit se tourner vers la gauche. Il crée un secrétariat d’état à la condition féminine. Pour ­Michelle ­Hufnagel, « c’était très ­habile. Il ­savait que ça bougeait et a été obligé de ­lâcher du lest. Mais cela ne ­répondait pas vraiment à nos attentes. Nous étions dans des combats plus spé­ cifiques, comme l’IVG ». IVG qui sera totalement légalisée sous sa ­mandature. Son successeur, François Mitterrand, a mieux compris ­l’importance à accorder aux femmes. Il leur donne une large place dans son programme électoral et crée en 1981 le ministère des Droits de la femme. Même si leur représentation au pouvoir reste faible, il tente de ­féminiser la politique par le haut : 30 % des postes

Laure colmant

Les premières ministres

Ce n’est qu’en 1972 que Marie-Christine Médina a pu prendre la pillule contraceptive. Il avait fallu cinq ans pour que la loi neuwirth, votée en 1967, soit appliquée.

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regardais ce qui se passait, les changements qui avaient lieu. Et j’ai choisi de voter socialiste. » Une montée du vote féminin de gauche confirmée aux législatives de 1986, malgré la victoire de la droite. C’est à cette date que les courbes se croisent. Ensuite, les électrices votent plus à gauche que les électeurs. à la présidentielle de 1988, 51 % des voix féminines, contre 47 % des suffrages masculins. Un basculement qui dure jusqu’en 1993, date à partir de laquelle le genre n’est plus un déterminant majeur du vote. Excepté pour le Front national, qui recueille, ­depuis sa création, beaucoup moins de suffrages chez les femmes. En 2002, si seules les électrices avaient voté, Jean-Marie Le Pen n’aurait pas atteint le second tour. Au contraire, si seuls les hommes s’étaient exprimés, il serait arrivé en tête du premier tour. Les femmes conquièrent petit à petit leur place dans la société. Elles ­investissent les écoles de prestige, prennent la tête de mouvements ­sociaux, etc. Symbole de leur poussée dans le monde politique, édith


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HISTOIRE

D. R.

en 1981, patricia dumont a voté socialiste. à 19 ans, Elle était déjà maman et divorcée.

­ arine Le Pen parle ainsi ­« d’IVG de M confort ». Aujourd’hui, le féminisme, comme la politique, est moins une question de genre que de génération. En ­témoigne la présidentielle de 2007 : 70 % des femmes âgées de 18 à 24 ans ont voté ­Ségolène Royal au second tour (contre 57 % des jeunes hommes). Et 70 % des femmes de plus de 75 ans ont voté ­Nicolas Sarkozy alors que les hommes du même âge n’étaient que 64 %. L’avenir des jeunes femmes politiques, sans être acquis, semble tout de même de moins en moins compromis. « Elles sont plus fortes car elles se battent ensemble, constate Marie-Christine Médina. Il y a vingt ans, les femmes étaient seules, c’était un combat beaucoup plus difficile. » La question de l’égalité reste ancrée chez les plus jeunes générations. Mais peu de femmes réclament une loi pour la ­parité, la plupart estimant qu’« elle se fera de manière naturelle, même si on ne doit pas hésiter à pousser les portes ». Certes, mais la loi votée en 2000 a toutefois ­accéléré un processus qui, sans elle, aurait été beaucoup plus long. En 2008, grâce à cette contrainte, en France, toutes ­communes confondues, 35 % des conseillers municipaux sont des conseillères, contre 25 % en 1995.

Gwendal le menaheze

­ resson est nommée Premier mi- de journaliste, je n’ai ­jamais pu accéC nistre en 1991, après avoir été mi- der aux postes à responsabilités, renistre de l’Agriculture. Elle restera en grette ­Michelle Hufnagel. Le salaire poste moins d’un an, malmenée par était donc moindre et à présent je le les ­médias et ­lâchée par la classe ressens sur ma ­retraite. » ­politique. « Les hommes présentaient La place des femmes est-elle une certaine bienveillance mais aussi mieux définie ­aujourd’hui ? Anastasia une crainte à l’époque où les femmes ­Sabine, étudiante de 25 ans, juge ­essayaient de prendre du pouvoir », qu’« une femme est obligée d’en faire estime ­Véronique Bonnafoux, 50 ans. plus qu’un homme pour une reconDans les hautes sphè­ naissance égale ». ­Raphaëlle res, la femme n’est tou­Lépineux, 23 ans, a choisi jours pas l’égale de de soutenir Ségolène Royal Raphaëlle Lépineux l’homme. Même locaen 2007. « Parce que c’est «Ce n’est pas une femme. Mais ce n’est lement. Dans les années quatre-vingt, le le fait d’avoir pas le fait d’avoir un ­vagin maire de Saint-Cyrun pénis ou ou un pénis qui va changer sur-Loire propose à un vagin qui la manière de faire de la po­M a r i e - C h r i s t i n e Quant aux droits Thibaut COJEAN, Gwendal va changer litique. » ­Médina un poste de ­obtenus dans les années LE MéNAHèZE et Roxane NICOLAS la manière conseillère. Elle refuse, soixante-dix, s’ils sont Catholique pratiquante, Louisette Blancard de faire de la ­aujourd’hui ­admis, ils peu- (*) ne souhaitant pas « être perd la foi en 1953. Membre de la CGT et du PC, politique» vent être remis en question : elle d­ evient rédactrice à L’Humanité en 1970. cantonnée à la famille, à l’éducation ni à la ­communication », les seuls postes, ou presque, offerts aux femmes. « Je m’intéressais à l’urbanisme, mais c’était une affaire d’homme », regrette-t-elle. Solange Ducol, elle, a été conseil­ lère municipale à plusieurs ­reprises. à Vernou-sur-Brenne, près de Tours, elle est en charge de l’éducation pendant dix-huit ans. Rien de plus normal pour la directrice de l’école primaire. Mais au sein du conseil, pour un total de dix-sept personnes, « il n’y avait que trois ou quatre femmes, et on nous laissait évidemment que très peu de ­responsabilités ». Dans le milieu du travail, les inégalités persis- au bourget, le 22 janvier 2012. parmi les 25 000 personnes présentes, beaucoup ­de jeunes tent également. « Dans mon métier femmes. Pas encore en âge de voter en 2007, elles se font entendre en 2012.

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I Tunisie : faux départ International

pour la parité

illustration : Jérémie Fulleringer

Elles ne sont que trois dans un gouvernement de quarante-deux membres. Pour les Tunisiennes, le printemps arabe n’a pas marqué la victoire du combat en faveur de l’égalité hommes-femmes, malgré le vote d’un texte pour la parité électorale unique dans le monde arabe. L’actuelle période de transition se présente comme un deuxième round dans lequel elles ne doivent pas baisser leur garde.

En Tunisie, le premier vote démocratique de l’histoire de ce pays, n’a pas été favorable aux femmes. Elles ont obtenu 50 des 217 sièges de l’Assemblée constituante élue en octobre dernier. Et elles ne sont que 3 dans un gouvernement de 42 membres où les représentants du part i islamiste modéré Ennahda occupent les principaux postes. Blogueuses, porteuses des pancartes « Ben Ali dégage ! », libres, cheveux au vent, elles furent pourtant aux avant-postes de la révolu-

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tion tunisienne en janvier 2011. Une révolution fortement marquée par les exigences universelles de ­liberté, d’égalité, de justice. Et tous les observateurs d’alors l’ont remarqué : ce n’est pas au nom de Dieu mais de la dignité que les Tunisiens sont descendus dans la rue. Déjà bien organisé, le mouvement féministe a su ­tirer avantage de leur mobilisation. Après la fuite de Ben Ali, la préparation des élections pour l’Assemblée constituante a été marquée par un événement inouï dans le monde

arabe : l’adoption d’un texte pour la parité homme-femme sur les listes électorales. Texte voté à une très large ­majorité, dans l’enthousiasme et sous les applaudissements, le 11 avril 2011. Sophie Bessis, historienne et membre de cette Haute Instance chargée de définir la loi électorale se souvient : « Nous venions de remporter une très grande victoire. Les femmes allaient pouvoir forger l’avenir ­politique de la Tunisie. » Un an après, la désillusion est grande. La réalité des urnes a dissipé


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International le mirage de la parité. Sophie Bessis constate, amère : « Cela montre, avec d’autres signaux, que la Tunisie, dans la période actuelle, n’est pas sur une trajectoire de progrès. »

Un conservatisme latent

retourne chez sa mère : « J’ai montré mes bleus. Mes frères ont dit OK. J’ai décidé de ­divorcer. » Nabila vit ­aujourd’hui à Tunis : « Si j’étais restée à Ghardimaou, je n’aurais pas pu ­divorcer, dit-elle ­aujourd’hui. Les pressions auraient été trop fortes. » « Le conservatisme de la société était latent », remarque le sociologue Mehdi Jlassi3. « Il s’était effacé face au progressisme de Bourguiba et a été camouflé par le populisme de Ben Ali. Prendre en compte le traditionalisme d’un segment de la société fait partie de la nouvelle réalité tunisienne. » Le parti Ennahda, vainqueur des élections, interdit sous Ben Ali, a su surfer habilement sur ces contradictions. Il a voté pour la loi sur la parité et a assuré que la loi islamique, la charia, ne figurera pas dans la nouvelle Constitution. L’été dernier, le gouvernement provisoire a levé les réserves de la Tunisie sur la Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). « Le parti ne touchera pas au Code du statut personnel, assure l’un de ses ­dirigeants, Ali Bouraoui, membre du bureau ­politique du parti. Si des ­acquis sont modifiés, ce sera Michel Monteaux

Désillusion qui est aussi à la ­mesure de l’histoire très particulière de la ­Tunisie. Bourguiba, le père de l’indépendance du pays, est le premier à jeter les bases de la modernité dans une société traditionnaliste et conservatrice. Dès les premiers mois de son accession au pouvoir en 1956, il fait promulguer le Code du statut personnel qui ­accorde des droits très avancés aux femmes : abolition de la polygamie, mariage avec consentement explicite des deux époux, ­divorce judiciaire à égalité entre hommes et femmes. Progressivement, les femmes obtiennent le droit de travailler, de se déplacer seules, de voter et d’être éligibles, d’ouvrir un compte en banque, d’avorter… Droits qui ne seront pas remis en cause par le successeur de Bourguiba, Ben Ali. Ces droits que d’aucuns qualifièrent de « féminisme d’état » sont-ils pour

autant entrés dans la vie ? « Ben Ali a vendu l’image des femmes tunisiennes comme il a agité l’épouvantail islamiste : par pure démagogie », soulignait, en janvier 2011 dans Le Monde Magazine, Khadija Cherif membre de l’association tunisienne des femmes démocrates. La Tunisie a, en effet, connu ces cinquante dernières années, en quelque sorte, un développement ­séparé ainsi décrit par Sophie Bessis : « Régions de l’intérieur délaissées par les élites ­côtières et oubliées d’un ­développement orienté vers l’extérieur, populations à la fois fascinées par le moderne et agrippées à des certitudes qui leur servent de rempart contre les inquiétantes inconnues de l’avenir. »1 L’histoire de ­Nabila Nasri telle que la rapporte la journaliste Catherine Simon2 est ­emblématique de cette société dissociée. Issue d’une famille pauvre de sept ­enfants, qui n’a même pas les moyens d’envoyer ses enfants à l’école dans un pays où la scolarisation est pourtant exemplaire, elle part comme bonne à Tunis. Retour trois ans après au village où on la ­marie avec un cousin du côté maternel. Parce que son mari la bat, elle

Les unes sont voilées, les autres pas. Mais elles veulent toutes plaire aux garçons. Paradoxales ?

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Michel Monteaux

International

pendant la révolution, cette femme hurle sa souffrance. elle pleure son fils, torturé par la police sous la dictature de ben ali.

pour donner aux femmes plus de libertés », ose-t-il même assurer. Les Tunisiennes des classes moyennes ­urbanisées, qui travaillent, ne s’effraient pas toutes de la puissance du parti islamiste. Loin de là. Hasna Benslama est professeure de littérature arabe. Elle porte le voile. Elle a donné sa voix à Ennahda. « En tant que femme tunisienne, je tiens à ma liberté, a-t-elle déclaré au journal Le Point. Je n’accepterai jamais la polygamie. Je n’accepterai jamais d’être privée de mon travail. »

L’ambigu parti Ennahda Les menaces sont pourtant bien réelles. Les salafistes, ces barbus ralliés à l’interprétation la plus obscurantiste de l’islam, tentent ­aujourd’hui d’imposer leur loi. Ils ont pris pour cible un des hauts lieux de l’égalité, de la liberté de l’esprit : la ­faculté de la Manouba à Tunis, n’hésitant pas à dégainer leurs sabres lors des affrontements qu’ils y ont provoqués en

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mars dernier, contre l’interdiction du port du niqab. Dans ce contexte instable, marqué par l’élaboration d’une nouvelle Constitution dont chacun mesure les enjeux et où chaque parti, chaque mouvement de la société civile tente de pousser son avantage et de ­modifier le rapport de forces, le parti ­Ennahda cultive l’ambiguïté : « Un jour il promet de respecter le Code du statut personnel, le lendemain il jure que la Coran est la Constitution », remarque Sophie Bessis. Pour l’historienne tout danger est loin d’être écarté : « L’article 1 de la Constitution actuelle, et qui sera ­reconduit dans la prochaine, dit expressément que la Tunisie est un état musulman. Un gouvernement conservateur peut parfaitement prendre appui sur cet article pour affirmer qu’aucune loi ne peut être contraire à l’islam. » Après des décennies de régime ­autoritaire, voire dictatorial, la ­société tunisienne fait aujourd’hui ­l’apprentissage difficile de la démo-

cratie dont la construction n’est ­jamais ­linéaire et où, comme le note Sophie Bessis, « les reculs suivent parfois les plus belles avancées ». Les femmes constituent aujourd’hui plus de 50 % de la population tunisienne. Elles sont majoritaires dans des professions aussi importantes pour l’avenir du pays que l’enseignement, la médecine, la magistrature. Les mouvements qui les représentent sont structurés et dynamiques. Et ont une revendication précise : inscrire dans la future Constitution l’égalité totale des sexes. Dans les mois à venir les Tunisiennes vont ­apprendre, comme dans tous les pays démocratiques, à ne compter que sur leurs propres forces pour changer leur vie. Leïla Marchand, Olivia Mongin et Pierre-Alain Trochu

(1) Préface de juillet 2011 à Habib Bourguiba. Un si long règne : 1957-1989. Sophie Bessis et Souhayr Belhassen. Groupe Jeune Afrique, 1988. (2) Le Monde Magazine, 29 janvier 2011. (3) Jeune Afrique, 7 juillet 2011. Remerciements au photographe Michel Monteaux pour le prêt de ses photos.


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Portraits

TROIS TOURANGELLES de pouvoir Le paradoxe Marisol Touraine

Intellectuelle et femme de terrain, calme tout en sachant être cinglante, la présidente du conseil général d’Indre-et-Loire cultive les contraires.

« C’est vrai qu’elle a pu surprendre. » Jean-Marc Pichon, secrétaire ­fédéral du parti socialiste d’Indre-et-Loire, l’avoue à demi-mot : les talons aiguil­ les de Marisol Touraine dans les fer­ mes comme sur les marchés du ­département ont étonné jusqu’aux militants socialistes. Ce qui n’a pas

Leo potier

Trois femmes, trois destins, trois sensibilités politiques différentes. mais une passion commune : être au service de la communauté.

empêché l’ancienne conseillère d’état de se faire rapidement adopter. Aux législatives de 1997, elle remporte la troisième circonscription face à l’ancien ministre UMP Jean-Jacques Descamps. Un an plus tard, elle permet à la gauche de conquérir pour la première fois le canton de Montbazon. Pourtant, « elle traîne une image de Parisienne parachutée, relève Olivier Pouvreau de La Nouvelle République. Mais c’est une femme de terrain. » Sans doute la raison pour laquelle elle a refusé de nous rencontrer, ne nous accordant que le temps de répondre à nos questions par mail. Ce n’est pas son seul paradoxe. Fille du sociologue Alain Touraine, passée par Sciences po et Harvard, cette ­intellectuelle ne rechigne pas à mettre les mains dans le cambouis.

En 2011, soutenue par Jean Germain, maire de Tours, et Jean-Patrick Gille, député d’Indre-et-Loire, elle n’a pas hésité, au prix de manœuvres politiques, à déboulonner Claude Roiron de la présidence du conseil général. « C’est une main de fer dans un gant de velours, décrit Christian Guyon, maire divers gauche d’Amboise. Elle a du caractère, du punch mais n’y va jamais à la hussarde. » Spécialiste des questions sociales, cette mère de trois enfants a choisi de s’engager au côté de François Hollande, « celui qui porte le mieux l’identité sociale-­ démocrate, réformiste, écologique que j’ai toujours défendue ». Certains la voient ministre. Elle préfère considérer qu’il faut « sauter les haies les unes après les autres ». Marisol Touraine est ambitieuse, mais prudente.

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atypique Claude Greff

Jérémie fulleringer

pORTRAITS

L’ancienne secrétaire d’état à la famille déroute depuis ses débuts politiques en Indre-et-Loire. Charismatique selon les uns, surévaluée selon les autres, Claude Greff est avant tout naturelle. Et singulière. « Madame sans gêne », « belle comme une p... », Claude Greff n’a pas été épargnée par le machisme en politique. La violence d’un monde qu’elle a découvert par « hasard », elle qui n’y connaissait « rien du tout », comme elle l’avoue très franchement. « C’est Philippe Briand (le maire UMP de Saint-Cyr-sur-Loire, NDLR) qui a ­repéré ma fibre politique lors des municipales à Tours en 2001. » Et puis, « une femme, ça faisait beau sur l’affiche », ajoute celle que la parité agace. Infirmière jusqu’à son entrée en politique, elle avait suivi son conjoint muté en Touraine. Son monde a longtemps été l’associatif, « l’engagement humain ». Alors, quand elle fut élue députée UMP en juin 2002 avec 53 % des voix, face à Jean-Jacques Filleul, une figure du PS local, la surprise fut grande.

claude greff

« Une femme, ça faisait beau sur l’affiche.» « Mon mari me disait qu’il serait déjà fier si je faisais 15 % », sourit-elle ­aujourd’hui. Le sourire, une de ses armes préférées. Claude Greff a le contact facile et le langage franc. « Elle a un grand charisme », souligne le député UMP Raymond Lancelin. « C’est une personnalité exubérante, chiraquienne, qui serre des mains », raconte Jean-Marc Pichon, premier secrétaire fédéral du PS. « Elle est ­capable de dire une énorme bêtise, puis de retourner la salle en sa faveur », confirme Olivier Pouvreau,

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journaliste au quotidien La Nouvelle République. Se définissant comme une « gaulliste humaniste », Claude Greff s’est engagée à droite pour « les valeurs de travail et d’effort ». « Tu es de droite, toi ? », se sont d’ailleurs étonnés certains de ses amis du monde ­associatif. « J’en ai même perdu quelques-uns depuis que je suis entrée en ­politique, ­regrette-t-elle. Mais je suis à droite et fière de l’être. » Issue d’une famille ­modeste de Meurthe-etMoselle, elle n’a pas fréquenté les grandes écoles. Et le ­revendique. Sa méthode à elle, c’est « le terrain, je ne suis pas la “fée Claude Greff ”, mais j’aime trouver des solutions pour les gens en difficulté. Une phrase de mon père m’a toujours guidée : “Je ne te demande pas de réussir, mais d’essayer”. » Au point d’être ­nommée, en juin 2011, ­secrétaire d’état à la Famille. Pour ses opposants, le costume est surdimensionné : « Elle brasse de l’air, critique son meilleur ennemi, maire d’Amboise, Christian Guyon. Ce qu’on attend d’un élu, c’est qu’il s’empare des dossiers et aille les ­défendre. » Elle, voit dans sa nomination le fruit du travail mené depuis des ­années à l’Assemblée nationale. Kit avant mariage, création de la maison pour les familles (regroupement des associations familiales en structures d’aide à la parentalité,), congé de parentalité à la carte (idée reprise par le présidentcandidat Nicolas Sarkozy), cette mère

de quatre enfants, se veut « pragmatique » et multiplie les initiatives. Tellement pragmatique qu’elle n’hésite pas à s’inspirer de sa famille : « Mes filles et mes belles-filles travaillent et cherchent des places en crèche. Leurs problèmes m’aident à rendre mon action concrète. » Affective, naturelle, battante mais refusant l’agression personnelle, Claude Greff entend redevenir députée lors des prochaines législatives. Et prouver à ses électeurs qu’elle n’a pas changé. « Même si ce n’est pas ce que doit rechercher une femme ­politique, j’aime bien qu’on m’aime. Madame sans-gêne était aimée du peuple », conclut-elle dans un dernier sourire.


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PORTRAITS

Marie-France BEAUFILS, la proximité en politique « Marie-France ! » à peine arrivée sur le marché, la maire de Saint-Pierredes-Corps est interpellée par son prénom. élection présidentielle ou problèmes de voirie, tous les sujets sont bons pour discuter avec elle. « Les gens n’attendent pas d’avoir un rendez-vous quand ils ont quelque chose à me dire, sourit-elle. Ces moments-là sont les meilleurs. » ­Arrivée à Saint-Pierre-des-Corps à la fin des années cinquante, dans le sillage d’un père facteur et militant CGT, MarieFrance Beaufils a créé une relation de proximité avec ses concitoyens et est réélue sans discontinuité depuis 1983. « Elle est réfléchie, discute et écoute beaucoup, souligne Martine Belnoue, sa première adjointe. Elle travaille à faire avancer les valeurs auxquelles elle croit, qu’il s’agisse du partage des richesses ou de la lutte

frédéric potet

« C’est un animal ­politique »

contre les inégalités. » C’est d’ailleurs cette dernière qui a poussé l’ancienne institutrice à adhérer au PC, en 1967. Très impliquée à un moment où le parti cherchait à promouvoir des femmes, c’est logiquement vers elle que se sont tournés ses camarades pour prendre la succession de Jacques ­Vigier à la tête de la mairie, en 1983. Depuis, elle a su imposer son style : directe, pudique, rigoureuse, libérale à l’égard de ses collaborateurs, elle s’impose sans en avoir l’air. Frédéric Potet, journaliste au Monde et auteur d’un blog sur la ville, parle d’un « animal politique ». Qui fait passer son engagement avant sa vie personnelle :

gwendal le menaheze

Difficile d’imaginer une élue plus identifiée à son territoire. CELLE QUI, DEPUIS MAINTENANT PLUS DE TRENTE ANS, EST sénatrice-maire de saint-pierre-des-corps, a une aura qui dépasse les clivages partisans.

« Mon mari savait ce que cela impliquait avant de m’épouser. » Connaissant ses dossiers sur le bout des doigts, elle est difficile à prendre en défaut, admettent ses ­opposants. « Contrairement à beaucoup de municipalités, ici, c’est ­Marie-France Beaufils qui donne le la, pas les services techniques », convient Patrick Bourbon, du NPA. Mais, comme l’écologiste Claude Prinet, il regrette qu’elle soit « plutôt dirigiste et peu ouverte aux propositions des autres ». Ainsi, le débat animé sur la gestion de l’eau : eux étaient favorables à une régie municipale, elle à une délégation de service publique avec Veolia. Une position étonnante pour une élue de gauche mais dictée par la volonté de ne pas augmenter la facture d’eau. «Il faut avoir le courage d’assumer des choix en accord avec ses convictions », commente Jean-Marc Pichon, maire-adjoint PS. Madame la maire a la confiance de ses électeurs. « Il y a des gens qui ne

voteraient pas PC au niveau national mais qui votent pour nous aux municipales », reconnaît-elle. Sénatrice depuis 2001, après avoir été vingt ans conseillère générale, elle est membre de la commission des finances au palais du Luxembourg. Un poste qui lui permet de « faire entendre ce qui se passe sur le terrain ». « Le PCF a la réputation d’être sectaire, mais Marie-France est une femme intègre et efficace », assure le maire divers gauche d’Amboise, Christian Guyon. Réélue aisément lors des dernières sénatoriales, elle jouit d’une estime qui dépasse largement les cercles de sa famille ­politique. Mais, attachée à sa ville, si elle devait choisir entre ses deux mandats, c’est celui de maire qu’elle conserverait. Une décision qu’elle ne prendrait toutefois pas sans en parler à ses camarades. portraits réalisés par anthony bonnet, olivia mongin et léo potier

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ROUEN, UNE maire DANS la ville

pauline lefrançois

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à Rouen, le maire est une femme et la parité une réalité. Autour de Valérie Fourneyron, adjoints et adjointes sont mobilisés pour la place des femmes dans la vie politique. Et dans la cité.

Rouen se réveille dans la fraîcheur printanière. Malgré le soleil, l’air est frisquet dans la rue Jean-Lecanuet, encore déserte. Au bout, la place du ­Général-de-Gaulle où trône la statue de Napoléon Ier. Face à ces grands hommes, l’hôtel de ville, où siège une femme. élue en 2008, Valérie Fourneyron, également députée ­socialiste, est la ­première maire de cette ville de plus de cent mille ­habitants. à son arrivée, Valérie Fourneyron applique la parité dans son équipe, composée de sept ­adjointes sur seize, sans que la décision soit perçue comme une discrimination ­positive : « Tout est affaire de ­volonté poli-

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tique. Pour moi, il s’agissait de constituer une équipe paritaire d’adjoints. C’est plus facile quand c’est un ­premier mandat. C’est plus compliqué quand il s’agit d’un renouvellement où il faut “sortir” des hommes qui n’ont aucunement démérité », ­explique-t-elle. De plus, certaines de ces élues se sont vu attribuer des postes traditionnellement octroyés aux hommes. Un geste fort, récompensé l’année dernière par la Marianne d’or de la parité. Un prix décerné à la ville par le réseau national Elles aussi (voir encadré page ci-contre). Concrètement, à Rouen, c’est une femme qui

est en charge de la ­Sécurité publique et de la Propreté. Une autre, Emmanuèle Jeandet-­Mengual, est devenue ­adjointe aux Finances, à l’Emploi et à l’Insertion professionnelle. « Je n’y connaissais rien du tout. Je n’avais ­jamais géré de budget », ­indique cette énarque qui a travaillé au sein des ­cabinets ministériels de Claude évin et de Martine Aubry et qui a terminé sa carrière professionnelle à l’Inspection générale des ­affaires sociales (Igas) en 2010. A-t-elle été placée à ce poste parce qu’elle est une femme ? Elle ­répond par la négative. Valérie Fourneyron renchérit : « Quand on a ­occupé, comme c’est le cas pour


­ mmanuèle, les plus hautes foncE tions administratives, qu’on a une excellente connaissance des rouages ­publics et qu’on porte haut la place des femmes dans la vie politique, on peut découvrir avec réussite un champ public qui vous était au préalable peu connu. Le genre de l’élu n’a absolument rien à voir avec la ­délégation. La confiance – priorité ­absolue –, l’écoute – qualité souvent plus ­développée chez les femmes –, la compétence, le travail collectif, doivent être les seuls critères. »

Chacune a son poste

EN 1992, six associations féministes se rassemblent pour défendre la place des femmes en politique. Elles créent « Elles aussi ». Ce réseau récompense les communes qui respectent le mieux la parité au sein de leur exécutif par une Marianne d’or. Rouen l’a obtenue pour sa représentation paritaire à l’intérieur de la « Créa », la communauté d’agglomération rouennaise. la ville de Saint-étienne a aussi été primée.

rante heures hebdomadaires dans son cabinet ­médical : « J’ai deux ­enfants qui, au ­moment de ma nomination, étaient au lycée. J’ai beaucoup culpabilisé car j’avais le sentiment de perdre les derniers ­moments que j’avais à ­passer avec eux à la maison. » Tiraillée entre ses vies professionnelle, familiale et ­politique, Christine Argelès ne regrette pourtant rien. Comme sa collègue, Emmanuèle Jeandet-­Mengual, elle est persuadée que la parité est une bonne chose dans « ce monde d’hommes qui ne veulent pas se remettre en cause ». Elle sait qu’elle n’a pas été choisie uniquement parce qu’elle est une femme, mais bien pour ses compétences. Le dossier de la parité, Hélène Klein, adjointe chargée des Droits des femmes, le porte à bout de bras. En 2009, un diagnostic est réalisé au XAVIER RIDON

Tous les jeudis matin, Emmanuèle Jeandet-Mengual réunit dans son ­bureau la direction des finances. Ce jour-là, elle raconte, café à la main, le match de hockey sur glace auquel elle a assisté la veille. Ce sport est une institution à Rouen. Les Dragons est une des meilleures équipes en France et les Rouennais y sont très attachés. L’ambiance, conviviale et décontractée, redevient sérieuse quand l’adjointe passe à l’ordre du jour : les ­emprunts toxiques. Sujet délicat. En effet, la ville est lourdement endettée.

marianne d’or

Emmanuèle Jeandet-Mengual cerne bien le dossier. Elle plonge le nez dans les tableaux de chiffres et dans le cahier où elle prend toutes ses notes. Ses collaborateurs lui apportent leur analyse technique. Mais c’est à elle que revient la décision et c’est elle qui donne l’orientation politique. Elle a appris. Comme les autres. Christine Argelès, adjointe aux écoles, à la Petite Enfance, aux Centres de loisirs et à la Jeunesse, est médecin généraliste. Elle n’a pas voulu abandonner son activité professionnelle quand Valérie Fourneyron l’a nommée adjointe. « Accéder à ce type de poste est une chance unique, mais s’il n’y avait pas eu la ­parité, je n’aurais pas été là », confie-t-elle. Cette mère de famille passe une vingtaine d’heures par semaine à la mairie, en plus de ses trente-cinq à quae-

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de gauche à droite : Simon fortel, directeur des finances ; Marylin hesri, directrice ­ djointe ; emmanuèle Jeandet-mengual, maire-adjointe aux finances et laurent basso, a directeur du management des ressources de la ville.

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XAVIER RIDON

le 9 mars 2008, Valérie fourneyron est élue dès le 1er tour, avec 55,79 % des voix.

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l’égalité entre hommes et femmes grâce à mise en place de ­débats et d’ateliers. Hélène Klein est convaincue du bienfondé de ces actions, même si elles font sourire certains élus lors des réunions du conseil municipal. « évidemment que je passe à la trappe avec mes problèmes de genre », reconnaît-elle. Les moyens humains et ­financiers manquent. « C’est un point de ­désaccord avec la maire. Elle a nommé une chargée de mission pour faire un une fois par mois, la maire préside les réunions du diagnostic sur les ques- conseil municipal qui compte cinquante-cinq membres. tions d’égalité, mais rien d’autre. » Elle sait néanmoins que, si blèmes de voirie et de nuisances le maire n’avait pas été une femme, ­sonores, la question de la parité n’apelle n’aurait pas eu autant de soutien paraît pas comme un ­sujet majeur et pour défendre jusqu’au bout tous ces encore moins comme une priorité. projets. Prochaine étape : ne pas en « La parité pour la ­parité est une rester au symbole, mais mener une vaste ­fumisterie, s’emporte-t-elle. véritable politique d’égalité. Et obte- Peu importe, que ce soit une femme nir les moyens pour le faire. L’objectif ou un homme. Tout est histoire de d’Hélène Klein est d’inscrire ses compétence. » Elle ne ­reconnaît les qualités que d’une élue : Emmanuèle ­actions dans le budget. Jeandet-Mengual. « Elle fait le nécessaire pour dégager des fonds quitte à Compétences faire le grand écart. Les autres ne Josette Leduc vit dans le centre histo- sont pas aussi compétentes. » Quant rique de Rouen. Depuis cinq ans, elle à Valérie Fourneyron, qu’elle décrit siège au conseil de quartier. Dans comme une femme chaleureuse, elle cette institution, créée à Rouen en regrette de la voir de moins en moins 1996, la parité est sur le terrain. Campagne presque respectée, présidentielle oblige. La avec 48 % de femmes. maire socialiste est en efhélène klein Rouennaise depuis fet chargée des questions « Nous nous sur le sport dans l’équipe vingt-cinq ans, Josette fait le tri entre sommes de François Hollande. les « bonnes choses rendu compte D’ailleurs, elle pourrait qui se trouvent à que seules 3 % peut-être être appelée à gauche et celles qui responsabilités nades rues por- des se trouvent à droite » tionales dans les protaient le nom chaines ­semaines. Future et ne souhaite pas d’une femme. ministre des Sports, s’engager dans un C’est discrimi- ­­entend-on dans la ville. parti. L’arrivée d’une femme à la mairie En février 2011, Valénatoire » n’a, selon elle, rien rie Fourneyron a signé la changé. « ­Depuis son Charte européenne pour élection, ce sont plutôt des hommes l’égalité homme-femme dans la vie qui se sont inscrits dans les conseils locale. La ville a alors accueilli une de quartier. » Au milieu des pro- conférence sur l’égalité des sexes à pauline lefrançois

sein des services municipaux pour faire le bilan des actions en faveur de l’égalité des femmes. « Nous nous sommes rendu compte que seules 3 % des rues portaient le nom d’une femme. C’est discriminatoire. Aujourd’hui, dès qu’il y a de nouvelles voies à nommer, nous sollicitons les conseils de quartier pour que les habitants nous fassent des suggestions. Cela les oblige à retrouver des femmes dont les destins ont été oubliés par l’histoire. Ainsi, actuellement, ils cherchent des femmes botanistes pour baptiser des rues proches du jardin des plantes. » Une action qui pourrait paraître anecdotique mais qui a le mérite d’entraîner une réflexion chez les Rouennais. « Autre exemple, dans les crèches, les agents et les auxiliaires de puériculture ont constaté qu’ils pratiquaient eux-même une discrimination en ­appelant uniquement la maman quand un enfant était ­malade. Aujourd’hui, ils préviennent la mère et le père. » C’est aussi en prenant le mal à la ­racine qu’on arrive à le combattre. La ville a fait appel à l’association Les P’tits Philosophes pour intervenir dans les écoles, notamment dans les classes de CM1. Les enfants sont ainsi sensibilisés à


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au conseil municipal

hommes. » Et la maire de répondre : « J’ai eu une femme dans mon cabinet, mais elle a choisi, pour des raisons personnelles, de rejoindre Paris. Elle a été remplacée par un homme. La composition d’un cabinet nécessite de s’entourer de personnes avec qui on a noué, dans la durée, des relations de confiance avant ­l’élection. Et il se trouve que cette équipe était ­composée d’hommes. »

Réunion du conseil municipal. Il est minuit passé et, malgré l’heure tardive, les esprits sont toujours en éveil. Valérie Fourneyron donne la parole à Hélène Klein pour la trente-huitième délibération de la soirée. La question des femmes en politique vient après celles de l’urbanisme, de la vidéosurveillance et du patrimoine des bibliothèques. Il s’agit de rapporter les projets en cours. « L’égalité, c’est pas sorcier. On accumule les actions mais, dans les faits, on en est loin », démarre l’adjointe avant d’ajouter en regardant l’opposition : « J’insiste pour dire que le féminin de candidat n’est pas suppléante messieurs. » Cette remarque n’est évidemment pas innocente. Signature d’une charte européenne, organisation d’un festival consacré aux SDF et dont le thème est cette année Les Femmes dans la rue, exposition sur les femmes lors de la journée du 8 mars l’année dernière… Hélène Klein veut vanter les actions de la ville. « Même au conseil municipal des enfants, nous avons compté plus de filles que de garçons », sourit-elle. Mais avec l’heure avancée, certains conseillers municipaux semblent s’ennuyer. Les bavardages prennent le dessus. à deux ­reprises, l’oratrice devra demander l’attention de son auditoire. ­Hélène Klein annonce qu’une plaquette d’information va être réalisée à destination des prostituées. « C’est quoi, cette plaquette ? » interroge goguenard un conseiller municipal. « Il s’agit d’informer ces femmes de leurs droits sociaux et administratifs en différentes langues », réponds l’adjointe, très technique. Le conseiller municipal remercie son interlocutrice. Il voulait juste « en savoir plus ».

assez nombreuses à diriger des services, mais elles sont rarissimes à être ­directrice générale adjointe ou directrice générale des services. C’est une des premières choses que j’ai fait ­remarquer à Valérie Fourneyron. à Rouen, le maire est une femme mais le directeur de cabinet, le chef de ­cabinet, le directeur général des ­services et les quatre directeurs généraux des services sont des

Emmanuelle jeandet-mengual

« les femmes grimpent dans la ­hiérarchie, mais elles s’arrêtent à un certain niveau »

XAVIER RIDON

l­aquelle assistait une centaine d’élues venues de toute la France. Mais même à Rouen, il y a encore du travail. Seulement huit directions des services municipaux sont dirigées par des femmes sur vingt-deux. « Aujourd’hui, dans les collectivités en général, les femmes grimpent dans la hiérarchie, mais elles s’arrêtent à un certain niveau, pointe Emmanuèle Jeandet-Mengual. Elles sont

C’est pas gagné ! Les terrasses des cafés de la place Saint-Marc sont pleines à craquer. Ici la question de la parité n’est pas au centre des conversations. Rolande Grassien pose sa canne à côté d’elle et commence à déguster sa menthe à l’eau au soleil. Cette retraitée de 69 ans a voté pour Valérie Fourneyron en 2008. Non parce qu’elle est une femme mais parce que son gendre, qui est coach sportif, la connaît très bien. Rolande faisait le ménage au CHU de Rouen et a gardé le contact avec ses anciennes ­collègues. Certaines d’entre elles ­travaillent désormais à l’hôtel de ville. « Elles trouvent que Madame ­Fourneyron est quelqu’un de très bien. Elle dit bonjour, raconte ­Rolande Grassien entre deux ­gorgées. Mon voisin la connaît personnellement et il dit qu’elle est très gentille, mais qu’elle se laisse manipuler par ses adjoints, les hommes. » Et puis « il y a trop d’adjointes. Elles ne savent pas dire non ». Comme quoi, il faut plus qu’une politique volontariste sur la parité pour faire évoluer l’image des femmes en politique. Malgré les efforts de la ville pour stopper les discriminations et encourager l’égalité dans la vie locale, les Rouennais et les Rouennaises paraissent peu concernés. Pour eux, toutes ces questions sont trop éloignées de leurs préoccupations : chômage, pouvoir d’achat, logement, etc. Mais pour Emmanuèle Jeandet-Mengual, issue de la génération de Mai 68, il s’agit d’« une lutte permanente », qui doit être menée sur tous les terrains. Le chemin est encore long. Pauline Lefrançois et Xavier RIdon

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Du 16 mai au 23 sept 2012 Guinguette, danse, cinĂŠma, concerts, programmation Jeune Public

Au pied du pont Wilson


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ral. n milieu ru u conseil e t n e v u o s sein d e, très dre-et-Loir e date, expérience au diquent In n e s e ir a u de long ur 277 m les reven 51 femmes s t méritée : engagement ui au premier plan, el nnés. Ce qui les t n e m e l u e S io s ne image if. Aujourd’h bien intent eur place e Pourtant, l vestissement associat culins plus ou moins habitants et l’envie d’u es as nc in municipal, leurs homologues m ne, le contact avec les emmes et des diverge es l -f u ec l’égalité av achement à leur comm à des clivages hommes e politicienne. Comme emme h t l c e t e r n ’a a -d l u ’u f m réunit : politique. A oyen dépasse toute dé rands-mères, la vie d a l e d e in a es ou g plus hum eur engagement cit aitées, mèr r t l e , r s , e s u e s iq u e polit vaill s’engager. as sûr : tra hommes ? P toujours le temps de s ne laisse pa

e n g a p m a c n e Suzel Rouméas, Saint-Antoine-du-Rocher

« L’année 1968 a changé ma vie. » Suzel Rouméas, maire de Saint-Antoine-duRocher, 1 441 habitants, n’a pas oublié cette époque où les femmes battaient le pavé aux côtés des hommes. Débutée à 19 ans, sa carrière aux Postes, télégraphes et téléphones (PTT) l’amène à s’engager dans la vie associative et le syndicalisme. Les années passent, son engagement à gauche reste. Son idéal républicain aussi. Elle est déjà conseillère depuis quelques années quand elle prend sa retraite en 2005. En 2008, à 53 ans, elle est élue maire (sans étiquette). Dans la communauté de communes, c’est moins le fait qu’elle soit une femme que ses ­convictions qui brusquent ses collègues. « Il n’y a jamais eu de ­remarque sexiste, assure-t-elle. Mais mes idées politiques ont du mal à ­passer. » Aujourd’hui, elle défend le statut des élus. « Les employeurs ne les aident pas à prendre du temps pour s’engager et je tire mon chapeau à ceux qui sont maires et qui travaillent. »

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portfolio Martine Chaigneau, Souvigné Pour Martine Chaigneau, tout commence en mars 2001. Un ancien conseiller municipal de Souvigné,   747 habitants, vient chercher son mari pour constituer une liste électorale. Il refuse mais encourage sa femme. Elle sera élue dès le premier tour. En plus de ses fonctions à la mairie, cette conseillère pédagogique continue à travailler pendant trois ans. « Quand on a 4 enfants, on est obligé de partager les tâches domestiques. Chacun fait un peu tout et ça ne pose pas de problèmes. Il suffit de s’organiser différemment. » Onze ans et une réélection plus tard, madame la maire ne se représentera pas une troisième fois. « Pendant le premier mandat, on fait les choses avec enthousiasme, sans s’imposer de freins. Mais avec les années, on s’assagit trop. Il faut laisser la place aux gens moins sages, qui ont une petite dose de folie. Ma force, c’est de me dire que je ne suis pas indispensable. Je n’y mets pas ma vraie vie. Ma vraie vie, c’est ma famille. »

Marie-Laure Meyer, Marray

« C’est un cancer qui m’a fait me présenter. » Dans un petit village de 420   habitants, il n’y a pas beaucoup d’activités possibles pour se changer les idées. Alors, pour s’occuper, Marie-Laure Meyer brigue la mairie. C’était il y a onze ans. Mariée à un général de corps d’armée, elle déménage 23 fois pour suivre son mari, avec leurs 3 enfants et l’aquarium de 300 litres. « Je lui ai donné trente-cinq ans de ma vie, il m’en a donné douze. » Douze ans, c’est le temps de ses deux mandats. « Une mairie, ça nécessite une implication complète. J’ai tout fait pour elle. » Après un premier mandat « génial », elle ne sait pas si elle pourra aller jusqu’au bout du second. « Cette fois-ci, il est très difficile de communiquer avec les élus. Ce sont des jeunes, on n’a pas les mêmes points de vue. » Pourtant, elle ne regrette rien. D’ailleurs, elle compte bien être enterrée avec son écharpe de maire. Pour sa retraite, elle a acheté une maison à retaper dans Marray, « la même que dans Blanche-Neige ».

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portfolio Isabelle Sénéchal, Saint-Laurenten-Gâtines « De quoi elle se mêle la gami­ ne ? Elle n’y connaît rien. » En 1989, quand Isabelle Sénéchal fait son entrée, à 33 ans, au conseil municipal de Saint-Laurent-en-Gâtines, 913 habitants, les mots doux fusent. Quinze ans plus tard, alors qu’elle prend l’intérim du maire décédé, elle doute toujours de ses capacités. Elle est pourtant élue en 2008. Aujourd’hui, la jeune retraitée aide-soignante de 56 ans siège à la tête d’un conseil municipal à majorité féminine. Quand la mairie a été refaite en 2002, des couleurs chaudes sont apparues sur les murs. C’était un choix du conseil. Alors, les quolibets ont ressurgi. Isabelle Sénéchal se souvient : « On a tout de suite entendu que c’était parce que les élus étaient surtout des femmes. » Mais quand on lui parle de la loi sur la parité, elle est sans équivoque : « Je n’y suis pas favorable. Choisir des personnes en fonction de leur genre n’est pas une solution. »

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Danielle Meunier, Huismes

Danielle Meunier a l’expérience pour elle. à 67 ans, elle en est à son troisième mandat en tant que maire de Huismes, 1 556 habitants. Avant, elle était secrétaire de direction dans une entreprise de restauration des monuments historiques. « J’ai travaillé avec des hommes toute ma vie et j’ai du caractère. Je crois que s’ils m’avaient enquiquinée, j’aurais démarré au quart de tour. Dès le début, il faut s’imposer. à ce niveau-là, je n’ai jamais eu de problème », affirme-t-elle en souriant. Elle refuse donc de se victimiser. Il faut se battre, certes, plus que les hommes, mais cela ne doit pas engendrer une solidarité féminine. « Nous ne sommes pas inférieures, alors n’agissons pas comme si nous l’étions. Il n’y a pas de solidarité masculine, pourquoi y en aurait-il une féminine ? » Elle serait tout de même heureuse d’avoir une présidente de la République. « Mais elle devrait être doublement forte pour prouver sa valeur politique et sa valeur en tant que femme. »

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portfolio Michelle Duvault, Pont-de-Ruan Michelle Duvault ne se laisse pas déborder. Ses journées font sûrement plus de vingt-quatre heures. À 55 ans, cette employée du Trésor public est maire de Pont-de-Ruan, une commune de 834 habitants, depuis 2008. Auparavant, elle a occupé les postes de conseillère municipale, d’adjointe et de première adjointe. Son mari a toujours « fait sa part » des tâches domestiques. Aujourd’hui retraité, il s’occupe de tout à la maison, sauf du repassage. Presque une obligation depuis qu’elle est maire. Pourtant, dit-elle, « j’arrive à concilier les deux. Mon emploi me permet de partir à 15 h 30. » Lorsqu’elle était conseillère, ses 3 enfants n’étaient pas autonomes. « Si cela avait encore été le cas, je n’aurais sûrement pas pu être maire », affirme-t-elle. Après son travail, elle passe près d’une heure par jour à la mairie, sans compter les trois réunions hebdomadaires en soirée. Plus une semaine entière de RTT qu’elle y consacre par an. Et tout cela ne dérange pas sa famille.

Stéphanie Riocreux, Benais

Même avec 3 enfants, âgés de 9 à 21 ans, Stéphanie Riocreux n’hésite pas. En 2008, elle prend, en famille, la décision de devenir maire de Benais, 934 habitants. « Mes enfants étaient habitués », affirme cette militante associative de longue date. Elle brigue son premier mandat de conseillère municipale en 1999. « Il me restait six mois de congé parental. J’envisageais de retourner travailler. Mais j’étais élue, je suis restée. » Et d’ajouter que son foyer tient grâce aux revenus de son mari, masseur-kinésithérapeute. Elle s’en amuse : « Chez nous, le privé finance le public. J’ai de la chance, car être obligé de travailler est un frein à l’engagement. » Ce qui n’a pas empêché les femmes d’être majoritaires au sein du conseil municipal. Maire, membre de la communauté de communes, suppléante de Jean Germain au Sénat, Stéphanie Riocreux voit tout de même grandir ses enfants : « Grâce à Internet, le soir, je travaille depuis chez moi. »

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DOSSIER

les freins ne lâchent pas

Travail, famille, enfants. Ce slogan aux vagues relents pétainistes s’applique toujours au quotidien des femmes. Il imprègne subrepticement les mentalités. Des lignes de vêtements aux aspirateurs roses que l’on offre aux petites filles, en passant par la publicité ou les livres, une ­vision stéréotypée du rôle de la femme se perpétue. Et la relègue plus volontiers dans sa cuisine qu’elle ne l’amène dans l’hémicycle. Certes, depuis les années soixantedix, les avancées en matière de droits des femmes sont significatives. Elles ont investi le monde du travail, ce qui pousse à dire que l’égalité est enfin réelle. Ce serait oublier un peu

vite les conditions de ce travail. Les emplois précaires et les maladies professionnelles n’ont pas entendu parler de l’égalité des genres. Les écarts de salaire, négligés par nos politiques, se corrigent au tribunal. La France traîne les pieds, lasse de ces éternelles insatisfaites qui réclament toujours plus alors qu’elles semblent avoir déjà tant. Elles ont surtout tant à faire que s’engager en politique ­relève du parcours de la combattante. Car le travail ne s’arrête pas au seuil du domicile. Dans « travail, famille, enfants », il faut aussi entendre les tâches domestiques et les responsabilités familiales dont elles assurent la plus

grande part. Sous peine de ne plus être considérées comme de « vraies » femmes. Perdre sa féminité, la menace plane sur celles qui aimeraient se faire une place en politique. Abruptement ou de manière détournée, ce petit monde-là se charge de leur rappeler que la politique – comme son genre ne l’indique pas – demeure encore masculine. Les rares à avoir pris le pouvoir, telles Michèle Barzach, édith Cresson, Françoise Giroud ou Yvette Roudy, ont témoigné qu’elles n’avaient pu oublier longtemps leur condition de femme. MARGAUX BARALON

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ri le Fu l ie Jé ré m

bienvenue au pays des stéréotypes

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Dossier

Tradition hier, réflexe aujourd’hui. Le rose pour les filles, le bleu pour les garçons, Papa au travail, maman à la cuisine… les stéréotypes n’en finissent pas de plomber les relations homme-femme. ancrés dans nos mentalités, ils déterminent la place de chacun dans notre sociÉtÉ. Leurs complices ? la publicité, les jouets, et même La littÉrature qui sont là pour formater nos esprits.

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déléguer ce qu’elles considèrent de leur domaine. Et si les hommes aident davantage que leurs pères, leur rôle se réduit le plus souvent à un simple coup de main. Il n’y a pas véritablement de partage des tâches ménagères.

Une éducation différenciée Les stéréotypes ont la vie dure. Ils ont forgé des générations, depuis les origines, d’hommes et de femmes qui sont encore aujourd’hui empêtrés dans des idées toutes faites. C’est parce qu’on les apprend depuis toutpetits et qu’on les reproduit en gran-

D. R.

Ça commence comme cela : au rayon layette d’un magasin spécialisé, collection été 2012, version filles de 3 à 36 mois : des roses, des mauves, des fleurs, des chouchous pour les cheveux. Pour les garçons du même âge : des violets, des bleus, des rayures, des casquettes écossaises en toile et des gilets zippés à capuche. Heureusement, les salopettes en jean et les parkas sont unisexes ! Voilà ce que l’on appelle un stéréotype. Il ne ­repose sur aucune vérité, il n’est écrit nulle part. Il appartient à un code ­social qui définit, dès la naissance, les rôles de chacun et dont les luttes ­féministes ne sont pas venues à bout. Pourtant, depuis quarante ans, la situation a bien changé. Les femmes ont acquis, grâce à la contraception et à l’IVG, la liberté de leur corps. Elles ont investi l’école et l’université et sont entrées massivement dans le monde du travail. Au sein de la ­famille, elles sont devenues, au moins sur le plan juridique, les égales de leurs époux ou de leurs compagnons. Mais ce sont elles qui s’occupent encore majoritairement des tâches ménagères et des enfants. Cette répartition des rôles est si bien assimilée que certaines femmes ne veulent pas

dissant qu’ils sont si bien ancrés dans nos mentalités. Garçons et filles « ne sont pas éduqués de la même façon. Y compris en 2012. Et même si les femmes travaillent », note Anne Taillandier, maître de conférences en psychologie sociale à l’université François-Rabelais de Tours. Dès la naissance, cela se sent au vocabulaire. À taille et poids identiques, on dira de Martin qu’il est « grand » et de Léa qu’elle est « mignonne ». Les mères ont tendance à allaiter leurs garçons plus longtemps que leurs filles, « qui doivent apprendre à se sacrifier», écrivent Christine Guionnet, maître de conférences en science politique et Erik Neveu, professeur de science politique à l’université de Rennes 1, c’est-à-dire à ­recevoir moins d’attention. Et on supporte moins les crises de colère de ces dernières alors qu’on passe plus volontiers leurs caprices aux ­petits garçons. Très vite, Léa participera aux tâches ménagères – faire son lit, mettre le couvert, débarrasser la table –, beaucoup plus que Martin. « Plusieurs enquêtes ­récentes ont illustré la pérennité de ces pratiques éducatives différen­ciées, plus rigides pour les filles, plus souples pour les garçons dans la plupart des domaines


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Dossier (…) : propreté, alimentation, ordre, tenue à table, poursuivent les mêmes spécialistes1. Des règles de vie structurées de façon plus souples étant plus favorables au développement cognitif, les filles se voient durablement moins stimulées par leurs ­parents que les garçons. »

Mix-cité sensibilise les parents aux caractères stéréotypés des magasins et catalogues de jouets : « Il est évident que cet affichage fléché empêche les enfants de choisir des jeux, déguisements, etc. en fonction de

Il en va de même pour les publicités. Voir et revoir une femme récurer la salle de bain ou vanter les mérites de son aspirateur ne surprend personne. Mais on attend encore vainement qu’un homme fasse de même.

Jouets et clichés

Roxane Nicolas

La littérature enfantine, même si elle a beaucoup évolué, conforte cette différenciation. Le papa de Petit Ours Brun, héros créé en 1975 par Bayard, continue de lire le journal pendant que sa maman fait la vaisselle. Sylvie Cromer, sociolo­gue, spécialiste des représentations du genre, dans la littérature de jeunesse ­explique2 : « Alors que la fonction ­paternelle n’est qu’une des facettes de l’identité masculine [des héros, NDLR), la mère est le modèle adulte féminin prédominant. Ainsi, bien plus nombreuses que les pères et ­davantage impliquées dans les inter­actions avec Robots et voitures pour les garçons, poupées et franfreluches pour les filles... Les les enfants, en particulier avec le fils, stéréotypes ne sont jamais loin dans les rayons des grands magasins. les mères n’accèdent pas au rôle principal et sont tenues à l’écart de leur caractère et de leurs envies. Elle « Le problème se pose au niveau du champs entiers de l’activité profes- les force à se conformer aux rôles sté- marketing. Les publicitaires utilisent sionnelle. » réotypés liés aux genres, qui sont à les stéréotypes pour vendre parce S’identifier à son sexe est cepen- l’origine de la plupart des discrimina- qu’ils s’activent automatiquement. dant important pour comprendre tions de sexe. » Même si on ne le partage pas, on l’a qui on est. « Grâce aux accessoires La culture s’y met aussi. Passons intégré et il en faut peu pour l’actientourant la poupée, on peut lire sous silence les propos, de moins en ver », souligne Anne Taillandier. Diftoutes les étapes de la vie d’une ­future moins en vogue il est vrai, concernant ficile alors pour les jeunes filles de mère, épouse et femme la soi-disant impossible s’imaginer en conquérantes à l’heure au foyer », souligne le créativité de la femme de choisir une orientation voire un catalogue de l’expositrop accaparée par la métier. Et celles qui se démarquent tion Des jouets et des maternité. De nom- sont, de fait, les arbres qui cachent la hommes3. Si de nom- Voir une femme breuses ­artistes ont su y forêt. Car leur éducation les mène breux parents tentent vanter les apporter un démenti souvent à se sous-estimer. Les filières d’éviter de trop marmérites de son cinglant, de Toni Morri- scientifiques et techniques, les plus quer la différence quand aspirateur son, prix Nobel de litté- prometteuses et les plus rentables, ils choisissent les jouets en 1993, à Louise sont toujours trustées par les garne surprend rature de leurs enfants, les maBourgeois sculptrice au- çons. La suggestion jouerait-elle un personne teure d’une œuvre mo- rôle primordial dans la frilosité des gasins, les catalogues et même les articles de numentale, en passant filles ? Une expérience menée par des certains journaux sont là pour les par les écrivaines, les peintres, les chercheurs du CNRS et de l’univerrappeler à leurs devoirs. Aux filles les rockeuses, les réalisatrices de ­cinéma, sité de Toulouse semble le démonpoupées, les nurseries, les fanfre- les metteuses en scène, etc. Mais « la trer : quand un exercice donné est luches, le rose sirupeux et le chariot culture est une arme perfide tournée appelé « géométrie » les filles réussisde nettoyage Carmen, devenu ­célèbre contre les femmes, expliquait la dra- sent moins que les garçons ; quand le grâce à sa phrase de description : « Tu maturge et romancière féministe même est appelé « dessin », la pourras aider maman à laver la mai- française, ­Colette Audry. Elle fut, elle ­tendance s’inverse. Heureusement, son avec ce superbe chariot. » Aux est ­encore et sera toujours libératrice. les filles sont de plus en plus garçons les voitures, les robots et les Mais parallèlement elle développe ­nombreuses à accéder, malgré tout, pistolets. Depuis dix ans, le collectif aussi l’inhibition »4. aux disciplines scientifiques. On

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peut espérer que cette présence croissante fera évoluer les mentalités et mettra ­définitivement au rancart les stéréotypes.

Changer les mentalités Domaine masculin s’il en est, la politique ne déroge pas à la règle. « Mais qui va garder les enfants ! », s’exclama Laurent Fabius lorsque ­Ségolène Royal déclara sa candidature à la présidentielle de 2007. Pour les femmes qui se lancent dans cet univers, masculin s’il en est (voir Verbatim p. 34), le nœud du problème est bien là. Isabelle Thomas, première fille à la tête d’un mouvement lycéen en 1986, aujourd’hui figure politique de la région Bretagne, ­résume la situation : « Connaissezvous la différence entre un homme et une femme politique ? L’homme, lui, a une femme. » On est loin de l’égalité. Il y a quatre-vingts raisons à cela : ces quatre-vingts minutes quotidiennes que les femmes passent, en plus de leur travail, aux tâches ménagères. Anne Taillandier pointe aussi le fait qu’il y ait, dans l’inconscient collectif, des domaines réservés selon

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LAURENT FABIUS

« Mais qui va garder les enfants ? » élection présidentielle de 2007 à propos de la candidature de Ségolène Royal

le genre. « On a dans l’idée que si une femme était présidente, sa politique serait fondamentalement différente. Et d’un autre côté, on se demande si elle aurait les compétences et assez d’autorité. » Margaret Thatcher, Premier ministre à poigne, n’était pas considérée comme une vraie femme, puisqu’elle faisait de la politique comme un homme. Les femmes sont heureusement de plus en plus présentes en politique et ce, grâce à de nombreuses mesures comme la loi sur la parité. Ces textes obligent à modifier notre comportement et donc, à terme, à modifier les mentalités. « Si les femmes s’impliquent au niveau ­municipal, cela peut leur donner des ambitions plus ­importantes. L’idée,

c’est qu’en changeant les comportements on va changer les mentalités », affirme Anne Taillandier. Un modèle féminin pourrait les aider à s’identifier. Mais en France, on le cherche encore. Il existe pourtant des moyens de désactiver les stéréotypes explique Anne Taillandier. « Même si c’est compliqué, ça ne veut pas dire que c’est impossible. Grâce à l’éducation, en travaillant à une conception différente des manuels scolaires, en ­repensant les livres pour enfants par exemple, les choses peuvent évoluer. Cela paraît peu, c’est fondamental. Pour lutter contre quelque chose, il faut d’abord avoir conscience que cela existe. » Rémi Canali

(1) Féminins/masculins, sociologie du genre. Deuxième édition entièrement refondue. Armand Colin. 2009. (2) Femmes, genre, société, l’état des savoirs. Ouvrage sous la direction de Margareth Maruani. La Découverte, 2005. (3) Exposition Des Hommes et des jouets, de l’antiquité à nos jours. Grand-Palais, Paris. 14 septembre 2011 – 23 janvier 2012. (4) Colloque Le Féminisme et ses enjeux, organisé par le Centre fédéral de la FEN en mai 1988.


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TravailLer plus pour gagner moins 29,5 %

C’est le pourcentage des femmes qui se disent en situation précaire ou instable, selon une ­enquête de l’Insee datant de 2005. Contre 24 % chez les hommes.

CDD, intérim, stages, cumul de petits contrats… depuis 1992, les emplois précaires connaissent une forte augmentation. Parmi ces boulots de seconde zone, les temps partiels sont majoritaires. Ils concernent environ 18 % des salariés français et six fois plus de femmes que d’hommes. Ces personnes sont généralement peu qualifiées, employées de la fonction publique, du commerce ou chez des particuliers. L’idée reçue voudrait que les femmes travaillant à temps partiel aient fait ce choix pour s’occuper de leurs enfants. Mais elles ne sont qu’un tiers dans ce cas selon l’en-

quête emploi 2008 menée par l’Insee. Un autre tiers a accepté ces postes faute de mieux. Des femmes souvent obligées de cumuler plusieurs contrats pour joindre les deux bouts. Maria Ibelaïdene travaille chaque semaine pour cinq familles. Elle est par ailleurs salariée à mi-temps dans une entreprise de nettoyage. à Paris, elle était secrétaire médicale. Mais, en 1993, quand elle s’installe à Tours avec son mari et sa fille, elle ne retrouve pas de poste équivalent. Pendant neuf ans, elle galère de chômage en petits boulots. « Un jour, j’ai remplacé une amie qui faisait du ménage chez des familles, se souvient-elle. J’en avais marre de la précarité, alors j’ai décidé de continuer. »

Des métiers dévalorisés Son CDI en entreprise lui offre des garanties, mais sa situation reste fragile : « Si une des familles part en vacances, ça fait tout de suite une baisse de revenu. » Au total, Maria travaille trente-trois heures par semaine pour environ 1 000 euros net par mois. Un métier

Jérémie Fulleringer

Dans les années soixante-dix, les femmes investissent le monde du travail. Elles s’émancipent ainsi de l’univers domestique dans lequel elles étaient jusque-là cantonnées. Mais la libération annoncée n’a pas vraiment eu lieu. quarante ans plus tard, si elles représentent 47 % de la population active, Elles sont plus touchées par le chômage, la précarité et les maladies professionnelles. Leur rémunération est encore trop souvent inférieure à celle des hommes. Et la crise n’a fait qu’accentuer le phénomène. Les femmes se retrouvent souvent en bas d’une échelle sociale difficile à gravir. éclairage sur le quotidien des femmes actives.

dévalorisé et éprouvant. « à 48 ans, j’ai déjà des problèmes de dos, d’arthro­se, des tendinites… Et puis mon entreprise ne fournit pas le matériel de sécurité nécessaire. Physiquement, je ne pense pas pouvoir tenir le coup jusqu’à l’âge de la retraite. Mais pour l’instant, je n’ai pas le choix : il faut bien gagner sa vie. » En France, on recense plus d’un million de femmes de ménage. Elles travaillent pour des particuliers, des entreprises de nettoyage ou dans l’hôtellerie, dans des conditions souvent difficiles. Une pénibilité qui a amené les femmes de chambre d’un hôtel de Suresnes à faire grève en mars 2012. Au micro d’Hervé Pauchon, sur France Inter, elles réclament une hausse des salaires et, surtout, la fin du paiement « à la tâche ».

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Source : Dares

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Dans ce système, le ménage d’une un contrat d’avenir que Chantal chambre est rétribué au prix d’un Mosland, une quinquagénaire mère timbre pour une lettre de de trois enfants, a obtenu un poste 250 grammes : 1,80 euro. Dérisoire. d’employé de vie scolaire, qui devait Pour arriver au salaire horaire du déboucher sur un CDI. Smic, elles doivent nettoyer plus de évidemment, au terme du contrat, quatre chambres par heure. « Mis- il n’y a pas eu d’embauche. Et pas non sion impossible », affirment-elles. plus de formation. Alors, elle s’est Alors elles multiplient des heures tournée vers les prud’hommes, supplémentaires non comptabilisées. comme deux autres femmes cette Les entreprises privées ne sont ­année en Indre-et-Loire. « Devant le pas les seules à multiplier les emplois tribunal, elles demandent à faire précaires. L’état a créé tout une série ­valoir leurs droits de formation », de postes contractuels. Comme le ­explique Vincent Martinez, secrécontrat d’avenir, destiné aux alloca- taire général de la section 37 de la taires des minima sociaux et censé Fédération syndicale unitaire (FSU). les accompagner dans un retour vers Le plus souvent, le tribunal reconnaît l’emploi. Quarante-cinq mille em- la faute de défaut de formation et plois dans l’éducation nationale, ­demande une requalification en CDI. ­essentiellement des postes d’auxi- En moyenne, les plaignants touchent liaire de vie scolaire (AVS) et d’em- 10 000 euros de dommages et intéployé de vie sociale rêts. Mais Chantal Mos(EVS), ont ainsi été proland, au chômage depuis posés grâce à ce disposila fin de son contrat il y a Les prud’hommes un an et demi, situe le tif. D’une durée maxireconnaissent la préjudice sur un autre male de trois ans, ces faute de défaut terrain : « C’est un man­ contrats étaient de vingtde formation et que de reconnaissance six heures par semaine demandent une insupportable, s’insurgepour environ 800 euros requalification en mensuels. En contrepart-elle. J’ai acquis un sacontrat à durée tie d’une aide de l’état et voir faire en bureautique indéterminée. d’une exonération de et en secrétariat, mais ça En moyenne, les charges, les employeurs personne. plaignants tou- n’intéresse avaient obligation de déC’est un non-sens. » chent 10 000 euros livrer une formation Les femmes de de dommages et qualifiante. C’est grâce à chambre de Suresnes intérêts.

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tout comme Chantal Mosland ont la chance d’être aidées par des syndicats. Ce qui est plutôt rare pour les salariées précaires, souvent isolées, pas ou peu formées et surtout dépassées par la masse de choses à gérer : travail, famille, enfants. S’intéresser à la politique, dans ces conditions, relève du vœu pieux.

195,6 %

C’est le taux d’augmentation du nombre de femmes touchées par une maladie professionnelle dans le secteur de la santé, du nettoyage et du travail temporaire. Ce chiffre est passé de 2 014 à 5 953. Dans le même temps, l’effectif salarié de la catégorie a augmenté de 8,2 %.

Le 8 mars, à l’occasion de la journée de la femme, l’Agence nationale pour les conditions de travail (Anact) a proposé une nouvelle lecture des chiffres des maladies professionnelles en France. Il en ressort que les métiers presque exclusivement féminins enregistrent la plus grosse pro-


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Source : Anact

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gression en valeur absolue du nombre de cas. Pour Florence Chappert, chargée de mission à l’Anact, « l’absence de mixité » est le premier facteur explicatif, de manière indirecte : « On s’aperçoit que dans les univers non mixtes, par exemple ­celui des cosmétiques, personne ne fait le lien travail-santé alors qu’on est habitué à le faire dans des catégories mixtes, car on le fait pour les hommes. » De fait, les métiers dangereux sont souvent considérés comme masculins (métallurgistes, mineurs, pompiers, etc.). Dans ces secteurs, les politiques de prévention se sont très largement développées, contrairement aux métiers féminins.

Les femmes plus exposées Pourtant, en 2010, le nombre de femmes atteintes par une maladie professionnelle a égalé celui des hommes (environ 25 000). Cette même année, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) montrait qu’en taux de fréquence, les femmes étaient plus exposées (avec 16,4 maladies pour dix millions d’heures travaillées) que les hommes (13,5) et c’est encore plus vrai dans le secteur ouvrier (68,1 contre 26,1). La spécialisation par genre éclaire la problématique d’une nouvelle façon, explique Florence Chappert : « Dans l’imprimerie, les postes de

massicoteur étaient trop durs pour les femmes. Leur pénibilité a été ­réduite afin de favoriser la polyvalence, également amoindrie pour les hommes. » Des métiers d’hommes ouverts aux femmes, mais en sens inverse : « Je fais le pari que les hommes n’accepteraient pas les conditions de travail dans les services à la personne (un secteur féminin à 94 %, NDLR) ».

26,7 %

Cest l’écart entre la rémunération brute annuelle moyenne des femmes (22 277 euros) et celle des hommes (30 475 euros).

Une directrice des ressources humaines ne mérite-t-elle pas d’être rémunérée au même niveau que le directeur commercial ou financier de la même entreprise ? Dans un arrêt datant du 6 juillet 2010, la Cour de cassation de Paris a tranché en faveur d’une plaignante. Une décision qui s’appuyait sur l’« importance comparable dans le fonctionnement de l’entreprise » de cette DRH, par rapport à ses collègues masculins du comité de direction. On passait alors du principe « à travail égal, salaire

égal », à celui de « à travail de valeur comparable, salaire égal ». Ce principe, étudié aux états-Unis dès les années quatre-vingt, a été imposé au Québec par la loi d’équité salariale de 1996. Celle-ci vise à « corriger les écarts salariaux dus à la discrimination fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des emplois dans les catégories à prédominance féminine. Ces écarts s’apprécient au sein d’une même entreprise, sauf s’il n’y existe aucune catégorie d’emplois à prédominance masculine ». En France, l’économiste Rachel Silvera s’est intéressée aux systèmes d’évaluation des emplois. Elle constate des équivalences injustifiées, comme celle mettant à égalité dans le monde hospitalier les infirmières et les agents-chefs (maintenance). Les premières sont pourtant soumises « à des horaires impossibles, des travaux simultanés et des tâches d’encadrement ». La chercheuse détaille les critères d’évaluation qui provoquent des déséquilibres : « Je me souviens d’un cas dans le secteur automobile, où les femmes se chargeaient de la confection des sièges et les hommes de la mécanique. Les conditions de travail étaient égales mais les ouvrières étaient moins payées car leur CAP couture n’était pas reconnu dans la convention collective de la métallurgie. » à l’automne, Rachel Silvera publiera un guide à destination des négociateurs de branches mais aussi des entreprises, des juristes, des syndicats et des salariés pour « faire réfléchir ceux qui définissent les critères de rémunération afin de veiller à ne pas avoir de biais discriminants ». Une initiative louable alors que le pouvoir politique français ne se saisit pas du dossier. Au Québec, un amendement de 2009 a même durci la loi. « Ce n’est pas un choix entre l’économie et l’égalité. Parce que c’est les deux », déclarait alors le Premier ministre Jean Charest, conscient que la disposition impliquait une révision complète des grilles de salaires au sein des entreprises. En France, la législation faisant défaut, l’équité salariale est établie par les tribunaux. Mais avec deux cas en 2010, les recours restent rares. Thibaut Cojean et Benoît Jacquelin

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Dossier

éclairages disparité salariale Pour comprendre l’écart de salaire entre les hommes et les femmes, il faut prendre en compte l’effet du temps partiel, qui concerne 31 % des travailleuses. Ainsi, en comparant les salaires à temps complet, les femmes ne gagnent « que » 19,2 % de moins que les hommes. Il faut aussi considérer d’autres facteurs explica­tifs comme le diplôme, l’expérience professionnelle ou le secteur d’activité, qui ramène l’écart à 10 %. La discrimination salariale « pure » serait d’environ 7 %. Source : Insee.

Le travail des femmes en Europe

Source : Eurostat

Depuis les années soixante, le taux d’emploi des femmes a connu une forte croissance, en France comme ailleurs en Europe. Dans l’Union européenne à vingtsept, 58,2 % des femmes de 15 à 64 ans sont employées en 2010, selon Eurostat, l’office statistique de l’UE. Un chiffre en net décalage par rapport à celui des hommes du même âge : 70,1 %. Les pays du nord se distinguent de ceux du sud. Plus on descend vers la Méditerranée, plus les chiffres diminuent jusqu’à tomber sous la barre des 50 %. Ces chiffres sont toutefois à pondérer selon plusieurs facteurs. D’abord, la durée des études ou l’âge de la retraite diffèrent d’un pays à l’autre. ­Ensuite, il faut prendre en considération la maternité et ses incidences sur l’activité professionnelle des femmes, différentes d’un pays à l’autre. Leur arrivée sur le marché de l’emploi dépend aussi de facteurs ­socioculturels. Mais l’importance des écarts entre chaque pays reflète surtout les différences d’engagement des gouvernements en matière de politiques sociale et familiale.

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Dossier

Une répartition qui fait tâche

pour ce genre de tÂches, une femme de ménage serait payée au SMIC horaire brut de 9,22 euros.

« Maman a 98 ans, elle vit toujours chez elle mais est dépendante, ­raconte Anne, 56 ans. Je travaille à temps plein et me déplace trois fois par semaine pour lui faire son ménage, la cuisine, etc. L’un de mes frères habite juste à côté. Lui ou sa femme passent la voir tous les jours. Mais les trois autres ne viendraient pas si on n’insistait pas alors qu’ils ­vivent à moins de 25 kilomètres. Et encore, ils se déplacent rarement, et juste pour un café. » Une étude de l’Institut national des études démographiques (Ined) de 2011 indique que 80 % des personnes âgées vivant à leur domicile sont aidées par leur entourage. Et que, majoritairement, cet entourage est une femme : dans 70 % des cas d’aide au conjoint et dans 75 % des cas d’aide à la mère ou au père. Les épouses dédient neuf heures quarante-cinq à leurs maris dépendants. Les filles, comme Anne, consacrent quatre heures trente à leurs parents. Quand le soutien est partagé entre frères et sœurs, les

tâches sont bien différenciées. Elles interviennent dans tous les champs de la vie quotidienne (tâches ménagères et administratives, compagnie, soins personnels). Les hommes, eux, se limitent généralement aux tâches administratives et aux courses. Deux cent trente-deux minutes, soit trois heures cinquante-deux, c’est le temps, en moyenne, que les femmes accordent quotidiennement au travail domestique (ménage, aide aux devoirs, soins aux animaux...). Trente minutes de moins qu’en 1999, selon une enquête de l’Insee de 2011. Pas vraiment une avancée. D’autant que chez les hommes, cela n’a pas évolué. Deux heures vingt-quatre par jour. L’écart s’est réduit mais il ­demeure : une heure et demie.

Récurer ne vaut pas un clou De plus les tâches ne sont pas i­nterchangeables. Aux femmes tout ce qui concerne le ménage (à 80 % d’après une étude de l’Ined de 2009), aux hommes le bricolage. Pour la ­sociologue Isabelle Puech, « répétitivité et pénibilité caractérisent les tâches à dominante féminine, alors que les activités masculines, moins contraignantes, plus occasionnelles, impliquent moins de responsabilité, plus de satisfaction et aboutissent plus souvent à des objets durables. »* Mais les tâches domestiques souffrent également d’une inégalité en matière de valeur marchande. Menuiserie, jardinerie ou maçonnerie sont des activités professionnelles ­reconnues. Le ménage ou la garde des enfants sont dévalorisés. En ­témoignent les différences de salaire chez les professionnels : la femme de ménage est au Smic, l’artisan menuisier gagne bien mieux sa vie. Or,

Photos: Jérémie Fulleringer

pesant pour elle, récréatif pour lui, le travail domestique est inégal. les femmes y consacrent moins de temps sans que les hommes en fasse plus. Des activités invisibles pourtant d’une grande valeur.

pour faire réparer ce vélo par un professionnel, il en aurait coûté environ 40 euros de l’heure. .

pointe Isabelle Puech, c’est l’évaluation monétaire du travail domestique qui apporte une reconnaissance. Le travail des femmes, invisible et gratuit, s’il était assuré par des professionnels, représenterait en France « entre la moitié et les deux tiers du produit intérieur brut ». L’inégalité de répartition des tâches ménagères s’intensifie à l’arrivée des enfants. Dans un couple où les deux travaillent, le repassage est à 57 % effectué par les femmes. Après un premier bébé, cette part passe à 66 %. Des chiffres qui s’expliquent ­notamment par la réduction de leur activité : 25 % d’entre elles diminuent ou cessent leur activité professionnelle après un premier enfant ; 32 % lorsqu’il s’agit d’un enfant supplémentaire. Une fois les enfants partis, les habitudes restent. Les retraités consacrent plus de temps aux affaires ­domestiques. Mais si l’écart entre femme et homme diminue, passant à cinquante-cinq minutes, c’est parce que Papi a enfin tout le temps qu’il veut pour s’adonner au bricolage. Mamie, elle, reste à la popote. Thibaut Cojean

(*) Femmes, genres et sociétés, l’état des savoirs. Sous la direction de Margaret Maruani, éditions La Découverte, 2005.

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I elles en ont bavé Verbatim

Un journal voulut me photographier avec mes deux petit-fils (Je vous assure… Ce sera excellent pour votre image. Grand-mère ! Et il paraît que vous faites souvent la cuisine ? La cuisine plus les petit-enfants... Du gâteau !) J’ai refusé. Sans doute, ai-je eu tort. Mais cette comédie-là, dans la fonction précise où j’étais alors, il ne fallait pas la jouer. Je travaillais précisément à ce que l’on jugea une femme sur d’autres critères. » La Comédie du pouvoir, 1977, Fayard. AFP

Françoise Giroud

secrétaire d’état chargée de la condition féminine, de 1974 à 1976

ridiculisées, insultées, Humiliées, ces femmes ont souffert quand elles sont entrées en politique. Dans ce monde d’hommes, elles n’étaient pas les bienvenues. Toutes ont, un jour, raconté ce qu’elles ont dû supporter pour avoir gravi les marches du pouvoir. Témoignages.

Dans le courant de l’été 1975, je demande audience officielle au président de la République pour faire le point sur l’action du secrétariat d’état à la Condition féminine. […] Faut-il continuer ? “Oui.” Avec quels moyens ? “Les mêmes. […] Vous avez, me dit-il, une politique conceptuelle. C’est ce qu’il faut. […] Vous croyez, me demande-t-il, que les femmes vont vouloir vivre comme des hommes ?” Diable ! Même avec lui, il y a encore un fameux travail à faire pour que la nature de l’évolution féminine soit comprise. […] Néanmoins, cette conversation l’ennuie. Que les hommes s’ennuient donc vite quand la condition des femmes est en question… » La Comédie du pouvoir, 1977, Fayard.

Michèle Barzach ministre de la santé et de la famille de 1986 à 1988

Gabriel Duval/AFP

Le monde politique est un monde de machos absolument impossible. Pour une raison simple : c’est un endroit de pouvoir et que le pouvoir est un attribut masculin, comme la pipe et le cigare… Par conséquent, il n’est pas partageable avec les femmes. Il est insupportable ­d’imaginer que les femmes puissent vouloir ou avoir envie du pouvoir. » «Radioscopie », 1989, France Inter. Je me souviens, juste avant de devenir ministre, de ces messieurs importants que je rencontrais dans le cadre de mes fonctions politiques. Quand je poussais la porte, j’entendais un “bonjour mademoiselle”. J’ai 45 ans. Cela a une signification. C’était la façon de me dire : “Vous n’êtes jamais qu’une femme, qu’est-ce que vous faites là.” Les mêmes qui ensuite se courbaient en deux pour me dire : “Bonjour Monsieur le Ministre”. C’est ça la comédie du pouvoir. Cela en dit long sur l’inconscient et sur la force du rejet : les femmes n’ont rien à faire là, qu’elles rentrent chez elle. » « Radioscopie », 1989, France Inter.

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verbatim

Colloque Les Femmes au gouvernement, Sénat, 8 mars 2004.

Première ministre de 1991 à 1992, première femme ministre de l’Agriculture, de 1981 à 1983

Tous les Premiers ministres qui sont inter­ viewés le disent : c’est un enfer. Non pas parce qu’il y a une surcharge de travail (elle existe, bien sûr), mais parce qu’on est attaqué sans arrêt et généralement sur des sujets grotesques. Lorsque vous êtes une femme, c’est pire, parce qu’on ne vous attaque pas sur votre politique, mais on dit : “Pourquoi elle est coiffée comme ça, pourquoi elle est habillée comme ça, pourquoi elle a dit ça, pourquoi elle a fait ça ?” » Colloque Les Femmes au gouvernement,   Sénat, 8 mars 2004.

Les journalistes s’installaient sur le trottoir pour regarder mes jambes. J’avais eu un accident de voiture et j’avais des cicatrices qui se voyaient à travers les collants. Les journalistes disaient que je portais des bas filés. »

La Charente Libre le 27 avril 2011.

« Les Femmes toute une histoire », France Inter, 2012.

y d u o r e t yvet de roits 1986 d s e 81 à tre d minismme de 19 e la f

Il reste bizarrement un domaine qui résiste en France : c’est celui de la pub. L’exploitation du corps de la femme dans des représentations publiques est dégradante. Un sujet qui m’a valu un vrai lynchage médiatique quand j’étais au gouvernement. J’avais voulu proposer une loi anti-sexiste inspirée de la loi anti-raciste. Je proposais de donner aux associations le pouvoir de porter plainte lorsqu’elles jugeaient qu’il y avait atteinte à la dignité des femmes. La proposition fut adoptée en conseil des ministres le 3 mai 1983. Il suffisait d’ajouter à la loi anti-raciste un petit mot. Le mot « sexe ». Ce que je fis. Et le ciel des machos me tomba sur la tête. Droite et gauche confondues dans une fraternité d’armes retrouvée, ils s’en donnèrent à cœur joie. […] La Droite militante s’est engouffrée dans la brèche. Avec haine. On reste abasourdi à la relecture de la presse de l’époque devant la grossièreté, la violence des arguments utilisés à droite comme à gauche et par l’énorme place accordée à cette affaire par la plupart des journaux parisiens. » Le Féminisme et ses enjeux, 1988, Centre fédéral FEN.

Je n’avais rien ­demandé, j’avais créé mon entreprise, mais Mitterrand ­voulait un symbole. Je savais que ce ­serait terrible. Ce fut un déchaînement. »

photos : LAURE COLMANT

Edith Cresson

La première fois que je suis arrivée devant les agriculteurs, il y avait une grande banderole où il était écrit : “édith, on t’espère meilleure au lit qu’au ministère !” J’ai dit : “Cela tombe bien que je sois à l’Agriculture parce que vous êtes des porcs et je vais pouvoir m’occuper de vous.” Cela a été assez chaotique, ils ont voulu me jeter dans des fosses à purin, etc. Et puis, finalement, je leur ai obtenu à Bruxelles les meilleurs prix de leur histoire (jamais merci, ni rien) et, quand je suis partie, ils ont dit qu’ils regrettaient, sauf le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui a dit : “Ah, enfin, je vais pouvoir discuter les yeux dans les yeux avec un homme”. »

En 1992, nous procédions au toilettage du Code Pénal. J’ai proposé alors de faire entrer le « harcèlement sexuel » dans le livre rouge. Le rapporteur socialiste, Michel Pezet, avocat de grand talent, m’a objecté : « Ce n’est pas possible, ça n’existe pas. » Traduction : « harcèlement sexuel » n’est pas dans les textes et ce qui n’est pas déjà écrit n’existe pas. » Travail, genre et sociétés, n° 7, février 2002.

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illustrations : jérémie fulleringer

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Les liaisons dangereuses

Parier sur le charme des journalistes afin d’établir une connivence et obtenir plus d’infos auprès des hommes de pouvoir, cette pratique n’est pas nouvelle. Elle date de la fin des années soixante. Aujourd’hui, les romances politico-journalistiques prospèrent sur la place publique. Est-ce une raison pour remettre en cause les compétences professionnelles de ces femmes ? « Tiens, je ne vous ai pas encore dit que Michel Sapin, qui rédige le pro­ gramme du candidat François Hol­ lande, s’est marié avec une journaliste des échos ? C’est la grande mode au PS en ce moment, se maquer avec une journaliste politique. » Sur son blog, Charline Vanhoenacker, corres­ pondante de la RTBF en France, se scandalise des relations entre nos hommes politiques et nos femmes journalistes. « Pour devenir compa­ gne d’un homme politique, il faut avoir entretenu une certaine proxi­ mité. La liste de ces couples est lon­ gue. Ça n’existe pas en Belgique. » En France, tout le monde connaît les ménages Strauss-Kahn-Sinclair, Kouchner-Ockrent. Il y a peu, les époux Borloo-Schönberg et l’épisode

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Baroin-Drucker faisaient la une des magazines people. Aujourd’hui, ce sont les couples Montebourg-Pulvar, Hollande-Trierweiler qui font jaser. Une étude effectuée par la société Monster au niveau européen montre que près de 30 % des couples se sont formés au travail. « Dans tous les ­milieux, dès que des gens travaillent ensemble, des couples se forment », justifie la reporter Vanessa Schneider auprès du magazine GQ en 2010. Or, les femmes sont de plus en plus nom­ breuses dans le journalisme : en 2011, elles représentent 45 % des effectifs des rédactions contre 15 % en 1965. Pour Laure Bretton, journaliste poli­ tique à Libération, l’émergence de ces idylles est un phénomène humain : « Quand une journaliste interviewe

un politique, c’est aussi une femme qui interviewe un homme. Je trouve normal que si deux personnes s’ap­ précient, elles tombent amoureuses et fassent tomber les barrières. » ­Ainsi, les meetings, entretiens, confé­ rences, déjeuners, voire petits-­ déjeuners de presse sont autant ­d’occasions de nouer des ­relations.

Dérapages Ces rapports ambigus peuvent aussi mener à des dérapages. « Toutes les journalistes politiques femmes ont des histoires à raconter », écrit ­Xavier Ternisien dans Le Monde en mai 2011. Et de citer, pour exemple, la mésaventure d’Hélène Jouan, journa­ liste à France Inter : « Un soir, lors


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d’un déplacement, un homme poli­ tique a frappé à la porte de sa cham­ bre. » D’autres évoquent des « SMS en rafale, les coups de téléphone le week-end ou la nuit ». Vanessa Schneider, pour sa part, relate qu’un jour « un député a tenté de la retenir dans sa voiture en verrouillant les portières ». Elle met ces abus sur le compte d’une trop grande proximité : « En déplacement, nous logeons dans les mêmes hôtels, nous les voyons tard le soir et tôt le matin. Les univer­ sités d’été, qui mélangent des mo­ ments de travail et des temps festifs, peuvent aussi favoriser une forme de promiscuité. » Ce qui ne justifie rien. « Le journalisme politique français hérite d’une tradition de séduction, lancée à la fin des années soixante par

Jean-Jacques Servan-Schreiber (JJSS) et Françoise Giroud à L’Express », ra­ conte le journaliste Xavier Ternisien. C’est le temps des « Amazones ». Trois belles et jeunes journalistes, Michèle Cotta, Irène ­Allier et Cathe­ rine Nay, aussi séduisantes que pro­ fessionnelles, embauchées par JJSS. Ce dernier ne leur cache pas ses mé­ thodes : « Vous êtes un ­bataillon de charme, vous allez les faire par­ ler. » Dans sa biographie, Françoise Giroud, une ambition française, la journaliste Christine Ockrent rapporte une conversation surréaliste entre l’homme de presse et ­Catherine Nay : – Vous connaissez la politique ? – Non. – Très bien, vous vous occuperez des gaullistes. à droite, il n’y a que deux types intéressants : Giscard et Cha­ landon. Allez-y ! » Et l’auteur conclut ironiquement : « C’est ainsi que la vie de Catherine trouva son cours. » En effet, la jeune femme eut ensuite une longue liaison avec le gaulliste et ­ancien garde des Sceaux Albin Cha­ landon, par ailleurs marié. Les conseils de Servan-Schreiber sont donc suivis à la lettre par les trois journalistes. Ce qui donna lieu à des scènes étonnantes, telle Cathe­ rine Nay débarquant à l’Assemblée nationale en minijupe bleue, cuis­ sardes blanches et long manteau ­ouvert. Effet garanti. « Les huissiers étaient furieux », se souvient-elle.

Lignes de conduite Aujourd’hui cette méthode sem­ ble révolue. Salomé Legrand, jeune journaliste politique à FranceTV info, analyse : « à l’époque, c’était une carte à jouer. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Les hommes ­politiques sont plus vigilants. » Mais, surtout, la question déontologique est revenue au centre des préoccupations. Pour Marie-­Bénédicte Allaire, du service politique de RTL, tout ­dépend du comportement que les journalistes choisissent d’adopter : « Certains hommes sont dragueurs, mais pas plus en politique qu’ailleurs. Si on n’y répond pas, ça s’arrête là. Il est pos­ sible d’exercer son ­métier sans avoir à

utiliser ce genre de techniques. » Comment rester professionnelle et efficace, sans miner ses relations avec les politiques, et donc passer à côté des « off » ou d’infos en plus ? Certaines ont établi une ligne de conduite. « Je me fixe des limites, ­affirme Laure Bretton. Je peux déjeu­ ner ou même petit-déjeuner avec des politiques, mais toujours dans des endroits ­publics, en journée, pas pour boire un verre. Je suis là pour faire mon travail. » Alba Ventura, de RTL, ­déclare au Monde : « Ma règle est de ne jamais accepter de dîner. » ­Vanessa Schneider préfère sortir tout de suite son carnet de notes : « Cela crée une distance. Et je ne réponds à aucune question personnelle. »

Vanessa Schneider

«Un jour, un député a tenté de me retenir dans sa voiture en verrouillant les portières» Un peu lasses de ce débat sur les liaisons dangereuses, les journalistes rappellent que leur travail tient avant­ tout à leur capacité à poser les bonnes questions, à avoir le souci d’informer. La reporter Raphaëlle Bacqué ­dénonce dans un article du Monde de mai 2011 : « L’insupportable soupçon qui pèse sur les femmes journalistes politiques ». Elle y plaide la cause du journalisme ­politique féminin, ­véritable bouc-émissaire de « la sup­ posée connivence du pouvoir et de la presse. » Elle revendique haut et fort qu’une femme journaliste « peut ob­ tenir une information sans battre des cils ou croiser haut la jambe » et « avoir du talent sans que cela ait rien à voir avec sa laideur ou sa beauté ». Comme les hommes. Marie-Bénédicte Allaire confesse tout de même envoyer parfois un gar­ çon en lui ­disant : « Tu auras plus de chance que moi pour l’interview. » Mais il faudra d’autres arguments pour en finir avec la suspicion. Romain Delacroix, Leïla Marchand et Anthony Bonnet

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candidates sous toutes les coutures par Romain delacroix, anthony fillet et jérémie fulleringer Photos : éric robert, stéphane de bourgies, Franck Boileau, stéphane lefèvre, Philippe grangeaud, Mathieu Delmestre, D. R.

Sept femmes ont postulé pour l’élection présidentielle qui vient de se conclure. Certaines ont été éliminées dès le vote des militants de leur parti. D’autres n’ont pu se présenter, n’ayant pas obtenu les 500 signatures d’élus nécessaires au parrainage. trois ont pu faire campagne. Mais toutes ont utilisé les mêmes armes que les hommes pour emporter l’adhésion des électeurs. l’image véhiculée par une tenue, une façon de s’exprimer, de se mouvoir fait partie des stratégies. communicants à la manœuvre, vêtements, accessoires, maquillages et régimes, rien n’est laissé au hasard. Chacune son style, censé « faire sens ».

Nathalie arthaud Une Arlette Laguiller du XXIe siècle, la mobylette en moins. Aussi simple dans sa façon de s’habiller que directe dans sa manière de parler. La jeune militante de 1986 n’a pas fait évoluer sa garde-robe. Tee-shirts unis, blousons et petites vestes près du corps, il n’y a que les couleurs qui changent. La professeure d’économie-gestion a le même style dans les meetings qu’en classe, celui de bien des profs de l’Hexagone. Pour la campagne présidentielle, elle a fait quelques concessions : rouge à lèvres et chemisier rose, notamment pour son clip de campagne. Mais toujours, la petite mèche sur le front pour adoucir l’expression. Sur les plateaux télé, la tenue reste la même, en légèrement plus « classe ». Effet garanti.

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LOOK

christine boutin

Martine aubry

Sobriété. Simplicité. Efficacité. Ces trois valeurs, la fille de Jacques Delors s’y tient depuis son entrée officielle en politique, en 1991. Un sérieux accentué par un style vestimentaire qui la rend peu avenante. En vingt ans, sa coupe de cheveux n’a subi que des ajustements mineurs. Juste une frange pour casser les rondeurs du visage et adoucir la personnalité. Pour la primaire du PS, la première secrétaire du parti a décidé de porter les couleurs du « changement ». Le rouge ­domine à présent mais les bijoux sont toujours discrets, voire absents. La vraie révolution, pour la maire de Lille, c’est qu’elle n’hésite plus à sourire. Effort de communication ou décontraction qui vient enfin ?

Christine Boutin a échoué dans sa quête des 500 signatures. Elle avait pourtant, une fois de plus, fait des efforts de présentation pour défendre les valeurs chrétiennes. En effet, Christine Boutin en est à sa troisième version. La première, brune, ronde, faussement décontractée. La deuxième, en 1998, toujours ronde, mais blonde, habillée de blanc et de bleu ciel, en madone des antipacs. Enfin, en 2012, les tailleurs sont toujours blancs mais associés à des tons contrastés, pour plus de caractère. Les cheveux ont retrouvé leur couleur et leur coupe, les lunettes sont tendance. Elle a surtout suivi un régime. « à la maison, ma philosophie c’est zéro vêtement. J’aime être nue, libre de mes mouvements », déclarait-elle dans Paris Match. Sa nouvelle apparence, elle la doit à son conseiller en images, un jeune homosexuel de 21 ans. Amusant et surprenant pour celle qui est ouvertement opposée au mariage gay.

eva joly

Rarement un look aura autant fait parler. Il a été observé, étudié, commenté. Et parfois même moqué. Mais peu importe. Il a marqué les esprits. C’est peut-être cela le plus important. Avec ses lunettes assorties à la couleur de son rouge à lèvres et sa coupe de cheveux faussement négligée, l’ancienne magistrate renvoie une image de naturel. Peut-être une façon de faire oublier ses 68 ans. Ou bien, pour celle qui, en 1962, termina troisième à l’élection de Miss Norvège, le réflexe de prendre soin de son apparence. Est-elle élégante ? Bien sûr et dans un style aussi étudié que décontracté, comme sa coiffure. Début avril, Eva a changé ses lunettes rouges pour des vertes. «Je change de lunettes à chaque étape importante de ma vie», explique-t-elle. Cela s’imposait !

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corinne lepage

On l’a un peu oublié mais Corinne Lepage a été ministre de l’Environnement de 1995 à 1997. Presque vingt ans plus tard, la patronne du mouvement Cap 21 n’a changé ni d’opinion ni d’allure. Toujours une petite veste cintrée et l’immuable foulard jeté négligemment autour du cou. Un style sans artifice, peut-être le reflet d’une tranquille confiance en soi. Côté couleurs, pas de dominante, si ce n’est la discrétion et le cheveu toujours brun. Députée européenne, Corinne Lepage est aussi avocate. Malgré son pouvoir de conviction, elle n’a pas obtenu les 500 signatures. Frustrant pour celle qui, en mars, a donné son numéro de téléphone personnel sur Twitter.

Marine Le Pen La fille de son père, c’était hier. Oubliée la jeune bourgeoise aux longs cheveux d’un blond trop prononcé. Pour l’élection nationale, les cheveux de la présidente du FN ont été raccourcis, le blond adouci. Pour le reste, la nuance est surtout dans l’attitude. Le sourire est large, le regard malicieux, comme pour mieux faire passer les positions du Front national. Côté tenue, la veste est cintrée, sur une jupe ou un pantalon. Un style classique qui rappelle l’uniforme et la discipline. Les couleurs comme le maquillage sont discrets. Pendant la campagne, les tenues ont gardé cet esprit. Pas les propos : à l’approche de l’échéance, certaines envolées ont rappelé celles de papa.

Il y a six ans, la candidate PS arpentait les podiums en tailleur rouge et blanc et remportait haut la main l’investiture socialiste. Tout le monde avait remarqué le nez affiné et la dentition parfaitement alignée de celle qui, quelques mois plus tard, sera la première femme à atteindre le second tour de la présidentielle. Une allure décontractée, bien loin de la députée des DeuxSèvres, robe à fleurs, grosses lunettes et cheveux tirés en arrière de la fin des années quatre-vingt. Après son échec face à Nicolas Sarkozy, elle se risque à un nouveau look pour son meeting au Zénith de Paris, et le fameux « fra-ter-ni-té », cheveux bouclés, tunique bleue et jean délavé. Moquée pour sa prestation, la présidente de la région Poitou-Charentes n’a pas renouvelé l’expérience. Aujourd’hui, elle a retrouvé ses tailleurs et sa coiffure au front dégagé.

Ségo Lène Royal

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PRATIQUE

vrai/fauxpourallerplusloinilsontditellesontditcarnetd’adressesvrai/fauxpourallerplu

Anthony Bonnet Leïla Marchand Léo Potier Pierre-Alain Trochu

Il existe une déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

VRAI

elles ont dit

us-entend qu’elle ique est jolie, on soqu s” » que, on dit e c’est un “ta couche. Si elle est quelcon

« Si une femme polit élisabeth Guigou

ndez un homme ; ez des discours, dema ul vo us vo si e, iqu rgaret Thatcher lit Ma po  » En «  une femme ez nd ma de , tes ac s de ez si vous voul

C’est en Suède que l’on trouve le pourcentage le plus haut de femmes au Parlement.

FAUX

En fait, c’est au Rwanda. Ce tout petit pays, au centre de l’Afrique, est le seul au monde à compter plus de femmes que d’hommes au sein de son hémicycle. D’après l’Union i­nterparlementaire, et ses données récoltées dans cent quatre-vingtdix pays en 2011, les Rwandaises occupent quarante-cinq des des quatre-vingt sièges de l’assemblée parlementaire, soit 56 %. Mais la parité ne s’arrête pas là. Les ministères de l’Industrie, de l’Agriculture, des Affaires étrangères et de l’énergie sont confiés à des femmes. Le Rwanda bat donc à plate couture la Suède, pourtant leader  européen, avec cent cinquante-six femmes sur deux cent quaranteneuf sièges, soit près de 45 %.

Photos D. R.

Comment convertir les hommes de droite à la cause de la gauche ? à Chacun(e) sa méthode pour influencer politiquement une personne. Dans Le nom des gens, sorti en 2010, Bahia Benmahmoud, jeune femme extravertie de gauche, n’hésite pas à coucher avec ses ennemis pour les convertir à sa cause. Et en règle générale, elle obtient de bons résultats. Le Nom des gens de Michel Leclerc avec Jacques Gamblin et Sara Forestier.

« Article 1 - La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits.  Article 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. » Ces deux articles font partie de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Un texte né en 1791, sous la plume d’Olympe de Gouges. Au total, dix-sept articles énumèrent les droits fondamentaux qui doivent être accordés aux hommes comme aux femmes : vote, propriété, éducation des enfants, armée, exercice des charges publiques, égalité de pouvoir dans la famille et dans la religion. Le texte est entré dans les annales du  féminisme. Mais Olympe de Gouge a fini sur l’échafaud en 1793.

En France, les droits de la femme ont fait des progrès majeurs : liberté de l’avortement et de la contraception, droit de vote, parité, professionnalisation. Ces avancées ont-elles fait reculer la domination masculine ? Rien n’est simple tant les situations sont diverses. état des lieux par une cinquantaine de sociologues, de politologues, juristes etc. sous la direction de Margaret Maruani (CNRS). Femmes, genre et sociétés. L’état des savoirs. La Découverte (2008) 25,40 euros.

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Pratique La Comédie du pouvoir. Françoise Giroud. Fayard (1978). 23,75 euros.

Photos : D. R.

Valérie Giscard d’Estaing avait bien compris l’intérêt  politique de la question du droit des femmes. Il fit donc  appel, en juillet 1974, à Françoise Giroud, cofondatrice de L’Express, pour tenir une toute nouvelle boutique  ministérielle : le secrétariat d’état à la Condition féminine. Dans ce livre sorti quatre ans après son expérience gouvernementale, la journaliste a su, de sa plume acérée, faire le récit piquant d’un parcours de femme dans un monde (d’hommes) politique(s).

ILS ONT DIT

Birgitte Nyborg est une danoise moderne. Mariée à un homme brillant et mère de deux enfants, elle est chef d’un parti minoritaire. Dans les couloirs de Christiansborg, surnommé « borgen » (« château » en français), siège du parlement et du premier ministre, elle part à l’assaut du pouvoir, chamboulant l’ordre établi. Bienvenue dans l’enfer des luttes politiques où se mêlent guerres de clans et joutes de personnalités. Sa victoire marque le début d’un long combat qui résonne sur la scène publique et fait trembler sa vie privée. Jusqu’où ira Birgitte Nyborg pour défendre le château contre les coups de ses adversaires, comme de ses alliés ?

« L’ennemi le plus dang ereux d’un souverain, c’est si elle sait faire autre ch femme, ose que des enfants » Denissa « J’ai envie de suggére Diderot r un e hypothèse selon laquelle femmes sur la scène politiqu faible participatio des e serait le simple mépris la qu’elles en ont » PierrenDes proges

Les femmes n’ont pas le droit de porter de pantalon à Paris.

VRAI

Parisienne et en pantalon ? Avez-vous une autorisation médicale ? Non ? Eh bien vous êtes dans l’illégalité. Le droit français et ses empilements de textes juridiques réservent parfois des surprises. Bien que plus appliquée, l’ordonnance du 26 brumaire de l’an IX (17 novembre 1799), qui interdit le port du pantalon aux femmes à Paris, est toujours en vigueur. Une circulaire de 1892 admet quelques exceptions : le port du pantalon est autorisé à condition que « la femme tienne à la main une bicyclette ou les rênes d’un cheval ». Depuis, plusieurs demandes ont été faites pour abroger cette perle de l’archéologie juridique, en vain. À l’Assemblée nationale et au Sénat, les élues ont le droit de pénétrer dans l’hémicycle en « habit d’homme » seulement depuis 1980. D’ailleurs, en 1972, Michèle Alliot-Marie, jeune députée en pantalon, s’était fait remonter les bretelles par un huissier. à qui elle avait rétorqué : « Si c’est mon pantalon qui vous gêne, je l’enlève dans les plus brefs délais. »

carnet d’adresses Femmes, version IIIe millénaire. Cette association, créée en 1999, devenue fédération, Femmes 3 000, a développé sa toile jusqu’en Touraine. Encouragement à l’entrepreunariat, mise en avant des compétences, etc., elle veut accroître la présence des femmes dans la vie économique et sociale.

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Antenne tourangelle de Femme 3000 : 2, rue Nesricault-Nestouches, à Tours. Contact au 02 47 21 99 30 ou par mail femmes3000touraine@ gmail.com.

Féministes oui, mais avec les hommes Tel est le credo de Mix-Cité qui souhaite qu’hommes et femmes réfléchissent ensemble aux discrimi­

nations qui subsistent et aux moyens de les combattre. Car les hommes sont directement concernés par les rôles imposés et les modèles de virilité. L’association a son siège à Paris et des antennes en province.

www.mix-cite.org/. à Orléans, c/o Monique Lemoine. 262, rue du Faubourg-Bannier. 45400 Fleury-Les-Aubrais.

Du Courant G à l’Assemblée des femmes. Suite à la contestation féministe dans les travées du congrès PS de Nantes, en juin 1977, plusieurs femmes socialistes, dont Yvette Roudy, décident de créer, en 1978, le Courant G. Il s’agit pour elles de favoriser l’accession des femmes aux postes clés du

parti. Un ministère des Droits de la femme et trente-quatre ans plus tard, Yvette Roudy poursuit son combat pour la parité. Cofondatrice de l’Assemblée des femmes, en 1992, elle en est présidente d’honneur.

www.assemblee-desfemmes.com. Assemblée des femmes 130, bd du Montparnasse, 75014 Paris.


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Billet

Et le sexe dans tout ça ! illustration : jeremie fulleringer

C’est quand même étonnant, la manière qu’ont les magazines féminins de parler de sexe. Comme s’ils ne s’adressaient qu’aux femmes hétérosexuelles, en couple ou destinées à l’être. pour tout dire, un discours qui serait à la libération des femmes ce que Jean-Marie Bigard est à la finesse d’esprit.

« êtes-vous un bon coup ? » Sachez en tout cas que « 2012 est l’année de l’éradication de la culotte pourrie » pendant laquelle il vous faudra « traquer le point G ». Avec votre Jules, parce qu’« à deux, c’est mieux ». Traduction : renouvelez votre lingerie, ne pensez pas qu’à vous, même si c’est dur à avaler, et n’oubliez pas que sans lui, tout ça n’a pas le même goût. En matière de sexe, ce n’est pas parce qu’il n’y a plus de tabou que tout est permis. échangisme, sodomie, masturbation... Quand Biba, Glamour ou Cosmopolitan parlent cru, ils servent une vision traditionnelle de l’amour à deux. Trompez votre homme avec qui bon vous semble, mais gardez-vous bien d’être célibataire. Situation qui vous conduira forcément à la dépression, vêtue d’un jogging moche et armée d’un pot de glace pour regarder Hugh Grant à la télé. Si toutefois il vous venait l’envie d’aller vous trémousser en porte-jarretelles dans un club libertin, faites donc, mais restez attachée à votre conjoint.

Difficulté supplémentaire pour Mais au-delà des quinze conseils vous mesdames : il faut aimer le sexe, pour passer un été torride et le parce qu’il est évidemment impen- d­écryptage scientifique d’une sexuasable de ne pas aimer ça. Mais il ne lité épanouissante, il existerait un faut pas trop le montrer, au risque de salut. à l’ère 2.0, parler de sexualité passer pour une nymphomane. Une n’est plus l’apanage des magazines féinjonction suivie d’une mise en garde minins. Les 400 culs, Girls and Geeks qu’Agnès Giard nomme la double ou encore Sexactu : les blogs sur le contrainte. « Le double sujet se multiplient, en langage domine, regrette partenariat avec des cette journaliste pour Agnès Giard journaux ou à l’initiative Libération et Causette, de leurs seules auteures. « Bientôt on « Il est question de déirritée par l’hypocrisie de certaines publications. nous prescrira sir et de politique sur Bientôt on nous pres- trois orgasmes Les 400 culs. J’essaie de crira trois orgasmes par par semaine » proposer autre chose, semaine mais pas plus. » explique Agnès Giard. Il Et il s’agit bien d’une prescrip- s’agit de parler de sexe avec les mots tion, les magazines faisant appel à les plus stimulants possibles pour des ­experts médicaux qui dressent l’esprit et pour l’envie ». Internet perun diagnostic et préconisent un trai- met d’évoquer la sexualité librement, tement adapté. Ne pas dépasser les individuellement et surtout différemtrois mois d’abstinence selon le Dr ment. Dans les années soixante-dix, Jacques Waynberg ou apprendre à les magazines ont accompagné les rejouir correctement avec le Dr Gérard vendications féministes. Aujourd’hui, Leleu, autant de préceptes qui lais- ce pourrait bien être au tour du web. sent croire qu’une même sexualité Margaux Baralon pour tous est la norme. et Frédérik Hufnagel

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RMÉ TURE O F N I Z E T S RE A CULE, L E T U O T R SU -LOIR UR T E E R D N I EN OUS S culturelle37 N Z E N G I O J /ao RE cebook.com www.fa

www.cg37.fr


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